|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVIII.SERMON AU PEUPLE.LESPÉRANCE DANS LEXIL.
Le temps, qui précède Pâques, temps de pénitence, est le symbole de la vie terrestre, vie pénible, comme le temps qui suit Pâques, temps de joie, est le symbole de la vie du ciel; de même quil y a en Jésus-Christ le temps de la passion et celui de la gloire. Cette vie future a pour refrain lAlléluia que les méchants peuvent bien chanter avec nous en cette vie, mais non dans lautre. Louer Dieu ne se dit pas seulement de la parole, mais aussi de laction ; et comme un mot du Maître met en moi tout un empire, ainsi le maître qui est en nous fait agir nos membres si cest Dieu, laction est bonne ; elle est mauvaise, si cest le diable. Tout dabord, le Prophète invite les créatures du ciel. Or, parmi les créatures, les unes connaissent et aiment Dieu; dautres, qui sont sans intelligence, contribuent néanmoins à lharmonie de lunivers ; et comme elles font louer Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi donc, dans le ciel les esprits, sur la terre les hommes louent Dieu directement; tandis que les animaux et les plantes sont seulement pour nous une occasion de le louer. Ce psaume est dAggée et de Zacharie qui, pendant la captivité, annonçaient la fin des malheurs et prophétisaient en figure la Jérusalem den haut, après la captivité de cette vie pleine de misères. Quelles bénissent Dieu, ces créatures du ciel où règne la paix, qui sont loeuvre de Dieu, qua faites le Verbe, qui sont établies pour léternité, et qui ont pour précepte de louer Dieu. Nous aussi nous bénirons Dieu nous en avons pour gage son amour qui la conduit à la mort, sa chair qui est une portion de nous-mêmes, et qui est glorifiée au ciel. Descendant sur la terre, le Prophète invite à louer Dieu les abîmes ou tout ce qui fournit des eaux dans les airs, et les contient sur la terre, ainsi que les dragons et les éléments inférieurs qui obéissent à la parole de Dieu. Arrière celui qui attribue au hasard tous les phénomènes Dieu, qui a créé lhomme, prend soin dun faible insecte et donne à chaque contrée ce qui lui convient, le chaque demeure ses habitants. De là ces harmonies qui nous élèvent jusquà leur auteur. Mais pourquoi la foudre va-t-elle frapper les montagnes, et non les voleurs? Dieu, qui veut la conversion de tous, peut en agir ainsi pour nous ramener par la crainte. Quil frappe linnocent, peu importe, puisque la mort est un bien pour linnocent. Comment sont morts les martyrs que Dieu aimait? Ne blâmons rien; croyons que tout est bien, quoique nous nen comprenions pas la raison. Tout ce qui est dans le ciel confesse Dieu, comme tout ce qui est sur la terre ; cest-à-dire quà la vue des créatures ou pro. clame la gloire de Dieu qui élève la force de son peuple, et cette force est le Christ qui n paru mortel ici-bas, mais qui est ressuscité pour nous ressusciter avec lui. Que tous les saints bénissent Dieu, cest-à-dire ceux qui sapprochent de Dieu par la foi dAbraham.
1. Notre occupation en cette vie, mes frères, doit être de louer Dieu car cette louange du Seigneur constituera le bonheur de notre vie à venir; et nul ne peut avoir part à cette vie future, sil ne sy exerce dès celle-ci. Maintenant donc nous prions Dieu, mais nous (289) prions aussi. Louer Dieu est une joie, le prier cest gémir. De grands biens nous sont promis, et nous ne les possédons point encore; nais comme celui qui nous les a promis est véridique, nous nous réjouissons dans lespérance, et comme nous ne les possédons point, nous aspirons, nous gémissons. Il nous est avantageux de persévérer dans ce désir, jusquà ce que les promesses que nous attendons soient accomplies, que notre gémissement soit passé, pour faire place uniquement à la louange. Cest pour désigner ces deux époques, dont lune se passe dans les amertumes et les tribulations de cette vie, lautre dans la sécurité, dans lallégresse éternelle; que nous célébrons deux temps bien différents, lun qui précède, lautre qui suit la fête de Pâques. Le temps qui précède Pâques est le symbole des tribulations actuelles; le temps où nous sommes, et qui suit Pâques, est le symbole de cette félicité dont nous jouirons plus tard. Nous célébrons dès lors avant Pâques notre vie actuelle; et après Pâques, nos fêtes sont le symbole de ce bonheur qui nest point encore le nôtre. Aussi lun de ces temps est-il passé dans le jeûne et la prière, et dans lautre, nous nous relâchons de nos jeûnes, pour chanter les louanges de Dieu; cest ce que nous marque le cantique Alleluia, qui en latin signifie « louez Dieu », comme vous le savez. tun de ces temps précède la résurrection du Seigneur; lautre la suit et nous marque la vie future que nous ne possédons pas encore : ce nest en effet quaprès notre résurrection que nous jouirons des biens figurés par le temps qui suit la résurrection du Christ. Nous avons dans notre chef la figure de ces deux états; et la passion du Seigneur nous montre ce quest pour nous la vie présente, le labeur, la peine, et à la fin la mort; mais sa résurrection et sa gloire nous désignent celte vie qui doit être la nôtre quand il viendra pour rendre à chacun selon ses mérites, des biens aux bons, des châtiments aux méchants. Aujourdhui, sans doute, tous les méchants peuvent chanter avec nous lAlleluia; toutefois, sils persévèrent dans leur malice, le cantique de lAlleluia pourra bien être sur leurs lèvres, mais ils ne pourront obtenir cette vie future qui accomplira en réalité ce que nous navons aujourdhui quen figures, parce quils nauront pas voulu méditer avant son avènement, et posséder par avance ce qui était à venir. 2. Maintenant donc, mes frères, nous vous exhortons à louer Dieu, et cest ce que nous nous disons mutuellement dans ce seul mot Alleluia. Louez le Seigneur, dis-tu à lun. Louez le Seigneur, te répondra lautre; et sexhorter mutuellement, cest faire dès lors ce que lon sexhorte à faire. Mais louez-le de tout vous-mêmes ; cest-à-dire, non-seulement de la langue, mais de la voix, mais aussi de toute votre conscience, dans toute votre vie, dans tous vos actes. Nous louons Dieu dans lEglise, maintenant que nous y sommes assemblés; et que chacun se retire chez soi, il semble dès lors interrompre cette louange. Mais quil ne cesse de bien vivre, et il ne cesse de louer Dieu. Cesser de louer Dieu, cest técarter de la justice, et de tout ce qui lui plaît. Si jamais tu ne téloignes du bien, ta tangue peut bien se taire, mais ta vie est un chant, et Dieu a loreille sur ton coeur, De même, en effet, que notre oreille entend notre voix, loreille de Dieu entend nos pensées. Or, il est impossible que les actes dun homme soient mauvais quand il a de saintes pensées. Car laction vient de la pensée, et nul ne peut rien faire au dehors ni mouvoir les membres de son corps, si la pensée ne la ordonné tout dabord. Ainsi en est-il des ordres que donne lempereur dans lintérieur de son palais, et qui se répandent par tout lempire romain, et saccomplissent visiblement dans les provinces. Quel mouvement ne soulève pas la seule parole du maître assis dans son palais? Un mouvement de tes lèvres quand il parle, met en émoi toute une province pour exécuter lordre donné. Ainsi chaque homme a dans soi-même un empereur qui siège dans son coeur. Sil est bon, il ordonne le bien, et le bien se fait; sil est mauvais, il ordonne le mal, et cest le mal qui se fait. Que le Christ y siége, et alors que pourra-t-il ordonner, sinon le bien? Quand le diable en est en possession, que peut-il commander autre que le mat? Or, Dieu a voulu laisser à ton choix auquel des deux tu veux préparer une place dans ton coeur, à Dieu ou au diable. Quand tu lauras préparée, celui qui possédera ton coeur y commandera. Donc, mes frères, ne vous en tenez pas seulement au bruit; quand vous louez Dieu louez-le pleinement. Chantez de la voix, chantez par une vie sainte, chantez par vos (290) actions. Et sil est encore pour vous des gémissements, des tribulations, des épreuves, ayez lespérance que ces maux passeront et que viendra le jour où nous bénirons tous le Seigneur. Ce psaume, qui est clair et quil nous faut seulement parcourir, assigne un rang à toutes les créatures qui louent le Seigneur, et les engage à le louer comme sil les eût trouvées muettes. 3. « Louez le Seigneur du haut des cieux 1». Il semble que le Prophète a trouvé dans le ciel des créatures qui ne chantent point le Seigneur, et quil les engage à se lever pour le bénir. Et toutefois, le ciel na jamais interrompu ses louanges en lhonneur du Créateur, la terre na jamais cessé de le bénir. Il est néanmoins des créatures qui ont un esprit capable de louer Dieu, et le louent dans cet amour qui fait que Dieu leur plaît. Car nul na de louanges que pour lobjet de ses complaisances. Il en est aussi dautres qui nont point cet esprit dc vie, cette intelligence capable de louer Dieu, mais qui sont bonnes en elles-mêmes, parfaitement placées à leur rang, et contribuent ainsi à la beauté de cet univers que le Seigneur a créé. Sans doute par elles-mêmes elles nont pour louer Dieu ni la voix, ni le coeur; mais pour lhomme intelligent qui les considère, elles deviennent un sujet de louer Dieu, et par cela même quelles sont un sujet de louanges en lhonneur de Dieu, elles-mêmes louent Dieu en quelque manière. Ainsi, par exemple, au ciel tout ce qui a lesprit de vie, tout ce qui jouit dune pure intelligence, pour contempler le Seigneur, et laimer sans fatigue, tous ces esprits louent le Seigneur. Sur la terre, les hommes louent le Seigneur, eux qui ont reçu de lui lintelligence pour discerner le bien et le mal, pour connaître la créature et le Créateur, la pensée pour méditer ses oeuvres, les discerner, sy complaire et les chanter. Telle est la puissance des hommes; mais les animaux peuvent-ils rien de semblable? Sils avaient une intelligence comme la nôtre, Dieu ne nous dirait point : « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet qui nont point dintelligence 2 ». Or, nous exhorter à nêtre point sans intelligence comme les animaux, cest nous montrer quil en a pourvu lhomme, afin que celui-ci loue le Seigneur. Les arbres ont-ils cette vie sensitive que nous voyons
1. Ps. CXLVII, 1. 2. Ps. XXXI, 9.
chez les animaux? Car les bêtes, quoique dépourvues de ce discernement intérieur, de cette âme intelligente et raisonnable, et dès lors impuissantes à louer Dieu à la manière de lhomme, ont néanmoins cette vie extérieure que nous connaissons tous, et qui leur fait désirer la nourriture, choisir ce qui heur est utile, repousser ce qui leur est nuisible. ils ont les sens pour discerner ce qui est corporel, la vue pour les couleurs, louïe pour la voix, le nez pour lodeur, le goût pour les saveurs, le mouvement pour ce qui leur plaît ou leur déplaît. Voilà ce que nous comprenons, ce que nous avons sous les yeux. Elles nont ni la raison, ni lintelligence ; mais elles ont un corps animé, une vie visible, vie que nont point les arbres, et néanmoins toutes les créatures louent le Seigneur. Comment louent-elles le Seigneur? Cest quen les voyant, nous nous reportons au suprême ouvrier qui les a créées, et de là vient en nous la louange de Dieu; or, quand on loue Dieu en considérant toutes les créatures, toutes les créatures louent Dieu. Cest donc par le ciel que commence le Prophète; toutes les créatures louent Dieu, et il leur dit : « Louez Dieu». Pourquoi dire « louez Dieu », puisque toutes le louent en effet? Parce quil prend plaisir à ces louanges, et quil fait ses délices dy joindre en quelque sorte son encouragement. De même lorsque tu arrives près de gens qui travaillent avec allégresse, soit à la vigne, soit à la moisson, ou à dautres travaux des champs, leur travail a pour toi des charmes, et tu leur dis : Courage ! travaillez ! non pour les engager à commencer dans ce moment, mais parce que cest pour toi un plaisir de les trouver au travail, tu y joins tes félicitations, ton encouragement. Dire, en effet: travaillez, encourager un travailleur, cest en quelque sorte travailler avec lui. Cest donc pour nous exhorter que le Prophète, rempli de lEsprit-Saint, nous dit ce qui suit. 4. Psaume dAggée et de Zacharie 1 : tel est le titre du psaume. Ces deux Prophètes, pendant la captivité du peuple juif à Babylone, annonçaient la fin de la captivité, et la reconstruction de Jérusalem 2, détruite par la guerre. Ils nous donnaient ainsi un symbole de la vie future où nous louerons Dieu après la captivité de la vie présente, quand seffectuera le renouvellement de cette grande
1. Ps. CXLIII, L 2. Esdr. V, 1, 2 ; VI, 14.
291
cité doù nous sommes bannis, maintenant que nous soupirons dans la servitude, sous le poids et dans lembarras dun corps mortel; mais ce qui nous fait soupirer dans lexil, fera notre joie dans la patrie. Quiconque ne gémit point dans lexil, ne goûtera point la joie du citoyen, parce quil nen éprouve aucun désir. Ces deux saints Prophètes apportaient donc un grand soulagement à ce peuple captif selon la chair, cest-à-dire tombé à Babylone sous le pouvoir de rois étrangers; car ils annonçaient que la captivité naurait quun temps et que Jérusalem serait reconstruite. Mais tout cela se passait pour eux en figure 1 ; et pour nous, cest une réalité : ce qui était une ombre pour les Juifs est devenu une vérité pour nous. Maintenant donc, que nous dit lApôtre? « Tant que nous u sommes dans un corps, nous sommes exilés loin du Seigneur 2 ». Nous ne sommes point encore dans la patrie. Quand y serons-nous? Quand nous aurons remporté sur le diable un triomphe complet; quand la mort, notre dernière ennemie, sera détruite; alors saccomplira cette parole des Ecritures : « La mort a été absorbée dans sa victoire. O mort ! où est ton combat? ô mort! où est ton aiguillon 3? » Quand donc cessera-t-elle cette guerre que nous fait la mort maintenant, qui provoque vos gémissements sur la défaillance et linstabilité des choses humaines, sur la fragilité de notre chair? Chaque jour il nous faut lutter contre les tentations, et lutter contre nos plaisirs; et sil ny a consentement, il y a du moins peine et lutte; et il est à craindre que celui qui lutte ne soit vaincu; mais si nous triomphons par le refus de consentement, il nous en coûte néanmoins de résister à ces attraits. Or,. notre ennemi ne meurt point et ne cessera de nous faire la guerre quà la résurrection des morts. Mais reprenons courage, ayons confiance, voilà quAggée et Zacharie nous relèvent en chantant notre délivrance future. Si leur prophétie au peuple juif est accoua plie, pourquoi ce que lon chante aujourdhui pour le peuple chrétien ne saccomplirait-il point? Soyez donc pleins dassurance; seulement dans cette vie dexil voyez comment vous agissez. Loin de vous tout amour de Babylone, de peur doublier jamais Jérusalem. Si votre corps est retenu à Babylone, que
1. I Cor. X, 6. 2. II Cor. V, 6. 3. I Cor. XV, 26, 54, 55.
Jérusalem possède votre coeur par avance. Que toute créature loue donc le Seigneur, puisque nous ferons alors ce que nous préméditons ici-bas. 5. « Louez le Seigneur, vous qui habitez les cieux, louez-le dans les hauteurs ». Le Prophète sadresse aux cieux, puis il en vient à la terre, parce quil bénit ce Dieu qui a créé le ciel et la terre. Ce qui est du ciel est dans le calme, dans la paix; là règne une joie sans fin; on ny redoute ni la mort, ni la maladie, ni le chagrin ; les bienheureux louent Dieu sans cesse. Pour nous, à la vérité, nous sommes encore sur la terre; mais quand nous pensons de quelle manière on loue Dieu dans le ciel, élevons-y notre coeur, et quon ne nous dise point en vain : Les coeurs en haut. Levons en haut notre coeur, de peur quil ne se corrompe sur la terre, puisque notre joie est dans ce que les anges font au ciel. Soyons-y par lespérance dès aujourdhui, afin dy être un jour en réalité. « Louez donc le Seigneur, vous qui êtes des « cieux». 6. « Louez-le tous, vous qui êtes ses anges; chantez-le, vous qui êtes ses vertus; soleil et lune, chantez ses louanges; vous toutes, étoiles et lumière, publiez sa gloire. « Annoncez-le, ô cieux des cieux, et que toutes les eaux qui sont au-dessus des cieux chantent le nom du Seigneur 1». Comment le Prophète pourrait-il inviter chacune des créatures? Il le fait néanmoins sommairement et renferme en quelques mots toutes les créatures du ciel qui louent leur Créateur. 7. Puis, comme si on lui demandait: Pourquoi ces créatures bénissent-elles le Seigneur, que lui doivent-elles, que leur a-t-il donné, pour le louer ainsi? il ajoute : « Car il a parlé, et voilà quelles ont été faites ; il a commandé, et elles ont été créées ». Rien détonnant que loeuvre chante la gloire de louvrier, que la créature loue le Créateur. On vient de nommer le Christ, et il semble que nous nayons pas entendu son nom. Qui est le Christ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe u était Dieu : voilà ce qui était en Dieu au u commencement. Tout a été fait par lui, et rien na été fait sans lui 2». Par qui toutes choses ont-elles été faites? Par le Verbe. Comment le Prophète nous fait-il voir que
1. Ps. CXLVIII, 2-5. 2. Jean, I, 1-3.
292
tout a été fait par le Verbe? « Il a dit, et tout a été fait; il a commandé, et tout a été créé ». Nul ne parle, nul ne commande que par le Verbe. 8. « Il les a établis pour toujours, et pour les siècles des siècles 1 ». Tout ce qui est céleste, tout ce qui est den haut, toutes les vertus et tous les anges, et cette cité supérieure, bonne, sainte et heureuse doù nous sommes bannis, ce qui fait notre malheur, où nous devons retourner, ce qui nous fait heureux en espérance, et où nous aurons le bonheur en réalité, après notre retour: « voilà ce que Dieu a établi dans le siècle, et dans le siècle des siècles; il en a porté le décret, et sa paro1e ne passera joint ». Quel est, pensez-vous, le précepte porté aux créatures célestes et aux anges? Quel précepte le Seigneur a-t-il pu leur enjoindre? Quel précepte, sinon de le louer? Bienheureux esprits dont toute la tâche est de louer le Seigneur! Ils ne labourent point, ne sèment point, nont aucun souci de moudre ou de faire cuire la nourriture: ce sont là des oeuvres de nécessité, et la nécessité nest point du ciel. Ils ne commettent ni vol, ni rapine, ni adultère : ce sont là des oeuvres diniquité, et liniquité nest point du ciel. Ils ne donnent point le pain à celui qui a fainn, ni le vêtement à celui qui est nu, ne visitent point le malade, ne reçoivent point létranger, ne réconcilient point les ennemis, nensevelissent point les morts : ce sont là des oeuvres de miséricorde, et là, il ny a point de misère qui ait besoin de miséricorde. Bienheureux esprits, serons-nous donc ainsi un jour? Soupirons, mes frères, et que nos soupirs deviennent des gémissements. Qui sommes-nous, pour être un jour au ciel? Des mortels, abattus, humiliés, de la terre et de la cendre. Mais il est tout-puissant, celui qui vous a fait une promesse. A nous considérer, qui sommes-nous? Mais à considérer lauteur de nos promesses, il est Dieu, il est tout-puissant. Ne pourra-t-il de lhomme faire un ange, lui qui a fait lhomme de rien? Ou bien pourrait-il mépriser lhomme, ce même Dieu qui a voulu que son Fils unique mourût pour lhomme? Jetons, les yeux sur les signes de son amour. Tels sont les gages quil nous a donnés de sa promesse: cest la mort du Christ, le sang du Christ que nous possédons. Qui donc est
1. Ps. CXLVIII, 6.
mort? Le Fils unique de Dieu. Pour qui est-il mort? Plût à Dieu quil fût mort pour les bons, pour les justes. Mais quoi? « Le Christ est mort pour les impies 1 », nous dit saint Paul. Lui qui a donné sa mort pour les impies, que peut-il réserver aux justes, sinon sa vie? Que lhomme donc se relève dans sa faiblesse, quil ne se détourne point de Dieu, ne se roule point dans son désespoir et ne dise point Le bonheur nest pas pour moi, Cest Dieu lui-même qui lui a promis ce bonheur; il est venu afin de promettre ce bonheur; il sest montré aux hommes, il est venu se revêtir de notre mort et nous promettre sa vie, Il est venu dans le lieu de notre exil prendre ici-bas ce que lon trouve si abondamnient ici-bas, les opprobres, les fouets, les soufflets, les crachats, les affronts, la couronne dépines, la suspension sur le bois, la croix, la mort. Voilà ce qui abonde en cette vie, et tel est le commerce quil est venu y faire. Qua-t-il donné ici-bas et quy a-t-il reçu ? Il a donné lencouragement, donné la doctrine, donné la rémission des péchés; ila reçu les outrages, la mort, la croix. Les biens, voilà ce quil nous apportait du ciel; les maux, voilà ce quil a enduré sur la terre, Et toutefois il nous a promis que nous serons un jour dans ce même ciel doù il est venu, et il a dit : « Mon Père, je veux quils soient avec moi, où je suis moi-même 2 ». Tel est lamour dont il nous a prévenus, et parce quil a voulu être avec nous où nous sommes, nous serons avec lui où il est. O homme, chétif mortel, que ta donc promis Dieu? Que tu vivras éternellement. Ne le peux-tu croire? Oh ! crois hardiment. Ce quil a fait dépasse de beaucoup ce quil a promis. Qua-t-il fait? Il est naort pour toi. Qua-t-il promis? Que tu vivras avec lui. Que lEternel soit mort, cest plus difficile à croire quun mortel qui vit éternellement. Or, ce qui est le plus difficile à croire , nous en sommes en possession, Quand un Dieu meurt pour lhomme, pourquoi lhomme ne vivrait-il pas avec Dieu? Pourquoi ne vivrait-il pas éternellement, ce mortel pour qui est mort celui qui vit éternellement? Mais comment Dieu est-il mort, et doù lui est venue la mort? Un Dieu peut-il mourir? Il a pris de toi cette chair qui lui permettait de mourir pour toi. Il neût pu mourir sans cette chair, il neût pu mourir
1. Rom. V, 6. 2. Jean, XVII, 24.
293
sans un corps mortel, il sest revêtu de ce qui lui permettait de mourir pour toi, il te revêtira de ce qui te fera vivre avec lui. Où sest-il revêtu de la mort? Dans la virginité de sa mère. Où te revêtira-t-il de la vie? Dans son égalité avec le Père. Cest là quil sest choisi dans la chasteté le lit nuptial où lEpoux devait sunir à lEpouse. Le Verbe sest fait chair 1, afin dêtre le chef de lEglise. Car le Verbe ne fait point partie de lEglise; mais pour en devenir le chef, il sest revêtu dune chair. Déjà est dans le ciel cette partie de nous-mêmes, ce corps quil a pris ici-bas, et dans lequel il est mort, dans lequel il a été crucifié. Tes prémices tont déjà devancé au ciel, et tu noses croire que tu suivras? 9. Que le Prophète maintenant descende vers les créatures terrestres, après avoir invité celles du ciel. « Louez le Seigneur, créatures de la terre 2». Où avait-il commencé plus haut? Louez le Seigneur du haut des cieux, et alors il énumère les créatures célestes. Ecoute maintenant celles de la terre : « Dragons et tous les abîmes ». Les abîmes sont de grandes profondeurs deau: on nomme abîmes toutes les mers, et cet air où se forment les nuages. Ce vaste champ des nuages, des vents, des tempêtes, des pluies, des éclairs, du tonnerre, de la grêle, des neiges, et tout ce quil plaît à Dieu denvoyer sur la terre du haut de cet air ténébreux et humide, tout cela sappelle terre, parce quil est changeant et périssable. A moins que vous ne pensiez que la pluie se forme au-dessus des étoiles. Tout cela néanmoins se produit tout près de la terre. Il arrive quelquefois que des hommes sélèvent sur de hautes montagnes, et voient les nues au-dessous deux et la pluie se former à leurs pieds; et quand on considère attentivement tous ces phénomènes que produit le trouble des airs, on reconnaît que tout cela se forme dans cette basse région du monde. Aussi ce fut à ces ténèbres, ou à ces régions de lair comme àune prison, que fut condamné le diable précipité des hautes régions des anges avec tous ses complices. Voici ce que dit lApôtre à son sujet : « Selon le prince des puissances de dair, qui exerce maintenant son pouvoir sur les enfants de rébellion 3 ». Un autre Apôtre a dit: « Si Dieu na point pardonné aux anges qui ont péché, sil les a précipités
1. Jean, I, 14. P5, CXLVIII, 7. Ephés. II, 2.
dans les prisons dun enfer ténébreux, se réservant de les punir au dernier jugement 1 » ; il nomme alors enfer la partie inférieure de la terre. Sans nous arrêter en effet à ce qua reçu le diable, voyons ce qui la perdu. Toutes ces choses donc que vous voyez telles quelles, troublées, inconstantes, effrayantes, corruptibles, ont cependant leur place, leur ordre dans cet univers, contribuent pour leur part à sa beauté, et dès lors bénissent le Seigneur. Cest pourquoi le Prophète les prend à parti et les exhorte à louer Dieu, ou plutôt cest nous-mêmes quil exhorte à le bénir par la considération de ces choses; car elles louent le Seigneur en portant à le louer ceux qui les considèrent. « Louez Dieu, créatures de la terre », dit le Prophète, « dragons et tous les abîmes ». Les dragons se tiennent le long des eaux, sélancent de leurs cavernes, rôdent dans les airs quagitent leurs mouvements. Ce sont deffroyables bêtes, la terre nen a pas de plus grandes. Aussi le Prophète commence par ces créatures: « Dragons et tous les abîmes ». Il y a comme des cavernes ou amas deaux cachées, doù sélancent les fontaines et les fleuves; les uns sortent pour couler sur terre, et dautres coulent invisiblement sous terre. Toutes ces eaux, tous ces éléments humides, avec les mers et les couches inférieures de lair , prennent le nom dabîmes ; cest là quhabitent les dragons qui louent le Seigneur. Croirons-nous cependant quils forment des concerts pour louer Dieu ? Loin de là. Mais vous qui considérez les dragons et vous reportez à Celui qui les a formés, au créateur des dragons, vous vous écriez en admirant leurs vastes proportions : Combien est grand le Dieu qui a fait ces choses; et les dragons empruntent vos voix pour louer le Seigneur. « Dragons et tous les abîmes ». 10. « Feu, grêle, neige, tourbillons et tempêtes, qui obéissent à sa parole 2». Pourquoi ajouter: « qui obéissent à sa parole? » Des hommes légers, incapables de méditer et de coniprendre que toute créature, en son lieu et en son rang, ne peut agir que sous la dépendance et par lordre de Dieu qui règle ses mouvements, se sont imaginé que Dieu gouverne seulement les créatures célestes, abandonnant avec dédain les créatures inférieures,
1. II Pierre, II, 4. 2. Ps. CXLVIII, 8.
294
quil laisse aller au hasard comme elles peuvent et où elles peuvent. Ils se tiennent un langage qui les persuade; mais pour toi, ferme tes oreilles, cest-à-dire ne te laisse point persuader par des paroles qui sont des blasphèmes et des outrages envers Dieu. Si la pluie venait de Dieu, nous disent-ils, tomberait-elle sur la mer? Où serait sa Providence, de faire pleuvoir sur la mer, quand la Gétulie est desséchée ? Ils se croient habiles en parlant ainsi; et nous pouvons leur répondre: Que la Gétulie ait soif, toi du moins tu nas pas soif. Et néanmoins il serait bon pour toi de dire: « Mon âme sans vous est comme une terre sans eau », ou comme il est dit plus clairement ailleurs: « Mon âme a soif de vous, et ma chair se dessèche dans ce désir 2 ». Et le Seigneur dans lEvangile: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 3 ». Or, celui qui nous tient ce langage impie est déjà rassasié; il se croit savant, ne veut rien apprendre et montre quil na point soif. Sil avait une véritable soif, il chercherait à sinstruire, et comprendrait que rien ne se fait sur la terre sans la providence de Dieu; il admirerait jusquà léconomie des membres dun puceron. Que votre charité veuille bien écouter. Qui a disposé les membres dun insecte et dun moucheron, de manière à leur assigner une place, à leur donner une vie et un mouvement propres? Prends et considère le plus chétif insecte, aussi petit que tu le voudras; vois, si tu peux le comprendre, et lordre qui règne dans ses membres, et cette vie qui lanime et le fait mouvoir; de lui-même il évite la mort, il aime la vie, il recherche le plaisir, évite la douleur, sagite en différentes manières et déploie de la vigueur dans le mouvement qui lui est propre. Qui a donné au cousin la trompe par où il suce notre sang? Qui comprendra la délicatesse de ce canal qui le nourrit? Qui a disposé tout cela? Qui la créé? Tu es effrayé de ces frêles ouvrages; loue celui qui est grand. Demeurez donc fermes dans ces principes, mes frères: que nul ne vous fasse dévier de la foi, de la saine doctrine. Celui qui a fait lange dans le ciel, a fait aussi le vermisseau sur la terre; mais lange dans le ciel pour habiter les régions célestes, et le vermisseau sur la terre pour demeurer dans ces terrestres régions.
1. Ps. CXLII, 6. 2. Id. LXII, 2. 3. Matth. V, 6.
A-t-il fait lange pour ramper sur la terre, et le vermisseau pour planer dans les cieux ? A chaque demeure il a assigné ses habitants, aux créatures incorruptibles une demeure incorruptible, et aux créatures corruptibles un lieu sujet à la corruption. Considère toutes choses, et loue le monde entier. Et celui qui a mis en ordre les membres dun vermisseau, ne gouverne point les nuées? Et pourquoi, nous dit-on, pleut-il dans la mer? comme sil ny avait pas dans la mer des créatures que nourrit la pluie, comme si Dieu ny avait point mis des poissons, ny avait point mis des animaux. Voyez comme les poissons accourent à leau douce, Et pourquoi, diras-tu encore, pleut-il pour le poisson, quand il ne pleut jamais pour moi? Afin que tu comprennes que tu es dans une terre déserte, dans lexil : afin que lamertume de la vie présente te fasse désirer la vie à venir ou plutôt afin que tu sois de la sorte et flagellé, et châtié, et redressé. Comme Dieu a assigné à chaque région des biens spéciaux! Nous avons parlé de la Gétulie; eh bien! il pleut ici à peu près chaque année, et chaque année aussi nous avons du blé que lon ne saurait conserver et qui se corrompt très-rapidement , parce quil en vient chaque année; tandis que là où il vient rarement, il vient en abondance et se conserve longtemps, Mais croiras-tu que Dieu ait abandonné ces contrées, quil ny ait pas mis des joies, de manière que les habitants ne puissent et louer et bénir le Seigneur? Va chercher un Gétule, amène-le dans nos riants bosquets, il voudra senfuir et retourner dans son aride Gétule. Ainsi Dieu a distribué dans chaque pays, dans chaque région, et dans chaque saison, ses dons particuliers. Il serait long de considérer plus attentivement chacune des créatures. Qui pourrait en donner le détail ? Celui dont Dieu a éclairé les yeux y découvrent des beautés dont laspect les ravit, et ce ravissement les porte non point à chanter ces beautés, mais celui qui en est lauteur; et ainsi toutes les créatures chantent les louanges de Dieu. 11. Cest dans cette vue que, après avoir invité à bénir le Seigneur, et le feu et la neige, et la glace, et lesprit des tempêtes, phénomènes qui sont aux yeux des insensés le résultat dun trouble, et amenés par le hasard, le Prophète ajoute : « Qui obéissent à sa (295) parole ». Loin de toi donc de croire que soient nues par le hasard ces créatures qui obéissent à la parole de Dieu dans tous leurs mouvements. Où il plaît à Dieu, cest là que le feu luit, que se portent les nuées, que tombent la pluie, la neige et la grêle. Pourquoi la foudre sen va-t-elle frapper les sommets des montagnes sans frapper un voleur? Je ne puis répondre à cela que selon mes faibles lumières, et autant que Dieu me le permettra. Que de plus éclairés en comprennent davantage, en disent davantage, et fasse le Seigneur que vous en compreniez plus que je nen dirai, sans orgueil toutefois et avec modération ! Tout ce que je puis dire à propos de cette difficulté, pourquoi Dieu frappe les montagnes sans frapper les voleurs, cest quil attend peut-être la conversion de ces voleurs, et il frappe la montagne qui est sans crainte, afin de changer lhomme par la crainte. Toi-même, quelquefois pour corriger un enfant, tu frappes la terre pour lépouvanter. Quelquefois néanmoins Dieu frappe lhomme quand il le juge convenable. Mais, me diras-tu, il frappe linnocent et épargne le coupable. Ne ten trouble point. Peu importe doù vienne la mort, elle est bonne pour lhomme juste. Mais doù saurais-tu ce que Dieu prépare de peines à ce scélérat, sil ne se convertit? Naimeraient-ils pas mieux périr dun coup de tonnerre, ces hommes qui sentendront dire au dernier jour : « Allez au feu éternel 1? » Limportant pour toi, cest linnocence. Est-ce un mal de mourir dans un naufrage, un bien de mourir de la fièvre? De quelque manière que meure un homme, vois dans quel état il meurt, où il doit aller en mourant, et non par quelle porte il sort de la vie. Peu importe de quelle façon il nous faudra sortir du monde. Par quelle fin les martyrs ont-ils mérité de sen aller? Sont-ils morts de la fièvre, comme tant dautres voudraient mourir? Pour les uns cest te glaive, pour dautres cest le feu, pour dautres encore cest la dent des bêtes qui leur a donné ta mort. Les bêtes ont dévoré les corps de ces martyrs, qui nont pas craint néanmoins que leurs corps périssent. Dieu, qui a compté les cheveux de notre tête 2, saura bien un jour réunir les corps de ses saints, quelque part quils soient. Selon sa volonté, il délivra les trois enfants de la fournaise 3.
1. Matth. XXV, 41. 2. Id. X, 30. 3. Dan. III, 24, 93.
Abandonna-t-il pour cela les Macchabées dans les flammes 1? Il délivra les uns avec éclat, et couronna les autres en secret. Dieu sait donc ce quil fait. Pour toi, crains et sois bon. De quelque manière quil te veuille tirer dici-bas, quil te trouve prêt. Car tu nes ici quun étranger 2, et non le possesseur de la maison. Cette maison ta été louée; oui, elle ta été louée et non donnée, tu en sortiras en dépit de tes efforts : elle ne test point concédée avec cette condition que tu auras un temps assuré pour lhabiter. Que ta dit le Seigneur? Sois prêt, quand il me plaira de te dire Va-ten; je te fais sortir du logement temporaire de létranger, mais cest pour tassurer une demeure; tu es un hôte sur la terre, sois en possession du ciel. 12. Sachons-le donc bien, tout ce qui nous arrive contre notre volonté, ne nous arrive que par la volonté de Dieu, par la sage disposition de la providence, par ses décrets, par ses lois; et quand même nous ne pourrions comprendre pourquoi telle chose arrive, rendons au moins cet hommage à la providence, que rien narrive sans cause, et alors nous serons loin de tout blasphème. Quand nous commençons à raisonner sur les oeuvres de Dieu, à dire: Pourquoi ceci? pourquoi cela? voici qui ne devrait pas être, voilà qui est mal ordonné; où est donc la louange de Dieu? Tu as perdu lAlleluia. Considère toutes les créatures de manière à plaire à Dieu, et à louer le Créateur. Si tu entrais dans latelier dun forgeron, tu noserais blâmer, ni soufflets, ni marteaux, ni enclumes ; mais un ignorant qui nen connaît pas lusage blâme tout ce quil rencontre. Quil ait, au contraire, non pas sans doute la science de louvrier, mais le bon sens ordinaire, que dira-t-il en lui-même? Ce nest point sans motif que les soufflets sont placés ici, le forgeron en connaît la cause, bien que je lignore. Il nosera donc rien blâmer dans léchoppe dun artisan, et il ose blâmer Dieu dans la création du monde. De même alors que « le feu, la grêle, la neige, la glace et lesprit des tempêtes suivent la parole de Dieu »; ainsi tout ce que de vains esprits attribueront au hasard dans la création, ne fait que la parole de Dieu, parce que rien nexiste que daprès son précepte, 13. Le Prophète exhorte ensuite à louer le Seigneur, « les montagnes et les collines, les
1. II Macchab. VII, et suiv. 2. Ps. CXVIII, 19.
296
arbres à fruits et les cèdres, les bêtes sauvages et les troupeaux, les reptiles et les oiseaux », Puis il en vient aux hommes: « Que les rois de la terre, que tous les peuples et tous les juges de la terre, que les adolescents et les vierges, et les enfants et les vieillards, bénissent le nom du Seigneur 1» Il a donc chanté la gloire de Dieu dans le ciel, la gloire de Dieu sur la terre. 14. « Parce quil ny a que son nom qui soit grand 2». Que lhomme ne cherche point à grandir son nom. Veux-tu être élevé? Soumets-toi à celui qui ne saurait être abaissé. Il est le seul dont le nom soit grand. 15. « Sa confession subsiste sur la terre et dans le ciel 3». Quest-ce à dire que « sa confession subsiste sur la terre et dans le ciel ? » Que lui-même se confesse? Point du tout, mais que toutes les créatures le confessent, que toutes le proclament; que leur beauté devient chez elles une sorte de concert à la louange du Seigneur. Le ciel crie à Dieu Cest vous qui mavez fait, et non moi. La terre crie à Dieu : Cest vous qui mavez faite, et non moi. Comment ces créatures peuvent-elles crier? Lorsquon les considère, et quon trouve quil en est ainsi, elles crient dans ta considération, elles crient par ta voix. « La confession est sur la terre et dans le ciel ». Considère le ciel, il est beau; considère la terre, elle est belle; lun et lautre ont une admirable beauté. Cest lui qui lesa faits, lui qui les conduit, qui les gouverne par sa sagesse; cest lui qui fait que le temps passe, que les moments se succèdent; cest par lui que tout se répare. Toutes les créatures le louent, soit dans le repos, soit dans le mouvement, soit ici-bas sur la terre, soit dans les hauteurs des cieux, soit quelles vieillissent ou quelles se renouvellent. A la vue de ces créatures, tu es ravi, tu télèves jusquau Créateur, la vue des créatures visibles télève jusquaux créatures invisibles 4. Alors « sa confession est sur la terre et aussi dans le ciel », cest-à-dire que tu chantes sa gloire dans les choses de la terre, sa gloire encore dans les choses du ciel. Or, comme il a fait toutes choses, et que rien ne lui est supérieur, toutes ses créatures sont au-dessous de lui; et tout ce qui pourrait te plaire en elles est bien inférieur à lui-même. Que ses oeuvres te plaisent donc, mais sans te séparer de lui-
1. Ps. CXLVIII, 9-12. 2. Id. 13. 3. Id. 14. 4. Rom. I, 20.
même, et si tu aimes loeuvre, aime bien plus celui qui la faite. Si ses oeuvres sont belles, combien est plus grande la beauté du Créateur? « On proclame sa gloire sur la terre et dans le ciel». 16. « Et il élèvera la force de son peuple». Voilà ce que prédisaient Aggée et Zacharie. Cette force de son peuple est maintenant abaissée par les persécutions, par les épreuves, par la componction des coeurs ; mais quand élèvera-t-il la force de son peuple? Quand viendra le Seigneur lui-même, quand se lèvera le soleil de justice ; non point ce soleil qui apparaît à nos yeux, qui se lève sur les bons et sur les méchants 1; mais ce soleil dont il est dit : « Pour vous qui craignez Dieu, se lèvera le soleil de justice, et le salut sera sous ses ailes 2». Cest de lui que les orgueilleux et les impies diront un jour: « La lumière de la justice na point lui pour nous, et le soleil ne sest point levé à nos yeux 3 ». Cette lumière sera lété pour nous, Maintenant, pendant lhiver, les fruits napparaissent point dans la racine, lhiver nous fait paraître les arbres comme stériles. Quiconque ne sait pas voir les choses pourrait croire que la vigne est morte ; quun cep soit réellement desséché, il ressemble en hiver absolument à son voisin ; et pourtant lun est mort, lautre en vie ; mais la vie de lun comme la mort de lautre demeurent cachées. Or, voici lété, qui fait ressortir dans lun, une vie luxuriante, et dans lautre une mort indubitable: lun se couvre fièrement de feuilles et de fruits abondants, il se pare au dehors de ce qui était caché dans sa racine. Nous ressemblons donc, mes frères, au reste des hommes qui naissent, qui mangent, qui boivent, qui se couvrent de vêtements, qui passent ainsi cette vie ; il en est de même des saints. Voilà ce qui jette souvent dans lerreur des hommes qui disent: Depuis quil sest fait chrétien, est-il délivré de sa migraine? Ou bien, quel avantage a-t-il sur moi depuis quil est chrétien? O vigne desséchée! tu ne vois quavec dédain cette autre vigne que lhiver a dépouillée, mais non desséchée. Lété viendra, le Seigneur viendra, lui qui est notre gloire et qui était caché dans la racine; et alors «il élèvera la puissance de son peuple » après cette captivité, dans laquelle nous vivons pour mourir. De là cette parole de lApôtre : « Ne
1. Matth. V, 45. 2. Malach. IV, 2. 3. Sag. V, 6.
297
jugez point avant le temps, jusquà ce que vienne le Seigneur, qui éclairera ce qui est caché dans les ténèbres ; et alors chacun recevra de Dieu sa louange 1». Mais, diras-tu, où donc est ma racine?où est mon fruit? Si tu as la foi, tu sais où est la racine ; car elle est où est ta foi, où est ton espérance, où est ta charité. Ecoute lApôtre : « Vous êtes morts 2 », disait-il à ceux qui paraissaient morts pendant lhiver ; apprends néanmoins quils vivent: « Et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ ». Cest là que jai ma racine. Quand donc seras-tu paré de tes ornements, enrichi de tes fruits? Ecoute saint Paul qui le dit dans la suite: « Quand apparaîtra le Christ qui est votre vie, alors vous apparaîtrez avec lui dans la gloire 3; et il élèvera la puissance de son peuple ». 17. « Que tous ses saints le chantent dans leurs hymnes ». Connaissez-vous lhymne? Cest un cantique en lhonneur de Dieu. Louer Dieu, sans aucun chant, ce nest point une hymne : chanter sans louer Dieu, nest point une hymne ; louer quelque chose autre que Dieu, de quelque chant que lon puisse accompagner cette louange, ce nest point une hymne encore. Une hymne a donc ces trois conditions, quelle est un chant, une louange, et louange en lhonneur de Dieu, Un cantique en lhonneur de Dieu est donc une hymne. Or, que signifie cette parole : « Hymne à tous les saints? » Que tous les saints du Seigneur lui chantent des hymnes, quils fassent retentir ses louanges. Cest là ce quils recevront de Dieu au dernier jour, une hymne éternelle. De là cette autre parole du psaume: « Le sacrifice de louanges est le culte qui mhonore, telle est la voie où je lui montrerai mon salut 4 ». Et encore « Bienheureux ceux qui habitent votre maison, ils vous loueront dans les siècles des siècles 5». Telle est lhymne pour tous les saints. Quels sont les saints de Dieu? « Les fils dIsraël, le peuple qui sapproche de lui ». Que nul ne dise : Je ne suis point entant dIsraël. Ne vous imaginez point que les Juifs seront enfants dIsraël, et non point nous. Jose vous dire au contraire, que nous sommes les enfants dIsraël, et non les Juifs. Ecoutez pourquoi : cest que lenfant né selon lesprit est plus grand que lenfant né selon la chair.
1. I Cor. IV, 5. 2. Coloss. III, 3. 3. Ibid. 4. 4. Ps. XLII, 23. 5. Id. LXXIII, 5.
Or, doù est issu Israël ? DAbraham. Car Isaac est né dAbraham, et Israël dIsaac. Comment Abraham se rendit-il agréable à Dieu? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 1». Quiconque dès lors imite Abraham dans sa foi, devient fils dAbraham; quiconque dégénère de la foi dAbraham, est déchu de sa postérité. Les Juifs qui ont dégénéré de sa foi, ont perdu le droit dêtre ses enfants , et nous en imitant sa foi , nous avons acquis ce même droit. Sache bien quils lont perdu. Que leur répond le Sauveur quand ils disent: « Nous sommes fils dAbraham 2? » Ils osent bien se vanter et lever la tête à propos de cette noble descendance dun juste ; mais que leur dit le Seigneur : « Si vous étiez fils dAbraham, vous en feriez les oeuvres 3». Si donc ils ont perdu lhonneur dêtre enfants dAbraham, nous avons acquis ce même honneur; et nous avons acquis par notre foi ce que leur incrédulité leur a fait perdre. Parce quAbraham crut à Dieu, sa foi lui fut imputée à justice. Or, la postérité dAbraham cest le Christ 4,et nous sommes dans le Christ ; dIsraël naquit un peuple, doù est venue Marie, et de Marie est né le Christ, et nous qui sommes dans le Christ, nous sommes donc fils dIsraël. Quajoute le Prophète pour nous distinguer des Juifs? « Aux fils dIsraël, au peuple qui sapproche de Dieu ». Voyez les Juifs : sils sapprochent de Dieu, cest deux quil est question. Mais peut-être sen approchent-ils, me dira quelquun ; car eux aussi chantent des psaumes, ils chantent des hymnes à Dieu. Nentendez-vous point ce que dit le Prophète: « Voilà un peuple qui mhonore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 5?» Si donc leur coeur est loin de Dieu, et si notre coeur est près de Dieu, parce que nous croyons, parce que nous espérons, parce que nous aimons, parce que nous sommes unis au Christ, parce que nous sommes devenus ses membres ; est-ce que les membres sont séparés du chef? Sils étaient éloignés, ils seraient divisés, et cette parole ne serait plus vraie : « Voilà que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles 6 ». Sils étaient séparés du chef, il ne dirait point du haut du ciel : «Saul, Saul, pourquoi me persécuter 7?» Sil nétait point en nous, il ne dirait point :
1. Rom. IV, 3. 2. Jean, VIII, 33. 3. Ibid. 39. 4. Gal. III, 16. 5. Isaï. XXIX, 13. 6. Matth. XXVIII, 20. 6. Act. IX, 4.
298
« Jai eu faim, et vous mavez donné à manger ». Et quand on lui dit: « Où donc vous avons-nous rencontré ayant faim? » il ne répondrait pas : Quand vous lavez fait au moindre des miens, cest à moi que vous lavez fait 1». Voilà Israël, voilà le peuple qui sapproche de Dieu, qui sunit à lui maintenant dans lespérance, et plus tard en réalité.
1. Matth. XXIV, 35, 37, 40.
|