ROMAIN I

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HOMÉLIES SUR SAINT ROMAIN.

 

PREMIÈRE HOMÉLIE.

 

AVERTISSEMENT A ANALYSE.

 

Nous avons deux éloges de saint Romain. L'un est incontestablement de saint Chrysostome, et fut fait quelques jours après celui de saint Eustathe à Antioche ; l'autre est d'un style tout différent de saint Chrysostome, mais d'un auteur contemporain, puisque l'auteur parle de l'hérésiarque Macédonius comme encore vivant, ou mort depuis peu. On croit que ce discours pourrait bien être de quelque prêtre d'Antioche, qui, sous l'épiscopat de Flavien, partageait avec saint Chrysostome le ministère de la parole.

 

1° Les martyrs et nous, et même le Christ et nous, nous sommes membres d'un même corps. 2° Le démon fit couper la langue à saint Romain parce que, dans la longue et sanglante guerre qu'il avait déjà faite à la religion , il avait éprouvé combien la mort effrayait peu les martyrs, et combien ceux-ci en mourant servaient la cause de Jésus-Christ. Il voulait le mettre dans l'impuissance d'exhorter ses frères, et tout ensemble le rendre témoin de leurs chutes. 3° Le démon est confondu, saint Romain parle la langue coupée. c'est l'habitude de Dieu, dès le commencement, de faire tourner à notre avantage tout ce que le démon tente pour nous perdre. 4° Argument tiré de cette bouche qui parle sans langue , en faveur de la résurrection des morts.

 

1. Nouveau souvenir des martyrs, nouvelle fête, encore une assemblée spirituelle. Ils ont eu la peine, à nous le plaisir; à eux les luttes, à nous les saints transports; la couronne, la gloire leur est commune à tous; disons mieux, à l'Eg lise entière appartient la gloire. Et comment, me dira-t-on, est-ce possible? C'est que les martyrs sont avec nous parties et membres d'un même corps. Qu'un seul membre souffre, tous les autres membres souffrent avec lui; qu'un des membres reçoive de l'honneur, tous les autres s'en réjouissent avec lui. (I Cor. XII, 26.) On couronne la tête, et tout le corps en est fier; un seul homme est vainqueur à Olympie, et tout un peuple est dans la joie, et lui prodigue les acclamations du triomphe. Mais si les luttes olympiques, même pour ceux dont la sueur n'a pas coulé , sont fertiles en plaisirs si doux, à plus forte raison, les combats de la piété inspirent les joyeux transports. Nous ne sommes que les pieds, les martyrs sont la tête, mais la tête ne peut pas dire aux pieds, je n'ai pas besoin de vous. (Ibid. 21.) Les martyrs sont des membres glorieux; mais l'excès de leur gloire ne détruit pas leur union avec les autres membres; ce qui fait surtout leur gloire, c'est que leur union avec nous n'est pas supprimée. L'oeil est plus brillant que tout le reste du corps; si l'œil conserve sa gloire particulière, c'est quand il tient au corps, qu'il n'en est pas arraché. Mais que parlé-je des martyrs? Si Celui qui en est le maître et seigneur n'a pas rougi d'être appelé notre tête, à bien plus forte raison, ceux-ci ne rougissent-ils pas d'être nos membres : leur amour pour nous, ils l'ont enraciné dans leur âme; l'amour joint et cimente ce qui est séparé; l'amour ne discute pas des questions de dignité. Les martyrs s'affligent avec nous de nos péchés; à notre tour, réjouissons-nous avec eux de leurs héroïques vertus. C'est le conseil que Paul nous donne, se réjouir avec ceux (520) qui se réjouissent, gémir avec ceux qui gémissent. (Rom. XII, 45.) Toutefois, si gémir avec ceux qui gémissent est chose facile, se réjouir avec ceux qui se réjouissent n'est pas d'une aussi grande facilité ; nous trouvons moins de peine à compatir aux malheurs, qu'à partager la joie de ceux que glorifie la prospérité. Dans le premier cas, la nature seule de l'adversité suffirait pour attendrir une pierre, et réveiller la sympathie; mais dans le second, la haine et l'envie , compagnes de la prospérité, ne permettent pas à l'âme peu avancée dans la sagesse de partager les joies d'autrui. Si l'amour unit et cimente ce qui est séparé, l'envie, au contraire, divise ce qui était uni. C'est pourquoi, je vous y convie, exerçons-nous à nous réjouir avec les heureux, ne permettons pas à la haine, à l'envie, de souiller notre âme; rien ne dissipe cette maladie cruelle et chagrine autant que de se réjouir avec ceux qui vivent dans la vertu. Ecoutez quelles fortes paroles Paul fait entendre dans l'une et dans l'autre de ces deux conjonctures. Qui est malade, dit-il, sans que je sois malade ? Qui est scandalisé, sans que je brûle? (II Cor. XI, 29.) Il ne dit pas, sans que je m'afflige, mais il dit, sans que je brûle; cette image du feu lui sert à montrer l'intensité de sa douleur. Dans une autre épître : Vous régnez sans nous; et plut à Dieu que vous régnassiez, afin que nous régnassions aussi avec vous ! (I Cor. IV, 8.) Et encore : Nous vivons maintenant, si vous demeurez fermes dans le Seigneur. (I Thessalon. III, 8.) Voyez l'excès de son zèle pour la sanctification de ses frères : il ne croyait pas vivre, s'ils n'étaient pas sauvés.

Un homme qui avait été ravi au troisième ciel, un homme qui avait été transporté dans le paradis, qui avait eu communication des ineffables mystères, qui avait joui d'un commerce si familier avec Dieu, était peu sensible à de si grands biens; il lui fallait, de plus, que ses frères fussent sauvés avec lui. C'est qu'il savait, il savait bien qu'il n'est rien de supérieur, rien d'égal à la charité, pas même le martyre, cette gloire suprême. La preuve? Ecoutez. La charité, même sans le martyre, fait des disciples de Jésus-Christ; le martyre sans la charité n'a pas ce pouvoir. Comment le démontrer? Par les paroles mêmes de Jésus-Christ; il disait à ses disciples : En cela tous connaîtront que vous êtes mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres. (Jean, XIII, 35.) Voyez ! la charité sans le martyre fait des disciples. Mais maintenant voulez-vous la preuve que le martyre, sans la charité, non-seulement ne fait pas des disciples, mais ne sert à rien à qui l'endure; écoutez Paul : Si je livre mon corps aux flammes sans avoir la charité, à quoi cela me servira-t-il ? à rien. (I Cor. x111, 3.)

2. Voilà surtout pourquoi je chéris le saint qui nous rassemble aujourd'hui, ce bienheureux Romain ; avec le courage du martyre, il montra l'abondance de la charité ; de là vient qu'on lui coupa cette langue qu'il avait consacrée au Seigneur. Il est utile de rechercher pourquoi le démon ne le précipita pas dans les tortures, dans les plus cruelles épreuves des supplices, mais lui coupa la langue; le démon n'a pas agi au hasard ; il a bien calculé la perversité ; monstre abominable, qui fait jouer tous les ressorts pour empêcher notre salut. Eh bien ! donc, recherchons pourquoi il s'est décidé à lui couper la langue; reprenons d'un peu plus haut notre discours : car ainsi nous comprendrons mieux la bonté de Dieu, la constance du martyr, la perversité du démon; instruits de la bonté de Dieu, nous bénirons le Seigneur; comprenant la constance du martyr, nous voudrons imiter celui qui était un serviteur comme nous; connaissant la perversité du démon, nous saurons nous détourner de l'ennemi. En effet, si Dieu nous donne de comprendre les artifices du diable, c'est afin que le redoublement de notre haine pour lui nous rende la victoire plus facile.

Il est possible de pénétrer ses desseins; écoutez ce que dit Paul au sujet d'un incestueux pénitent. Voici à peu près ce qu'il écrit aux Corinthiens : Donnez-lui des preuves de votre charité, afin que Satan n'emporte rien sur nous, car nous n'ignorons pas ses desseins. (II Cor. 11, 6, 7, 8, 9, 10, 11.) Pourquoi donc lui coupa-t-il la langue ? Laissez-moi reprendre d'un peu plus haut mes explications. Une guerre s'éleva contre les Eg lise s, guerre terrible. Il ne s'agissait pas d'invasions des barbares , ni de hordes étrangères ; les princes mêmes de la terre habitée par nous, plus cruels que tous les barbares , ennemis ou tyrans à redouter, s'acharnaient contre les hommes soumis à leur pouvoir. Il ne s'agissait pas de liberté, de patrie, de fortune, de la vie présente; le danger n'était pas là; il s'agissait du royaume des cieux, des biens qui nous sont réservés là-haut, de la vie éternelle , de la confession du Christ. Alors (521) s'imagina une captivité d'un genre inconnu on ne nous chassait pas d'une cité de la terre, mais de la Jérusalem céleste ; on entreprenait de nous exiler de la cité libre; on forçait chaque fidèle à sacrifier son âme sur les autels des idoles, à blasphémer le Seigneur notre bien, à s'incliner devant la tyrannie des démons, à les honorer, ces démons qui ravagent les .mes, ces ennemis jurés de notre salut ; la mort mille et mille fois subie, les plus affreux tourments, eussent paru moins terribles , moins insupportables, à des âmes possédées par l'amour du Christ. En ces jours où les précipices s'ouvraient de tous côtés, en ces jours de tempête, fertiles en naufrages, ce bienheureux, ce Romain parut au milieu des hommes, et son premier soin ne fut pas de se précipiter dans les périls, mais d'abord il rassembla ceux qui étaient épouvantés ; ceux qui étaient tombés , ceux qui avaient trahi leur propre salut; il leur rendit la confiance ; il les releva, les prépara au combat, redressant ceux qui avaient fait une chute, et, pour ceux qui s'étaient tenus fermes, les rendant plus inébranlables encore, par ses prières, par ses exhortations, par ses réflexions sur la vie à venir, sur la vie présente; leur montrant ce que l'une a d'éphémère, l'autre, d'éternel ; opposant aux travaux les récompenses, aux tortures les couronnes, aux souffrances les prix éternels; enseignant ce qu'est la vie présente, ce qu'est la vie à venir, la différence qui les sépare, l'absolue nécessité de .a mort; supposez que nous n'en finissions pas avec la vie de cette manière, la loi de la nature nous forcera bien, sans longtemps attendre, de nous dépouiller de nos corps. Voilà par quelles exhortations ce bienheureux rendit la vigueur aux bras énervés, la solidité aux genoux qui se dérobaient, rallia les fuyards, dissipa les terreurs, chassa les angoisses timides, réveilla les courages, remplaça la lâcheté par la confiance, à la place des chèvres et des cerfs montra des lions ardents, recomposa l'armée du Christ, relança notre honte sur la tête de nos ennemis.

Le démon, à la vue de cette transformation soudaine, de ces gens qui la veille, l'avant-veille, frissonnaient, tremblaient devant lui, et maintenant le raillaient et le bravaient, et affrontaient les périls, et couraient au-devant des supplices, reconnaissant l'auteur de ce changement, négligea tout pour ne s'attaquer qu'à lui; toute sa puissance, toute sa rage, il se la réserva pour combattre ce bienheureux. Que fait-il ? Observez sa perfidie. Il ne le poussa pas vers les tortures, il ne lui coupa pas la tête; car l'expérience du passé lui avait appris que tous ces moyens sont vains et stériles. Et en effet, l'ardeur des fidèles, loin d'en être arrêtée, ne faisait que s'accroître, plus vive, plus violente. J'amassais les charbons, se disait-il, on les y voyait courir comme sur des roses; j'allumais les bûchers, on eût dit des sources rafraîchissantes où ils se plongeaient; je leur déchirais les flancs, je creusais dans leurs chairs des sillons profonds, j'en tirais des flots de sang, mais eux, comme si l'or ruisselait de toutes parts autour d'eux, ne faisaient que se glorifier; je les jetais dans les précipices, dans la mer pour les y engloutir; ils n'avaient pas l'air de plonger dans l'abîme, mais de monter au ciel; bondissant , palpitant d'allégresse , dansant comme dans une pompe sacrée, ils semblaient encore comme se jouer sur une verdoyante prairie; ils s'emparaient des tortures , non comme on subit les tortures, mais comme on cueille les fleurs du printemps, pour s'en faire des couronnes; dans l'ardeur de leur courage, ils prévenaient mes tourments. Que faut-il donc faire à présent, se dit-il. Couperai-je la tête à celui-ci ? Mais c'est ce qu'il désire, et ses disciples ne verront là qu'une exhortation plus éloquente, celle qui résulte de l'action; car voici le sens de son exhortation : la mort des martyrs n'est pas une mort, mais une vie sans fin, et voilà surtout pourquoi il faut tout supporter, mépriser ce qui ne dure pas. Si donc je lui coupe la tête, s'il subit noblement cette épreuve , sa conduite ne sera qu'un enseignement d'une éloquente clarté, démontrant qu'il faut mépriser la mort; il exaltera les pensées; ce mort leur inspirera un redoublement de courage enthousiaste. Donc il lui coupa la langue; pour priver les disciples du martyr de cette voix qui les enivrait, pour leur enlever les conseils, les. exhortations, pour les rendre à leur première timidité, à leurs premières angoisses, une fois qu'ils n'entendraient plus la voix fortifiante qui les ranimait, qui les excitait, qui les embrasait pour les combats.

3. Voyez, considérez la perversité du démon. Hérode a coupé la tête de Jean; mais le démon n'a pas tranché la tête à notre martyr; la langue seulement. Pourquoi? Perfidie abominable, ruse d'enfer ! Si je lui coupe la tête, se dit-il, une fois mort, il s'en va sans être témoin de la perdition de ses frères : mais (522) moi, je veux qu'il soit témoin des chutes, des désastres de ses propres soldats, je veux le suffoquer de la douleur de voir tomber les siens, sans pouvoir leur tendre la main, sans pouvoir comme auparavant les soutenir de ses conseils; plus de voix, plus de langue, elle est coupée.

Mais Celui qui surprend les sages par leur fausse prudence (I Cor. III, 19), a retourné cette invention contre son auteur; et non-seulement les fidèles n'ont rien perdu en conseils, ils ont joui d'exhortations plus pressantes, ils sont entrés en partage d'une doctrine plus spirituelle. Donc le démon triomphe, on appelle un médecin pour cette amputation, et le médecin se fait bourreau, il n'apporte pas la guérison dans la maladie, il vient détruire ce qui est plein de santé; il arrache cette langue, vaine opération ! impossible à lui, d'arracher du même coup, la voix; la langue de la chair était coupée, mais la langue de la charité vibra dans la bouche du bienheureux; il fallut bien que la nature perdît son organe, le fer était le plus fort, mais la grâce n'a pas voulu que la voix, comme la langue, succombât en même temps; et si, dès ce moment, les disciples jouirent d'un enseignement plus spirituel, c'est qu'ils n'entendaient plus comme jusqu'à cette heure une voix humaine, c'étaient des accents divins, spirituels, d'une nature supérieure à la nôtre; et tous y couraient ensemble; en haut, les anges, ici-bas, les hommes, tous, et chacun pour soi, jaloux de voir une bouche sans langue, et d'entendre une parole ainsi formée. En effet, c'était chose réellement admirable, étrange, incroyable; une bouche qui n'a pas de langue et qui parle; quelle honte pour le démon; pour le martyr, quelle gloire; pour les disciples, quelle exhortation, quelle leçon de constance ! C'est, depuis longtemps, depuis les premiers jours du monde, l'habitude de Dieu, toutes les fois que le démon multiplie ses assauts contre nous, de les faire retomber sur lui, d'en faire des moyens de notre salut. Voyez, considérez : le démon a chassé l'homme du paradis, Dieu lui a ouvert le ciel; celui-là détrône l'homme et le renverse de sa royauté sur la terre; Dieu lui donne la royauté des cieux, c'est sur le trône vraiment royal que Dieu assied notre nature. Ainsi le Seigneur nous accorde toujours des biens supérieurs à ceux dont le démon tente de nous priver. Telle est la conduite de Dieu, pour rendre le démon moins ardent à nous attaquer; pour nous instruire, pour nous montrer que nous ne devons pas nous effrayer de ses machinations; c'est ce qui a bien paru dans notre martyr. Le démon avait prétendu le priver de la voix, et voici que la grâce de Dieu lui accorde une autre voix bien plus éclatante et vénérable. Car il n'y avait pas égalité à parler avec la langue, à parler sans langue; d'une part, chose ordinaire, commune à tous; d'autre part, distinction supérieure à la nature, privilège spécial. Sans doute si le martyr, une fois sa langue coupée, fût resté muet, même dans ces circonstances, il aurait consommé sa noble lutte, et la couronne lui était préparée; le démon était vaincu, et la preuve la plus forte, la plus manifeste de la déroute, c'était précisément que cette langue, il l'avait coupée. Si tu ne craignais pas la langue du martyr, ô monstre, ô monstre infâme, pourquoi la coupais-tu ? pourquoi ; au lieu de renoncer à la lutte, as-tu fermé le stade? Supposez un homme qui s'annonce comme devant prendre part à toutes les luttes, il reçoit des coups d'une violence inexprimable, il ne peut plus tenir contre son adversaire, il lui fait couper les mains et se met alors à le frapper; auriez-vous besoin d'une plus longue épreuve pour décerner la victoire à celui dont les mains ont été coupées? de même, pour notre martyr, la preuve la plus manifeste de sa victoire sur le démon, ce fut précisément cette langue coupée, langue mortelle, mais qui faisait au démon d'immortelles blessures; voilà pourquoi le démon en fit l'objet de toute sa fureur, se préparant par là plus de confusion et de honte, assurant au martyr une plus resplendissante couronne. C'est une merveille de voir un arbre sans racines, un fleuve sans source, d'entendre une voix sans langue.

4. Où sont-ils maintenant ceux qui ne croient pas à la résurrection des corps? Voyez, la voix est morte et elle est ressuscitée ; en un court moment ces deux faits se sont accomplis. Prodige bien plus merveilleux pourtant que la résurrection des corps ! là, en effet, la substance des corps subsiste , la composition seule est dissoute , mais chez notre martyr la substance même de la voix est supprimée et cependant la voix renaît, bien plus éclatante. Enlevez d'une flûte ce qu'on en peut appeler les petites langues, l'instrument devient inutile. Il n'en est pas de même de la flûte spirituelle; privée de sa langue, non-seulement elle n'est pas muette, (523) mais encore elle fait entendre une mélodie plus suave, plus mystique, plus admirable. Enlevez rien que l'archet de la cithare, voilà que l'artiste n'a plus rien à faire, l'art est impossible, l'instrument inutile, ici au contraire rien de pareil , c'est tout l'opposé. La cithare c'était la bouche , l'archet c'était la langue , l'artiste l'âme, l'art la confession de la foi; eh bien ! l'archet supprimé , c'est la langue que je veux dire, ni l'artiste, ni l'art, ni l'instrument ne sont devenus inutiles: tous, au contraire, ont manifesté la puissance qui leur est propre. Qui a fait ces choses, qui a manifesté ces merveilles incroyables ? C'est le Dieu qui seul opère les miracles, et qui fait dire à David : Seigneur, notre souverain Maître, que la gloire de votre nom est admirable dans toute la terre ! O vous dont la grandeur est élevée au-dessus des cieux, vous avez formé, dans la bouche des enfants et de ceux qui sont encore à la mamelle, une louange parfaite. (Psaum. VIII, 1, 2.) C'était alors dans la bouche des enfants et des nourrissons à la mamelle , aujourd'hui c'est dans une bouche sans langue; la nature parlait alors avant le temps , aujourd'hui ce qui parle c'est une bouche vide ; alors dans les enfants la racine était sans consistance , mais le fruit était mûr, aujourd'hui la racine est enlevée, ce qui n'empêche pas le fruit de se produire , car la parole est le fruit de la langue. Les merveilles nouvelles dépassent les anciennes. C'est pour rendre croyables les prodiges récents que les anciens miracles ont paru, c'est pour prévenir le trouble de nos pensées, habituées antérieurement à contempler des merveilles ; les nouveaux miracles devaient aussi assurer la foi aux anciens miracles invisibles, en la fondant sur l'évidence manifeste des prodiges récents. Autrefois la verge d'Aaron a fleuri de même que, dans la bouche du martyr, a fleuri la parole. Mais pourquoi la verge d'Aaron a-t-elle fleuri? (Nomb. XVII.) Parce que le prêtre était outragé. Mais pourquoi aujourd'hui, dans la bouche du martyr, la parole a-t-elle fleuri? Parce que les blasphèmes et les outrages s'attaquaient au grand pontife Jésus-Christ. Voyez la parenté entre les merveilles et l'excellence des miracles. De même que cette verge antique sans lien avec la racine, sans aucun suc tiré de la terre, au contraire, privée de tout aliment terrestre, de toute vertu féconde, tout à coup a montré un fruit; de même ici, la voix saris sa racine, sans la puissance de son organe, dans une bouche desséchée et stérile, tout à coup a porté son fruit. Dans l'un de ces miracles , remarquons le rapport de parenté , dans l'autre l'excellence; car entre les deux fruits la différence est grande. L'un était sensible, mais l'autre est spirituel, ouvrant les cieux à celui qui alors fit entendre cette voix.

Pour toutes ces raisons, réjouissons-nous avec le martyr, glorifions le Dieu qui opère ces miracles, imitons la constance de celui qui est, comme nous, un serviteur, bénissons le Seigneur de ses grâces, retirons des discours que nous avons entendus les encouragements suffisants pour l'heure des épreuves; pleins d'admiration pour la puissance du Dieu notre créateur et pour sa providence , apportons-lui tout ce qui est de nous, et tout ce qui vient de lui, nous l'obtiendrons par une nécessaire conséquence. Soit que les hommes , soit que les esprits des ténèbres, soit que le démon lui-même nous attaque et nous combatte, nos ennemis ne gagneront rien sur nous, pour peu que nous montrions la promptitude de notre zèle , et toutes les dispositions qu'il nous convient d'apporter au combat. C'est ainsi que nous nous assurerons le secours de Dieu, et, pour la vie à venir, l'abondance de la gloire et du salut; puissions-nous tous conquérir ce bonheur ineffable par la grâce et par la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ , avec qui appartient au Père, en même temps qu'au Saint-Esprit, la gloire, l'honneur, la puissance, dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

Traduit par M. C. PORTELETTE.

 

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