MARTYRS I

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HOMÉLIE SUR LES SAINTS MARTYRS. L'évêque étant parti pour célébrer, à la campagne, la fête des martyrs, saint Chrysostome prononça, en leur honneur, l'homélie suivante, où il traite de la componction et de l'aumône.

 

AVERTISSEMENT SUR LES DEUX HOMÉLIES SUIVANTES.

 

L'homélie suivante, prononcée à Antioche, doit venir après les discours sur les Macchabées; c'est Chrysostome lui-même qui nous l'apprend, lorsqu'il dit, au n. 1, qu'il l'a prononcée peu de temps après la fête des Macchabées, quand l'évêque Flavien fut parti pour célébrer, à la campagne , la fête des martyrs, chargeant Chrysostome de prononcer un discours dans la ville. Le saint Docteur, dans cette homélie, parle d'une manière remarquable sur le courage des martyrs : Leurs ossements, dit-il, tout muets qu'ils sont, servent plus au salut, à la componction, à la pénitence, que les paroles et les avertissements de n'importe quels docteurs (650). Il passe ensuite à ceux qui participent indignement aux saints mystères, et il déclare qu'ils ne méritent pas un moindre châtiment que ceux qui crucifièrent Jésus. Quand ce discours eut été prononcé, beaucoup de gens, ne pouvant souffrir la rigueur de cette parole, faisaient éclater leur indignation : Tu nous détournes de la sainte Table, disaient-ils, et tu nous repousses de la communion. Chrysostome, ému de cet incident, prononça alors ce superbe discours où il prouve qu'il est extrêmement funeste, tant pour le prédicateur que pour l'auditoire, de parler en vue de plaire : il ajoute plusieurs autres choses relatives aux devoirs des orateurs et de ceux qui les écoutent. Or, quoique cette dernière homélie n'ait pas de rapport pour le sujet au panégyrique des saints, on se ferait scrupule de la séparer du discours prononcé avant, puisque c'est à l'occasion de ce que nous venons de dire, que l'orateur traite alors des communions indignes. Nous ne saurions dire, même par conjecture, en quelle aimée ces deux discours ont été prononcés ; il n'y a qu'un passage du second, celui qui a pour titre : Il ne faut pas parler en vue de plaire, qui puisse faire soupçonner qu'ils l'ont été après l'homélie sur Lazare : en effet le saint docteur dit, au n. 3, en parlant de Lazare : Et qu'est-il besoin de passer en revue la parabole entière ? Vous connaissez toute cette histoire, et la cruauté du riche qui ne donnait au mendiant rien de sa table, et cette misère et cette inanition qui accablaient incessamment le pauvre Lazare. Ces paroles semblent avoir été dites après les discours sur Lazare ; mais nous n'oserions l'affirmer. D'ailleurs, la date de ces discours sur Lazare est également incertaine, ainsi que nous l'avons vu dans l'avertissement qui les concerne.

 

ANALYSE.

 

1° Différence entre les pompes du démon et celles du christianisme. — La campagne n'est pas plus déshéritée des bienfaits de Dieu, que la ville. — Comparaison des martyrs avec les docteurs. — Les actes persuadent plus que les paroles. — 2° Effets salutaires de la présence des reliques des martyrs. — 3° Crime des gens qui participent indignement aux saints mystères. —  La tristesse selon Dieu et le repentir de nos fautes sont nécessaires et promptement efficaces. — 4° Le démon ne pénètre pas dans le lieu saint. — La doctrine est le flambeau de notre âme. — C'est notre âme que nous devons orner, et non pas notre maison.

 

1. Hier, c'était la fête des martyrs, mais c'est encore leur fête aujourd'hui : et plût au ciel que nous la célébrassions tous les jours. Car si ces gens follement épris du théâtre, et admirateurs ébahis des courses de; chevaux, ne peuvent jamais se rassasier de pareils spectacles, à bien plus forte raison ne devons-nous jamais nous lasser de célébrer la fête des saints. Là c'est une pompe diabolique; ici une solennité toute chrétienne; là trépignent les démons, ici se forment les choeurs des anges ; là c'est la perdition des âmes, ici le salut de toute l'assemblée. Est-ce donc que leurs spectacles ont quelque charme? Mais ils n'en ont (390) pas autant que les nôtres. Quel plaisir y a-t-il, en effet, à voir tout simplement des chevaux courir au hasard? Ici, au contraire, ce ne sont pas des attelages d'animaux sans raison , ce sont des myriades de chars montés par des martyrs, et Dieu dirigeant ces chars, et les conduisant par le chemin qui mène au ciel. Oui, les âmes des saints sont bien le char de Dieu, car écoutez le Prophète qui vous dit : Le char multiple de Dieu, ce sont les milliers d'âmes joyeuses (Ps. LXVII, 18.) En effet, ce dont il a gratifié les puissances célestes, il en a également fait présent à notre nature. Il est assis sur les chérubins, comme dit le psaume : Il monta sur les chérubins, et prit son vol (Ps. XVII, 11) ; l'Ecriture dit encore ailleurs : Celui qui est assis sur les chérubins, et qui regarde les abîmes. (Dan. III, 55.) Eh bien ! à nous aussi il a accordé cette faveur : il est assis sur les chérubins, et il habite en nous : Car j'habiterai et je me promènerai en vous. (Lév. XXVI, 12 et II Cor. VI, 16.) S'ils sont devenus le char de Dieu, nous sommes devenus son temple. Voyez-vous la ressemblance d'honneurs? Voyez-vous comme il a réconcilié le ciel avec la terre? (Col. I, 20.) C'est pourquoi nous ne différons en rien des anges, si nous le voulons. Je reviens donc à mon point de départ : c'était hier le jour des martyrs, et c'est encore aujourd'hui leur jour, non pas de ceux de notre ville, mais de ceux de la campagne; ou plutôt, ceux-là sont aussi les nôtres. Car dans les affaires de ce monde, la ville et la campagne sont choses distinctes ; mais sous le rapport de la religion, elles sont unies, elles ne font qu'un. Ne considérez point la grossièreté du langage des gens de la campagne, mais leur âme éclairée par la foi. Que m'importe la communauté de langue, s'il y a diversité de sentiments? Et quel mal y a-t-il à ce que le langage soit différent, quand la croyance est la même? Sous ce rapport, la campagne n'est en rien plus à dédaigner que la ville; car à l'égard du bien suprême, elles ont des droits égaux. Aussi Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui séjournait souvent dans les villes, ne délaissait pas pour cela les campagnes, et ne leur refusait pas sa présence; mais il allait par les villes et par les villages, prêchant l'Evangile et guérissant toutes les maladies et les langueurs. A son exemple, notre pasteur et maître commun Flavien nous a aujourd'hui laissés pour courir à eux, ou pour mieux dire, courir à eux, ce n'est pas nous quitter, car ce sont nos frères qu'il est allé voir. Et de même qu'à la fête des Macchabées, toute la campagne vint se déverser dans notre ville, ainsi, maintenant qu'on célèbre la commémoration des martyrs de la campagne, la ville aurait dû s'y porter tout entière. Car si Dieu a semé ses martyrs non pas uniquement dans les villes, mais encore dans les campagnes, c'est afin que nous ayons dans la célébration de leurs fêtes un motif pressant de nous mêler ensemble; et s'il y a eu plus de martyrs à la campagne qu'à la ville, c'est que Dieu a voulu donner le plus grand honneur à ceux qui avaient ici-bas l'infériorité (I Cor. XII, 23) ; comme ils sont la partie là plus faible, ils ont été de sa part l'objet d'une plus grande sollicitude. Les habitants des villes jouissent continuellement des bienfaits de l'instruction, c'est là une richesse que l'on ne partage pas au même degré dans la vie rustique.

Dieu a donc voulu, par l'abondance de leurs martyrs , compenser cette pénurie d'instructeurs, et il est entré dans ses vues que les tombes dés martyrs fussent plus nombreuses parmi eux que parmi nous. Ils n'entendent pas toujours la parole d'un maître, mais toujours la voix des martyrs se fait entendre de leur tombe, et le pouvoir en est autrement fort. Et pour vous convaincre que les martyrs, tout silencieux qu'ils sont, ont plus de puissance que nous qui parlons , voyez combien d'orateurs , parlant souvent de la vertu à un auditoire nombreux, n'obtiennent aucun résultat; tandis que d'autres, sans le secours des paroles, opèrent des merveilles par le seul éclat de leur vie; à plus forte raison les martyrs y réussissent-ils, eux qui nous parlent, non pas avec leur langue, mais par la voix de leurs actions; et de cette voix, bien autrement sublime que la voix matérielle, ils s'adressent ainsi à tout le genre humain : Regardez-nous, disent-ils, voyez tous les maux que nous avons soufferts. Et qu'avons-nous donc souffert en effet, d'être condamnés à mort pour gagner la vie éternelle? Dieu nous a trouvés dignes de sacrifier nos corps pour Jésus-Christ ? Eh quoi ! si nous ne les avions pas alors volontairement livrés pour lui, il eût bien fallu, peu de temps après, et malgré nous, sortir de cette vie passagère. Quand même le martyre ne fût pas venu nous les enlever, la mort commune au genre humain fût arrivée ensuite, et les eût (391) dissous. C'est pour cela que nous ne cessons de rendre grâces à Dieu, qui nous a trouvés dignes de mettre à profit pour le salut de nos âmes cette mort à laquelle nous étions assujettis sans cela, qui a accepté comme un don de notre part une dette obligatoire, et en y attachant le plus grand prix. Mais , direz-vous , les épreuves étaient pénibles, accablantes. Oui, mais elles n'ont duré qu'un court instant, et le soulagement qui les a suivies dure dans les siècles éternels; bien plus, ces épreuves ne sont même pas pénibles pendant un court instant, pour qui regarde l'avenir, pour qui soupire après le rémunérateur de la lutte. Ainsi, le bienheureux Etienne, qui voyait le Christ avec les yeux de la foi (Act. VII, 55), à cause de cela ne voyait point la grêle de pierres dont on l'assaillait, mais il comptait à leur place autant de récompenses et de couronnes. Toi aussi, reporte tes yeux du présent sur l'avenir, et tu n'éprouveras pas, même un court instant, le sentiment de tes maux.

2. Voilà les discours que nous tiennent les martyrs : ils nous disent bien d'autres choses encore, et d'une manière bien plus persuasive que je ne le puis faire. Car si je vous dis que les tourments n'ont rien de pénible, ce langage n'aura point tout ce qu'il faut pour vous couvaincre . il n'est pas difficile en effet d'être aussi courageux en paroles ; mais le martyr, qui vous parle par ses actes, ne peut trouver de contradicteur. Voyez ce qui arrive dans les bains : lorsque l'eau du bassin est extrêmement chaude, et que personne n'ose y descendre : tant que les baigneurs, assis au bord, ne font que s'encourager mutuellement en paroles, on ne décide personne; mais dès l'instant qu'un seul d'entre eux y trempe la main, ou qu'après y avoir entré son pied, il s'y laisse aller tout entier avec confiance, alors, quoiqu'il n'ait rien dit, il persuade bien plus que ceux qui parlaient tant; les baigneurs qui se tenaient assis en haut, osent affronter l'eau du bassin. Il en est de même des martyrs : seulement, le bassin est remplacé ici par le bûcher. Ceux qui se tiennent à l'écart ont beau prodiguer les paroles d'exhortation, ils ne persuadent guère; mais si un seul martyr plonge dans l'arène non pas un pied, non pas rune main seulement, mais son corps tout entier, il donne, par son acte même, un exemple de hardiesse bien plus puissant que toutes les exhortations et les conseils, et il dissipe les molles terreurs des assistants.

Voyez-vous bien maintenant, combien la voix des martyrs, même sans qu'ils parlent, est plus puissante que tout le reste ? C'est pour cela que Dieu nous a laissé leurs corps; c'est pour cela que, victorieux depuis longtemps, ils n'ont pas encore ressuscité ; depuis si longtemps qu'ils ont soutenu cette lutte, s'ils n'ont pas encore obtenu la résurrection, c'est à cause de toi, c'est pour ton avantage, afin que toi aussi, en songeant à ces athlètes, tu te prépares énergiquement à fournir la même carrière. Car ce délai ne leur fait aucun tort; mais pour toi, il peut résulter de cette circonstance la plus grande utilité. Car pour eux, ils retrouveront toujours plus tard ce qu'ils ne reçoivent pas maintenant ; mais si Dieu les enlevait actuellement du milieu de nous, il nous priverait d'un grand encouragement, d'une grande consolation; oui, les tombeaux de ces saints sont véritablement pour tous les hommes la source des plus profondes consolations, des encouragements les plus puissants, je vous en prends vous-mêmes à témoin. Que de fois en effet nous eûmes beau vous menacer, ou vous prendre par la douceur, cherchant soit à vous effrayer, soit à vous presser, tout cela, sans que vous en ressentissiez grande ardeur pour la prière, ni grand mouvement de zèle; mais, alliez-vous visiter la tombe des martyrs, alors sans que personne vous donnât de conseils, et à la vue seule du tombeau, vous laissiez échapper un déluge de larmes saintes, et votre cœur s'échauffait dans la prière. Pourtant, les martyrs reposent là, profondément muets et silencieux. Qu'est-ce donc qui aiguillonne ainsi notre conscience, et fait jaillir comme d'une source tous ces torrents de larmes ? C'est l'image même du martyr qui se présente à votre esprit, c'est le souvenir de son héroïsme. Quand les pauvres voient les hommes opulents, au sein des dignités, entourés d'une garde, et recevant du prince une foule d'honneurs, alors ils gémissent encore davantage de leur propre indigence, parce qu'ils s'en rendent un compte plus exact à la vue des prospérités d'autrui; de même, lorsque nous nous souvenons du crédit dont jouissent les martyrs auprès de Dieu, qui est le roi suprême, lorsque nous nous rappelons à la fois, d'une part leur splendeur et leur gloire, et de l'autre nos propres péchés, alors nous constatons plus exactement notre pauvreté en présence de leur richesse ; nous sommes pénétrés de chagrin et de douleur, en découvrant combien (392)  nous sommes loin d'eux : voilà ce qui produit nos larmes. Telle a donc été l'intention de Dieu, en nous laissant leurs corps ici-bas c'est afin, lorsque le fardeau des affaires, la multitude des préoccupations d'ici-bas , ont répandu sur notre âme d'épaisses ténèbres, que nous arrachant à cette foule d'embarras de la vie particulière ou publique, quittant notre maison, abandonnant la ville, disant complètement adieu à tout ce tumulte, nous puissions nous rendre à la tombe des martyrs, jouir de cette atmosphère spirituelle, oublier nos mille soucis, goûter les douceurs du calme, communiquer avec les saints, invoquer en faveur de notre salut Celui qui les récompense de leurs luttes, épancher dans son sein de nombreuses supplications, et déchargeant par tous ces moyens le poids de notre conscience, rentrer chez nous l'allégresse dans le coeur.

Les châsses des martyrs ne sont autre chose que des ports de sûreté, des sources spirituelles, des trésors que rien ne peut nous ravir et qu'on ne trouve jamais en défaut. Et de même que les ports reçoivent les vaisseaux que les vagues ont assaillis de toutes parts et les mettent en sûreté, de même les châsses des martyrs reçoivent nos âmes assaillies de tous côtés par les affaires de la vie et les établissent dans un calme et une sûreté profonde. De même encore que les sources d'eau fraîche réparent les corps fatigués et consumés d'une ardeur dévorante, ainsi les châsses des martyrs rafraîchissent nos âmes enflammées par les passions insensées; elles éteignent., rien que par leur aspect, cette concupiscence effrénée, cette envie qui la consume, cette bouillante colère et tous les maux semblables qui peuvent l'accabler; enfin, par leur richesse inépuisable elles valent mieux que tous les trésors. Les trésors ordinaires sont pour ceux qui les trouvent, la source d'une foule de dangers, puis si on les divise en plusieurs parties, ce partage les diminue ; au lieu qu'ici vous ne voyez rien de tel ; tout au contraire des trésors matériels, ceux-ci n'exposent à aucun danger celui qui les trouve, et on ne les amoindrit pas en les partageant. En effet, les richesses matérielles, comme je le disais tout à l'heure, diminuent en se fractionnant, celles-ci, au contraire, lorsque plusieurs y prennent part, n'en manifestent que mieux leur abondance. Car telle est la nature des choses spirituelles : elles augmentent par le partage et se multiplient par la division. Non, les prairies, lorsqu'elles étalent à nos yeux leur parure de roses et de violettes, n'ont pas autant de charmes que les tombeaux des martyrs, qui procurent à l'âme de ceux qui les contemplent une joie inaltérable et indestructible.

3. Approchons-nous donc de ces châsses avec foi, échauffons nos âmes, poussons des gémissements. Nos péchés sont graves et nombreux; nous avons donc besoin d'un puissant remède, et d'un aveu énergique. Les saints martyrs ont versé leur sang, que nos yeux du moins laissent couler des larmes; les larmes. aussi peuvent éteindre le bûcher que nos fautes ont allumé : les martyrs ont eu leurs flancs déchirés, ils ont vu les bourreaux autour d'eux : agissez de même envers votre conscience : faites siéger votre raison au tribunal incorruptible de votre âme, faites-y comparaître toutes vos fautes, opposez des arguments terribles à toutes vos prévarications, châtiez vos désirs déréglés, d'où vos péchés ont pris naissance, déchirez-vous enfin vous-mêmes avec une grande sévérité. Si nous apprenons à nous juger ainsi, nous échapperons même au jugement terrible de Dieu. Oui, celui qui se juge maintenant, celui qui se demande à lui-même un compte exact de ses fautes, ne sera pas puni plus tard, c'est saint Paul qui nous le dit : Si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés par le Seigneur. (l Cor. XI, 31.) En effet, réprimandant ceux qui participaient indignement aux saints mystères; il leur disait: Celui qui mange et boit indignement, sera responsable du corps et du sang du Seigneur. Ce qui revient à dire : de même que ceux qui ont crucifié Jésus, ainsi seront châtiés ceux qui participent indignement aux mystères. Et que personne ici n'accuse ces paroles d'exagération. Le corps du maître est un manteau royal ; celui qui déchire la pourpre royale et celui qui la souille de ses mains impures commettent un outrage égal; aussi sont-ils punis l'un comme l'autre; or il en est de même du corps de Jésus-Christ. Les Juifs l'ont déchiré avec des clous sur la croix, mais vous, en vivant dans le péché, vous le déchirez par vos paroles et par vos pensées impures. Voilà pourquoi saint Paul vous menace du même châtiment, et il continue en ces termes : C'est pour cela qu'il y en a parmi vous beaucoup de faibles et de malades et un assez grand nombre de morts. C'est alors que, pour nous apprendre que ceux qui (393) sur cette terre se demandent compte à eux-mêmes de leurs péchés, ceux qui jugent leurs fautes et ne retombent plus dans les mêmes, pourront échapper à ce jugement futur, si terrible et si inexorable, il ajoute ces paroles : Car si nous nous jugions nous-mêmes, nous ne serions pas jugés; or le Seigneur nous juge maintenant pour nous instruire , afin que nous ne soyons pas condamnés avec le monde.

Martyrisons donc notre âme, en reprenant ses pensées impures; effaçons-en les traces avec nos larmes ; le fruit de ces gémissements est grand, grande est leur douceur persuasive et consolante. De même en effet que le rire et la dissipation seront gravement châtiés, de même les gémissements continuels produisent la consolation. Bienheureux, dit Notre-Seigneur, ceux qui sont dans la douleur, parce qu'ils seront consolés! (Matth. V, 5.) Malheur à ceux qui rient, parce qu'ils pleureront! (Luc, VI, 25.) C'est pourquoi saint Paul même, quoique n'ayant aucune faute à se reprocher, passa toute sa vie dans les larmes et les lamentations. Qui nous l'apprend? C'est le bienheureux apôtre lui-même : Depuis trois ans, dit-il, je ne cesse d'avertir ni jour ni nuit chacun de vous avec larmes. (Act. XX, 31.) Ce qu'il fit pendant trois ans, faisons-le du moins pendant un mois; ce qu'il fit nuit et jour, et pour les péchés d'autrui, faisons-le pour nos propres fautes; ce qu'il fit sans avoir rien sur la conscience, faisons-le du moins pour la nôtre qui est si chargée. Et pourquoi donc pleure-t-il? pourquoi ne se contente-t-il pas d'enseigner et d'avertir, mais y joint-il encore les larmes? C'est qu'il ressemble à un tendre père qui, voyant son fils unique tombé malade, refuser, repousser les médicaments, s'asseoit auprès de lui, le supplie, l'embrasse, le caresse, voulant, par cette extrême assiduité, l'engager, le déterminer à recevoir la guérison que lui offre la médecine ; ainsi l'apôtre Paul, aimant tous les fidèles du monde entier comme on aime un fils unique, et en voyant beaucoup, tombés dans le vice et dans les maladies incurables de l'âme, supporter impatiemment les remontrances et la guérison que leur eût apportée ces réprimandés, les fuir avec un coeur rebelle, les retenait par ses larmes, afin qu'en le voyant gémir et pleurer, ils fussent émus à cet aspect, se soumissent au traitement salutaire, et que délivrés de leur maladie, ils revinssent à la santé : voilà pourquoi en les réprimandant il ne cessait de pleurer.

Or, si pour les péchés d'autrui saint Paul montre tant de préoccupation, quelle ardeur ne devons-nous pas apporter à corriger nous-mêmes les nôtres ? Car la tristesse selon Dieu est très-efficace en résultats utiles; c'est d'elle que parle Isaïe, ou plutôt Dieu lui-même par la bouche d'Isaïe, lorsqu'il dit : A cause de son péché je l'ai affligé un court instant. (Is. LVII, 17.) Ce qui veut dire : je ne l'ai pas châtié autant que le méritait sa faute. Car pour les bonnes actions, Dieu nous récompense outre mesure ; mais quant aux fautes, sa tendresse pour nous le porte souvent à nous reprendre, et à ne nous infliger qu'un court châtiment de nos transgressions. C'est à quoi fait allusion ce passage : A cause de son péché, je l'ai affligé un court instant; j'ai vu son affliction, j'ai vu qu'il s'en allait tout attristé, et je l'ai ramené dans la bonne voie. (Is. LVII, 17, 18.)

4. Voyez-vous combien rapide et combien grande est l'utilité de la pénitence? Après l'avoir quelque peu châtié pour ses péchés, dit le prophète, le voyant devenu triste et abattu, je lui ai remis même cette faible punition tant Dieu est disposé à se réconcilier avec nous, tant il ne cherche pour cela qu'un instant d'occasion ! Accordons-lui donc les élans de notre amour, tâchons de nous conserver purs de péchés, et si nous sommes venus à trébucher, relevons-nous promptement en pleurant nos fautes avec une grande rigueur, afin de posséder la joie qui est selon Dieu. Si en effet, pour être devenu triste, pour s'en être allé tout abattu, le pécheur a pu se réconcilier avec Dieu, de quoi ne sera point capable celui qui y ajoute les larmes, et qui l'invoque avec un vif désir? Je sais que votre âme est maintenant pleine de ferveur? mais il nous reste une chose à faire : prenons garde qu'une fois sortis d'ici, nous ne laissions refroidir cette ardeur, et sachons la conserver en nous. Notre âme est un sol fertile : elle reçoit les semences qu'on lui confie, et donne bientôt sa moisson; elle ne demande ni délai ni longueur de temps; mais ce qui m'effraye, c'est votre ennemi.

En dehors de l'ég lise se tient le démon car il n'ose pas entrer dans cette enceinte sacrée; dans le bercail de Jésus-Christ le loup ne paraît point; le loup craint le pasteur, et il reste dehors. En sortant d'ici, ne nous livrons pas aussitôt à des réunions frivoles, à de vains (394) discours, à des occupations sans utilité; mais tandis que nous avons encore la mémoire des paroles qu'on vient de nous dire, courons à la maison, et là, que chacun, assis avec sa femme et ses enfants, médite avec soin ce qu'il vient d'entendre. Si vous ne voulez pas retourner chez vous, rassemblez dans quelque lieu particulier ceux de vos amis qui ont entendu les mêmes discours que vous, et là, formez une séance où chacun reproduise de lui-même ce qu'il a pu retenir; reconstituez ainsi une seconde instruction, afin que votre réunion ici n'ait pas été en pure perte. En effet, les commandements de Dieu sont un flambeau : Les prescriptions de la loi sont un flambeau, une lumière, elles sont la vie, la correction, l'enseignement (Prov. VI, 23) ; or celui qui allume un flambeau, ne reste pas sur la place publique, il court chez lui, de peur que le souffle du vent n'éteigne la flamme, ou qu'elle ne cesse avec le temps, faute d'aliment. Agissons de même. L'Esprit-Saint a allumé en nous sa doctrine; lors donc que nous sortons, pleins encore de ce que nous venons d'entendre, si nous rencontrons soit un ami, soit un parent, soit une personne de notre maison, ne nous arrêtons pas, de peur qu'en lui parlant de choses inutiles et superflues; nous ne laissions pendant ce temps-là éteindre en nous le feu de la doctrine, mais afin qu'il prospère dans notre âme comme dans une demeure qui lui appartienne, et que, brûlant sur les hauteurs de notre raison comme sur un chandelier, il éclaire tout ce qui est a l'intérieur. Il est absurde en effet, tandis que nous ne souffrons pas que notre maison reste jamais le soir sans un flambeau allumé, de laisser notre âme dépourvue du flambeau de la doctrine. La plupart des péchés proviennent en nous de ce que nous n'allumons pas aussitôt ce flambeau dans notre âme; de là vient que chaque jour nous trébuchons; de là vient que bien des notions (657) existent dans notre intelligence comme au hasard et sous la première forme venue; en effet, à peine avons-nous ouï la parole divine, avant même d'avoir franchi le vestibule de l'Eg lise , nous rejetons à l'instant cette parole, et, comme nous avons éteint la lumière, nous marchons dans de profondes ténèbres.

Eh bien ! donc, si cela nous est arrivé par le passé, qu'il n'en soit plus de même à l'avenir; que ce flambeau brûle continuellement dans notre intelligence, et embellissons notre âme avant d'embellir notre maison. Car notre maison reste ici-bas, mais notre âme, nous l'emportons avec nous en quittant ce monde : il est donc juste que nous considérions celle-ci comme méritant de plus grands soins. Et pourtant, il y a des gens dont l'état est si misérable, qu'ils prodiguent à leur maison d'ici-bas lambris dorés , mosaïques aux mille couleurs, peintures de fleurs, colonnes éblouissantes et autres ornements de tout genre, pendant qu'ils laissent leur âme plus dénuée que l'hôtellerie la plus déserte, pleine de boue, de fumée, d'odeurs infectes, et dans un abandon inexprimable. La cause de tout cela, c'est que le flambeau de la doctrine ne brûle pas continuellement en nous; c'est pour cela que les choses nécessaires sont négligées, tandis que celles qui n'ont aucune valeur sont de notre part l'objet de mille empressements. Et cela, je ne le dis pas seulement pour les riches, mais aussi pour les pauvres. Car il arrive souvent que ces derniers parent leur maison suivant leurs moyens, et qu'ils laissent leur âme privée de soins : c'est donc aux uns comme aux autres que j'adresse cet enseignement; je les avertis, je leur recommande de faire peu de cas des choses de la vie présente, et d'employer tout leur zèle au soin des affaires spirituelles, qui sont les affaires nécessaires. Que le pauvre voie la veuve déposant ses deux oboles, et qu'il ne croie pas que la pauvreté soit un obstacle à la pratique de l'aumône et de la charité; que le riche pense à Job, et qu'il fasse comme lui , qui possédait tant de richesses, non pas pour lui-même; mais pour les pauvres. Car s'il supporta courageusement d'en être privé , c'est parce qu'avant d'être tenté par le démon, il avait réfléchi qu'il pouvait les perdre. Méprisez donc, vous aussi, les richesses présentes, afin que lorsqu'elles viendront à vous quitter, vous n'en soyez point affligés. Employez-les à ce qu'il faut, pendant que vous les avez, afin que lorsque vous en serez privés, vous ayez double avantage, d'abord la récompense qui vous reviendra pour en avoir fait le meilleur usage, puis la résignation provenant de leur mépris , laquelle vous servira pour le temps où vous ne les aurez plus. Car si on appelle les richesses khremata , c'est que nous devons nous en servir (khrestas) convenablement, et non pas les enfouir ; et on les appelle aussi khtemata parce que nous devons les posséder, et non (395) pas devenir nous-mêmes leur possession. Avez-vous de nombreuses richesses? Ne soyez donc pas l'esclave de ce dont Dieu vous a institué le maître : or, le moyen de ne pas être leur esclave, c'est de les dépenser comme il faut, et non pas de les enfouir. Il n'y a rien de mobile comme la richesse, il n'y a rien d'inconstant comme l'opulence. Puis donc que la possession en est incertaine, puisque ces trésors nous échappent souvent plus vite que l'oiseau le plus agile, qu'ils s'enfuient plus déloyalement que le serviteur le plus adroit dans son évasion, sachons en faire un usage convenable pendant le temps que nous en sommes maîtres; afin qu'après avoir fait servir des richesses incertaines à nous préparer les biens certains, nous héritions du trésor qui nous est réservé dans le ciel : puissions-nous tous obtenir cette faveur, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ , par lequel et avec lequel gloire au Père ainsi qu'au Saint-Esprit , maintenant et toujours, et dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. MALVOISIN

 

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