|
|
SAINT PIERRE AUX LIENS
La fête qui est appelée de saint Pierre aux Liens fut, dit-on, instituée pour quatre raisons : 1° la délivrance de saint Pierre ; 2° la délivrance d'Alexandre ; 3° pour rappeler la destruction du rite des gentils et 4° pour demander d'être délivré des liens spirituels.
I. La délivrance de saint Pierre. D'après lHistoire scholastique **, Hérode Agrippa alla à Rome où il vécut dans lintimité de Caius, neveu de Tibère César. Or, un jour, Hérode étant avec Caius sur un char, dit en levant les mains au ciel : « Quel désir j'aurais de voir mourir ce vieillard, pour que tu sois le maître de tout lunivers! » Paroles qui furent entendues du cocher d'Hérode et rapportées tout aussitôt par lui à
* Sur lauthenticité des chaînes de saint Pierre, conservées à Rome dans léglise de Saint-Pierre-aux-Liens, consulter Cancellieri, dans son ouvrage intitulé: De carcere Tulliano, oie sont consignés tous les témoignages sur lesquels repose cette tradition. ** Actes, ch. LVII.
328
Tibère. Tibère indigné fit en conséquence jeter Hérode en prison. Et un jour qu'il était appuyé contre un arbre sur le feuillage duquel était perché un hibou, un de ses compagnons de captivité, habile dans la science des augures, lui dit : « Ne crains rien car bientôt tu seras délivré, et tu seras élevé si haut que, tu exciteras contre toi lenvie de tes amis et tu mourras dans cet état de prospérité. Mais quand tu verras au-dessus de toi un animal de cette espèce, tu sauras dès lors qu'il ne te reste que cinq jours à vivre*. » Quelque temps après Tibère meurt et Caius, élevé à lempire, délivra Hérode qu'il honora de la dignité de roi de Judée. Quand celui-ci fut arrivé dans ce pays, il employa son pouvoir à maltraiter quelques membres de lÉglise. D'abord il fit mourir par lépée Jacques, frère de Jean, avant les jours de loctave de Pâques, où I'on ne mangeait que des pains azymes. Et voyant que cela plaisait aux Juifs, il fit encore prendre Pierre, dans le même temps, et le mit en prison, avec le dessein de le faire mourir devant tout le peuple, après la fête de Pâques. Mais lange du Seigneur apparut miraculeusement à Pierre, le délivra des chaînes qui le liaient et lui ordonna d'aller remplir en toute liberté le ministère de la prédication: Le lendemain, à loccasion de lévasion de saint Pierre, Hérode manda les gardes afin de les punir rigoureusement. Il ne pût cependant le faire, car la délivrance de cet apôtre ne devait être pour qui que, ce frit la cause d'aucun mal ; en effet, il fut obligé d'aller tout
* Histoire scholastique.
de suite à Césarée, où il expira sous le coup d'un Josèphe rapporté au XIXe livre des Antiquités Judaïques, ch. VIII, qu'arrivé à Césarée, où s'étaient réunis les habitants de toute la province, Hérode, revêtu d'un habillement magnifique, tissu d'or et d'argent, se rendit le lendemain au théâtre. Or, quand les rayons du soleil vinrent frapper sur son vêtement tout couvert d'argent, léclat du métal étincelant faisait vibrer, parla répercussion, sur les spectateurs, une double lumière qui devait remplir d'effroi ceux qui lapercevaient, et par le moyen de cette artificieuse: erreur, on était porté à croire qu'il y avait en lui quelque chose au-dessus de lai nature humaine. A linstant, la Moule des flatteurs se mit à s'écrier : « Jusqu'à présent, nous vous avions pris pour un homme, mais aujourd'hui nous déclarons que vous êtes au-dessus de la nature humaine. » Or, tandis qu'il osé repaissait de ces flatteries, et qu'il acceptait sérieusement les honneurs divins qu'on lui voulait rendre, il leva la tête et vit assis sur une ficelle, au-dessus de sa tête un ange, c'est-à-dire un hibou, qui n'était que le messager de sa mort prochaine. Alors il se tournas vers le peuple et dit : « Moi, qui suis votre Dieu, voici que je vais mourir. » Car il savait, d'après la prédiction de laugure, qu'il mourrait dans cinq jours. Alors il fut frappé, et pendant ces cinq jours, il fut rongé par les vers et expira. Ce fut donc en mémoire de la délivrance, si miraculeuse du prince des apôtres, et de la vengeance si terrible qui fut infligée immédiatement à ce tyran, que lÉglise solennise la fête de saint Pierre aux Liens. De là vient qu'à (330) la messe on chante lépître où se trouve le récit de cette délivrance ; il paraîtrait donc par là que lon devrait donner à cette fête le nom de saint Pierre des Liens (c'est-à-dire délivré des liens). Venons au second motif de linstitution de cette fête. II. Le pape, Alexandre qui gouverna lÉglise le sixième après saint Pierre, et Hermès, préfet de la ville de Rome, converti à, la foi par Alexandre, étaient détenus par le tribun Quirinus qui les enfermait en des lieus différents : or, le tribun dit au préfet Hermès : « Je métonne qu'un homme, prudent comme toi, renoncé à lhonneur d'être préfet et rêve une autre vie. » Hermès lui, répondit : « Et moi aussi, il y a quelques années, je me moquais de tout cela, et pensais que cette vie est la seule.», Quirinus lui dit : « Prouve-moi que tu es sûr d'une autre vie et à linstant, je serai un disciple de ta croyance. » Hermès lui répondit : « Saint Alexandre, que tu retiens en prison, t'enseignera cela lui-même beaucoup mieux. » Alors Quirinus se mit à maudire Hermès et il ajouta : Je viens de te dire que tu me donnes des preuves de ce que tu avances, et voici que tu me renvoies à Alexandre que je retiens en prison à cause de ses crimes. Pourtant, je doublerai le nombre de tes gardes et de ceux d'Alexandre, et si je puis le trouver avec toi ou bien toi avec lui; alors j'ajouterai, certainement foi aux paroles et aux discours que vous me tiendrez lun et lautre. » Il fit ce qu'il avait dit: or, Hermès en prévint incontinent Alexandre. Celui-ci se mit donc en prière; alors un ange. vint et le conduisit dans la prison. d'Hermès. Quand Quirinus les trouva ensemble, (331) il fut singulièrement surpris. Et Hermès racontant à Quirinus comment Alexandre avait ressuscité son fils qui était mort, Quirinus dit à Alexandre : « Ma fille Balbine est goîtreuse; : eh bien ! je te promets de me soumettre à ta croyance, si tu peux obtenir la guérison de ma fille. » « Va vite, lui répliqua Alexandre, et amène-la-moi dans ma prison. » Quirinus lui dit : « Puisque tu es ici, comment pourrai-je te trouver dans ta prison? » « Va vite, répartit Alexandre, parce que celui qui ma amené ici my ramènera lui-même à linstant. » Quirinus alla donc mener sa fille a la prison d'Alexandre, et en ly trouvant, il se prosterna à ses pieds. Alors, sa fille se mit à baiser avec dévotion les chaînes de saint Alexandre, afin qu'elle reçût guérison. Alexandre lui dit: « Ma fille, cesse d'embrasser mes chaînes, mais cherche avec empressement les carcans de saint Pierre et en les baisant avec dévotion, tu seras guérie.» Quirinus fit donc chercher avec soin les carcans dans la prison où saint Pierre avait été détenu, et quand il les eut trouvés, il les donna à baiser à sa fille. Elle ne leut pas plus tôt fait qu'elle eut le bonheur d'être entièrement guérie. Quirinus demanda pardon à Alexandre qu'il délivra de prison, puis il reçut le baptême lui, sa famille et beaucoup d'autres encore. Saint Alexandre institua donc cette fête aux calendes d'août, et il fit bâtir en lhonneur de saint Pierre une église, où il déposa les chaînes et la nomma léglise de Saint-Pierre-aux-Liens. En cette solennité, il se fait un grand concours de; peuple à ladite église et on y baise ces chaînes. III. D'après Bède, telle serait la troisième cause de (332) linstitution de cette fête. L'empereur Octave et Antoine, qui étaient unis ensemble par alliance, se partagèrent entre eux lempire du monde entier; à Octave échut, dans lOccident, lItalie, la Gaule et lEspagne, et Antoine, en Orient, en lAsie, le Pont et lAfrique. Or, Antoine qui était lascif et débauché, après avoir épousé la soeur d'Octave, la répudia, pour épouser Cléopâtre, reine d'Égypte. Octave indigné de cette conduite, s'avança à main armée contre Antoine en Asie et le défit partout. Alors Antoine et Cléopâtre, vaincus, prirent la fuite, et poussés par le chagrin, ils se donnèrent la mort eux-mêmes. Octave abolit donc le royaume d'Égypte-et en fit une province romaine. De là il alla à Alexandrie : il dépouilla cette ville de toutes ses richesses et les fit transporter à Rome ; ce qui apporta un tel bien-être dans la république que lon donnait pour un denier ce qui en valait quatre auparavant. Et parce que les guerres civiles avaient dévasté extraordinairement la ville, il la renouvela au point qu'il dit: « Je lai trouvée de briques, je la laisse de marbre.» Il agrandit tellement la république que ce fut le premier qui fut appelé Auguste, nom que retinrent ses successeurs à lempire; comme ce fut encore de son oncle Jules-César que les empereurs furent nommés César. Le peuple appela aussi de son nom le mois d'août, qui, auparavant se nommait Sextilis, car c'était le sixième mois depuis celui de mars. Ce fut donc en mémoire et en lhonneur de la victoire quAuguste remporta le premier août que tous les Romains solennisaient ce jour, jusqu'à lépoque de lempereur Théodose qui commença à régner lan du (333) Seigneur 426. Eudoxie, fille de ce Théodose et épouse de Valentinien, se rendit à Jérusalem pour accomplir un voeu. Ce fut là qu'un Juif lui offrit, pour une somme importante, les deux chaînes dont saint Pierre avait été lié sous Hérode. Revenue à Rome aux calendes d'août, et voyant le Romains célébrer une fête en lhonneur d'un empereur qui était idolâtre, elle fut affligée de ce qu'on rendait de si grands honneurs à un homme damné : elle reconnut qu'il ne serait pas facile d'abolir cette espèce de culte passé en coutume; alors elle pensa à laisser subsister cet état de choses, mais dans le but que. la solennité aurait lieu en lhonneur de saint Pierre, et que tout le peuple nommerait ce jour la fête de saint. Pierre aux Liens. Après en avoir conféré avec le saint pape Pélage, ils unirent leurs efforts pour porter le peuple, par des exhortations flatteuses, à laisser dans loubli la mémoire du prince des païens, pour faire une mémoire solennelle du prince des apôtres. La proposition ayant, obtenu lassentiment universel, Eudoxie fit connaître qu'elle avait rapporté de Jérusalem les chaînes de saint Pierre et les montra au peuple. Le pape, de son côté, produisit la chaîne dont le même apôtre avait été lié sous Néron. On les mit ensemble et alors eut lieu ce miracle par lequel de ces trois chaînes, il s'en forma une seule, comme si elle n'eût pas été composée de différentes pièces*. En même temps, le pape, et la reine décidèrent que lhonneur rendu à un païen, qui était damné, serait attribué à plus juste titre au prince des
* Bréviaire romain.
334
apôtres. Le pape donc avec la reine plaça les chaînés dans léglise de Saint-Pierre-aux-Liens. Il lenrichit de grands privilèges et institua que ce jour serait fêté en tous lieux. Voilà ce que dit Bède. Sigebert rapporte la même chose *. On vit en lan du Seigneur 969 combien grande était la puissance de cette chaîne car un comte, proche parent de lempereur Othon; fut saisi, aux yeux de tout le monde, par le diable d'une façon si cruelle, qu'il se déchirait avec les dents. L'empereur ordonna alors qu'on le menât au pape Jean, afin de Fui entourer le cou avec la chaîne de saint Pierre. On lui mit d'abord au cou une autre chaîne qui ne délivra pas le possédé, car il n'y avait en elle aucune vertu ; enfin on prend la chaîne de saint Pierre et on la met au cou du furieux : mais le diable ne put supporter le poids d'une si grande puissance, et se retira aussitôt en jetant un cri affreux eu, présence de tous les assistants**. Alors. Théodose, évêque de Metz, se. saisit de la chaîne et assura qu'il ne la lâcherait qu'autant qu'on lui couperait les mains. Comme il s'élevait à ce sujet une grave contestation entre lévêque, et le pape avec les autres clercs, lempereur vint a bout d'apaiser le débat: en demandant au pape un anneau de cette chaîne pour lévêque***. Miletus raconte en sa chronique et le même fait se trouve rapporté dans l'Histoire tripartite. ****, qu'en ce temps là, apparut en Épire un dragon énorme que Donat,
* Paul, diacre, fait aussi le même récit dans une homélie. ** Bréviaire romain. *** Sigebert, Chronique. **** Lib. IX, C. XLVI.
évêque d'une haute verdi, tua en lui crachant dans la gueule : mais auparavant, le prélat avait fait avec les doigts une forme de croix qu'il présenta aux yeux du monstre. Huit paires de boeufs purent à peine traîner le cadavre pour être brûlé; car on craignait que lair lie fût infesté par sa putréfaction. Le même auteur, rapporte au même endroit et on trouve aussi dans lHistoire tripartite que le diable se montra dans la Crète sous la figure de Moïse: Il rassembla de tous Cités les Juifs qu'il conduisit vers un précipice affreux auprès de la mer. Il leur promit qu'en se mettant à leur tête, il allait les conduire à pied sec dans la terre promise, et en fit périr un nombre infini. D'où lon conjecture que le diable indigné se vengea ainsi d'eux, parce que le Juif avait donné la chaîne de saint Pierre à limpératrice Eudoxie, et que les réjouissances faites en lhonneur d'Octave avaient été abolies. Bon nombre de ceux qui échappèrent reçurent avec empressement la grâce du baptême. Car comme ils roulaient les uns sur les autres du haut en bas de la montagne, les premiers, déchirés sur les rochers à pic, furent suffoqués en tombant dans la mer; quant aux autres qui voulaient les suivre, dans lignorance de ce qui était arrivé aux premiers, des pêcheurs passant par là leur apprirent laccident qui avait fait périr leurs frères, et alors ils se convertirent. Ces faits sont tirés de lHistoire tripartite.
IV. On peut encore assigner ici une quatrième cause de linstitution de cette fête. Le Seigneur délia miraculeusement saint Pierre de ses liens, et lui donna le pouvoir de lier et de délier: or, nous aussi nous sommes (336) mes retenus dans les liens du péché et nous avons. besoin d'être déliés. C'est la raison pour laquelle nous honorons le prince des Apôtres en cette solennité qui est dite aux liens, afin que comme il a mérité d'être délié de ses chaînes, et comme il a reçu du Seigneur le pouvoir de délier, de même aussi il nous délie des chaînes du péché. On peut se convaincre que ce fut là une raison de linstitution de cette fête pour peu qu'on remarque que lépître de la messe rappelle cette délivrance, et que lÉvangile qu'on récite fait mémoire du pouvoir accordé à saint Pierre de délier et d'absoudre. En outre, dans loraison de la messe, on demande, par lintercession de cet apôtre, que cette absolution nous soit accordée. Par ce pouvoir des clefs qu'il reçut, on voit qu'il délivre quelquefois ceux qui mériteraient d'être damnés, ainsi que le rapporte le livre des Miracles de la sainte Vierge. « Dans la ville de Cologne, il y avait, au monastère de saint Pierre, un moine léger, débauché et lascif. Une mort subite le surprit, et les démons laccusaient en faisant connaître ouvertement toutes les espèces de péchés qu'il avait commis. Voici ce que lun d'eux disait: « Je suis la cupidité, par laquelle tu as souvent convoité contre les commandements de Dieu. » Un autre criait : « Je suis la vaine gloire par laquelle tu t'es élevé avec jactance parmi les hommes. » Un autre : «Je suis le mensonge et tu as commis le péché de mentir. » Et ainsi des autres. D'un autre côté, quelques bonnes oeuvres qu'il avait faites lexcusaient en disant : « Je suis lobéissance que tu as témoignée à tes supérieurs spirituels; je suis le chant des psaumes que tu as souvent chantés pour Dieu. » Alors saint Pierre, dont il était le moine, vint trouver Dieu et intercéder pour lui Le Seigneur lui répondit : « Est-ce que ce n'est pas moi qui ai inspiré le prophète lorsqu'il a dit: « Seigneur, qui est-ce qui habitera dans votre tabernacle ? C'est « celui qui entre sans avoir de taches, etc. » Comment celui-ci peut-il être sauvé, puisqu'il n'est pas entré ici sans tache, puisqu'il n'a pas pratiqué la justice ? » Alors saint Pierre se mit à prier pour lui avec la vierge Mère, et le Seigneur porta cette sentence qu'il retournerait dans son corps et qu'il y ferait pénitence. Aussitôt donc, saint Pierre avec la clef qu'il tenait à la main effraya le diable; et le mit en fuite. Il remit ensuite lâme de cet homme dans la main de quelqu'un qui avait été moine dans le susdit monastère, avec lordre de la reconduire à son corps. Le moine lui demanda comme récompense de ce qu'il ramenait son âme; de réciter chaque jour le psaume Miserere mei, Deus; et de nettoyer souvent son tombeau des ordures qui s'y trouvaient. Or, le moine, revenu à la vie, raconta à tout le monde ce qui lui était arrivé.
|