JUDAS I

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HOMÉLIES SUR LA TRAHISON DE JUDAS.

 

 

PREMIÈRE HOMÉLIE.

 

De la Pâque. — De la réception des saints mystères. — Du pardon des injures . — De la sainte et grande solennité du jeudi saint.

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Les deux homélies sur la trahison de Judas et la cène mystique sont tellement semblables, non-seulement par le fond mais encore par la disposition et les expressions mêmes, qu'il est impossible, après les avoir lues, de ne pas reconnaître aussitôt qu'il n'y a là qu'un seul et même discours de saint Jean Chrysostome, avec quelques corrections dans le second cas. En effet, comme il avait prononcé quelques années auparavant, celle qui est placée la première et qui commence par ces mots :Oliga anagke semeron, la seconde qui débute ainsi : ‘Eboulomen agapetoi, et qui n'est autre que la première, retouchée et augmentée dans quelques endroits, fut donnée le même carême que les trente-deux premières homélies sur la Genèse, dont les dernières avaient rapport à Abraham, que par antonomase il appelle simplement le patriarche. Il nous en avertit clairement lui-même dès le début : Je voulais, mes très-chers, vous prier encore aujourd'hui du patriarche et en tirer quelque leçon spirituelle, niais l'ingratitude du traître m'entraîne à parler de son crime. Il interrompt donc le cours de ses homélies sur la Genèse, non-seulement pour parler de la trahison de Judas, un jour de jeudi saint, mais encore pour traiter d'autres sujets plus en rapport avec le temps et les circonstances où il se trouvait, comme il l'annonce assez longuement au début de sa trente-troisième homélie sur la Genèse : Il fallait vous donner, dit-il, des instructions en rapport avec les temps où nous étions; c'est pourquoi le jeudi et le vendredi saint, interrompant le cours de nos explications, pour nous conformer aux circonstances présentes, nous avons commencé par parler de Judas, ensuite de la croix; et puis, quand a brillé le jour de la résurrection nous avons jugé nécessaire d'entretenir votre charité de la résurrection du Seigneur, et les jours suivants nous avons dû vous développer encore les preuves de ce grand fait, par l'exposition des miracles qui l'établissent. Quand, abordant les actes des apôtres nous nous y sommes arrêté longuement, cela ne nous a pas empêché de consacrer plusieurs instructions à ceux qui ont été baptisés récemment.

Nous voyons dans ce passage l'ordre des homélies nombreuses prononcées dans la même année. Mais quelle est cette aimée? C'est ce dont nous ne trouvons pas même le plus petit indice. Tillemont s'efforça de démontrer que probablement les homélies sur la Genèse doivent se rapporter à l'année 393. Si ce calcul était fondé, nous placerions aussitôt dans cette même année la seconde homélie sur la trahison de Judas. Niais, à notre avis, Tillemont a basé sur les conjectures les pins frivoles cette manière de compter, comme il sera démontré longuement dans l'avertissement mis en tête des homélies sur la Genèse.

Voilà pour la seconde homélie commençant ainsi : ‘Eboulomen agapetoi…  — Quant à l'époque de la première, débutant par ces mots : ‘Oliga anagke. . . ce que nous pouvons établir de certain, ou du moins de tout à fait probable, c'est qu'elle a été prononcée quelques années avant la seconde. Et il ne faut pas manquer de dire que cette première homélie (‘Oliga naanagke) figure seule sur le très-ancien catalogue d'Augsbourg, parmi les Œuvres authentiques de saint Jean Chrysostome, apparemment parce que, si on excepte le commencement et quelques points de peu d'importance ajoutés par l'auteur lui-même quand il la retoucha, ces deux homélies semblent n'en faire qu'une. — D'autre part, selon la remarque fort judicieuse de Savilius, ce catalogue d'Augsbourg est tellement concis que si tous les opuscules qu'il mentionne sont authentiques et vrais il faudrait bien se garder de penser que ceux dont il ne parle pas sont apocryphes. — Bien plus, il est certain qu'il existe plus d'ouvrages de saint Jean Chrysostome que ce catalogue n'en relate. — Au surplus, comme notre Saint retoucha ce même discours et qu'il le modifia tellement sur certains points qu'il fit deux homélies d'une seule, il ne faut pas s'étonner si les manuscrits offrent une si grande variété. — Mais les différentes leçons appartenant à l'une et à l'autre de ces homélies, il nous a suffi de les éditer toutes deux et nous nous sommes abstenus de noter ces variétés très-nombreuses.

Un passage digne de remarque dans l'une et l'autre homélie est le suivant qu'on lit au paragraphe 6 : Le Christ est présent, test lui qu'on reçoit à cette table. — Ce n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement le corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est ce même Christ qui a été crucifié pour nous. — Le prêtre accomplit la figure en prononçant les paroles, mais la vertu et la grâce viennent de Dieu qui agit quand il dit : CECI EST MON CORPS. — Ces mots transforment ce qui est offert.

La transsubstantiation et la présence réelle de Jésus-Christ dans l'Eucharistie ne pouvaient être plus clairement exprimées, comme il sera dit plus longuement en son lieu.

Ce qui est dit dans les deux homélies, que c'est le quatrième jour qu'on parle de la prière pour les ennemis, prouve que saint Jean Chrysostome suivait le même ordre dans ses prédications les deux années où il prononça ces homélies.

1° Il est d'abord question du malheur de Judas et de ceux qui persécutent les justes; ce ne sont point ceux qui sont persécutés qu'il faut pleurer, mais ceux qui persécutent, puisque les persécutions ouvrent aux premiers la porte du ciel, aux seconds celles de l'enfer. — Cette considération doit porter ceux qui souffrent à prier pour ceux qui les font souffrir, comme Jésus-Christ les y oblige, non-seulement pour l'avantage de leurs ennemis, mais encore dans leur propre intérêt, attendu que c'est un moyen d'obtenir la rémission de leurs péchés. — 2° Après une exposition claire, mais profonde, des circonstances de la trahison de Judas, saint Jean Chrysostome se sert de cet exemple pour nous apprendre à ne nous négliger jamais et à ne point présumer de nous-mêmes, de peur de tomber dans l'apostasie comme cet apôtre. — 3° Il établit ensuite le libre arbitre qu'il prouve d'une manière irréfutable par ce qui arriva à Judas et à la femme pécheresse.

4° et 5° Passant ensuite à la dernière cène, il commence par expliquer la Pâque des Juifs, après avoir démontré qu'ils ne peuvent plus immoler légitimement l'agneau pascal depuis qu'ils sont dans une terre étrangère. — 6° Il arrive à l'institution de la sainte Eucharistie. — Rien de plus clair, de plus complet, ni de plus concluant que ce qui est dit sur cette matière.

Il termine en recommandant le pardon des injures comme moyen indispensable pour recueillir les fruits du saint sacrifice et recevoir dignement la sainte communion.

 

1. Je dois entretenir aujourd'hui brièvement votre charité ; je dis brièvement, non que la longueur des discours vous fatigue, car il n'est pas possible de rencontrer une ville où l'on soit plus avide d'assister aux entretiens spirituels. Ce n'est donc point dans la crainte de vous importuner que nous ne vous dirons que peu de choses, mais aujourd'hui nous avons une autre raison d'être court.

Je vois bon nombre de fidèles impatients de, participer aux redoutables mystères. Afin donc qu'ils puissent s'asseoir à cette table et profiter en même temps de nos paroles, nous devrons ne vous adresser que peu de mots, et ainsi vous recueillerez un double avantage, car après avoir été préparés par nos discours, vous vous approcherez ensuite de la communion redoutable et saintement terrible, avec crainte et tremblement, et avec le respect convenable.

Aujourd'hui, mes frères, Notre-Seigneur Jésus-Christ a été trahi: c'est, en effet, le soir de ce jour que les Juifs le prirent et s'en allèrent. Mais ne vous attristez pas en apprenant que Jésus a été trahi; car ce qui doit vous rendre tristes et vous faire pleurer amèrement, c'est le traître Judas mais non Jésus, sa victime. En effet, celui qui a été trahi a sauvé le monde, le traître a perdu son âme; celui qui a été trahi est assis à la droite du Père dans les cieux, le traître est maintenant dans l'enfer, en proie à des tourments sans fin. Oh ! c'est lui qu'il faut pleurer et plaindre, c'est sur lui qu'il faut verser des larmes,comme Notre-Seigneur lui-même en a versé. Car il nous apprend qu'à sa vue il fut troublé et il dit: un de vous me trahira. (Jean, XIII, 21.) Oh ! qu'elle est grande la compassion de ce bon Maître ! celui qui est livré pleure sur le traître. Oui, à sa vue il fut troublé et il dit : un de vous me trahira. Pourquoi fut-il triste : c'était tout à la fois pour nous montrer son amour et nous apprendre à pleurer toujours, non sur celui qui souffre le mal, mais sur celui qui le fait : car c'est là le plus grand malheur. Il n'y a même pas de malheur à souffrir le mal qu'on nous fait ; mais faire souffrir, voilà le grand, l'unique malheur. En effet, endurer les maux procure le royaume des cieux, tandis que les faire endurer, c'est se préparer l'enfer et ses supplices, car il est écrit : Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice, parce que le royaume des cieux leur appartient. (Matth. V,10.) Voyez-vous comment la souffrance et l'acceptation des maux obtiennent en retour la récompense du royaume des cieux ? Apprenez maintenant comment le châtiment et le supplice sont la conséquence inévitable des mauvaises actions. Après avoir dit des Juifs : Ils ont tué le Seigneur, ils ont persécuté ses prophètes (I Thessal. II, 15;), saint Paul ajoute : leur fin sera conforme à leurs oeuvres. (Il Cor. XI, 15.) Remarquez-vous que ceux qui souffrent persécution reçoivent le royaume des cieux, tandis que les persécuteurs 'ne recueillent que la colère céleste ? Et ce n'est pas sans motif que je me suis exprimé de la sorte, car je veux que nous ne nous irritions pas contre nos ennemis, mais qu'au contraire nous ayons pitié d'eux, pleurant et gémissant sur leur sort; puisque ce sont eux qui endurent le véritable mal par les châtiments qu'ils se préparent. Si nous disposons nos âmes par de telles réflexions, nous pourrons prier pour eux. Voilà en effet le quatrième jour que je vous exhorte à prier pour vos ennemis, afin que mes avis aussi fréquemment répétés se gravent plus profondément en vous. Si dans mes discours j'insiste autant, c'est pour détruire l'enflure de la colère et en calmer l'ardeur, afin qu'en (193) venant prier vous n'en conserviez plus rien. Le Christ nous a pressés à cet égard, non-seulement en faveur de nos ennemis, mais surtout dans notre intérêt, à nous qui leur pardonnons, car nous recevons plus que nous ne donnons quand nous faisons à notre ennemi le sacrifice de notre ressentiment. Et comment cela, direz-vous ? C'est qu'en pardonnant à -votre ennemi, vous obtenez la rémission de vos fautes envers Dieu, fautes par elles-mêmes irréparables et irrémissibles, tandis que celles de votre ennemi sont pardonnables et faciles à expier. Ecoutez Héli disant à ses fils: Si un homme péché contre un homme, on priera pour lui, mais s'il pêche contre Dieu, qui priera pour lui? (I Rois, II, 15.) En sorte que sa blessure ne saurait être facilement guérie par la prière : ce que la prière seule ne pourrait faire, le pardon des fautes du prochain l'opère. C'est pourquoi Notre-Seigneur a comparé les péchés contre Dieu à dix mille talents, et à cent deniers seulement les fautes contre le prochain. (Matth. XVIII, 23 et suiv.) Remettez donc cent deniers, afin qu'on vous remette à vous-même dix mille talents.

2. En voilà bien assez sur la prière pour nos ennemis, revenons, si vous le voulez bien, à la trahison et voyons comment Notre-Seigneur a été livré. Alors s'en alla l'un des douze appelé Judas Iscariote, vers les princes des prêtres et il leur dit: que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? (Matth. XXVI, 14, 15.) Il semble d'abord que ces paroles sont claires et qu'elles ne renferment aucun sens caché. Mais si l'on examine attentivement chacune d'elles, elles offrent un vaste sujet de réflexions et un sens profond. Et d'abord, remarquons le temps. L'Evangéliste ne se contente pas de l'indiquer simplement, car il ne dit pas seulement: il s'en alla, mais il a ajouté : alors il s'en alla. — Alors ? Pourquoi, je vous le demande, dans quel but indique-t-il le temps ? Que veut-il m'apprendre? Ce n'est point par hasard qu'il a prononcé cet alors, car inspiré par l'Esprit-Saint, il n'a parlé ni au hasard, ni en vain. Que signifie donc cet alors ? Avant ce temps, avant cette heure une femme de mauvaise vie s'approcha portant un vase de parfums qu'elle versa sur la tête du Seigneur. Elle montra un grand empressement, une grande foi, une grande obéissance, une grande piété ; elle changea sa première vie, et devint meilleure et plus sage. Et quand cette femme eût fait pénitence, quand elle eut attiré à elle le Seigneur, alors son disciple le livra. Et voilà pourquoi il est dit: alors: afin que vous n'accusiez pas votre Maître de faiblesse en le voyant livré par son disciple. Car telle était encore sa puissance qu'il attirait à lui les femmes de mauvaise vie, pour s'en faire obéir. Mais quoi, direz-vous, celui qui attirait les pécheresses publiques ne put attirer son disciple? — Il pouvait sans doute l'entraîner, mais il ne voulut pas le rendre bon par nécessité ni se l'attacher de force. Alors, s'en allant... Ce mot s'en allant, nous offre encore matière à réflexions. — En effet, il ne fut point appelé par les princes des prêtres, il ne céda ni à la nécessité ni à la violence, mais ce fut de lui-même, de son propre mouvement qu'il fit le mal et prit une détermination qui n'était inspirée que par sa malice.

Alors s'en allant, un des douze..... qu'est-ce, un des douze?... C'est en effet une circonstance bien accablante pour lui d'être appelé un des douze. Il y avait soixante-douze autres disciples de Jésus, mais ils n'avaient qu'un rang secondaire, ils ne jouissaient pas d'un honneur aussi grand, ni d'une confiance aussi étendue, ils n'étaient pas initiés dans les secrets du Maître aussi intimement que les douze. Ceux-ci étaient éprouvés par-dessus tout, ils formaient le cortége royal, le conseil du souverain., C'est d'eux que se sépara Judas. Afin donc que nous sachions que ce ne fut pas seulement un simple disciple qui le trahit, mais un de ceux qui étaient le plus à l'épreuve, on l'appelle : un des douze. Et celui qui a écrit ces choses, saint Matthieu n'en rougit pas. Pourquoi n'a-t-il pas honte? — Il faut que nous sachions que les apôtres disent toujours toute la vérité et qu'ils ne dissimulent pas même ce qui est à leur déshonneur. Ce qui semble ignominieux en effet , montre la bonté du Seigneur qui a daigné combler de si grands biens et supporter jusqu'à la dernière heure, un traître, un voleur et un larron. Il l'avertissait, il l'exhortait, il le comblait d'égards. S'il fut insensible à tout cela, la faute n'en est pas au Seigneur témoin la femme pécheresse qui rentra en elle-même et fut sauvée. Ne désespérez donc point en voyant cette femme, mais aussi, que l'exemple de Judas vous rende défiants envers -vous-mêmes: la présomption et le désespoir sont également funestes. La présomption renverse celui qui est debout, le désespoir cloue à terre (194) celui qui est tombé. C'est pourquoi saint Paul faisait entendre cet avertissement : Que celui qui paraît être ferme prenne bien garde de ne pas tomber. (I Cor. X, 12.) Les exemples sont là pour vous apprendre comment le disciple est tombé, alors qu'il paraissait solidement fixé, et comment la pécheresse s'est relevée de son abjection. Notre esprit est versatile, notre volonté chancelante, c'est pourquoi nous avons besoin de nous garder et de nous fortifier de toutes parts. Alors s'en allant, un des douze; Judas Iscariote. Vous avez vu quel poste d'honneur il a quitté, quelle doctrine il a méprisée, combien sont mauvaises la paresse et la négligence. Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi me rappeler sa patrie? Plût à Dieu que je ne connusse pas même son nom ! Judas, qui était appelé Iscariote. Pourquoi nommer sa cité ? Il y avait parmi les disciples un autre Judas, surnommé le zélé, et dans la crainte que la similitude des noms ne fit prendre l'un pour l'autre, l'Evangéliste les à distingués en appelant l'un le zélé, à cause de sa vertu; mais il a évité dans le surnom de l'autre, de faire allusion à sa perversité; c'est pourquoi il n'a pas dit : Judas le traître. Et cependant rien de plus naturel qu'après avoir désigné l'un par sa vertu, on désignât l'autre par sa malice en disant: Judas le traître. Mais il fallait nous apprendre à nous-mêmes à ne pas souiller notre langue par une accusation et voilà pourquoi le traître a été épargné. S'en allant vers les princes des prêtres, Judas Iscariote leur dit Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? O parole criminelle ! Comment est-elle sortie de sa bouche ? Comment a-t-elle fait mouvoir sa langue? Comment n'a-t-elle pas glacé le corps tout entier? Comment l'âme ne s'est-elle pas retirée?

3. Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Sont-ce là, dis-moi, les enseignements du Christ? Ne voulait-il pas au contraire étouffer dans sa racine cette avarice qui te rongeait quand il disait : Ne possédez ni or, ni argent, ni pièce de monnaie dans vos ceintures? (Matth. X, 9.) N'est-ce pas là ce qu'il répétait à chaque instant, ajoutant encore : Si quelqu'un vous frappe sur la joue droite, présentez-lui la gauche. (Matth. V, 39.) Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? O folie ! quel motif, je te le demande, quelle accusation petite ou grande as-tu à faire valoir pour livrer ton Maître? Est-ce parce qu'il t'a donné pouvoir contre les démons? Est-ce parce qu'il t'a fait chasser les maladies ou guérir la lèpre, ressusciter les morts, triompher de la tyrannie de la mort? Voilà comment tu témoignes ta reconnaissance pour tant de bienfaits! Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? O folie ! encore une fois. Ou plutôt, ô avarice ! car c'est elle qui a produit tous ces maux, qui t'a poussé à livrer ton maître. Telles sont en effet les conséquences de ce mal funeste : plus que le démon il rend insensées les âmes qu'il envahit, il engendre l'ignorance la plus complète ; on ne connaît plus rien, ni soi-même, ni le prochain, ni les lois de la nature; on ne se possède plus, on devient fou. Voyez un peu ce qu'elle a fait oublier à Judas: la société, l'intimité, la compagnie de la table, les miracles, la science, les exhortations, les avertissements ; l'avarice lui a fait oublier tout cela. Oh ! que saint Paul avait bien raison de s'écrier : L'avarice est la source de tous les maux. (I Timoth. VI, 10.) Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? Parole insensée ! Peux-tu livrer, je te le demande, celui qui renferme tout, qui commande aux démons et à la mer et qui est le maître de toute la nature? Aussi, pour mettre un frein à une pareille arrogance et montrer que s'il ne l'eût pas voulu, jamais il n'aurait été livré, que fait-il? — A l'instant même où on le livrait, alors que ses ennemis l'entouraient avec des bâtons, des lanternes et des torches allumées, il leur dit : Qui cherchez-vous ? (Jean. XVIII, 4), et ils ne connaissent plus celui qu'ils sont venus prendre. Judas lui-même était si peu capable de le livrer qu'il ne le reconnaissait pas même devant lui, malgré l'éclat des torches et des flambeaux. C'est ce que veut nous faire comprendre l'Evangéliste quand il dit : Ils avaient des lanternes et des flambeaux, et ils ne le voyaient pas.

Tous les jours le Christ l'avertissait, lui montrant soit par ses oeuvres, soit par ses paroles qu'il ne pouvait lui cacher son dessein de le trahir. Il ne le reprenait pas publiquement, en présence de tous, dans la crainte de le rendre plus impudent, mais il ne gardait pas un silence absolu de peur que la pensée de n'être pas découvert ne lui fît accomplir son crime en toute sécurité. Il disait donc sou. vent : Un de vous me livrera, mais sans indiquer ouvertement de qui il s'agissait. Il parlait souvent du ciel et de l'enfer et il manifestait ainsi sa puissance par la manière dont les (195) pécheurs étaient punis et les justes récompensés. Mais Judas fut sourd à ces avertissements et Dieu ne l'attira point par force. Comme il nous a laissé le choix des bonnes et des mauvaises actions, il veut que nous soyons bons librement. Si nous nous y refusons, il ne nous force pas, il ne nous fait pas violence, car être bon par nécessité ce n'est plus être bon.

Judas était donc le maître de sa résolution et il pouvait lui aussi résister à l'avarice et ne ,pas se laisser entraîner par elle ; mais parce que son esprit était aveuglé il trahit son Sauveur et il dit : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai. Pour mieux nous convaincre de l'aveuglement d'esprit, de la folie de Judas, l'Evangéliste nous le montre présent au moment même où on vient saisir son Maître, lui qui avait dit : Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai? Et pour mieux faire éclater la puissance du Sauveur, Judas ne le voit pas. Mais ce n'est pas tout; à la voix de Jésus tous les satellites reculent et sont renversés par terre; seulement, comme rien ne pouvait les faire renoncer à leur projet impudent, il se livra à eux, comme s'il eût dit: J'ai fait tout ce qui dépendait de moi, j'ai manifesté ma puissance, j'ai montré que vous tentiez des choses impossibles. Je voulais réprimer votre malice, mais puisque vous n'avez pas voulu m'entendre et que vous persévérez dans votre folie, je me livre moi-même.

Je suis entré dans tous ces détails de peur que quelques-uns n'accusassent le Christ de n'avoir pas changé Judas, de ne l'avoir pas arrêté dans ses desseins. — Mais comment l'arrêter?-En lui faisant violence ou en changeant sa volonté ? Dans le premier cas, il n'aurait pas mieux valu, car la nécessité ne rend pas meilleur: d'autre part, rien de ce qui pouvait changer son esprit et arrêter ses mauvais desseins n'avait été négligé. S'il ne voulut pas recevoir le remède ce ne fut pas la faute du médecin, mais de celui qui refusa sa guérison. Voyons un peu ce que tenta le Seigneur pour le ramener à une vie meilleure et au salut. Par ses paroles et par ses oeuvres il lui apprit toute science, il lui donna le pouvoir sur les démons et la faculté d'opérer bon nombre de miracles; il l'effraya par la menace de l'enfer, l'exhorta par la promesse du ciel ; il lui reprocha assidûment ses desseins secrets, tout en évitant de les rendre publics : il lui lava les pieds comme aux autres apôtres; il le fit asseoir à sa table, partager sa nourriture, il ne négligea aucune circonstance, petite ou grande, et malgré tout le malheureux persévéra volontairement dans le mal. Et afin que vous soyez bien convaincus qu'il aurait encore pu changer, mais qu'il ne le voulut pas et que sa lâcheté fut seule la cause de son malheur, écoutez : Après qu'il l'eût livré il jeta les trente pièces d'argent et il dit : J'ai péché en livrant le sang du Juste. (Matth. XXVIII, 4.) Qu'est-ce que cela signifie ? Lorsque tu voyais opérer des miracles tu ne disais pas: J'ai péché en livrant le sang du Juste, mais bien: Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Mais quand le mal est arrivé à son comble, quand la trahison a été accomplie et que la faute a été consommée, alors tu as reconnu ton crime. Quel enseignement trouvons-nous là? — Tant que nous restons dans l'engourdissement et la lâcheté, les avertissements sont inutiles; mais avec de l'application et des soins, nous pouvons nous élever au-dessus de nous-mêmes. Voyez Judas : son Maître l'avertit, et il est sourd à sa voix; ensuite personne ne l'exhorte, et sa propre conscience est ébranlée; et sans que personne l'instruise il se transforme, il condamne son crime, il jette les trente pièces d'argent. Que voulez-vous me donner et je vous le livrerai ? Et ils s'engagèrent ci lui donner trente pièces d'argent. Ils fixèrent le prix d'un sang qui n'a pas de prix. Pourquoi reçois-tu trente pièces d'argent, ô Judas ? Jésus-Christ est venu répandre gratuitement son sang pour le monde et tu fais de ce sang l'objet d'une convention et d'un pacte infâme! Quoi de plus indigne qu'un tel marché !

4. Alors s'approchèrent les disciples. — Alors: Quand ? Tandis que ces choses se préparaient, qu'on réglait les conditions de la trahison, que Judas se perdait, les disciples de Jésus s'approchèrent de lui en disant : Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? (Matth. XXVI,17 et 14.) Avez-vous remarqué un disciple ? Voyez-vous les autres disciples ? Celui-là livre le Seigneur, ceux-ci s'occupent de la pâque. Le premier fait un marché, les autres se disposent à servir. Tous avaient vu briller les mêmes miracles, reçu le même enseignement et la même puissance. D'où vient cette différence ? — De leur volonté. Telle est partout la cause de tout bien et de tout mal. Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque? C'était le soir, à pareil jour, (196) et parce que le Seigneur n'avait pas de maison, ils lui disent: Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? Nous n'avons rien de fixe, ni hôtellerie, ni habitation, ni maison. Quelle leçon pour ceux qui construisent des maisons splendides, de vastes portiques, de larges cours ! Le Christ n'eut pas où reposer sa tête. (Matth. VIII, 20.) C'est pourquoi ses disciples lui demandent : Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque? Quelle pâque? Ce n'était point encore la nôtre, mais celle des Juifs qui ne devait durer qu'un temps. Celle-ci fut préparée par les disciples, Jésus-Christ lui-même fit les préparatifs de la nôtre. Il ne se contenta pas de la préparer, il fut lui-même notre pâque. Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque ? C'était la pâque des Juifs, cette pâque qui avait été instituée en Egypte. — Pourquoi le Christ la mangea-t-il? Parce qu'il accomplit toutes les prescriptions de la loi. C'est ainsi qu'à son baptême il disait: Il convient que nous accomplissions ainsi toute justice. (Matth. III, 15.) Je suis venu racheter l'homme de la malédiction de la loi, car Dieu a envoyé son propre Fils, formé d'une femme et assujetti fi la loi, pour racheter ceux qui étaient sous la loi et abroger la loi. (Gal. IV, 4, 5.) Afin donc qu'on ne l'accusât pas d'avoir aboli la loi, faute de pouvoir l'accomplir parce qu'elle était pénible, difficile et intolérable, il commença par en observer tous les points, puis il la détruisit. Il fit donc la pâque, parce que la pâque était une prescription de la loi. Pourquoi la loi ordonnait-elle de manger la pâque? Les Juifs étaient ingrats et aussitôt qu'ils avaient été comblés de bienfaits ils oubliaient la loi divine. Ainsi, ils étaient à peine sortis d'Egypte, ils venaient de voir la mer se séparer devant eux et se réunir ensuite, sans compter une foule d'autres miracles, et ils disaient déjà : Faisons-nous des dieux qui nous précèdent. (Exod. XXXII, 1.) Que dites-vous ? Les miracles sont encore dans vos mains et voilà que vous oubliez votre bienfaiteur? Parce qu'ils étaient insensés et ingrats à ce point, Dieu établit les fêtes, comme des monuments destinés à rappeler ses dons et alors il ordonna d'immoler la pâque, afin, dit-il aux Juifs, que si vos fils vous demandent ce que signifie cette pâque, vous leur disiez : Autrefois nos pères en Egypte ont marqué leurs portes du sang d'un agneau, afin qu'en le voyant l'ange exterminateur passât sans oser les frapper ni leur infliger de plaie. (Exod. XII, 27.) Et dès lors cette fête fut un témoignage perpétuel de leur salut. Elle n'avait pas seulement l'avantage de rappeler le souvenir des bienfaits passés, elle en offrait un autre bien plus grand qui était de figurer l'avenir. Cet agneau en effet était la figure d'un autre agneau spirituel qu'il montrait d'avance. D'abord ce n'était que l'ombre, puis vint la réalité. Mais quand le Soleil de justice eût apparu, l'ombre cessa, comme le soleil à son aurore chasse les ténèbres. C'est pourquoi sur la même table sont célébrées les deux pâques, celle de la figure et celle de la vérité. De même que les peintres sur une même toile commencent par esquisser les figures et par marquer les ombres avant d'appliquer les couleurs qui donnent la vérité et la vie, ainsi fit le Christ. Sur la même table il représenta la pâque figurative et il célébra la nouvelle : Où voulez-vous que nous préparions ce qu'il faut pour manger la pâque. Jusque-là c'était la pâque des Juifs, mais voici le Soleil, que la lampe s'éteigne ! Voici la vérité, que les ombres disparaissent !

5. Disons quelques mots des Juifs qui prétendent célébrer la pâque, de ces coeurs incirconcis qui, dans un dessein pervers, nous objectent les pains azymes. Comment, je vous le demande, pouvez-vous célébrer la pâque, ô Juifs? Votre temple a été renversé, votre autel détruit, le saint des saints foulé aux pieds, toute espèce de sacrifice aboli, et vous osez commettre de pareilles illégalités? Vous avez été autrefois à Babylone, et ceux qui vous avaient emmenés en captivité vous disaient : Chantez-nous des cantiques de Sion (Ps. 136, V, 3), et vous refusiez. C'est l'auteur des psaumes qui nous l'apprend en ces termes : Nous nous sommes assis sur les bords des fleuves de Babylone et nous avons pleuré. Aux saules qui sont au milieu de cette contrée nous avons suspendu nos instruments de musique (Ps.136, V, 1, 2.), c'est-à-dire notre harpe, notre cythare, notre lyre et le reste : car on se servait autrefois d6 ces instruments pour s'accompagner en chantant les psaumes. Emmenés en captivité, ils les avaient portés avec eux, en souvenir des habitudes de leur patrie, mais non dans l'intention d'en user. Alors, dit le psalmiste, ceux qui nous avaient emmenés captifs nous demandaient de chanter des cantiques, — et nous avons répondu : (197) comment chanterons-nous un cantique du Seigneur dans une terre étrangère ? Que dites vous? Vous ne chantez pas les cantiques du Seigneur sur une terre étrangère et vous célébrez la pâque du Seigneur sur une terre étrangère? Quelle ingratitude ! quelle injustice ! Alors que leurs ennemis voulaient les forcer, ils n'osaient pas même chanter un psaume sur une terre étrangère, et maintenant qu'ils sont libres, sans que personne les contraigne ou leur fasse violence, ils se tournent contre Dieu. Comprenez-vous combien sont impurs les azymes? combien illégitime cette tête? comment enfin il n'y a réellement plus de pâque judaïque? Autrefois , il y avait la pâque des Juifs, mais elle a été détruite, et remplacée par la Pâque spirituelle que Notre-Seigneur a établie. Car, pendant qu'ils mangeaient et buvaient, Jésus prit le pain, le rompit et dit : Ceci est mon corps qui est rompu pour vous, pour la rémission des péchés. (Matth. XXVI, 26, 27, 28.) Ceux qui sont initiés savent ce que ces paroles signifient. — Et prenant ensuite le calice, il dit : Ceci est mon sang qui est répandu pour plusieurs pour la rémission des péchés. (Ibid.) Judas était présent quand Jésus parlait de la sorte. C'est ce même corps que tu as vendu, ô Judas, pour trente pièces d'argent; c'est ce sang au sujet duquel tu viens de faire un marché infâme avec les perfides pharisiens. O bonté du Christ ! ô démence, ô folie de Judas ! Tu as vendu tory Maître pour trente deniers, et Lui a consenti, (car tel était son bon plaisir) à livrer ce sang pour la rémission de nos péchés. Judas était présent, il participait à la table sainte. Après lui avoir lavé les pieds comme aux autres disciples, le Sauveur voulut encore l'admettre au banquet divin, afin qu'il n'eût aucun motif d'excuse, s'il persévérait dans sa malice. Le Seigneur avait produit et employé tous les moyens en son pouvoir; malgré tout Judas fut inébranlable dans son dessein pervers.

6. Mais il est temps enfin de s'approcher de cette table terrible. Approchons-nous donc tous avec le calme et la vigilance convenables Qu'on ne voie plus de Judas, plus d'esprits pervers, d'âme empoisonnée affichant des sentiments qu'elle n'a pas. Le Christ est là : c'est lui qui a préparé cette table, c'est lui qu'on y reçoit. Ce n'est pas un homme qui fait que ce qui nous est offert soit véritablement. le corps et le sang de Jésus-Christ, mais c'est ce même Christ qui a été crucifié pour nous. Le prêtre, à l'autel, lorsqu'il prononce les paroles n'est que la figure de Jésus-Christ; la vertu et la grâce viennent de Dieu qui agit quand le prêtre dit: Ceci est mon corps. Ces mots transforment ce qui est offert. Et, de même que cette parole : Croissez et multipliez-vous et remplissez la terre (Gen.I, 28), quoique n'ayant été prononcée qu'une fois, donne à jamais à notre nature la force de se reproduire, ainsi cette autre parole dite une seule fois opère à chaque autel et dans toutes les ég lise s du monde, depuis la première Pâque jusqu'à ce jour, et opérera jusqu'au dernier avènement le sacrifice parfait. Arrière donc les hypocrites, arrière les coeurs pleins de malice, les âmes empoisonnées, car en s'approchant, ils trouveraient leur condamnation. Ce fut en effet après la réception des saints mystères que le démon se précipita sur Judas, non par mépris pour le corps du Seigneur, mais pour Judas, à cause de son impudence, afin de nous apprendre que ceux-là surtout qui participent indignement aux divins mystères sont souvent assaillis et envahis par le diable , comme il arriva à Judas. C'est que les honneurs profitent à ceux qui en sont dignes, tandis qu'ils tournent à la perte de ceux qui en jouissent indignement. En vous parlant ainsi je ne veux point vous effrayer, mais seulement vous rendre plus vigilants. Qu'il n'y ait donc parmi vous ni Judas, ni coeur empoisonné par la malice. Le saint sacrifice est une nourriture spirituelle, et de même que la nourriture corporelle reçue dans un estomac rempli d'humeurs malsaines augmente la maladie, non de sa nature, mais à cause de la mauvaise disposition de l'estomac; ainsi en est-il pour les mystères spirituels : reçus par une âme pleine de malice, ils la corrompent et l'affaiblissent davantage, non par leur nature, mais par l'effet de la maladie de l'âme.

Que personne ne conserve donc de pensées mauvaises à l'intérieur, mais purifions nos âmes. Nous nous approchons du sacrifice sans tache, rendons notre âme sainte; nous pouvons y parvenir, même dans un seul jour. Comment? par quel moyen? — Si vous avez quelque chose contre votre ennemi, chassez la colère, guérissez cette plaie, faites cesser toute inimitié , afin de recevoir la guérison à la table sainte, en participant au sacrifice terrible et saint. Respectez la matière de cette (198) oblation : c'est le Christ mis à mort qui est présent. Mais à cause de qui et pourquoi a-t-il été tué? C'était pour apporter la paix au ciel et à la terre, pour nous rendre les amis des anges, pour nous réconcilier avec le Maître de toutes les créatures; c'était pour nous rendre ses amis, nous, ses adversaires et ses ennemis. Il a donné sa vie pour ceux qui le haïssaient et vous conserveriez de l'inimitié contre votre frère ! Et comment pourriez-vous ensuite vous asseoir à la table de la paix? Il n'a pas reculé devant la mort à cause de vous, et vous refusez de déposer pour lui la colère que vous avez contre votre semblable? Y a-t-il un pardon pour une pareille conduite? Il m'a fait du tort, direz-vous , il m'a blessé profondément. Et qu'est-ce que cela. Ce n'est qu'une perte d'argent : car il ne vous a pas encore offensé comme le Christ l'a été par Judas : ce qui n'a pas empêché ce divin Sauveur de verser son sang pour le salut de ceux-là mêmes qui le répandaient. Que pourrez-vous m'objecter de semblable? Si vous ne pardonnez pas à votre ennemi, ce n'est pas lui que vous blessez, mais vous-même. Vous l'avez blessé souvent dans cette vie, mais vous vous êtes rendu indigne de pardon pour le jour du jugement futur. Dieu ne hait rien tant que l'homme qui conserve du ressentiment, que le coeur gonflé ou l'âme enflammée par la colère. Ecoutez donc ce qu'il dit : Lorsque vous offrez votre présent à l'autel, si vous vous souvenez en ce moment que votre frère a quelque chose contre vous, laissez votre offrande à l'autel et allez vous réconcilier avec votre frère, après quoi vous viendrez offrir votre présent. (Matth. V, 23, 24.) Qu'hésitez-vous à pardonner, puisque ce sacrifice a été institué pour la paix avec votre frère? Si donc le but de ce sacrifice est de vous conserver en paix avec votre frère et que vous ne vouliez pas de cette paix, vous participez en vain au sacrifice, votre action est rendue inutile. Commencez donc par accomplir ce pourquoi le sacrifice a été offert et alors vous en recueillerez abondamment les fruits. Le Fils de Dieu est descendu pour réconcilier notre nature avec son Seigneur, et de plus, pour nous faire participer à son nom si nous voulions imiter son action. Ecoutez : Bienheureux les pacifiques, parce qu'ils seront appelés enfants de Dieu. (Matth. V, 9.) Ce qu'a fait le Fils unique de Dieu, faites-le selon votre pouvoir, afin de vous concilier la paix à vous-mêmes en même temps qu'aux autres. C'est pour cela que vous êtes appelés pacifiques, enfants de Dieu, c'est pour cela qu'au temps du sacrifice on ne vous rappelle aucun autre précepte que celui de la réconciliation avec votre frère, pour vous faire comprendre que c'est le plus grand de tous. Je désirerais m'étendre davantage, mais en voilà bien assez pour ceux qui sont attentifs, s'ils veulent s'en souvenir. C'est pourquoi; mes bien-aimés, rappelons-nous toujours ces paroles, et ces saints baisers de paix et cette communion terrible. Rien. n'est plus propre à unir nos âmes et à faire de nous tous un seul corps que cette participation au corps de notre Sauveur. Confondons-nous donc tous en un seul et même corps, non dans une union charnelle, mais par le lien mutuel de la charité qui réunira nos âmes. Ce sera le moyen de recueillir avec confiance le fruit de ce banquet. Quand même nous aurions pratiqué à l'infini des oeuvres de justice, si nous conservons le souvenir des injures, tout cela s'évanouit et ne nous sert de rien; nous n'en pourrons retirer aucun profit pour le salut.

Après ces enseignements , laissons toute colère, et la conscience purifiée, approchons-nous avec toute la douceur et la modestie possibles de la table du Christ, à qui gloire, honneur, empire, avec le Père et le Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il !

 

Traduit par M. l'abbé GAGEY, curé de Millery.

 

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