|
|
DISCOURS SUR LE PSAUME CXLVI.SERMON AU PEUPLE, PRÊCHÉ PROBABLEMENT A CARTHAGE.LA VIE DU JUSTE.
Il est bon de chanter des psaumes au Seigneur, qui peut nous récompenser, et sil naccorde pas toujours ce quon lui demande, cest quil est père et connaît ce qui doit nous être utile. Louer Dieu, ce nest point simplement chanter en son honneur: le Prophète veut ici un psaume, et le psaume sexécute sur un instrument de musique, ce qui exige laction des doigts, et nous figure les oeuvres. Une oeuvre bonne est donc une louange, et le péché devient un silence ; le tort que lon inédite, un silence aussi. Toute action faite pour obéir à Dieu est donc une louange; elle est un blasphème dès quelle est eu dehors des bornes prescrites ; car la louange nest pas bonne dans la bouche du pécheur, la licence est un un faux, et Dieu est attentif aux oeuvres plus quà la voix. LApôtre nous dit que nous devons louer Dieu, parce que le Christ est mort pour tous, et le Psalmiste, parce que Dieu bâtit Jérusalem, nous rassemble à la voix des Apôtres, guérit les coeurs brisés par le repentir ; or, ces coeurs brisés qui. sont un sacrifice agréable à Dieu, sont les coeurs humbles, qui confessent leurs péchés, les châtient sur eux-mêmes. Cest loeuvre de la rédemption. Mais la guérison ne sera parfaite que dans lautre vie. En attendant le Seigneur bande nos plaies, quand il nous redresse par ses préceptes, et- nous aide par ses sacrements, qui sont comme des appareils et quil lèvera dans lautre vie. Cest Dieu qui compte les étoiles ou les flambeaux qui nous éclairent pour la vie éternelle ; tous ces flambeaux ne sont point marqués cependant pour la vie éternelle, et Dieu appelle par leurs noms ceux qui auront la charité et se tiendront unis à lui. Dieu est grand, on ne saurait mesurer sa sagesse, qui est le nombre même, la mesure. Nous aurons part à cette mesure immuable, quand nous habiterons Jérusalem. Demandons à Dieu quil bande nos plaies, et dans les difficultés de lEcriture, frappons à la porte avec humilité. Dieu renverse tous ceux que leur orgueil fait regimber. Les Manichéens ont regimbé contre les Ecritures, et Dieu les a jetés à terre. Or, la terre pour eux, cest la chair, et ils nont eu sur Dieu que des pensées grossières. Pour arriver au Seigneur, accusons-nous tout dabord, puis faisons de bonnes oeuvres, et nous nous rapprocherons de Dieu en reformant en nous son image que le méchant a effacée ; de là. cette expression, quil est loin de Dieu. Cest ce même Dieu qui couvre le ciel de nuages, ou ses Ecritures de mystères, et prépare à la terre, les pluies de lintelligence et de la grâce ; qui fait croître lherbe sur les montagnes, cest-à-dire qui amène les grands du monde, comme Zachée, à la pratique des bonnes oeuvres, qui prépare lherbe pour les hommes en servitude, ou pour les ministres de lEglise qui ont droit à leur nourriture. Dépensons en bonnes oeuvres, au moins la dîme de nos revenus, car nous devons être plus parfaits que les Pharisiens. Ces petits des corbeaux qui invoquent le Seigneur, cest nous les fils des Gentils, convertis à la foi. Dieu ne met point ses complaisances dans la puissance du cheval ou dans lorgueilleux qui lève la tête, ni dans les tabernacles de lhomme, cest-à-dire dans lhérésie, mais dans son Eglise. Espérons en lui, non comme Judas qui douta de sa miséricorde.
1. Nous avons écouté avec attention chanter notre psaume ; mais lentendre tous, nétait pas le comprendre bus. Quelle attention ne devons-nous pas y apporter maintenant, si, comme je lespère et le désire, Dieu touché des prières de tous ces auditeurs, nous dévoile ce quil y a dobscur, de manière que votre attention à mécouter vous soit profitable, et que nul ne sen retourne sans fruit? Que dit le psaume en commençant? « Louez le Seigneur ». Voilà ce qui nous est dit, et non seu1ement à nous, mais encore à toutes nations. Cette voix que des lecteurs font entendre çà et là, est recueillie par des Eglises particulières ; mais la grande voix de Dieu qui domine toutes les autres, ne cesse de nous exhorter à le louer. Or, comme si nous demandions au Seigneur pourquoi nous devons louer Dieu, voyez quelle raison il nous donne: « Louez le Seigneur » , nous dit-il, « parce quil est bon de lui chanter des psaumes ». Est-ce donc là tout ce qui nous en reviendra? Louons le Seigneur. Pourquoi? « Parce quil est bon de lui chanter des psaumes ». Je voudrais bien, dira-t-on, louer le Seigneur, mais sil payait ma louange de quelque récompense. Comment louer gratuitement, ne serait-ce quun homme? On ne loue donc les hommes que dans lespoir dune récompense; mais quiconque loue Dieu, ne saurait-il en attendre aucune récompense, ni demander, ni espérer? On loue un homme faible et avec espérance; on loue le Tout-Puissant et il naurait rien à donner? Serait-il impuissant à donner ce quon lui demande? Que peut désirer lhomme, qui ne soit sous la main de Dieu ? Quand on loue un homme, il arrive que lon désire ce quil ne saurait donner. Mais pour Dieu, tu peux le louer en toute sécurité ; nul ne saurait dire quil est (256) impuissant à donner ce que lon attend de lui. Nous devons donc louer le Seigneur en nous proposant quelque récompense, bien quil ne nous accorde pas toujours ce que nous désirons. Il est père, en effet, et ne donne point à des méchants fils ce q uils désirent. Bénissons-le donc, avec espérance et même avec désir, non point de telle ou telle faveur, mais de celle que juge à propos de nous accorder Celui que nous louons. Et il sait ce qui nous convient, cest à nous dattendre ce qui nous est utile. LApôtre la dit : « Nous ne savons ce quil convient de demander 1 ». Et le même saint Paul croyait quil lui serait avantageux dêtre délivré de laiguillon de la chair, de cet ange de Satan qui le souffletait, selon ses aveux, et il dit : « Trois fois jai prié le Seigneur de men délivrer, et il ma dit : « Ma grâce te suffit, car la vertu se perfectionne dans la faiblesse 2». Il désirait donc une faveur, que Dieu ne lui accorda point àsa volonté, afin de lui procurer la sainteté. Quest-ce donc que lon nous propose ici? « Louez le Seigneur », dit le Prophète. Pourquoi louer le Seigneur? Parce quil est bon de lui chanter des hymnes. Ces hymnes sont la louange du Seigneur. Cest dire alors : Louez le Seigneur, parce quil est bon de le louer. Ne passons point légèrement sur cette parole : Louez le Seigneur. Elle est dite, et la voilà passée ; cest fini , et nous rentrons dans le silence ; après avoir loué Dieu, nous nous sommes tus ; après le chant, le repos. Nous passons à ce qui nous reste à faire, et quand il se présente une autre occupation, cesserons-nous pour cela de louer Dieu ? Point du tout ; si la louange nest quun moment sur ta langue, elle doit être continuellement dans ta vie. De là cette excellence du psaume. 2. Le psaume est un chant, non pas un chant quelconque, tuais un chant sur le psaltérion. Or, le psaltérion est un instrument de musique, du genre de la lyre, de la harpe et dautres semblables. Chanter le psaume nest donc pas seulement chanter de la voix, mais unir la main à la voix sur linstrument que lon appelle psaltérion. Veux-tu donc chanter un psaume? Non-seulement que ta voix fasse retentir les louanges de Dieu mais que tes oeuvres soient daccord avec ta voix. Si tu ne chantes que de la voix, il y aura
1. Rom. VIII, 26. 2. II Cor. XII, 7-9.
des silences, mais que ta vie soit une mélodie sans silences Tu es en affaires, et tu médites la ruse ; voilà un silence dans la louange de Dieu : et ce qui est plus grave, non-seulement tu cesses de louer Dieu, mais tu tombes dans le blasphème. Quand on loue Dieu à cause du bien que tu fais, cest ta bonne oeuvre qui est une louange pour Dieu ; mais quand on blasphème Dieu à cause de tes oeuvres, tes oeuvres sont un blasphème. Que ta voix dès lors se fasse entendre pour stimuler loreille, mais que ton cur ne se taise point, que ta voix ne soit jamais silencieuse. Ne méditer aucun tort dans les affaires, cest chanter à Dieu. Quand tu manges, quand tu bois, chante, non point en flattant les oreilles par de suaves mélodies, mais en buvant, en mangeant avec sobriété, avec tempérance. Car voici ce que dit lApôtre : « Soit que vous buviez, soit que vous mangiez, soit que vous fassiez toute autre chose; faites tout pour la gloire de Dieu 1 ». Si donc tu fais bien de manger et de boire, pour soutenir ton corps et réparer tes forces, en rendant grâces à celui qui soutient ainsi la faiblesse dun mortel ; boire et manger sont pour toi louer Dieu. Mais si une avide intempérance te pousse au-delà des bornes prescrites par la nature, si tu vas jus. quà te gorger de vin, boire et manger sont pour toi un blasphème. Après avoir bu et mangé, tu cherches le repos et le sommeil; que ta couche naccuse rien de honteux, rien de ce qui dépasse les bornes tracées par Dieu; sois chaste même avec ton épouse, et si tu veux en avoir des enfants, nobéis point à une luxure effrénée. Jusque dans ton lit, respecte une épouse ; puisque tous deux vous êtes membres du Christ, tous deux créés parle Christ, et rachetés par le sang du Christ. Agir ainsi, cest louer Dieu, et rien dès lors ninterrompt ta louange. Mais quand viendra le sommeil ? Même pendant le sommeil, quune -conscience coupable ne te réveille point ; un sommeil innocent loue aussi le Seigneur Si donc tu bénis Dieu, chante non-seulement de la langue, mais prends aussi le psaltérion des bonnes oeuvres; parce que ce psaltérion est bon. Cest donc louer Dieu que travailler à ses affaires, louer Dieu que boire et manger, louer Dieu que prendre son repas, louer Dieu que dormir; quand cesse-t-on de louer Dieu? Cette louange sera parfaite quand nous
1. I Cor. X, 31.
257
arriverons à la cité des saints, quand nous seront semblables aux anges de Dieu 1 ; quand il ny aura plus à subir de nécessité corporelle, quand nous ne sentirons ni la faim, ni la soif, ni le poids de la chaleur, ni lengourdissement du froid, ni les tourments de la fièvre, ni la destruction de la mort. Exerçons-nous par avance à cette louange parfaite, en louant Dieu par nos bonnes oeuvres. 3. Aussi, après avoir dit: « Louez le Seigneur, parce quil est bon de le louer sur le psaltérion » , le Prophète ajoute : « Que votre louange soit agréable à notre Dieu ». Comment cette louange sera-t-elle agréable à notre Dieu, sinon quand nous le bénirons par une vie pure? Ecoute bien comment cette louange peut lui être agréable. Il est dit ailleurs : « La louange nest point belle dans la bouche du pécheur 2 ». Si donc la louange nest point belle dans la bouche du pécheur, elle nest point agréable ; car il ny a dagréable que le beau. Veux-tu que ta louange soit agréable à Dieu? Ne gâte point tes chants mélodieux parles tons faux dune vie licencieuse. « Que votre louange soit agréable à Dieu ». Quest-ce à dire ? Menez une vie pure, ô vous qui louez Dieu. La louange des méchants ne peut que le blesser. Dieu sarrête plus à considérer ta vie, quà écouter le son de ta voix. Assurément tu veux avoir la paix avec ce Dieu que tu chantes, mais comment lavoir avec lui quand tu es en désaccord avec, toi-même? Quel désaccord avec moi-même , diras-tu? Cest que ta langue rend un son, ta vie un autre son. « Que votre louange soit agréable à Dieu». Un homme peut séprendre dune louange, quand il entend louer avec une voix mélodieuse, des périodes arrondies et de fines pensées; mais «que votre louange soit agréable à Dieu », qui a loreille non plus à notre voix, mais à notre coeur, qui nécoute point lharmonie des paroles, mais celle de nos bonnes oeuvres. 4. Qui est notre Dieu, pour que notre louange lui soit agréable ? Il veut être doux pour nous, il veut se faire aimer de nous; rendons grâces à sa miséricorde. Il daigne soffrir à notre amour, non quil puisse recevoir quelque chose de nous, mais bien plus pour nous donner lui-même. Comment donc Dieu veut-il se poser devant nous ? Ecoutez lapôtre saint Paul : « Dieu fait éclater son
1. Matth. XXII, 30. 2. Eccli. XV, 9.
amour envers vous ». Comment Dieu fait-il éclater cet amour ? Que lApôtre nous le dise, afin quon le compare avec notre psaume « Dieu», dit-il, « fait éclater son amour envers nous ». Comment le fait-il éclater? « Cest que nous étions pécheurs, et alors le Christ est mort pour nous 1 ». Que réserve donc à ceux qui le bénissent un Dieu qui signale ainsi son amour envers des pécheurs? Ainsi, voilà lApôtre qui nous dit que Dieu fait éclater son amour envers nous, au point que le Christ est mort pour les pécheurs ; non pour les laisser dans leur impiété, mais afin que la mort du juste les guérît de leur injustice; maintenant écoute notre psaume, que dit-il après ces paroles « Que notre louange soit agréable à Dieu ? » Voyons sil nous en donne une raison qui saccorde avec celle de lApôtre : « Que le Christ est mort pour les impies ». Cest, dit le Psalmiste, « quil bâtit Jérusalem et quil rassemble ceux dIsraël qui sont dispersés 2 ». Voilà que le Seigneur bâtit Jérusalem et quil rassemble son peuple épars. Le peuple dIsraël est, en effet, le peuple de Jérusalem, et il y a une Jérusalem éternelle, dont les citoyens sont les anges mêmes. Que signifie donc ici Israël ? Si par Israël nous entendons ce petit-fils dAbraham, appelé aussi Jacob, comment ce nom dIsraël conviendra-t-il aux anges? Mais si nous examinons le sens de ce nom, car à Jacob le nom fut échangé contre celui dIsraël 6, ce nom dIsraël convient mieux à cette cité bienheureuse, et puissions-nous à notre tour être ensuite Israël. Que veut dire. Israël, en effet? Qui voit Dieu. Donc, les habitants de cette cité des cieux voient Dieu, et ce spectacle de Dieu même fait leur joie dans cette ville si grande et si auguste. Quant à nous, le péché nous a bannis de cette heureuse patrie, il nous a empêchés dy demeurer, et le poids de notre mortalité nous empêche dy retourner. Dieu a regardé notre exil, et lui qui rebâtit Jérusalem, en relève la partie tombée. Comment relever cette partie tombée ? « En rassemblant ce qui est dispersé dIsraël ». Une partie dIsraël est tombée, en effet, devenue étrangère; et cette étrangère, Dieu la regardée avec miséricorde, et a recherché ceux qui ne le cherchaient point. Comment les a-t-il cherchés ? Qui a-t-il envoyé dans notre captivité ? Il a envoyé un rédempteur selon cette
1. Rom. V, 8, 9. 2. Ps. CXLVI, 2. 3. Gen. XXXII, 28.
258
Parole de lApôtre : « Dieu a signalé son amour envers nous, et quand nous étions encore dans le péché, le Christ est mort pour nous 1 ». Cest donc son Fils quil a envoyé pour nous racheter de notre captivité. Porte un sac avec toi, lui a-t-il dit, et mets-y le prix des captifs. Il a donc revêtu notre chair mortelle, où était le sang quil devait répandre pour nous racheter. Tel est le sang qui rassemble les enfants dIsraël qui sont dispersés. Or, si jadis il rassembla ceux qui étaient dispersés, combien faut-il sappliquer à rassembler ceux qui le sont aujourdhui? Si les dispersés d'autrefois furent rassemblés afin que la main de lArchitecte les taillât de manière à les faire entrer dans lédifice, comment aujourdhui faut-il rassembler ceux que leur agitation a fait tomber des mains de larchitecte? « Cest le Seigneur qui bâtit Jérusalem». Tel est le Dieu que nous louons, et que nous devons louer pendant toute notre vie : « Le Seigneur qui bâtit Jérusalem, et qui rassemble ceux dIsraël qui sont dispersés ». 5. Comment les rassembler? Que fait- il pour cela? « Cest lui qui guérit ceux dont le coeur est brisé 2 ». Cest ainsi que lon rassemble ceux dIsraël qui sont dispersés, afin de guérir ceux dont le coeur est brisé. Ceux dont le coeur nest point brisé, ne sont point guéris. Quest-ce alors que briser son coeur ? Je vous le dirai, mes frères, afin que vous puissiez être guéris. Cette expression se trouve en beaucoup dendroits dans lEcriture, et principalement dans celui où le Psalmiste disait en notre nom: « Si vous aviez voulu un sacrifice, je vous leusse donné assurément mais les holocaustes ne vous sont point agréables». Quoi donc? Nous faudra-t-il demeurer sans sacrifice? Entends celui que Dieu veut quon lui offre. Le Prophète continue en disant : « Le sacrifice agréable à Dieu est une âme affligée, le Seigneur ne dédaignera point un coeur brisé et humilié 3. Il guérit donc les coeurs brisés» : parce quil sapproche deux pour les guérir; comme il est dit ailleurs: «Le Seigneur est proche de ceux qui ont brisé leur coeur 4 ». Quels coeurs sont brisés? Les coeurs humbles, Quels coeurs ne le sont point? Les orgueilleux. Uni coeur brisé sera guéri, un coeur élevé sera brisé. Car il nest brisé sans doute, que pour être guéri ensuite.
1. Rom. V, 8. 2. Ps. CXLVI, 3. 3. Id. L. 18, 19. Id. XXXIII, 19.
Que notre coeur donc, mes frères, ne sélève point avant dêtre droit. On sélève pour sa perte, quand on ne sest point redressé tout dabord. 6. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé, il bande leurs plaies ». Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé, et dès lors il guérit ceux qui shumilient, ceux qui confessent leurs fautes, ceux qui se punissent eux-mêmes, ceux qui exercent contre eux-mêmes un jugement sévère, afin de sentir ensuite sa miséricorde. Voilà ceux que Dieu guérit, mais leur guérison sera parfaite seulement quand cette mortalité sera passée, quand ce corps corruptible sera revêtu dincorruption, ce corps mortel, dimmortalité 1; quand la chair souillée naura plus pour nous aucune sollicitation, non-seulement quand nous ny succomberons plus, mais quand elle naura pires même aucune suggestion. Mainte. nant en effet, mes frères, combien dattraits coupables pour notre âme ! Sans doute nous y résistons, et nos membres obéissent à la justice et non à liniquité; et toutefois le plaisir que nous causent ces sollicitations, bien quil ny ait aucun consentement, est loin de la santé parfaite. Tu seras donc guéri, oui, tu seras guéri si ton coeur est brisé. Ne rougis plus de briser ton coeur; ceux-là, Dieu les guérit. Mais que puis-je faire maintenant, diras-tu? « Selon lhomme intérieur, en effet, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu; mais je sens dans mes membres une autre loi qui combat contre la loi de mon esprit, et qui me tient captif sous la loi du péché ». Que faire? dis-tu. Brise ton coeur, confesse tes fautes, et dis avec lApôtre: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera du corps de cette mort? » afin quil te soit répondu: « La grâce de Dieu, par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Comment nous délivrera cette grâce dont nous avons reçu maintenant les arrhes? Ecoute le même Apôtre : « Le corps est mort sans doute à cause du péché, mais lesprit est vie à cause de la justice. Si donc lesprit de celui qui a ressuscité Jésus-Christ dentre les morts habite en vous, celui qui a ressuscité Jésus-Christ dentre les morts rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de sou esprit qui habite en vous 3». Telles sont donc les arrhes qua reçues notre esprit, afin que nous commencions par la foi à servir
1. I Cor. XV, 53, 51. 2. Rom, VII, 22 - 25. 3. Id. VIII, 10, 11.
259
Dieu, à être appelés justes par la foi, « puisque cest de la foi que vit le juste 1 ». Tout ce qui nous résiste encore, tout ce qui nous est contraire vient de la mortalité de notre chair, et sera guéri. « Car Dieu rendra la vie à vos corps mortels, par lesprit qui habite en vous ». Cest pour cela quil nous témoigne, par un gage, quil veut accomplir ce quil nous a promis. Mais maintenant dans cette vie, où nous confessons nos fautes, sans rien posséder encore, dans cette vie quarrivera-t-il? Comment être guéri? « Le Seigneur guérit ceux dont le coeur est brisé » ; mais la guérison parfaite arrivera quand nous lavons dit; toutefois, en cette vie quarrive-t-il? « Il bande leurs plaies ». Celui-là, dit le Prophète, qui guérit ceux dont le coeur est brisé, et dont la santé parfaite narrivera quà la résurrection des morts, celui-là bande aujourdhui leurs plaies. 7. Comment bander ces plaies? Comme les médecins bandent les fractures. Souvent, en effet, que votre charité veuille bien comprendre ce que comprennent ceux qui lont remarqué, ou lont appris des médecins: souvent les médecins brisent de nouveau afin de mieux redresser un membre mal replacé, ou mal affermi; ils font une blessure nouvelle, parce quune guérison défectueuse devient nuisible. «Les voies du Seigneur sont droites», a dit lEcriture, « mais lhomme au coeur dépravé y trouve des scandales 2 ». Quest-ce que lhomme au coeur dépravé? Lhomme qui a le coeur tortueux. Un tel homme ne voit que du louche dans les paroles de Dieu, que des défauts dans ses actes; tous les jugements de Dieu lui déplaisent, surtout ceux qui doivent le châtier. Le voilà qui sassied, qui montre que Dieu est en défaut parce quil nagit point selon la corruption de son mur. Cest donc peu pour un coeur dépravé de ne point se redresser selon Dieu; il prête à Dieu sa difformité. Que dit le Seigneur du haut du ciel ? Cest toi qui es tortueux, moi qui suis droit; si tu étais droit, tu reconnaîtrais que je le suis. Posez un bois tortueux sur un pavé bien uni, il ne saurait sy appliquer : il branle, il est peu solide ; et cela ne vient pas de linégalité du pavé, mais de la difformité du bois. Cest ce qua dit lEcriture : « Que le Dieu dIsraël est bon à ceux dont le coeur est droit 3! » Mais cet autre coeur est tortueux,
1. Rom. I, 17. 2. Osée, XXV, 10. 3. Ps. LXXII, 1.
comment le redresser? Il est tortueux et endurci; quon brise alors ce coeur tortueux et endurci, quon le brise et quon le redresse. Tu ne saurais redresser ton coeur mais cest à toi de le briser, Dieu le redressera. Comment le briser, le rendre contrit? En confessant tes péchés, en les châtiant toi-même. Que veut-on dire autre chose, en se frappant la poitrine? A moins peut-être de croire que nous frappons nos poitrines parce que toutes sont coupables. Mais non, cest dire par là que nous brisons nos coeurs afin que Dieu les redresse. 8. « Dieu donc guérit ceux dont le coeur est brisé », contrit. Et cette guérison du coeur sera parfaite, quand notre corps sera complètement réparé, selon la promesse que nous en avons. Que fait cependant le médecin? Il bande tes blessures, afin que tu puisses arriver à la santé pleine et entière, et que tout ce qui a été brisé et bandé redevienne solide. Quelles bandes nous seront appliquées? Les sacrements de cette vie. Ces sacrements qui nous consolent, sont autant de bandages qui guérissent nos meurtrissures; ce que nous disons en vous parlant, ces exhortations qui frappent vos oreilles et qui passent, tout ce que lon fait ici-bas dans lEglise, tout cela est appareil pour vos plaies. De même quaprès la parfaite guérison le médecin enlève tout appareil, de même dans la cité de Jérusalem, quand nous serons semblables aux anges, pensez-vous que nous recevrons encore ce que nous recevons ici? Aurons-nous besoin de lire lEvangile pour affermir notre foi? Les pasteurs nous imposeront-ils les mains? Tous ces appareils de nos meurtrissures disparaîtront, quand la santé sera parfaite ; mais il ny aurait point de guérison sans ces appareils. « Il guérit ceux dont le coeur est brisé, il bande leurs meurtrissures ». 9. « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms 1 ». Quy a-t-il de grand pour Dieu à compter les étoiles? Les hommes ont essayé de les compter ; à eux de voir sils ont réussi; et toutefois ils nen feraient point lessai, sils nespéraient y parvenir. Laissons-les, avec tout ce quils ont pu faire, et au point quils ont pu atteindre; mais pour Dieu, rien de grand à compter toutes les étoiles. Repassera-t-il ce nombre dans sa
1. Ps. CXLVI, 4.
260 mémoire, de peur de loublier? Est-il bien étonnant que Dieu compte les étoiles quand il compte les cheveux de notre tête 1? Il est évident, mes frères, que Dieu veut nous montrer un sens caché dans ces paroles: « Il compte la multitude des étoiles, et les appelle par leurs noms ». Ces étoiles sont les flambeaux de lEglise, qui nous consolent dans cette nuit terrestre, et dont lApôtre a dit : « Cest au milieu deux que vous apparaissez, comme des flambeaux dans ce monde ». . « Dans cette nation tortueuse et perverse », nous dit-il, « vous apparaissez au milieu deux comme des flambeaux dans le monde, portant en vous la parole de vie 2». Telles sont les étoiles comptées par le Seigneur; il connaît et il compte ceux qui doivent régner avec lui, être unis au corps de son Fils unique. Il ne compte point celui qui en est indigne. Beaucoup ont embrassé la foi, ou plutôt beaucoup se sont unis à son peuple avec une ombre, une apparence de foi; mais il sait ce quil doit compter et ce quil doit vanner. LEvangile est parvenu à un point qui justifie cette parole : « Jai annoncé et parlé : et ils se sont multipliés au-delà du nombre 3 ». Il y a donc parmi les peuples, des surnuméraires en quelque sorte. Comment surnuméraires? Cest-à-dire plus nombreux ici-bas que dans le ciel. Le peuple qui est dans cette enceinte est plus nombreux quil ne sera dans le royaume de Dieu, dans la Jérusalem du ciel; voilà les surnuméraires. Que chacun examine sil brille dans les ténèbres, sil est insensible aux séductions des ténèbres et des iniquités de ce monde : sil nest ni séduit ni vaincu, il sera comme une étoile que compte le Seigneur. 10. « Il appelle toutes les étoiles par leurs noms » ; cest là toute notre récompense. Nous avons des noms devant Dieu, et qu Dieu connaisse ces noms, cest ce quil nous faut désirer; cest là que doivent tendre nos actiens et nos efforts, autant quil nous est possible : nayons de joie pour rien autre chose, pas même pour un don spirituel. Qu votre charité veuille bien mécouter : les dons sont nombreux dans lEglise, comme la dit lApôtre: « Lun reçoit du Saint-Esprit le don de parler avec sagesse; lautre reçoit du même Esprit le don de parler avec science ;
1. Matth. X, 30. 2. Philipp, II, 15, 16. 3. Ps. XXXIX, 6.
un autre le don de la foi par le même Esprit; un autre le don de guérir les maladies; un autre le don de discerner les esprits », cest-à-dire de juger entre les bons esprits et les méchants; « un autre le don des langues, un autre le don de prophétie 1 ! » Que na-t-il pas énuméré ! Combien ces dons sont nombreux! Et pourtant beaucoup qui auront fait de ces dons un mauvais usage entendront à la fin : « Je ne vous connais pas ». Et que répondront à la fin ceux à qui lon dira: « Je ne vous connais pas? Seigneur, navons-nous pas prophétisé en votre nom, et en votre nom chassé les démons, et en votre nom encore opéré de grands prodiges ? » Tout cela en votre nom. Et que leur dira le Seigneur? « En vérité, je ne vous connais point, retirez-vous de moi, ouvriers diniquité 2 ». Quel avantage donc à être une lumière du ciel, éclairant les autres sans se laisser vaincre par la nuit? « Je vous enseigne une voie bien supérieure encore » ,dit lApôtre 3. « Quand je parlerais toutes les langues des hommes et des anges, si je nai point la charité, je suis un airain sonnant, une cymbale retentissante ». Quel don de parler les langues des anges et des hommes! « Et pourtant si je nai pas la charité, je ne suis quun airain sonore, quune bruyante cymbale. Quand je pénétrerais tous les mystères, toute la science, quand jaurais le don de prophétie et une foi capable de transporter les montagnes » (quels dons éminents, mes frères !), « si je nai la charité, je ne suis rien ». Combien grand encore le don du martyre, et de donner son bien aux pauvres! Et toutefois « quand même», poursuit lApôtre, « quand même je distribuerais mon bien aux pauvres, quand je livrerais mon corps pour être brûlé, si je nai la charité, tout cela ne me sert de rien 4 ». Quiconque, dès lors, na point la charité, peut bien posséder ces dons pour un temps, mais ils lui seront ôtés; on lui ôtera ce quil a parce quil lui manque quelque chose; et ce qui lui manque est précisément ce qui lui assurerait la possession du reste, et lempêcherait de périr lui-même. Que nous dit maintenant le Seigneur? « A celui qui possède, on donnera encore; et à celui qui na point, on ôtera même ce quil a 5». Donc, pour celui qui na pas, on lui
1. I Cor. XII, 8-10. 2. Matth. VII, 22, 23. 3. I Cor. XII, 31, 4. Id. XIII, 1-3. 5. Matth. XIII, 12.
261
ôtera même ce quil possède. Il a la grâce de posséder quelque don, mais il na pas la charité qui en use. Aussi voulut-il inculquer cette charité à ses disciples, afin de les faire marcher dans le ciel comme des étoiles dans la voie suréminente, celui qui compte les étoiles et les appelle par leurs noms. En effet, un jour ces disciples revinrent de la mission quil leur avait confiée, et dans leur joie ils sécriaient : « Seigneur, voilà que les esprits immondes nous sont soumis à cause de votre nom » . « Mais celui qui compte les étoiles, et les appelle par leurs noms », sachant bien que plusieurs diront : Navons-nous pas chassé les démons en votre nom? et quon leur répondra au dernier jour: « Je ne vous connais point », parce quil ne les avait point comptés parmi les étoiles, ni appelés par leurs noms, celui-là, dis-je, leur répondit: « Ne vous réjouissez point de ce que les esprits vous sont soumis, mais réjouissez-vous de ce que vos noms sont écrits dans le ciel 1. Cest lui qui compte les étoiles si e nombreuses et les appelle par leurs noms.» 11. « Notre Dieu est grand ». Le Prophète est plein de joie, il la répand dune manière ineffable. Impuissant à parler, il avait du moins la pensée autant quil en était capable. « Notre Seigneur est grand, grande est sa puissance, et sa sagesse na point de nombre 2 ». On ne saurait compter celui qui suppute le grand nombre des étoiles. «Grand est notre Dieu, grande sa puissance, et osa sagesse na point de nombre ». Qui pourrait exposer le sens de ces paroles? Qui pourrait même comprendre dune manière convenable cette parole .: « Et sa sagesse na point de nombre? » Dieu veuille se répandre lui-même dans vos âmes, et suppléer dans sa puissance à notre faiblesse, éclairant lui-même vos esprits, afin que vous compreniez ce que signifie « La sagesse na point de nombre ». Peut-on, mes frères, compter les grains de sable? Impossible à nous, Dieu seul le peut. Lui qui a compté les cheveux de notre tête 3, peut aussi compter les grains de sable. Tout ce quil y a dinfini dans ce monde, peut bien être infini pour les hommes, et non toutefois pour Dieu; cest peu dire, pour Dieu, les anges peuvent le compter : «Son intelligence na point de nombre ». Au-dessus de tous les calcule est son intelligence, et nous ne saurions la
1. Luc, X, 17,20. 2. Ps. CXLVI, 5. 3. Matth. X, 30.
compter. Qui peut compter le nombre même? Cest du nombre que lon se sert pour compter, et quel que soit votre calcul vous prenez le nombre; mais qui comptera le nombre même? il est tout à fait innombrable. Quest-ce donc en Dieu que ce nombre, par lequel il a tout fait, et où il a tout fait, pour quon lui dise : « Vous avez réglé toutes choses avec mesure, avec nombre et avec poids 1 ? » Qui pourrait évaluer le nombre, supputer la mesure, peser la pesanteur où Dieu a tout réglé? « Son intelligence donc na point de nombre ». Que la voix de lhomme se taise, que sa pensée devienne muette; que les hommes ne sefforcent peint de comprendre ce qui est incompréhensible; quils tâchent seulement dy avoir une part, puisque nous y aurons part un jour. Nous ne serons point ce que nous comprenons, et nous ne pourrons le comprendre entièrement, mais nous en ferons partie; car il est dit de Jérusalem, dont Dieu rassemble les débris dispersés, il est dit une parole dun grand sens: « Jérusalem qui est construite comme une cité, et dont les habitants participent à ce qui est le même 2 ». Or, quest-ce à dire, ce qui est le même, sinon ce qui ne change point? Tout ce qui est créé peut être dune manière ou dune autre; mais celui qui a tout créé ne saurait être de telle ou telle manière. Celui-là est donc le même; aussi est-il dit : « Vous les changerez, et ils seront changés; mais vous êtes toujours le même, et vos années ne finiront point 3 ». Si donc Dieu est toujours le même, sil ne peut changer; en participant à sa divinité, nous deviendrons immortels à notre tour, et pour la vie éternelle. Et tel est le gage quil nous a donné en son Fils, comme je le disais tout à lheure à votre sainteté, quavant de nous donner part à son immortalité, il a voulu prendre part à notre mortalité. Et comme il était mortel, non par sa propre substance, mais par la nôtre; de même nous serons immortels, non par notre substance, ruais par la sienne. Nous aurons donc part en Dieu; que nul nen doute; lEcriture nous laffirme. Et quelle part aurons-nous en Dieu, comme si Dieu était en plusieurs parts indivisibles? Qui pourra mexpliquer comment plusieurs pourront avoir part en celui qui est un, qui est simple? Nexigez pas de moi que je vous
1 Sag. XI, 21, 2. Ps. CXXI, 3. 3. Id. CI, 27, 28.
262
explique ce qui est inexplicable, vous le voyez; mais revenez au remède que vous offre le Sauveur; brisez vos coeurs, brisez la dureté de lâme, domptez ce quelle a dinflexible, quelle confesse le mal quelle a fait, et renaisse dans le bien. Lui-même nous redressera, bandera nos blessures, affermira notre santé, et alors nous ne rencontrerons plus dimpossibilité dans ce qui nous est impossible aujourdhui. Il est bon, en effet, de confesser sa faiblesse, quand on veut parvenir à la divinité. « Et son intelligence na point de nombre ». 12. Aussi dans cette impossibilité de comprendre, le Prophète vient te montrer ce que tu dois faire, et te dit : « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Tu ne comprends rien par exemple aux choses de Dieu, ou tu les comprends peu, ou tu ne saurais les pénétrer ; rends honneur à son Ecriture, honneur à sa parole, fût-elle voilée ; attends pieusement que tu puisses comprendre. Loin de toi la témérité daccuser lEcriture ou dobscurité ou de perversité. Il ny a rien de mauvais, mais il y a de lobscur, non que Dieu te veuille rien refuser, mais il veut te stimuler avant de te le donner. Si donc il y a de lobscurité, cest le médecin qui la voulu, afin de te forcer à frapper à la porte; il la voulu afin de texercer quand tu frappes, il la voulu, afin de nouvrir quà tes efforts 1. Frapper sera pour toi un exercice, et cet exercice dilatera ton coeur, et ton coeur dilaté sera plus capable de recevoir ses dons. Loin donc de tirriter de ces obscurités, sois doux, plein de mansuétude. Garde-toi de regimber contre, ces obscurités, et de dire : Il ferait mieux de sexprimer de la sorte. Depuis quand peux-tu dire ou juger de quelle manière on eût dû sexprimer? Dieu a parlé comme il convenait de parler. Ce nest point au malade à réformer les remèdes quon lui donne, le médecin sait les tempérer; crois en à celui qui travaille à te guérir. Aussi, que dit le Prophète? « Le Seigneur reçoit ceux qui sont doux ». Garde-toi donc de résister aux secrets de Dieu, afin quil te reçoive. Si tu veux résister, écoute ce qui suit : « Il abat les pécheurs jusquà terre ». Il y a des pécheurs de beaucoup de sortes; mais quels sont ces pécheurs quil humilie jusquà terre, sinon ceux qui sont opposés aux hommes doux? Dire en effet du
1. Matth. VII, 7.
Seigneur : « Quil reçoit les hommes doux et quil abat jusquà terre les pécheurs », cest désigner par cette douceur, de quels pécheurs il est question. Ici nous entendons par pécheurs ceux qui manquent de douceur et de mansuétude. Pourquoi les humilier jusquà terre, sinon parce quen regimbant contre les choses spirituelles, ils nauront plus que des sentiments terrestres? 13. Cest ainsi quil a traité les hommes qui voulaient se rire de la loi avant de la connaître, et qui ont manqué de docilité. Que votre charité comprenne bien ceci. Il sest élevé une secte dépravée, celle des Manichéens, qui a tourné en dérision les Ecritures quon lit dans lEglise, et dont on respecte lautorité; qui a osé condamner ce quelle nentendait pas, et en jetant le blâme sur des questions quelle soulevait sans les comprendre, elle en a pris beaucoup dans ses filets. Pour les châtier de cette audace, Dieu les humilia jusquà terre ; il ne leur permit pas de comprendre les choses den haut, et dès lors ils neurent du goût que pour les choses terrestres. On nentend dans leurs fables que des blasphèmes, que des imaginations de fantômes corporels : ils ont voulu connaître Dieu, et une fois arrivés à la pensée de cette lumière visible, ils nont pu aller au delà. Alors ils ont imaginé, dans le royaume de Dieu, de vastes plaines dune lumière semblable à celle du soleil visible, dont ils ont fait un fruit de cette lumière. Or, tout ce que lon touche par la terre de cette chair, est terre aux yeux de Dieu. Nous avons des moyens de voir, dentendre, de flairer, de goûter, de toucher. Cest par ces messagers appelés nos cinq sens, que cette chair peut connaître seulement ce qui est corporel ; quant aux choses intelligibles et spirituelles, nous les connaissons par lesprit. Comme donc ces orgueilleux ont tourné en dérision les obscurités des saintes Ecritures, qui nétaient pour eux une porte close quafin de les exercer en frappant à cette porte, et non pour en refuser lentrée aux humbles, voilà quils sont abattus sur la terre, au point de ne pouvoir élever leurs pensées au-delà de ce que la terre nous fait connaître. Et que faut-il entendre par cette terre? La chair. Pour eux, en effet, la terre est cette chair faite de la terre. Tout ce que lon connaît par les yeux est terrestre ; tout ce que nous rapportent les oreilles, lodorat, le goût, le toucher, (263) tout cela est terrestre, parce que nous ne le connaissons que par la terre. Ils nont donc pu comprendre cette intelligence qui est sans nombre. Cest pourquoi ils ont condamné les saintes Ecritures qui couvrent les vérités de certains voiles, afin dexercer utilement les humbles, et ce blâme les a jetés dans une indocilité opposée à la douceur, et ils ont été humiliés jusquà terre, en sorte quils nont pu comprendre Dieu qui est incorporel, et que leurs pensées sur Dieu nétaient rien moins que corporelles et grossières. 14. « Dieu donc abat les pécheurs jusquà terre ». Que nous faut-il faire dès lors, si nous ne voulons être humiliés jusquà terre? li est difficile de sélever aux choses qui sont purement dintelligence, difficile darriver à ce qui est spirituel, difficile délever son coeur de manière à comprendre quil y a quelque chose qui ne sétend point selon les lieux, ne varie point avec le temps. Quelle idée, en effet, se fera-t-on de la sagesse? Quelle forme lui donner? Une forme longue? une forme carrée? une forme ronde? Est-elle tantôt ici, et tantôt là ? Un homme réfléchit sur la sagesse dans lOrient, un autre dans lOccident; à un tel intervalle, elle est présente à chacun deux, sils se la représentent convenablement. Que dis-je ici ? Qui peut le comprendre ? Qui peut se faire une idée de cette nature immuable et en quelque sorte divine? Ne te hâte point trop, tu pourras la comprendre. Ecoute ce qui suit: « Commencez devant le Seigneur par la confession 1 ». Cest par là quil te faut commencer, si tu veux arriver à connaître parfaitement la vérité ; si tu veux arriver,par la foi à la claire vue, commence par la confession. Accuse-toi tout dabord, et après cette accusation bénis le Seigneur. Invoque celui que tu ne connais point encore, quil vienne et se fasse connaître ; non point quil vienne lui-même sans doute, mais quil te conduise jusquà lui. Comment vient-il là doù il ne se retire jamais ? Telle est, en effet, la sagesse parfaite, quelle est partout et loin des méchants. Oui, dis-je, elle est par tout, et néanmoins elle est loin des méchants qui sont partout. Mais je vous le demande, comment être éloignée de quelques-uns et néanmoins être partout? Quest-ce que cet éloignement, sinon que les méchants ne ressemblent point à Dieu, et quils effacent en
1. Ps. CXLVI, 7.
eux-mêmes son image ? Ils se sont retirés de Dieu parce quils ont perdu la ressemblance avec lui; quils se réforment afin de se rapprocher de lui. Comment nous réformer, diront-ils, et quand nous réformer? «Commencez devant Dieu par la confession ». Et après cette confession ? Faites des bonnes oeuvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ». Quest-ce à dire, sur la harpe ? Je vous lai dit déjà chanter sur la harpe a le même sens que chanter un psaume sur le psaltérion; cest bénir le Seigneur non-seulement de la voix, mais aussi par les uvres. « Chantez à notre Dieu sur la harpe ». 15. Ainsi donc confessez vos fautes, faites des oeuvres de miséricorde, voilà ce que veut dire : « Chantez des psaumes à notre Dieu ». Quel est votre Dieu? « Celui qui couvre le ciel de nuages 1 ». Quest-ce à dire quil couvre le ciel de nuées ? Qui couvre ses Ecritures de figures et de mystères. Celui qui abat les pécheurs jusquà terre, qui adopte les humbles, « couvre aussi le ciel de nuages ». Et comment voir le ciel que des nuages nous dérobent? Loin de toi toute crainte, écoute ce qui suit: « Celui qui couvre le ciel de nuages, et qui prépare des pluies à la terre ». A cette parole : « Qui couvre le ciel de nuages », tu as été dans la stupeur, tu as craint de ne point voir le ciel; mais quand la pluie sera venue, tu produiras des fruits, et tu verras le ciel serein. « Cest lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies ». Voilà ce qua fait le Seigneur notre Dieu. Si lobscurité des saintes Ecritures ne nous en fournissait loccasion, nous ne vous dirions pas ces vérités qui vous réjouissent. Cest peut-être cette pluie qui vous réjouit. Notre langue naurait pu la répandre sur vous, si Dieu navait couvert le ciel des saintes Ecritures de nuages figuratifs. Il couvre donc le ciel de nuages, afin de préparer la pluie à la terre. Il a voulu que les prophéties fussent obscures, afin quen les expliquant les serviteurs de Dieu eussent ainsi le moyen de les verser dans loreille et dans le coeur des hommes qui peuvent recevoir de ces nuées la surabondance des joies spirituelles, « Cest lui qui couvre le ciel de nuages, qui prépare à la terre des pluies». 16. « Cest lui qui fait croître le foin sur les montagnes, et lherbe pour lusage des
1. Ps. CXLVI, 8.
264
hommes ». Cest là le produit de la pluie. « Il fait croître le foin sur les montagnes ». Ne croît-il pas aussi dans les vallées? Mais ce qui est plus à remarquer, cest sur les montages. Le Prophète appelle montagnes les grands du monde; il te faut donc entendre par ces montagnes ceux qui sont élevés en dignité. Et il ny a ici rien détonnant. Une veuve déposa dans le trésor deux pièces de monnaie 1; cest la terre basse, la terre humble qui produit du fruit; mais une montagne en produisit aussi, ce fut Zachée, le chef des publicains 2. Cest ce qui était plus admirable, quune montagne produisît du foin. Plus les hommes sont élevés en dignité, plus leur avarice est grande, et plus ils sont grands en ce monde, plus ils aiment les richesses. De là vient quil sen alla triste, ce jeune homme qui demandait à Jésus-Christ ce quil devait faire pour gagner la vie éternelle, en lappelant bon Maître, et en disant : « Pour avoir la vie éternelle, que ferai-je? » Et le Sauveur : « Observe les commandements ». « Quels commandements? » Et le Sauveur: Les commandements de la loi. « Je les ai observés dès ma jeunesse. Il te manque un point cependant : veux-tu être parfait? Va, vends tout ce que tu possèdes, donne-le aux pauvres , et tu auras un trésor dans le ciel; puis viens et suis-moi ». Que dit ainsi le Sauveur? Tu es une montagne, reçois la pluie, et produis du foin. Que pourrais-tu produire, sinon du foin? Quest-ce, en effet, que du foin, que tous ces dons que font les riches aux Eglises, pour subvenir aux besoins de ceux qui servent Dieu? Tout cela est charnel et napparaît que pour un temps ; mais la récompense que lon gagne ainsi nest point charnelle. Vois en effet ce que tu peux acheter au prix de biens si méprisables. LApôtre nous lindique en nous montrant que tout cela nest que du foin : « Si nous avons semé parmi vous les biens spirituels, est-ce une grande chose « que nous récoltions quelque peu de vos biens temporels 3? » Or, comprends que les biens charnels ne sont que du foin. « Toute chair nest que du foin, et toute sa gloire tombera comme la fleur du foin 4 ». Ce jeune homme donc sen alla triste, et le Sauveur de sécrier : « Combien difficilement un
1. Marc, XII, 42. 2. Luc, XIX, 2-8. 3. I Cor. IX, 11. 4. Isaïe, XL, 6.
riche entrera dans le royaume des cieux! » Ce qui est donc admirable, cest que Dieu fasse croître le foin sur les montagnes. Et comment le fait-il croître, si ce riche sen va triste, dès quil entend quil doit donner son bien aux pauvres? Que répond le Sauveur aux Apôtres contristés? « Ce qui est difficile pour lhomme est facile à Dieu 1 ». Cest donc celui à qui tout est facile qui fait croître le foin sur les montagnes. Rien nest plus stérile, en effet, que les roches des montagnes. Mais Dieu les arrose, lui qui « fait croître le foin sur les montagnes, et lherbe pour les hommes tenus à la servitude». Quelle servitude? Ecoutez saint Paul. « Nous sommes», dit-il, « vos serviteurs à cause de Jésus-Christ 2». Voilà quil sappelle serviteur, celui qui disait : « Est-ce une grande chose, quaprès avoir semé parmi vous les biens spirituels, nous récoltions quelque peu de vos biens charnels? » Nous sommes en effet des serviteurs pour vous, mes frères. Que nul dentre nous ne se dise plus grand que vous. Nous serons plus grands si nous sommes plus humbles. « Quiconque dentre vous veut être le plus grand, sera votre serviteur 3 », cest la sentence du divin Maître. Donc, « il fait croître le foin sur les montagnes, et lherbe pour les hommes de service ». Lapôtre saint Paul vivait du travail de ses mains, préférant lindigence au foin des montagnes; et toutefois les montagnes produisaient du foin. Mais parce quil nen voulait point recevoir, les montagnes devaient-elles nen point donner et demeurer stériles? Le fruit est dû après la pluie; on doit la nourriture au serviteur, comme la dit le divin Maître : « Mangez de ce qui est à eux ». Et de peur que ceux-ci ne crussent donner du leur : « Tout ouvrier », ajoute le Sauveur, « est digne de sa récompense 17. Cest pourquoi, mes frères, de même que déjà nous avons saisi loccasion de vous parler à ce sujet, nous vous en parlons encore aujourdhui, et dautant plus librement, que nous ne vous demandons rien de ce genre. Et si nous vous demandions, nous chercherions en cela plutôt votre avantage, plutôt votre sanctification que vos richesses. Toutefois, encore un mot, mais bien court, jai déjà été bien long, et il est temps de finir;
1. Matth. XLX, 16-26. 2. II Cor. IV, 5. 3. Matth. XI, 26 4. Luc, X, 7, 8.
Si vous ne voulez être stériles, si la pluie a produit en vous la fécondité, si vous craignez que Dieu ne condamne en vous la stérilité, (car Dieu menace du feu la terre stérile qui ne produit que des épines 1, comme il prépare ses greniers pour celle qui est féconde) efforcez-vous dexiger de vous-mêmes ce qui est dû à Dieu; soyez pour vous de sévères exacteurs. Le Christ lexige en silence, et cette voix peu bruyante nen est que plus grande, puisquil nous parle dans son Evangile. Ce nest point se taire complètement que dire : « Faites-vous des amis avec la monnaie de liniquité, afin quils vous reçoivent dans les tabernacles éternels 2». Il ne garde point le silence, écoutez sa voix. Nul ne saurait vous presser à ce sujet, à moins peut-être que ceux qui vous servent dans le ministère de lEvangile nen soient réduits à vous demander, Mais si vous les forcez à vous demander, prenez garde que vous nobteniez point ce que vous-mêmes demandez à Dieu. Soyez donc vos propres exacteurs, de peur que ceux qui vous servent dans lEvangile nen soient réduits, je ne dis pas à demander, car ils ne demandent point , quelque besoin quils éprouvent; mais de peur que leur silence ne soit pour vous une condamnation. De là cette parole du Prophète : « Heureux celui qui comprend le pauvre et lindigent 3 ». Dire quil comprend le pauvre et lindigent, cest dire quil nattend point quon lui demande. Lun te cherche parce quil na rien; mais toi, tu dois chercher un autre pauvre. LEcriture nous recommande lun et lautre, mes frères; ici : « Donne à quiconque te demande 4 », nous lavons lu tout à lheure; et dans un autre endroit: « Que laumône sue dans ta main, jusquà ce que tu trouves un juste à qui la donner ». Celui-ci te demande, mais pour lautre tu dois le chercher. Ne renvoie pas les mains vides celui qui te cherche : « Donne à quiconque te demande » ; mais il en est un autre que tu dois toi-même chercher : « Que ton aumône sue dans ta main, jusquà ce que tu rencontres un juste, à qui tu la donneras». Cest ce que vous ne pourrez pratiquer, si vous ne mettez en réserve quelque peu de vos revenus, ce que chacun voudra, et selon que lui permet sa fortune, comme il ferait dun argent dont il serait débiteur envers le fisc. Car le Christ a aussi son
1. Héb. VI, 7, 8. 2. Luc, XVI, 9. 3. Ps. XL, 2. 4. Luc, VI, 30.
fisc, à moins quil nait point son gouvernement. Vous savez en effet ce quest le fisc, ou fiscus: cest un grand panier; de là viennent fiscella, petit panier, et fiscina, corbeille. Ne vous imaginez pas que ce mot fiscus soit quelque dragon, parce quon nentend parler quavec terreur dun collecteur du fisc. Le Seigneur avait aussi son fisc ou sa cassette, quand sur la terre il portait ses deniers, et ces deniers étaient confiés à Judas 1. Le Sauveur souffrait avec lui ce traître, ce voleur, pour nous donner en cela un modèle de patience. Toutefois, ceux qui donnaient cet argent le donnaient pour le Sauveur; car ne croyez pas que le Sauveur ait couru çà et là, ait mendié, ou ait été dans le besoin, lui que servaient les anges, et qui avec cinq pains rassasia tant de milliers dhommes. Pourquoi donc voulut-il éprouver le besoin, sinon pour donner lexemple aux montagnes, qui ont dû produire du foin, et non demeurer stériles sous laction de la pluie? Retranchez quelque peu, jetez dans les coffres de Jésus-Christ une somme déterminée que vous déduirez des revenus de chaque année, ou du gain de chaque jour. Car on dirait que tu donnes de ton fonds, et dès lors ta main tremble nécessairement quand elle sétend à ce que tu nas point résolu de donner. Retranche donc une partie de tes revenus. Est-ce la dîme? Eh bien ! donne la dîme, quoique ce soit bien peu. Car il est marqué dans lEvangile que les Pharisiens donnaient la dîme. « Je jeûne deux fois la semaine »,disait lun deux, « je donne la dîme de tout ce que je possède 2 ». Et que dit le Seigneur : « Si votre justice ne surpasse de beaucoup celle des Scribes et des Pharisiens, vous nentrerez point dans le royaume des cieux 3 ». Et pourtant, cet homme que tu dois surpasser en justice donne la dîme; et toi tu nen donnes pas la millième partie. Comment le surpasser, quand tu ne saurais même légaler? « Cest Dieu qui couvre le ciel de nuages, qui prépare des pluies à la terre, qui fait croître le foin sur les montagnes, et lherbe pour ceux des hommes qui servent les autres ». 18. « Il donne aux troupeaux leur nourriture 4 ». Ces troupeaux sont les troupeaux du Seigneur, qui ne prive point son bercail de cette nourriture que lui servent les hommes,
1. Jean, XII, 6. 2. Luc, XVIII, 12. 3. Matth. V, 20. 4. Ps. CXLVI, 9.
266
et à ces hommes qui servent les autres il fait croître lherbe. De là cette parole de lApôtre: « Celui qui fait paître le troupeau, ne mangera-t-il pas de son lait 1? Cest lui qui donne leur nourriture aux troupeaux et aux petits des corbeaux qui linvoquent». Allons-nous croire que les corbeaux invoquent le Seigneur pour recevoir de lui leur nourriture? Gardez-vous de croire quun animal sans raison invoque le Seigneur, il ny a pour linvoquer que lâme raisonnable. Il y a donc ici une figure, et ne croyez pas, comme lont dit certains impies, que lâme de lhomme retourne après la mort dans les bestiaux, dans les chiens, les porcs, les corbeaux. Loin de vous, loin de votre foi ces pensées. Lâme de lhomme est faite à limage de Dieu 2, et Dieu ne donnera point son image à un chien, à un pourceau. Que signifie donc: « Et aux petits des corbeaux qui lui demandent leur nourriture? » Quels sont ces petits des corbeaux? Les Israélites se vantaient dêtre les seuls justes, parce quils avaient reçu la loi, et ils regardaient comme pécheurs les hommes des autres nations. Et en effet toutes les autres nations étaient plongées daims le péché, dans lidolâtrie, dans le culte de la pierre et du bois ; mais y sont-ils demeurés? Et si nos pères, qui étaient des corbeaux, ninvoquaient pas Dieu, nous, les fils de ces corbeaux, ne linvoquons-nous point? « Il donne aux troupeaux leur nourriture, et aux petits des corbeaux qui linvoquent ». Cest bien aux petits des corbeaux que saint Pierre a dit: « Ce nest point par des objets corruptibles, comme lor et largent, que vous avez été rachetés de la vie pleine de vanité que vous suiviez à lexemple de vos pères 3». Car ces petits des corbeaux qui semblaient adorer les idoles de leurs pères se sont convertis à Dieu ; et aujourdhui le petit du corbeau ninvoque et nadore quun seul Dieu. Quoi donc? diras-tu à ce petit du corbeau : As-tu bien pu quitter ton père? Oui, tout à fait ; car le corbeau ninvoquait pas Dieu, et moi, le petit du corbeau, jinvoque le Seigneur. « Et aux petits des corbeaux qui linvoquent ». 19. « Il ne met pas sa complaisance dans la puissance du cheval 4 ». Cette puissance du cavalier, cest lorgueil. On dirait que le cheval est né afin de porter lhomme et de lélever plus haut ; de là cette encolure qui, chez
1. I Cor. IX, 7. 2. Gen. I, 26. 3. I Pierre, I, 18. 4. Ps. CXLVI, 10.
cet animal, témoigne de sa fierté, Que les hommes ne se glorifient point de leurs dignités, quils ne se croient point élevés par les honneurs quils reçoivent, quils prennent garde quils nen soient précipités comme dun cheval fougueux. Vois en effet ce que dit un autre psaume: « Ceux-ci se glorifient de leurs chariots, ceux-là de leurs chevaux; mais nous, cest dans te nom du Seigneur notre Dieu ». Cest-à-dire, les uns se glorifient de leurs honneurs temporels, mais nous du nom du Seigneur que nous adorons. Aussi, que leur est-il arrivé ? Voyez ce qui suit: « Leurs pieds se sont embarrassés, et ils sont tombés ; mais nous nous sommes relevés et tenus debout 1. Car le Seigneur ne met point sa complaisance, et ne met point ses délices dans les tabernacles de lhomme». « Dans les tentes de lhomme », dit le Psalmiste; car la tente de Dieu cest lEglise répandue par toute la terre. Les hérétiques, en se séparant des tabernacles de lEglise, ont élevé des tentes pour eux-mêmes, et cest dans ces tabernacles de lhomme que Dieu ne met point ses complaisances. Mais écoute le petit du corbeau qui dit : « Jai choisi labjection dans la maison du Seigneur, plutôt que dhabiter dans les tentes des pécheurs » Quun homme de bien, quun homme pieux qui connaît sa faiblesse, que ce petit du corbeau qui invoque le Seigneur, vienne à être sans dignité temporelle dans lEglise, il ne sen sépare point pour cela, il ne se fait point en dehors de lEglise une tente en laquelle Dieu ne mettrait point ses complaisances. Mais que dit-il ? « Jai choisi labjection dans la maison du Seigneur, plutôt que dhabiter dans les tabernacles des pécheurs; et Dieu ne fera point ses délices des tabernacles de lhomme». 20. Que dit encore le Prophète ? « Il mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent, et dans ceux qui espèrent en sa miséricorde 3 ». Dieu se plaît dans ceux qui le craignent. Mais craint-on Dieu comme on craindrait un voleur? On craint en effet le voleur, on craint la bête féroce, on craint beaucoup lhomme injuste et puissant. « Le Seigneur mettra ses complaisances dans ceux qui le craignent ». Mais comment le craignent-ils? « En mettant leur espérance dans sa miséricorde ». Judas qui trahit le Christ
1. Ps. XLX, 8.9. 2. Id. LXXXIII, 11. 3. Id. CXLVI, 11.
267
craignait Dieu, mais sans espérer dans sa miséricorde. Il se repentit davoir livré le Seigneur et sécria : « Jai péché en livrant le sang du juste. Craindre Dieu était bien, mais il fallait espérer dans la miséricorde de ce Dieu que tu craignais. Le désespoir lemporta et il alla se pendre 1. Crains donc le Seigneur, mais en espérant dans sa miséricorde. Si tu crains un voleur, tu attends aussi du secours, mais non de lhomme que tu crains. Cest à lhomme que tu ne crains pas que tu demandes protection contre celui que tu crains. Si tu crains Dieu, et si tu le crains parce que tu es pécheur, qui te protégera contre Dieu? Où aller? Que faire ? Veux-tu échapper à Dieu? Cherche en lui un refuge. Veux-tu fuir sa colère? Cherche un refuge dans sa clémence. Tu le rendras clément si tu espères dans sa miséricorde. Du reste, évite le péché à lavenir, et quant aux fautes passées, supplie le Seigneur de te les pardonner. A lui sont lhonneur et la puissance, en union avec le Père et le Saint-Esprit dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !
1. Matth. XXVII, 4, 5.
|