PSAUME CXLIX
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DISCOURS SUR LE PSAUME CXLIX.

SERMON AU PEUPLE.

LE NOUVEAU CANTIQUE OU L’ÉVANGILE.

 

Ce cantique nouveau du psaume est le Nouveau Testament avec ses promesses spirituelles, comme le vieux cantique est l’Ancien Testament avec ses promesses temporelles. L’amour seul est toujours nouveau et toujours ancien, parce qu’il est le Verbe de Dieu, qui ne vieillit point. L’homme vieillit par le pêché, la grâce le rajeunit. Chantons ce cantique, mais par Ioule la terre; chantons, non-seulement de la voix, mais de la pensée qui se manifeste par toutes les oeuvres, comme celle des loups revêtus de la peau des brebis. Chantons ce cantique par tonte la terre, dont nul ne doit se séparer, autrement il ne serait pas le froment ; sortir de l’aire est le fait de la paille. C’est te Seigneur qui sème le bon grain, l’ennemi l’ivraie; car ils doivent croître jusqu’à la moisson. Le champ du Seigneur c’est le monde, c’est l’assemblée des saints, autrefois prophétisée, maintenant accomplie. Israël, ou celui qui voit Dieu, doit tressaillir dans le Seigneur, et, comme Dieu est charité, aimer Dieu c’est le voir, c’est être Israël. Nous devons nous réjouir en Dieu, et non dans tel ou tel homme; en notre roi qui est le Cnrist, parce qu’il a vaincu le diable; qui est notre prêtre, puisqu’il s’est offert pour nous, qui n’avions aucune hostie pure.

Chantons et chantons en choeur, c’est-à-dire eu accord, et sur les tambours et sur le psaltérion, en accompagnant la voix de la main, ou plutôt des oeuvres. Le tambour est une peau tendue; le. psaltérion est fait de cordes tendues aussi, ce qui désigne la mortification de la chair. Le Seigneur nous a comblés de faveurs en nous appelant à la gloire, en nous soutenant dans le combat. Les saints tressailliront dans leur gloire, parce qu’ils recherchent les applaudissements de Dieu seul, et non ceux des hommes, comme ces fous qui revêtirent un comédien et non tes pauvres de Jésus-Christ; ils tressailliront dans leur lit de repos ou dans leur conscience, mais avec l’humilité de la crainte. Cette framée à deux tranchants est ta parole de Dieu qui règle les intérêts des temps et ceux de l’éternité, qui sépare te saint de l’impie, établissant aussi deux Testaments; elle est aux mains des saints qui peuvent la prêcher, ou la prêcher et l’écrire. Avec ce glaive les saints tuent dans l’homme le païen pour faire le chrétien, comme Saut mourut pour foire place à Paul. Les rois, en devenant chrétiens, on tmis leurs pieds dans les entraves des préceptes de l’Evangile, ils se sont imposé des chaînes qui leur défendaient de faire ce qu’ils pouvaient; chaînes de fer qui commencent par la crainte pour nous conduire au collier d’or de la sagesse; chaînes de fer dans l’inviolabilité du mariage. Tel est le jugement que les saints accomplissent par leurs prédications.

 

1. Louons Dieu, mes frères, et par la voix, et par l’intelligence, et par les bonnes actions; et d’après l’exhortation du psaume, chantons-lui un cantique nouveau. Car c’est ainsi qu’il commence: « Chantez au Seigneur un nouveau cantique 1». Le vieux cantique est celui du vieil homme, le nouveau cantique, celui de l’homme nouveau. Au vieux Testament le vieux cantique; au nouveau Testament le nouveau cantique; comme au vieux Testament les promesses temporelles et terrestres. Quiconque aime les choses d’ici-bas, aime le vieux cantique; pour chanter le cantique nouveau, il faut aimer les choses de l’éternité. Quant à l’amour lui-même, il est

 

1. Ps. CXLIX, 1.

 

nouveau et néanmoins éternel; dès lors qu’il ne vieillit point, il est toujours nouveau. A le bien considérer, il est ancien, et dès lors comment peut-il être nouveau ? Quoi donc, mes frères, la vie éternelle a-t-elle commencé tout récemment? La vie éternelle, c’est le Christ, et, comme Dieu, le Christ n’a point commencé; car, « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; voilà ce qui était en Dieu au commencement. Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 1 ». Si les choses faites var lui sont anciennes, que peut être celui qui les a faites ? Que peut-il être, sinon éternel et coéternel au Père ? Mais nous qui

 

1. Jean, 1, 1-3.

 

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sommes tombés dans le péché, nous tombons aussi dans la vieillesse. Car c’est nous qui parlons dans ce même psaume, où il est dit avec gémissement : « J’ai vieilli au milieu de mes ennemis 1 ». L’homme est vieilli par le péché, il est rajeuni par la grâce. Qu’ils chantent dès lors un cantique nouveau, ceux qui sont renouvelés dans le Christ, commençant ainsi d’appartenir à la vie éternelle.

2. Et ce cantique est celui de la paix, le cantique de l’amour. Quiconque se sépare de l’assemblée des saints, ne chante pas le cantique nouveau. Il s’attache en effet à la haine qui est antique, et non à l’amour qui est nouveau. Que trouvons-nous dans l’amour nouveau, sinon la paix, le lien d’une société sainte, une union spirituelle, un édifice de pierres vivantes? Où rencontrer cela ? Non point dans un seul endroit, mais dans l’univers entier. Ecoute à ce sujet un autre psaume : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau; toute la terre, chantez au Seigneur 2 ». De là nous pouvons comprendre que celui qui ne chante pas avec toute la terre, ne chante point un cantique nouveau, quelles que soient les paroles qui sortent de sa bouche. A quoi bon écouter le son de la voix, quand je connais la pensée ? Mais vous, dira-t-on, connaissez-vous la pensée ? Les actes me l’apprennent. Qu’un homme soit surpris en flagrant délit de vol, d’homicide, d’adultère, sans voir ses pensées dans son coeur, on les connaît par ses actes. Il est beaucoup de pensées qui demeurent dans notre intérieur; mais il en est beaucoup qui passent dans nos oeuvres, et qui deviennent évidentes pour les hommes. Pour ces hommes qui ont brisé avec le Christ les liens de la charité, quand ils n’étaient corrompus qu’à l’intérieur, Dieu seul les connaissait. Mais l’épreuve est survenue, les a séparés et a montré aux hommes ce qui n’était connu que de Dieu. Ou ne juge du fruit que par les oeuvres. De là cette parole de l’Evangile «Vous les connaîtrez à leurs fruits 3». Ainsi disait le Seigneur, à propos de ceux qui revêtent la peau des brebis, et qui ne sont à l’intérieur que des loups ravissants; et de peur que l’humaine fragilité ne nous empêche de reconnaître le loup sous la peau d’une brebis, le Sauveur ajoute : « Vous les « connaîtrez à leurs fruits ». Nous cherchons

 

1. Ps. VI, 8. — 2. Id. XCV, 1. — 3. Matth. VII, 16.

 

le fruit de la charité, et nous trouvons les épines de la division. « Vous les connaîtrez à leurs fruits ». Leur cantique est donc l’ancien, chantons le cantique nouveau. Nous vous l’avons dit déjà, mes frères, toute la terre chante le nouveau cantique. Quiconque ne chante point le nouveau cantique avec toute la terre, pourra chanter ce qu’il voudra, sa langue pourra proférer l’Alleluia; qu’il le chante, et le jour et la nuit, mes oreilles ne s’arrêteront point au bruit de ses chants, je m’arrêterai à ses oeuvres. Que j’interroge l’un d’eux, que je lui dise : Quel est ton chant ? Alleluia, me répond-il. Que signifie Alleluia ? Louez le Seigneur. Viens, louons le Seigneur ensemble. Si tu loues le Seigneur, moi aussi je loue le Seigneur; pourquoi serions-nous en désaccord ? La charité loue le Seigneur, la discorde lui jette le blasphème.

3. Et voulez-vous savoir où vous devez chanter ce nouveau cantique ? Voyez où s’accomplit et comment s’accomplit ce que va dire le Psalmiste; voyez si c’est dans toute la terre, ou seulement dans une partie du monde, et vous jugerez mieux ensuite à  qui appartient le nouveau cantique. Vous savez déjà ce que je viens de citer d’un autre psaume: « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ». Et pour vous montrer qu’il y a dans ce cantique nouveau un fruit de la charité et de l’unité, le Prophète ajoute : « Que toute la terre chante au Seigneur». Que nul ne se sépare, que nul ne se divise; si tu es froment, supporte la paille jusqu’à ce qtl’elle soit vannée. Pourquoi veux-tu sortir de l’aire? Fusses-tu le plus noble froment, si tu es en dehors de l’aire, les oiseaux te trouveront et t’amasseront 1. Ajoute à cela que sortir de l’aire et t’envoler prouve que tu n’es que paille, et à cause de cette légèreté, le vent est venu t’enlever de dessous les pieds des boeufs. Ceux, au contraire, qui sont le bon grain, souffrent qu’on les foule: ils se réjouis. sent d’être le froment, gémissent parmi la paille, attendent celui qui doit vanner, qu’ils regardent comme le Rédempteur. « Chantez au Seigneur un nouveau cantique; sa louange est dans l’Eglise des saints ». Or, cette Eglise des saints est l’Eglise du froment répandu dans le monde entier, et semé dans le champ du Seigneur qui est le monde

 

1. Matth. III, 12.

 

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comme nous l’expose Jésus-Christ, quand il nous dit, à propos du semeur, « qu’un homme sema du bon grain dans son champ, et que l’ennemi vint et y sema de l’ivraie; et les serviteurs dirent au père de famille: N’avez-vous pas semé de bon grain dans votre champ? d’où vient donc qu’il y a de l’ivraie? Il répondit: C’est l’ennemi qui a fait cela ». Ils voulaient cueillir l’ivraie, mais il les en empêcha en disant: « Laissez croître l’un et l’autre jusqu’à la moisson, et au temps de la moisson je dirai aux moissonneurs : « Cueillez tout d’abord l’ivraie, et liez-la en bottes, pour la brûler; quant au froment, mettez-le en réserve sur mon grenier ». Les disciples lui demandèrent ensuite : « Exposez -nous le sens de cette parabole de l’ivraie». Il leur en expliqua toutes les parties, afin que nul n’attribue à ses propres lumières l’intelligence qu’il en peut avoir, mais bien à ce Maître céleste qui l’a exposée. Que nul ne vienne dire qu’il l’a expliquée comme il l’a voulu. Si le Seigneur eût expliqué la parabole d’un Prophète, quand lui-même disait par leur bouche tout ce qu’ils disaient, qui oserait dire qu’il ne devait point donner lui-même cette explication? A plus forte raison, quand il donne le sens d’une parabole que lui-même a proposée, qui oserait contredire une vérité aussi évidente? En expliquant cette parabole, le Sauveur nous dit donc : « Celui qui sème le bon grain, c’est le Fils de l’Homme », se désignant ainsi lui-même. « Le bon grain, ce sont les fils du royaume », c’est-à-dire l’assemblée des saints; « l’ivraie, ce sont les fils de l’iniquité. Le champ, c’est le monde 1 ». Or, voyez, mes frères, que le bon grain est semé dans le monde entier, et que dans le monde entier il y a de l’ivraie. N’y a-t-il dans une partie que le bon grain, et que l’ivraie dans l’autre partie? Nullement; partout est le bon grain, et partout est le froment. Le champ du Seigneur c’est le monde, et non l’Afrique seulement. Il n’en est point de ce champ du Seigneur comme des autres terres, dont les unes, comme la Gétulie, rapportent soixante et cent pour un; les autres, comme la Numidie, seulement dix pour un. Partout Dieu récolte cent pour un , ou soixante, ou trente ; vois seulement ce que tu veux être, si tu prétends être ce grain que récolte le Seigneur. Cette Assemblée des saints

 

1. Matth. XIII, 21-38.

 

est donc I’Eglise catholique; et l’Assemblée des saints ne saurait être l’Eglise des hérétiques. Cette Eglise des saints est celle que Dieu a prédite avant qu’elle fût visible, et qu’il veut rendre visible en la mettant sous nos yeux. L’Eglise des saints était jadis dans les livres, aujourd’hui elle est dans les nations : jadis on lisait seulement que l’Eglise des saints existerait, aujourd’hui on le lit encore, et, de plus, on voit qu’elle existe. On croyait en elle quand elle n’existait que dans les livres, aujourd’hui qu’on la voit, on lui résiste. « Sa louange est dans l’assemblée des saints».

4. « Qu’Israël tressaille dans celui qui l’a fait 1». Que veut dire Israël? Celui qui voit Dieu, c’est le sens que l’on donne à Israël. Que celui qui voit Dieu tressaille donc dans ce Dieu qui l’a fait. Pourquoi donc, mes frères, disons-nous que nous appartenons à l’Eglise des saints? est-ce que nous voyons Dieu dès cette vie? Et si nous ne le voyons pas, comment sommes-nous Israël? Il est une vue de Dieu propre à cette vie, et une autre vue pour la vie à venir. Ici-bas nous voyons par la foi ; dans la vie future nous verrons face à face. Croire c’est voir, aimer c’est voir. Que voyons-nous? Dieu. Où est Dieu? Interroge saint Jean: « Dieu est charités », nous dit-il. Bénissons dès lors son saint nom, et réjouissons-nous en Dieu, si nous nous réjouissons dans la charité. Qu’un homme ait la charité, et dès lors l’enverrons-nous bien loin pourvoir Dieu? Qu’il entre seulement dans sa conscience, et il y trouve Dieu. Mais si la charité n’est point dans son coeur, Dieu non plus n’y est pas, tandis qu’il y est si la charité s’y rencontre. Un homme voudrait peut-être voir Dieu assis dans le ciel; qu’il ait la charité et Dieu habitera en lui comme dans le ciel. Soyons donc Israël, et réjouissons-nous en celui qui nous a faits. « Qu’Israël tressaille en celui qui l’a fait ». Oui, qu’il se réjouisse dans celui qui l’a fait, et non point dans Anus, non point dans Donat, non point dans Cécilien, non point dans Proculien, non point dans Augustin. Qu’il tressaille dans celui qui l’a fait. Loin de nous, mes frères, de nous faire valoir auprès de vous; c’est Dieu que nous vous recommandons, parce que nous vous recommandons à Dieu. Comment faire valoir Dieu auprès de vous? En vous

 

1. Ps. CXLIX, 2. — 3. I Jean, IV, 16.

 

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recommandant de l’aimer pour votre propre avantage, et non pour le sien; car ne point l’aimer serait nuisible pour vous et non pour lui. Dieu, en effet, n’en aura pas moins la divinité, quand l’homme n’aurait point pour lui la charité. C’est toi qui trouves ton avantage en Dieu, et non Dieu en toi; et néanmoins le premier 1, et avant que nous l’eussions aimé, il nous a aimés jusqu’à envoyer son Fils unique à la mort pour nous 2. Celui qui nous a faits a voulu être fait parmi nous. Comment nous a-t-il faits ? « Tout a été fait par lui, et sans lui rien n’a été fait 3 ». Comment a-t-il été fait parmi nous? « Et le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 4 ». C’est donc en lui que nous devons nous réjouir. Que nul ne s’arroge ce qui vient de Dieu seul; c’est de lui que nous vient la joie qui fait notre bonheur. « Qu’Israël se réjouisse en celui qui l’a fait ».

5. « Et que les fils de Sion tressaillent dans leur roi». Cet Israël, ce sont les enfants de l’Eglise. Car Sion fut en effet une ville qui tomba: et dans ses restes habitaient quelques saints pour un temps; mais il est une véritable Sion, une véritable Jérusalem, car Sion est la même que cette Jérusalem qui subsistera éternellement dans le ciel, et qui est notre mère 5. C’est elle qui nous a engendrés, elle qui est l’Eglise des saints, en partie dans l’exil, mais en bien plus grande partie dans le ciel. Cette partie qui est dans le ciel fait le bonheur des anges, et la partie qui est exilée en ce bas inonde, fait l’espérance des justes. C’est de l’une qu’il a été dit « Gloire à Dieu au plus haut des cieux» ; et de l’autre: « Et paix sur la terre aux hommes de bonne volonté 6 ». Que ceux donc qui gémissent en cette vie, qui aspirent à cette patrie céleste, s’élancent par l’amour, et non des pieds du corps, sans chercher des vaisseaux, qu’ils se pourvoient d’ailes, des deux ailes de la charité. Quelles sont les deux ailes de la charité? L’amour de Dieu et l’amour du prochain 7. Nous sommes en effet dans l’exil,dans les soupirs, dans les gémissements. Voilà qu’il nous est venu des lettres de la patrie, et nous vous en donnons lecture.

6. « Qu’Israël se réjouisse dans Celui qui l’a fait, que les fils de Sion tressaillent dans leur Roi». Dire « qui l’a fait» revient à dire leur

 

1. I Jean, IV, 19. — 2. Id. III,16.— 3. Id. I, 3.— 4. Id. 14.— 5. Gal. IV, 26. — 6. Luc, II, 14. — 7. Matth. XXII, 40.

 

« roi »; de même que « Israël » ne dit autre chose que « fils de Sion ». Se réjouir en celui qui l’a fait, c’est se réjouir en son roi. C’est le Fils de Dieu qui vous a faits et qui a été fait parmi nous. Il est le roi qui nous gouverne, parce qu’il est le créateur qui nous a faits. Et celui par qui nous avons été faits, est aussi celui par qui nous sommes conduits; et nous sommes chrétiens parce qu’il est Christ; or, il est appelé Christ à cause du chrême ou de l’onction. Les rois 1 recevaient l’onction aussi bien que les prêtres 2; et celui-ci a reçu l’onction de roi, de prêtre; roi, il a combattu pour nous, et prêtre, il s’est offert pour nous. Eu combattant pour nous, il a paru vaincu, bien qu’il fût vainqueur en réalité. Car il a été cloué à la croix et de cette croix qui était son gibet, il a vaincu le diable, et est devenu notre roi. Comment donc est-il prêtre? Parce qu’il s’est offert pour nous. Donnez au prêtre de quoi offrir. Mais, hélas! où l’homme trouvera-t-il une victime pure qu’il puisse offrir? Quelle victime? Que peut offrir de pur un pécheur? Homme d’iniquité, impie, tout ce que tu offres est impur, et il faut offrir pour toi une hostie sans tache. Cherche en toi de quoi offrir, tu ne trouveras rien. Cherche ce que tu offrirais de toi-même : ni béliers, ni boucs, ni taureaux ne sont agréables à Dieu. Tout lui appartient quand même tu n’offrirais rien. Offre-lui donc une hostie pure. Mais tu es pécheur, tu es impie, ta conscience est souillée, Peut-être qu’une fois purifié, tu pourras offrir à Dieu une hostie pure; mais pour devenir pur, il faut offrir une victime pour toi. Que vas-tu donc offrir, afin d’être pur? Et si tu es pur, tu pourras offrir une hostie pure. Que le prêtre sans tache s’offre donc lui-même afin de te purifier. C’est là ce qu’a fait le Christ. Il n’a trouvé dans les hommes rien de pur qu’il pût offrir pour les hommes, et il s’est offert comme une victime sans tache. Bienheureuse victime, véritable victime, victime sans tache. Ce n’est donc point ce qu’il a pris en nous qu’il a offert, ou plutôt il a offert ce qu’il tenait de nous, mais il l’a offert purifié. Car c’est cette même chair qu’il tenait de nous qu’il a bien voulu offrir. Mais où l’avait-il prise? Dans le sein de la Vierge Marie, afin d’offrir cette chair pure, pour ceux qui étaient impurs. IL est donc roi, il est prêtre, mettons en lui notre joie.

 

1. I Rois, X, 1; XVI, 13. — 2. Exod. XXX, 30.

 

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7. « Qu’ils chantent son nom en choeur 1 ». Que signifient ces choeurs? Il en est beaucoup pour connaître ces choeurs, et comme nous parlons dans une ville, tous les connaissent. On appelle choeur l’accord de plusieurs voix. Si nous chantons en choeur, chantons en accord. Dans un concert, toute voix discordante blesse l’oreille et trouble le choeur. Mais si un ton de voix en désaccord trouble ainsi un concert, que fera l’hérésie discordante au milieu de ceux qui louent le Seigneur? Or, le concert du Christ, c’est le monde entier, et ce concert du Christ résonne de l’Orient et de l’Occident. Voyons si le choeur du Christ a une telle étendue. Il est dit dans un autre psaume: « Du lever du soleil à son coucher, louez le nom du Seigneur 2. Qu’ils chantent son nom en chœur ».

8. « Qu’ils chantent ses louanges au son du tambour et du psaltérion ». Pourquoi choisir ici le tambour et le psaltérion? Afin qu’on ne loue pas Dieu de la voix seulement, mais aussi par les oeuvres. Chanter sur le tambour ou sur le psaltérion, c’est joindre la main àla voix. De même pour toi, lorsque tu chantes l’Alleluia, si ta main donne le pain à celui qui a faim, revêt celui qui est nu, donne l’hospitalité à l’étranger, alors ta voix n’est point seule pour chanter, ta main chante aussi, l’action est en accord avec les paroles. Tu as pris la harpe en main, et les doigts et la langue sont en harmonie. Ne passons pas sous silence la signification mystérieuse du tambour et du psaltérion. Le tambour est formé d’une peau tendue, le psaltérion de cordes tendues aussi. L’un et l’autre de ces instruments désignent la chair crucifiée. Il chantait admirablement sur le tambour et sur le psaltérion, celui qui disait: « Le monde est crucifié pour moi, et moi pour le monde 3 ». Or, il l’engage à prendre le psaltérion et le tambour, celui qui aime le cantique nouveau, et qui te donne cette leçon: « Si quelqu’un veut être mon disciple, qu’il renonce à soi-même, qu’il prenne sa croix et qu’il me suive 4 ». Qu’il ne quitte point le psaltérion, ne quitte point le tambour, qu’il s’étende sur le bois et dessèche la convoitise de la chair. Plus les cordes sont tendues, plus le son en est aigu. Que dit saint Paul, afin de

 

1. Ps. CXLIX, 3. — 2. Id. CXII, 3. — 3. Gal. VI, 14. — 4. Matth. XVI, 24.

 

rendre un son plus aigu sur le psaltérion? « J’oublie ce qui est en arrière, je m’étends vers ce qui est devant moi, poursuivant la palme de la vocation éternelle 1 ». L’Apôtre s’étendait pour ainsi dire, et sous le doigt du Christ il rendait le son harmonieux de la vérité. « Chantez ses louanges sur le psaltérion et sur le tambour ».

9. « Parce que le Seigneur a traité son peuple favorablement ».Quel!e plus grande faveur que de mourir pour les impies? Quelle plus grande faveur que d’effacer par un sang juste l’arrêt qui condamne le pécheur? Quelle plus grande faveur que de dire : je ne considère plus ce que vous avez été, soyez ce que vous n’étiez pas? « Le Seigneur a comblé de faveurs son peuple », par la rémission des péchés, par la promesse de la vie éternelle : il le comble de faveurs en rappelant celui qui s’éloigne, en soutenant celui qui combat, en couronnant celui qui triomphe. « Il  a comblé son peuple de faveurs, et il glorifiera les humbles par le salut ». Il est vrai que les orgueilleux se glorifient aussi, mais ce n’est point par le salut. Les humbles s’élèvent donc pour le salut, les orgueilleux pour la mort, c’est-à-dire que les orgueilleux s’élèvent et que le Seigneur les humilie, que les humbles s’humilient et que Dieu les élève. « Il glorifie les humbles pour leur salut ».

10. « Les saints tressailliront dans la gloire 2». Je voudrais vous dire un mot de la gloire des saints, redoublez d’attention. Il n’est personne, en effet, qui n’aime la gloire. Cette gloire mène des insensés, qu’on appelle gloire populaire, a ses charmes qui nous trompent; chacun s’éprend de ces louanges futiles des hommes au point de vouloir vivre de manière à mériter les applaudissements, peu importe d’où ils lui viennent et de quelle manière. De là ces hommes pris de vertige, enflés d’orgueil, vides à l’intérieur, bouffis extérieurement, qui perdent volontairement ce qu’ils possèdent, en le donnant à des comédiens, à des histrions, à des chasseurs, à des cochers. Quels dons! quelles dépenses! Consumer ainsi non seulement les richesses du patrimoine, mais les richesses de l’âme! Mais ils n’ont que du mépris pour le pauvre, parce que le peuple n’applaudit point quand il reçoit l’aumône; tandis qu’il applaudit quand on donne à un

 

1. Philipp. III, 13, 14. — 2. Ps. CXLIX, 5.

 

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chasseur. Ils ne donneront donc rien s’ils ne sont applaudis; que les fous applaudissent, et les voilà fous eux-mêmes; oui, tous également fous, et celui qui se donne en spectacle, et celui qui regarde, et celui qui donne. C’est bien cette gloire folle que condamne le Seigneur, qui est odieuse aux yeux du Tout-Puissant. Et toutefois, mes frères, le Christ ne laisse pas de faire aux siens ce reproche : J’ai moins reçu de vous que n’ont reçu des chasseurs, et pour leur donner, vous avez pris ce qui m’appartenait : « Pour moi, j’étais nu, et vous ne na’avez point revêtu ». Mais eux: « Quand, Seigneur, vous avons nous vu sans habits, et ne vous avons-nous point revêtu 1? » Mais lui : « Quand vous l’avez refusé au moindre des miens, c’est à moi que vous l’avez refusé». Mais tu n’as voulu revêtir que celui qui te plaît. En quoi donc le Christ a-t-il pu te déplaire? Tu veux revêtir un athlète, qui te fera rougir s’il est vaincu; tandis que le Christ n’est jamais vaincu; c’est lui qui a vaincu le diable, vaincu à la place, vaincu pour toi, vaincu en toi. Voilà le vainqueur que tu ne veux point revêtir. Pourquoi? Parce qu’on t’applaudit moins, parce qu’il y a moins de folles clameurs. De là vient, mes frères, que ceux qui se repaissent d’une telle joie n’ont rien dans la conscience. Comme ils épuisent leurs coffres, en donnant des vêtements, ils épuisent leur conscience, de manière à n’y rien conserver de précieux.

11. Quant aux saints qui tressaillent dans la gloire, il n’est point nécessaire que nous parlions de leur joie : écoutez seulement le verset qui suit : « Les saints tressailliront dans la gloire, leur allégresse éclatera dans le lieu du repos » ; non point dans les théâtres ou dans les amphithéâtres, non point dans les cirques, non point dans les folies, non point hors d’eux-mêmes; mais dans le lieu de leur repos. Qu’est-ce à dire, « dans le lieu de leur repos? » dans leurs coeurs. Ecoutez comme l’Apôtre se réjouit dans le lieu de son repos : « Toute notre gloire, la voici, le témoignage de notre conscience 2 ». Il est à craindre néanmoins que tel homme ne muette sa confiance en lui-même, et ne s’élève avec orgueil dans sa propre confiance. Chacun doit tressaillir avec crainte 3, parce que le don de Dieu qui fait sa joie ne  vient point de ses propres mérites. Il en est beaucoup qui se

 

1. Matth. XXIV, 43-45. — 2. II Cor. I, 12. — 3. Ps. II, 11.

 

complaisent en eux-mêmes, et se croient justes; or, voici contre eux une autre page des Ecritures: « Qui peut se glorifier de posséder la pureté du coeur; ou qui osera se vanter d’être exempt de péchés 1 ? » Il est donc une certaine manière de nous applaudir dans notre conscience, c’est quand tu reconnaîtras que ta joie est pure, que ton espérance est certaine, que ta charité est sans dissimulation. Mais comme il est en nous bien d’autres points capables d’offenser Dieu, bénis le Dieu qui t’a gratifié de ces vertus, et qui alors perfectionnera ce qu’il a commencé. Aussi, après avoir dit: « Ils tressailliront dans le lieu de leur repos », le Prophète semble craindre qu’ils ne mettent leur complaisance en eux-mêmes, et il ajoute aussitôt : « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche 2 ». Ils tressailliront dès lors dans leurs lits de repos, non point de manière à s’arroger le bien qui est en eux, mais de manière à louer celui de qui ils ont reçu d’être ce qu’ils sont, qui les appelle à être ce qu’ils ne sont point encore, de qui seul ils attendent la perfection, qu’ils remercient de ce qu’il a commencé en eux. « Les jubilations de Dieu seront dans leur bouche ». Voyez maintenant les saints, voyez leur gloire, voyez dans le monde entier, voyez que les jubilations de Dieu sont dans leur bouche.

12. « Et dans leurs mains des framées à deux tranchants ». On appelle framée ce que nous appelons vulgairement spatule. Il y a, en effet, des glaives qui n’ont qu’un tranchant : tels sont les sabres. Mais la framée, qui se nomme aussi espadon et spatule, est une épée à double tranchant et renferme un grand mystère. « Les framées qui sont dans leurs mains sont aiguisées des deux parts ».  Par ces framées à deux tranchants nous entendons la parole de Dieu; or, cette framée est unique, mais on la met ici au pluriel, parce qu’il y a plusieurs langues et plusieurs bouches des saints. La parole de Dieu est donc un glaive à deux tranchants 3. Pourquoi deux tranchants? Parce qu’elle se prononce et sur les choses temporelles, et sur les choses éternelles parce qu’elle montre dans les unes et dans les autres qu’elle dit la vérité et qu’elle sépare du monde celui qu’elle frappe. N’est-ce point là ce glaive dont le Seigneur a dit : « Je ne suis point venu apporter la paix, mais

 

1. Prov. XX. 9. — 2. Ps. CXLIX, 6. — 3. Hébr. IV, 12.

 

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le glaive 1». Considère comme il est venu disjoindre , comme il est venu séparer. Il sépare les saints, il sépare les impies, il sépare de toi tout ce qui est un obstacle. Tel fils veut servir Dieu, son père l’en empêche vient le glaive de Dieu, vient la parole de Dieu, qui sépare le fils du père. Telle fille veut, sa mère ne veut point, le glaive les sépare mutuellement. Telle bru veut, sa belle-mère ne veut point, apportez le glaive à deux tranchants, qu’il vous donne des promesses pour la vie présente, et des promesses pour la vie éternelle, le soulagement par les biens de la terre, la jouissance des biens de l’éternité. Voilà le glaive tranchant des deux côtés, promettant les biens du temps elles biens de l’éternité. En quoi nous a-t-il trompés? L’Eglise de Dieu n’était-elle point jadis dans le monde entier ? Elle y est maintenant. Autrefois on la lisait dans les livres, on ne la voyait pas : on la voit aujourd’hui, comme on la lit dans les promesses. Tout ce qui nous est promis selon le temps regarde l’un des tranchants du glaive ; tout ce qui est de l’éternité regarde l’autre tranchant. Tu as donc l’espérance des biens futurs, comme tu as la consolation dans les biens présents, ne te laisse point aller à celui qui veut te retirer de Dieu; ni père, ni mère, ni soeur, ni épouse, ni ami, que nul ne te retire de Dieu ; et alors le glaive à deux tranchants te sera avantageux. C’est pour ton bien qu’il te sépare, et t’attacher trop serait ton mal. Notre-Seigneur est donc venu avec un glaive à double tranchant, promettant les biens éternels, accomplissant les promesses temporelles. De là viennent en effet, ce que nous appelons les deux Testaments. Qu’étaient donc « ces framées à deux tranchants, dans leurs mains? » Les deux Testaments sont un glaive à double tranchant. L’Ancien promet des biens terrestres, le Nouveau des biens éternels. Dans l’un et dans l’autre s’est vérifiée cette parole de Dieu : « comme un glaive à double tranchant ». Pourquoi est-il entre les mains, et non sur la langue? « Entre leurs mains », est-il dit, « sont des framées à double tranchant ». Entre leurs mains signifie en leur puissance. Ils ont donc reçu la parole de Dieu, afin de la prêcher, et où ils voulaient, et à qui ils voulaient, sans craindre aucune puissance, et sans mépriser la pauvreté. Ils avaient en main

 

1. Matth. X, 31.

 

ce glaive dont ils frappaient, et qu’ils tournaient, qu’ils faisaient vibrer où ils voulaient; tout cela était au pouvoir des prédicateurs. Si cette parole n’était en leur pouvoir, on pourrait dire : Comment cette parole est-elle un glaive à deux tranchants, et comment se trouve-t-il entre leurs mains? Si donc cette parole n’est point entre leurs mains, comment est-il écrit : « Voilà que la parole de Dieu fut entre les mains du prophète Aggée 1? »Est-ce à dire, mes frères, que Dieu écrivit sa parole sur les doigts de ce Prophète? Que signifie dès lors entre ses mains? C’est-à-dire que la puissance lui fut donnée de prêcher la parole de Dieu. Enfin nous pourrions entendre encore d’une autre façon entre ses mains; car prêcher la parole de Dieu c’est l’avoir sur la langue, et l’écrire c’est l’avoir dans ses mains. « Et des glaives à double tranchant dans leurs mains ».

13. Vous voyez dès à présent, mes frères, comment les saints sont armés ; considérez aussi leurs exploits sacrés, leurs glorieux combats. Car s’il y a un général, il y a des soldats; s’il y a des soldats, il y a des ennemis ; s’il y a une guerre, il faut une victoire. Or, qu’ont fait ceux-ci avec les glaives à deux tranchants entre leurs mains ? C’était « pour tirer vengeance des nations 2 ». Voyez si les nations n’ont pas subi cette vengeance. Elle s’exerce chaque jour ; et c’est ce que nous faisons maintenant en vous parlant. Voyez comment nous taillons en pièces les nations de Babylone. On lui rend au double ce qu’elle a fait, selon cette parole : « Rendez-lui le double de ses victoires 3». Comment lui rendre au double, sinon parce que les saints tirent ces glaives à deux tranchants, et en foot des massacres, des meurtres, des séparations, et le paganisme s’éteint, et les idoles se brisent. Comment lui rendre au double? Pour elle, quand elle persécutait les chrétiens, elle tuait le corps, mais ne brisait pas Dieu ; maintenant on lui rend au double, puisque les païens s’éteignent et que les idoles sont brisées. Mais, diras-tu, comment sont tués les païens? Comment, sinon en devenant chrétiens? Je cherche le païen, et je ne le trouve plus, il est chrétien: donc le païen est mort en lui. S’ils ne sont tués de la sorte, comment fut-il dit à Pierre: « Tue et mange 4?» Comment donc mourut Saul le persécuteur, et comment se leva Paul

 

1. Aggée, I, 1. — 2. Ps. CXLIX, 7. — 3. Apoc. XVIII, 6.— 4. Act. X, 13.

 

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le prédicateur. Je cherche Saul persécuteur, et ne le trouve plus, il est tué 1. Par quoi ? Par le glaive à deux tranchants. Mais parce qu’il a été tué en lui-même, il a été vivifié dans le Christ ; aussi dit-il avec confiance : « Je vis, non pas moi, mais c’est le Christ qui vit en moi 2». Ce qui lui est arrivé, Dieu le fait aux autres par lui ; car devenu prédicateur, lui-même prit en main le glaive à deux tranchants pour « tirer vengeance des nations ». Et de peur qu’on ne représente des hommes frappés par le fer, du sang répandu, des chairs meurtries, le Prophète continue on disant : « Et réprimer les peuples ». Qu’est-ce que réprimer ? C’est corriger. Usez donc, mes frères, de ce glaive à deux tranchants, qu’il ne demeure point oisif, Dieu vous l’a donné pour en user à votre manière. Un homme tel que toi adore encore les idoles ? Parle ainsi à ton ami, si toutefois il en reste encore quelqu’un à qui tu puisses adresser ce langage: Un homme tel que toi, peux-tu abandonner Dieu qui t’a fait pour adorer une idole que tu as construite? L’ouvrier n’est-il point préférable à son ouvrage? Or, tu rougirais d’adorer l’ouvrier, et tu ne rougis point d’adorer ce qu’il fait? Que tôn ami rougisse, qu’il soit touché de componction, c’est une blessure que ton glaive a faite ; tu as frappé au coeur; il mourra pour revivre. Entre leurs mains, des glaives à double tranchant, pour se venger des nations, et «redresser les peuples».

14. « Afin de mettre leurs rois dans les chaînes, et leurs princes dans des liens de fer, pour exercer contre eux le jugement prescrit 3 ». Nous avons exposé sans peine commuent la framée nous fait tomber pour nous relever, nous sépare pour nous rassembler, nous blesse pour nous guérir, nous tue pour nous faire vivre. Mais que faire maintenant? Comment expliquer : « Pour mettre leurs rois dans les chaînes ?» Il faut donner des entraves aux rois des nations, et des chaînes à leurs princes et même des liens de fer. Redoublez d’attention pour savoir ce que vous savez déjà, car ces paroles que nous expliquons sont obscures à la vérité, mais ce que nous devons en dire n’est pas nouveau. Vous le savez déjà, et sans rien apprendre de nouveau, vous n’avez qu’à vous souvenir. Le dessein de Dieu en rendant obscurs quelques

 

1. Act. IX, 4. — 2. Gal. II, 20. — 3. Ps. CXLIX, 8, 9.

 

versets, est moins de nous en faire tirer une leçon nouvelle, que de nous rappeler par ces obscurités ce que nous savons déjà. Nous savons que les rois sont devenus chrétiens, que les princes des peuples ont embrasé la foi. Il y en a aujourd’hui, il y en eut autrefois, il y en aura encore, et les glaives à deux tranchants sont toujours dans les mains des saints. Comment donc entendre que les rois sont chargés de chaînes, et de liens de fer? Votre charité sait déjà, et les leçons fréquentes de l’Eglise dont vous êtes nourris vous omit appris que « Dieu a choisi dans le monde ce qui est faible pour confondre ce qui est fort ; il a choisi ce qui est fou selon le monde pou r confondre ce qui est fort, et ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est ». Voici cri effet ce que dit l’Apôtre : « Voyez, mes frères, ceux d’entre vous qui sont appelés; il en est peu de sages selon la chair, peu de puissants, peu de nobles ; mais Dieu a choisi ce qui est fou selon le monde, ce qui est infirme selon le monde, pour confondre ce qui est fort; Dieu a choisi ce qui est vil et méprisable, et ce qui n’est rien comme ce qui est quelque chose, pour détruire ce qui est 1». Jésus-Christ notre Dieu est venu pour le bien de tous ; mais il s’est servi d’un pêcheur pour le bien des empereurs, et non d’un empereur pour le bien d’un pêcheur ; et il a choisi des hommes sans aucune importance dans le monde. Il les a remplis de l’Esprit-Saint, leur a donné le glaive à double tranchant et leur a commandé de parcourir l’univers entier en prêchant l’Evangile 2. A l’instant le monde frémit de rage, le lion se leva contre l’agneau, et l’agneau fut plus fort que le lion. Le lion sévit et fut vaincu, l’agneau souffrit et fut vainqueur. Pénétrés de crainte, les hommes se convertirent au Christ, et les rois et les grands du monde s’étonnèrent à la vue des miracles, se troublèrent à l’accomplissement des prophéties, et virent avec stupeur le genre humain accourir au seul nom du Christ. Que faire alors? Beaucoup renoncèrent à toute grandeur, laissèrent leurs palais, et distribuèrent leurs biens aux pauvres pour courir à la perfection. Car le Seigneur disait à l’un de ces imparfaits: « Si vous voulez être parfait, allez vendre ce que vous possédez et en donnez le bien aux pauvres, puis venez

 

1. I Cor. I, 26-28. — 2. Matth. XXVIII, 19.

 

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et suivez-moi, et vous aurez un trésor dans le ciel 1 ». Voilà ce qu’ont fait plusieurs grands du monde; mais ils n’ont abjuré toute grandeur mondaine, que pour embrasser la pauvreté d’ici-bas et la noblesse du Christ. D’autres, et en grand nombre, conservent leur noblesse, conservent la puissance royale, et n’en sont pas moins chrétiens. Ils sont alors comme dans les entraves, et dans les chaînes de fer. Comment cela ? Ils se sont imposé des liens, liens de la sagesse, liens de la parole de Dieu, jour s’interdire tout ce qui est illicite.

15. Pourquoi donc des liens de fer, non des chaînes d’or? Tant qu’il y a crainte, ils sont de fer ; qu’il y ait amour et ils seront d’or. Que votre charité veuille bien m’écouter. Vous venez d’entendre ces paroles de saint Jean: « La crainte n’est point dans la charité, mais la charité parfaite bannit toute crainte, parce que la crainte contient une peine  2». Voilà le lien de fer. Et néanmoins, si l’homme ne commence à servir Dieu par crainte, il n’arrive pas à l’amour. « Craindre Dieu est le commencement de la sagesse 3 ». La sagesse commence donc par les liens de fer pour arriver au collier d’or; car il est dit : « Mets ton cou dans son collier d’or 4 ». Mais tu n’arriveras point à ce collier d’or, si tout d’abord tu ne mets tes pieds dans ses chaînes de fer. A commencer par la crainte, on finit par la sagesse. Combien en est-il qui n’osent faire le mal, parce qu’ils craignent l’enfer, parce qu’ils redoutent les tourments, et non parce qu’ils aiment la justice? Qu’on leur promette l’impunité, qu’on leur dise: Faites en pleine sécurité ce qu’il vous plaira; et alors ils se jetteront avec frénésie dans tous les crimes. Ce qui serait plus vrai des rois et des princes, à qui l’on ne saurait dire facilement:

Qu’avez-vous fait ? Pour l’homme pauvre, en effet, quand même il ne craindrait pas Dieu, comme il n’a nulle force, nulle puissance pour échapper au supplice qu’il a pu mériter, il s’abstient par la crainte des hommes, sinon par la crainte de Dieu. Quant aux puissants du monde, aux rois, aux grands, qu’ont-ils à craindre, s’ils ne craignent Dieu ? Mais on leur prêche, on les frappe du glaive à double tranchant ; on leur dit qu’il est un Dieu, pour mettre les uns à sa droite, les autres à sa gauche, pour dire à ceux de gauche : « Allez

 

1. Matth. XIX, 21. — 2. I Jean, IV, 18. — 3. Ps. CX, 10. — 4. Eccli. VI, 25.

 

au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 1 ». Sans aimer encore la justice, ils redoutent le châtiment, et la crainte du châtiment devient une entrave, et ces liens de fer les redressent. Voilà que vient à nous quelque grand du monde, qui aura reçu quel. ques outrages de sa femme, ou qui en aura convoité une plus belle, une plus riche; il voudrait se séparer de sa femme et n’ose le faire. Il entend un serviteur de Dieu, il entend le Prophète, il entend l’Apôtre, et il s’abstient: il entend celui qui tient en main le glaive à deux tranchants, qui lui dit : Arrête, cela n’est point permis, Dieu ne te permet point de quitter ta femme, si ce n’est pour cause d’adultère 2. Voilà ce qu’il entend, et la crainte le retient. Son pied trop léger chancelait déjà, il est retenu par les entraves. « Voilà une chaîne de fer, la crainte de Dieu ». On lui dit : Dieu te damnera, si tu le fais; il est souverain juge de tous, il entend les gémissements de ton épouse, et tu seras coupable à ses yeux. Le voilà entre l’amorce de la convoitise, et la crainte du châtiment. Il eût -cédé à ses coupables désirs, s’il n’eût été retenu par sa chaîne de fer. Mais plus encore, Voilà cet homme qui nous dit: Je veux vivre dans la continence, je ne veux plus d’épouse. Impossible. Que faire, si tu le veux, quand ta femme ne le veut point? Ta continence doit-elle donc la jeter dans l’adultère? Car elle est adultère, si de ton vivant elle passe à un autre. Or, Dieu vomis empêche de compenser un si grand mal par un lei gain. Rends le devoir, et si tu ne l’exiges point, tu n’es pas moins tenu de le rendre. Dieu te tiendra compte comme d’un acte de sainteté parfaite, si tu rends à ton épouse le devoir sans l’exiger d’elle. Tu crains et tu ne le fais pas, tu secoues tes chaînes ; mais elles sont des chaînes de fer, écoute bien : « Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier 3 ». Voilà une chaîne dure, une chaîne de fer. Une parole du Seigneur va nous montrer aussi que c’est un lien de fer. Ecoutez cette parole, ô jeunes gens, oui ce- sont des liens de fer, n’y engagez pas vos pieds; si vous les y engagez, vous vous trouverez à l’étroit dans ces entraves. Le mains de l’évêque viennent encore les resserrer davantage. N’est-ce pas l’Eglise que fuient les prisonniers, et dans l’Eglise ils recouvrent la liberté? On y voit venir des maris

 

1.Matth. XXV, 41. — 2. Id. V, 22. — 3. I Cor. VII, 3, 27, 39.

 

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qui voudraient laisser leurs épouses; mais on resserre leurs chaînes, on ne les brise jamais:

« Que l’homme ne sépare pas ce que Dieu a joint 1 ». Mais ces chaînes sont dures. Qui l’ignore? Les Apôtres ont déploré cette dureté en s’écriant : « Si telle est la condition de l’homme avec sa femme, il n’est pas avantageux de se marier 2 ». Si ces chaînes sont de fer, il n’est pas besoin d’y engager ses pieds. Et le Seigneur : « Tous n’entendent pas cette parole; que celui qui peut entendre, entende 3». Es-tu lié à une femme? ne cherche pas à te délier, parce que ces liens sont de fer. N’es-tu pas lié à une femme? ne cherche pas d’épouse 4; ne t’engage pas dans des entraves de fer.

16. « Afin d’accomplir sur eux le jugement

 

1. Matth. XIX, 6. —  2. Id. 10. — 3. Id. 11. — 4. I Cor, VII, 27.

 

prescrit». C’est là le jugement que les saints accomplissent dans toutes les nations. Pourquoi « prescrit?» Parce que tout cela fut prédit autrefois, et s’accomplit maintenant. On fait maintenant ce qu’on lisait jadis, et qu’on ne sait pas. Le Prophète conclut aussi : « Telle est la gloire que Dieu destine à tous les saints ». C’est ainsi que les saints agissent dans le monde entier, parmi les nations, ainsi qu’ils sont élevés en gloire, ainsi qu’ils chantent le Seigneur par leurs voix, ainsi qu’ils tressaillent dans leurs lits de repos, ainsi qu’ils tressaillent dans leur gloire, ainsi qu’ils sont élevés dans leur salut, ainsi qu’ils chantent le cantique nouveau, ainsi qu’ils chantent l’alleluia, de la voix, du coeur et par leur vie. Ainsi-soit-il

 

 

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