RÉSURRECTION I

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HOMÉLIE SUR LA RÉSURRECTION DES MORTS (1).

 

AVERTISSEMENT ET ANALYSE.

 

Les homélies contre les Anoméens hérétiques qui rabaissaient la gloire et la dignité du Fils unique, furent prononcées au commencement de l'année 387. Or, c'est à ces homélies que saint Chrysostome fait évidemment allusion au début de la présente homélie, lorsqu'il dit : « Nous venons de traiter des questions dogmatiques, nous vous avons entretenus de la gloire du Fils unique, nous avons fermé la bouche à ceux qui ne craignent pas de rabaisser sa dignité, et de le dire étranger à son Père . » — Il s'ensuit que l'homélie sur la résurrection des morts est de la même époque. — Elle fut prononcée avant le carême de 387. — Les discours prononcés durant ce carême se rapportent tous à la sédition d'Antioche.

Le saint docteur donne lui-même dans son exorde l'argument de ce discours. — 1° II y traite de la résurrection des morts, dont il apporte, passim, plusieurs preuves. — Il soutient le dogme de la Providence. — 2° De la manière de régler sa vie selon Dieu ; des peines que doit faire braver aux chrétiens la vue des félicités éternelles. — 3° et 4° Des récompenses accordées parfois, dés cette vie, aux hommes vertueux, à saint Paul, par exemple (explication de plusieurs textes relatifs à cette vérité). — 5° De la fragilité des avantages temporels. — 6° 7° et 8° Des erreurs manichéennes qu'il réfute et contre lesquelles il établit que le corps humain et la nature humaine ne sont pas mauvais par eux-mêmes, et il démontre la vérité du dogme de la résurrection.

 

1. Ce sont les dogmes qui vous ont été, avant ce jour, proposés dans nos entretiens; c'est la gloire du Fils unique de Dieu, qui a fermé la bouche à ses détracteurs, à ceux qui le disent d'une autre nature que le Père de qui il est engendré: aujourd'hui, c'est à la morale que je veux donner la préférence; les pensées sur la vie pratique, les règles de conduite, rempliront ce discours destiné à vous exhorter; ou plutôt, ce discours ne sera pas seulement moral, mais dogmatique aussi, car je m'apprête à approfondir la résurrection considérée dans son sujet même; sujet varié, riche en réflexions qui dirigent notre foi, qui font régner l'harmonie dans notre manière de vivre, qui mettent la divine Providence au-dessus de toute accusation. Remarquez ici deux contraires : l'incrédulité en ce qui touche la résurrection, c'est le trouble dans notre vie, c'est notre vie livrée à des maux sans nombre, c'est un complet bouleversement; la foi à la résurrection rassemble, concilie les raisons de croire à la Providence, nous remplit d'ardeur pour la vertu, d'horreur pour le vice, fait régner en toutes choses la sérénité, la paix. Celui qui ne croit pas ressusciter un jour, celui

 

1. Edition Migne, tom. II, seconde partie, p. 417.

 

qui n'admet pas avoir un jour de comptes à rendre de ses actions d'ici-bas, celui qui estime que tout ce qui est de nous est renfermé dans les limites de la vie présente, que par delà il n'y a plus rien, celui-là ne se souciera pas de la vertu; à quoi bon, s'il ne peut attendre aucune récompense de ses efforts et de ses fatigues? il ne s'abstiendra pas de mal faire, puisqu'il ne s'attend à subir aucun châtiment de ses mauvaises actions; il s'abandonnera à ses désirs déréglés, à toute espèce de perversité. Mais l'homme qui croit dans son âme au jugement à venir, qui a toujours devant les yeux le redoutable tribunal, les comptes réclamés d'une voix inexorable, la sentence dont on n'appelle pas, celui-là mettra tous ses soins à la tempérance; il s'attachera à l'équité, à toutes les vertus; il voudra fuir l'immodestie, la brutalité de l'insolence, toute perversité; les accusateurs de la providence de Dieu trouveront, en cet homme-là, plus que la force nécessaire pour les réduire au silence.

Il y a des hommes qui ne peuvent supporter de voir, d'un côté, la modération, la tempérance, la justice tourmentées par la pauvreté; en proie aux outrages, aux calomnies; la vertu privée presque du nécessaire, et souvent (232) éprouvée, en outre, par la longueur des maladies, par toutes les souffrances du corps, et dépourvue de tout secours; d'un autre côté, des imposteurs, des êtres souillés, couverts d'infamie, vivant au sein des richesses, dans les délices, parés de brillants vêtements, traînant des essaims de domestiques, admirés, jouissant du pouvoir, en position de tout dire à l'empereur; et, comme conséquence de ce qu'on a vu, on attaque la providence de Dieu, on dit : Qu'est devenue cette providence? qu'est-elle devenue cette justice? A l'homme tempérant, modeste, le malheur; au déréglé, au corrompu, la prospérité; celui-ci, on l'admire; l'autre, on le méprise; celui-ci coule sa vie dans les délices qui l'inondent; l'autre la traîne dans la misère, dans les maux les plus affreux. Quand de telles paroles seront prononcées, celui qui doute de la vie à venir, gardera le silence, il ne répondra pas un seul mot; mais celui qui comprend la raison de la résurrection, réfutera facilement le blasphème, il répondra à ces querelleurs moroses: Cessez d'aiguiser votre langue contre le Dieu qui vous a faits. La vie présente ne renferme pas tout ce qui nous appartient; nous nous hâtons vers une autre vie, beaucoup plus longue, disons mieux, qui n'a pas de fin: et là, sans que rien y manque, ce pauvre qui vit dans la justice, recevra la récompense de ces peines qui vous occupent, et quant à ce déréglé, cet imposteur, il subira, de cette prospérité, de ces délices qu'il ne méritait pas, le châtiment mérité. Donc, ne nous bornons pas aux choses présentes pour porter notre jugement sur la providence de Dieu; tenons compte aussi des choses à venir. Vie présente, c'est dire lutte, lieu d'exercice, stade; vie à venir, cela signifie prix, couronnes, distribution de récompenses. Comme il faut que l'athlète, dans le lieu où il s'exerce, combatte inondé de sueur, couvert de poussière, haletant, fatigué, meurtri, de même le juste ici-bas doit supporter beaucoup d'épreuves et tout endurer avec un noble courage, s'il veut recevoir les brillantes couronnes de là-haut. Mais si les jours heureux des méchants sont, pour quelques personnes, un sujet de trouble, qu'elles fassent donc, sur leur prospérité, ce raisonnement les voleurs, les profanateurs de tombeaux, les meurtriers, les pirates, avant d'être conduits devant les juges, mènent une vie délicieuse, ils composent leur opulence des malheurs d'autrui; l'injustice les enrichit, les enivre chaque jour; mais une fois qu'ils sont frappés par la sentence des juges, ils expient tous les crimes passés; et de même, tous ces trafiquants de courtisanes, et ceux qui dressent des tables de sybarites, et ces insolents qui froncent les sourcils sur la place publique et déchirent les pauvres, quand paraîtra le Fils unique de Dieu au milieu de ses anges, quand il sera assis sur le trône devant lequel il citera la terre, on les verra tout nus, sans aucune pompe, sans personne pour les assister, pour les défendre, sans rémission, sans pitié, précipités dans les fleuves du feu éternel. Ne célèbre donc pas leur bonheur, leurs délices d'ici-bas, fais mieux, pleure le châtiment qui va venir; ne gémis pas sur le juste, ici-bas soumis à la pauvreté; fais mieux, célèbre la richesse de tous les biens, l'opulence qui va venir pour lui ; enracine dans ton âme la pensée de la résurrection, afin que, si tu es vertueux, dans les tentations tu te sentes plus fort, plus allègre, par les espérances de l'avenir; si le vice te possède, tu te détaches de la perversité, tu retournes, par la crainte du châtiment à venir, à la modération et à la sagesse.

2. Voilà pourquoi Paul, à chaque instant, nous répète des paroles comme celles qu'on vous a citées en ce jour sur la résurrection; vous avez entendu sa grande voix : Aussi nous savons que, si celte maison de terre, cette habitation, cette tente vient à être défaite, Dieu nous donne une maison, qu'aucune main n'a faite, éternelle demeure dans les cieux. (II Cor, V, 1.) Remontons plus haut, et voyons comment il est arrivé à parler de la résurrection. Ce n'est pas sans une secrète pensée, ce n'est pas au hasard qu'il reprend cet enseignement, il y revient toujours; c'est qu'il veut en même temps montrer l'avenir et fortifier les athlètes de la piété. Maintenant, sans doute, nous sommes heureux, en pleine paix, par la grâce de Dieu; les empereurs vivent dans la piété; ceux qui commandent connaissent la vérité; peuples, cités, nations, tous, affranchis de l'erreur, adorent le Christ; mais dans ces jours d'autrefois, de la première prédication, quand les semences de la piété ne faisaient que d'être répandues, la guerre était sur un grand nombre de points à la fois, variée, compliquée. Princes, empereurs, courtisans, parents des empereurs, tous faisaient la guerre aux fidèles, et la guerre étouffait jusqu'aux sentiments de la nature. Le père souvent livrait son fils, et la mère, sa (233) fille, et le maître, son serviteur. Ce n'étaient pas seulement les cités, les territoires, mais souvent les familles mêmes qui étaient intérieurement déchirées, bouleversement intérieur plus affreux alors que toute guerre civile. Tous les biens au pillage, la liberté supprimée, la vie même menacée, non par les incursions, par la brutalité des barbares; ceux mêmes qui se montraient les maîtres du pouvoir, de la souveraineté, étaient, pour les peuples assujettis à leur empire, plus cruels que tous les ennemis. Et c'est ce que saint Paul attestait par ces paroles : Vous avez soutenu de grands combats, diverses afflictions; d'une part, exposés devant tous aux injures et aux mauvais traitements; d'autre part, compagnons de ceux qui ont été ainsi tourmentés. Car vous avez compati à mon sort, quand j'étais dans les chaînes, et vous avez vu avec joie le pillage de vos biens. (Hébr. X, 32, 34.) Et aux Galates, il dit : Sera-ce donc en vain que vous avez tant souffert? si toutefois ce n'est qu'en vain. (Gal. III, 4.) Et à ceux de Thessalonique, à ceux de Philippe, en général à tous ceux à qui écrit l'Apôtre, un grand nombre de paroles semblables sont adressées. Et ce qu'il y avait d'affreux, ce n'était pas seulement la guerre extérieure, en tous lieux à la fois, guerre continuelle; c'étaient surtout, au sein même des fidèles, des scandales, des querelles, des disputes, des rivalités; ce que Paul attestait ainsi Combats au dehors, frayeurs au dedans. (II Cor. VII, 5.) Et cette guerre intestine était plus affreuse pour les maîtres et pour les disciples. Paul ne redoutait pas tant les machinations des ennemis, que les chutes dans l'intérieur de l'Eg lise , et la violation de ses lois. A Corinthe vivait un infâme libertin, et Paul ne cessa pas, tout le temps que dura cette ignominie, de pleurer sur le malheureux, de se déchirer les entrailles, de pousser d'amers gémissements.

Une troisième cause d'épreuves n'était pas, pour les fidèles, moins féconde en affliction; c'était la nature même de la route à suivre, pleine de sueurs et de fatigues. Car elle n'était ni commode, ni facile, mais ardue, rude à gravir, demandant une âme zélée pour la sagesse, alerte, toujours vigilante. Aussi le Christ appelait-il cette voie, la voie étroite, escarpée. C'est qu'il n'était pas permis de vivre sans crainte, comme chez les Grecs, dans la honte, dans l'ivresse, dans la sensualité, dans les délices, dans la magnificence; au contraire, il fallait mettre un frein à ses désirs, maîtriser les passions désordonnées , mépriser les richesses, fouler aux pieds la gloire, s'élever au-dessus de la haine envieuse. Quel effort est nécessaire alors, c'est ce que savent les hommes chaque jour aux prises avec eux-mêmes. Car quel ennemi plus terrible, répondez-moi , qu'une passion effrénée, qui, à chaque instant, comme un chien que la rage possède, s'élance sur nous, trouble tous les instants de notre vie, et force notre âme à se tenir sans relâche en éveil? Et qu'est-il de plus amèrement triste que la colère? On trouvait de la douceur à se venger de celui qui avait fait l’injure, mais voici qu'on défendait la vengeance. Que dis-je, la vengeance? Il fallait faire du bien à ceux qui nous affligent; bénir ceux qui nous outragent; ne jamais proférer une parole amère; et la modération ne devait pas se restreindre à la conduite; il la fallait encore montrer dans la pensée. Car il ne suffit pas de s'abstenir de toute action immodeste, mais aussi de l'immodestie du simple regard, du plaisir de contempler la beauté des femmes, car une telle contemplation attire les derniers supplices. Ainsi, toutes les guerres du dehors, toutes les frayeurs du dedans, toutes les fatigues des combats où s'acquiert la vertu. Ajoutez un quatrième sujet d'épreuves et de labeurs, l'inexpérience des lutteurs appelés à ces grands combats. Ils n'avaient pas eu de pieux ancêtres pour les préparer, ces hommes que les apôtres avaient la mission d'instruire; ces disciples nouveaux avaient été élevés dans la mollesse, dans les délices, dans l'ivresse, dans les honteuses habitudes , dans l'intempérance. Circonstance qui ne contribuait pas médiocrement à grandir la difficulté du triomphe; ni les âges précédents, ni leurs pères, ne leur avaient frayé les voies de la sagesse; c'était, à cette heure, la première fois qu'ils dépouillaient leurs vêtements pour cette lutte.

3. Donc, en présence de difficultés si grandes, réservées aux combattants, l'Apôtre exhortant les courages, ne cessait pas de publier la résurrection. Et non content de cette pensée, de cette onction fortifiante qui retrempait les athlètes, il y joignait le récit de ses propres douleurs. Avant de retomber dans les discours sur la résurrection, il raconte ce qu'il a souffert, lui aussi; entendez-le : Toujours pressés, jamais accablés; traversés, non déconcertés; (234) persécutés, non abandonnés; précipités, mais non frappés de mort. (II Cor. IV, 8, 9.) Il montre, par ces paroles, les morts subies chaque jour, comme si chacun de ces jours voyait marcher à la mort des cadavres qui respirent. Donc, en présence de ces tourments, l'Apôtre proclamait la résurrection : Nous avons la foi, dit-il, que celui qui a réveillé d'entre les morts Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous réveillera, nous aussi, par Jésus, et nous fera comparaître avec vous. C'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux, car nous avons dans nos combats, la plus puissante des exhortations, l'espérance de l'avenir. (II Cor. IV,14-16.) Et il ne leur dit pas: C'est pourquoi ne succombez pas à vos maux, mais que dit-il? C'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux, montrant par là qu'il est livré, lui aussi, à de continuels combats. Car voyez une différence : à Olympie l'athlète est dans l'enceinte; le gymnasiarque reste au loin, assis; permis à lui de secourir son lutteur par des paroles; l'assistance qu'il lui prête ne dépasse pas les efforts de sa voix; quant à se mettre auprès de lui, pour combattre comme auxiliaire, en personne, à ses côtés, c'est ce qu'aucun règlement ne lui permet. Il en est tout autrement pour les luttes de la piété; le même y est à la fois gymnasiarque et athlète; c'est pourquoi il ne reste pas hors de l'enceinte, assis, mais il va au milieu même des lutteurs, il frotte d'huile ses compagnons dans la lutte, voici comment : C'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux. Et il ne dit pas : C'est pourquoi je ne succombe pas à mes maux, mais, c'est pourquoi nous ne succombons pas à nos maux, dans la pensée de leur communiquer, en même temps que l'éloge, la fierté qui redresse. Mais encore que dans nous l'homme extérieur se détruise, néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. Voyez la prudence de l'Apôtre : il les a avertis de leurs souffrances par ces mots Toujours pressés, jamais accablés; il les a avertis de la résurrection de Jésus, en disant, celui qui a réveillé d'entre les morts Jésus, nous aussi, nous réveillera.

Et maintenant, autre motif d'exhortation, qu'il exprime encore. Vous savez bien qu'un grand nombre d'hommes ont l'âme étroite, faible, morose ; ils sont persuadés de la résurrection, mais ils négligent cette pensée; la longueur du temps à attendre leur donne le vertige, et ils retombent : voilà pourquoi l'Apôtre leur annonce, avant la résurrection, un autre salaire, une autre rétribution. Qu'est-ce à dire? Encore que dans nous l'homme extérieur se détruise, néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour; l'homme extérieur, c'est le corps; l'intérieur, l'âme. Ce que dit l'Apôtre, revient à ceci : avant la résurrection, avant la jouissance de la gloire à venir, ici même, déjà tu as reçu, pour tes fatigues, une récompense qui a son prix; l'affliction même rajeunit l'âme qui s'enrichit de sagesse, de piété, de persévérance, qui devient plus robuste, qui sent se fortifier sa vigueur. Car, de même que les athlètes qui exercent leur corps, sans compter les couronnes, sans compter les récompenses publiques, remportent, du sein même de leur gymnase, par le seul fait de l'exercice qu'ils se donnent, une précieuse récompense, la santé du corps, la force des muscles, qu'ils se procurent par leurs fatigues de gymnase, l'avantage en outre d'échapper à toutes les maladies; de même, en ce qui concerne les luttes de la vertu, avant de nous ouvrir le ciel, avant de nous voir admis auprès du Fils de Dieu, avant de recevoir nos récompenses, ici même, nous recueillons notre salaire, une rétribution considérable, l'accroissement de la sagesse, qui prend possession de notre âme. Car, voyez, les marins qui ont été , mille fois ballottés par les flots, qui ont enduré force coups de vent; qui ont eu à lutter contre des monstres sans nombre, à supporter d'innombrables tempêtes, avant de toucher le profit de leur voyage, recueillent, du seul fait qu'ils reviennent d'une longue traversée, un profit qui n'est pas méprisable; ils ont acquis de la confiance, de l'intrépidité sur mer, et ils ont gagné de faire, sans crainte, avec plaisir, ces voyages maritimes ; il en est de même, croyez-le bien, de la vie présente; celui qui â supporté afflictions sur afflictions, douleurs sur douleurs, pour Jésus-Christ, a reçu même avant de conquérir le royaume des cieux, une grande récompense; il a conquis le droit de parler, d'ici-bas, librement à Dieu, sans plus attendre; il a élevé son âme à une hauteur, d'où il tourne désormais en dérision tout ce qui paraît grave sur la terre.

Un exemple rendra plus manifeste la vérité de mes paroles. Ce Paul, notre Paul lui-même, qui supporta tant et tant de maux, a reçu, même ici-bas, ses récompenses; insignes récompenses; la force qui se rit des tyrans ; qui (235) tient tête aux fureurs populaires; qui voit de haut tous les supplices; intrépide à l'aspect des bêtes féroces, à l'aspect des poignards, et des flots, et des précipices, et des séditions, et des perfides embûches, et, pour en finir, de tous les dangers; qui se pourrait comparer à ce courage? Celui qui n'a pas été exercé, qui n'a rien souffert, les premiers événements qui arrivent, suffisent d'ordinaire à le troubler; disons mieux, ce qui le trouble ce ne sont pas les choses mêmes, et rien que la réalité; une simple prévision? Il n'en faut pas davantage. Mais que dis-je, une simple prévision, des ombres suffisent pour l'effrayer, pour l'épouvanter. Au contraire, celui qui a dépouillé tous ses vêtements, qui s'est mêlé dans les combats, qui a supporté mille et mille coups terribles, c'en est fait, il est supérieur à tout; des geais qui criaillent, voilà ce que lui paraissent ceux qui le menacent, il en rit; ce n'est pas une vulgaire couronne, une récompense banale, que de pouvoir défier toutes les douleurs humaines; mépriser, laisser à d'autres les frayeurs; et quand les autres frissonnent, et restent stupéfaits, de rire de leur épouvante, d'atteindre aux sommets des anges, de s'y établir, au milieu des vertus célestes, par la constance, par la sagesse que l'on a développée en soi. Nous disons que le corps va bien, qui ne craint ni le froid, ni le chaud, ni la faim, ni les privations, ni les incommodités des voyages, ni toutes les autres fatigues : à bien plus forte raison, elle va bien, il faut le dire, l'âme forte et généreuse, qui résiste à tous les assauts, conservant hors de toute atteinte, en dépit de tout, sa liberté. L'homme qui porte une telle âme, est plus roi que ne le sont les rois. Car un roi de la terre peut redouter ses satellites, amis, ennemis, soit les trames secrètes, soit la haine qui se déclare Mais l'âme dont j'ai parlé défie rois, satellites, domestiques, amis, ennemis, jusqu'au démon même impuissant contre elle. Comment cela? Cette âme, qui a médité, comprend que les prétendus malheurs ne sont pas des malheurs.

4. Tel était le bienheureux Paul; aussi que disait-il ? Qui donc nous séparera de l'amour de Jésus-Christ? l'affliction, ou les angoisses, ou la persécution, ou la faim, ou la nudité, ou les périls, ou l'épée? Selon qu'il est écrit pour vous, nous sommes égorgés tous les jours, on nous a regardés comme des brebis destinées à la boucherie; mais dans tous ces maux, nous sommes vainqueurs par celui qui nous a aimés. (Rom. VIII, 35-37.) C'est ce qu'il insinuait par ces paroles : Encore que dans nous l'homme extérieur se détruise , néanmoins l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. (Cor. IV, 16.) Le corps s'affaiblit, dit-il, mais l'âme se fortifie en puissance, en énergie, ses ailes grandissent. Et de même qu'un soldat chargé de lourdes armes, quelles que soient sa bravoure et son habitude de la guerre, inspire peu de terreur aux ennemis qui savent bien que la pesanteur des armes empêche la rapidité de la course et le maniement du fer; tandis que, légèrement armé, pourvu d'armes commodes, le soldat, comme un oiseau, fond sur l'ennemi: de même, celui dont la chair ne s'est appesantie ni dans l'ivresse, ni dans les complaisances de la sensualité, ni dans les délices, à qui les jeûnes, au contraire, et les prières , et la constance dans les afflictions ont fait un corps plus mince et plus léger, celui-là c'est un oiseau qui s'abat du haut des airs, se ruant, d'un vol impétueux, sur les phalanges des démons pour les terrasser, pour subjuguer ces puissances ennemies.

Ainsi Paul, après tant de souffrances, jeté en prison, attaché au poteau, voyait son corps s'affaiblir, épuisé par les fatigues; mais son âme, il la sentait énergique et robuste : l'énergie du prisonnier dans les fers était telle que le seul bruit de sa voix ébranlait les fondements de la prison, chargeait de liens le geôlier libre, et bientôt captif de celui qu'il devait garder; ses paroles suffisaient pour ouvrir, les portes fermées à clef. Paul ne nous a donc pas donné une petite consolation en nous disant que, même avant la résurrection, nous devenons, par les épreuves, et meilleurs et plus sages. C'est pourquoi il nous dit : l'affliction produit la patience; la patience, l'épreuve, et l'épreuve, l'espérance ; cette espérance n'est point trompeuse (Rom. V, 4, 5.) Ecoutez encore une parole qu'un autre a prononcée : Celui qui n'est pas tenté, n'a pas été éprouvé, et celui qui n'a pas été éprouvé, n'a aucune valeur. (Ecclés. XXXIV, 11.)

De sorte que nous ne recueillons pas de l'affliction un mince avantage, même avant la résurrection, l'avantage de posséder une âme plus éprouvée, plus sage, plus robuste, et affranchie de toute pusillanimité. Ce qui nous explique les paroles de Paul: Encore que dans nous l'homme extérieur se détruise, néanmoins (236) l'homme intérieur se renouvelle de jour en jour. (II Cor. IV, 16.) Comment cela, je vous prie? L'âme répudie toute lâcheté, les désirs déréglés s'éteignent; avarice, vanité, en un mot toutes les pensées qui nous perdent, sont exterminées. Donc, de même que l'âme qui se livre à la paresse et à l'indolence, est la proie facile des affections de ce genre, de même celle qu'exercent sans relâche les luttes de la piété, n'a pas les loisirs d'y penser, les soucis de la lutte l'en préservent. De là ces paroles: Il se renouvelle de jour en jour. Autre consolation maintenant que l'Apôtre adresse encore aux âmes qui s'affligent, qui ne comprennent pas la sagesse; pour les relever par l'espérance de l'avenir, il leur dit: Car le moment si court et si léger de l'affliction, produit en nous le poids éternel d'une souveraine et incomparable gloire ; car nous ne considérons point les choses visibles, qui n'ont qu'un temps; mais les choses invisibles, éternelles. (II Cor. IV, 17, 18.) Ces paroles reviennent à ceci : grande utilité, même ici-bas, de l'affliction, qui rend notre âme plus sage et plus prudente, en outre, qui nous ménage d'incalculables biens pour l'avenir ; et ces biens ne seront pas seulement la compensation de nos peines, ils l'emporteront de beaucoup sur nos travaux et pour le nombre et pour l'excellence. Je dis que c'est là le double témoignage de Paul; il montre, il compare l'excès des dangers, l'inestimable prix des récompenses, et il oppose, à l'instant qui passe, l'éternité; à la légèreté, le poids réel; à l'affliction, la gloire. Car l'affliction n'a qu'un instant, dit-il, et elle est légère; mais le repos (je me trompe, il ne dit pas, le repos, mais la gloire, de beaucoup supérieure au repos), la gloire est éternelle, et sans interruption dans sa grandeur. Quant à ce qu'il entend ici par poids réel, ce n'est pas quelque chose qui fatigue, qui pèse; il exprime, en se conformant à l'usage du peuple, ce qui est magnifique, d'un grand prix, attendu que d'ordinaire on dit des matières précieuses qu'elles sont d'un grand poids. Ainsi, quand il dit, le poids de la gloire, il veut dire la grandeur de la gloire. Donc, ne te borne pas à considérer, dit-il, que tu es frappé de verges, expulsé, mais calcule aussi et les couronnes, et les récompenses d'une grandeur, d'un éclat si fort au-dessus des choses présentes, ces récompenses sans fin, que rien ne limitera. Mais c'est que, m'objecte celui-ci, les choses présentes, nous les éprouvons, les autres ne sont qu'en espérance ; et les unes sont visibles; les autres, on ne les voit pas, elles sont dans des hauteurs qui nous échappent; je réponds, quoiqu'on ne les voie pas, elles sont plus visibles que les choses visibles. Que dis-je, plus visibles? Toi-même tu peux les voir, mieux que tu ne vois les choses présentes: car celles-ci passent, les autres subsistaient. Aussi l'Apôtre ajoute : Car nous ne considérons point les choses visibles, qui n'ont qu'un temps; mais les choses invisibles, éternelles. (II Cor. IV, 17,  18.)

5. Mais si tu me dis : Et comment pourrais-je voir l'invisible, et ne pas voir le présent ? Des exemples de la vie ordinaire, si je réussis, vont te démontrer que cette foi est possible. Car en ce monde personne ne s'appliquerait à ces affaires du siècle qui passe, si l'on ne voyait pas l'invisible, avant d'apercevoir le visible. Par exemple : le marchand supporte un grand nombre de tempêtes, et les flots soulevés contre lui, et les naufrages, et d'incalculables fatigues, quant à jouir des ses richesses, il faut d'abord qu'il ait affronté les tempêtes, fait écouler ses marchandises, et qu'il se soit donné beaucoup de peines et de soucis. Les tempêtes d'abord ; la vente des marchandises, après; et la mer, et les flots sont choses visibles en sortant du port; mais le profit de la vente, invisible; car il n'existe qu'en espérance. Cependant, si le marchand ne voyait pas d'abord cette vente invisible, et qui n'est pas une chose présente, qui n'est pas en ses mains, et qui n'existe qu'en espérance, il ne tenterait pas ce présent visible. De même encore, le laboureur attelle ses boeufs, et traîne la charrue, et creuse profondément le sillon, et jette les semences, et tout ce qu'il a, il le dépense, et le froid, et la glace, et les pluies, et tant d'autres épreuves, il supporte tout, et ce n'est qu'après ces fatigues qu'il s'attend à voir ses blés aux riches épis, et sa grange pleine. Voyez-vous, dans cet exemple encore,-la peine d'abord, le salaire ensuite; le salaire incertain, la peine manifeste et visible; et celui-là n'est qu'en espérance, l'autre, dans les bras qui la sentent ? Et cependant le laboureur aussi, s'il ne voit pas d'abord la récompense qui ne se manifeste pas, le salaire invisible, qui n'apparaît pas aux yeux du corps, non-seulement il n'attellera passes boeufs, il ne traînera pas la charrue, il ne jettera pas les semences, mais il ne fera pas un mouvement hors de chez lui, pour un tel travail. Comment donc ne serait-il pas absurde, lorsque, dans la (237) vie ordinaire, on voit l'invisible avant le visible, lorsqu'avant tout salaire, on endure les fatigues; on commence par supporter tout ce qui est incommode et fâcheux, et ce n'est qu'ensuite qu'on attend les biens qu'on a mérités ; c'est l'espoir fondé sur l'invisible qui fait qu'on s'applique à ce qu'on voit ; lorsqu'il en est ainsi, quelle absurdité, en ce qui touche Dieu, de douter, d'hésiter , de réclamer, avant les fatigues, les récompenses , et de se montrer moins généreux que les laboureurs, que les marins ?

Car ce n'est pas seulement par notre répugnance à nous confier dans l'avenir, que nous montrons moins de ,sagesse qu'eux, il y a encore une autre raison, aussi considérable, qui les rend supérieurs à nous. Quelle est-elle? C'est que, quoiqu'ils n'aient pas absolument la certitude de voir leurs espérances satisfaites, ils n'en continuent pas moins à supporter les fatigues : mais toi, tu as pour t'assurer de tes couronnes, le plus sûr garant, et même avec cette caution, tu montres moins de constance. Car souvent le laboureur, les semailles faites, après avoir donné ses soins à la terre, et vu croître et mûrir une riche moisson, voit la grêle, ou la nielle, ou les sauterelles, ou d'autres fléaux quelconques lui arracher la récompense de ses labeurs, et, après tant de sueurs, il retourne chez lui les mains vides. Et le marchand à son tour, après avoir franchi les vastes mers, amenant avec lui un vaisseau bien rempli, souvent, à l'entrée même du port, le voilà saisi par les vents qui le brisent contre un écueil, c'est à peine s'il a pu se sauver tout nu. Et généralement pour toutes les affaires de la vie, souvent il arrive des catastrophes qui font perdre le résultat qu'on attendait. Mais, pour les combats qui te sont proposés, il n'en est pas de même ; nécessité absolue que celui qui a combattu , que celui qui a semé la piété, qui a supporté beaucoup de fatigues, obtienne son résultat. Car ni la mobilité irrégulière de l'atmosphère, ni les vents impétueux ne peuvent nous enlever les récompenses de ces fatigues ; Dieu ne l'a pas permis ; nos récompenses sont en réserve dans les trésors du ciel, à l'abri de toute déprédation. De là encore ce que Paul disait : L'affliction produit la patience, la patience l'épreuve, et l'épreuve l'espérance; cette espérance n'est point trompeuse. (Rom. V, 4, 5.) Ne dites donc point que les choses à venir sont invisibles : car si vous voulez les examiner avec attention, elles sont beaucoup plus visibles que ce que vous touchez de vos mains. C'est encore ce que nous montre Paul, quand il fait entendre ces mots : Les choses éternelles, qu'il oppose à celles qui n'ont qu'un temps: ce caractère qu'elles n'ont qu'un temps montre qu'elles sont périssables. Car avant de paraître, elles s'enfuient, elles s'envolent avant de s'être fixées, les vicissitudes en sont rapides, la possession mal assurée. Ce qui s'applique à la fortune, à la gloire, à la puissance, à la beauté du corps, à la force, en un mot, évidemment à toutes les choses de la vie. C'est pourquoi le prophète raillant, et ceux qui vivent dans les délices, et ceux que possède la fureur de s'enrichir, et tous les autres dérèglements de la folle pensée: Ils ont regardé, dit-il, comme stable, ce qui n'est que fugitif. (Amos, VI, 5.) Car, de même qu'on ne peut pas se saisir d'une ombre, ainsi des choses de la vie terrestre; les unes s'évanouissent au moment de la fin, les autres, même avant la fin, avec plus de rapidité que n'importe quel torrent. Pour les choses à venir, il n'en est pas de même; elles ne connaissent ni changement, ni vicissitudes, ni vieillesse, ni altération quelconque; ce sont des fleurs toujours vivantes d'une persistante beauté. De sorte que, s'il faut dire qu'il y a des choses invisibles, obscures, incertaines, il faut entendre par là les choses présentes, celles dont la possession n'est pas durable, qui changent de maîtres, qui, chaque jour, passent de l'un à l'autre, et, par un nouveau bond, retournent de celui-ci à celui-là. Après avoir montré, après nous avoir dit que les choses présentes n'ont qu'un temps, que les choses à venir sont éternelles, Paul commence à parler de la résurrection, en ces mots : Car nous savons que si cette maison de terre, cette habitation, cette tente vient à être défaite, Dieu nous donne une maison, qu'aucune main d'homme n'a faite, éternelle demeure dans les cieux. (II Cor. V, 1.)

6. Voyez encore, en cet endroit, la propriété des expressions dont il s'est servi, montrant par la seule puissance des mots la puissance des pensées. Car ce n'est pas sans intention qu'il appelle notre corps une tente, il veut faire voir que la vie présente n'a qu'un temps, il veut faire concevoir le changement qui s'opère en mieux. Il nous dit presque : Pourquoi tes gémissements, tes larmes, mon bien-aimé, parce qu'on te frappe, parce qu'on te chasse, parce (238) qu'on te jette en prison? pourquoi te lamenter sur ces afflictions particulières, quand tu sais que ton corps doit être un jour entièrement décomposé, ou plutôt que la corruption, qui est dans ton corps, doit disparaître? Car, pour faire voir que ces afflictions particulières, non-seulement ne doivent pas nous attrister, mais doivent être pour nous un sujet de joie, il montre que la consommation universelle et finale doit être notre désir, l'oeuvre de nos prières; il entend par là la dissolution que produit la mort. C'est encore dans cette pensée qu'il dit : Car nous gémissons dans cette tente, désirant nous voir revêtus, comme d'un second vêtement, de notre habitation céleste. (II Cor. V, 2.) Ces deux mots, habitation, tente, désignent le corps; supposons qu'il entende par là les maisons dans lesquelles nous habitons, les villes, c'est une figure de la vie présente. Et il ne dit pas simplement, je sais, mais. nous savons; il parle au nom de ceux qui l'écoutent. Je ne vous entretiens pas, dit-il, de choses douteuses ou inconnues, mais de choses que vous avez déjà acceptées par la foi; vous croyez en la résurrection du Seigneur. Voilà pourquoi nous appelons tentes, les corps de ceux qui ne sont plus. Et voyez la propriété de l'expression dont il s'est servi. Il ne dit pas, a été détruite, ou a disparu, mais: a été défaite, indiquant par là que l'habitation est défaite pour se relever plus brillante , plus éclatante. Ensuite , de même qu'au sujet des peines et des récompenses, il a fait une comparaison prise de la qualité, du temps, de la quantité, de même encore, en cette occasion ; notre corps caduc, il l'appelle tente; ce qui ressuscite, une maison; et non-seulement une maison, mais une demeure éternelle; et non-seulement éternelle, mais céleste; ainsi, et le temps, et le lieu lui servent à en montrer l'excellence. L'habitation présente est de terre, cette autre demeure est une demeure céleste; la première n'a qu'un temps, l'autre est éternelle. Et maintenant, il nous faut à la fois et un corps, et des maisons, à cause de la faiblesse de notre constitution; mais, un jour, le corps servira en même temps de corps et de logement, sans qu'il soit besoin, ni de toit, ni d'abri, ni de couvertures quelconques ; l'incorruptibilité suffira. Ensuite , pour montrer l'excellence des biens qui lui pont réservés, il dit : Car nous gémissons dans cette tente. Il ne dit pas, je gémis, mais il associe les autres à sa pensée. Car nous gémissons, dit-il; il veut les attirer à sa sagesse, les admettre à partager sa pensée. Car nous gémissons dans cette tente , désirant nous voir revêtus, comme d'un second vêtement, de notre habitation céleste. Il ne dit pas simplement revêtus, mais revêtus comme d'un second vêtement , et il ajoute : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. (II Cor. V, 3.) Ce qui semble obscur, mais s'éclaircit bien vite par ce qui suit : Car, pendant que nous sommes dans notre tente, nous gémissons appesantis, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement. (Ibid. 4.)

Vous voyez comme il est fidèle à son langage; il n'appelle pas maison, ce corps que nous avons actuellement, il continue à l'appeler une tente. Pourquoi? dit-il, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement. Il porte ici un coup mortel à ceux qui calomnient notre corps, et qui accusent notre chair. En effet, aussitôt après avoir dit que nous gémissons et que nous ne voulons pas être dépouillés, pour qu'on ne s'imagine pas qu'il veut fuir le corps, qu'il le regarde comme quelque chose de mauvais, comme une cause de perversité, comme un ennemi, écoutez de quelle manière il prévient un soupçon injuste : il commence par dire que nous gémissons, désirant nous voir revêtus, comme d'un second vêtement, de notre habitation céleste : dans la réalité, celui qui se revêt d'un second vêtement, prend un autre vêtement qu'il ajoute au premier; il continue, en disant : Nous gémissons appesantis, parce que nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement. Ces paroles reviennent à ceci : nous ne voulons pas, dit-il, nous dévêtir de la chair, mais de la corruption, quitter notre corps, mais la mort. Le corps est une chose, et la mort, une autre; le corps est une chose, et la corruption une autre; ni le corps n'est la corruption, ni la corruption n'est le corps. Sans doute le corps se corrompt, mais le corps n'est pas la corruption; sans doute le corps est mortel, mais le corps n'est pas la mort; le corps est l'oeuvre de Dieu, mais la corruption et la mort ont été introduites par le péché. Donc je veux me dépouiller de ce qui m'est étranger, dit-il, et non de ce qui m'est propre; or ce qui est étranger, ce n'est pas le corps, mais la corruption. Voilà pourquoi il dit : Parce que nous ne voulons pas être dépouillés, cela veut dire, de notre corps, (239) mais recevoir encore un vêtement, ajouter, à notre corps, l'incorruptibilité. Le corps se trouve entre la corruption et l'incorruptibilité. Donc, l'homme se dépouille de la corruption et ajoute, au vêtement qui est son corps, le second vêtement, qui est l'incorruptibilité ; il met de côté ce qu'il a reçu du péché, et il s'empare de ce que lui a concédé la divine grâce. Comprenez bien que l'Apôtre ne dit pas être dépouillés, en parlant du corps, mais en parlant de la corruption et de la mort; voici ce qui le prouve, écoutez la suite de ses paroles. En disant : Nous ne voulons pas être dépouillés, mais recevoir encore un vêtement, il n'ajoute pas, afin que le corps soit absorbé par ce qui est incorporel, qu'ajoute-t-il donc? Afin que ce qu'il y a de mortel soit absorbé par la vie (II Cor. V, 4), c'est-à-dire pour que la mortalité s'évanouisse et soit détruite ; de sorte qu'il ne parle pas de la destruction du corps, mais de la destruction de la mort et de la corruption. Car la vie qui s'ajoute, ne fait pas disparaître le corps, elle ne le consume pas; elle détruit seulement ce qui est survenu au corps, la corruption et la mort. Donc, ces gémissements n'accusent pas le corps, mais la corruption qui s'y est attachée; en effet, si le corps est un fardeau pesant, importun, ce n'est pas par sa nature particulière, mais à cause de la mortalité qui s'est ajoutée au corps. Mais non, le corps n'est pas corruptible, le corps, au contraire, est incorruptible. Car telle est sa noblesse, qu'au sein même de la corruption, il manifeste sa dignité. On sait bien que les ombres des apôtres ont chassé les puissances incorporelles; leur poussière et leurs cendres ont vaincu les démons; les vêtements qui ont touché leurs corps ont mis en fuite les maladies, et ramené la santé.

7. Ne me parlez pas de flegmes, de bile, de sueurs, d'impuretés, de toutes les accusations qu'on dirige contre le corps; ce n'étaient pas là des propriétés essentielles de la nature des corps, ce sont des effets de la corruption ultérieurement survenue. Voulez-vous savoir ce que vaut le corps; voyez la composition de tous ses membres, sa figure, ses opérations, la concorde qui produit l'harmonie du tout; non , il n'est pas de cité bien réglée, ne contenant que des citoyens tous pleins de sagesse, qui présente une administration plus exacte, plus régulière que celle de nos membres. Si cet ordre merveilleux échappe à vos regards négligemment jetés de haut en bas, si vous ne voulez considérer que ce qu'il y a de corruptible et de mortel, eh bien ! à ce point de vue, nous ne serons pas encore à court de réponse. Nous vous dirons que, non-seulement il n'y a là aucun dommage, mais, qu'au contraire, un gain considérable en résulte pour la race humaine. En effet, tous les saints, vivant avec leur corps, ont fait paraître en eux la noble vie des anges , et le corps n'a en rien retardé leur course à la poursuite de la vertu; et ceux qui étaient portés à l'impiété, n'ont pas trouvé un petit obstacle dans la corruption même de ce corps qui les empêchait de s'enfoncer plus avant dans leur iniquité. En effet si, dans l'enveloppe de ce corps sujet à la corruption, à tant de douleurs, un grand nombre d'hommes se sont imaginé qu'ils égalaient Dieu, si, pour se revêtir d'une telle gloire, ils ont fait de grandes choses, supposez un moment qu'ils n'eussent pas eu un corps exposé aux douleurs , sujet à la corruption , quels esprits grossiers n'auraient-ils pas trompés? Ainsi, quand il est vrai de dire que le corps est un obstacle à cette impiété, qui est le dernier terme de la malice humaine; quand il est vrai, en même temps, qu'il fournit aux saints les moyens de montrer qu'ils portent une âme virile, quelle indulgence pourraient mériter ceux qui calomnient le corps et qui le déclarent une nature mauvaise ? Nous pourrions ne .pas nous borner à ces réflexions, mais ajouter que, par le corps, nous arrivons à la connaissance de Dieu. Car si les perfections invisibles de Dieu sont devenues visibles, depuis la création du monde, par la connaissance que ces créatures nous en donnent (Rom. I, 20), et si la foi vient de ce qu'on a entendu (Rom. X, 17), il est évident que les yeux et les oreilles conduisent l'âme pas à pas à la connaissance de celui qui l'a faite, à la connaissance de Dieu. Voilà pourquoi Paul aime le corps, et il proclame bien haut son amour, en disant: Nous ne voulons pas en être dépouillés, mais ajouter à notre corps un second vêtement, l'immortalité. (II Cor. V, 4.)

Ne me dites pas : comment le corps peut-il ressusciter et devenir incorruptible ? Car une fois que c'est la puissance de Dieu qui opère, le comment n'a plus de sens. Mais que dis-je de Dieu ? C'est toi-même qu'il a fait artisan de résurrection, exemple, les semailles; exemple, les divers arts; exemple, les métaux. En effet, (240) si les semences ne commencent pas par mourir, par la corruption, par la destruction, elles ne produisent pas l'épi. De même donc, ici-bas, qu'à la vue du grain qui se corrompt et se décompose, loin de douter de la résurrection, vous y voyiez au contraire la démonstration la plus manifeste, car si le grain subsistait sans se corrompre, sans être détruit, jamais il ne ressusciterait, raisonnez de même sur votre corps; c'est quand vous voyez la corruption, qu'il faut surtout comprendre la résurrection. Car la mort n'est pas autre chose que la corruption détruite pour toujours; car ce n'est pas simplement le corps, mais la corruption du corps que la mort détruit. Autre exemple fourni par ce que nous pouvons voir en ce qui concerne les métaux. Le minerai qui contient l'or, est reçu par des gens expérimentés; on le jette dans le fourneau, et l'on obtient l'or; avec du sable et d'autres substances mêlées, on fait le verre dont vous connaissez la pureté. Eh bien! maintenant, répondez-moi, le feu a ce pouvoir, et la grâce de Dieu ne l'aurait pas? Qui pourrait le soutenir parmi ceux qui ont conservé une ombre de raison ? Réfléchissez sur la manière dont Dieu vous a créés dès le principe, et ne doutez plus de la résurrection. Est-ce qu'il n'a pas pris de la terre, qu'il a façonnée? Eh bien ! quel est, ici, le plus difficile, faire, avec de la terre, de la chair, des veines, une peau, des os, des fibres, des nerfs, des artères, des corps organiques et des corps simples, des yeux, des oreilles, des nez, des pieds et des mains, et donner à chacun de ces organes son énergie particulière et en même temps l'énergie qui s'accorde, ou bien faire que ce qui est devenu corruptible soit immortel? Ne voyez-vous pas que la terre est uniforme, tandis que le corps est varié, multiforme, en ce qui concerne les opérations, les couleurs, la figure, les substances et tout le reste ? D'où vient donc votre doute sur les choses à venir, répondez-moi, et qu'est-il besoin de vous parler des corps? Car, voyons, les puissances infinies, les peuples des anges, les archanges, les troupes composées des vertus supérieures encore, comment les a-t-il faits ? répondez. Quant à moi, je ne puis rien vous dire, sinon qu'il lui a suffi de le vouloir. Eh bien, celui qui a pu faire tarit d'armées de puissances spirituelles, ne peut pas renouveler le corps de l'homme, attaqué par la corruption, et l'élever à une dignité plus haute? Quel homme assez dépourvu d'intelligence pourrait douter de ces choses et nier la résurrection? Sachez-le bien, sans la résurrection du corps, il n'est pas de résurrection pour l'homme, car l'homme n'est pas seulement une âme, c'est à la fois une âme et un corps. Si donc l'âme ressuscite seule, c'est la moitié de l'être vivant qui ressuscite, et non l'être tout entier : d'ailleurs, en ce qui concerne l'âme, le mot de résurrection n'aurait pas de propriété. Car il n'y a de résurrection que de ce qui est déchu et décomposé ; or, ce n'est pas l'âme qui se décompose, mais le corps. Que signifie cette parole: Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus ? (II Cor. V, 3.) Mystère profond, ineffable, que l'Apôtre nous indique ici d'une manière énigmatique. Quel mystère? C'est ce qu'il dit dans l'épître aux Corinthiens : Tous, nous ressusciterons, chacun de nous en son rang. (I Cor. XV, 22, 23.) Or que signifie cette parole ? que le grec, le juif, l'hérétique, tout homme venu en ce monde, ressuscitera en ce jour. Ce qu'il montre par ces paroles : Nous ne dormirons pas tous, mais nous serons tous changés, en un moment, en un clin d'oeil, au son de la dernière trompette. (I Cor. XV, 51, 52.)

8. Mais maintenant, parce que la résurrection est universelle pour les hommes pieux, pour les impies, pour les méchants, pour les bons, n'allez pas en conclure l'injustice du jugement, gardez-vous de dire en vous-mêmes : Qu'est-ce que cela? Comment! moi qui fus plein de zèle, tant éprouvé, si malheureux, je ressuscite,, et le grec, et l'impie, et l'idolâtre, et celui qui a méconnu le Christ, tous ressuscitent également, ils jouissent du même honneur que moi? Pour prévenir ce trouble de vos pensées, écoutez ce que dit l'Apôtre : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. (II Cor. V, 3.) Et comment peut-il dire que celui qui a revêtu l'incorruptibilité, l'immortalité, serait trouvé nu? Comment? II prévoit le cas où nous serions privés de la gloire, privés du droit de pouvoir raconter à Dieu toute notre vie. Car les corps des pécheurs ressuscitent incorruptibles et immortels; mais cet honneur n'est pour eux que la possibilité de subir le châtiment et les supplices : ils ressuscitent incorruptibles, pour brûler éternellement. Car le feu qui les attend est inextinguible, il faut par conséquent à ce feu des corps qui lui répondent, qui ne soient jamais consumés. De là ces paroles : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, (241) et non pas nus. Car il ne suffit pas que nous ressuscitions et que nous revêtions l'immortalité, mais il faut que ressuscités, et que revêtus d'immortalité, nous ne soyons pas trouvés nus de gloire et de confiance en Dieu, pour n'être pas livrés aux flammes. Voilà pourquoi l'Apôtre dit : Si toutefois nous sommes trouvés vêtus, et non pas nus. Ensuite ce sont d'autres paroles pour fortifier la croyance à la résurrection, et il dit, que ce qu'il y a de mortel doit être absorbé par la vie (II Cor. V, 4), puis il ajoute : Celui qui nous a formés pour cet état, c'est Dieu. (Ibid. V, 5.) Ce qui revient à dire : Dès le principe, Dieu a fait l'homme non pour qu'il fût détruit, mais pour qu'il tendît à l'incorruptibilité. Aussi quand il consentit à la mort, Dieu ne l'a permise, ô homme, qu'afin que devenu sage par la punition, devenu meilleur, tu pusses de nouveau ressaisir l'immortalité.

Voilà, dès le principe, la sublime pensée, la ferme résolution de Dieu, c'est avec cette pensée qu'il a formé le premier homme, et aussitôt il l'exprima par les signes qu'il donna aux premiers jours du monde. Car s'il n'eût pas voulu, dès le commencement, nous ouvrir les portes de la résurrection, il n'aurait pas souffert qu'Abel, orné de toutes les vertus, qu'Abel, qu'il aimait, éprouvât ce qu'il a éprouvé. Mais pour nous montrer que nous marchons vers une autre vie, qu'un autre âge a été réservé aux justes, qui doivent y trouver leurs récompenses et leurs couronnes, il a voulu que le premier juste, quittant la terre sans y avoir reçu le salaire de ses peines, nous criât par les blessures qu'il avait comme autant de voix entendues de tous, après la vie d'ici-bas, il y a une rémunération , un salaire, une récompense. Voilà pourquoi il a enlevé Enoch, ravi dans le ciel Elie, ces premières figures de la résurrection. Donc il suffit, pour que le raisonnement soit sans réplique, de la puissance du Créateur : toutefois si quelque esprit un peu faible veut encore une démonstration, ajoutée à ce qui précède, un gage de la résurrection à venir, Dieu nous l'a encore donné avec une grande libéralité, en nous prodiguant la grâce du Saint-Esprit. Aussi Paul, après avoir démontré la résurrection parla résurrection du Christ, parla puissance de Dieu qui nous a formés, ajoute cette parole: Il nous a donné pour arrhes, non des richesses, ni de l'or, ni de l'argent, mais pour arrhes l'Esprit. (II Cor. V, 5.) Or qui dit arrhes, dit partie d'un tout, et cette partie fait qu'on a confiance pour le tout. Car, de même que, dans les conventions, celui qui a reçu des arrhes, ne s'inquiète pas de tout le reste, et prend confiance, de même toi qui as reçu tes arrhes, je veux dire les dons de l'Esprit, tu ne dois plus être en doute des biens qui te sont réservés. Toi, qui ressuscites des cadavres, qui guéris les aveugles, qui chasses les démons, qui purifies les lépreux, qui enlèves les maladies, qui détruis la mort, qui as le pouvoir de faire tant et de si grandes choses, dans un corps fragile et mortel, quel pardon mériteras-tu, si tu doutes de la résurrection ? En effet, si, avant que le temps de la résurrection soit arrivé, lorsque la lutte dure encore, Dieu nous donne pour récompenses de si belles couronnes, concevez quels prix magnifiques il nous donnera quand viendra l'heure de la distribution. Mais on m'objecte : Nous ne voyons pas aujourd'hui ces merveilleux signes, nous n'avons pas un si grand pouvoir; voici ce que je réponds : qu'importe qu'ils paraissent maintenant, ou qu'ils aient paru auparavant? Qu'autrefois les apôtres aient donné des signes merveilleux , c'est ce que témoignent par toute la terre les Ecritures, les peuples, les cités , les nations qui sont accourues auprès de pauvres gens, de pauvres pêcheurs. Ils ne se seraient pas rendus maîtres de toute la terre, ces gens sans lettres, ces mendiants, ces pauvres, ces hommes dédaignés, s'ils n'avaient pas eu ces miracles pour les secourir. Mais toi-même tu n'as pas échappé à la grâce de l'Esprit; tu portes maintenant encore de nombreuses marques de cette munificence, elles sont restées en toi, et il faut dire que toutes celles que nous avons énumérées hors de toi , sont loin d'être aussi grandes, aussi admirables. Car il n'y a pas égalité de merveilles, à ressusciter un corps sans vie, et quand une âme a été frappée de mort par ses péchés, à l'affranchir d'une telle destruction : ce qui se fait par le baptême; il n'y a pas égalité de merveilles à guérir les maladies de la chair, et à déposer le fardeau des péchés; il n'y a pas égalité de merveilles à faire cesser la cécité du corps et à faire briller la lumière dans une âme obscurcie. Si nous n'avions pas pour arrhes , à présent même , l'Esprit, nous ne posséderions ni le baptême, ni la rémission des péchés; nous n'aurions ni la justice ni la sanctification ; nous ne connaîtrions pas l'adoption des (242) enfants de Dieu, nous ne jouirions pas des mystères; jamais nous n'aurions goûté ni le corps ni le sang mystique si la grâce de l'Esprit n'était sur nous; ni prêtres, ni ordinations n'étaient possibles sans la descente de l'Esprit. Mais qui pourrait dire tant d'autres marques de sa grâce? Ainsi toi-même tu portes en toi, tu as pour arrhes, l'Esprit; ton âme était morte , elle vit; la cécité des pensées n'est plus ton partage, et tu ne suis plus la route de l'impureté. Donc ne doutons plus des choses à venir, puisque nous avons reçu de tels gages : rassemblons de toutes parts les preuves de la résurrection, montrons une conduite digne de cette croyance, afin que nous obtenions les biens que nul pouvoir ne peut ravir, et qui surpassent toute parole, toute pensée humaine, et puissions-nous entrer tous tant que nous sommes en ce partage, par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui est la gloire, qui appartient en même temps au Père et au Saint-Esprit, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. PORTELETTE.

 

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