VIERGE D'ANTIOCHE
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LA LÉGENDE DORÉE DE JACQUES VORAGINE

 

TOME II

 

UNE VIERGE D'ANTIOCHE *

 

Au IIe livre des Vierges, saint Ambroise raconte en ces termes le martyre d'une vierge d'Antioche : Il y eut naguère à Antioche une vierge qui évitait de se montrer en public; mais plus elle se cachait, plus elle enflammait les coeurs. La beauté dont on a entendu parler mais qu'on n'a pas vue est recherchée avec plus d'empressement à cause des deux stimulants des passions, l’amour et la connaissance, car quand on ne voit rien, rien ne saurait plaire; mais quand on connaît une beauté, on pense qu'elle aura d'autant plus à plaire. L'oeil ne cherche pas à juger de ce qu'il ne connaît pas, mais un coeur qui aime conçoit des désirs. C'est pour cela, que. cette sainte vierge, afin de ne point nourrir trop longtemps des espérances coupables, décidée qu'elle était à sauvegarder sa pudeur, mit de telles entraves aux passions des méchants

 

* Cette légende est copiée mot à mot dans saint Ambroise au IIe livre des Vierges, ch. IVe.

 

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qu'elle attira l’attention avant même d'être aimée. Voici la persécution. Une jeune fille incapable de fuir, timide par son âge, afin de ne pas tomber entre les mains de ceux. qui auraient attenté à sa pudeur, arma son coeur de courage. Elle fut attachée à la religion au point de ne pas craindre la mort; chaste au point de l’attendre : car le jour vint où elle devait recevoir la couronne, jour attendu impatiemment par tous; on fait comparaître une jeune fille qui déclare vouloir défendre à la fois sa chasteté et sa religion. Mais quand on. vit sa constance dans son dessein, ses craintes pour sa pudeur, sa résolution à souffrir les tortures, la rougeur qui lui montait au front dès qu'elle était regardée, on chercha comment on pourrait lui ôter la religion en lui laissant entrevoir qu'elle garderait sa chasteté : car dès lors qu'on réussissait à lui ôter sa religion, regardée comme ce qu'il y avait de plus important, on pourrait lui faire perdre encore ce qu'on lui laissait.

On commanda à la vierge de sacrifier ou d'être exposée dans un mauvais lieu. Quelle manière d'honorer les dieux que de les venger ainsi ! Ou comment vivent-ils ceux qui portent de semblables arrêts? La jeune vierge, non pas parce qu'elle chancelait dans sa foi, mais parce qu'elle tremblait pour sa pudeur, se dit à  elle-même : « Que faire aujourd'hui? Ou martyre ou

vierge ; on veut me ravir une double couronne. Mais celui-là ne connaît pas même le nom de vierge qui renie l’auteur de la virginité : en effet, comment être vierge et honorer une prostituée? comment être vierge et aimer des adultères? comment être vierge et rechercher (3) l’amour ? Mieux vaut garder son coeur vierge que sa chair. Conserver l’un et l’autre, c'est un bien, quand on le peut, mais puisque cela devient impossible, soyons chaste aux yeux de Dieu et non par rapport aux hommes. Raab fut une prostituée, mais après avoir eu foi au Seigneur; elle trouva le salut. Judith s'orna pour plaire à un adultère ; mais parce que le mobile de sa conduite était la religion et non l’amour, personne ne la regardait comme une adultère. Ces exemples se présentent heureusement : car si celle qui s'est confiée à la religion a sauvé sa pudeur et sa patrie, moi aussi, peut-être, en conservant ma religion, conserverai-je encore ma chasteté. Que si Judith eût voulu préférer sa pureté à sa religion, en perdant sa patrie, elle eût encore perdu son honneur. » Alors éclairée par ces exemples, et gardant dans le fond du coeur ces paroles du Seigneur : « Quiconque perdra son âme à cause de moi, la retrouvera », elle pleura, et se tut, afin qu'un adultère ne l’entendît même pas parler. Elle rie préféra pas sacrifier sa pudeur, mais en même temps elle ne prétendit point faire injure à J.-C. Jugez si elle pouvait être coupable d'adultère, en son, corps, celle qui ne le fut pas même dans le ton de sa voix.

Depuis longtemps déjà je mets une grande réserve dans mes paroles, comme si je tremblais en entrant dans l’exposition d'une suite de faits honteux. Fermez les oreilles, vierges de Dieu ! La jeune fille est conduite au lupanar. Ouvrez maintenant les oreilles, vierges de Dieu. Une vierge peut être livrée à la prostitution, et peut ne point pécher. En quelque lieu que (4) soit une vierge de Dieu, là est toujours le temple de Dieu. Les mauvais lieux rie diffament pas' la chasteté, mais la chasteté ôte à pareil lieu son infamie. Tous les débauchés accourent en foule ail lieu de prostitution. Vierges saintes, apprenez les miracles des martyrs, mais oubliez le lavage de ces lieux. La colombe est enfermée; les oiseaux de proie crient au dehors

c'est à qui sera le premier pour se jeter sur la proie. Alors elle leva les mains au ciel comme si elle était entrée dans un lieu de prière et non dans l’asile de la débauche : « Seigneur Jésus, dit-elle, en faveur de Daniel vierge, vous avez dompté des lions féroces, vous pouvez encore dompter des hommes au coeur farouche; le feu tomba sur les Chaldéens; par un effet de votre miséricorde, et non pas par sa propre nature, l’eau resta suspendue pour fournir un passage aux Juifs. Suzanne se mit à genoux en allant au supplice et triompha des vieillards impudiques ; la main qui osait violer les présents offerts à votre temple se dessécha : en ce moment, c'est à votre temple lui-même qu'on en veut : ne souffrez pas un inceste sacrilège, vous qui n'avez pas laissé un vol impuni. Que votre nom aussi soit béni, à cette heure, afin que, venue ici pour être souillée, j'en sorte vierge. » A peine avait-elle achevé sa prière, qu'un soldat, d'un aspect terrible, entre avec précipitation. Comme cette vierge dut trembler à la vue de celui qui avait fait reculer la foule tremblante! Elle n'oublia pas toutefois les lectures qu'elle avait faites. « Daniel, se dit-elle, était venu pour être spectateur du supplice; de Suzanne, et celle que tout le peuple avait condamnée, un seul la fit (5) absoudre. Peut-être encore, sous l’extérieur d'un loup, se cache-t-il une brebis? Le Christ a aussi ses soldats, lui qui a des légions. Peut-être encore est-ce le bourreau qui est entré ; allons, mon âme, ne crains pas; c'est celui qui fait les martyrs. » O vierge, votre foi vous a sauvée! Le soldat lui dit : « Ne craignez rien, je vous en prie, ma sueur. C'est un frère, venu ici pour sauver votre âme et non pour la perdre. Sauvez-moi, pour que vous-même vous soyez sauvée. Je suis entré ici sous les dehors d'un adultère; si vous voulez, j'en sortirai martyr : changeons de vêtements; les miens peuvent vous aller et les vôtres à moi; les uns et les autres conviendront à J.-C. Votre habit fera de moi un véritable soldat, et le mien fera de vous une vierge. Vous serez bien revêtue, et moi je serai . assez dégarni pour que le persécuteur me reconnaisse. Prenez un vêtement qui cachera la femme, donnez m’en un qui me sacrera martyr. Revêtez la chlamyde qui déguisera entièrement la vierge et qui protégera votre pudeur : prenez ce pileur * pour couvrir vos cheveux et cacher votre visage. On rougit ordinairement quand on est entré dans un mauvais lieu. Evitez, lorsque vous serez sortie, de regarder en arrière; en vous rappelant la femme de Loth qui changea de nature pour avoir regardé des impudiques, bien qu'avec des yeux chastes : ne craignez point, le sacrifice sera complet. Je  m’offre en votre place comme hostie à Dieu ; vous, vous serez en ma place un soldat de J.-C.

 

* Le pileur était un bonnet en feutre (poil) que portaient exclusivement les hommes.

 

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et vous lui ferez bon service de chasteté; l’éternité en sera la solde; vous porterez la cuirasse de justice qui couvre le corps d'un rempart spirituel ; vous aurez le bouclier de la foi, pour vous parer contre les blessures, vous serez couverte du casqué du salut. En effet, où se trouve J.-C. là est notre défense. Puisque le mari est le chef de l’épouse, J.-C. est le chef des vierges.» En disant ces mots il s'est dépouillé de son manteau qui lui donnait la tournure d'un persécuteur et d'un adultère. La vierge présente la tête, le soldat se met en devoir de lui offrir son manteau. Quelle pompe que celle-là ! quelle grâce ! ils luttent à qui aura le martyre et cela dans un mauvais lieu ! Les deux lutteurs sont un soldat et une vierge : c'est dire qu'il n'y a pas parité de nature, mais la miséricorde de Dieu les a rendus égaux. L'oracle est accompli

« Alors les loups et les agneaux paîtront ensemble *. » Voyez, c'est la brebis, c'est le loup qui ne sont pas seulement dans le même pâturage, mais qui sont sacrifiés ensemble. Que dirai-je encore? Les habits sont changés, la jeune fille s'envole du filet **, mais ce n'est pas de ses propres ailes, puisqu'elle est portée sur les ailes spirituelles : et ce qu'aucun siècle n'a vu encore; voici une vierge de J.-C. qui sort du lupanar. Mais ceux-là qui voyaient par les yeux, sans voir réellement, frémissent comme des ravisseurs en présence d'une brebis, comme des loups devant leur proie. L'un d'eux, plus emporté que les autres, entra; mais dès

 

* Isaïe, LXXV, 25.

** Il y a dans ce passage des allusions sans nombre aux combats antiques.

 

qu'il a constaté de ses yeux ce qui s'est passé : « Qu'est ceci? dit-il; c'est une jeune fille qui est entrée, et ce parait être un homme. Ceci n'est pas une fable, c'est la biche, à la place de la vierge * : mais ce qui est certain, c'est une vierge qui est devenue un soldat. J'avais bien entendu dire, mais je n'avais pas cru que le Christ a changé l’eau en vin; le voici qui change même le sexe. Sortons d'ici pendant que nous sommes encore ce que nous avons été. Ne serais-je point changé aussi moi-même qui vois autre chose que je ne crois ? Je suis venu au lupanar, je vois quelqu'un qui représentera la condamnée ; et puis je sortirai changé aussi je  m’en irai pur, moi qui suis entré coupable. Le fait est constaté, la couronne est due à ce vainqueur éminent. Celui qui est pris pour une vierge est condamné à la place de la vierge. Ainsi ce n'est pas seulement une vierge qui sort du lupanar, il en sort aussi des martyrs.

On rapporte que la jeune fille courut au lieu du supplice, et que tous les deux combattirent à qui subirait la mort: Le soldat disait: « C'est moi qui suis condamné à être tué ; la sentence vous absout, et elle  m’atteint. » La jeune fille s'écrie « Je ne voies ai pas pris pour être caution de ma mort; mais j'ai souhaité vous avoir pour protéger ma pureté. Si c'est la pudeur qu'on veut atteindre, mon sexe reste. Si l’on demande du sang, je ne désire point de caution! J'ai de quoi me libérer. La sentence est pour moi, puisqu'elle a été portée.

 

* Une biche fut substituée à Iphigénie, quand Agamemnon voulut sacrifier sa fille.

 

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contre moi. Certes, si je vous avais donné pour caution d'une somme d'argent, et qu'en mon absence le juge vous eût fait payer ma dette au prêteur, vous pourriez exiger par un arrêt que je vous satisfasse au dépens de mon patrimoine. Si je  m’y refusais, qui ne juterait ma déloyauté digne de mort ? à plus forte raison dès qu'il s'agit d'une condamnation à mort. Je mourrai innocente, et ne prétends pas vous nuire par ma mort. Aujourd'hui il n'y a pas de milieu : ou je répondrai de votre sang versé, ou je serai martyre avec, mon sang. Si je suis revenue aussitôt, qui oserait me chasser ? Si j'eusse tardé, qui oserait m’absoudre ? La loi doit  m’atteindre, non seulement pour ma fuite, mais aussi pour le meurtre d'autrui. Si mes membres ne pouvaient supporter le déshonneur, ils peuvent supporter la mort. On peut trouver dans une vierge un endroit où on la frappera, quand elle n'en avait pas pour être flétrie : j'ai fui l’opprobre et non le martyre. Je vous ai bien cédé mon vêtement, mais je n'ai pas changé de qualité. Que si vous  m’enlevez la mort vous ne  m’avez pas rachetée, vous  m’avez circonvenue. Gardez-vous de discuter, je vous prie, gardez-vous de me contredire. Ne  m’enlevez pas un bienfait que vous  m’avez donné. En avançant que cette dernière sentence n'ait pas été portée contre moi, vous en faites revivre une autre. Une première sentence est infirmée par une seconde. Si la dernière ne  m’atteint pas, la première  m’atteint. Nous pouvons exécuter l’une et l’autre, si vous me laissez être tourmentée tout d'abord. Sur vous on ne pourra exercer un autre châtiment, mais sur une vierge la pudeur s'y (9) oppose. Enfin vous retirerez plus de gloire pour faire une martyre d'une adultère, que pour faire une adultère d'une martyre. » — Quel dénouement attendez-vous? Ils combattirent à deux et tous deux furent vainqueurs. Au lieu d'une couronne à partager, deux furent accordées. C'est ainsi que les saints martyrs se secondaient mutuellement, l’une ouvrait à l’autre la porte au martyre, celui-ci lui donna de le réaliser.

On porte aux nues, dans les écoles des philosophes *, Damon et Pythias, de la secte de Pythagore. L'un d'eux, condamné à mort, demanda le temps de mettre ordre à ses affaires. Or, le tyran plein d'astuce, pensant qu'on ne pourrait plus le retrouver, demanda une caution qui serait frappée à sa place, s'il tardait à revenir. Je ne sais ce qu'on doit le plus admirer, ni quelque chose de plus noble, de l’un qui trouve quelqu'un s'obligeant à le représenter pour mourir, ou de l’autre venant s'offrir. Mais comme le condamné tardait à se présenter au supplice, son répondant vint avec un visage calme, et ne refusa pas de subir la mort. On le. conduisait au lieu de l’exécution, quand son ami arrive; celui-ci vint se substituer à l’autre, et offrir sa tête au bourreau. Alors le tyran, voyant avec admiration que les philosophes estimaient plus l’amitié que, la vie, demanda à être admis en tiers dans l’amitié de ceux qu'il avait condamnés à mort. Tant la vertu a d'attraits, puisqu'elle gagna un tyran! Ces faits méritent des louanges, mais ils ne l’emportent pas sur

 

* Cicéron, De officiis, lib. III. — Valère-Maxime, liv. IV, c. VII.

 

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ceux que nous venons de raconter. Car dans ce dernier exemple, ce sont deux hommes, dans l’autre ou voit une vierge qui, tout d'abord, avait même son sexe à vaincre. Ceux-ci étaient deux amis : ceux-là ne se connaissaient point : ceux-ci se présentèrent devant un seul tyran : ceux-là devant beaucoup de tyrans et de plus cruels encore. Le premier pardonna, les seconds tuèrent. Entre les. premiers, il y avait solidarité, dans les seconds la volonté était libre. Il y eut plus de prudence dans ceux-ci, parce qu'ils n'avaient, qu'un but, la conservation de l’amitié, ceux-là, ne tendaient qu'à avoir la couronne du martyre. Ceux-ci combattirent pour les hommes ; ceux-là pour le Seigneur. (Saint Ambroise.)

 

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