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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXI.LE VÉRITABLE JUSTE.Nous sommes tous conçus dans liniquité, donc nous ne devons notre justice quà la grâce qui nous prévient par cette clarté dintelligence, par cette force de volonté, qui nous fait croire à la parole de Dieu et proclame hautement notre foi. Or, notre foi consiste principalement à croire et à confesser que nous sommes pécheurs et que cest Dieu qui nous sauve.
A DAVID POUR LINTELLIGENCE (1).
2. « Bienheureux ceux dont les fautes sont s remises, et dont les péchés ont été couverts 2»; dont les péchés sont mis en oubli. « Bienheureux lhomme à qui le Seigneur na point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude»; dont les paroles ne font pas ostentation de justice, quand sa conscience est pleine diniquités. 3. « Mes os ont vieilli parce que je gardais le silence 3». Ma force est devenue une vieillesse infirme, parce que ma bouche na point fait cette confession, qui obtient le salut 4. « Néanmoins je criais tout le jour.» Dans mon impiété, je proférais contre Dieu des cris de blasphème, comme pour défendre mes fautes et les excuser. 4. « Parce que votre main sest appesantie sur moi le jour et la nuit ». Parce que, sous la douleur incessante de vos vengeances, « je me suis retourné dans ma souffrance, dont daiguillon me déchirait 5 ». A la vue de ma misère, laiguillon de ma conscience ma rendu malheureux. 5. «Diapsalma. Jai connu mon péché et t nai point voilé mon injustice». Cest-à-dire,
1. Ps. XXXI, 1. 2. Id. 1 3. Id. 3. 4. Rom. X, 10. 5. Ps. XXXI, 4.
je nai point caché cette injustice. « Jai dit: Jattribuerai cette injustice, qui est bien la mienne, non point à Dieu, comme je le faisais quand je me taisais dans mon impiété, mais bien à moi-même ». « Et vous mavez pardonné limpiété de mon cur 1». Quand vous avez vu laveu de mon coeur, avant laveu de mes lèvres. 6. « Cest pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps opportun 2». Cette impiété du coeur fera monter vers vous la prière des saints. Car ils ne deviendront pas saints à cause de leurs propres mérites, mais à cause du temps favorable, ou de lavènement de celui qui nous a rachetés de nos fautes. « Et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne sapprocheront point de lui ». Que nul ne sy trompe, et ne simagine que quand le dernier jour nous surprendra, comme au temps de Noé, il pourra faire cet aveu des fautes qui nous rapproche de Dieu. 7. « Vous êtes mon refuge contre laffliction qui menvironne 3». Cest en vous que je trouve un asile contre la douleur de mes fautes qui serre mon coeur. « Vous êtes ma joie, délivrez-moi de ceux qui minvestissent ». Cest en vous quest toute ma joie, délivrez-moi de la tristesse que me causent mes péchés. 8. « Diapsalma ». Réponse de Dieu. « Je te donnerai lintelligence, et taffermirai dans la voie où tu auras marché 4 ». En échange de ton aveu je te donnerai lintelligence, afin
1. Ps. XXXI, 5. 2. Id. 6. 3. Id. 7. 4. Id. 8.
que tu nabandonnes plus la voie que tu auras choisie, et ne recherches plus lindépendance. « Mes regards se fixeront sur toi ». Je te confirmerai dans mon amour. 9. « Loin de vous de ressembler au cheval et au mulet, qui nont point dentendement ». De là vient quils se veulent conduire eux-mêmes. Et le Prophète répond : « Assujettissez leurs mâchoires au mors et au frein 1». Faites pour eux, ô mon Dieu, comme lon fait pour le cheval et le mulet, contraignez-les par la douleur à subir votre direction. « Eux qui refusent de sapprocher de vous ». 10. « ils sont nombreux, les châtiments des pécheurs 2 ». Il a de rudes châtiments à
1. Ps. XXX, 9, 2. Id. 10.
subir celui qui refuse davouer ses fautes à Dieu, et qui prétend se conduire lui-même. « Pour celui qui espère en vous, il sera investi de vos miséricordes ». Mais le Seigneur réserve ses faveurs à celui qui la pris pour guide et a mis en lui son espoir. 11. « O vous qui êtes justes, réjouissez-vous dans le Seigneur, livrez-vous à lallégresse Réjouissez-vous, non plus en vous, mais bien dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes! «Et vous tous qui avez le coeur droit, glorifiez. vous en lui 2 ». Glorifiez-vous tous en Dieu, vous qui comprenez que nous devons lui être soumis, afin quun jour vous ayez ses préférences.
1. Ps. XXXI, 10. 2. Id. 11.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXI.LA FOI ET LES OEUVRES.
Le salut nous vient de la foi et des bonnes oeuvres qui suivent la foi. Doctrine de saint Paul et de saint Jacques est en harmonie. Foi dAbraham. Toute oeuvre qui précède la foi est sans valeur. Accord de saint Paul avec lui-même. Lhomme heureux est celui dont les péchés sont remis. Nathanaël sous le figuier. Confessons nos fautes comme le
1. Jai entrepris, nonobstant ma faiblesse, dexposer à votre charité, mes frères, le psaume que me signale principalement saint Paul, ainsi qua pu vous en convaincre la lecture que lon vient de vous en faire, pour relever la grâce de Dieu et le mystère de notre justification qui sopère sans que nulle de nos oeuvres lait provoqué, mais par la bonté de Dieu notre Seigneur qui nous prévient. Soutenez donc tout dabord ma faiblesse par vos prières, comme la dit lApôtre, « afin que Dieu mouvre la bouche et me donne de vous parler (Eph. VI,19 ) », dune manière qui soit sans péril pour moi et salutaire pour vous. Car ici lesprit humain, naturellement inquiet et en suspens entre laveu de son infirmité et la présomption de ses forces, est souvent poussé deçà et delà avec un égal danger de tomber dans un précipice. En effet, sil sabandonne entièrement à sa propre faiblesse, dominé par cette pensée, il se dit que telle est la divine miséricorde pour tous les pécheurs, quels que soient leurs désordres et leur obstination, quà la fin ils recevront leur pardon, pourvu quils croient que Dieu les délivrera, et leur pardonnera, en sorte que nul chrétien pécheur ne périsse , cest-à-dire que nul ne puisse périr de tous ceux qui se disent en eux-mêmes: Quoi que je fasse, de quelque abomination., de quelque infamie que je sois souillé, quelque, nombreux que soient mes péchés, le Seigneur me délivrera dans sa miséricorde parce que jai cru en lui : si, dis-je, il en vient à croire que nul de ces coupables ne périt, il tombe dans une fausse croyance, sur limpunité des crimes. Alors Dieu qui est juste, et dont le psaume chante la miséricorde et le jugement, non-seulement la miséricorde mais aussi le jugement 1, trouve cet homme dans une fausse présomption de la bonté divine, abusant de la divine miséricorde pour sa propre perte, et ne peut que le damner. Une telle pensée est donc pour lhomme un dangereux précipice. Mais sil redoute ce danger, au point de se confier en lui-même, et que par une téméraire présomption de sa justice et de ses forces, il se propose daccomplir toute justice et dobserver exactement ce quordonne la loi de Dieu, au point de ne pécher aucunement; sil se regarde comme tellement maître de sa vie quil puisse ne jamais tomber, ne jamais faiblir, ne jamais chanceler, ne jamais saveugler, et quil attribue ce résultat à la puissance de sa volonté; quand même il accomplirait tout ce qui paraît juste aux yeux des hommes, sans quil parût rien de répréhensible dans sa vie, Dieu devrait encore punir cette présomption, cette vaine ostentation dorgueil. Quest-ce donc? si lhomme prétend se justifier lui-même, sil présume de sa justice, il tombe: sil considère attentivement sa faiblesse, et que se confiant en la divine miséricorde, il néglige de se purifier de ses taules, il se plonge dans labîme du vice, il tombe encore. Péril à droite en présumant de sa justice, péril à gauche en espérant limpunité. Ecoutons la voix de Dieu qui nous crie: « Ne vous détournez ni à droite ni à gauche 2». vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Précepte divin qui vous détourne de ce double écueil, et de lexaltation de lorgueil et de la profondeur du crime. Vous élever jusquà lune, cest appeler votre chute; descendre jusquà lautre, cest vous engloutir. Nallez donc, dit le Sage, ni à droite ni à gauche. Je vous le répète en un mot, afin de le graver dans votre esprit: Ne vous appuyez point sur votre justice pour espérer le ciel, ni sur la divine miséricorde pour pécher. Que faire alors, me répondrez-vous? Notre psaume nous lenseigne : et jespère, Dieu aidant, quaprès en avoir écouté la lecture et lexplication, nous connaîtrons la voie que nous devons prendre, ou dans laquelle nous devons nous tenir avec courage. Que chacun nous écoute selon ses facultés, et quil safflige ou se réjouisse selon que sa conscience va lui suggérer un vice à corriger,
1. Ps. C, 1. Prov. IV, 27. une vertu à applaudir. Sil saperçoit quil ait fait fausse route, quil revienne dans le bon chemin; sil se trouve dans la bonne voie, quil y marche afin darriver au but. Nul orgueil, hors du bon chemin; nulle paresse en chemin. 2. Saint Paul nous affirme que ce psaume traite de la grâce qui nous fait chrétiens: cest pourquoi jai voulu quon vous en fît la lecture. Afin détablir la justice par la foi contre ceux qui vantaient la justice par les oeuvres, lApôtre parle ainsi: « Quel avantage, dirons-nous, revint à Abraham, notre père selon la chair? Car si Abraham a été justifié par ses oeuvres, il a du mérite, mais non devant Dieu 1 ». Dieu nous préserve dun semblable mérite; écoutons plutôt cette parole: « Que celui qui se glorifie ne se glorifie que dans le Seigneur 2 ». Beaucoup dhommes peuvent se glorifier de leurs oeuvres, et vous trouvez bon nombre de païens qui refusent de se faire chrétiens, parce que leur vie leur paraît suffisante en bonnes oeuvres. Bien vivre nous suffit, dit ce païen; que pourra menseigner le Christ? A régler ma vie? Elle est réglée, quai-je besoin du Christ?Je ne commets ni homicide, ni vol, ni rapine, je ne désire point le bien dautrui, je ne me souille daucun adultère. Que lon trouve à reprendre dans ma vie, et quand on le fera, je me fais chrétien. Cet homme peut se glorifier, mais non devant Dieu. Il nen est pas ainsi dAbraham notre père. Tel est le point que lEcriture signale à notre attention. Car il faut lavouer, nous croyons tous que ce saint patriarche fut agréable à Dieu, nous reconnaissons et proclamons quAbraham a de la gloire devant Dieu, dit lApôtre : certes, nous le savons, et il est évident pour nous quAbraham est glorieux aux yeux de Dieu: mais sil fut justifié par ses oeuvres, il est glorieux devant les hommes et non devant Dieu. Or, il est glorieux devant Dieu, donc sa justification ne vient point de ses oeuvres. Mais si la justification ne lui vient point de ses oeuvres, doù lui vient-elle? LApôtre nous lexplique ensuite : « Que dit lEcriture 3? n cest-à-dire: A quoi lEcriture a-t-elle attribué la justification dAbraham? « Abraham crut à Dieu, et cela lui fut imputé à justice 4 ». Donc ce fut à la foi quAbraham dut sa justification. 3. Mais lorsquon croit à la justification par
1. Rom. IV, 1, 2. 2. I Cor. I, 31. 3. Rom. IV, 3.. 4. Gen. XV, 6. la foi et non par les oeuvres, il faut éviter un autre abîme que jai signalé. Voyez, me dira-t-on, que cest par la foi, et non par les oeuvres, quAbraham a été justifié, je puis donc vivre à mon gré, neussé-je en effet aucune oeuvre sainte, pourvu que je croie en Dieu, cette foi me sera imputée à justice. Lhomme qui a tenu ce langage, et a pris cette résolution, est tombé dans labîme; sil nen a que la pensée, et quil soit dans lincertitude, cest déjà un danger. Mais la parole de Dieu, bien comprise, peut non-seulement retenir celui qui est près du gouffre, mais en retirer celui qui y est plongé. Je réponds donc pour ainsi dire, à lencontre de lApôtre, et je rapporte dAbraham, ce que nous lisons dans lépître dun Apôtre aussi, qui voulait redresser le sens déplorable que lon donnait aux paroles de saint Paul. Dans cette lettre, en effet, saint Jacques, voulant réfuter les adversaires des bonnes oeuvres, qui sappuyaient uniquement sur la foi (Jacques, II, 1), relève les oeuvres dAbraham, dont saint Paul avait relevé la foi; mais les deux Apôtres ne sont point en contradiction. Saint Jacques rapporte dAbraham ce que tout le monde connaît, limmolation dIsaac; oeuvre sublime, il est vrai, mais oeuvre de foi. Jadmire la construction de lédifice, mais je vois que la foi en est la base. Je loue ce fruit parfait dune bonne oeuvre, mais je le vois croître sur larbre de la foi. Si Abraham faisait cette oeuvre en dehors de la foi, quelle quen fût lexcellence, elle lui serait inutile. Si au contraire la foi dAbraham lui eût fait répondre en lui-même, quand le Seigneur lui commandait le sacrifice de son fils: Je nobéis point, et néanmoins je crois que Dieu me délivrera en dépit de ses ordres méprisés; sa foi sans les oeuvres neût été quune foi morte, quun arbre stérile et desséché. 4. Que faut-il donc ? et aucune bonne oeuvre ne peut-elle exister avant la foi, cest-à-dire quon ne puisse dire quun homme avant la foi ait fait aucun bien? Car tous ces actes de renom que lon fait avant la foi, quelque louables quils paraissent aux hommes, sont des actes sans valeur. Telles seraient, selon moi, de grandes forces déployées et une course rapide en dehors du bon chemin. Ne comptons donc pour rien les bonnes oeuvres faites avant la foi; car il ny arien de vraiment bon, où la foi nexiste pas. Ce qui fait le prix de loeuvre, cest lintention, et lintention doit être réglée par la foi. Ne vous arrêtez dont pas à lacte que fait un homme, mais au but quil se propose, et quil veut atteindre en dirigeant son gouvernail avec force et adresse, Supposez quun pilote gouverne habilement son navire, mais ne sache plus où il va, de quoi lui servira de bien tenir le gouvernail, de le mouvoir avec adresse, de fendre les flots avec la rame, dépargner quelque choc à ses flancs? Supposons même quil soit dune habileté à tourner et à retourner son vaisseau à sa guise, et quon lui demande: Où vas-tu? et quil réponde: Je nen sais rien, ou même que sans dire: Je nen sais rien, il réponde: Je vais à tel port, et quil sen aille sur les rochers; nest-il pas évident que plus cet homme se croit habile et capable de diriger un vaisseau, plus ses manoeuvres sont dangereuses, et vont bâter le naufrage? Tel est lhomme qui précipite sa course en dehors de la bonne voie. Neût-il pas été de beaucoup préférable, que ce pilote eût un peu moins de vigueur, un peu moins dhabileté à manier le gouvernail, et quil suivit exactement le bon chemin;que cet autre dirigeât son navire avec plus de lenteur et plus de peine, mais dans la bonne voie, au lieu de courir avec tant de vitesse en dehors de la route? Le plus heureux de tops est donc celui qui est dans le vrai chemin, et y marche sagement ; au second rang est lespérance, qui chancelle tant soit peu, sans néanmoins sarrêter, qui sattarde parfois, mais qui avance peu à peu. Car on peut espérer que malgré ses lenteurs il touchera au but. 5. Donc, mes frères, Abraham fut justifié par la foi; mais cette foi, si elle na été précédée, a été suivie de bonnes oeuvres. Car ta foi doit-elle être stérile? Elle ne le sera point si tu ne les toi-même. Si tu mêles à ta foi quelque élément mauvais, cest un feu qui consume la racine de la foi. Tiens donc ferme dans ta foi, si tu veux agir. Mais, diras-tu, tel nest point le langage de saint Paul. Au contraire, voici ce que saint Paul enseigne: « Cest la foi », dit-il, « qui agit par la charité 1 ». Et ailleurs: « La plénitude de la loi, cest la charité 2 ». Et ailleurs encore: « Toute la loi est renfermée dans une seule parole, ainsi formulée: Tu aimeras ton prochain comme toi-même 3 ». Vois sil ne veut dota part aucune oeuvre, celui qui a dit: « Tu ne 1. Gal. V, 6. 2. Rom. XIII, 10. 3.Gal. V, 4 commettras point ladultère; tu ne tueras point, tu nauras aucun mauvais désir, et tout autre précepte est résumé dans cette parole : Tu aimeras le prochain comme toi-même. Lamour du prochain nopère pas le mal. Lamour est donc laccomplissement de la loi 1 ». Est-ce que la charité te permet de nuire daucune sorte à celui que tu aimes? Mais peut-être, sans lui faire aucun mal, ne lui fais-tu aucun bien. La charité, je te le demande, peut-elle te permettre de ne pas faire tout le bien possible à celui que tu aimes? Nest-ce point cette charité qui prie même pour les ennemis? Pourrait-on, en cherchent le bien dun ennemi, abandonner un ami? La foi donc sera sans oeuvres, si elle est sans charité. Mais afin de ne point surcharger ton esprit de ces oeuvres de foi, joins à la foi lespérance et la charité, et mets-toi peu en peine des oeuvres. La charité ne saurait être oisive. Quest-ce en effet qui nous stimule même à faire le mal, sinon lamour? Cherche-moi un amour stérile, un amour sans action. Les crimes, les adultères, les forfaits, les homicides, les débauches, tout cela nest-il pas loeuvre de lamour? Purifie donc ton amour ; amène dans ton jardin ce ruisseau qui va se perdre à légout; quil ait pour le Créateur du monde cette pente quil avait pour le monde lui-même. Vous a-t-on dit : Naimez rien? Jamais. Ne rien aimer, cest le propre des âmes lâches, sans vie, fades et misérables. Aimez donc, mais voyez ce quil faut aimer. On appelle charité lamour de Dieu, lamour du prochain. Lamour du monde, lamour du siècle, se nomme passion. Réprimez la passion, exercez la charité. Car la charité même de celui qui fait le bien, lui donne lespoir dune conscience pure. La bonne conscience renferme en effet lespérance ; et comme la mauvaise est tout à fait dans le désespoir, la bonne salimente despérance. Vous posséderez ainsi les trois vertus dont parle saint Paul: La foi, lespérance et la charité 2 . Ailleurs encore, il nomme ces trois vertus, mais au lieu de lespérance, il met la bonne conscience : « Telle est la fin des commandements », dit-il. Mais quest-ce que la fin dun précepte? Ce qui lui donne sa perfection, et non ce qui labroge. Dire en effet: Je suis à la fin de mon pain, cest autre chose que
dire: Je suis à la fin de la robe que je tissais. La fin de mon pain, signifie quil nen reste plus; la fin de ma robe, signifie quelle est achevée. Et néanmoins ce mot de fin se dit dans lun et dans lautre cas. LApôtre nappelle donc pas fin de la loi, ce qui tendrait à la détruire, mais plutôt ce qui la perfectionne, ce qui est pour elle non point la consomption, mais la consommation. Donc la fin de la loi consiste en ces trois vertus: « La fin de la loi», dit-il, « consiste dans la charité qui émane dun coeur pur, dune bonne conscience, et dune foi sans dissimulation». La bonne conscience rem place ici lespérance, car celui-là espère, qui a la conscience pure. Mais lhomme rongé par une conscience coupable, répudie lespérance et nen a plus que pour la damnation. Afin donc despérer le ciel, quil ait une bonne conscience, et pour avoir une bonne conscience, quil croie et quil agisse. Ce qui fait quil croit, cest la foi, et quil agit, cest la charité. Saint Paul, dans un endroit, nomme donc en premier lieu la foi. « La foi, lespérance, et la charité 1 »; ailleurs il commence par la charité : « La charité qui émane dun coeur pur, de la bonne conscience, et de la foi sans dissimulation 2 ». Nous autres, nous commençons quelquefois par le milieu, par la conscience pure, ou lespérance. Quil ait donc, je le répète, la conscience pure, celui qui veut avoir une sainte espérance; et pour avoir une bonne conscience, quil croie et quil agisse. Du milieu, nous allons au commencement et à la fin: Quil croie et quil agisse. Ce qui fait quil croit, cest la foi; ce qui fait quil agit, cest la charité. 6. Comment donc lApôtre a-t-il dit que lhomme est justifié sans les oeuvres, et par la foi, tandis quailleurs il dit: « La foi qui agit par la charité 3? » Nopposons donc plus saint Jacques à saint Paul, mais bien saint Paul à lui-même, et disons-lui : Dune part, vous nous permettez de pécher impunément, par ces paroles: « Nous croyons que lhomme est justifié par la foi sans les uvres 4 ». Et dautre part, vous nous dites que « la foi agit par la charité ». Comment se fait-il que, selon vous, je me crois en sûreté sans faire aucune bonne oeuvre, et selon vous encore, il me semble que je ne puis avoir ni la foi, ni lespérance, si je nagis par la charité? Car je
1. II Cor. XIII, 13. 2. I Tim. I, 5 3. Gal. V, 6. 4. Rom. III, 28.
(283)
tiens vos paroles, ô grand Apôtre. Assurément votre dessein est de prêcher ici la foi sans les oeuvres: mais loeuvre de la foi est la charité: et la charité ne peut demeurer oisive: elle sabstient du mal, elle fait tout le bien possible. Quelle est en effet loeuvre de la charité? « Fuis le mal, et opère le bien 1 ». Telle est donc la foi sans les oeuvres, que vous prêchez, quand vous dites ailleurs: « En vain jaurais la foi jusquà transporter les montagnes, si je nai la charité, cela ne me sert de rien 2». Donc la foi nest rien sans la charité, et si la charité, partout où elle existe, ne peut demeurer inactive, cest la foi qui agit par la charité. Comment donc lhomme sera-t-il justifié par la foi sans les oeuvres? LApôtre nous répond: O homme, si je tai parlé de la sorte, cest afin que tu ne présumes pas témérairement de tes oeuvres, et que tu nattribues pas à leur mérite le don de la foi que tu as reçu. Loin de toi de compter sur tes oeuvres qui ont précédé la foi ; sache bien que la foi a trouvé en toi un pécheur; et si le don de cette foi ta justifié, cest quelle a trouvé en toi un impie à justifier. « A lhomme qui croit en celui qui justifie limpie, la foi est imputée à justice 3 ». Mais pour limpie, être justifié, cest dimpie devenir juste; et sil devient juste, dimpie quil était, quelles sont les oeuvres des impies? Que limpie nous vante ses oeuvres, et nous dise: Je donne aux pauvres, je ne dérobe rien à personne, je ne désire point lépouse dautrui, je ne tue personne, je ne fais tort à qui que ce soit, je rends les dépôts que lon ma confiés même sans témoins : quil nous tienne ce langage, et je demande sil est juste ou impie. Comment puis-je être impie, me dira-t-il, avec de telles oeuvres? Comme étaient ceux dont il est dit: « Ils ont servi la créature plutôt que le Créateur, qui est béni dans tous les siècles4 ». Comment serais-tu impie? Comment? si dans ces bonnes oeuvres, tu espères ce quil faut espérer en effet, mais non de celui en qui doit être notre espérance; ou si tu espères ce que tu ne dois pas espérer, même de celui qui doit nous donner la vie éternelle, nest-ce pas. être impie? Tu es impie dattendre la félicité temporelle pour prix de tes bonnes oeuvres. Telle nest point la récompense de la foi. La foi est précieuse, tu lestimes trop peu. Tu es donc impie, et
1. Ps. XXXVI, 37. 2. I Cor. XII, 2. 3. Rom. IV, 5. 4. Id. I, 25.
tes oeuvres ne sont rien. En vain dans tes bonnes oeuvres, tu déploies de grandes forces, et tu parais gouverner habilement ton vaisseau, tu vas heurter un écueil. Quest-ce encore? si tu espères ce quil faut espérer en effet, cest-à-dire la vie éternelle, mais que tu ne lespères pas du Seigneur notre Dieu, par Jésus-Christ, de qui seul on peut lobtenir, si tu crois que cette vie éternelle te viendra par la milice du ciel, par le soleil, par la lune, par les puissances de lair, de la mer, des terres , des astres, tu es impie. Crois en Celui qui donne la justice à limpie, afin que tes bonnes oeuvres aient la bonté réelle; puis. quon ne peut les appeler bonnes, que quand elles sortent dune bonne racine. Comment cela? Ou tu attends, du Dieu éternel, la vie du temps, ou des démons la vie éternelle: dans lun et lautre cas tu es un impie. Corrige ta foi, redresse ta foi, et surtout redresse ta route :.et alors avec des pieds agiles, marche en toute sécurité, cours, tu es dans le bon chemin : plus sera prompte ta course, et plus sera heureuse ton arrivée. Mais peut-être chancelles-tu- quelque peu ; du moins nabandonne pas la route: tu arriveras, quoique plus tard: loin de toi de tarrêter, de retourner en arrière, de tégarer. 7. Quest-ce donc, mes frères? Quels sont les hommes heureux? Ce ne sont point les hommes en qui Dieu ne trouve aucun péché; car il en trouve chez tous les hommes: « Puisque tous ni péché, tous ont besoin de la « gloire de Dieu 2 ». Si donc on trouve des fautes chez tous les hommes, il ne reste dheureux, que ceux dont les péchés sont pardonnés. Cest ce que nous insinue lApôtre en ces termes: « Abraham crut à Dieu, et sa foi lui fut imputée à justice 2 ». Mais la récompense que lon donne à celui qui travaille, qui compte sur ses oeuvres, qui attribue à leur mérite la foi qui lui a été donnée, cette récompense ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette. Quest-ce à dire, sinon que notre récompense prend le nom de grâce? Si cest une grâce, elle est donnée gratuitement. Quest-ce à dire quelle est donnée gratuitement? Quelle ne coûte rien. Tu nas fait aucun bien, et tes péchés te sont remis. On cherche tes oeuvres, et lon nen trouve que de mauvaises. Si Dieu rendait à ces oeuvres selon leur valeur, il te damnerait: « Car la 1. Rom. III, 23. 2. Id. IV, 3. (284) mort est la solde du péché 1 » Que doit-on aux oeuvres mauvaises ? la damnation ; et aux bonnes oeuvres ? le ciel. Mais toi que lon trouve dans les oeuvres mauvaises, pour te rendre ce qui test dû, il faudrait te punir. Quarrive-t-il donc? Sans tinfliger la peine que ta mérites, le Seigneur taccorde la grâce que tu ne mérites point. Il te devait le châtiment, il taccorde le pardon. Ainsi cest parle pardon que tu commences à être dans la foi; et cette foi, sunissant à lespérance et à la charité, commence à faire le bien : et néanmoins, garde-toi de te glorifier, de télever en toi-même; souviens-toi de celui qui ta mis dans le bon chemin; souviens-toi quavec des pieds forts et agiles tu nen étais pas moins égaré : noublie jamais que, languissant, et laissé à demi mort sur la voie, tu as été mis sur le cheval du samaritain, pour être conduit à lhôtellerie 2 . « La récompense que lon donne à celui qui travaille»,dit saint Paul, « ne lui est pas imputée comme une grâce, mais comme une dette3 ». Si donc tu ne veux aucune part à la grâce, fais valoir tes mérites. quant à Dieu, il voit ce qui est en toi, il sait ce qui est dû à chacun. « Pour lhomme qui ne fait aucune oeuvre4», poursuit saint Paul, prends donc un impie, un pécheur; celui-là ne fait aucune oeuvre. Que fait-il? « Mais qui croit en celui qui justifie limpie». Dès lors quil ne fait aucune bonne oeuvre, il est un impie; et quand même il paraîtrait faire le bien, comme il est sans la foi, ses oeuvres ne peuvent sappeler bonnes. « Mais il croit en celui qui justifie limpie, sa foi lui est imputée à justice. Cest ainsi que David a chanté le bonheur de celui à qui le Seigneur impute la justice sans les uvres 5». Mais quelle est cette justice? Celle de la foi que nont point précédée, mais que vont suivre les bonnes oeuvres. 8. Soyez donc attentifs , mes frères; car tentendre mal, cest vous exposer à tomber dans ce gouffre de limpunité quon se promet en péchant : et moi, non plus que lApôtre, je ne suis point responsable de tous ceux qui peuvent mal interpréter mes paroles. Ceux qui le comprirent mal, agissaient à dessein; ils redoutaient les bonnes oeuvres qui devaient suivre. Ne faites point cause commune avec eux, mes frères. Un autre psaume a dit à propos dun
1. Rom. VI, 23. 2. Luc, X, 30 3. Rom. IV, 4. 4. Ibid. 5. 5. Ibid. 5,6. tel homme, et ce seul homme renferme toute une catégorie: « Il na pas voulu comprendre, de peur de faire le bien 1 ». Il nest pas dit: Il na pu comprendre. Pour vous, mes frères, ayez la volonté de comprendre, afin que vous fassiez le bien. Lintelligence ne vous manquera point, et même elle arrivera jusquà lévidence. Quy a-t-il dévident pour celui qui a compris? Que nul ne doit vanter les bonnes oeuvres qui ont précédé la foi, et après la foi nen négliger aucune. Dieu fait donc miséricorde à tous les impies, et les sauve par la foi. 9. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, et dont les péchés ont été couverts. Bienheureux lhomme à qui Dieu na point imputé son crime, et dont la bouche ne distille point la fraude 2 ». Dès le commence-ment du psaume, nous en avons lintelligence, et cette intelligence consiste à bien savoir que nous ne devons ni nous vanter de nos mérites, ni espérer témérairement limpunité de nos fautes. Car voici le titre du psaume: « A David, intelligence ». Cest donc un psaume dintelligence; et le premier effet de cette intelligence, cest de te reconnaître pécheur. Le second effet, cest de nattribuer point à tes forces, mais à la grâce de Dieu, les bonnes oeuvres qui seront les premiers fruits de ta foi dans la charité 3. Cest ainsi quil ny aura aucun déguisement dans ton coeur, cest-à-dire dans la bouche de lhomme intérieur, et tu nauras point des paroles pour les lèvres, et des paroles pour le coeur. Tu ne ressembleras point aux Pharisiens dont il est dit « Vous êtes comme des sépulcres blanchis; au dehors, vous avez pour les hommes des apparences de justice; au dedans, vous êtes pleins de déguisement et de ruses 4 ». Et en effet, le pécheur qui veut quon le regarde comme un juste, nest-il pas un fourbe? Tel nétait pas Nathanaël dont le Sauveur a dit « Voilà un véritable Israélite, qui est sans déguisement 5 ». Mais pourquoi ny avait-il aucun déguisement dans Nathanaël? « Quand tu étais sous le figuier je te voyais 6 ». Il était sous le figuier, cest-à-dire sous la condition de la chair; et il était sous les conditions de la chair parce quil était dans limpiété native. Il était sous ce figuier qui arrache au psalmiste ce gémissement : « Voilà que 1. Ps. XXXV, 3. 2. Id. XXXI, 1,2. 3. Galat. V, 6. 4. Matt. XXIII, 27. 5. Jean, I, 47. 6. Ibid. 48.
(285) jai été conçu dans liniquité 1 ». Mais il le vit Celui qui vint avec la grâce. Que dis-je, il le vit? il en eut pitié. Le Sauveur donc relève cet homme sans artifice, pour nous relever le prix de la grâce qui est en lui. « Je te voyais, quand tu étais sous le figuier ». Je tai vu, quy a-t-il là de si grand, si lon ny découvre quelque mystère? Quy a-t-il de si grand en effet à voir un homme sous un arbre? Si le Christ navait vu le genre humain sous ce figuier, ou bien nous serions entièrement desséchés, ou bien, non plus que chez ces Pharisiens, qui étaient fourbes, cest-à-dire dont les paroles étaient justes et dont les actes étaient pervers, on ne trouverait chez nous que des feuilles et non des fruits. Le Christ en effet maudit et fit sécher le figuier quil trouva en cet état. Je ne vois, dit-il, que des feuilles, ou plutôt des paroles et aucun fruit: « Quil se dessèche donc entièrement et ne porte pas même de feuilles 2 ». Pourquoi des paroles encore? Un arbre sec na même plus aucune feuille. Tels étaient les Juifs; cet arbre était les Pharisiens, qui avaient des paroles et non point des actes; larrêt du Seigneur les condamne à se dessécher. Que le Seigneur nous aperçoive donc sous le figuier : tant que nous sommes en cette vie, quil voie en nous le fruit des bonnes oeuvres, afin que sa malédiction ne nous fasse point dessécher. Et comme tout nous vient de sa grâce et non point de nos mérites « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Non ceux chez qui lon trouve des péchés, mais ceux dont les péchés sont couverts, dont les fautes sont cachées, effacées, anises en oubli. Si Dieu a effacé leurs péchés, il ne veut plus les voir; sil ne veut plus les voir, il ne veut point les punir; sil ne veut point les punir, il ne veut point les connaître, mais plutôt fermer les yeux sur eux. « Bienheureux ceux dont les fautes sont remises, dont les péchés sont couverts ». Si le Prophète a dit que ces péchés sont couverts, gardez-vous de croire que ces péchés soient encore existants et vivants. Pourquoi dit-il quils sont couverts? parce quils ne sont plus visibles. Car, en Dieu, voir le péché, nest-ce point le punir? Et afin de nous faire comprendre que, pour Dieu, voie le péché cest le punir que, lui dit le Prophète? «Détournez vos yeux de mon péché 3 ». Quil 1. Ps. L, 7. 2. Matt. XXI, 19. 3. Ps. L, II. ne voie donc plus tes péchés, afin de te voir toi-même. Comment te verra-t-il? Comme il vit Nathanaël : « Je tai vu, quand tu étais sous le figuier 1 ». Lombre du figuier nest point impénétrable aux yeux de la divine miséricorde. 10. « Et dont la bouche ne recèle aucun déguisement 2 ». Mais ceux qui reculent devant laveu de leurs fautes, font dinutiles efforts pour les cacher. Plus ils sefforcent de se défendre du péché, en faisant valoir leurs mérites, et en saveuglant sur leurs iniquités, plus sénerve leur force et leur courage. Celui-là est véritablement fort qui a mis sa force en Dieu et non point en lui-même. Aussi saint Paul disait-il: « Trois fois jai prié le Seigneur déloigner de moi (cet ange de Satan); et il ma répondu: Ma grâce te suffit. Ma grâce», a-t-il dit, et non point ta force. « Ma grâce te suffit », dit-il, « car cest dans la faiblesse que se perfectionne la force ». De là vient que lApôtre, à son tour, nous dit plus loin: « Quand je suis faible, cest alors que je deviens fort 3 ». Donc celui qui se prétend fort, qui se relève à ses yeux, qui vante ses mérites, quelque grands quils puissent être, est semblable au pharisien, qui se vantait avec faste des dons quil reconnaissait avoir reçus de Dieu: « Je vous rends grâces 4 », dit-il, Voyez, mes frères, quel orgueil Dieu nous met sous les yeux : il est tel, quun homme juste pourrait y tomber, tel, quil peut se glisser chez lhomme dont on a la meilleure espérance. « Je vous rends grâces », disait-il. Donc en disant : « Je vous rends grâces n, il avouait quil avait reçu de Dieu ce qui était en luit « Quavez-vous, que vous nayez pas reçu 5?» Donc « je vous rends grâces», dit-il; « je vous rends grâces, de ce que je ne suis point comme les autres hommes, qui sont voleurs, injustes et adultères, ni même comme ce publicain 6 ». En quoi consiste donc lorgueil de cet homme? Non pas à rendre grâces à Dieu du bien quil trouve en lui, mais à abuser de ces mêmes biens pour se préférer aux autres. 11. Prenons bien garde à ceci, mes frères; car lEvangéliste a soin de préciser à quel propos le Seigneur a fait cette parabole. Le Christ avait dit : « Pensez-vous que le Fils de lhomme, venant sur la terre, y trouvera de 1. Jean, I, 48. 2. Ps. XXXI, 2. 3. II Cor XII, 8-10, 4. Luc, XVIII, LI. 5. I Cor. IV, 7. 6. Luc, XVIII, 11.
(286) la foi 1?» Et de peur quil ne se trouvât certains hérétiques, pour croire que lunivers dans sa totalité a perdu la foi (car les hérétiques forment tous des sectes, et sont confinés dans certaines localités), et pour se vanter davoir conservé ce qui a disparu du reste du inonde, aussitôt que le Seigneur a dit: «Pensez-vous que le Fils de lhomme, revenant au monde, y trouvera de la foi? » lEvangéliste ajoute : « Sadressant à quelques-uns qui se confiaient en eux-mêmes et en leur justice, et qui méprisaient les autres, il proposa cette parabole : Un pharisien et un publicain vinrent au temple pour y prier 2 »; et le reste que vous savez. Ce Pharisien disait donc: « Je vous rends grâces ». Mais où est son orgueil? Dans son mépris pour les autres. Quelle preuve en avez-vous? Dans ses paroles. Comment? Ce pharisien, est-il dit, méprisait le publicain, qui se tenait éloigné, et que son aveu rapprochait de Dieu. « Le publicain n, dit encore lEvangile, se tenait éloigné 3 ». Mais Dieu nétait pas éloigné de lui. Et pourquoi Dieu nétait-il pas éloigné de lui? Parce quil est dit ailleurs : « Que le Seigneur est tout près de ceux qui ont le coeur brisé 4 ». Voyez si ce publicain navait pas le coeur brisé, et vous comprendrez que Dieu sapproche de ceux dont le coeur est contrit. « Le publicain se tenait éloigné, et nosait lever des yeux vers le ciel, mais il frappait sa poitrine 5 ! » Frapper sa poitrine, nest-ce pas un signe que lon a le coeur contrit? Que disait-il en frappant sa poitrine? « Mon Dieu, ayez pitié de moi qui suis un pécheur». Et quel fut larrêt du Sauveur? « En vérité, je vous le déclare, le publicain revint du temple en sa maison, plus justifié que le pharisien ». Pourquoi? Telle est la sentence du Seigneur. « Je ne suis point comme ce publicain, ni comme les autres hommes, qui sont injustes, voleurs et adultères: je jeûne deux fois la semaine, je donne la dîme de tout ce que je possède», dit le pharisien; tandis que le publicain nose lever les yeux au ciel, quil na dattention que pour sa conscience, quil se tient debout, et quil est plus justifié que le pharisien. Mais pourquoi? Expliquez-nous, Seigneur, je vous en supplie, expliquez-nous les mystères de votre justice, léquité de votre sentence. Cest ce quil fait en nous 1. Luc, XVIII, 8. 2. Ibid. 9 3. Ibid. 13. 4. Ps. XXXI, 19, 5. Luc, XVIII, 13. 6. Ibid. 14.
exposant les règles de sa loi. Voulez-vous les entendre? « Cest que tout homme qui sélève sera abaissé, et que tout homme qui sabaisse sera élevé (Luc, XVIII, 14 ) ! » 12. Redoublez, mes frères, votre attention, Nous avons dit que le publicain nosait lever les yeux au ciel. Pourquoi ne pas regarder le ciel? parce quil se considérait lui-même. Et il se considérait afin de se prendre en horreur et par là de plaire à Dieu. Pour toi, tu as la tête levée dans ton orgueil. Mais le Seigneur dit au superbe : Tu ne veux point te considérer! Et moi-je te considère. Veux-tu que je te perde de vue? jette les yeux sur toi-même, Le publicain donc nosait lever les yeux au ciel, parce quil considérait sa conscience et se châtiait lui-même, il devenait son propre juge, afin que Dieu le prît en pitié; il se châtiait, afin que Dieu le délivrât; il saccusait, afin que Dieu fût son défenseur. Et il se défendit en effet, puisquil prononça eu sa faveur: « Le publicain descendit chez lui, plus juste que le pharisien, parce que tout homme qui sélève sera abaissé, et tout homme qui sabaisse sera élevé ». Il sest considéré lui-même, dit le Seigneur, et je nai point voulu le considérer: jai entendu sa prière : « Détournez vos yeux de mes iniquités ». Quel est celui qui a parlé de la sorte, sinon celui qui a dit aussi: « Je connais létendue de mon iniquité ». Le pharisien donc, mes frères, était aussi un pécheur. Bien quil ait dit: « Je ne suis point comme les autres hommes qui sont injustes, voleurs « et adultères n; bien quil ait jeûné deux fois la semaine, quil ait payé la dîme, il nen était pas moins un pécheur. A défaut de tout autre péché, son orgueil en était un très-grand; et toutefois il tenait ce langage fastueux. Car enfin quel homme est sans péché, et qui pourra se glorifier davoir un coeur pur, ou se vanter dêtre exempt de toute faute? Le pharisien avait donc des péchés; mais dans son aveuglement, il oubliait quil était venu dans le temple; il était là comme ce malade qui, dans le cabinet du médecin, cache ses blessures, et nétale que des membres en bon état. Que Dieu cache tes blessures; ne le fais point toi-même; si la honte que tu as te les fait cacher, le médecin ne les guérira point. Que le médecin les recouvre et les panse : car il les couvre dun (287) appareil salutaire. Lappareil du médecin guérit les blessures , lappareil du blessé naboutit quà les dérober. Pourquoi les cacher à Celui qui voit tout? 13. Reportons-nous donc, mes frères, à ce que dit le Prophète: « Mes os ont vieilli, parce que je gardais le silence, et néanmoins je criais tout le jour ». Quel sens donner à ces paroles qui paraissent contradictoires « Parce que je me suis tu, mes os ont vieilli à cause de mes cris? » Si cest parce quil a crié, comment a-t-il gardé le silence? Il sest tu en certaines occasions, il ne sest point tu en dautres; il a tu ce qui laurait fait avancer dans le bien, il na point tu ce qui la fait déchoir; il a tu laveu de ses fautes, il a crié tout haut sa confiance en lui-même. « Je me suis tu »,dit-il, « et dès lors je nai fait aucun aveu».Cétait là pourtant quil fallait parler, taire ses mérites, crier ses péchés : et dans sa démence il a tu ses péchés, pour crier ses mérites. Alors quest-il arrivé? Ses os ont vieilli. Remarquons-le bien: sil avait crié ses péchés et tu ses mérites, ses os se fussent renouvelés, ou plutôt ses vertus : il serait devenu fort devant le Seigneur, parce quil aurait compris sa faiblesse. Maintenant quil a mis sa force en lui-même, il est devenu faible et ses os ont vieilli. Il est demeuré dans la faiblesse du vieillard, parce quil na point voulu rajeunir par laveu. Vous savez en effet, mes frères, comment lhomme se renouvelle : car « Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, et dont les péchés sont couverts ». Celui-ci au contraire, loin daccepter la rémission de ses fautes, en a grossi le nombre, les a défendues, et a vanté ses mérites. Donc, parce quil sest tu, en ne confessant point ses péchés, ses os ont vieilli, u Pendant que je criais durant « tout le jour n. Quest-ce à dire quil criait tout le jour? Quil persistait à défendre ses péchés. Et voyez néanmoins quel est cet homme, car il se connaît. Bientôt lui viendra lintelligence; il napercevra que lui-même, et se prendra en pitié, car il se connaît. Bientôt vous lentendrez, afin de vous guérir vous-mêmes. 14. « Bienheureux lhomme à qui le Seigneur na point imputé son péché, et dont la bouche ne recèle point la fraude. Car moi, je me suis tu et mes os ont vieilli, pendant que je criais tout le jour. Le jour et la nuit, en effet, votre main sest appesantie sur moi 1. »Que signifie cette parole: « Votre main sest appesantie sur moi ? » Il y a là, mes frères, un sens profond. Rappelez-vous le juste arrêt que Dieu a prononcé à légard de ces deux hommes, du pharisien et du publicain. Quest-il dit du pharisien? Quil est humilié; et du publicain? quil est élevé. Pourquoi lun est-il abaissé? parce quil sest élevé ; et lautre élevé ? parce quil sest abaissé. Mais Dieu, pour abaisser lhomme qui sélève, appesantit sa main sur lui. Il refuse de shumilier par laveu, et il est humilié sous le poids de la main de Dieu. Autant cette main est dure pour nous humilier, autant elle est caressante pour nous relever. Elle a de la force pour lun, et de la force encore pour lautre : elle se montre forte en nous humiliant, comme elle est forte en nous relevant. 15. « Le jour et la nuit, votre main sest appesantie sur moi, je me suis retourné dans ma douleur dont laiguillon me déchirait 2». Le poids de votre main, lhumiliation qui maccable mont amené à la conversion, dans mon chagrin: la misère me saisit, laiguillon me déchire, et ma conscience en est meurtrie. Que lui est-il arrivé sous laiguillon de ces épines? Il a ressenti sa douleur et reconnu sa faiblesse. Et lui qui navait point fait laveu de ses fautes, mais qui avait crié pour la défendre, au point démousser sa vertu, cest-à-dire de hâter la vieillesse de ses os, qua-t-il fait sous la douleur de laiguillon? « Jai connu avion péché». Donc il reconnaît ses fautes, et sil les considère, Dieu en détourne les yeux. Ecoutez la suite et voyez sil ne dit point: «Jai « reconnu mon péché, et je nai point caché mon injustice 3 ». Je disais tout à lheure: Ne couvre point tes fautes, et Dieu les couvrira lui-même. «Bienheureux ceux dont les iniquités sont remises, dont les péchés sont couverts ». Couvrir ses fautes, cest se découvrir soi-même. Le psalmiste les découvre, afin de nêtre pas découvert lui-même. « Je nai point couvert mon iniquité ». Quest-ce à dire: « Je nai point couvert ? » Jusque-là je me taisais : maintenant que fait-il? « Jai dit», ce qui est contraire au silence. « Jai dit», mais quas-tu dit? « Je confesserai contre moi mes prévarications au Seigneur, et vous mavez remis limpiété de mon âme 5 », « Jai dit». Quas-tu dit? Il ne déclare pas encore, mais
1. Ps. XXXI, 4. 2. IbId. 3. Id. 5. 4. Ibid. (288) il promet de déclarer ses fautes, et déjà Dieu les lui pardonne. Considérez bien, mes frères, cette grande miséricorde: le psalmiste dit seulement: «Je confesserai »; il ne dit point: Jai déclaré mon péché, et vous, Seigneur, vous lavez remis, mais simplement : « Je le déclarerai, et vous me lavez pardonné». Dire en effet: « Je déclarerai », cest dire par là même, que cette déclaration nest pas encore sortie de sa bouche, mais faite seulement dans son coeur. Dire : « Je déclarerai», cest déjà faire cette déclaration. Aussi « vous mavez pardonné limpiété de mon cur ». Ma confession nétait pas encore sur mes lèvres ; javais dit seulement : « Je confesserai contre moi-même » ; et néanmoins le Seigneur a entendu ce cri de mon âme. Ma parole nétait pas encore dans ma bouche; que déjà loreille de Dieu était dans mon coeur. « Vous mavez remis limpiété de mon âme », parce que jai dit: « Je confesserai». 16. Mais cela était insuffisant, Le Prophète ne dit point Je confesserai mon injustice au Seigneur ; ce nest pas sans raison quil ajoute: «Je confesserai contre moi » ; ce qui est important. Beaucoup en effet déclarent leurs injustices, mais les déclarent contre Dieu; et quand ils sont surpris dans liniquité, ils répondent: Cest Dieu qui la voulu. Quun homme en effet dise: Je nai point fait cela, ou, ce que vous me reprochez nest pas une faute ; il naccuse ni lui-même. ni Dieu. Quil dise au contraire: Jai fait cela, cest une faute, mais Dieu la voulu ainsi, en quoi suis-je coupable? alors cest Dieu quil accuse. Mais, direz-vous, il nest personne qui parle ainsi; qui oserait dire : Cest Dieu qui la voulu? Dabord il y en a beaucoup pour le dire; mais ceux qui ne le disent point formellement, que font-ils autre chose, en sexcusant ainsi : Cest le destin qui la voulu, cest mon étoile qui en est cause ? Ils prennent un détour, mais pour arriver à Dieu. Par ces détours, ils veulent eu venir jusquà inculper Dieu, au lieu de prendre le chemin plus court de lapaiser. Le destin ma poussé, disent-ils. Quest-ce que le destin? Ma mauvaise étoile en est cause. Quest-ce que ces étoiles? Assurément celles que nous voyons à la voûte des cieux. Qui les a créées? Dieu ; qui les a placées ? Dieu encore. Ainsi, tu le vois, tu as voulu dire que cest Dieu qui ta poussé au péché. Linjuste cest lui, le juste cest toi; sil navait ainsi disposé les choses, tu naurais point péché. Arrière toutes ces excuses du péché; souviens-toi de ces paroles du psaume: « Ne laissez point aller mon coeur à ces paroles mensongères que lon allègue pour excuser des péchés, parmi ces hommes qui commettent liniquité ». Toutefois ce sont des hommes importants, ceux qui atténuent ainsi leurs fautes ; ils sont importants ceux qui peuvent compter les étoiles, qui peuvent dire quand est-ce quun homme fera un acte coupable ou un acte de vertu, quand Mars commettra un homicide et, Vénus un adultère ; ce sont des hommes importants, des hommes savants, des hommes distingués dans le monde. Mais que nous dit le Psalmiste? « Ne laissez point aller mon coeur à ces paroles mensongères, avec les hommes criminels; je naurai point de part avec les plus habiles dentre eux » . Que dautres appellent savants et distingués ceux qui peuvent compter les étoiles; que lon accorde la sagesse à ceux qui règlent comme sur les doigts les destinées des hommes qui lisent nos moeurs dans les étoiles ; pour moi, je sais que Dieu ma doué du libre arbitre, que si jai péché, cest bien moi qui ai péché; non-seulement je confesserai mon péché au Seigneur, mais je le confesserai contre moi, et non contre lui. « Pour moi, jai dit: Seigneur, ayez pitié de moi », cest le malade qui appelle un médecin. « Pour moi, jai dit ».A quoi bon mettre: « Moi jai dit », quand il suffisait de dire simplement: Jai dit? Le moi est ici emphatique; cest bien moi, ce nest ni le destin, ni la fortune, ni le diable ; ce dernier ne ma point forcé, mais moi jai consenti à ses instigations: « Pour moi, jai dit au Seigneur: Ayez pitié de moi, guérissez mon âme , parce que jai péché contre vous 1 ». Cest aussi la résolution quil arrête ici : « Jai dit : Je confesserai contre moi mon iniquité au Seigneur, et vous mavez pardonné limpiété de mon cur ». 17. « Cest pour cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable2 ». Quel est ce temps opportun? Et quest-ce à dire, pour cela? » A cause de leur impiété. Laquelle? Celle qua dû couvrir le pardon de leur péché. «Cest pour cela que tout homme saint vous invoquera, parce que vous lui avez remis ses fautes ». Sans ce pardon des fautes 1. Ps. XL, 5. 2. Id. XXXI, 6.
(289) il ny aurait pas un saint pour vous invoquer. « Cest pour cela que tout homme saint vous invoquera en temps opportun : ou quand vous manifesterez votre alliance nouvelle ; car la manifestation de la grâce du Christ, cest là le temps opportun. «Quand les temps furent accomplis», dit saint Paul, « Dieu envoya son Fils, formé de la femme», cest-à-dire dune vierge que les anciens désignaient aussi sous le nom générique de femme, mulier, « assujettie à la loi, afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». De quelles mains les racheter? des mains du diable, de la perdition, du péché, des mains de celui auquel ils sétaient vendus. « Afin de racheter ceux qui étaient sous la loi ». Ils étaient sous la loi, en ce sens que la loi les accablait. Et les accabler, cétait les convaincre de péché sans les sauver. Sans doute, elle défendait le mal; mais parce quils navaient point la force de se justifier par eux-mêmes, il fallait crier vers Dieu, comme celui qui se sentait captif sous la loi du péché, et qui sécriait: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort 2?» Tous les hommes étaient donc sous la loi, et non dans la loi qui pesait sur eux et les convainquait de péché. Car cest la loi qui a montré le péché, elle qui en a enfoncé laiguillon, elle qui a meurtri notre coeur, elle qui a averti chacun de nous de se reconnaître coupable et dimplorer du Seigneur notre pardon. « Cest pour cela que tout homme saint doit crier vers vous, au temps favorable ». Jai expliqué donc ce temps favorable par ce mot de saint Paul : « Quand les temps furent accomplis, Dieu nous envoya son Fils 3 ». LApôtre dit encore: «Je vous ai exaucé au temps favorable, je vous ai secouru au jour du salut 4 ». Et comme le Prophète parlait ainsi de tous les chrétiens, lApôtre ajoute: « Voici maintenant le temps favorable, voici maintenant les jours du salut 5. Cest pour cela que tout homme saint doit vous invoquer au temps favorable ». 18. « Et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne sapprocheront point de lui 5 » . « De lui » , de qui? de Dieu. Le Prophète, parlant de Dieu, change souvent de personne ; ainsi : « Le salut vient du Seigneur, et votre bénédiction se répand 1. Gal. IV, 4, 5. 2. Rom. VII, 23, 24. 3. Galat. IV, 4. 4. II Cor. VI, 2. 5. Ibid 6. Ps, XXXI, 6.
sur votre peuple », cest-à-dire, cest de vous, Seigneur, que vient le salut, et votre bénédiction se répand sur votre peuple. Mais comme il avait dit dabord : « Le salut vient du Seigneur », non point en sadressant au Seigneur, mais en parlant de lui; il se retourne du côté de Dieu pour lui dire: «Et votre bénédiction se répand sur votre peuple ». Il en est de même ici : nous entendons dabord « vers vous, Seigneur », puis « de lui », mais ne croyons pas quil parle dun autre que de Dieu: «Cest pour cela que tout homme saint vous invoquera au temps favorable : et toutefois au cataclysme des grandes eaux, ils ne sapprocheront point de lui 2 ». Quest-ce à dire, « dans le cataclysme des grandes eaux ? » cest-à-dire, ceux qui nagent dans les flots sans digue des grandes eaux, napprochent point du Seigneur. Quest. ce que le Prophète entend par ces grandes eaux? cest la nombreuse variété des doctrines. La doctrine de Dieu est unique, les eaux nen sont point-nombreuses, il ny en a quune, soit leau du sacrement de baptême, soit leau de la doctrine du salut. Cest de la doctrine que le Saint-Esprit répand sur- nous, quil est dit : «Bois leau de tes vases et des sources de tes puits 3 ». Or, ce ne sont point les impies qui approchent de ces sources; mais ceux qui croient en celui qui justifie limpie 4, et qui sont déjà justifiés, ceux-là sen approchent. Les autres eaux si nombreuses, les autres doctrines multipliées naboutissent quà la corruption des âmes, ainsi que je le disais tout à lheure, Une doctrine vous fait dire : Cest le destin qui ma poussé; une autre : Cest le hasard, cest la fortune qui ma fait cela. Si le hasard gouverne les hommes, il ny a plus de Providence pour gouverner le monde; voilà encore une de ces doctrines, une autre vient me dire: Il y a une race desprits de ténèbres contraires à Dieu, qui sest révoltée contre lui, et qui fait pécher les hommes. Alors, dans ce débordement des grandes eaux, ils ne sapprocheront point de Dieu. Quelle est donc cette eau, cette eau vraie qui coule des plus profondes sources de la vérité la plus pure? Quelle est cette eau, mes frères, sinon leau qui nous apprend à bénir le Seigneur? Quelle est cette eau, sinon leau qui nous apprend à dire : « Il est bon de bénir Dieu 5?» Quelle est cette eau enfin, 1. Ps. III, 9. 2. Ps. XXXI, 7. 3. Prov. V, 15. 4. Rom. IV,5. 5. Ps. XCI, 2. (290) sinon leau qui nous fait dire avec le Psalmiste : « Je lai dit: Je confesserai contre moi mon injustice au Seigneur » ; et encore: «Pour moi, jai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que jai péché contre vous 1 ». Or, cette eau de la confession des péchés, cette eau qui apprend au coeur à shumilier, cette eau de la vie et du salut, cette eau qui porte lhomme à se mépriser, à ne point trop présumer de lui-même, à ne rien sattribuer dans son orgueil; cette eau donc de la pure doctrine, on ne la trouve dans aucun livre des païens, ni chez les Epicuriens, ni chez les Stoïciens, ni chez les Manichéens, ni chez les Platoniciens; et même partout où lon rencontre dexcellents préceptes de morale et de conduite, on ne trouve pas pour cela cette humilité divine. Lhumilité pour nous émane dune autre source elle nous vient du Christ. Quelle autre leçon pouvait-il nous donner en shumiliant lui-même, en devenant obéissant jusquà la mort, et même jusquà la mort de la croix 2 ? Quel autre enseignement nous donnait-il en payant la dette quil navait pas contractée, afin de nous libérer de notre dette? Quel autre enseignement nous donnait-il en recevant le baptême, lui qui na commis aucun péché 3, en se faisant clouer à la croix, lui qui nétait point coupable? Que nous enseignait-il, sinon cette humilité ? Ce nest pas sans raison quil adit: «Je suis la voie, la vérité et la vie 4 ». Telle est donc lhumilité, quelle nous rapproche de Dieu, parce que le Seigneur se tient près de ceux qui ont le coeur contrit 5 » Or, dans le débordement de ces grandes eaux qui sélèvent contre Dieu, qui enseignent lorgueil et limpiété, nul ne saurait approcher de Dieu. 19. Mais toi qui es déjà justifié, es-tu encore au milieu de ces grandes eaux? Oui, mes frères, même quand nous confessons nos fautes, nous entendons le bruit des grandes eaux qui nous environnent de toutes parts. Nous ne sommes point dans le déluge même, et ce déluge néanmoins nous environne. Les eaux nous serrent de près, mais sans nous accabler ; elles nous agitent, mais sans nous submerger. Que feras-tu donc, ô mon frère, toi qui es au milieu du déluge, et qui vis dans ce monde pervers? Se peut-il que tu ny 1. Ps. XI., 5. 2. Phil. II, 8 3. Matt. III, 13. 4. Jean , XIV, 6. 5. Ps. XXIII, 19. entendes point ces docteurs, que leurs doctrines dorgueil narrive pas à tes oreilles, et que chaque jour leurs maximes ne mettent point ton coeur à la torture? Que dira donc au milieu de ce déluge le chrétien déjà justifié et qui se confie en Dieu? « Seigneur, vous êtes mon refuge, dans la persécution qui menvironne 1 ». Que les autres cherchent un abri chez leurs idoles, ou chez heurs démons, ou dans leurs forces, ou dans la défense de leurs péchés: pour moi, dans ce déluge, il ny a que vous, Seigneur, qui puissiez me mettre à labri de la persécution qui menvironne. 20. «Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie 2 ». Pourquoi vouloir quon te rachète, si tu es dans la joie? « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». Jentends à la fois, et le cri de lallégresse: « Vous êtes ma joie», et la voix du gémissement : « Rachetez-moi ». Tu tressailles et tu gémis. Cest vrai, me répond le Prophète, je tressaille et je gémis : je tressaille dans lespérance, je gémis encore dans la réalité. « Rachetez-moi, ô vous qui êtes ma joie ». Réjouissez-vous dans lespérance, nous dit lApôtre; ce qui rend bien cette parole : « O vous qui êtes ma joie ». Mais pourquoi : « Délivrez-moi? » Saint Paul nous le dit ensuite : « Soyez patients dans la tribulation 3 ». LApôtre lui-même était déjà justifié, et que dit-il néanmoins? « Nous-mêmes aussi, qui possédons les prémices de lEsprit, nous gémissons intérieurement». Pourquoi donc, « rachetez-moi? Cest que nous-mêmes nous gémissons dans lattente de ladoption, qui sera la délivrance de nos corps4 ». Ainsi « rachetez-moi » signifie que nous gémissons en nous-mêmes, attendant que nos corps soient rachetés. Pourquoi cette expression : « Vous êtes ma joie? » LApôtre lexplique peu après en disant: « Cest par lespérance que nous sommes sauvés; mais lespérance qui verrait ne serait plus une espérance. Comment espérer ce que lon voit déjà? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous lattendons par la patience ». Espérer, cest jouir; attendre avec patience, cest gémir encore : car on na que faire de patience, quand on ne souffre point. Ce que lon appelle tolérance, patience, souffrance, longanimité, tout cela ne se dit que des peines que lon endure. Si vous êtes 1. Ps. XXXI, 7. 2. Ibid. 3. Rom. XII, 12. 4. Id. VIII, 2325. (291)
accablé, vous êtes dans langoisse. Donc si nous attendons par la patience, nous disons encore: Rachetez-moi de laffliction qui menvironne; mais comme lespérance nous sauvera, nous disons lun et lautre « Délivrez-moi, ô vous qui êtes ma joie». 21. Voici la réponse : « Je te donnerai lintelligence ». Le psaume lui-même est un psaume dintelligence. « Je te donnerai lintelligence et taffermirai dans la voie où tu auras marché 1 ». Quest-ce à dire : « Je taffermirai dans la voie où tu auras marché 2 ? » Non plus afin que tu y demeures , mais afin que tu ne ten écartes pas. Je te donnerai lintelligence, afin que tu te comprennes toujours, que tu tressailles toujours dans lespérance en Dieu : jusquà ce quenfin tu arrives dans la patrie, où il ny a plus despérance, mais où tout sera réalité.« Jaffermirai mon regard sur vous ». Je ne détournerai point de vous les yeux, parce que jamais vous ne les détournerez de moi. Bien que tu sois justifié et après la rémission de tes fautes, lève les yeux vers ton Dieu. Sur la terre, ton coeur sen allait en pourriture. Ce nest pas sans raison que lon te crie: Elève ton coeur en haut, de peur quil ne se corrompe. Toi donc aussi lève les yeux en haut; tiens-les fixés sur le Seigneur, afin quil arrête ses regards sur toi. Mais pourquoi redouter quen élevant tes yeux en haut, tu ne voies pas devant toi, et que ton pied ne tombe dans quelque piége? Sois sans crainte, là aussi sont arrêtés ces regards de Dieu quil tenait fixés sur toi. « Soyez », nous dit le Seigneur, « soyez sans sollicitudes ». Lapôtre saint Pierre a dit : « Rejetez dans le sein de Dieu toute votre sollicitude, parce que lui-même prend soin de vous 3 » . Donc « mes yeux seront fixés sur toi ». Quant à toi, fixe à ton tour tes regards sur le Seigneur, et tu ne craindras pas, ai-je dit, de tomber dans le piége. Ecoute ce mot du psalmiste : « Mes yeux seront toujours fixés en Dieu ». Et comme si on lui disait: Que deviendront tes pieds, si tu ne regardes point à ta marche? il répond : « Ce sera lui qui dégagera mes pieds des embûches 4. » Jaffermirai donc sur toi « mes regards 5 ». 22. Ainsi Dieu a promis le secours et lintelligence au prophète qui se tourne alors vers
1. Ps. XXXI, 8. 2. Mat. VI, 31. 3. I Pierre, V, 7. 4. Ps. XXIV, 15. les orgueilleux qui défendent leurs péchés: « Gardez-vous », leur dit-il, « de ressembler au cheval et au mulet, qui nont point dintelligence 1 ». Le cheval et le mulet marchent la tête levée; ils ne ressemblent point à ce boeuf qui connaît son maître, et à lâne qui connaît létable de celui quil sert 2. « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui nont point dintelligence ». Quarrive-t-il pour eux? « Cest par la bride et par le mors que vous assujettirez les mâchoires de ceux qui ne sapprochent point de vous 3 ». Veux-tu être cheval ou mulet? Veux-tu ne souffrir aucun cavalier? Ta bouche et tes mâchoires seront assujetties par la bride et le mors : on assujettira cette bouche qui relève tes mérites et garde le secret de tes fautes. « Maîtrisez donc les mâchoires de ceux qui ne sapprochent point de vous » par humilité. 23. « Ils sont nombreux, les châtiments des pécheurs 4 ». Il nest pas étonnant que le fouet vienne après le mors. li voulait être un animal indomptable, et on lassouplit avec le mors et le fouet: et plaise à Dieu quon lassouplisse! Car il est à craindre que par son opiniâtreté; il ne mérite de rester indompté, et de sen aller sauvage et vagabond, où le portera sa fougue, en sorte que lon dise de lui comme de ceux dont les péchés demeurent impunis ici-bas, que «leur iniquité vient de leur abondance 5 ». Que le fouet donc serve à le corriger et à le dompter, comme linterlocuteur avoue quil a été lui-même dompté. Il se comparaît au cheval et au mulet à cause de son silence : mais quest-ce qui la dompté? le fouet du châtiment. «Je me suis converti », dit-il, « dans ma douleur et déchiré par laiguillon ». Soit donc parle fouet, soit par laiguillon, Dieu assouplit le cheval quil monte, et cest lavantage du cheval davoir un tel cavalier. Et si le Seigneur monte à cheval, ce nest point quil soit fatigué de marcher à pied. Car ce nest pas sans quelque mystère que lon amena autrefois linon au Sauveur 6. Le peuple qui porte Jésus-Christ avec la bonne volonté de la douceur et de la paix, est figuré par cet ânon, et il se dirige vers Jérusalem. « Car Dieu dirige les hommes doux dans léquité », comme le dit un-autre psaume, « il enseignera ses voies aux hommes pacifiques 7 ». Quels sont ces 1. Ps. XXXI, 9. 2. Isa. I, 3. 3. Ps. XXXI, 9. 4. Id. 10. 5. Id. LXXI, 7. 6. Matt. XXI, 7. 7. Ps. XXIV, 9. (292) hommes doux? ceux qui ne relèvent point arrogamment la tête contre leur maître, qui endurent le fouet et le frein; qui deviennent si souples quils marchent sans le fouet, et que sans frein et sans bride ils suivent le bon chemin. Si tu nas le Seigneur pour cavalier, cest toi qui tomberas et non lui. « Ils sont nombreux les châtiments du pécheur; mais celui qui espère dans le Seigneur, sera environné par sa miséricorde ». Quel refuge pourrons-nous trouver dans le malheur? Celui qui est dabord dans laffliction trouvera ensuite la miséricorde; car cette miséricorde nous viendra de celui qui nous a donné la loi 1 ; la loi comme un châtiment, là miséricorde comme une consolation. « Celui qui espère dans le Seigneur trouvera ensuite la miséricorde ». 24. Quelle est donc la conclusion du psaume? « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie 2 ». Et vous, impies, qui vous réjouissez en vous-mêmes, vous, orgueilleux, qui navez de joie quen vous : maintenant que vous croyez en celui qui justifie limpie, que votre foi vous sait imputée à justice 3. « Réjouissez-vous dans le Seigneur, ô vous qui êtes justes, et tressaillez de joie » dans le Seigneur encore. Pourquoi cette joie? parce que déjà vous êtes justes; et doù vous vient la justice? non pas de vos mérites, mais de la grâce de Dieu. Pourquoi êtes-vous justes? parce que vous avez été justifiés. 25. « Glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit 4 ». Comment votre coeur est-il droit? Cest que vous ne résistez point à Dieu. Que votre charité redouble dattention, et cous-prenez ce quest un coeur droit. Je le dis en peu de mots, mais quil faut bien retenir. Je bénis Dieu que ce soit en finissant, afin que cela demeure mieux gravé dans votre mémoire. Voici donc la différence qui existe entre le coeur droit et le coeur pervers. Quun homme qui se trouve; sans le vouloir, dans les afflictions, dans les chagrins, dans les fatigues, dans les humiliations, ne voie eu tout cela que la juste volonté de Dieu, sans laccuser de folie, comme sil agissait en aveugle, en frappant celui-ci pour épargner celui-là, cet homme a le coeur droit : ceux-là au contraire ont le coeur mauvais, 1. Ps. LIXXIIl, 8. 2. Id. XXXI, 11. 3. Rom. IV, 5. 4. Ps. XXXI, 11. le coeur dépravé, le coeur perverti, qui taxent toujours dinjustice les tourments quils endurent, et qui attribuent cette injustice à celui qui les permet; ou bien qui lui enlèvent le gouvernement du monde, parce quils lincriminent. Dieu ne peut rien faire dinjuste, nous disent-ils; or, il est injuste que la douleur soit pour moi et non pour cet autre: que je sois pécheur, je laccorde; mais il en est de plus coupables que moi, qui sont dans lallégresse, et moi dans la douleur: comme donc il est injuste que de plus méchants que moi soient dans la joie quand je gémis dans la peine, moi qui suis juste, ou moins pécheur que ceux-là; comme il y a là une injustice, jen ai la conviction, et que jai aussi cette conviction que Dieu ne saurait faire le mal, jen conclus que Dieu ne dirige point les choses du monde, et ne prend de nous aucun souci. Donc, légarement de ces hommes au coeur méchant et perverti, peut se réduire à trois points : ou quil ny a pas de Dieu: « Linsensé dit dans son cur : Dieu nest pas 1». Cest là une des eaux de ce déluge dont nous avons parlé. Il sest trouvé des philosophes pour soutenir cette doctrine, et pour dire que ce nest point un Dieu qui gouverne et qui a créé toutes choses, mais quil y a plusieurs dieux soccupant deux-mêmes en dehors du monde, et nayant aucun soin de cet univers. Donc, ou bien il ny « a pas de Dieu », et cest le langage de limpie, qui désapprouve tout ce qui lui arrive en dehors de sa volonté, sans arriver à tel autre auquel il se préfère; ou bien: Dieu est injuste, puisquil commet et approuve tout cela ou bien: Dieu ne gouverne point les choses dici-bas, et na pas soin de nous tous. Il y a dans chacun de ces trois points une grande impiété, puisque cest nier Dieu, ou laccuser dinjustice, ou lui enlever la direction des événements. Doù vient cette impiété? de la dépravation du coeur. Dieu est la rectitude même , et un coeur qui nest point droit ne saccorde point avec lui. Cest ce que le psalmiste a dit ailleurs: « Combien est bon le Dieu dIsraël, pour ceux qui ont le coeur droit 2 ». Et parce quil touchait lui-même à lun de ces points, et se demandait: « Comment Dieu sait-il ces choses, et comment le Très-Haut en a-t-il connaissance 3 »; aussi a-t-il dit au même endroit : « Peu sen est fallu
1. Ps. XIII, 1. 2. Id. LXXII, 1. 3. Id. 11.
(293) que mes pieds ne fussent ébranlés 1 ». De même quen posant un bois tortueux sur une surface plane, vous ne pouvez le ranger, ni le consolider, ni le faire joindre : mais il est toujours branlant et sans solidité; non point que la surface soit inégale, mais parce que le bois que vous y voulez appliquer est tortueux; de même votre coeur, sil est dépravé, sil est tortueux, ne peut sunir à Dieu qui est la rectitude même; il ne peut sunir à Dieu par une véritable adhésion, ainsi quil est dit: « Celui qui adhère au Seigneur, devient un même esprit avec lui 2 » . Donc, « glorifiez-vous, ô vous qui avez le coeur droit », dit le Prophète. Comment peuvent se glorifier ceux qui ont le coeur droit? Ecoutez de quelle manière ils se glorifieront : « Non-seulement, dit lApôtre, nous nous glorifions dans lespérance, mais nous nous glorifions dans nos afflictions 3 ». Tressaillir dans les biens et dans les délices, cest chose facile ; mais lhomme au coeur droit tressaille même dans la tribulation. Or, vois ce quest sa joie, quand on lafflige, car ce nest pas en vain, ce nest pas sans raisons quil tressaille, Vois lhomme au coeur droit: « Nous savons n, dit saint Paul, que la tribulation produit la patience, la patience la pureté, et la pureté lespérance; or, cette espérance nest point vaine, car lamour de Dieu a été répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 4 ». 26. Cest là, mes frères, la droiture du coeur. Quel que soit lhomme à qui il arrive quelque chose, quil sécrie: « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté » .Telle est la droiture du coeur: « Comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait: que le nom du Seigneur soit béni 5 ». Quel est celui qui a ôté? Qua-t-il ôté? A qui a-t-il ôté? Quand la-t-il ôté? Que le nom du Seigneur soit béni. Il ne dit point: Le Seigneur la donné, le diable la ôté. Que votre charité le remarque bien, afin de ne dire jamais: Cest le diable qui ma fait cela. Cest à Dieu quil faut rapporter le châtiment que tu subis, car le diable na aucun pouvoir sur toi, que par la permission de Celui qui use de son souverain pouvoir, ou pour châtier ou pour corriger; pour châtier limpie, pour corriger ses enfants. « Le Seigneur happe celui quil reçoit au nombre de ses
1. Ps. LXXII, 2. 2. I Cor. VI, 17. 3. Rom. V, 3 4. Id. 3, 4, 5. 5. Job, I, 21.
enfants 1 ». Ne prétends donc point échapper au fouet, à moins que tu ne veuilles renoncer à lhéritage, Le Seigneur châtie tout enfant quil adopte. Est-ce tous, sans exception? Où donc te cacher? Cest tout enfant; il na point dexception; nul nest adopté sans passer par le fouet. Comment? pas un seul? Veux-tu comprendre quil ny en aura pas un seul ? Son Fils unique était sans péché, il na pas été admis sans châtiment. Cest pourquoi son Fils unique, chargé de tes infirmités, se personnifiant avec toi, comme le chef, qui représente le corps, aux approches de la passion, fut saisi de tristesse 2, afin de te procurer la joie ; il fut plongé dans laffliction, pour te consoler, et pouvoir, dans sa divinité, affronter les souffrances sans aucune tristesse. Le général ne pouvait-il pas ce qua pu le soldat? Et comment le soldat la-t-il pu? Ecoute Paul qui tressaille quand la passion approche. «Pour moi »,dit-il, « je vais être immolé, et le temps de ma mort approche. Jai bien combattu; jai achevé ma course, jai gardé la foi: il ne me reste quà attendre la couronne de justice qui mest réservée, et que le Seigneur, comme un juste juge, maccordera dans ce grand jour, non seulement à moi, mais encore à tous ceux qui désirent son avènement 3». Voyez comme il tressaille quand il va souffrir. Il tressaille donc celui qui va recevoir la couronne, et celui qui va la donner est dans la tristesse. Que figurait donc le Fils de Dieu, sinon linfirmité de quelques-uns qui sattristent en face de la douleur ou de la mort? Mais voyez encore, comme il les amène à la droiture du coeur. Tu voulais vivre, et te mettre à labri de tout accident; mais Dieu en a décidé autrement: voilà deux volontés ; que la tien ne se conforme donc à celle de Dieu, et non pas que celle de Dieu sassouplisse à ta tienne; car la tienne est dépravée, celle de Dieu est la règle même: que la règle subsiste, afin quelle serve à redresser tout ce qui est tortueux, Voyez comme cet enseignement est bien celui de Jésus-Christ. « Mon âme»,dit-il, « est triste jusquà la mort » ; puis: « Mon Père, sil est possible, que ce calice séloigne de moi ». Cest là que perce la volonté humaine. Mais écoutez le coeur droit: « Et pourtant, non comme je veux, mais comme vous voulez, ô mon Père ». Cest là ton modèle,
1. Héb. XII, 6. 2. Matt. XXVI, 38. 3. II Tim. IV, 6-8. 4. Matt. XXVI. 38, 39.
(294)
dans la joie de tout ce qui peut tarriver: et même réjouis-toi, si ta dernière heure vient à sonner. Et si tu ressens -quelque faiblesse qui appartienne à lhumaine volonté, dirige la du côté de Dieu, afin que tu fasses nombre avec ceux à qui il est dit: « Glorifiez-vous, ô vous dont le coeur est droit».
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