MARTYRS II

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HOMÉLIE SUR LES MARTYRS.

 

ANALYSE.

 

Faute d'endroit plus convenable et mieux déterminé, nous plaçons cette homélie, extrêmement courte, à la suite de celle qui a pour titre : Il ne faut pas parler en vue de plaire, c'est-à-dire à la même place que dans l'édition de Fronton du Duc. Certains savants pensent, à cause de sa brièveté et de la manière dont elle débute. qu'elle est tronquée au commencement. Cependant quant à la brièveté, nous ne pouvons rien en conclure, puisqu'on pourrait citer d'autres panégyriques des saints encore plus courts que celui-ci, et qui sont pourtant complets sous tous les rapports. La manière de débuter ne nous parait pas prouver non plus qu'il manque quelque chose au commencement. Ce qui est clair, c'est que cette homélie fut prononcée dans la campagne d'Antioche, où les habitants de la ville se rendaient en grand nombre ; mais après avoir honoré les martyrs et entendu les sermons, ils s'arrêtaient dans le pays pour boire et manger avec excès. Le saint docteur leur en fait de vifs reproches : Réfléchissez, leur dit-il, quelle dérision c'est, qu'un homme ou une femme, après une réunion comme celle-ci, après des veilles, après l'audition des saintes Ecritures et la participation aux divins mystères, après ces cérémonies toutes spirituelles, passe la journée dans une taverne.

1° De la vraie manière d'honorer les martyrs. — Leurs fêtes sont l'école des vertus. — 2° saint Chrysostome détourne ses auditeurs de la fréquentation des tavernes. — Les reliques des martyrs sont fécondes en bénédictions; mais il ne faut pas en détruire l'effet en nous livrant ensuite aux excès du boire et du manger.

 

1 . Les fêtes des martyrs ne consistent pas seulement dans certains jours ramenés à époques fixes, mais encore dans les dispositions de ceux qui les célèbrent. Par exemple avez-vous imité un martyr? avez-vous tâché d'être vertueux comme lui? avez-vous couru sur les traces de sa sagesse? alors, même sans que ce fût le jour de sa fête, vous avez célébré la fête de ce martyr. Car ce qui honore le martyr, c'est d'imiter le martyr. Et de même que les gens adonnés au vice ne sont pas en fête même les jours de fête, ainsi les hommes vertueux, même sans qu'il y ait aucune solennité, célèbrent une fête; car la fête consiste dans la pureté de la conscience. C'est ce qu'enseigne saint Paul lorsqu'il dit : Ainsi, célébrons nos fêtes non pas avec l'antique levain du vice et de la perversité, mais avec les pains sans levain de la pureté et de la vérité. (I Cor. V, 8.) S'il y a des pains sans levain chez les Juifs, il y en a aussi parmi nous : seulement, ce sont chez eux des azymes de farine, et chez nous, c'est la pureté de la vie, c'est une conduite exempte de tout mal. De sorte que celui qui préserve sa vie de tache et de souillure, celui-là est en fête tous les jours, c'est pour lui une solennité continuelle, même les jours où il n'y en a aucune, et sans qu'il soit dans l'enceinte consacrée aux martyrs; il est en fête même lorsqu'il est assis dans sa maison. Oui, il est possible de célébrer la fête des martyrs en son particulier. Non pas que je veuille vous détourner de venir visiter leurs tombeaux, mais c'est pour qu'en les visitant vous y apportiez le zèle convenable, et pour que vous montriez autant de piété en dehors des jours qui leur sont réservés qu'à ces époques elles-mêmes. Qui ne serait ravi en effet de voir notre réunion d'aujourd'hui, ce brillant appareil, cette charité ardente, ces coeurs enflammés, cet amour qui ne connaît point d'entraves? Avec quel ensemble d'élan presque toute la ville est ici accourue ! Le serviteur n'a pu être arrêté par la crainte d'un maître, ni le pauvre par les nécessités de son indigence, ni le vieillard parla faiblesse de son âge, ni la femme par la délicatesse de son sexe, ni le riche par l'enivrement de son opulence, ni le magistrat par le délire de son autorité : non, votre amour pour les martyrs a (404) effacé toutes ces inégalités, et les faiblesses de la nature et les besoins de l'indigence; et avec une seule chaîne il a entraîné ici toute cette multitude; il lui a donné comme des ailes, de sorte qu'en ce moment, elle est transportée dans le ciel où elle reconnaît sa patrie; car vous avez foulé aux pieds tout penchant au dérèglement et à la luxure, et vous brûlez d'une sainte ardeur pour les martyrs. De même qu'au lever du soleil les bêtes féroces s'enfuient et se cachent dans leurs tanières ; ainsi la splendeur des martyrs illuminant vos âmes, toutes les infirmités vont s'ensevelir dans l'ombre, et la divine sagesse allume sa flamme éblouissante. Mais que cette flamme ne nous éclaire pas seulement en ce moment, conservons-la toujours, même quand aura pris fin cette pompe spirituelle ; retournez chez vous avec la même piété, et n'allez pas dans les tavernes, dans les lieux de débauche, vous abandonner à l'ivresse et aux orgies. Par vos saintes veilles, vous avez fait de la nuit le jour n'allez pas faire du jour la nuit par l'ivrognerie, le désordre et les chansons obscènes. Vous avez honoré les martyrs par votre présence, par vos oreilles attentives, par votre zèle ; honorez-les aussi par votre retraite bienséante; que personne, vous voyant dans quelque taverne oublier la décence, ne puisse dire que vous êtes venus ici non pas pour les martyrs, mais pour fortifier encore vos passions, et satisfaire vos désirs coupables. Et si je vous parle ainsi, c'est pour vous empêcher, non pas de faire bonne chère, mais de pécher, non pas de boire, mais de vous enivrer. Car le vin n'est pas en lui-même une mauvaise chose; c'est l'excès qui est coupable; le vin est un présent de Dieu, mais l'intempérance est une invention du démon. Servez donc le Seigneur avec crainte, et réjouissez-vous en lui avec tremblement. (Ps. II, 11.)

2. Voulez-vous faire bonne chère? Que ce soit dans votre maison; là, quand même l'ivresse surviendrait, il y aurait plusieurs personnes pour cacher votre état ; que ce ne soit pas dans une taverne, de peur que vous ne deveniez le spectacle de tous ceux qui s'y trouvent, et le scandale des autres. Non pas que je vous engage à vous enivrer chez vous ; mais je veux vous empêcher d'aller dans les tavernes. Réfléchissez quelle dérision c'est, qu'un homme ou une femme, après une réunion comme celle-ci, après des veilles, après l'audition des saintes Ecritures et la participation aux divins mystères, après ces cérémonies toutes spirituelles, passe la journée dans une taverne. Ne savez-vous pas quel châtiment est .réservé aux gens qui s'enivrent? 1Is sont exclus du royaume de Dieu, déshérités des biens mystérieux, et précipités dans le feu éternel. Qui nous l'apprend? C'est le bienheureux Paul : Ni les avares, dit-il, ni les ivrognes, ni les médisants, ni les ravisseurs n'hériteront du royaume de Dieu. (I Cor. VI, 10.) Ainsi, quoi de plus malheureux que l'ivrogne, puisque, pour un plaisir si court, il perd la jouissance si précieuse du ciel? Et même, l'homme qui s'enivre ne peut goûter aucun plaisir; car le plaisir consiste dans la modération; quand l'usage devient immodéré, on ne sent plus rien. Or l'homme qui ne sent pas où il est assis ou étendu, comment sentirait-il le plaisir de la boisson ? Celui qui ne peut voir le soleil lui-même par suite de l'épais nuage que l'ivresse met sur ses yeux, comment goûterait-il la joie? Les ténèbres où il se trouve sont telles que les rayons du soleil ne lui suffisent pas pour les dissiper. Oui, mes très-chers auditeurs, l'ivresse est toujours un mal, mais surtout le jour de la fêle des martyrs. Car outre le péché, il y a un fort grand outrage et une extrême folie, et un insigne mépris de la parole divine ; nous méritons donc alors un double châtiment. Si donc vous devez, après avoir visité les martyrs, vous enivrer une fois partis d'ici, il vaut mieux rester chez vous que de manquer aux convenances, de déshonorer la fête des martyrs, scanda lise r le prochain, donner l'assaut à son âme, et accumuler Méché sur péché. Si vous êtes venus voir des victimes déchirées par les supplices, toutes ruisselantes de sang, parées de leurs nombreuses blessures, dépouillant leur existence mortelle, et s'élançant à la vie future, soyez dignes alors de ces athlètes. Ils ont méprisé l'existence, méprisez en donc les délices; ils ont dépouillé la vie présente, dépouillez donc votre passion pour l'ivresse.

Mais voulez-vous enfin nager dans les délices ? Eh bien ! restez auprès de la tombe du martyr, répandez-y des flots de larmes, brisez votre coeur, emportez de ce tombeau des bénédictions, et les appelant à votre secours dans vos prières, méditez continuellement le récit des épreuves qu'il a subies; embrassez cette châsse, attachez-vous à ces reliques; ce ne sont pas seulement les os des martyrs, mais encore (405) leurs tombeaux et leurs châsses qui sont riches en bénédictions. Prenez l'huile sainte et oignez-vous-en tout le corps, la langue, les lèvres, le cou, les yeux, et jamais vous ne succomberez au naufrage de l'ivresse. Car l'huile par sa bonne odeur vous rappelle les luttes des martyrs, elle réprime tout dérèglement, elle vous maintient dans une grande fermeté et triomphe des malades de l'âme. Serait-ce que vous voulez passer votre temps dans des jardins, des parcs ou des prairies? N'y allez donc pas maintenant qu'il y a tant de monde, mais un autre jour; car aujourd'hui c'est le moment des luttes, aujourd'hui c'est un spectacle d'athlètes et non une représentation de mollesse ou de délassement. Vous. êtes venus ici , non pour vous livrer à la fainéantise, mais pour apprendre à combattre, à soutenir tous les genres d'assaut, et, hommes que vous êtes, à briser la force des esprits invisibles. Car il n'est personne qui, arrivé sur l'arène, se plonge dans les délices, qui, se présentant pour l'instant de la lutte, aille songer à se parer, qui enfin, à l'heure de l'action, demande à se mettre à table. Vous aussi, vous êtes venus voir ce que peuvent la force de l'âme et l'énergie de la volonté, vous assistez à une victoire nouvelle et surprenante, à un combat étrange, à des blessures, à des mêlées, à des rixes où l'homme est le héros ; n'y apportez donc pas les oeuvres du démon en vous livrant, au sortir d'un spectacle si extraordinaire et si terrible, à l'ivresse et aux excès; mais, rassemblant tout le profit que votre âme en a retiré, retournez chez vous et que tous s'aperçoivent en vous voyant que vous venez de visiter les martyrs.

De même en effet que ceux qui reviennent du théâtre portent des signes visibles pour tout le monde, de trouble, de bouleversement, d'amollissement, et l'impression de tout ce qui s'y est passé; ainsi lorsque nous revenons d'une fête de martyrs, il faut que chacun le reconnaisse à notre regard, à notre contenance, à notre démarche, à notre componction, au recueillement de notre âme; on doit nous voir respirant un zèle ardent, modestes, contrits, sobres, vigilants, et révélant par les mouvements de notre corps la sagesse qui est au dedans de nous. Retournons donc à la ville dans ces dispositions, avec la décence voulue, avec une démarche convenable, avec prudence et modestie, avec un regard doux et calme. Car l'habillement d'un homme, sa manière de rire et sa démarche indiquent ce qu'il est, dit l'Ecriture. (Eccl. XIX, 27.) Comportons-nous toujours ainsi à notre retour du tombeau des martyrs, de cette source de parfums spirituels, de ces prairies célestes, de ces spectacles extraordinaires et merveilleux, afin de recueillir pour nous-mêmes une grande bienveillance de la part de Dieu, de devenir pour les autres les médiateurs de leur délivrance, et d'obtenir les récompenses éternelles, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, avec lequel gloire, puissance, et honneur au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. MALVOISIN.

 

 

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