JUDAS III

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HOMÉLIE SUR LA TRAHISON DE JUDAS.

 

AVERTISSEMENT.

 

Ce n'est pas sans un certain scrupule que nous plaçons parmi les discours authentiques de Chrysostome cette homélie que nous publions pour la première fois, d'après un manuscrit du cardinal Ottoboni : en effet, malgré la mention de Daphné, l'un des faubourgs d'Antioche, par laquelle commence le discours, malgré celle d'Apollon Pythien, honoré dans ce faubourg par les païens, et quelques autres traits analogues semblant indiquer que c'est Chrysostome qui parle, il y a aussi beaucoup de caractères qui lui sont étrangers, comme par exemple ces exclamations et ces interrogations perpétuelles, bien plus fréquentes encore que chez Chrysostome (1). — Cependant, comme ce discours ne manque ni de finesse., ni d'invention, et que d'ailleurs, comme on l'a déjà souvent dit, Chrysostome ne se ressemble pas toujours; cette homélie peut ici trouver place. — Nous avons vu qu'il y avait eu un assez grand nombre de discours prononcés hors de la ville et dans les faubourgs d'Antioche, et qu'ils étaient ordinairement plus courts que les autres.

 

Le faubourg de Daphné est maintenant délicieux et aimé de Dieu, non-seulement parce qu'il est arrosé des sources les plus limpides, et que les arbres s'y couvrent du plus charmant feuillage, mais encore parce qu'il s'est enrichi d'un arbre étranger, l'arbre de la, croix ; il renferme à présent une source de vraie sagesse, une source redoutable au démon Pythien. Il ne déroule plus son sol sous les pas des hommes impies, mais il offre à votre foule pieuse un bocage sacré, image de ce lieu chéri, de ce jardin où l'on osa trahir le Sauveur, et où commencèrent à germer les semences de notre salut. Aussi, je ne sais à quel objet m'arrêter pour la solennité présente : la solennité par elle-même excite ma langue à accuser Judas; mais la miséricorde du Sauveur m'en dissuade, et demande à ma bouche des louanges. Je flotte entre deux sentiments divers : la haine du traître et l'amour du Maître; mais l'amour triomphe de la haine, comme étant plus grand et plus puissant. Je laisserai donc le traître et je célébrerai le

 

1. Je prends la liberté d'observer que ces réflexions me paraissent porter à faux, attendu que cette homélie est fort belle, et que les interrogations et exclamations n'y sont nullement déplacées. (Note du traducteur.)

 

bienfaiteur, non pas autant qu'il le mérite, mais autant que j'en suis capable. Comment a-t-il abaissé les cieux et est-il descendu sur la terre? Comment celui qui remplit toute la création est-il venu vers moi, après être né pour moi et à mon image ? Comment a-t-il pris pour disciple celui qu'il savait devoir le trahir, et s'est-il fait suivre de son ennemi comme d'un ami ? Comment ne se préoccupait-il pas de cette trahison, mais s'inquiétait-il du salut de ce traître? Le soir étant venu, dit l'Evangile, Jésus était ci table avec les douze disciples, et tandis que l'on mangeait, il leur dit: En vérité, en vérité, je vous dis que l'un de vous me trahira. (Matth. XXVI, 20, 21.) II prédisait la trahison, afin d'empêcher le crime ; et cette prédiction, par laquelle il ne désignait personne, ne put triompher de l'iniquité du disciple, alors que cette iniquité n'était point connue des convives. Qui a jamais vu bonté semblable à celle que montra alors le divin Maître ? Il est trahi et il aime le traître. Quel est l'homme qui a de la compassion pour celui dont il est méprisé ? l'homme qui reçoit à sa table le vil trafiquant par lequel il a été vendu, l'homme qui épargne celui qui lui a tendu un piège? Et tandis que l'on mangeait, il leur dit : En vérité, en vérité, (450) je vous dis que l'un de vous me trahira. Eu sa qualité d'homme, il mangeait; en sa qualité de Dieu, il révélait l'avenir; il se soumet pour moi aux exigences de ma nature. Tous les disciples furent atterrés de cette parole ; leurs consciences étaient à la torture, et le temps du dîner était pour eux un temps de désolation ; chacun disait : Est-ce que c'est moi, Seigneur? (Ibid. 22.) Ils voulaient, par cette question, provoquer une parole qui tranquillisât leur cruelle inquiétude. Alors le Sauveur, pour guérir l'esprit de ceux qui se tourmentaient sans motifs, dévoila par la réponse suivante l'auteur inconnu de cette trahison : Celui qui a mis avec moi la main dans le plat, c'est celui-là qui me trahira; et quant au Fils de l'homme, il s'en va selon ce qui est écrit de lui. Mais malheur à l'homme par qui le Fils de l'homme est trahi ! ce serait un bien pour cet homme de n'être jamais né. (Ibid. 23, 24.) Il a pitié de celui qui ne veut pas avoir pitié de lui-même, il épargne celui qui n'épargne pas son âme. Il évitait de dévoiler celui qui s'était dévoilé depuis longtemps; il voulait lui donner le temps de se repentir, et calmer le découragement des autres disciples; mais le traître n'en devint nullement meilleur. Il aurait dû, aussitôt après ces effroyables paroles, se lever de table; il aurait dû prier les disciples d'intercéder pour lui, il aurait dû embrasser les genoux du Sauveur, et chercher à l'apaiser par des paroles comme celles-ci : J'ai péché, Maître plein de miséricorde, j'ai péché, j'ai prévariqué, en vendant aux hommes pour un vil prix la perle inestimable; j'ai prévariqué, en sacrifiant pour un peu d'argent le trésor inépuisable. Pardon pour moi, qui ai trafiqué de tes souffrances et de ta mort, pardon pour moi, à qui l'or a enlevé la raison; grâce pour celui que les pharisiens ont indignement trompé ! Il ne dit rien, il ne pensa rien de tout cela, mais il montra l'effronterie de son âme en s'écriant brusquement: Est-ce que c'est moi, Seigneur? O langue impudente ! ô âme intraitable ! Il questionne, comme s'il ignorait ce qu'il médite lui-même; il se figure qu'il a échappé à l'œil qui jamais ne sommeille. Il portait la ruse dans l'âme, et sa langue affichait le langage de l'ignorance; il ourdissait une trahison dans son esprit, et sa bouche, à ce qu'il croyait, tenait le crime caché. Il se sert des mêmes paroles que les autres disciples, et sa conduite est tout autre; loup ravisseur dans l'âme, il interpelle le Maître avec la voix des brebis. Et que lui répond le Sauveur? C'est toi qui l'as dit. Par cette parole pleine de longanimité, il confondit l'imposture du misérable. Il aurait pu lui dire : Que dis-tu , misérable, infâme? que dis-tu , esclave de l'argent, et digne affidé du diable? tu oses contrefaire l'ignorance? tu oses cacher ce qui ne peut être caché? N'étais-je pas là, par ma divinité, quand tu tramais ton projet? ne t'ai-je pas vu de mon oeil de Dieu aller trouver les princes des prêtres? ne t'ai-je pas, quoique absent, entendu leur dire : Que voulez-vous me donner, pour que je vous le livre? (Matth. XXVI, 15.) Ne sais-je pas aussi pour combien tu m'as vendu ? Eh quoi ! après ces preuves, tu as encore cette impudence ! pourquoi es-tu si jaloux de cacher ce que tu veux exécuter? tout pour moi est à découvert. Jésus-Christ pouvait lui parler ainsi: il ne le fit point, et se contenta de lui dire avec douceur et sans amertume : C'est toi qui l'as dit, nous apprenant à nous conduire de la sorte à l'égard de nos ennemis. Et pourtant, après un pareil traitement, la maladie de Judas subsista, par l'incurie non pas du médecin, mais du malade. Notre-Seigneur en effet apporta tous les remèdes propres à sauver cette âme, mais Judas ne voulut pas les recevoir : ne connaissant que l'avarice, il aima mieux l'or que le Christ, et il se montra fidèle et favorable aux gens qui l'avaient salarié. Il s'approcha de Jésus, et lui dit : Salut, Maître, et il l'embrassa. (Ibid. 49.) Voici une étrange manière de trahir, que de commencer par un salut et un baiser. Jésus lui répondit: Ami, que viens-tu faire ? (Ibid. 50.) Pourquoi formules-tu un voeu pour mon bien-être, lorsque tu as résolu de m'affliger ? Pourquoi me flattes-tu en paroles, quand par ton action tu me déchires? Pourquoi m'appelles-tu maître, n'étant pas mon disciple? Pourquoi blesses-tu les droits de la charité? Pourquoi, du symbole de paix, fais-tu un signal de trahison? à l'exemple de qui as-tu donc agi de la sorte? Est-ce ainsi que tu, as vu naguère la femme de mauvaise vie embrasser mes pieds? est-ce ainsi que tu as vu le centenier tomber à genoux? est-ce ainsi que tu as vu les démons se soumettre ? je sais qui t'a indiqué en secret le chemin de ce traître baiser; c'est Satan qui t'a suggéré ce genre de détour, et toi, tu t'es laissé persuader par ce méchant conseiller, et c'est sa volonté que tu exécutes. Ami, que viens-tu faire? Eh bien ! remplis les indignes conventions que tu as (451) faites avec les pharisiens : réa lise ton contrat de vente ; signe l'acte que tu as dicté ; livre celui qui veut bien être livré ; possède désormais, avec la bourse de l'argent, celle de l'iniquité; cède le pas au larron qui par sa confession, obtiendra le rang dont tu t'es privé par ta trahison. Alors ils s'approchèrent, mirent la main sur Jésus et le retinrent captif. (Ibid.) Alors s'accomplit cette parole du Prophète : Ils m'ont entouré comme les abeilles entourent un rayon de miel, et ils se sont enflammés comme le feu dans les épines. (Ps. CXVII,12.) Et ailleurs : Ils m'ont entouré comme une meute nombreuse; ils m'ont environné comme une troupe de taureaux pleins de vigueur. (Ps. XXI, 17.) Mais, ô mansuétude qui n'appartient qu'à Jésus ! dans le ciel les chérubins et les séraphins n'osent pas regarder sa gloire éblouissante, ils se couvrent le visage de leurs ailes; et sur terre, il souffre que sa chair soit retenue captive par des mains sacrilèges. Vous venez de voir toute la longanimité, toute la charité du Maître dont vous êtes les serviteurs; soyez donc à l'égard de vos ennemis, qui sont ses serviteurs comme vous, tels que vous venez de voir que le Seigneur était à l'égard de ses persécuteurs. Car vous devez aussi être conviés au banquet spirituel ; vous devez vous mettre à la table du Maître; qu'il n'y ait donc personne parmi vous qui soit un Judas par la disposition de son âme; approchez-vous tous avec calme et en paix, accourons tous à notre Sauveur avec une conscience pure. Car c'est lui qui est à la fois et le jeûne et l'aliment des fidèles; il est en même temps le nourricier et la nourriture, le pasteur et l'agneau. A lui appartient la gloire dans les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

Traduction de M. MALVOISIN.

 

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