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LIVRE CINQUIÈME. ATTACHEMENT À L'ÉVANGILE.

 

Ce ne sont pas les Manichéens, mais les vrais Catholiques, qui montrent par leur conduite leur attachement à l'Evangile.

 

CHAPITRE PREMIER. ACCEPTER L'ÉVANGILE, C'EST ACCOMPLIR CE QU'IL PRESCRIT.

CHAPITRE II. NE FAUT-IL PAS CROIRE AUSSI CE QU'ORDONNE L'ÉVANGILE ?

CHAPITRE III. IL FAUT PARTOUT FAIRE CE QU'IL ORDONNE.

CHAPITRE IV. LE CHRIST EST TOUT A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE L'HOMME.

CHAPITRE V. LA FOI N'EST PAS MOINS NÉCESSAIRE QUE LES OEUVRES. CONSTANCE DEVENU CATHOLIQUE, DE MANICHÉEN QU'IL ÉTAIT.

CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS DUPES OU IMPOSTEURS.

CHAPITRE VII. ORGUEIL DE FAUSTE.

CHAPITRE VIII. PRÉTENDUES PERSÉCUTIONS DE FAUSTE.

CHAPITRE IX. VERTUS RÉELLES PARMI LES CATHOLIQUES.

CHAPITRE X. EXTRAVAGANCES MANICHÉENNES.

CHAPITRE XI. LES MANICHÉENS, ADORATEURS DU SOLEIL.

 

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CHAPITRE PREMIER. ACCEPTER L'ÉVANGILE, C'EST ACCOMPLIR CE QU'IL PRESCRIT.

 

Fauste. Admettez-vous l'Evangile? — Pourquoi cette question, quand vous voyez en moi la preuve que je le reçois, je veux dire l'observation de ses préceptes? Dois-je vous demander si vous le recevez, vous en qui on ne voit aucune marque d'un homme qui reçoit l'Evangile? Moi, j'ai quitté mon père, ma mère, mon épouse, mes enfants et tout ce que l'Evangile prescrit d'abandonner (1), et vous me demandez si je reçois l'Evangile? Ignorez-vous donc encore ce qui constitue l'Evangile? Est-il autre chose que la prédication et les préceptes du Christ? Je n'ai plus voulu ni or, ni argent, j'ai cessé de porter de la monnaie dans ma ceinture, me contentant de la nourriture de chaque jour, ne m'inquiétant plus du lendemain, sans sollicitude pour savoir où je trouverais de quoi nourrir ou couvrir mon corps (2), et vous me demandez si je reçois l'Evangile? Vous voyez en moi les béatitudes du Christ qui constituent l'Evangile, et vous m'adressez une semblable question? Vous me voyez pauvre, vous me voyez doux, vous me voyez pacifique, d'un coeur pur, pleurant, ayant faim, ayant soif, supportant les haines et les persécutions pour la justice, et vous doutez si je reçois l'Evangile? Je ne m'étonne plus que Jean-Baptiste, après avoir vu Jésus, et entendu le récit de ses oeuvres, ait demandé encore s'il était véritablement le Christ. Il mérita que Jésus ne daignât pas lui faire savoir qu'il l'était en effet, mais qu'il se contentât de lui faire rapporter ce qu'il avait déjà entendu : « Les aveugles voient, les sourds entendent, les morts ressuscitent (3) ». Je puis à bon droit agir de même à votre égard: et, quand vous demandez si je reçois l'Evangile, me borner à. vous dire : J'ai tout quitté, mon père, ma mère, mon épouse, mes enfants, l'or, l'argent, le boire, le manger, les délices, les plaisirs : n'attendez pas d'autre

 

1. Matt. XIX, 29. —2. Id. X, 9, 10; VI, 25-34. — 3. Id. XI, 2-6.

 

réponse à vos questions, et estimez-vous heureux, si vous n'êtes pas scandalisé en moi.

 

 

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CHAPITRE II. NE FAUT-IL PAS CROIRE AUSSI CE QU'ORDONNE L'ÉVANGILE ?

 

Mais, dites-vous, recevoir l'Evangile, ce n'est pas seulement accomplir ce qu'il prescrit, mais encore croire toutes les vérités qui sont consignées, et dont la première est que Dieu est né. De même, pour admettre l'Evangile, ce n'est pas assez de croire que Jésus est; né, il faut en outre faire ce qu'il commande. Mais si vous prétendez que je ne reçois pas l'Evangile, parce que je laisse de côté la génération, je dis que vous ne le recevez pas non plus, et que vous le recevez d'autant moins que vous en méprisez les préceptes. Nous sommes donc jusqu'alors dans une condition égale, sauf à discuter les partis respectifs; et si le mépris que vous faites des préceptes ne vous empêche pas d'affirmer que vous recevez l'Evangile, pourquoi ne pourrais-je pas le dire moi-même tout en rejetant la généalogie? Si recevoir l'Evangile consiste dans ces deux points, comme vous le dites, croire les généalogies, et observer les commandements, de quel droit, vous qui êtes imparfait, jugez-vous un imparfait? L'une de ces deux conditions fait défaut à chacun de nous. Et si, comme c'est plus certain, recevoir l'Evangile, c'est uniquement en observer les divins préceptes, vous êtes injuste à double titre, vous qui, selon le proverbe, n'êtes qu'un déserteur accusant le soldat. Toutefois admettons, puisque vous le voulez, que ces deux points sont les parties d'une foi parfaite, dont l'une consiste dans la parole, c'est-à-dire, à confesser la naissance du Christ, et l'autre dans les oeuvres, ou l'observation des préceptes, ne voyez-vous pas que j'ai choisi la partie la plus pénible et la plus difficile, et vous la partie la plus légère et la plus facile? Rien d'étonnant que la foule du peuple se porte vers vous, et s'éloigne de moi; elle ignore assurément que le règne (157) de Dieu ne réside pas dans la parole, mais dans la vertu. Mais, dites-vous, je regarde cette partie de la foi que vous rejetez, et qui professe que le Christ est né, comme plus efficace et plus propre à procurer le salut des âmes.

 

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CHAPITRE III. IL FAUT PARTOUT FAIRE CE QU'IL ORDONNE.

 

Voyons donc, adressons-nous au Christ lui-même, et apprenons de sa propre bouche quel est pour nous le principal moyen de salut. Qui entrera dans ton royaume, ô Christ? «Celui », répond-il, « qui aura fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux (1) ». Il ne dit pas Celui qui aura confessé que je suis né. « Allez», dit-il ailleurs à ses disciples, « enseignez toutes les nations, les baptisant au nom du Père et du Fils et du Saint-Esprit, et apprenez-leur à observer tout ce que j'ai ordonné (2) ». Il ne dit pas : Leur apprenant que je suis né, mais à observer les commandements. « Vous serez mes amis », ajoute-t-il dans un autre endroit, « si vous faites ce que je vous commande ». Il ne dit pas : Si vous croyez que je suis né. Et encore : « Si vous accomplissez mes commandements, vous demeurerez dans mon amour (3) ». Je pourrais citer bien d'autres passages. Et dans ces enseignements qu'il développait sur la montagne : « Bienheureux les pauvres d'esprit, bienheureux ceux qui sont doux, bienheureux ceux qui sont pacifiques, bienheureux ceux qui ont le coeur pur, bienheureux ceux qui pleurent, bienheureux ceux qui ont faim, bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice (4) » ; nulle part il n'a dit: Bienheureux ceux qui ont confessé que je suis né. Et quand au dernier jugement il fera la séparation des agneaux d'avec les boucs, il dira à ceux qui seront à sa droite « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger; j'ai eu soif, et vous m'avez donné à boire, etc. » C'est pourquoi « entrez en posa session de mon royaume (5) ». Il ne dit pas Parce que vous avez cru que j'étais né, recevez le royaume. Au riche qui demandait le moyen d'arriver à la vie éternelle : «Allez », dit-il, «vendez tout ce que vous avez et suivez-moi (6) ». Il ne dit pas : Pour vivre éternellement, croyez que je suis né. Ainsi entre ces deux

 

1. Matt. VII, 21. — 2. Id. XXVIII, 19, 20. — 3. Jean, XV, 14. — 4. Matt. I, 3-10. — 5. Id. XXV, 34, 35. — 6. Id. XIX, 21.

 

parties que vous assignez à la foi, c'est à celle que j'ai adoptée que partout sont promis le royaume, la vie et la béatitude ; à la vôtre, nulle part. Ou montrez si en quelque endroit il est écrit que celui-là est bienheureux, qu'il possédera le royaume et jouira de la vie éternelle, qui aura confessé que le Christ est né d'une femme. Que ce soit une partie de la foi, toujours est-il que la béatitude ne lui est point assignée. Et que sera-ce, quand nous aurons démontré qu'elle n'est pas véritablement une partie de la foi? Vous vous trouverez les mains vides; et nous nous chargeons d'en donner la preuve. Mais c'est assez pour le triomphe de notre tâche, que les béatitudes soient la récompense de cette partie de la foi qui est la nôtre. Encore a-t-elle droit à cette autre béatitude promise à la confession par la parole, puisque nous confessons que Jésus est le Christ, Fils du Dieu vivant, selon le témoignage que Jésus en a rendu lui-même en s'adressant à Pierre: « Vous êtes bienheureux, Simon fils de Jona, car ce n'est point la chair et le sang qui vous ont révélé ceci, mais mon Père qui est dans le ciel (1) ». Nous avons donc pour nous, non plus seulement une seule, comme vous le prétendiez, mais les deux parties de la foi bien déterminées, et pour chacune nous sommes appelés bienheureux parle Christ, parce que nous pratiquons la première par les oeuvres, et que nous confessons la seconde sans blasphème.

 

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CHAPITRE IV. LE CHRIST EST TOUT A LA FOIS FILS DE DIEU ET FILS DE L'HOMME.

 

Augustin. J'ai déjà rappelé plus haut les nombreuses circonstances dans lesquelles Notre-Seigneur Jésus-Christ affirme qu'il est fils de l'homme, et l'extrême vanité avec laquelle les Manichéens inventent la fable de leur détestable erreur où il est question de je ne sais quel premier homme imaginaire, non terrestre, mais revêtu d'éléments trompeurs, contrairement à ce que dit l'Apôtre : « Le premier homme tiré de la terre est terrestre (2) » ; j'ai parlé de la vive sollicitude avec laquelle cet apôtre nous donnait cet avertissement : « Si quelqu'un vient vous annoncer autre chose que ce que nous vous avons prêché, qu'il soit anathème  (3) ». Il ne nous reste donc qu'à croire que le Christ est fils de

 

1. Matt. XVI, 17. — 2. I Cor. XV, 47. — 3. Gal. I, 8.

 

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l'homme et cela conformément à l'enseignement véridique des Apôtres, et non suivant les fictions mensongères des Manichéens. Or, les Evangélistes nous apprennent qu'il est né d'une femme de la maison, c'est-à-dire; de la famille de David; Paul écrit à Timothée

« Souvenez-vous que Jésus-Christ, de la race de David, est ressuscité d'entre les morts, selon l'Evangile que je prêche (1) ». C'est nous dire assez clairement de quelle manière nous devons croire que le Christ est fils de l'homme, qu'étant le Fils de Dieu par qui nous avons été créés, il s'est fait le fils de l'homme en prenant notre chair, en laquelle il devait mourir pour nos péchés, et ressusciter pour notre justification (2). Lui-même se dit en même temps Fils de Dieu, et fils de l'homme. Pour ne pas m'étendre davantage, voici ce que je lis dans un passage de l'Evangile selon saint Jean : « En vérité, en vérité, je vous dis que l'heure vient, et qu'elle est déjà venue, où les morts entendront la voix du Fils de Dieu, et où ceux qui l'entendront vivront. Car comme mon Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir en lui-même la vie; et il lui a donné le pouvoir de juger, parce qu'il est le fils de l'homme (3) ». Remarquez ces expressions : « Ils entendront la voix du Fils de Dieu », et, « parce qu'il est le fils de l'homme». C'est en effet en sa qualité de Fils de l'homme qu'il a reçu le pouvoir de juger; et c'est sous cette forme qu'il viendra procéder au jugement, afin qu'il puisse: être vu par les bons et par les méchants. C'est sous cette forme qu'il monta au ciel, alors que cette voix retentit aux oreilles des disciples : « Il viendra de la même manière que vous l'avez vu monter au ciel (4) ». Car en tant que Fils de Dieu égal au Père, et un avec le Père, il ne sera pas vu des méchants : « Bienheureux », est-il écrit, « ceux qui ont le coeur pur, parce qu'ils verront Dieu (5) ». Si donc il promet la vie éternelle à ceux qui croient en lui, si croire en lui, c'est croire au vrai Christ, tel qu'il s'affirme lui-même, et tel que l'annoncent les Apôtres, c'est-à-dire vrai Fils de Dieu, et vrai fils de l'homme, vous, Manichéens, qui croyez au fils faux et trompeur d'un homme faux et trompeur, qui enseignez que Dieu lui-même, effrayé par le tumulte de

 

1. II Tim. II, 8. — 2. Rom. IV, 25. — 3. Jean, V, 25-27. — 4. Act. I, 11. — 5. Matt, V, 8.

 

la race ennemie, jeta en proie à sa voracité ses membres qui ne doivent plus être entièrement purifiés, voyez à quelle distance vous êtes de la vie éternelle promise par le Christ à ceux qui croient en lui. Il a dit à Pierre, qui le proclamait fils de Dieu : « Vous êtes bienheureux, fils de Jona (1) ». S'ensuit-il qu'il n'a rien promis à ceux qui le croiraient fils de l'homme, puisqu'il est en même temps Fils de Dieu et fils de l'homme? Voici d'ailleurs la vie éternelle formellement promise à ceux qui auraient foi en lui comme fils de l'homme : « De même que Moïse éleva le serpent dans le désert, de même il faut que le fils de l'homme soit élevé; afin que tout homme qui aura cru en lui, ne périsse point, mais qu'il ait la vie éternelle (2) ». Que voulez-vous de plus? Croyez donc au fils de l'homme, pour que vous ayez la vie éternelle, parce qu'il est lui-même le Fils de Dieu qui peut donner la vie éternelle; parce qu'il est lui-même « le vrai Dieu et la vie éternelle », comme le dit saint Jean dans son épître, on il qualifie d'antéchrist celui qui nie que le Christ soit venu dans la chair (3).

 

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CHAPITRE V. LA FOI N'EST PAS MOINS NÉCESSAIRE QUE LES OEUVRES. CONSTANCE DEVENU CATHOLIQUE, DE MANICHÉEN QU'IL ÉTAIT.

 

A quoi bon nous vanter la perfection avec laquelle vous accomplissez, dites-vous, les préceptes de l'Evangile ? Et quand même vous les accompliriez véritablement, quel avantage vous en reviendrait-il, à vous qui n'avez pas la vraie foi? N'entendez-vous pas l'Apôtre s'écrier : « Quand je distribuerais tous mes biens aux pauvres, et que je livrerais mon corps pour être brûlé, si je n'ai point la charité, tout cela ne me servirait de rien (4)? » Pourquoi vous enorgueillir d'un simulacre de pauvreté chrétienne, quand la charité chrétienne vous fait défaut? Les brigands, eux aussi, pratiquent entre eux ce qu'ils appellent charité; ils se doivent d'être de fidèles complices dans le crime et l'infamie; mais ce n'est pas là la charité que recommande l'Apôtre. Pour la distinguer de toute autre charité condamnable et réprouvée, il

 

1. Matt. XVI, 17. — 2. Jean, III, 14, 15. — 3. I Jean, V, 20; IV, 3. — 4. I Cor. XIII, 3.

 

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dit ailleurs : « La fin des commandements a est la charité qui naît d'un coeur pur, d'une bonne conscience et d'une foi sincère (1) ». Comment, avec une foi non sincère, pourriez-vous avoir la vraie charité? Ou quand cesserez-vous enfin d'envelopper votre foi de tous ces mensonges, par lesquels vous débitez que votre premier homme a combattu sous des formes changeantes et trompeuses, contre ses ennemis qui conservaient leur même nature, et vous insinuez que de la part du Christ qui a dit : « Je suis la vérité (2) », sa chair, sa mort sur la croix, les plaies de sa passion, les cicatrices de sa résurrection n'ont été que des apparences mensongères? Vous vous placez au-dessus de votre Christ, si, lui n'étant qu'un fourbe, vous annoncez la vérité. Et si vous prétendez suivre ses traces, comment ne pas soupçonner en vous l'imposture, et ne pas voir dans la manière dont vous prétendez observer ses préceptes, une pure supercherie? Fauste a osé avancer que vous ne portiez aucune monnaie dans vos ceintures; il est vrai peut-être que vous n'avez pas de monnaie dans vos ceintures; mais vos coffrets et vos bourses sont pleines d'or. On ne vous en ferait aucun reproche, si votre conduite n'était en contradiction avec vos doctrines. Constance, maintenant l'un de nos frères et chrétien catholique, lequel vit encore, avait rassemblé un grand nombre d'entre vous dans sa maison à Rome, pour y pratiquer les préceptes de Manès, ces préceptes aussi vains que ridicules, et pour lesquels néanmoins vous professez la plus haute estime; mais votre faiblesse ne put en supporter le joug, et chacun n'eut plus d'autre règle que ses caprices. Ceux qui voulurent persister dans la pratique de ces préceptes, se firent secte à part, et prirent le nom de Mattariens, des nattes sur lesquelles ils dormaient. Il y avait loin de ces simples nattes, aux coussins de plumes et aux couvertures de peaux de chèvre de Fauste : environné de toutes les délicatesses, il n'avait plus que du dédain, non-seulement pour les Mattariens, mais même pour la maison de son père, citoyen pauvre de Milève. Faites donc disparaître au moins de vos écrits ce honteux déguisement, si vous n'avez pas le courage de la retrancher de vos moeurs, afin que comme votre premier homme avec la. race des ténèbres, votre bouche ne soit pas en lutte avec

 

1. I Tim. I, 5. — 2. Jean, XV, 16.

 

votre conduite, non par des éléments, mais par des doctrines mensongères.

 

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CHAPITRE VI. LES MANICHÉENS DUPES OU IMPOSTEURS.

 

On répliquera peut-être que mes paroles s'adressent plutôt à ceux qui n'accomplissent pas les préceptes qui leur sont imposés, qu'à la secte elle-même livrée aux plus, folles erreurs. Eh bien ! je dis que les préceptes de Manès sont de nature telle que, si vous ne les pratiquez pas, vous êtes des imposteurs, et que si vous les pratiquez, vous n'êtes que des dupes. Assurément le Christ ne vous a pas défendu de couper un brin d'herbe, pour ne pas commettre un homicide, lui qui permit à ses disciples passant au milieu des moissons, et pressés par la faim, de cueillir quelques épis le jour du sabbat (1). C'était réfuter à la fois les Juifs de son temps, et les futurs Manichéens : ceux-ci, en permettant le fait même, et ceux-là, en le permettant au jour du sabbat. Mais Manès vous prescrit absolument de ne rien toucher de vos mains, et de vivre des homicides accomplis par autrui; homicides bien imaginaires, tandis que vous n'en commettez que de trop réels, en donnant la mort à tant d'âmes malheureuses, par vos doctrines diaboliques.

 

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CHAPITRE VII. ORGUEIL DE FAUSTE.

 

Et cependant quelle aveugle vanité, quel orgueil intolérable dans Fauste ! « Vous voyez en moi, dit-il, ces béatitudes du Christ qui constituent l'Evangile, et vous me demandez si je reçois l'Evangile? Vous me voyez, pauvre, doux, pacifique, d'un coeur pur, pleurant, ayant faim et soif, supportant les persécutions, et les haines pour la justice, et vous doutez si je reçois l'Evangile? » S'il suffisait, pour être juste, de se justifier soi-même; au moment qu'il tenait un pareil langage, cet homme prodigieux se serait élevé jusqu'aux  cieux, porté sur les ailes de son propre témoignage. Mais je n'attaque pas ici les plaisirs de Fauste, avec sa vie voluptueuse, si connue des auditeurs des Manichéens, surtout de ceux qui sont à Rome; je prends un manichéen tel que le voulait Constance, qui accomplisse véritablement les préceptes, sans

 

1. Matt. III, 1.

 

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se contenter d'en montrer l'apparence. Eh bien ! ce manichéen, que peut-il paraître à nos yeux? Pauvre d'esprit? lui qui pousse l'orgueil jusqu'à regarder son âme comme Dieu, et à ne pas avoir honte de faire Dieu captif ! Doux? lui qui préfère outrager la sublime autorité de l'Evangile, plutôt que de s'y soumettre ! Pacifique ?lui qui prétend que la nature divine elle-même, laquelle constitue toute l'essence du seul vrai Dieu, n'a pu jouir d'une paix inaltérable ! D'un coeur pur? lui dont le coeur est en proie à tant de fictions sacrilèges ! Pleurant? à moins que ce ne soit son Dieu captif et enchaîné, jusqu'à ce que ses liens venant à être rompus, il soit rendu à la liberté, tout en perdant une partie de lui-même qui sera attachée par le Père à l'abîme des ténèbres, sans qu'elle soit jamais pleurée ! Ayant faim et soif de la justice ? Fauste n'a pas même ajouté cette expression, pour ne pas laisser croire que la justice lui faisait défaut, s'il avouait qu'il avait encore faim et soif. Mais de quelle justice ont faim et soif les Manichéens, eux qui croiront pratiquer la justice parfaite en triomphant du malheur de leurs frères, voués à la damnation dans cet abîme de ténèbres, non pour des fautes volontaires, mais pour une souillure indélébile contractée au sein de la corruption ennemie, contre laquelle le Père les avait envoyés combattre.

 

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CHAPITRE VIII. PRÉTENDUES PERSÉCUTIONS DE FAUSTE.

 

Comment souffrez-vous la persécution et la haine pour la justice, vous qui faites consister la justice à répandre et à persuader de tels sacrilèges ? Oubliez-vous donc que, grâce à l'esprit de douceur ou à l'influence du christianisme, vous n'avez que bien peu ou presque rien à souffrir pour vos doctrines aussi perverses qu'impies? Comme si vous vous adressiez à des aveugles et à des insensés, vous donnez comme un témoignage éclatant de votre justice, les outrages et les persécutions qu'il vous faut subir. S'il suffit pour être plus juste, d'avoir davantage à souffrir, je ne veux pas faire remarquer ce qui saute aux yeux, que les hommes couverts de crimes et d'infamies ont à supporter des peines bien autrement graves que les vôtres. Je dis que si l'on doit regarder comme possédant la vraie foi et la vraie justice, celui qui souffre persécution pour le nom du Christ, à quelque titre que ce soit, vous êtes contraints d'avouer que le privilège d'une foi plus pure et plus parfaite revient à celui que nous montrerons comme ayant passé par des épreuves plus pénibles que les vôtres. Et j'en appelle ici à nos innombrables phalanges de martyrs, et à Cyprien lui-même à leur tête, lui dont les écrits attestent qu'il croyait au Christ né de la Vierge Marie. Pour la défense de cette foi que vous abhorrez, il a exposé sa tête au glaive et à la mort, suivi d'une foule de chrétiens qui partageaient sa croyance, et subissaient une mort semblable et plus affreuse encore. Qu'est-il arrivé à Fauste ? Convaincu, en avouant lui-même qu'il était manichéen, de concert avec quelques sectaires qui comparaissaient avec lui au tribunal du proconsul, il fut condamné, grâce à l'intervention même des chrétiens qui avaient provoqué le jugement, à la peine si légère, si on peut appeler cela une peine, d'être relégué dans une île. Chaque jour les serviteurs de Dieu se condamnent d'eux-mêmes à un pareil exil, pour se soustraire au tumulte et aux agitations du monde. Et d'ailleurs les princes, à l'occasion de quelque cérémonie publique, ont coutume d'accorder, par indulgence, la remise d'une telle peine. Peu de temps après, en effet, un décret solennel les rendait tous à la liberté. Avouez donc que la foi a été plus pure, la justice plus parfaite en ceux qui ont mérité de subir pour ces grandes causes, des épreuves plus pénibles que les vôtres, ou cessez de tirer vanité de ce qui vous rend généralement odieux. Sachez distinguer entre souffrir persécution pour le blasphème et souffrir persécution pour la justice; et examinez attentivement dans vos écrits quelle est celle de ces deux causes pour laquelle vous souffrez.

 

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CHAPITRE IX. VERTUS RÉELLES PARMI LES CATHOLIQUES.

 

Combien au contraire dans notre communion qui accomplissent véritablement ces sublimes préceptes de l'Evangile, dont vous ne prenez que l'apparence pour en imposer aux ignorants? Combien de chrétiens de l'un et de l'autre sexe, entièrement purs de tout commerce charnel ! combien qui, après avoir goûté les satisfactions de la chair, embrassent la continence ! combien qui abandonnent et (161) distribuent leurs biens ! combien qui réduisent leur corps en servitude par des jeûnes fréquents de chaque jour ou prolongés d'une manière incroyable ! Que d'associations fraternelles ne possèdent rien en propre, où tout est en commun, n'ayant d'ailleurs que le nécessaire pour la nourriture et le vêtement, et dont les membres, embrasés du feu de la charité, ne forment qu'un coeur et qu'une âme en Dieu? Et encore, dans ces diverses professions, combien d'esprits hypocrites et pervers qui se découvrent ! combien d'autres en qui ces vices restent cachés ! combien qui, après les plus louables débuts, s'abandonnent bientôt aux désirs dépravés de leur coeur ! combien pour qui l'épreuve de la tentation fait voir que ce genre de vie n'était qu'un masque qui voilait d'autres desseins ! Mais aussi combien qui, humblement et inébranlablement attachés à leur sainte résolution, persévèrent jusqu'à la fui et arrivent au salut ! A leur suite viennent, dans une condition différente, mais unis par les liens de la même charité, ceux qui, eu égard à quelque nécessité, fidèles aux conseils de l'Apôtre, ont des femmes comme n'en ayant point, qui achètent comme ne possédant pas, et qui usent de ce monde comme n'en usant pas. A dette catégorie se rattachent aussi, par un effet de la miséricorde divine, dont le trésor est inépuisable, ceux à qui il est dit : « Ne vous refusez point l'un à l'autre le devoir conjugal, si ce n'est d'un consentement mutuel, pour un temps, afin de vous adonner à l'oraison ; et ensuite vivez ensemble comme auparavant, de peur que la difficulté que vous avez de garder la continence ne donne lieu à Satan de vous tenter. Je vous dis ceci par condescendance et non par commandement (1) ». C'est à ces chrétiens que l'Apôtre adresse encore ces paroles: « C'est déjà certainement un péché parmi vous que vous ayez des procès les uns contre les autres ». Et prenant sur lui leur infirmité, il ajoute : « Si donc vous avez des différends au sujet des choses de cette vie, prenez pour juges les moindres personnes de l'Eglise (2) ». Car ceux qui, pour pratiquer la perfection, vendent ou abandonnent tous leurs biens, et suivent le Seigneur, ne sont pas les seuls pour être appelés au royaume des cieux; à cette milice chrétienne se relie par les liens mystérieux

 

1. I Cor. VII, 5, 6. — 2. Id. VI, 7, 4.

 

d'une mutuelle charité, cette foule tributaire à qui il sera dit au dernier jour : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger (1), etc. » Autrement il faudrait regarder comme voués à la damnation ceux dont l'Apôtre s'attache avec tant de soin et de sollicitude à régler la maison, recommandant aux femmes d'être soumises à leurs maris; aux maris d'aimer leurs femmes ; aux parents de bien élever leurs enfants, les instruisant et les corrigeant dans le Seigneur; aux serviteurs d'obéir avec crainte à leurs maîtres selon la chair; aux maîtres de donner à leurs serviteurs ce qui est juste et raisonnable (2). Assurément ces chrétiens, au jugement de l'Apôtre, sont loin d'être étrangers aux préceptes évangéliques, et indignes de la vie éternelle; car après cette sentence par laquelle le Seigneur exhorte les plus courageux à la perfection : « Si quelqu'un ne porte pas sa croix et ne me suit, il ne peut être mon disciple », il adresse immédiatement à ceux dont je parle ces consolantes paroles : « Celui qui recevra le juste en qualité de juste, recevra la récompense du juste; et celui qui recevra un prophète en qualité  de prophète, recevra la récompense du prophète (3) ». Non-seulement donc celui qui donnera à Timothée un peu de vin à cause de la faiblesse de son estomac et de ses fréquentes maladies (4), mais même celui qui, à l'homme le plus sain et le plus robuste, procurera un verre d'eau froide, parce qu'il est mon disciple, ne perdra pas sa récompense (5)».

 

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CHAPITRE X. EXTRAVAGANCES MANICHÉENNES.

 

Pourquoi donc abuser de la bonne foi de vos auditeurs, qui se dévouent à votre service, avec leurs femmes, leurs enfants, leurs familles, leurs maisons et leurs champs, leur disant que quiconque n'abandonne pas tout cela, ne reçoit pas l'Evangile ? Oui, vous leur annoncez, non pas la résurrection, mais le retour à la mortalité présente; vous leur promettez une naissance nouvelle qui les fera vivre de la vie de vos élus, de cette vie vaine, ridicule et sacrilège qui est la vôtre, et dont vous vous enorgueillissez tant; et ceux qui auront le mieux mérité, reviendront animer des melons, des concombres ou d'autres aliments,

 

1. Matt. XXV, 35. — 2. Coloss. III, 18; IV, l. — 3. Matt. X, 38-41. — 4. I Tim. V, 23. — 5. Matt. X, 42.

 

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afin que quand vous les mangerez et les digérerez, ils soient aussitôt purifiés. C'est bien là les éloigner de la pratique des préceptes de l'Évangile, et vous-mêmes, qui enseignez de telles folies, vous vous en écartez encore davantage. Si une doctrine aussi absurde faisait partie de la foi de l'Évangile, le Seigneur n'aurait pas dû dire : « J'ai eu faim, et vous m'avez donné à manger » ; mais : vous avez eu faim et vous m'avez mangé; ou bien j'ai eu faim et je vous ai mangés. Car, selon vos rêveries, personne n'entrera au royaume de Dieu, pour le mérite d'avoir donné à manger aux justes, mais parce qu'il aura mangé ceux qu'il désirait manger en vue du ciel, ou parce qu'il aura été mangé par ceux qui étaient pressés du même désir. S'il en était ainsi, les justes ne diraient pas : « Seigneur, quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim, et que nous vous avons donné à manger? » Mais : Quand vous avons-nous vu avoir faim, et nous avez-vous mangés? Et au lieu de leur répondre : « Quand vous l'avez fait au plus petit d'entre les miens, c'est à moi que vous l'avez fait (1) » ; le Seigneur leur dirait : Lorsque le plus petit d'entre les miens vous a mangés, c'est moi-même qui vous ai mangés.

 

1. Matt. XXV, 35-40.

 

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CHAPITRE XI. LES MANICHÉENS, ADORATEURS DU SOLEIL.

 

C'est en enseignant de telles extravagances, et en y conformant votre conduite, que vous avez l'audace et d'affirmer que vous observez les préceptes évangéliques et de rompre avec l'Église catholique, dans le sein de laquelle les petits se pressent en foule avec les grands. Tous, ils sont bénis du Seigneur; ils observent, chacun selon sa condition, les préceptes de l'Évangile, et attendent l'effet de ses promesses. Mais la haine que vous inspire votre erreur ne vous laisse apercevoir que la paille qui croît dans notre champ; vous y découvririez bientôt le froment, si vous vouliez devenir ce même froment. Parmi vous, ceux qui ne sont Manichéens qu'en apparence, sont pervers; et ceux qui le sont véritablement, ne sont remplis que de vanité. Car, quand la foi elle-même est fausse, en user avec dissimulation, c'est être imposteur; la croire vraie, c'est être dupe; une telle foi ne peut être le principe d'une vie vertueuse; parce que tout homme vit bien ou mal, selon la nature de ce qu'il aime. Pour vous, si votre coeur, au lieu de s'adonner à la convoitise des purs fantômes corporels, savait s'ouvrir à l'amour des biens spirituels et invisibles, on ne vous verrait pas, pour citer un fait bien connu, adorer ce soleil matériel, comme étant la substance divine, et la splendeur de la sagesse.

 

 

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