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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.DEUXIÈME SERMON. LA FORCE DU JUSTE.
Le Méchant ne peut souffrir en personne, et il se nuit en persécutant le juste. Dieu sen sert pour nous mettre à lépreuve, puis il le brise sil ne se convertit. Quand le juste souffre, il puise sa force dans sa foi en Dieu, dans lespérance de lhéritage Éternel. Le méchant na que le désespoir dans le malheur, et son bonheur sévapore en fumée. Le Seigneur dirige les pas du juste qui se console dans sa ressemblance avec Jésus-Christ. Les faux témoins contre Jésus-Christ sont les ancêtres des Donatistes.
1. Il me faut obéir aux injonctions que lon ma faites, et vous parler encore de ce psaume. Car le Seigneur a voulu par les grandes pluies retarder notre départ, et lon ma recommandé de ne point laisser reposer ma langue dune manière inutile pour vous, qui êtes la sollicitude de mon coeur, comme je suis la vôtre. Déjà je vous ai exposé le dessein de Dieu dans ce psaume, ce quil veut nous enseigner, les conseils quil nous donne, les écueils quil veut nous faire éviter, ce quil faut endurer, ce quil faut espérer. Deux sortes dhommes, en effet, les justes et les pécheurs, vivent confondus sur la terre pendant cette vie. Chacune de ces catégories a dans le cur une tendance qui lui est propre. Les justes cherchent à sélever par lhumilité, les méchants descendent par lorgueil. Les uns sabaissent pour se relever, les autres sélèvent pour tomber. De là vient que les uns souffrent et que les autres font souffrir: que le dessein des justes est de gagner même les méchants pour léternelle vie, et le dessein des pécheurs est de rendre le mal pour le bien, et dôter même, sils le pouvaient, la vie du temps à ceux qui sefforcent de leur procurer la vie éternelle. Car le juste est à charge pour le pécheur, comme le pécheur pour le juste; ils sont une charge lun à lautre. Nul ne doute que ces deux hommes ne soient à charge mutuellement, mais dans un sens bien différent. Si le juste est à charge au pécheur, cest quil voudrait quil ne fût plus pécheur, et quil se propose de le rendre juste, comme il y tend par ses efforts; mais le pécheur a pour le juste une telle haine, quil voudrait quil nexistât aucunement, et non quil devint bon. Plus il est juste, et plus il est à charge à liniquité du pécheur, qui travaille même à le rendre injuste, et sil ne peut y parvenir, à le faire disparaître et à sépargner la peine et lennui de le voir. Quand même il parviendrait à le rendre injuste, celui-là ne lui en serait pas moins à charge. Car ce nest pas seulement lhomme juste qui est à charge à lhomme injuste, mais deux hommes injustes ont peine à se souffrir : et sils paraissent quelquefois saimer, cest plutôt de la complicité que de lamitié. Ils ne saccordent que pour tramer la perte du juste; et cet accord, loin dêtre de lamitié, nest que la haine de celui quils devraient aimer. Cest à légard de ces hommes que le Seigneur notre Dieu nous recommande la tolérance, et cette affectueuse charité que lEvangile nous fait connaître par ce précepte du Seigneur, qui nous dit: « Aimez vos ennemis, faites du bien à ceux qui vous haïssent 1 ». LApôtre dit aussi : « Ne vous laissez point vaincre par le mal, mais triomphez du mal par le bien 2 ». Luttez avec le méchant, mais luttez en bien; car le véritable combat, ou plutôt la lutte salutaire, consiste à mettre un bon en face dun méchant, et non deux méchants aux prises. 2. Mais reprenons le psaume. Nous en avons exposé la première partie, voici la suite: « Limpie observe le juste et grince des dents « contre lui, mais le Seigneur se rit de lui ». De qui? Evidemment du pécheur qui grince des dents contre le juste. Or, pourquoi « le Seigneur sen rira-t-il ? parce quil voit que « son jour est proche». Il paraît plein de fureur quand il menace le juste, et il ne sait pas que demain son heure viendra : mais le Seigneur le voit, il sait que son jour arrive. Quel jour? Le jour où il rendra à chacun 1. Matt, V, 44. 2. Rom. XII, 21.
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selon ses oeuvres. Car limpie samasse un trésor de colère pour le jour de la colère et de la manifestation du juste jugement de Dieu. Mais Dieu prévoit cela, et toi tu ne le prévois point ; celui qui le prévoit te la révélé. Tu ignores le jour où limpie recevra son châtiment; mais celui qui le sait ne te la point caché. Ce nest pas la moindre partie de la science, que de sattacher à celui qui voit. Il a loeil de la science; à toi loeil de la foi. Crois ce que Dieu voit ; car viendra pour linjuste ce jour que Dieu prévoit. Quel jour? Le jour de toute vengeance; il faut que Dieu tire vengeance de lhomme impie, de lhomme injuste, soit quil se convertisse, soit quil ne se convertisse pas. Sil se convertit, la vengeance consiste dans la mort de son iniquité. Le Seigneur ne sest-il pas ri de Judas qui le trahissait, de Saul qui le persécutait, en voyant le jour de ces deux hommes diniquité? Il a vu pour lun le jour du châtiment; pour lautre, le jour de la justification. Il sest vengé de lun et de lautre, en jetant lun aux flammes de lenfer, en renversant lautre par une voix céleste. Toi donc, ô mon frère, quand le méchant te fait souffrir, regarde avec Dieu, par les yeux de la foi, son jour qui arrive, et à la vue de ses fureurs contre toi, dis en toi-même : Ou bien il se corrigera pour venir avec moi, ou bien il ne sera point avec moi sil persévère. 3. Quoi donc I son injustice te nuirait-elle sans lui nuire aucunement? Cette iniquité dont tu es victime, et qui est leffet de la haine et de la colère, ne la-t-elle pas ravagé intérieurement avant de tatteindre au dehors? Ton corps est en proie à la douleur, mais son âme est dévorée par la gangrène du péché. Tout ce quil exhale contre toi retombe sur lui. Ses persécutions te purifient et le rendent criminel. Auquel des deux nuit-il davantage ? Il ta dépouillé dans ses emportements ; quel est le plus grand dommage, de perdre son argent ou de perdre sa foi ? Ceux qui ont des yeux intérieurs savent déplorer ces pertes. Il en est beaucoup pour voir léclat de lor et non léclat de la foi ; pour lor ils ont des yeux, pour la foi ils nen ont point. Sils en avaient, sils la voyaient, ils y tiendraient davantage; et pourtant, si lon vient à leur manquer de foi, ils se récrient, ils se plaignent : O bonne foi, disent-ils, où est la bonne foi? Tu laimes donc au point de lexiger, aime encore à la montrer. Donc ceux qui persécutent les justes souffrent eux-mêmes un plus grand dommage, et subissent une plus grande perte, par la ruine de leur âme : cest là ce que nous montre le psaume qui ajoute : « Les impies ont tiré leur glaive; ils ont tendu leur arc pour renverser le pauvre et le faible, pour égorger ceux qui ont le coeur droit. Que leur glaive entre dans leur coeur 1 ». Leur framée ou leur glaive peut bien atteindre ton corps, comme le glaive des persécuteurs frappa les corps des martyrs ; mais les meurtrissures du corps laissaient le coeur intact; or, il est loin dêtre intact, le coeur de celui qui frappe de lépée le corps dun juste. Voilà ce quaffirme le psalmiste. Il ne dit point que leur glaive entre dans leur corps; mais bien : « Que leur framée entre dans leur coeur».Ils ont voulu tuer le corps et ils ont tué leur âme. Voilà que Jésus-Christ rassure ceux dont ils vu laient tuer les corps, en leur disant: « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lâme 2 ». Mais alors, quest. ce que frapper du glaive, et ne pouvoir tuer que le corps dun ennemi, sans pouvoir tuer lâme? Ce sont des insensés qui se blessent eux-mêmes, et dans les accès de leur folie, lit ne savent ce quils font : ils agissent connu celui qui se passe une épée à travers le corps pour aller percer la tunique dun autre. Insensé ! tu regardes ce que tu veux atteindre, et non ce que traverse ton glaive; tu perces le vêtement dun autre à travers ton propre corps. Il est donc bien constant quils se tout plus de mal, et se nuisent plus à eux-même quils ne croient nuire à leurs ennemis. «Que leur glaive donc entre dans leur coeur »; telle est la sentence du Seigneur, quon ne saurait changer. « Et que leur arc soit brisé ? ». Quest. ce à dire « que leur arc soit brisé? » Que leurs piéges soient inutiles. Il avait dit auparavant: « Les méchants ont tiré leur glaive, ils ont bandé leur arc ». Il semble que par es glaive tiré il veuille marquer une attaque visible ; mais que larc bandé signifierait les embûches secrètes. Or, voilà quil se blesse de son glaive, et que ses piéges occultes sont trompés. Comment trompés ? ils ne nuisent point au juste. Mais quoi ! dépouiller quelquun, le réduire à la misère en lui prenant son bien, nest-ce donc pas lui nuire ? Il a
1. Ps. XXXV, 14, 15. 2. Matt. X, 28.
donc sujet de chanter: « Le peu que possède de juste est préférable aux grandes richesses des impies 1». 4. Mais les méchants ont de la puissance; ils entreprennent beaucoup, ils ont de grands moyens de réussir. Leur commandement est promptement obéi. En sera-t-il toujours ainsi? « Les bras des impies seront brisés 2 ». Leurs bras désignent leur puissance. Que fera ce méchant dans lenfer? Fera-t-il comme ce riche qui faisait grande chère ici-bas, et qui ébat tourmenté dans labîme 3 ? « Leurs bras seront donc brisés, mais le Seigneur soutient les justes ». Comment les soutenir ? Que leur dit-il? Ce qui est dit dans un autre paume: « Attends le Seigneur, agis avec courage, que ton coeur se fortifie, et attends de Seigneur 4 ». Que signifie : « Attends le Seigneur? » Tu souffres pour un moment, tu ne souffriras pas toujours : ta douleur sera courte, mais ta félicité sera éternelle ; tu gémis pour un temps, tu te réjouiras sans fin. Mais tu vas défaillir au milieu de tes douleurs? Voilà sous tes yeux limage des souffrances du Christ. Considère ce qua souffert pour toi celui qui ne méritait nullement de souffrir. Quelles que soient tes souffrances, elles niront pas jusquà ces opprobres, ces fouets, cette robe dérisoire, cette couronne dépines, et enfin cette croix qui, dans le genre humain, a disparu du nombre des supplices. Autrefois on y attachait les grands scélérats, nul ny est cloué aujourdhui. Elle est en honneur; elle cesse dêtre en usage, puisquelle nest plus un supplice, mais sa gloire subsiste. Du lieu des supplices elle a passé sur le front des empereurs. Que réserve à ces serviteurs celui qui a élevé si haut les instruments de son supplice? Cest donc par de tels actes, cest par de telles paroles, cest par ces exhortations, cest enfin par cet exemple, que « le Seigneur affermit les justes ». Que les méchants sévissent à leur gré, et autant que Dieu le leur permettra : « Le Seigneur affermit les justes ». Quoi quil arrive au juste, quil lattribue à la volonté de Dieu, et non au pouvoir de ses ennemis. Ton ennemi peut avoir de la fureur, mais il ne peut frapper si Dieu ne le veut point. Et si Dieu veut que son serviteur soit frappé, il sait comment il le consolera. « Car le Seigneur corrige celui quil a
1. Ps. XXXVI, 16. 2. Id. 17. 3. Luc, XVI, 19, 24. 4. Ps. XXVI, 14.
aime, il frappe de verges celui quil reçoit au nombre de ses enfants 1 ». Pourquoi donc limpie sapplaudirait-il de ce que mon Père sest servi de lui comme dun fléau ? Il se sert de lui comme dun instrument; il me corrige pour madopter. Ne considérons donc point ce quil permet aux impies, mais le bien quil fait aux justes. 5. Mais pour ceux qui sont entre les mains de Dieu le fouet dont il nous châtie, nous devons souhaiter quun châtiment les convertisse. Telle est en effet la leçon quil donnait autrefois aux fidèles, quand il se servait de Saul pour les châtier, et quensuite il convertissait Saut. Et quand le saint homme Ananie, qui baptisa Saul, reçut du Seigneur lordre daccueillir ce même Saul qui était un vase délection, il répondit tout tremblant deffroi au seul nom du persécuteur Saul; il répondit: « Seigneur, jai ouï parler de cet homme, jai appris combien de persécutions il a fait essuyer à vos saints qui sont à Jérusalem, et maintenant il a reçu des lettres du grand-prêtre pour aller partout où il trouvera ceux qui invoquent votre nom, et les amener à Jérusalem chargés de chaînes ». Mais le Seigneur lui répondit : « Va, car je lui montrerai combien il doit souffrir pour mon nom 2 ». Je veux, dit le Seigneur, le châtier, me venger de lui ; il souffrira pour mon nom, puisquil a persécuté mon nom. Je me sers et je me suis servi de lui pour châtier les autres, je me servirai des autres pour le châtier. Voilà ce qui est arrivé, et nous savons les maux qua endurés Saul, maux plus nombreux que ceux quil avait faits ; il fut un avare créancier, recevant avec usure ce quil avait prêté. 6. Mais voyez encore si le Seigneur accomplit en lui cette parole du psaume : « Le Seigneur affermit les justes ». Non-seulement, « (ainsi dit saint Paul au milieu de tourments sans nombre), mais nous nous glorifions encore dans nos afflictions, sachant que laffliction produit la patience, la patience la pureté, la pureté lespérance, et cette espérance nest point vaine, car lamour de Dieu est répandu dans nos coeurs par lEsprit-Saint qui nous a été donné 3 ». Il sagit bien évidemment ici dun homme juste et déjà affermi ; et comme ses ennemis ne pouvaient lui nuire après quil fut fortifié, de même il ne faisait
1. Hebr. XII, 6. 2. Act. IX, 13-16 3. Rom. V, 3-5.
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aucun mal à ceux quil avait lui-même persécutés. « Le Seigneur», est-il dit, « fortifie les justes » Ecoute encore dautres paroles de ce juste fortifié: « Qui nous séparera de la charité de Jésus-Christ? laffliction, les angoisses, la faim, la nudité, la persécution 1 ?» Combien était uni à Jésus-Christ celui que rien de tout cela nen séparait ! « Cest le Seigneur qui fortifie les justes ». Quelques prophètes venus de Jérusalem, et pleins du Saint-Esprit, annoncèrent à ce même saint Paul ce quil devait souffrir à Jérusalem ; et lun deux, nommé Agabus, ayant délié la ceinture de Paul pour sen lier selon la coutume, afin de donner par là une figure de lavenir, sécria : « Comme vous me voyez lié, il faut que cet homme soit lié à Jérusalem ». A cet avis donné à Saul, devenu Paul, tous les frères se mirent à le dissuader de sexposer à de si grands périls; ils le conjurèrent de renoncer à son voyage de Jérusalem. Mais il était déjà du nombre de ceux dont il est dit: « Le Seigneur affermit les justes. Pourquoi, dit-il, briser ainsi mon cur 2 ? je nestime pas ma vie plus que moi 3».Déjà il avait dit à ceux quil enfantait à lEvangile: « Je me donnerai moi-même pour le salut de vos âmes » . « Pour moi u, dit-il encore, « je suis prêt, non-seulement à être lié, mais à mourir pour le nom du Seigneur Jésus-Christ 5 ». 7. «Le Seigneur affermit les justes». Comment les affermit-il ? « Le Seigneur connaît les voies des hommes purs 6 ». Lorsquils sont en butte à la douleur, la foule ignorante, la foule qui ne sait point discerner les voies des hommes purs, simagine quils suivent des voies mauvaises. Mais celui qui les connaît sait par quel chemin droit il dirige ceux qui le servent dans la docilité. Aussi dit-il dans un autre psaume : « Il conduira dans léquité ceux qui sont doux ; il enseignera les voies aux humbles de cur 7 ». Combien dhommes, pensez-vous, navaient pas horreur de ce pauvre couvert dulcères, près duquel ils passaient devant la porte du riche 8? Combien se bouchaient les narines et crachaient peut-être sur lui ? Mais Dieu savait quil lui réservait le paradis. Combien dautres souhaitaient de vivre comme celui qui était revêtu de pourpre et de lin, et qui
1. Rom. VIII, 35 2. Act. XXI, 13. 3. Id. XX, 24. 4. II Cor. XII, 15. 5. Act. XXI, 13. 6. Ps. XXXVI, 18. 7. Id. XXIV, 9. 8. Luc, XVI, 20.
faisait chaque jour grande chère! mais le Seigneur, qui voyait ses jours, voyait aussi dans lavenir ses tourments, et ses tourments sans fin. Donc « le Seigneur connaît les voies des hommes purs ». 8. « Leur héritage sera éternel 1 ». Nous le voyons par la foi. Mais, pour le Seigneur, est-ce par la foi ? Il le voit dune manière si évidente que nous ne pouvons lexprimer, fussions-nous à létat des anges. Alors même, ce qui nous sera manifesté naura point pour nous cette évidence qui éclate aux yeux de celui qui est immuable. Et néanmoins, quest-il dit de nous? « Mes bien-aimés, nous sommes maintenant les enfants de Dieu, mais ce que nous serons un jour ne paraît point encore; nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, puisque nous le verrons tel quil est 2 ». Il nous est donc réservé je ne sais quel spectacle bien doux; et si la pensée peut sen faire une ébauche comme en énigme et au moyen dun miroir, on ne peut toutefois exprimer aucunement la supériorité de cette douceur que Dieu réserve à ceux qui le craignent, quil accorde à « ceux qui espèrent en lui 3 ». Cest à cette joie ineffable que nos coeurs se préparent, au milieu des tribulations et des épreuves de cette vie. Ne vous étonnez donc pas de subir en cette vie une laborieuse préparation, puisque lon vous réserve à quelque chose de si grand. De là ce mot dun juste fortifié : « Les souffrances de cette vie nont aucune proportion avec cette gloire de lavenir qui doit éclater en nous 4 ». Quelle sera un jour notre gloire, sinon dêtre les égaux des anges et de voir Dieu? Quel avantage ne fait pas à un aveugle celui qui lui guérit les yeux et le rend capable de voir la lumière? Après sa guérison, il ne trouve rien dassez digne pour remercier celui qui la guéri. Quel que soit le don de la reconnaissance , comment égalerait-il le bienfait ? Quil donne ce quil voudra, de lor, de lor entassé; lautre lui a donné la lumière. Pour bien comprendre qu ses dons ne sont rien, quil essaie dans lu ténèbres de voir ce quil donne. Et nous, que donner à ce médecin qui guérit les yeux de notre âme et nous fait voir une lumière éternelle qui est lui-même? Que lui donnerons-nous? Cherchons bien, afin de trouver, sil est
1. Ps. XXXVI, 18. 2. I Jean, III, 2. 3. Ps. XXX, 20. 4. Rom. VIII, 18.
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possible; et, dans limpuissance de nos recherches, crions avec le Prophète: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens quil ma faits? » Et qua-t-il trouvé à rendre ? « Je prendrai le calice du salut et jinvoquerai le nom du Seigneur 1 » . « Pouvez-vous», dit le Seigneur, « boire le calice que je boirai moi-même 2 ? » puis à saint Pierre : « Maimez-vous? Paissez mes brebis 3 » ; pour lesquelles cet apôtre boira le calice du Seigneur. « Le Seigneur fortifie les justes. Le Seigneur connaît les voies des hommes purs, et leur héritage durera toute léternité ». 9. « Ils ne seront point confondus aux jours mauvais 4 ». Quest-ce à dire « Ils ne seront point confondus aux jours mauvais? » Au jour de langoisse, au jour de lépreuve, ils néprouveront point la confusion de lhomme déçu dans ses espérances. Quand un homme est-il déçu? quand il dit: Je nai pas trouvé ce que jespérais. Et cela est juste; puisque cétait sur toi-même ou sur quelque ami que tu avais fondé ton espoir. Or, « maudit celui qui met son espérance dans un homme 5 ». Tu seras confondu, ton espérance a été déçue; elle ta trompé, cette espérance fondée sur le mensonge; puisque tout homme est menteur 6 ». Mais si tu reposes en Dieu tes espérances, tu néprouveras point de confusion, car on ne peut tromper eu tel dépositaire. De là vient que ce juste dont je viens de parler, et que Dieu avait fortifié, nétait point confondu au temps du malheur et dans la tribulation, et sécriait: « Nous nous glorifions dans nos afflictions, sachant que laffliction produit la patience, la patience la pureté, et la pureté lespérance; or, cette espérance nest point vaine ». Pourquoi nest-elle point vaine? Parce quelle repose en Dieu. Aussi dit-il ensuite: « Parce que lamour de Dieu est répandu dans nos coeurs par le Saint-Esprit qui nous a été donné 7 ». Déjà le Saint-Esprit nous a été donné, et comment pourrait nous tromper celui qui nous a donné un tel gage? Ils néprouveront point de confusion au jour du malheur; et au jour de la disette ils seront rassasiés. Dès ici-bas, en effet, ils sont en quelque sorte rassasiés. Car les jours de la disette sont les jours de cette vie où les justes sont rassasiés quand les autres sont en proie à la 1. Ps. CXV, 12, 13. 2. Matt. XX. 22. 3. Jean, XXI, 17. 4. Ps. XXXVI, 19. 5. Jér. XVII, 5. 6.Ps. CXV, 11. 7. Rom. V, 3-5.
faim. De quoi saint Paul se glorifiait-il, en disant: « Nous nous glorifions dans les épreuves », sil eût intérieurement souffert de la faim? On voyait au dehors les angoisses, mais le coeur était dilaté par la joie. 10. Que fait au contraire le méchant quand laffliction vient le saisir? Il na plus rien au dehors, tout lui manque, et sa conscience néprouve aucune consolation : quil sorte de lui-même, et tout est misère; quil y rentre, et tout est pénible. Il tombe donc justement sous le coup de cette sentence: « Car les méchants périront 1 ». Comment ne périrait point celui qui na de place nulle part? Ni à lintérieur ni à lextérieur, il nest rien qui le console. Ce qui en effet ne peut nous consoler, nous est étranger. Car tous ceux qui nont point Dieu en eux-mêmes, sont esclaves de largent, de lamitié, de la gloire, des biens de la terre; or, tous ces biens corporels ne peuvent nous donner une consolation intérieure semblable à celle quéprouvait cet homme dont lâme était rassasiée, et à qui cette plénitude faisait dire: « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté; comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur soit béni 2 ». Il ne reste donc pas aux méchants un lieu en dehors deux-mêmes, parce quils y rencontrent laffliction: leur conscience ne peut les consoler; ils sont en désaccord avec eux-mêmes, parce quon ne peut être bien avec le péché. Quiconque devient mauvais est mal avec lui-même. Il faut quil ait ses tortures, quil soit lui-même son propre fléau. Déchiré par sa propre conscience, il devient à lui-même son supplice. Il peut fuir un ennemi, comment se fuir lui-même? 11. Cest ainsi que venait à nous un homme du parti de Donat, que les siens avaient accusé et excommunié; il cherchait près de nous ce quil avait perdu chez eux. Mais nous ne pouvions le recevoir ici quà son rang; car, sil quittait ce parti, il nétait point irréprochable chez eux, et lon ne voyait point que sa démarche lui fût dictée par son choix plutôt que par la nécessité. Il ne pouvait donc trouver chez eux ce quil cherchait, cest-à-dire la vaine gloire, le faux honneur, ni trouver chez nous ce quil avait perdu chez eux: il en mourut. Son coeur blessé poussait des gémissements; il était inconsolable ; dinvisibles
1. Ps. XXXVI, 28. 2. Job, I, 21.
aiguillons lui déchiraient la conscience. Nous avions tenté de le consoler avec la parole de Dieu; mais il nétait pas de ces sages fourmis qui amassent en été de quoi vivre en hiver. Quand un homme est en paix, il doit sappliquer à recueillir la parole de Dieu, à la cacher dans le fond de son coeur, comme la fourmi abrite dans ses galeries souterraines ses travaux de lété 1. Voilà ce que lon doit faire pendant lété; vient ensuite lhiver ou le temps des afflictions; et si nous ne trouvons en notre coeur de quoi vivre, il faut mourir de faim. Cet homme donc navait point recueilli la parole de Dieu, et lhiver est venu, il na point trouvé ici ce quil cherchait: on ne pouvait le consoler que par là, et nullement par la parole de Dieu. Il navait rien à lintérieur, et il cherchait à lextérieur ce quil ne trouvait point: les sentiments de la douleur et de lindignation le dévoraient, son âme était en proie à la plus violente agitation, quil cacha longtemps, jusquà ce quenfin ses gémissements éclatèrent et retentirent même à son insu parmi nos frères. Cétait avec la plus vive douleur, Dieu le sait, que nous voyions cette âme si affligée, et devenue la proie de ces tortures, de ces flammes intérieures, de ces déchirements; que vous dirai-je? Ne pouvant se tenir dans un lieu si humble, qui eût pu être pour lui un lieu si salutaire, il nous parut encore mériter lexpulsion. Toutefois, mes frères, nous ne devons point pour cela désespérer des autres, qui pouvaient revenir par amour de la vérité, et non sous lempire de la nécessité. Bien loin de désespérer des autres, je ne désespère pas même de celui dont je vous parle tant quil est en vie: car nous ne devons désespérer daucun homme qui est sur la terre. Il était bon de vous faire connaître ces détails, de peur quon ne vous les racontât autrement; car un de leurs sous-diacres qui, sans aucune contestation avec eux, a choisi la paix et lunité catholique et les a quittés pour venir à nous; qui est venu comme en faisant choix de ce qui est bon, et non comme expulsé même par les méchants, a été reçu chez nous et nous a réjouis dune conversion que nous recommandons à vos prières. Car Dieu est puissant et peut laméliorer de plus en plus. Dailleurs, nous ne devons prononcer ni en bien ni en mal sur le sort de personne. Pendant toute notre vie, en effet,
1. Prov. VI, 6; XXX, 25.
notre lendemain est toujours ignoré. « Ils ne seront point confondus au temps mauvais; ils seront rassasiés au jour de la famine, tandis que les pécheurs périront ». 12. « Quant aux ennemis de Dieu, aussitôt quils se glorifieront et sélèveront avec orgueil, ils disparaîtront comme la fumée qui sévanouit 1 ». Voyez à cette comparaison ce quil a voulu nous enseigner. La fumée séchappe du lieu où est le feu, sélève dans les airs, et en sélevant, grossit en tourbillon; mais plus le tourbillon se dilate, plus il est vide; or, cette immensité qui na ni appui ni solidité, qui est suspendue dans les airs, se dissipe à mesure quelle gagne les hautes régions et sévanouit; ses proportions démesurées ont fait sa perte. En effet, plus elle sélève, plus elle se dilate, plus ses proportions grandissent, et plus elle diminue dintensité, se dissipe et disparaît. « Or, les ennemis de Dieu, en se glorifiant et en sexaltant, sévanouiront bientôt comme la fumée»; cest deux quil est dit : « Comme Jannès et Mambrès résistèrent à Moïse, ceux-ci de même résistent à la vérité: ce sont des hommes corrompus dans lesprit et pervertis dans la foi 2 ». Doù vient leur résistance à la vérité, sinon de cette enflure de coeur qui en fait le jouet des vents, qui les porte à sélever comme sils avaient de la justice et de la grandeur? Queu dit lApôtre ? ce qui est dit de la fumée: « Mais ils niront pas au delà, car leur folie sera connue de tout le monde, comme le fut alors celle de ces hommes 3.Quant aux ennemis de Dieu, dès quils se glorifieront et sélèveront, ils sévanouiront bientôt comme la fumée ». 13. «Limpie emprunte et ne paiera point 4 ». Il recevra et ne rendra pas. Quest-ce quil ne rendra pas? laction de grâces. Quest-ce, eu effet, que Dieu veut de vous, ou quen exige-t-il, sinon ce qui vous est utile? Que de bienfaits na pas reçus le méchant, dont il ne rendra rien? Sil existe, cest un don; sil est homme et bien supérieur aux animaux, cest un don; cest un don encore que la forme de son corps; et dans ce corps même, cest un don que le discernement des sens, que des yeux pour voir, des oreilles pour entendre, des narines pour sentir, un palais pour goûter, des mains pour toucher, des pieds pour marcher, un don que la santé du corps. Mais
1.Ps. XXXVI, 20. 2. II Tim. III,8. 3. Id.9, 4. Ps. XXV, 21
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tous ces biens nous sont communs avec les bêtes; lhomme a reçu de plus, dans lesprit, le don de comprendre, de saisir la vérité, de discerner le juste de linjuste, de rechercher, daimer son Créateur, de le louer et de sattacher à lui. Le méchant aussi a reçu de Dieu ces mêmes dons; mais comme sa vie nest pas bonne, il ne rend pas ce quil doit. Donc, « le pécheur emprunte et ne paiera point » ; il ne rend rien à celui dont il a reçu, pas même laction de grâces; il lui rendra même le mal pour le bien, le blasphème, le murmure contre sa Providence, lemportement. mil emprunte alors, et ne paiera point; quant tau juste, il a de la pitié et il prête». Lun na donc rien et lautre possède. Voyez la richesse de lun et la pauvreté de lautre. Lun a reçu et ne rendra point; lautre a de la miséricorde et prête; il a du bien en abondance. Et pourtant, sil est pauvre? même en ce cas il est riche. Ouvrez seulement les yeux de la foi sur les richesses. Tu peux bien voir un coffre vide, mais tu ne vois pas une conscience que Dieu même remplit. Il na point les richesses du dehors, mais il a au dedans la charité Que ne peut lui faire donner cette charité sans quelle sépuise? Sil a des biens extérieurs, la charité en donne, et elle donne de ce quelle a; si elle ne trouve point eu dehors de quoi donner, elle donne sa bienveillance, elle donne un bon conseil, si elle le peut; elle donne du secours, si elle en est capable; enfin, si elle ne peut donner ni conseil ni secours, elle assiste de ses voeux, elle prie pour celui qui est dans laffliction, et peut-être sa prière est-elle plus agréable à Dieu que le pain que donne un autre. Il a donc toujours de quoi donner, celui dont le coeur est plein de charité. Car cest la charité que lon appelle bonne volonté. Et Dieu nexige pas de toi plus quil na mis dans ton coeur. La bonne volonté, en effet, ne peut demeurer oisive; avec la bonne volonté tu ne refuseras point au pauvre le dernier sou qui te reste. Les pauvres eux-mêmes trouvent dans la bonne volonté de quoi sassister mutuellement, et ils ne sont pas inutiles lun pour lautre. Tu vois un homme qui a de bons yeux conduire un aveugle; nayant point dargent à lui donner, il prête ses yeux à celui qui nen a point. Mais pourquoi ses membres sont-ils au service de celui qui nen a pas, sinon parce quil a dans lâme une bonne volonté, qui est le trésor des pauvres? trésor qui est un doux repos, une véritable sécurité; trésor que le voleur ne nous enlève pas, et pour lequel on ne craint pas de naufrage; on le garde avec foi quand on le possède; on peut séchapper tout nu, et néanmoins comblé de richesses. « Le juste a de la pitié, et il prête ». 14. « Mais ceux qui le bénissent auront la terre en héritage 1 » ; ceux qui bénissent le juste, le seul vraiment juste et qui donne la justice, qui fut pauvre ici-bas en y apportant les grandes richesses dont il devait combler ceux quil y trouve véritablement pauvres. Cest lui, en effet, qui a enrichi de lEsprit-Saint les coeurs des pauvres, qui a comblé de lor de la justice les âmes qui sanéantissaient par laveu de leurs péchés; lui qui a pu enrichir le pêcheur qui abandonnait ses filets, et qui méprisait ce quil avait pour saisir ce quil navait pas 2. « Car Dieu a choisi ce qui est faible dans le monde, pour confondre ce qui est fort 3 ». Il ne sest point servi dun orateur pour gagner un pêcheur, mais dun pêcheur pour gagner lorateur, dun pêcheur pour gagner lhomme du sénat, dun pêcheur encore pour gagner le maître de lempire. « Ceux qui le bénissent posséderont la terre en héritage»; ils seront ses cohéritiers dans cette terre des vivants dont il est dit dans un autre psaume: « Vous êtes mon espérance et mon héritage dans la terre des vivants 4 ». « Vous êtes mon héritage », dit-il à Dieu, il ne craint pas de sarroger la possession de Dieu même. « Ils posséderont la terre en héritage; mais ceux qui le maudissent périront». Or, ceux qui le bénissent ne le font que par sa grâce. Car il est venu vers ceux qui le maudissaient, et ils lont béni; et cest déjà périr pour ceux qui le maudissent, que de le bénir sous le poids de sa grâce; ils le maudissaient par leur propre malice, et ils le bénissent par le don quil leur fait. 15. Ecoutez ce qui suit : « Le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies 5 ». Pour que lhomme recherche les voies du Seigneur, il faut que le Seigneur lui-même dirige ses pas. Si le Seigneur neût en effet dirigé les pas des hommes, ils eussent été eux-mêmes si corrompus et eussent marché dans une telle
1. Ps. XXXVI, 22. 2. Matt. IV, 19. 3. I Cor. I, 27. 4. Ps. CXLI, 6. 5. Id. XXXVI, 23.
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dépravation, que, dans leurs sentiers tortueux, ils neussent pu revenir au bien. Mais le Seigneur est venu pour nous appeler, nous racheter, répandre son sang ; ce sont là, et le prix quil a donné, et le bien quil a fait, et les douleurs quil a endurées. Examine ce quil a fait, cest bien un Dieu; vois ce quil a souffert, cest bien un homme. Quel est ce Dieu-Homme? O homme, si tu navais abandonné Dieu, un Dieu ne se ferait point homme pour toi! Cétait peu pour sa bonté, pour sa miséricorde, de tavoir fait homme, sil ne se fût fait homme pour toi. Cest lui qui dirige nos pas, afin que nous désirions ses voies. « Cest le Seigneur qui redresse les pas de lhomme, lequel recherche ses voies ». 16. Mais si tu yeux suivre la voie du Christ, ne va point te promettre les félicités du siècle. Il a marché par des chemins difficiles, mais il a promis de grands biens; cest à toi de le suivre. Ne considère pas seulement le chemin à suivre, mais le point où tu dois aboutir. Tu souffriras des maux qui passeront, pour arriver à des joies éternelles. Si tu veux supporter le travail, envisage la récompense. Louvrier se découragerait dans la vigne, sil nenvisageait son salaire. Et quand tu auras envisagé ton salaire, tout ce que tu souffres te paraîtra vil et peu digne dêtre comparé avec le bonheur qui en sera la récompense. Tu seras étonné dun si grand prix pour un travail si minime. Car enfin, mes frères, pour mériter un repos éternel, il faudrait un travail éternel; et un bonheur sans fin ne devrait sacheter que par une douleur également sans fin; mais si ton labeur était éternel, quand pourrais-tu arriver à léternelle félicité ? De là vient pour la douleur cette nécessité de finir pour faire place à un bonheur sans fin. Et pourtant, mes frères, cette félicité éternelle pouvait être le prix dune peine bien longue. Ainsi, pour mériter un bonheur sans fin, notre labeur, notre misère eussent pu durer des siècles. Et eussent-ils duré un millier dannées, quest-ce quun millier dannées en face de léternité? quest-ce quun nombre fini, quelque grand quil soit, en face de linfini? Dix mille années, des millions et des milliards dannées, si lon peut sexprimer ainsi, tout cela finira et ne peut se comparer à léternité. Cest donc un autre effet de la bonté de Dieu de tavoir mesuré une épreuve non-seulement temporelle, mais encore très-courte. La vie de lhomme serait courte, ne compterait que bien peu de jours, quand même Dieu ne mêlerait pas à nos misères des joies qui sont assurément plus nombreuses et plus durables que nos peines; et ces peines en sont plus courtes et moins nombreuses, afin que nous puissions les endurer. Quun homme donc voie sa vie entière sécouler jour par jour, heure par heure, dans les travaux, dans les chagrins, dans la douleur, dans les tourments, dans la prison, dans les plaies, dans la faim et dans la soif, et cela pendant toute une vie jusquà lextrême vieillesse, la vie de lhomme na que peu de jours, et, après ce labeur, viendra le royaume éternel, la félicité sans fin, légalité avec les anges, lhéritage du Christ et le Christ lui-même, cohéritier avec nous. Quelle récompense, en comparaison du labeur! Des vétérans, qui se fatiguent dans les armées, qui affrontent les blessures pendant tant dannées, qui portent les armes de la jeunesse, se retirent cassés de vieillesse; et, pour avoir quelques jours de paix dans ces vieilles années qui pèsent sur ces hommes à qui la guerre ne pesait rien, quelles difficultés à surmonter, combien de marches, que le froids rigoureux, quelles chaleurs à supporter, quelles extrémités, quelles blessures, quel. périls à braver! Et dans toutes ces fatigues ils nenvisagent que ces quelques jours de vieillesse, quils ne sont pas certains datteindre. Donc, « le Seigneur dirige les pas des hommes, et ils chercheront ses voies ». Cest là ce que je commençais à exposer : si tu veux suivre la voie du Christ, si tu es vraiment chrétien, et le vrai chrétien est celui qui ne méprise pas la voie du Christ, mais qui veut suivre ses pas même dans les souffrances, garde-toi de chercher une autre voie que celle quil a parcourue. Elle paraît difficile et néanmoins cest la voie sûre; lautre peut avoir ses attraits, mais elle est infestée par les voleurs. « Et les hommes chercheront sa voie ». 17. « Quand il se heurtera, il nen sera point troublé, parce que le Seigneur fortifie ses mains 1 ». Cest là désirer la voie du Christ Quil arrive à cet homme de passer par la tribulation, par le déshonneur, par les affronts, par la douleur, par les pertes et par les peines si nombreuses dans la vie humaine; il se rappelle toutes les souffrances qua dû endurer
1. Ps. XXXVI, 24.
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Jésus-Christ, et « quand il se heurtera, il ne sera point troublé, parce que ses mains sont fortifiées par le Seigneur », qui a le premier passé par ces peines. Que pourrais-tu craindre, ô homme, puisque Dieu dirige tes pas, pour te faire désirer ses voies? Que peux-tu redouter? Les douleurs? Le Christ a été flagellé 1. Les affronts? Il sest entendu lire: « Vous êtes possédé du démon 2 », lui qui chassait les démons. Craindrais-tu les trames et les conspirations des méchants? Ou a conspiré contre lui 3. Tu ne saurais peut-être établir ton innocence en toute accusation, et tu as la douleur dentendre de faux témoins déposer contre toi. Ils ont porté un faux témoignage contre Jésus-Christ tout le premier, non-seulement avant sa mort, mais encore après sa résurrection. On produisit de faux témoins pour le faire condamner par les juges 4; et de faux témoins encore calomnièrent son tombeau. Jésus-Christ ressuscita avec tout léclat du miracle, et la terre ébranlée annonça la résurrection du Sauveur. Il y avait là une terre qui gardait la terre, mais cette terre plus dure ne put être changée. Elle rendit témoignage à la vérité, mais elle fut séduite par la terre menteuse. Les gardiens racontèrent aux Juifs ce quils avaient vu, ce qui était arrivé; mais ils reçurent de largent, et on leur dit: « Rapportez que pendant votre sommeil ses disciples sont venus et lont enlevé 5». Voilà de faux témoins contre sa résurrection. Mais quel aveuglement dans ces faux témoins, mes frères; quel aveuglement! Voilà ce qui arrive dordinaire aux faux témoins, cest de tomber dans laveuglement su point de parler contre eux-mêmes sans le savoir, et de démasquer ainsi leur faux témoignage. Quont-ils dit contre eux-mêmes? Pendant que nous dormions, ses disciples mont venus et lont enlevé ». Quoi donc? Oui fait cette déclaration? celui qui dormait, le ne croirais pas de tels hommes, quand même ils ne me raconteraient pas leurs songes. Quelle extravagance! Si tu veillais, pourquoi le laisser enlever? Si tu dormais, doù le sais-tu? 18. Ainsi en est-il de ceux qui sont leurs enfants, comme il vous en souvient, et dont il faut dire un mot, puisque cest loccasion. Plus, en effet, nous voulons leur salut, et plus
1. Matt. XXVII, 26. 2. Jean, VIII, 48 3. Id. IX, 22. 4. Matt, XXVI, 60. 5. Id. XXVIII, 12, 13.
nous devons démasquer leur vanité. Voilà que le corps de Jésus-Christ est encore en butte aux faux témoins; ce qua dabord enduré le chef, le corps lendure aussi. Il ny a là rien détonnant, et aujourdhui il ne manque pas de gens pour dire à ce corps du Christ répandu sur la terre: Race de traîtres. Cest là un faux témoignage, et peu de mots me suffiront pour te convaincre que tu es un faux témoin. Tu me dis : Tu es un traître. Je réponds: Tu mens. Nulle part et jamais tu nas pu prouver ma trahison; et moi, dans tes paroles et à linstant, je démasque ton mensonge. Il est constant que tu as dit que nous avons aiguisé nos épées; je cite les actes de tes circoncellions. Tu as dit, et cela y est constaté, que tu ne réclames pas les biens enlevés 1; et je lis dans ces mêmes actes que tu donnes procuration pour les exiger. Tu as dit encore : Nous ne présentons uniquement que les Evangiles; et je lis une foule darrêts des juges, dont tu as tourmenté ceux qui sont séparés davec toi; je lis des suppliques à un empereur apostat, à qui tu as dit quil ny a que la justice pour avoir accès auprès de lui 2. Lapostasie de Julien vous paraissait sans doute faire partie de lEvangile? Te voilà donc convaincu de mensonge. Que doit-on croire de tout ce que tu as dit de moi? Quand même je ne pourrais démasquer la fausseté de tes reproches, il me suffit de prouver que tu es menteur. Que dis-tu? Tel on te voit, tels on voit tous les autres. Cest avec raison que tu as envoyé partout ces paroles, tu as voulu grossir le mensonge par dautres mensonges, afin de navoir plus à rougir davoir menti. 19. Mais il faut, dit-il, maintenir le jugement de nos pères contre Cécilien. Pourquoi le maintenir? parce que cest le jugement des évêques? Il faut donc aussi maintenir le jugement porté contre toi par les Maximianistes. Car cétait auparavant, et je pense que vous le savez, que les évêques, unis à Maximien, qui était encore son diacre, vinrent à Carthage, comme le porte la requête quils ont
1. Saint Augustin se propose évidemment dans ces discours de réfuter cette déclaration de Primianus, dont il fait mention dans son Abrégé des Conférences avec les Donatistes, 3e jour, ch. 8; mais dune manière plus expressive dans son livre contre Cresconius, chap. XXVII, en ces termes : Puisque Primianus, dans ses actes de tribunal de Carthage, a dit entre autres calomnies dont il nous a chargés : Ils enlèvent les biens des autres, et nous abandonnons ce que lon nous prend. 2. Cest le langage de Rogatien et de Pontius, dans les requêtes présentées à Julien lApostat, au nom des Donatistes, daprès la let. CV aux Donatistes, n. 8, et liv. II contre Pétilien, ch. 22 et 27.
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attachée à leurs actes, quand ces Maximianistes plaidaient au sujet dune maison avec le procureur de ce Primianus qui abandonne ce quon lui prend. Donc, ils envoyèrent dabord une requête à son sujet, se plaignant de ce quil navait pas voulu se rendre dans leur assemblée. Mais vois comme Dieu leur a rendu ce quils ont dit de Cécilien. Admirable ressemblance! Dieu a voulu, après tant dannées, leur remettre sous les yeux ce qui sest passé alors, afin quils ne trouvent aucun moyen de dissimuler ou de séchapper. Ils diraient quils ont oublié les actes précédents, Dieu ne permet point quils les oublient; et puisse cela servir à leur salut! Car cest là un effet de sa miséricorde, sils considéraient ce qui sest fait. Remettez-vous donc sous les yeux, mes frères, lunité de lunivers entier dont ils se sont séparés contre Cécilien; représentez-vous le parti des Donatistes, doù se sont détachés les Maximianistes contre Primianus. Ce que les premiers ont fait contre Cécilien, les seconds lont fait contre Primianus. Cest pourquoi les Maximianistes se vantent daimer mieux la vérité que les Donatistes, puisquen effet ils ont imité la conduite de leurs ancêtres. Ils ont élevé Maximien contre Primianus, comme les autres avaient élevé Majorin contre Cécilien, et ont renouvelé de lui et de Primianus les plaintes de leurs pères au sujet de Cécilien. Car, sil vous en souvient bien, ceux-ci dirent que Cécilien, fidèle à sa conscience, navait point voulu se trouver avec eux, parce quil connaissait leurs intrigues; de même ceux-là se plaignent de Primianus, qui a refusé daller à eux. Pourquoi trouver bon que Primianus ait connu les intrigues des Maximianistes, et ne point pardonner à Cécilien davoir connu les intrigues des Donatistes? Maximien nétait pas encore ordonné, et déjà lon accusait Primianus; des évêques sassemblent; ils veulent obliger Primianus de se trouver dans leur assemblée; il refuse dy aller, comme le constate la circulaire insérée dans les actes. Il refusa, etje ne len blâme point, je lapprouve au contraire. Si tu as reconnu là quelque faction, tu as bien fait de ne point te mêler à des factieux, mais de réserver ta cause à un tribunal plus impartial de ton parti. Il restait encore la secte de Donat, et Primianus pouvait sy justifier; cest pourquoi il ne voulut point aller à ceux qui ourdissaient déjà des trames. Tu vois que nous louons ta résolution à légard des Maximianistes; considère bien maintenant la cause de Cécilien. Tu ne veux point le juger comme un frère, juge-le comme un étranger. Que disais-tu en toi-même en refusant de venir? Ces gens ont conspiré contre ma vie; ils sont gagnés contre moi; si je me remets entre leurs mains, je fais tort à ma cause. Je nirai point chez eux, je réserve ma cause pour des hommes plus intègres et dune pins grande autorité. Cest là un bon avis. Mais si Cécilien a raisonné de la sorte? Tu auras bien de la peine à nous prouver quune autre Lucille a corrompu ceux-ci contre toi, tu nen trouveras pas la preuve; et cependant Cécilien le savait tellement bien, que cela est prouvé par les actes mêmes de ce concile 1.Mais tu as vu je ne sais quoi de ténébreux; on ta dit que tu avais à craindre; jaccorde à ta crainte davoir pris des sûretés; tu as bien fait de naller point trouver de telles gens, puisquil y en avait dautres qui pouvaient te juger. Ecoute maintenant Cécilien : tu tes conservé la Numidie, et lui le monde entier. Mais si tu veux faire valoir contre lui le jugement des Donatistes, il faut donner la même valeur à celui dont tu es frappé par les Maximianistes; sil est condamné par des évêques, tu les aussi par des évêques. Pourquoi ensuite faire revoir ta cause pour obtenir lavantage contre les Maximianistes, comme il en avait ensuite appelé, pour faire condamner les Donatistes? Ce qui sest donc fait alors sest renouvelé dune manière complète et évidente, et les Maximianistes font contre Primianus les plaintes que les Donatistes ont faites contre Cécilien. Je ne puis vous dire, mes frères, combien je suis ému et comment je rends grâces à Dieu; cest vraiment par un effet de sa miséricorde quil leur a mis sous les yeux un tel exemple, bien fait pour les éclairer sils étaient sages. Pour peu que cela vous plaise, mes frères, et puisque Dieu la fait tomber sous nos mains, écoutez le concile des Maximianistes. (Et dans son homélie, il fait lecture du concile.) 20. « A nos très-saints frères et collègues dans toute lAfrique ». (Toute leur unité se borne à la seule Afrique. Mais dans cette
1. Le saint Docteur parle des actes recueillis chez Zénophide, homme consulaire, lan 320, et dont il cite quelques fragments contre Cresconius, en 20, et lendroit où Nundinarius, diacre de lévêque de Certe, prouve que les évêques avaient été gagnés par largent de Lucille, femme puissante alors, pour établir Majorin évêque de Carthage, contre Cécilien Voyez les lettres à Glorius et à Clusius, et lettre XLIII, n 17.
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Afrique, il y a lunité catholique avec eux, et dans les autres parties du monde, ils ne sont pas avec lEglise catholique.) « A nos frères très-saints et collègues établis dans toute dAfrique, cest-à-dire dans la province proconsulaire, dans la Numidie, la Mauritanie, la Byzacène et Tripoli; à tous les prêtres et diacres, à tous les peuples militant avec nous dans la vérité de lEvangile, Victorin, Fortumat, Victorien, Miggin, Saturnin, Constance, Candoire, Innocent, Cresconius, Florent, Salvius, un autre Salvius, Donat, Géminius, Prétextat » (cest là cet Assuritain quils ont reçu dans la suite, et qui à son tour reçut celui qui lavait condamné), « Maximien, Théodore, Anastase, Donatien, Donat, un autre Donat, Pompone, Pancrace, Janvier, Secundinus, Pascase, Cresconius, Rogatien, un autre Maximien, Bénénat, Gaïen, Victorin, Contaise, Quintaise, Félicien » (est-ce ce Mustitain qui vit encore? Cen est peut-être un autre et dun autre endroit), « Salvius, Miggin, Proculus, Latinus, et les autres réunis au concile de Cabarsusse, salut en Notre-Seigneur. Il nest personne, frères bien-aimés, pour ignorer que les prêtres du Seigneur ne suivent point leur volonté, mais la loi de Dieu, soit quand ils condamnent des coupables, soit quand ils écoutent la justice pour absoudre les innocents des peines qui leur étaient infligées. Cest également sexposer à un grand péril que dépargner un coupable ou de sefforcer daccabler un innocent; surtout quil est écrit : Vous ne ferez mourir ni linnocent, ni le juste, et s vous ne justifierez point le coupable 1. Cet oracle de lEcriture nous imposait lobligation dévoquer la cause de Primianus, que le peuple saint de Carthage avait établi évêque de cette église, pour veiller sur le bercail du Seigneur. Les lettres des anciens de cette église nous forçaient découter, dexaminer q toutes choses à son sujet, afin quaprès avoir stout pesé, nous pussions, ou le déclarer innocent, ce qui eût été bien désirable, ou, sil était coupable, montrer à tous quil était justement condamné. Notre plus vif désir était que le peuple de léglise de Carthage pût sapplaudir davoir à sa tête un évêque entièrement saint, exempt de tout reproche. Il faut en effet quun prêtre du Seigneur soit tel quil puisse mériter et obtenir pour
1. Exod XXIII, 7.
son peuple ce que ce même peuple ne pourrait lui-même obtenir de Dieu; car il est écrit: Si le peuple a péché, le prêtre priera pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui donc priera pour lui 1? » (Les apôtres eux-mêmes se recommandaient aux prières des peuples, et ils disaient dans leurs prières: « Pardonnez-nous nos offenses 2 ». Lapôtre saint Jean a dit : « Devant Dieu le Père nous avons pour avocat Jésus-Christ qui est juste; cest lui qui est la victime de propitiation pour nos péchés 3 ». Mais ce quils citent regarde ce prêtre quils ne comprennent pas, et a été écrit pour avertir le peuple par cette prophétie, quil doit reconnaître pour prêtre celui pour qui nul ne prie. Or, quel est le prêtre pour qui nul ne prie, sinon celui qui prie pour tous 4? On était alors sous le sacerdoce lévitique; alors le prêtre pénétrait dans le sanctuaire; il offrait des victimes pour le peuple, et on avait une image du prêtre futur et non la réalité; les prêtres dalors étaient pécheurs comme les autres hommes; et Dieu voulant, par cette prophétie, avertir le peuple dappeler, par ses désirs, ce Prêtre qui intercède pour tous sans que personne doive prier pour lui, le désigne ainsi dans ces avertissements : « Que le peuple pèche, le prêtre prie pour lui; mais si le prêtre vient à pécher, qui priera pour lui? » Donc, ô peuple, choisis un prêtre pour lequel tu ne sois point obligé de prier, mais dont la prière devienne pour toi une sécurité. Ce prêtre est Notre-Seigneur Jésus-Christ, le seul Prêtre, le seul médiateur entre Dieu et les hommes, Jésus-Christ homme 5). «Or, les scandales de Primianus et sa perversité si particulière lont tellement désigné au jugement du ciel, que lauteur de tant de crimes devait être nécessairement retranché; lui qui, récemment ordonné » (voici quils énumèrent les crimes de Primianus), « a poussé les prêtres de ce même peuple de Carthage à entrer dans une conjuration impie, et leur a demandé, comme par grâce, dêtre daccord avec lui»; (voilà ce quil leur demanda; mais eux, loin de le lui promettre, gardèrent le silence; alors il ne craignit pas daccomplir seul le crime quil méditait), « afin de condamner quatre diacres, hommes distingués et dun mérite reconnu par tous, savoir, Maximien, Rogatien, Donat
1. I Rois, II, 25. 2. Matt. VI, 12. 3. I Jean, II, 1, 2. 4. Rom. VIII, 34. 5. 1 Tim. II, 5.
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et Salgame ». (Il y avait dans ces quatre cet auteur du schisme, qui retranchait encore à une part déjà retranchée, et qui ne gémissait point de se voir séparé de lunité tout entière.) « Ces prêtres donc, effrayés de sa criminelle audace, ayant repoussé par leur silence toute complicité, il osa seul accomplir sa criminelle entreprise, au point de se croire en droit de porter une sentence contre le diacre Maximien, homme connu de tous pour son innocence, et cela sans aucun procès, sans accusateur, sans témoin, quand cet homme, qui navait pas comparu, était malade au lit ». (Voyez bien son crime.) « Cest ainsi quil avait déjà condamné des clercs par un emportement semblable. Et comme il avait admis des incestueux à la sainte communion, contre la loi et les décrets de tous les prêtres, malgré lopposition de la plus grande partie du peuple; pressé par les lettres des plus nobles parmi les anciens de corriger par lui-même ce quil avait fait, il a poussé la témérité jusquà négliger de le faire. Justement émus de cette conduite, les anciens de cette église envoyèrent à tous les évêques des lettres et des ambassadeurs, pour nous prier avec larmes de les venir trouver, afin quaprès avoir pesé toutes choses, et mûrement examiné les accusations, on rendît léclat à cette Eglise. Or, quand sur ces invitations nous sommes venus ici, cet homme bouillant, faisant valoir ses motifs que lon connaît, sabstint de nous rencontrer ». (Vous connaissez ce que lon objecte à Primianus; cest que le parti de Donat est souillé dinceste. Voici en effet leur règle : tel est lhomme avec qui lon communique, tels deviennent tous les autres et la masse entière. Si donc ils disent vrai, tout le parti de Donat est souillé dinceste. Que les Numides viennent donc nous dire : Que nous importe à nous que tu aies admis à ta communion je ne sais quels incestueux? comment cela pourrait-il nous atteindre à une si longue distance? Mais si vous ne voulez pas quun fait arrivé à Carthage ait son contre-coup en Numidie, comment ce qui se passe en Afrique a-t-il pu nuire à la terre entière? Leur défense arrive toujours à les charger davantage et à nous excuser.) « Il sest abstenu de nous rencontrer ». (Cest leur plainte contre Cécilien.) « Sobstinant dans sa rébellion, il a persévéré dans le mal; puis, ayant rassemblé des hommes perdus ». (Voici quelque chose de plus : on na pas fait ce reproche à Cécilien ; écoutez ces reproches.) « Ayant obtenu des gardes, il assiégea les portes des églises » (assurément afin dempêcher les évêques dy entrer), « et nous ôta la liberté dy entrer et dy célébrer les saints mystères. Tout homme qui soutient la vérité peut apprécier ou juger si telle est la conduite dun évêque, ou sil est permis à des chrétiens den agir ainsi. Cest notre propre frère qui nous a fait ce que naurait pas fait un étranger ». (Que dirai-je de plus? ils accumulent les accusations et condamnent Primianus; mais lisons la condamnation.) « Nous donc, prêtres du Seigneur, en présence de lEsprit-Saint, attendu que le même Primianus a substitué des évêques à dautres qui étaient encore vivants; quil a admis des incestueux à la communion des saints;quil a tenté dengager des prêtres à former une conjuration; quil a fait jeter dans un cloaque le prêtre Fortunat, qui venait par le baptême au secours des malades; quil a refusé de communiquer avec le prêtre Démétrius, afin dobtenir la démission de son fils; quil a fait un crime à ce prêtre de lhospitalité donnée à des évêques; que ledit Primianus a lancé la multitude pour abattre les maisons des chrétiens; quil a fait assiéger dabord , puis lapider par ses satellites des évêques et des clercs; quil a fait massacrer dans une église des vieillards qui voyaient avec peine les Claudianistes admis à la communion; quil a cru devoir condamner des clercs innocents; quil a refusé de se présenter devant nous pour être entendu, et quil a fermé et fait garder les portes des églises par des gens attroupés et des archers pour nous en interdire lentrée; quil a ignominieusement repoussé les légats que nous lui avions envoyés; quil a usurpé plusieurs places, dabord par la violence et ensuite par lautorité judiciaire ». (Il abandonne pourtant ce quil a pris. Lapôtre saint Paul nous dit: « Quelquun dentre vous ayant un différend avec un autre, ose-t-il bien lappeler en jugement devant les infidèles et non devant les saints 1?» Voyez quel crime ils reprochent à Primianus, de navoir pas voulu décider de ces places au tribunal des évêques, mais à celui des juges.) « Sans
1. I Cor. VI, I.
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parler dautres crimes dont il est coupable, et quune plume honnête se refuse à retracer, nous lavons condamné à être à jamais séparé de lassemblée des prêtres, de peur que son contact ne jette sur lEglise quelque souillure ou quelque crime. Tel est le sens de cet avertissement et de cette exhortation de saint Paul : Nous vous ordonnons, mes frères, au nom de Jésus-Christ, de vous séparer de tout frère qui marche dans le désordre 1. Cest pourquoi, noubliant point ce que nous devons à la pureté de lEglise, muons avons jugé à propos davertir nos saints collègues dans lépiscopat, tous les clercs, tous les peuples qui se souviennent quils sont chrétiens, davoir en horreur sa communion comme celle dun damné. Quiconque aura tenté de violer par sa désobéissance ce présent décret, rendra compte de sa propre mort. Toutefois, il a paru bon au Saint-Esprit et à nous daccorder quelque délai à ceux qui sont lents à se convertir, sen ce sens que tout prêtre ou tout clerc, assez oublieux de leur salut pour ne point se séparer de la communion de Primianus condamné, à dater du jour de sa condamnation, ou du huitième jour des calendes de juillet, jusquau huitième jour des calendes de janvier, tomberont sous lanathème dont il est lui-même frappé. Quant maux laïques qui ne se seront point abstenus de toute relation avec lui depuis ledit jour de sa condamnation jusquà la prochaine solennité de Pâques, ils ne pourront être réconciliés à lEglise que par la pénitence, si toutefois ils rentrent en eux-mêmes. Victorin, évêque de Munat, jai signé. Fortunat, évêque de Dionysiane, jai signé. Victorien, évêque de Carcabie, jai signé. Florent, évêque dAdrumète, jai signé. Miggin évêque dEléphantaire, jai signé. Innocent, évêque de Thébal, jai signé. Miggin, au nom de mon collègue Salvius, évêque de Membressitane, jai signé. Salvius, évêque dAusafe, jai signé. Donat, évêque de Sabrat, jai signé. Gémélius, évêque de Tanasbée, jai signé ». (Parmi ceux qui ont signé cette condamnation, nous lisons les noms de Prétextat, évêque dAssurite, et de Félicien de Mustitane.) « Prétextat, évêque dAssurite, jai signé. Maximien, évêque de Sabate, jai signé. Datien, évêque de Camicète, jai signé.
1. II Thess. III, 6.
Donat, évêque de Fisciane, jai signé. Théodore, évêque dUsule, jai signé. Victorien, jai signé par ordre de lévêque Agnose, mon collègue. Donat, évêque de Cebresut, jai signé. Natalien, évêque de Thélen, jai signé. Pomponius, évêque de Macriane, jai signé. Pancrace, évêque de Baliane, jai signé. Janvier, évêque dAquen, jai signé. Secundus, évêque de Jacondiane, jai signé. Pascase, évêque duBourg dAuguste, jai signé. Creso, évêque de Conjustie, jai signé. Rogatien, évêque, jai signé. Maxime, évêque dErommène, jai signé. Bénénat, évêque de Tugutiane, jai signé. Ritanus, évêque, jai signé. Gaïanus, évêque de Tigual, jai signé. Victorin, évêque de Leptimagne, jai signé. Contaise, évêque de Bénèfe, jai signé. Quintaise, évêque de Capse, jai signé. Félicien, évêque de Mustitane, jai signé. Victorien, par délégation de lévêque Miggin, jai signé. Latinus, évêque de Muge, jai signé. Proculus, évêque de Girbitane, jai signé. Donat, évêque de Sabrat, pour Marratius mon frère et collègue, jai signé. Proculus, évêque de Girbitane, au nom de Gallionus, mon collègue, jai signé. Secondien, évêque de Prisiane , jai signé. Helpidius, évêque de Tusdritane, jai signé. Donat, évêque de Samurdat, jai signé. Gétulicus, évêque de Victoriane, jai signé. Annibonius, évêque de Robarte, jai signé. Annibonius, encore à la prière de mon collègue, lévêque dAngendiare, jai signé. Tertullus, évêque dAbite, jai signé. Primulien, évêque, jai signé. Secundinus, évêque dArusiane, jai signé. Maxime, évêque de Pittane, jai signé. Crescentianus, évêque de Murre, jai signé. Donat, évêque de Belme, jai signé. Persévérantius, évêque de Tébertine, jai signé. Faustin, évêque de Bine, jai signé. Victor, évêque dAltiburitane, jai signé. En tout, cinquante-trois ». 21. Veuillez bien, mes frères, faire une simple remarque. Cest là ta condamnation, disons-nous à Primianus. Que veux-tu ? quelle ait de la valeur ou quelle nen ait point ? je suis daccord avec toi pour dire que tous ont menti contre toi ; et voici ce qui me le fait croire: cest que tu as plaidé ta cause devant dautres j tiges qui ont condamné ceux-là. Si donc je te crois innocent parce que, sans te présenter à des factieux, tu as prouvé ailleurs ton innocence de manière
381
à faire condamner ceux qui tavaient condamné; sache à ton tour reconnaître linnocence de Cécilien, qui a refusé de comparaître devant tes ancêtres, pour réserver sa cause au jugement de lunivers entier, comme tu as réservé la tienne au jugement du concile des Numides. Si le siége de Bagaï ta rendu ton innocence, à combien plus forte raison le Siége apostolique lui a rendu la sienne. Ou bien veux-tu donner de la valeur à sa première condamnation? Si elle a de la valeur, cest contre toi. Car jamais cette condamnation na eu de valeur contre Cécilien, jamais elle nen aura; prends garde toutefois de te condamner toi-même. 22. Ils osent bien dire ici :Mais nous, qui avons ensuite condamné les Maximianistes, nous étions en plus grand nombre. Donnez donc de la valeur au jugement rendu contre Félicien, et vous en donnerez alors à celui qui frappe Cécilien. Dans leur concile de Bagaï, ils ont aussi condamné Félicien maintenant Félicien est admis à la communion; donc, ou bien cest un coupable que lon a admis, ou bien un innocent que lon a condamné. Si tu reçois un coupable, pour garder la paix avec Donat, cède à tous les peuples pour la paix de Jésus-Christ; mais si par erreur vous avez condamné un innocent; si trois cents évêques ont pu se tromper en condamnant Félicien, soixante-dix évêques nont-ils pu sans erreur condamner Cécilien? Quavez-vous donc à répondre ? quand on vous objecte : Les Maximianistes vous ont condamnés les premiers; vous répliquez en disant: Mais nous étions bien plus nombreux en condamnant les Maximianistes. On peut répondre à linstant à chacune de vos objections : que cest vous les premiers qui avez condamné Cécilien. Si lon doit sen tenir à la priorité dans le jugement, cest aux Primianistes à céder au concile des Maximianistes; et si lon sen tient au plus grand nombre, cest aux Donatistes à céder à lunivers entier: je ne vois rien de plus juste. Les Maximianistes sont peu nombreux, mais les premiers. Un accusé na pas le droit de condamner. Si cest là ton avis, comment, sous le poids dune condamnation, as-tu pu condamner un autre? Car il a signé avec ceux qui ont porté la sentence, et ils ne lui ont point gardé la place dun homme qui plaide sa cause. Mais il en est autrement de Cécilien: on lui a gardé la place dun homme qui se justifie, ainsi que le porte la sentence elle. même; car il na pas été admis à la communion sans avoir purgé son accusation. Mais ici Maxime est condamné par les juges, et là il est parmi les juges qui condamnent. Que ce soit là de léquité dans le concile de Bagaï nous voulons bien vous laccorder. Cest à tort que les Maximianistes tont condamné; comme cest à tort que les premiers de votre secte ont condamné Cécilien. Tu tes justifié à Bagaï, lui est justifié par une sentence doutre-mer, sentence ratifiée par tout lunivers. Quas-tu donc à répondre? Nous sommes, dis-tu, en plus grand nombre que les Maximianistes. Eh bien! soyez plus nombreux, parlons alors du nombre. Voyez quelle différence. Les Maximianistes ont condamné eu toi un absent qui refusait de comparaître devant eux. Cest là une ressemblance, car tes ancêtres ont ainsi condamné Cécilien absent, et qui évitait leur faction. A ton tour tu les as condamnés quoique absents au concile de Bagaï: mais Cécilien sest justifié en présence même de ses adversaires. Il y encore une autre différence bien grande : cest toi-même qui es allé chercher des juges en Numidie, toi qui les as établis juges, les Maximianistes ne les avaient pas demandés: tandis que Cécilien a fait condamner Donat par les juges mêmes quavaient demandés les Donatistes. Les Maximianistes peuvent donc te répondre et à bon droit: Nous sommes dabord venus près de vous, nous évêques de votre province, dun diocèse qui vous appartient; nous avons voulu entendre votre cause; vous avez dédaigné de vous présenter devant nous. Si vous redoutiez notre juge. ment, nous devions du moins choisir les juges de concert, et vous naviez pas droit de choisir ceux que vous vouliez. Voyez encore quelle différence. Les Donatistes alors envoyèrent à lempereur des suppliques pour quil nommât des juges; ils récusèrent ceux qui les avaient condamnés, et quils avaient demandés avant leurs condamnations. On leur en donna dautres selon leur requête, nouvelle con damnation; ils en appelèrent à lempereur, nouvelle condamnation. Condamné une seule fois et en son absence, un maximianiste se tait; condamné trois fois, et toujours présent, un donatiste ne se tait point? 23. Entre toi et les Maximianistes, il reste (382) la question du nombre. Je lai dit : je suis daccord avec toi. Trois cent dix sont plus que cent, ou ce quil y avait dévêques Maximianistes contre Primianus : et les milliers dévêques répandus par toute la terre, qui ont condamné Donat pour soutenir Cécilien, se sont-ils donc pour toi daucune autorité ? Mais, diras-tu : est-ce que les milliers dévêques répandus dans le monde entier ont condamné les Donatistes? Très-bien, ils ne les ont pas condamnés. Mais pourquoi? parce quils nont pas assisté au jugement; et sils sont pas assisté au jugement, ils ne lont point condamné, puisquils ne connaissent rien de cette affaire. Pourquoi donc te séparer de ces innocents? voilà un homme baptisé qui vient à toi des extrémités du monde, et tu veux le baptiser de nouveau, et lorsque tu le prépares à exercer ton ministère de mort, et à réitérer ce que lon ne donne quune fois, il taborde avec de grands cris et des gémissements, et te dit : Que prétendez-vous faire? me rebaptiser? vous dit cet homme de je ne sais quel pays, de la Mésopotamie, de la Syrie, du Pont, ou même de plus loin. Mais vous navez pas le baptême, lui réponds-tu. Comment? lisez les lettres de lApôtre, que lon ma données. Voici venir je ne sais quel homme de Galatie, du Pont, un inconnu de Philadelphie ou dune de ces églises auxquelles saint Jean a écrit u il vient de Colosses, il vient de Philippe, de Thessalonique : Je nai pas le baptême, vous dira-t-il, moi qui ai reçu les lettres de lApôtre, par la prédication duquel vous êtes baptisés ? Tu oses bien lire ces lettres, et refuser dêtre en paix avec moi?
1. Apoc. I, 4.
TROISIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVI.TROISIÈME SERMON. ENCORE LA FORCE DU JUSTE.
LEglise qui a été jeune et qui a vieilli, na point vu le juste manquer de pain ou de la parole de Dieu qui est le vrai pain. Elle a vu au contraire ce juste prêter, et surtout prêter au Seigneur en secourant les pauvres. Evitons le mal, mais cela est insuffisant si nous ne faisons le bien. Laissons faire limpie dont la ruine sera complète; dans sa malice il peut bien épier le juste, mais il ne surprendra que le corps : lâme lui échappera toujours. Ce que les Donatistes peuvent dire dAugustin.
1. Il nous reste, mes frères, à vous exposer à discuter la troisième partie du psaume. Je le vois; Dieu me rappelle pour macquitter de ma dette, à la vérité contre mon dessein, mais non contre les desseins de sa Providence. bien donc attentifs, mes frères, afin que, sil vest possible, avec le secours de Dieu, je fasse droit à une obligation dont je reconnais lexistence. De qui sont ces paroles que nous venons de chanter? « Jai été jeune, maintenant jai vieilli ; et je nai point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain (Ps. XXXVI, 25) ». Si ce nest quun seul homme qui parle ainsi, quelle durée peut avoir la vie un seul homme, et quelle merveille serait-ce quun homme placé dans quelque coin du monde, pendant toute sa vie qui est bien courte, comme toute vie humaine, quel que soit lespace qui sépare la jeunesse de la vieillesse, neût point vu le juste abandonné, ni sa postérité mendier son pain? Il ny a là rien détonnant. Il est très-possible quavant sa naissance un juste ait demandé son pain; il est possible que cela soit arrivé dans un pays quil nhabitait pas. Ecoutez encore une difficulté qui membarrasse: voilà que le premier dentre vous, qui a déjà de longues années, en jetant les yeux sur les jours quil a vus sécouler, et en ramenant dans sa pensée tout ce quil a pu connaître, ne voit pour mendier son pain ,ni le juste, ni le fils du juste; et néanmoins, en feuilletant les Ecritures, il voit quAbraham, tout juste quil était,
383 souffrit la faim dans le pays quil habitait, et dut changer de contrée 1; il voit que son fils Isaac, pressé aussi par la disette, alla chercher des vivres 2 en dautres contrées. Où est maintenant la vérité de cette parole: « Je nai point vu le juste abandonné, ni sa postérité chercher du pain? » Et quand même cette parole se vérifierait dans le cours de sa vie, la lecture des livres saints, plus croyable que la vie des hommes, lui montre néanmoins le contraire. 2. Que faire donc? Aidez-moi, je vous prie, de votre zèle et de votre piété, à comprendre dans les versets du psaume quelle est la volonté de Dieu, et les instructions quil veut nous donner. Il est à craindre, en effet, quun homme faible et incapable de comprendre les saintes Ecritures, voyant de bons serviteurs de Dieu dans quelque détresse et dans la nécessité de mendier leur pain, et réfléchissant à cette parole de saint Paul: « Nous travaillons dans la faim et dans la soif, dans le froid et dans la nudité 3 », ne vienne à se scandaliser et à dire en lui-même : De bonne foi, ce que je viens de chanter est-il donc vrai; est-ce bien vrai, ce que je viens de chanter avec piété et debout dans lEglise: « Je nai jamais vu le juste abandonné, ni sa race mendier son pain? » Il est à craindre quil ne se dise que lEcriture le trompe; que ses membres ne se ralentissent dans lexercice des bonnes oeuvres; et, ce qui est pire encore, que ces membres ne se ralentissent chez lhomme intérieur, quil nabjure toute oeuvre pieuse et ne se dise dans son âme: A quoi bon faire le bien? à quoi bon partager mon pain avec lindigent et vêtir celui qui est nu, et loger chez moi celui qui na point de refuge, dans la foi en cette parole: « Je nai jamais vu le juste abandonné ni sa race mendier son pain », quand je vois tant de vrais serviteurs de Dieu en proie à la faim? Et si je me trompe, ajoutera-t-il, au point de prendre pour juste et celui qui vit bien et celui qui vit mal, tandis que Dieu en juge tout autrement, et voit un méchant dans celui que je crois bon, du moins que dirai-je dAbraham, que IEcriture elle-même appelle juste? Que dire de lApôtre saint Paul qui dit: « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 4 ? » Veut-il me souhaiter aussi les
1. Gen.XII, 10. 2. Id. XXVI, 1. 3. II Cor. XI, 27. 4. I Cor. IV, 16.
maux quil a dû endurer: « La faim et la soif, le froid et la nudité 1? » 3. Un homme qui est dans ces pensées, et dont les forces intérieures sont, tomme je lai dit, affaiblies pour tout bien, pouvons-nous le prendre comme un paralytique, ouvrir le toit de ce passage de lEcriture, et le descendre aux pieds du Seigneur? Vous le voyez, il y a là de lobscurité. Sil y a de lobscurité, cest quil y a un toit qui nous dérobe le sens, et je vois devant moi un paralytique spirituel. Je vois donc ce toit, et je sais que le Seigneur est caché sous ce toit. Je ferai alors, autant quil me sera possible, ce que le Seigneur approuva dans ceux qui découvrirent le toit et descendirent le paralytique aux pieds du Christ qui lui dit: «Mon fils, prenez courage, vos péchés vous sont remis 2». Puis il guérit cet homme de la paralysie intérieure, en lui remettant ses péchés et en affermissant sa foi. Mais il y avait là des hommes dont les yeux ne pouvaient voir la guérison de la paralysie intérieure, et qui prirent pour un blasphémateur le médecin qui lavait faite. « Quel est», disaient-ils, « cet homme qui remet les péchés? Il blasphème. Quel autre que Dieu peut remettre les péchés 3? » Et comme ce médecin était Dieu, il entendit ces pensées dans leurs coeurs. Ils croyaient que cette oeuvre était vraiment de Dieu, et ils ne voyaient point Dieu présent devant eux. Ce médecin agit donc aussi sur le corps du paralytique, afin de guérir encore la paralysie intérieure de ceux qui tenaient ce langage. Il fit une oeuvre quils pussent voir et il leur donna la foi. Courage donc ! ô toi dont le cur est faible, languissant jusquà laisser toute bonne oeuvre, à la vue de tout ce qui se passe dans le monde; toi qui es perdu intérieurement courage! découvrons ce toit, sil nous est possible, afin de descendre aux pieds du Seigneur. 4. Dans lEglise, qui est son corps mystique, le Seigneur fut jeune dans les premiers temps et maintenant il a vieilli. Cest là ce que vous savez, ce que vous reconnaissez, ce que vous comprenez, parce que vous faites partie de ce corps et que vous comprenez que le Christ est notre chef, et que nous sommes les membres de ce chef 4? Mais ny a-t-il que nous, et tous ceux qui nous ont précédés ne le sont-ils pas comme nous? Tous ceux qui ont été justes
1. II Cor. XI, 17. 2. Luc, V, 18-22. 3. Ibid. et Matt, IX, 3. 4. Cor. XII, 27; Ephés. IV, 15.
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dès lorigine du monde ont le Christ pour chef. Car ils ont cru quil viendrait comme sous croyons quil est venu ; et tout comme nous, ils ont été guéris par la foi quils avaient en lui : cest ainsi quil est le chef de toute la cité de Jérusalem, formée de tous les fidèles depuis le commencement du monde jusquà la fin, en y ajoutant les légions et les armées les anges, de manière à ne composer quune seule cité sous un seul roi, comme une seule province soumise à un seul empereur, heureuse dans une paix, dans un salut inaltérable, bénissant Dieu sans fin dans une félicité sans fin. Or, ce corps de Jésus-Christ, ou lEglise 1, ressemble à un homme: il a été jeune, et voilà quà la fin des siècles il jouit dune vieillesse heureuse, de celle dont il est dit : «Ils se multiplieront dans une vieillesse féconde 2 ». Elle lest multipliée en effet parmi les nations, et sa voix est comme celle dun homme qui consi1ère dabord ses jeunes années, puis celles de son déclin; il considère tout, parce que lEcriture lui fait connaître tous ses âges; et dans un transport de joie il nous donne cet avis: « Jai été jeune », dans le premier âge du monde, « et voilà que jai vieilli », car jen suis aux derniers temps « et jamais je nai vu le juste abandonné, non plus que sa race mendiant son pain ». 5. Nous connaissons donc cet homme, jeune autrefois, maintenant vieilli, et par louverture du toit nous arrivons au Christ. Mais quel est donc ce juste que lon na point vu dans labandon, et dont la race na pas mendié son pain? Savoir quel est ce pain, cest connaître injuste. Or, le pain est la parole de Dieu, qui ne sort jamais de la bouche du juste. Cest là ce que répondit ce juste lui-même tenté dans son chef. Quand le diable dit à Jésus-Christ qui souffrait du jeûne et de la faim : « Dis que ces pierres se changent en pain», il répondit: « Lhomme ne vit pas seulement-de pain, mais de toute parole de Dieu ». Or, soyez, mes frères, quand est-ce que le juste ne fait point la volonté de Dieu? Il la fait toujours, puisquil conforme sa vie à cette volonté, et que cette volonté de Dieu ne sort point de son coeur, car la volonté de Dieu, cest la loi de Dieu. Or, quest-il dit de lui ? « Quil méditera cette loi jour et nuit ». Tu manges du pain matériel pendant une heure,
1. Coloss. I, 18, 24. 2. Ps. XCI, 15. 3. Matt. IV, 3, 4. Ps., I, 2.
puis cest assez ; mais le pain de la parole, tu en manges nuit et jour. Lécouter ou la lire, cest manger; y penser, cest la ruminer, afin dêtre parmi les animaux purs, et non parmi les impurs 1. Cest là ce que vous dit la sagesse par la bouche de Salomon: « Un trésor désirable demeure dans la bouche de lhomme sage; mais lhomme insensé lavale dun trait 2». Or, avaler de manière à ne rien laisser voir de ce quon a avalé, cest oublier ce que lon a entendu. Mais lhomme qui ne loublie point, le rumine dans sa pensée, et trouve son plaisir à ruminer ainsi. De là cette parole : « Une sainte pensée te gardera 3.» Si donc en ruminant ce pain, tu as pour gardienne une sainte pensée, « tu nas jamais vu le juste délaissé, ni sa race mendiant son pain ». 6. « Chaque jour il est pris de pitié et il prête 4». Le mot latin foeneratur peut se dire de celui qui prête et de celui qui reçoit en prêt. Il serait plus clair pour nous de dire: Il prête, fnerat. Que nous importe ce quen diront les grammairiens? Il vaut mieux me mettre à votre portée avec un barbarisme, que dêtre si disert, pour vous laisser dans le désert. Donc ce juste « est chaque jour pris de pitié, et il prête ». Mais que les prêteurs ne sen réjouissent point. De même, en effet, quil y a pain et pain, nous trouvons aussi prêteur et prêteur ; afin que nous découvrions totalement le toit pour arriver à Jésus-Christ. Je ne veux point que vous soyez prêteurs; et si je ne le veux point, cest que Dieu lui-même ne le veut point. Car si je le défends seul, et que Dieu le permette, agissez, prêtez; mais, si Dieu ne le veut point, jaurai beau le vouloir, celui qui le ferait courrait à sa perte. Comment savoir que Dieu ne le veut point? Il est dit ailleurs: Le juste « na point donné son argent à usure 5 ». Et tous les prêteurs, ce me semble, comprennent combien lusure est un crime détestable, odieux , exécrable. Et pourtant, moi qui vous parle, ou plutôt Dieu que nous adorons, et qui vous défend de prêter à usure, vous ordonne ailleurs de prêter à usure; il vous dit: Prêtez à Dieu avec usure. Tu as de lespérance en prêtant à un homme, et tu nen aurais pas en prêtant à Dieu? Si tu as prêté ton argent à usure, cest-à-dire si tu las confié à un homme dont tu espères retirer
1. Lévit. I. 2. Prov. XXI, 20. 3. Id. II, 11. 4. Ps. XXXVI, 26. 5. Ps. XIV, 5.
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plus que tu nas donné, non pas ton argent seulement, mais quelque chose de plus que tu nas prêté, soit en froment, soit en vin, soit en huile, soit en toute autre denrée; si, dis-je, tu espères plus que tu nas donné, tu es usurier, et en cela tu es plus blâmable que louable. Comment donc faire, me diras-tu, pour tirer un certain profit dun prêt? Vois ce que fait le prêteur à usure. Il veut assurément donner moins et retirer plus; fais de même donne peu, et reçois plus. Vois les proportions larges que prendra ton usure. Donne les biens temporels et tu recevras ceux de léternité; donne la terre, tu recevras le ciel. Mais à qui la donner? me diras-tu peut-être. Voilà Dieu qui se présente, pour que tu la lui prêtes à usure, lui qui te défendait lusure. Ecoute dans lEcriture comment tu prêteras au Seigneur: « Celui-là prête à usure au Seigneur», est-il dit, « qui a pitié du pauvre 1 ». Assurément Dieu na pas besoin de toi, mais un autre en a besoin. Ce que tu donnes à lun, lautre le reçoit pour lui. Car le pauvre na rien à te rendre; il le voudrait faire, mais il ne trouve rien; il ne lui reste que la bonne volonté de prier pour toi. Or, un pauvre qui prie pour toi, semble dire à Dieu: Seigneur, jai fait un emprunt, soyez ma caution. En ce cas, si le pauvre nest pas solvable , tu auras dans Dieu une belle garantie. Voilà que Dieu te dit dans les Ecritures : Donne sans crainte, cest moi qui suais caution. Que disent ordinairement les hommes qui garantissent? Quel est leur langage? Cest moi qui vous le rendrai, cest moi qui reçois, cest à moi que vous le donnez. Croyez-vous que Dieu vous dise aussi: Cest moi qui reçois, cest à moi que tu donnes? Oui, assurément, si le Christ est Dieu, comme je nen doute pas, lui qui a dit: « Jai eu faim, et vous mavez donné à manger ». Et comme on lui demandait : « Quand est-ce que nous vous avons vu avoir faim? » afin de nous montrer quil est réellement caution pour les pauvres, quil répond pour tous ses membres, car il est le chef et eux sont les membres, et ce que reçoivent les membres, le chef le reçoit aussi: «Ce que vous avez fait au moindre de ceux qui mappartiennent », répond-il, « cest à moi que vous lavez fait ». Courage donc, usurier avare, vois ce que tu as donné, vois ce que tu recevras. Si tu navais donné quune modique somme dargent,
1. Prov. XIX, 17.
et que lemprunteur te donnât pour cette modique somme une magnifique villa dun prix bien supérieur à largent que tu as donné, quelles actions de grâces tu lui rendrais, quelle joie serait la tienne ! Ecoute quel domaine va te donner ton emprunteur: «Venez, bénis de mon Père, recevez », quoi? ce que vous avez donné? Oh! non. Vous avez donné des richesses terrestres, qui se seraient rouillées en terre, si vous ne les aviez prêtées. Quen eussiez-vous fait si vous ne les eussiez données? Ce qui devait périr dans la terre, se conserve dans le ciel. Cest donc ce dépôt conservé que nous devons recevoir. Cest votre mérite qui est conservé, et cest ce mérite qui est votre trésor. Vois, en effet, ce qui va téchoir: « Recevez le royaume qui vous été préparé dès lorigine du monde». Quelle parole, au contraire, entendront ceux qui nont rien voulu prêter? « Allez au feu éternel, préparé au diable et à ses anges». Et que faut-il entendre par ce royaume? Ecoutes ce qui suit: « Ceux-ci iront au feu éternel, et les justes dans la vie éternelle 1 ». Voilà ce quil faut ambitionner, ce quil faut acheter, ce quil faut acquérir par des usures. Celui qui vous tend la main sur la terre, cest le Christ qui règne dans les cieux. Voilà comment prête le juste : « Tout le jour il est pris de pitié, et il prête à usure ». 7. « Et sa race sera en bénédiction 2 ». Ici rejetons toute pensée charnelle. Nous voyons bien souvent mourir de faim les enfants du justes; comment donc « sa postérité sera-t-elle dans la bénédiction? » Cette race doit sentendre de ses oeuvres, ce quil sème pour récolter ensuite. Car lApôtre a dit: « Ne nous lassons pas de faire le bien; car nous moissonnerons dans le temps, sans nous fatiguer. Cest pourquoi, pendant quil en est temps, faisons du bien à tous 3 ». Telle est votre postérité qui sera en bénédiction. Tu confies une semence à la terre, et tu la recueilles au centuple, et tu la perdrais en la confiant au Christ? Remarque bien le mot de semence expressément employé par lApôtre à propos des aumônes. Voici ses paroles : « Celui qui sème peu recueillera peu; et celui qui sème dans la bénédiction moissonnera dans les bénédictions4 ». Mais peut-être est-ce pour toi une peine de semer, et ton coeur est-il
1. Matt. XXV, 34-46. 2. Ps. XXXVI, 26. 3. Gal. VI, 9. 4. II Cor. IX 6.
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ému à la vue des malheureux. Car nul doute quun jour nous ne soyons plus heureux de navoir plus personne à soulager. Quand tous seront devenus incorruptibles, il ny aura plus ni affamé à qui tu puisses donner à manger, ni altéré à qui donner à boire, ni homme nu à revêtir, ni étranger à recevoir; nais ici-bas nous semons dans les larmes, dans les tentations, dans les douleurs, dans les gémissements. Vois ce que dit un autre psaume: « Ils allaient et pleuraient en répandant leur semence ». Vois aussi que « sa semence sera en bénédiction : mais ils reviendront avec joie en portant leurs gerbes 1 ». 8. Vois donc ce qui suit et abjure la paresse: « Evite le mal et fais le bien 2 ». Garde-toi de croire quil te suffira de ne point enlever à un homme son vêtement. Ne pas le dépouiller, cest sabstenir du mal; mais ne le dessèche pas, ne deviens pas stérile. Sache tout à la fois, et ne pas dérober le vêtement, et revêtir celui qui est nu. Cest là éviter le mal pour faire le bien. Que men reviendra-t-il, diras-tu? Déjà celui à qui tu as prêté, ta dit ce qui ten reviendra; il te donnera la vie éternelle, prête-lui sans crainte. Ecoute encore ce qui suit: « Détourne-toi du mal et fais le bien; et tu habiteras les siècles des siècles ». Et ne va point croire que tes dons ne soient vus de personne, ou que Dieu tabandonne quand, après une aumône faite à lindigent, il te survient quelque dommage ou quelque perte à déplorer; ne dis pas : De quoi me sert davoir fait de bonnes oeuvres? Je crois que Dieu naime point ceux qui font le bien. Doù vient, mes frères, ce bruit, ce murmure, si ce nest que lon entend souvent ce langage? Chacun le reconnaît à cet instant, ou dans sa propre bouche, ou dans bouche dun voisin, ou dans celle dun ami. Je supplie Dieu de le faire disparaître et darracher toutes les épines de son champ; quil y mette le bon grain et larbre fruitier. Pourquoi donc, ô homme, après avoir fait aumône, taffliger dune perte que tu es-les? Ne vois-tu pas que tu perds ce que tu avais pas donné. Pourquoi ne pas jeter les feux sur le Dieu que tu sers? Où est donc ta loi? Pourquoi dort-elle ainsi? Réveille-la dans ton coeur. Ecoute ce que le Seigneur luienênie ta dit, quand il texhortait à faire ces sortes de bonnes oeuvres : « Faites-vous des
1. Ps. CXXV, 6. 2. Ps. XXXVI, 27.
bourses qui ne susent point, un trésor qui ne sépuise jamais, dans ce ciel dont napproche pas le voleur » . Rappelle-toi ces paroles quand une perte tafflige. Pourquoi pleurer, ô insensé, ô homme au coeur étroit, sinon dépravé? Pourquoi as-tu perdu, sinon parce que tu nas pas prêté? Pourquoi cette perte? qui te la fait essuyer? Le voleur, diras-tu. Ne tavais-je donc point averti de ne rien mettre où le voleur peut venir? Si donc il safflige, celui qui essuie une perte, quil safflige de navoir point placé son argent où il naurait pu le perdre. 9. « Car le Seigneur aime la justice, et il nabandonnera point ses saints 2 ». Quand les saints sont dans la peine , gardez-vous de croire que Dieu ne juge point les hommes, ou quil les juge sans équité. Celui qui tavertit de juger avec justice, pourrait-il juger dune manière perverse? « Il aime donc la justice et nabandonne point ses saints». Mais il agit de manière que la vie des saints soit cachée en lui, et que tous ceux qui souffrent sur la terre soient comme des arbres que lhiver a dépouillés de leurs fruits et de leur feuillage; mais, quand il apparaîtra comme un soleil nouveau, ils montreront par des fruits la vie quils conservaient dans leur racine. « Il aime donc la justice et nabandonnera point ses saints ». Mais ce saint souffre de la faim? Dieu ne labandonnera pas, « lui qui afflige celui quil reçoit au nombre de ses enfants 3 ». Tu le méprises quand il est dans la peine, tu seras dans la stupeur à la vue de ses richesses. Doù lui vient sa peine? Des maux passagers. Quand sera-t-il dans les richesses? Quand il entendra: « Venez, bénis de mon Père, possédez le royaume qui vous est préparé dès lorigine du monde 4 ». Ne recule donc point devant la peine, afin dêtre parmi ceux qui méritent dêtre admis. Dieu aime tellement la justice quil nabandonne point les saints, bien quil les afflige pour un temps; et comme il afflige celui quil reçoit au nombre de ses enfants, il na pas épargné son Fils unique, bien quil ne trouvât en lui aucun péché. « Le Seigneur donc aime la justice, et il nabandonne point ses saints ». Mais sil ne les abandonne pas, leur donnera-t-il par hasard ce que tu désires ici-bas, des années
1. Luc, XII, 33. 2. Ps. XXXVI, 28. 3. Hébr. XII, 6. 4. Matt. xxv, 34
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nombreuses, une vieillesse prolongée? Tu ne vois pas quen désirant la vieillesse, tu désires ce qui sera un sujet de plainte quand il arrivera. Ferme donc loreille à toute âme ou méchante, ou infirme, ou bornée, qui te dirait « Comment se peut-il que Dieu aime la justice et nabandonnera point ses saints? » A la vérité, il na point abandonné les trois enfants qui le bénissaient dans la fournaise : le feu ne les toucha point 1; mais les Macchabées nétaient-ils pas des saints, quand leur corps et non leur foi succomba dans les flammes 2 ? Il est vrai, diras-tu, que cest là une grande difficulté, de voir que ces hommes demeurent fermes dans la foi et que Dieu les abandonne. Ecoute ce qui suit : « Ils seront conservés pour léternité ». Tu leur souhaitais quelques années; et, pour le Seigneur, les leur accorder, ceût été, penses-tu, ne pas les abandonner. Il accordait une protection visible aux enfants de la fournaise, aux Macchabées une protection invisible ; il confondait les infidèles en donnant aux premiers la vie du temps; il préparait à limpiété des juges en couronnant les seconds dune manière invisible; et il nabandonnait ni les uns ni les autres, lui « qui nabandonnera point ses saints». Et les trois enfants neussent obtenu quune mince faveur, sils neussent eu léternité pour expectative « Ils seront conservés pour léternité ». 10. « Quant aux injustes, ils seront châtiés, et la race des impies périras. » De même que la race du juste sera en bénédiction, « la race de limpie périra ». Car sa race signifie ses oeuvres. Autrement, nous avons vu le fils de limpie florissant dans le monde, parfois devenir juste et fleurir en Jésus-Christ. Cherche donc bien le sens, afin douvrir le toit et de parvenir jusquau Seigneur 3. Le sens charnel serait une erreur pour toi. Mais ce que sème limpie, ou les oeuvres des impies, périront et ne fructifieront point; car ils nont de la force que pour un temps; ils chercheront plus tard et ne trouveront rien de ce quils auront fait. Car voici les plaintes de ceux qui auront perdu leurs oeuvres: « De quoi nous a servi notre orgueil et le vain étalage de nos richesses? Tout cela sest dissipé comme lombre 4 ». Donc la race de limpie périra. 11. « Quant aux justes, ils posséderont la terre en héritage 5 ». Encore une fois, loin
1. Dan. III, 50. 2. II Macch. VII, 7. 3. Luc, V, 19. 4. Sag. V, 8. 5. Ps. XXXVI, 29.
de toi lavarice; quelle ne vienne point te promettre de vastes domaines et te faire espérer ce que tu as ordre de mépriser. Cette terre est celle des vivants, celle des saints. Cest pour cela quil est dit: « Vous êtes mon espérance, mon héritage sur la terre des vivants 1 ». Car si telle est ta vie, comprends alors la terre qui doit téchoir. Cest la terre des vivants, tandis que celle-ci est la terre des mourants, et qui recevra morts ceux quelles nourris vivants. Donc, telle terre, telle vie; si la vie est éternelle, la terre aussi sera éternelle. Mais comment cette terre sera-t-elle éternelle? « Ils lhabiteront pendant les siècles des siècles ». Il y aura donc une autre terre que nous habiterons éternellement. Car il est dit de celle-ci que « le ciel et la terre passeront 2 » 12. « La bouche du juste méditera la sagesse 3 ». Cest là le pain dont nous avons parlé: voyez avec quelles délices notre juste sen nourrit, comment, dans sa bouche, il savoure la sagesse. « Sa langue publiera la justice, La loi de son Dieu est dans son cur 4 ». Lon ne peut croire quil a dans la bouche ce quil na pas dans le coeur, à le comparer à ceux dont il est dit : « Ce peuple mhonore des lèvres, mais leurs coeurs sont loin de moi 5 . Sa langue publiera la justice parce que la loi de Dieu est dans son cur. » Et quel est son avantage ? Cest que ses pieds « ne seront point pris au piége ». La parole de Dieu, dès quelle est dans notre coeur, nous préserve de tout piége; la parole de Dieu, si elle est dans notre coeur, nous détourne de la voie mauvaise; la parole de Dieu dans notre coeur nous éloigne de toute chute. Il est avec toi celui dont la parole ne séloigne point de ton coeur. Mais quel mal peut arriver à celui dont Dieu est le gardien? Tu commets un homme pour garder ta vigne, et tu oses sûreté contre les voleurs; et toutefois, un gardien peut sendormir, il peut sabattre et laisser passer le voleur: « Or, celui qui garde Israël ne dormira point, ne sassoupira point 6 car la loi de Dieu est dans son coeur; et ses pieds ne seront point pris au piége » Quil vive donc en paix, quil soit en paix parmi les méchants, en paix parmi les impies. Quel mal peut faire au juste lhomme impie, lhomme diniquité?
1. Ps. CXLI, 6. 2. Matt. XXXIV, 35. 3. Ps. XXXVI, 30 4. Id. 31 5. Isa. XXIX, 13. 6. Ps. CXX, 4.
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Considère la suite : «Le pécheur épie le juste, il cherche à lui donner la mort 1». Il tient en effet ce langage consigné au livre de la Sagesse: « Nous sommes fatigués de le voir, car sa vie diffère de la vie des autres 2 » Il cherche donc à le faire mourir. Mais quoi? Le Seigneur qui le garde, qui habite avec lui, qui ne sort ni de sa bouche ni de son coeur, labandonnera-t-il? Où est donc ce que nous lisions plus haut: « Il nabandonnera point ses saints 3? » 13. Donc « le pécheur épie le juste et cherche à lui donner la mort; mais le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains 4 ». Pourquoi donc a-t-il abandonné les martyrs aux mains des impies? Pourquoi ceux-ci en ont-ils fait ce quils ont voulu? Ils ont frappé celui-ci du glaive, cloué cet autre à la croix, livré celui-là aux bêtes, condamné ceux-ci au feu, jeté ces autres dans les cachots, pour les faire mourir plus lentement. Il est certain toutefois que le Seigneur nabandonnera point ses saints; « car le Seigneur ne le lui abandonnera pas entre les mains ». Pourquoi donc enfin a-t-il abandonné son Fils aux mains des Juifs? Ici , ouvre le toit 5, si tu veux être guéri de toute paralysie intérieure; arrive jusquau Seigneur, écoute ce que lEcriture nous dit ailleurs, car elle prévoyait ce que les impies feraient souffrir su Sauveur; que dit-elle donc? « La terre est livrée aux mains de limpie 6 ». Quest-ce à dire que la terre est livrée aux mains de limpie ? La chair est entre les mains des persécuteurs. Car le Seigneur, dans cette occasion, na point abandonné son juste, et de cette chair captive il a tiré une âme indomptée. Le Seigneur abandonnerait le juste au pouvoir des méchants, sil le laissait consentir à leurs desseins; et cest pour éviter ce malheur que dans un autre psaume le Prophète faisait cette prière: « Ne me livrez point, Seigneur, à lhomme du péché, daccord avec mes désirs 7 ». Il est à craindre que vous ne tombez de vos désirs dans les mains du pécheur, et que votre amour pour cette vie dun jour ne vous jette sous sa puissance, et ne vous fasse perdre ainsi la vie éternelle. De quel désir encore ne veut-il point tomber entre les mains du pécheur? De celui dont un autre prophète a dit: « Je nai point désiré le jour
1. Ps. XXXVI, 32. 2. Sag. II, 15. 3. Ps. XXXVI, 28. 4. Id. 33. 5. Luc, V, 19. 6. Job, IX, 24. 7. Ps. CXXXIX, 9.
de lhomme, vous le savez 1 ». Car celui qui désire vivement le jour de lhomme, et qui na point lespérance de la vie éternelle, ne peut que sabandonner aux volontés dun adversaire qui le menace de le tuer, et dès lors de lui faire perdre cette vie ou le jour de lhomme. Mais pour celui qui écoute cette parole du Seigneur : « Ne craignez point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lâme 2 », quand ce qui est terre serait livré entre les mains des impies, lesprit sen irait, la terre seule serait captive; et, lâme demeurant libre, la terre ressusciterait. Lesprit est changé pour aller à Dieu, la terre sera changée pour aller au ciel. Rien ne périt de cette terre livrée pour un temps aux mains des pécheurs : « Les cheveux de votre tête sont comptés 3».Soyez donc en sûreté, si Dieu est en votre intérieur. En chasser le diable, cest y admettre Dieu. « Le Seigneur nabandonnera pas le juste aux mains du méchant, et ne le condamnera point quand il le jugera ». On lit dans quelques exemplaires : « Et quand Dieu le jugera, le jugement sera pour lui ». « Pour lui », signifie quil sera lobjet du jugement. Cest ainsi que nous pouvons dire à quelquun : Jugez-moi, pour : entendez ma cause. Lors donc que le Seigneur entendra la cause de son juste: « Car nous devons tous comparaître au tribunal du Christ, afin que chacun reçoive ce qui est dû ses bonnes ou à ses mauvaises actions, pendant quil était revêtu de son corps 4»; quand donc arrivera le jugement du juste, Dieu ne le condamnera point, bien quen cette vie les hommes paraissent le condamner. Et si le proconsul prononça une sentence contre Cyprien, il y a une différence entre le tribunal de la terre et le tribunal du ciel : celui de la terre le condamna, celui du ciel lui décerna la couronne. « Il ne le condamnera point lorsquil passera au jugement». 14. Mais quand cela sera-t-il? Ne croyez point que ce soit maintenant; car maintenant cest le temps de travailler, le temps de semer, le temps dendurer le froid; mais semez en dépit des vents et de la pluie, ne soyez point paresseux; viendra lété qui vous consolera, et alors vous vous réjouirez davoir semé. Que faire donc maintenant? « Attends le Seigneur ». Et en lattendant, que faire?
1. Jérém. XVII, 16. 2. Matt. X, 28. 3. Id. 30. 4. II Cor. V, 10.
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« Garde ses voies ». Et si je les garde, quelle sera ma récompense? « Il télèvera, afin que tu aies la terre en héritage 1 ». Quelle terre? Encore une fois, ne porte point ta pensée sur quelque villa ; cest la terre dont il est dit « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous est préparé dès lorigine du monde 2 ». Et quarrivera-t-il à ceux qui nous ont torturés, au milieu desquels nous gémissons, dont nous avons supporté les scandales, et dont les fureurs ont rendu vaines toutes les prières que nous faisions pour eux? Voici la suite : « Tu seras témoin de la perte des méchants » ; et tu la verras de tout près, car tu seras à la droite et eux à la gauche. Cest ce que lon voit des yeux de la foi; or, ceux qui ne les ont point, saffligent du bonheur des méchants, ils croient que leur propre justice est inutile, quand ils voient limpie en honneur. Mais pour celui qui a loeil de la foi, quel est son langage ? « Jai vu limpie élevé, il dépassait en hauteur les cèdres du Liban 3 ». Le voilà donc élevé, il plane dans les hauteurs, et après? « Et jai passé, et il nétait déjà plus; et je lai cherché sans trouver même sa place 4». Pourquoi nétait-il plus, et sa place ne se trouvait-elle point? Parce que tu as passé. Mais si tu as encore des pensées charnelles, si un bonheur terrestre te paraît encore le vrai bonheur, tu nas pas encore passé, tu es égal ou même inférieur à limpie; marche donc et passe; et lorsque dans ta marche tu lauras dépassé, regarde avec foi, et en voyant sa fin tu diras en toi-même : Ce nest point là cet homme si enflé dorgueil; tu croiras passer près dune grosse fumée. Car cest encore là ce qua dit plus haut notre psaume : « Ils sévanouiront comme sévanouit la fumée ». La fumée sélance dans les airs, sélève comme un épais tourbillon. Plus elle sélève, plus elle se dilate. Mais quand tu seras passé, regarde en arrière; il ny aura que de la fumée derrière toi, si Dieu est devant toi. Ne regarde point derrière avec des regrets, comme regarda la femme de Loth, qui demeura en chemin ; mais regarde avec mépris, et tu verras que le méchant nest plus nulle part, et tu chercheras sa place. Quelle est sa place? Sa place consiste dans son pouvoir, dans ses richesses, dans le rang
1. Ps. XXXV, 34. 2. Matt. XXV, 34. 3. Ps. XXXVI, 35. 4. Id. 36. 5. Gen. XIX, 26.
quil occupe dans Je monde, qui lui assujettit le grand nombre, en sorte quil commande et quon lui obéit. Cette place donc nexistera plus, mais elle passera et tu pourras dire: « Jai passé et voilà quil nétait plus». Quest. ce à dire : jai passé? Je me suis avancé, je suis arrivé à la vie spirituelle, je suis entré dans le sanctuaire de Dieu, afin de contempler la fin du méchant 1 « Et voilà quil nétait plus; je lai cherché sans même trouver sa place ». 15 « Garde linnocence ». Garde-la avec le même soin que tu gardais ton argent lorsque tu étais avare; comme tu gardais ta bourse de peur quelle ne devînt la proie du voleur; veille avec le même soin sur ton innocence, de peur que le démon ne te la ravisse; quelle te soit un patrimoine assuré, elle qui enrichit même les pauvres. « Garde ton innocence ». De quoi te servirait de gagner de lor et de perdre linnocence? « Garde linnocence et considère la justice 2 ». Que tes yeux soient droits pour voir ce qui est droit, mais non mauvais pour voir les méchants, ni obliques de manière que Dieu lui-même te paraisse oblique ou injuste, favorisant limpie et persécutant le fidèle. Ne vois-tu point combien ta vue est oblique? Corrige alors tu yeux « et regarde en droite ligne ». Quelle droite ligne? Ne considère pas les choses présentes. Et que verras-tu? « Quil reste quelque chose à lhomme de la paix ». Quel est ce « reste? » Quaprès ta mort tu rie seras point mort; voilà ce qui reste. Il y aura donc pose le juste quelque chose après cette vie; cest-à-dire que sa semence sera en bénédiction. De là vient que le Seigneur a dit: « Celui qui croira en moi vivra quand même il serait mort 3 » ; car il reste quelque chose à lhomme de la paix. 16. « Quant aux méchants, ils périront, in idipsum », dit le latin. Quest-ce à dire, in idipsum? Ou bien, pour léternité, ou toi ensemble. « Ce qui reste de limpie périra 4. Mais il reste quelque chose à lhomme pacifique; donc tous ceux qui ne sont point pacifiques sont impies. « Bienheureux les pacifiques, parce quils seront appelés les enfant de Dieu ». 17. « Mais le salut des justes vient du Seigneur, il est leur soutien au jour de la
1. Gen. LXXII, 17. 2. Id. XXXVI, 37. 3. Jean, XI, 25. 4. Ps. XXXVI, 38. 5. Matt. V, 9.
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tribulation: Le Seigneur les aidera, les sauvera, les délivrera des mains des pécheurs 1». Que les justes tolèrent donc maintenant les pécheurs, que le bon grain tolère livraie, que le froment tolère la paille; car viendra le temps de la séparation, et lon tirera le bon grain de ce que le feu doit consumer; lun sera mis dans les greniers célestes, lautre jeté aux flammes éternelles; Dieu navait laissé le juste et linjuste vivre ensemble quafin que lun tendît des piéges, que lautre fût éprouvé, et quensuite le premier fût condamné, le second couronné. 18. Grâces à Dieu, mes frères; par la grâce du Christ nous avons acquitté notre dette, sais la charité me tient toujours en redevance; car elle est une, et lacquitter tous les jours, cest la devoir tous les jours. Nous avons beaucoup parlé contre les Donatistes, nous avons apporté beaucoup de faits, beaucoup dactes en dehors des règles des Ecritures, parce quils nous y ont forcé. Car sils me blâment de vous avoir fait ces lectures, jaccepte leur blâme, pourvu que vous soyez instruits. En ce cas, en effet, nous pouvons leur répondre : « Jai fait une folie, et vous my avez contraint 2 ». Du reste, mes frères, conservez avant tout notre héritage, dont nous sommes assurés par le testament de notre Père, non par lacte frivole dun homme, mais bien par le testament de notre Père. Soyons en pleine sécurité; car celui qui a fait ce testament vit toujours. Lui qui a fait le testament à lhéritier, jugera lui-même de son testament. Chez les hommes, autre est le testateur et autre le juge; et pourtant, celui qui sen tient au testament gagne sa cause auprès dun autre qui est juge, non auprès dun juge qui serait mort. Combien nous devons être certains de la victoire, quand cest le testateur qui doit nous juger! Car si le Christ est mort pour un temps, il vit pour léternité 3. 19. Quils disent donc de nous ce qui leur plaira, nous les aimerons même en dépit deux. Nous connaissons, mes frères, nous connaissons ce quils savent dire; gardons-nous de nous en irriter contre eux, supportez-le patiemment avec nous. Ils voient quil ne leur reste aucune réplique, et ils se tournent contre nous-même, versant le blâme sur nous, disant bien des choses quils savent,
1. Ps. XXXVI, 39, 40. 2. II Cor. XII, 11. 3. Rom. V, 9.
et bien des choses quils ne savent pas. Ce quils savent, cest notre passé; car, dit lApôtre, « nous fûmes jadis insensés, incrédules, éloignés de toute bonne uvre ». Contre toute sagesse et avec folie nous avons donné dans une erreur funeste, nous sommes loin de le nier; et moins nous nions notre passé, plus nous bénissons Dieu qui nous la pardonné. Pourquoi donc, ô hérétique, abandonner ta cause pour te prendre à un homme? Qui suis-je, moi? qui suis-je? Est-ce que je suis lEglise catholique? est-ce que je suis lhéritage du Christ répandu chez toutes les nations? Il me suffit dêtre dans cette Eglise. Tu me reproches mes fautes passées, que fais-tu là de si bien? Je suis pour mes fautes plus sévère que tu ne peux lêtre, et ce que tu blâmes, je lai condamné. Puisses-tu mimiter un jour, afin que ton erreur soit aussi du passé! Mes fautes passées, on les connaît principalement dans cette ville. Ici, je lavoue, jai vécu dans le désordre; et plus la grâce que Dieu ma faite mest un sujet de joie, plus mon passé, que dirai-je? me cause de douleur. Oui, ce serait de la douleur sil durait encore. Mais que dirai-je? quil me réjouit? je ne puis le dire; plût à Dieu que je neusse jamais été de la sorte! Mais ce que jétais, grâce au Christ, je ne le suis plus. Quant à ce quils blâment du présent, ils ne le connaissent pas. Il y a sans doute en moi quelques défauts à blâmer, mais les connaître est une grande prétention de leur part. Je fais de grands efforts dans le secret de mes pensées, pour combattre les désirs mauvais; jai des luttes bien longues, presque incessantes contre les assauts de lennemi qui cherche ma perte. Je gémis devant Dieu, dans ma faiblesse; et il sait ce quenfante mon coeur, lui qui connaît ce que je dois produire. « Peu mimporte », dit lApôtre, « que je sois jugé par vous ou au tribunal dun homme; mais je ne me juge point moi-même ». Je me connais mieux queux, et Dieu mieux que moi. Je demande au Christ quils naient rien à vous reprocher à cause de moi. Car ils disent : Quels sont ces gens? doù viennent-ils? nous les avons vus dans le dérèglement; qui les a baptisés? Sils nous connaissent bien, ils savent que nous avons autrefois passé la mer. Ils savent que nous avons vécu en pays étranger, et que nous en sommes revenu autre
1. Tit. III, 3.
392 que nous nétions parti. Ce nest point ici que nous avons été baptisé; mais lEglise dans laquelle nous avons été baptisé 1, est célèbre dans lunivers entier. Il y a plusieurs de nos frères qui connaissent que nous avons reçu le baptême, parce quils lont reçu avec nous. Il est aisé de savoir tout cela, pour peu que nos frères eu soient dans linquiétude. Mais serait-ce satisfaire les Donatistes que leur apporter le témoignage dune Eglise avec laquelle ils ne communiquent pas? Cest avec raison quils ignorent quau-delà des mers jai été baptisé dans le Christ, puisquau-delà des mers ils nont point de Christ. Celui-là seul possède le Christ au-delà des mers, qui est outre-mer en communion avec lEglise universelle. Comment un Donatiste pourrait-il savoir où jai été baptisé, lui dont la communion passe à peine la mer? Toutefois, mes frères, que leur dirai-je? Pensez de moi comme il vous plaira: si je suis bon, je suis froment dans lEglise du Christ; si je suis mauvais, je ne suis que paille dans lEglise du Christ, et néanmoins je ne sors pas de laire. Mais toi, emporté dehors par le vent de la tentation, qui es-tu? Le vent nemporte pas le froment hors de laire; par le lieu où tu es, reconnais ce que tu vaux. 20. Mais, me diras-tu, qui es-tu donc pour tant parler contre nous? Qui que je sois, fais attention aux paroles, non à celui qui parle. Pourtant, diras-tu, le Seigneur a dit au pécheur: « Pourquoi ouvrir la bouche pour parler de mon alliance 2? » Que Dieu parle ainsi, je le sais, il y a une sorte de pécheurs auxquels Dieu le dit avec raison; mais à quelque pécheur quil tienne ce langage, sil le fait, cest quil ne sert de rien au pécheur de parler de la loi de Dieu. Mais cela ne peut-il être avantageux à ceux qui lécoutent? Selon Jésus-Christ nous avons dans lEglise deux sortes de prédicateurs, des bons et des méchants. Que disent les bons en prêchant : « Soyez mes imitateurs comme je le suis du Christ 3? » Quest-il dit aux bons? : « Soyez lexemple des fidèles 4 ». Voilà ce que nous tâchons dêtre; ce que nous sommes, celui-là le sait qui entend nos gémissements. Toutefois il est dit à propos des méchants : « Les
1. Voy. liv. IX des Confes. ch. 6. 2. Ps. CXLIX, 16. 3. I Cor. IV, 10. 4. I Tim. IV, 12.
scribes et les pharisiens sont assis sur la « chaire de Moïse; faites ce quils vous disent et non ce quils font 1».Tu le vois, dans la chaire de Moïse, à laquelle a succédé la chaire du Christ, on voit sasseoir des bons et des méchants; mais en disant le bien, ils ne nuisent pas à lauditeur. Pourquoi donc as-tu abandonné la chaire à cause du méchant qui sy assied? Reviens à la paix, reviens à la concorde qui ne test point nuisible. Si mes paroles sont bonnes, mes oeuvres bonnes, imite-moi; si je ne fais pas le bien que je prêche, tu as le conseil du Seigneur ; fais ce que je dis, évite ce que je fais; mais ne te sépare point de la chaire catholique. Voilà quau nom du Christ nous allons partir, et ils vont parler beaucoup. Qui les arrêtera? Méprisez tout ce qui regarde notre personne. Ne leur dites que ceci : Mes frères, répondez à la question; lévêque Augustin est dans lEglise catholique; il porte sa besace dont il rendra compte à Dieu; je lai vu parmi les bons ; sil est mauvais, il le sait; sil est bon, ce nest pas même en lui que jespère. Jai appris avant tout, dans lEglise catholique, à ne pas mettre mon espoir dans un homme. Vous avez donc raison, vous autres , de reprendre les hommes, puisque cest dans lhomme que repose votre espoir. Oui, quand ils accuseront notre vie, méprisez tout cela. Nous savons quelle placet nous avons dans vos coeurs, parce que nous savons quelle place vous occupez dans le nôtre. Ne prenez point contre eux notre parti. Quoi quils vous disent de nous, passez vite, de peur que, en vous fatiguant à me défendre, vous nabandonniez votre propre cause. Ils agissent avec adresse ; et, dans la crainte quon naborde la discussion de leur cause, ils sefforcent de nous détourner ailleurs, afin que, tout entiers à nous justifier, nous ne puissions rien dire pour les convaincre. Vous dites que je suis mauvais, et jen dis bien plus de moi-même; laissez là ce sujet, traitons la question même, écoutez la cause de 1Eglise et voyez où vous en êtes, Que la vérité vous parle de tous côtés, écoutez-la avec avidité; de peur que le pain ne vous manque à jamais, quand vous cherchez toujours à blâmer, à dédaigner, à calomnier le vase dans lequel on vous le présente.
1. Matt. XXIII, 2, 3.
393
DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVII.HOMÉLIE AU PEUPLE, APRÈS LÉVANGILE DE LA CHANANÉENNE.LAVEU DU PÉCHÉ OU LA PASSION DE JÉSUS-CHRIST.
Le Prophète gémit en se souvenant du repos, il craint le châtiment de Dieu, qui pourtant nous sert pour le salut. Il semble dire que les maux de cette vie doivent lui suffire; et alors il énumère ce quil endure. Sa chair est malade, les flèches de Dieu le transpercent. Il est dans le trouble à la vue de ses péchés, la paix nest point dans ses os, il est courbé sous le poids de ses fautes, son âme est dans lillusion, son cur dans le trouble. Il souffre labandon, le faux témoignage, il chancèle et on linsulte. Toutefois, sil safflige, ce nest pas du châtiment, mais du crime. Il pratique la justice et implore le secours de Dieu.
1. Cette femme de lEvangile nous donne une réponse bien analogue à ces paroles que nous avons chantées : « Je publie mon iniquité, je prendrai soin de mon péché 1 », le Seigneur, envisageant les péchés de cette femme, lappela chienne en disant : « Il ne convient pas de jeter aux chiens le pain des enfants 2». Mais elle, qui savait et publier son iniquité, et prendre soin de son péché, ne lui point ce que disait la vérité ; au contraire, elle avoua sa misère et obtint miséricorde en sinquiétant de son péché. Car elle avait demandé la guérison de sa fille, et peut-être dans sa fille désignait-elle sa propre vie. Ecoutez donc le psaume que nous allons, autant que possible, exposer et expliquer tout entier. Que le Seigneur soit dans nos coeurs, afin que nous y trouvions des leçons salutaires, que nous les exposions telles que nous les aurons conçues, les trouvant facilement, les exposant dune manière convenable. 2. « Psaume de David, pour le souvenir du sabbat 3 ». Tel est le titre du psaume. Nous touchons ce que lEcriture nous raconte à propos du saint prophète David, qui fut, selon la chair, un des ancêtres de Notre-Seigneur Jésus-Christ 4; et , dans toutes les bonnes oeuvres quelle nous a fait connaître, nous ne trouvons rien qui regarde le souvenir du sabbat. Quétant-il besoin quil se souvint du sabbat que les Juifs observaient avec soin; quelle mémoire fallait-il pour un jour qui revenait chaque semaine? Il fallait lobserver, mais il nétait pas nécessaire de sen souvenir. On ne se souvient, en effet, que
1. Ps. XXXVII, 19 2. Matt. IV, 26. 3. Ps. XXXVII, 1 4. Rom. I, 3
dune chose qui nest plus devant soi; ici, par exemple, vous vous souvenez de Carthage où vous êtes allés quelquefois; et aujourdhui, vous vous souvenez dhier, de lan passé, de toute autre année antérieure, de quelque action que vous avez déjà faite, des lieux que vous avez visités, de quelque scène que vous avez vue. Que signifie, mes frères, ce souvenir du sabbat? Quelle âme sen souvient de la sorte? Quest-ce que le sabbat? car David sen souvient en gémissant. Vous avez entendu la lecture du psaume, et tout à lheure, quand nous lexpliquerons, vous entendrez quelle douleur il y témoigne, quels gémissements lui échappent, quels pleurs, quelle tristesse profonde. Mais, bienheureux celui qui est triste de cette manière. Cest ainsi que, dans lEvangile, le Seigneur appelle heureux quelques-uns de ceux qui pleurent 1. Comment peut être heureux lhomme qui pleure? Comment heureux, sil est malheureux? Il serait malheureux, au contraire, sil ne pleurait point. Tel est donc celui qui se souvient ici du sabbat, ce je ne sais quel homme qui pleure, et puissions-nous être ce je ne sais qui t Cest une âme qui safflige, qui gémit, qui pleure en se souvenant du sabbat. Or, sabbat signifie repos. Assurément, linterlocuteur était dans je ne sais quelle agitation, puisquil gémissait au souvenir du repos. 3. Cet homme donc, redoutant un plus grand malheur que celui dont il était accablé déjà, raconte et offre à Dieu ses agitations. Car il dit clairement quil est dans la douleur, et il nest besoin, pour le comprendre, ni dinterprète, ni de soupçon, ni de conjecture: ses 1. Matt. V, 5.
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paroles ne nous laissent aucun doute sur le mal dont il souffre, et il nest nul besoin de le chercher, mais de comprendre ce quil dit. Et sil ne craignait un malheur plus grand que celui dont il souffre, il ne commencerait pas ainsi : « Seigneur, ne me reprenez point dans votre indignation, ne me corrigez point dans votre colère 1 ». Il arrivera, en effet, que Dieu châtiera des pécheurs dans sa colère et les reprendra dans son indignation. Tous ceux quil reprendra ne seront peut-être pas corrigés; et néanmoins, plusieurs seront sauvés par le châtiment. Il y en aura, puisque être châtié, cest « passer comme par le feu 2». Dautres, au contraire, seront repris sans néanmoins se corriger. Car ce sera bien les reprendre que de leur dire: « Jai eu faim et vous ne mavez pas donné à manger; jai eu soif, et vous ne mavez point donné à boire 3 » ; et tout ce qui vient ensuite, pour reprocher la dureté de coeur et la stérilité aux méchants qui seront à sa gauche et auxquels il dira : « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges 4 ». Cette âme donc, redoutant des maux bien plus grands que ceux dont elle gémit en cette vie, supplie le Seigneur et sécrie: « Seigneur, ne me reprenez pas dans votre colère ». Que je ne sois point avec ceux auxquels vous direz: « Allez au feu éternel qui a été préparé au diable et à ses anges. Ne me corrigez pas dans votre colère »; mais plutôt, corrigez-moi dès cette vie, et rendez-moi telle que je naie pas besoin de passer par le feu de lexpiation, comme ceux qui doivent être sauvés, mais comme par le feu. Pourquoi, sinon parce quen cette vie ils élèvent sur le vrai fondement un édifice en bois, en foin, en paille? Sils bâtissaient en or, en argent, en pierres précieuses, ils seraient en sûreté contre lun et lautre feu ; non seulement contre le feu éternel qui doit dévorer limpie pendant léternité, mais contre le feu qui doit purifier ceux qui seront sauvés par le feu. Il est dit en effet « quils seront sauvés, mais comme par le feu ». Or, parce quil est dit: « Il sera sauvé », on dédaigne ces flammes. Mais, bien quil serve à nous sauver, ce feu sera néanmoins plus horrible que toutes les douleurs quun homme peut endurer ici-bas. Et pourtant, vous savez quels maux endurent les méchants, quels maux ils peuvent
1. Ps. XXXVII, 2. 2. I Cor. III, 15. 3. Matt. XXV, 41. 4. Id. 42.
endurer encore sur la terre ; mais ils nont rien enduré que les bons ne puissent endurer. Quels supplices les lois humaines ont-elles pu infliger au magicien, au voleur, à ladultère, au scélérat, au sacrilège, que le martyr nait pas souffert en confessant Jésus-Christ? Les maux de cette vie sont donc bien plus supportables ; et toutefois, voyez avec quel empressement les hommes feront, pour les éviter, tout ce que vous leur commanderez. Combien gagneraient-ils plus à supporter ce que Dieu ordonne, pour éviter ces horribles tourments? 4. Mais pourquoi demander de nêtre point repris avec indignation, ni corrigé avec colère? Comme si le prophète disait à Dieu: Puisque les maux que jai endurés sont grands et nombreux, quils me suffisent, je vous eu supplie. Alors il se met à les énumérer, offrant à Dieu comme une satisfaction ce quil a souffert, afin de ne pas souffrir davantage. « Vos flèches me pénètrent de toutes parts, et votre main sest appesantie sur moi 1 ». 5. « En face de votre colère, il ny a rien de « sain en mon corps 2 ». Déjà il nous racontait ce quil souffrait en cette vie, et ces maux viennent de la colère de Dieu, puisquils viennent de sa vengeance. De quelle vengeance? De celle quil a tirée dAdam. Car le péché dAdam ne demeura point impuni, et Dieu ne dit point en vain: « Tu mourras de mort 3 »; et nous navons rien à souffrir en cette vie qui ne nous vienne de cette mort que nous avons méritée par le péché. Car nous portons un corps mortel, et qui, sans le péché, ne serait point mortel, exposé aux tentations, plein de sollicitudes, en proie aux maladies corporelles, en proie à lindigence, assujetti aux changements, qui languit même en santé, parce quil ne jouit jamais dune santé complète. Pourquoi dire : « Il ny a rien de sain dans ma chair », sinon parce que cette santé, ou ce que lon appelle ainsi en cette vie, nest point une santé pour ceux qui comprennent le vrai sabbat et sen souviennent? Si tu es sans manger, la faim te presse bientôt. Cest comme une maladie naturelle; et ce qui était dabord une peine vengeresse est devenu pour nous une seconde nature. Ce qui était un châtiment pour le premier homme est naturel pour nous. De là
1. Ps. XXXVII, 3. 2.Id. 4. 3. Gen. II, 17.
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vient cette parole de lApôtre : « Nous aussi, par nature, nous fûmes enfants de colère comme le reste des hommes : Enfants de «colère, par nature », cest-à-dire soumis à la vengeance du péché. Mais pourquoi dire: «Nous fûmes? » cest que par lespérance nous ne le sommes plus, bien que nous le soyons en réalité. Pourtant il est mieux de dire ce que nous sommes en espérance, parce que notre espérance est certaine et quelle na rien dincertain qui puisse nous inspirer le moindre doute. Ecoutez encore la gloire en espérance: « Nous gémissons en nous-mêmes », dit lApôtre, « attendant leffet de ladoption divine, la délivrance de notre chair 1». Quoi donc, Paul, navez-vous pas été racheté? Le prix de votre rançon nest-il point payé? Un sang divin na-t-il pas été répandu et nest-il pas la rançon de tous les hommes? Qui, sans doute, mais voyez ce quil ajoute : « Nous sommes sauvés par lespérance; or, lespérance que lon voit nest plus une espérance. Comment espérer ce que lon voit? Si nous espérons ce que nous ne voyons pas encore, nous lattendons par lespérance 2». Quest-ce quil attend par la patience? Le salut. Le salut de quoi? De son corps ; car il a dit: « La délivrance de notre chair ». Sil attendait la santé de son corps, ce nétait donc point cette santé quil avait déjà. La faim tue un homme ainsi que la soif, si lon ny apporte remède. Le remède à la faim, cest la nourriture; le remède contre la soif, cest la boisson; le remède à la fatigue, cest le sommeil. Retranchez ces remèdes, et voyez si ces maladies ne vous tuent pas. Sil y a donc en vous de quoi vous tuer, si vous ne mangez, une vous glorifiez pas de votre santé; mais plutôt attendez en gémissant la délivrance de votre se corps. Réjouissez-vous de votre rédemption, bien que vous ne soyez pas encore dans une sûreté réelle, mais seulement en espérance. Car si lespérance ne vous fait gémir, vous narriverez point à la réalité. Cela donc nest point la santé parfaite, dit le Prophète : « En face de votre colère il ny a rien de sain en ma chair ». Doù viennent ces flèches dont il est transpercé? Cest une peine, un châtiment, et peut-être appelle-t-il des flèches ces le douleurs de lâme et de lesprit quil nous faut là endurer. Le saint homme Job a fait mention de ces flèches, et dans labîme de ses malheurs
1. Eph. II, 3. 2. Rom. VIII, 23. 3. Id. 24, 25.
il dit que les flèches du Seigneur lont traversé1. Il est cependant ordinaire dentendre par flèches les paroles du Seigneur mais pourrait-il ainsi se plaindre den être percé? Les paroles de Dieu sont comme des flèches qui portent lamour et non la douleur. Ou bien, serait-ce peut-être que lamour et la douleur sont inséparables? Car il y a nécessairement douleur à aimer sans posséder. Il peut aimer sans souffrir, celui qui possède ce quil aime; mais, disons-nous, quand on aime et quon na point encore ce que lon aime, on doit nécessairement gémir dans sa douleur. De là cette parole de lEpouse des cantiques qui figurait lEglise du Christ : « Lamour ma blessée 2 ». Elle dit que lamour la blessée, parce quelle aimait sans posséder lobjet de son amour; elle souffrait de ne lavoir point. Quiconque na point souffert de cette blessure ne saurait arriver à la véritable santé. Car celui qui en ressent la douleur doit-il donc y demeurer toujours? Nous pouvons alors entendre ainsi ces flèches qui transpercent le Prophète: Vos paroles ont blessé mon coeur, et ces paroles mont fait souvenir du repos. Ce souvenir du sabbat, que je ne possède-point encore, mempêche de me réjouir et me fait comprendre quil ny a rien de sain dans ma chair, que la santé quelle possède nen mérite pas le nom quand je la compare à celle dont je jouirai dans le repos éternel, quand cette chair corruptible sera revêtue dincorruptibilité, que cette chair mortelle sera revêtue dimmortalité3; en comparaison de cette santé, celle dici-bas, je le vois, nest quune maladie. 6. « Il ny a nulle paix dans mes ossements, à la vue de mes péchés 4 ». On se demande quel est celui qui parle ainsi; plusieurs pensent que cest Jésus-Christ, à cause de quelques allusions à la passion, allusions auxquelles nous arriverons bientôt, pour montrer quelles prédisent la passion de Jésus-Christ. Mais, comment celui qui navait pas de péché 5 a-t-il pu dire: « La vue de mes péchés ne laisse aucune paix dans mes os ? » Pour comprendre ceci, nous sommes dans la nécessité de connaître le Christ tout entier, ou le chef et les membres. Souvent, en effet, quand Jésus-Christ parle, il le fait seulement comme chef, et ce chef est le Sauveur, né de la Vierge Marie 6 ;
1. Job, VI, 4. 2. Cant. II, 5, V, 8. 3. I Cor. XV, 53. 4. Ps. XXXVII, 6. 5. I Pierre, II, 22. 6. Luc, II, 7.
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quelquefois au contraire il parle au nom de son corps qui est la sainte Eglise réunie dans lunivers entier. Nous autres, nous sommes aussi de son corps, si toutefois nous avons en lui une foi sincère, une espérance ferme, une ardente charité; nous sommes en son corps, nous en sommes les membres, et nous trouvons que cest nous qui parlons ici, selon ce mot de saint Paul: « Parce que nous sommes les membres de son corps 1 », et que lApôtre a répété à plusieurs endroits. Dire en effet que ces paroles ne sont pas du Christ, cest dire aussi que ces autres ne lui appartiennent point: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné? » Car nous y lisons aussi: « Mon Dieu, pourquoi mabandonner? Le rugissement de mes péchés éloigne de moi tout salut 2».Comme tu lis dans lun : « La vue de mes péchés», tu lis dans lautre: « Le rugissement de mes péchés ». Or, si le Christ est sans faute, sans péché, nous nous prenons à douter si les paroles de ce psaume lui appartiennent. Et pourtant, il serait dur et contrariant dadmettre que ce psaume ne regarde point le Christ, quand nous pouvons y lire la passion aussi clairement que dans lEvangile. Cest là que nous lisons en effet: « Ils ont partagé mes vêtements et ont tiré ma robe au sort 2».Pourquoi donc le Seigneur, cloué à la croix, a-t-il récité de sa propre bouche le premier verset du psaume, et a-t-il dit: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné ? » Qua-t-il voulu nous faire comprendre, sinon que cest lui qui parle dans tout le psaume, puisquil en a récité le commencement? Et quand il dit ensuite: « Les rugissements de mes péchés », il nest pas douteux que ces paroles ne soient du Christ. Mais doù viennent les péchés, sinon de son corps mystique qui est lEglise? Car ici le corps du Christ parle aussi bien que la tête. Comment parle-t-il comme parlerait un seul? « Parce quil est dit quils seront deux dans une même chair. Ce sacrement est grand, observe lApôtre; je dis en Jésus-Christ et en lEglise ». Cest pourquoi, dans lEvangile, répondant à un homme qui linterrogeait sur le renvoi dune épouse, il a dit.: « Navez-vous point lu ce qui est écrit, « que Dieu, dès le commencement, fit un homme et une femme, et que lhomme quittera son père et sa mère pour à attacher à son épouse, et quils seront deux dans une même
1. Eph. V, 30. 2. Ps. XXI, 2. 3. Id. 19.
chair? Ils ne sont donc plus deux, mais une seule chair 1», Si donc il a dit: «Ils ne sont plus deux, mais une seule chair »; comment sétonner quune même chair nait plus quune même langue, une même parole, puisquil y a unité de chair, de chef et de corps? Ecoutons donc le Christ dans son unité, et néanmoins le chef comme chef, et le corps comme le corps. Il ny a point division de personne, mais différence de dignité; cest le chef qui sauve, le corps qui est sauvé. Que le chef montre donc de la miséricorde, et que le corps déplore sa misère. Le chef doit purifier, le corps confesser les péchés, et néanmoins il ny a quune seule voix, quand lEcriture ne distingue point si cest le corps ou la tête qui parle; mais nous, qui lentendons, nous faisons ce discernement; et pour lui, il parle toujours comme parle un seul. Pourquoi ne parlerait. il pas «de ses péchés», celui qui a dit: « Jai eu faim et vous ne mavez pas donné à manger; jai eu soit et vous ne mavez pas donné à boire; jai été étranger, et vous ne mavez point recueilli; jai été malade et en prison, et vous ne mavez pas visité 2 ». Assurément le Seigneur na pas été en prison. Pourquoi ne parlerait-il pas ainsi, celui qui, à cette question: « Quand vous avons-nous vu ayant faim, ayant soif ou en prison, sans prendre soin de vous secourir 3? » a bien pu répondre au nom de ses membres, et dire: « Ce que vous navez pas fait au moindre des miens, vous ne me lavez pas fait?» Pourquoi ne dirait-il pas: « A la vue de mes péchés », celui qui dit à Saul: « Pourquoi me persécuter 4 », lui qui dans le ciel ne rencontrait plus de persécuteurs? Dans ce cas, cétait la tête qui parlait pour le corps; et de même ici cest encore la tête qui tient le langage du corps, car cest le corps que vous entendez. Mais, soit que vous entendiez le langage du corps, nen séparez point le chef; de même quen entendant les paroles du chef, nen séparez pas le corps, car ils ne sont plus deux, mais bien une seule chair. 7. « Nulle partie de ma chair nest saine à la vue de votre colère 5».Mais cest peut-être à tort que Dieu est irrité, ô Adam, ô genre humain ; cest à tort que Dieu sest irrité contre toi ! puisque déjà tu as reconnu ta faute, et que, constitué dans le corps du Christ, tu as vie
1. Matt. XIX, 4. 2. Id. XV, 42, 43. 3. Id. 44. 4. Act. IX,4. 5. Ps. XXXIV, 4.
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dit: « Nulle partie de ma chair nest sauné à la vue de votre colère». Expose donc la justice de cette colère divine, afin de ne point paraître excuser ta faute, accuser Dieu lui-même. Poursuis et dis-nous doù vient cette colère? « Nulle partie nest saine dans ma chair à la vue de votre colère ; la paix nest plus dans mes os 1». Dire que «la paix nest pas dans ses os », cest répéter cette pensée que « nulle partie de sa chair nest saine ». Toutefois il na point répété : « A la vue de votre colère » ; mais il expose la cause de nette colère divine: « Nulle paix», dit-il, nest «dans mes os en face de mes péchés ». 8. « Mes iniquités ont élevé ma tête, elles pèsent sur moi comme un lourd fardeau 2 », Voilà dabord la cause, puis ensuite leffet; il lit doù son mal est venu. « Mes iniquités ont élevé ma tête ». Nul nest orgueilleux, si ce nest le coupable qui élève sa tête en haut. Il sélève en haut celui qui se dresse contre Dieu. Vous avez entendu dans le livre de lEcclésiastique: « Le commencement de lorgueil, cest de se séparer de Dieu 3 ». A celui qui le premier ne voulut point obéir, liniquité fit lever la tête contre Dieu. Et parce que liniquité lui avait fait lever la tête, que fit le Seigneur? « Liniquité pèse sur moi comme un lourd fardeau ». Elever la tête, cest une marque de légèreté; il semble que celui qui lève la tête ne porte rien. Comme donc ce qui peut sélever a de la légèreté, on lui donne un poids qui le rabaisse, son oeuvre descend sur sa tête et son iniquité pèsera sur son cur 4. Elle « pèse sur moi comme un lourd fardeau». 9. « La pourriture et la corruption se sont mises dans mes plaies 5».Il na point la santé celui qui a des plaies, surtout quand il y a dans ces plaies corruption et puanteur. Doù vient la puanteur? de la corruption. Qui ne comprend cela daprès les actes de la vie humaine? Quun homme ait un bon odorat spirituel, il sentira lodeur qui sexhale des péchés. A cette odeur des péchés est opposée lodeur dont saint Paul a dit: « Nous sommes la bonne odeur du Christ, devant Dieu, partout pour ceux qui se sauvent 6.». Mais doù sexhale cette odeur, sinon de lespérance? Doù encore, sinon du souvenir du sabbat? Dune part, en effet, nous gémissons en cette vie; dautre part nous espérons pour lautre
1. Ps. XXXIV, 4. 2. Id. 5. 3. Eccli. X, 14. 4. Ps. VII, 17. 5. Ps. XXXVII, 6. 6. II Cor. II, 15.
vie. Ce qui nous fait gémir, cest lodeur fétide; ce qui nous fait espérer, cest la bonne odeur. Si donc nous nétions pas attirés par cette odeur, nous naurions aucun souvenir du sabbat. Mais, parce que le Saint-Esprit nous la fait sentir au point de dire à notre époux: «Nous vous suivrons à lodeur de vos parfums 1 », nous détournons notre odorat des puanteurs, et nous nous tournons vers lui pour respirer quelque peu. Mais si nous ne sentons aussi lodeur de nos péchés, nous ne confesserons point, dans nos gémissements, que « la puanteur et la corruption sont dans nos plaies ». Pourquoi ? « A cause de ma folie ». De même que plus haut il a dit: « A la vue de mes péchés»; de même il dit maintenant: «A la vue de ma folie ». 10. « Je suis devenu misérable, jai été courbé pour toujours 2». Pourquoi a-t-il été courbé? parce quil sétait élevé. Humiliez-vous, Dieu vous redressera ; élevez-vous, il vous abaissera. Dieu ne manquera pas de poids pour vous courber; ce poids sera le fardeau de vos péchés, quil fera retomber sur votre tête, et vous en serez courbés. Mais quest-ce que être courbé? cest ne pouvoir se relever. Telle était cette femme que le Seigneur trouva courbée depuis dix-huit ans; se relever lui était impossible 3. Tels sont encore ceux qui ont le coeur baissé jusquà terre. Puisque cette femme a trouvé le Seigneur qui la guérie, quelle entende cette parole: Les coeurs en haut. Elle gémit néanmoins de se sentir courbée. Il est courbé aussi celui qui dit: « Le corps qui se corrompt appesantit lâme, et cette habitation terrestre abat lesprit capable des plus hautes pensées 4». Quil gémisse dans ces maux, afin den être guéri; quil se souvienne du sabbat, afin darriver au véritable sabbat. Car cette fête des Juifs était une figure. Figure de quoi ? de ce que rappelle à son souvenir celui qui dit: « Je suis devenu misérable et courbé jusquà la fin ». Quest-ce à dire: «Jusquà la fin ? » jusquà la mort. « Tout le jour, je marchais dans ma douleur». « Tout le jour», sans interruption. Tout le jour, dit-il, pour dire toute sa vie. Mais, depuis quand a-t-il connu sa misère? depuis quil sest souvenu du sabbat. Voulez-vous quil ne soit point contristé quand il se souvient de ce quil na pas? « Tout le jour donc je marchais dans ma douleur ».
1. Cant. I, 3, 2. Ps. XXXVII, 7. 3.Luc, XIII, 11. 4. Sag. IX, 15.
398 11. « Parce que mon âme est pleine dillusions , et ma chair nest point saine 1 ». Lhomme dans son intégrité comprend lâme et le corps. Lâme est remplie dillusions, la chair nest point saine; quel sujet de joie lui reste-t-il? Nest-il pas nécessairement dans la tristesse ?Tout le jour je marche dans la douleur. Soyons donc tristes jusquà ce que notre âme soit délivrée de ses illusions, et notre corps revêtu de santé. Car la santé dans la plénitude sera limmortalité. Quelles illusions dans votre âme ! et, si jentreprenais de les exposer, quand aurais-je fini? Quelle âme ne les endure point? Je dirai en un mot que notre âme est pleine dillusions, et que ces illusions nous permettent souvent à peine de prier. Nous ne pouvons penser aux objets corporels quau moyen des images; et souvent il nous vient en foule de ces images que nous ne cherchons point, et nous voulons aller de lune à lautre, voltiger de celle-ci à celle-là: et souvent tu voudrais revenir à ta pensée première, chasser celle qui toccupe, quand une nouvelle arrive; tu cherches à rappeler ce que tu oubliais, sans quil te revienne à lesprit, et il te vient plutôt ce que tu ne voulais pas. Où était ce que tu avais oublié? Comment est-il revenu en ta mémoire, quand tu ne le cherchais point? quand tu le cherchais, tu nas rencontré que mille objets que tu ne cherchais point. Je ne vous dis cela quen un mot, mes frères; cest je ne sais quelle semence légère que je répands, afin quen la méditant en vous-mêmes, vous sachiez ce que lon appelle pleurer les illusions de notre âme. Elle a donc été la proie de ces illusions, elle a perdu la vérité. De même que lillusion est pour lâme un supplice, ainsi la vérité est une joie. Mais comme nous gémissions sous le poids de ces futilités, la vérité nous est venue, nous a trouvés affublés dillusions, et a pris notre chair, ou plutôt la prise de nous, cest-à-dire du genre humain. Elle sest montrée aux yeux de notre chair, afin de guérir par la foi ceux à qui elle devait enseigner la vérité, afin que loeil devenu sain pût voir cette vérité. Car le Christ est lui-même la vérité quil nous a promise, alors que sa chair était visible, afin de nous initier à la foi dont la vérité est la récompense. Car le Christ ne sest point montré lui-même sur la terre, il na montré que sa chair.
1. Ps. XXXVII, 8.
Sil se fût en effet montré lui-même, les Juifs lauraient vu et lauraient connu ; mais sils leussent connu, ils neussent jamais crucifié le Seigneur de la gloire 1. Peut-être les disciples le virent-ils quand ils dirent: « Montrez-nous le Père et cela nous suffit 2».Mais lui, pour leur montrer quils ne lavaient point vu encore, ajouta: « Il y a si longtemps que je suis avec vous, et vous ne me connaissez point encore? Philippe, celui qui me voit, voit aussi mon Père 3».Si donc ils voyaient le Christ, comment voulaient-ils voir son Père, puisque voir le Christ, cétait voir le Père? Donc ils ne voyaient point le Christ, puisquils demandaient quon leur montrât le Père. Comprenez encore quils ne lavaient point vu; il leur en fit la promesse comme récompense, en disant: « Celui qui maime garde mes commandements; et celui qui maime sera aimé de mon Père, et moi aussi je laimerai 4 ». Et comme si quelquun lui eût demandé: Que lui donnerez-vous pour gage de votre amour? « Je me montrerai à lui », répond-il. Si donc il promet pour récompense à ceux qui laiment de se montrer à eux, il est clair quil nous promet de la vérité une vue telle que, après en avoir joui, nous ne disions plus: « Mon âme est en proie aux illusions ». 12. « Jai été affaibli et humilié à lexcès 5 ». Le souvenir de cette hauteur du sabbat lui fait comprendre son humiliation. Celui en effet qui ne peut comprendre léminence de ce repos, ne peut voir où il est maintenant. Aussi est-il écrit dans un autre psaume: «Jai dit dans mon extase : Me voilà rejeté loin de vos 6». Dans le ravissement de son âme, il a vu en effet je ne sais quoi de sublime, et il nétait point tout entier où il contemplait cette vision; mais un éclair de la lumière éternelle, pour ainsi dire, lui a fait comprendre quil nétait point dans les régions quil voyait, et fait voir le lieu où il était; alors, comme affaibli et resserré par les misères de lhumanité, il sest écrié : « Jai dit dans mon extase: Me voilà repoussé loin de vos regards. Ce que jai vu dans mon extase ma fait comprendre combien je suis éloigné de ce lieu où je ne suis point encore. Cest là quétait déjà celui qui raconte quil fut élevé jusquau troisième ciel, et quil entendait là des paroles
1. I Cor, II, 8. 2. Jean, XIV, 8. 3. Id. 9. 4. Id. 21. 5. Ps. XXXVII, 9. 6. Id. XXX, 23.
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ineffables que lhomme ne saurait redire. Mais il fut rappelé sur notre terre afin dy gémir, dy trouver la perfection dans sa faiblesse et dêtre ensuite revêtu de force; encouragé toutefois tans lexercice de son ministère par la vue de ces merveilles, il ajoute : « Jai entendu des paroles ineffables quil nest pas permis à lhomme de redire 1 ». A quoi bon maintenant me demander, ou à tout autre, ce que homme ne saurait dire; sil ne put le répéter lui qui avait bien pu lentendre? Pleurons toutefois et gémissons en confessant notre misère : reconnaissons où nous sommes, rappelons-nous le sabbat et attendons avec patience ce que nous a promis celui qui nous a donné en lui-même un modèle de patience. « Jai été affaibli et humilié à lexcès ». 13. «Je rugissais dans les frémissements de mon coeur 2».Vous remarquez souvent que les serviteurs de Dieu pleurent et gémissent; vous en demandez la cause, et il napparaît au dehors que le gémissement de quelques serviteurs de Dieu, si toutefois il arrive aux oreilles de son voisin. Car il y a un gémissement secret que les hommes nentendent pas; et toutefois, si le coeur est en proie à quelque pensée ou quelque violent désir, jusquà trahir par quelque cri extérieur la blessure de lhomme intérieur, on en demande la cause; et lhomme se dit en lui-même : Peutêtre est-ce pour tel sujet quil gémit, peut-être lui a-t-on fait tel mal. Mais qui peut comprendre la raison de ses soupirs, sinon lhomme qui les entend ou qui les voit? si dit-il : « Je rugissais dans le gémissement de mon cur »; parce que les hommes entendent les gémissements dun autre homme, nentendent souvent que les gémissements de la chair, et non le rugissement du coeur. Tel, que je ne connais point, a ravi à un autre son bien; celui-ci gémit, mais non dans son coeur; celui-là gémit, parce quil a perdu un fils, cet autre une épouse; tel, parce la grêle a ravagé sa vigne; tel, parce que son vin sest aigri; tel, parce quon lui a volé un cheval; tel, parce quil a subi quelque perte; tel, parce quil craint un ennemi; tous ceux-là gémissent, mais dans le rugissement la chair. Quant au serviteur de Dieu, qui rugit en se souvenant du sabbat, lequel est règne de Dieu, et que ne posséderont ni le
1. I Cor, XI, 2-10. 2. Ps. XXXVII, 9.
sang ni la chair 1, il peut dire: « Je rugissais dans les frémissements de mon cur ». 14. Et comme Dieu connaît la cause de ses rugissements, il ajoute aussitôt : « Tous mes désirs sont devant vous 2 ». Non pas devant les hommes qui ne sauraient voir le coeur; mais cest « sous vos yeux que sont mes désirs ». Que vos désirs soient donc devant lui; « et mon Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ». Car ton désir, cest ta prière; et si ton désir est continuel, ta prière est continuelle. Aussi nest-ce pas en vain que lApôtre a dit : « Priez sans relâche 4 ». Aurons-nous donc toujours les genoux en terre, le corps prosterné , les mains élevées, pour quil nous dise : « Priez sans cesse? » Si nous appelons cela prier, je ne crois pas que nous puissions le faire sans interruption. Mais il est dans lâme une autre prière incessante, qui est le désir. Quoi que vous fassiez, vous ne cessez point de prier, si vous désirez le repos du ciel. Si donc tu ne veux pas interrompre ta prière, ninterromps pas ton désir. Un désir incessant est une voix continuelle. Te taire, ce serait ne plus aimer, Qui donc se sont tus? Ceux dont il est dit: « Et comme liniquité se multiplie, la charité se refroidit chez plusieurs 5 ». Le refroidissement de la charité, cest le silence du coeur; la flamme de la charité au contraire est le cri du coeur. Si la charité demeure fervente, tu cries toujours; si tu cries toujours, tu désires toujours; si tu désires, tu te souviens du sabbat; et lu dois alors comprendre quel est le témoin de tes désirs. Maintenant, considère quel désir tu dois mettre sous les yeux de Dieu. Est-ce la mort dun ennemi, dont le souhait paraît juste aux hommes? Car souvent nous demandons ce que nous ne devons pas. Voyons ce que les hommes croient souhaiter avec justice. Souvent ils demandent la mort dun autre pour entrer dans son héritage. Que ceux-là toutefois qui demandent la mort dun ennemi, écoutent ce que dit le Seigneur: Priez pour vos ennemis6. Quils nosent donc point demander la mort dun ennemi; quils en demandent plutôt la conversion, et lennemi sera vraiment mort, puisque converti, il ne sera plus un ennemi. « Tous mes désirs sont devant vous ». Mais quarriverait-il si le désir était devant Dieu, et que les gémissements
1. I Cor, XV, 50. 2. Ps. XXXVII, 10. 3.Matt. VI, 6. 4. I Thess. V,17. 5. Matt. XXIV, 12. 6. Id. V, 44; Luc, VI, 27.
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ny soient point ? Et comment pourrait-il en être ainsi, quand le gémissement est la voix du désir? Aussi est-il dit: « Et mon gémissement ne vous est point inconnu ». Il nest point caché pour vous, quoiquil le soit pour beaucoup dhommes. On voit quelquefois un humble serviteur de Dieu, qui lui dit: « Mon gémissement ne vous est pas inconnu », et quelquefois on voit rire ce même serviteur de Dieu; est-ce que le désir est mort dans son coeur? Si ce désir y est toujours, il y a donc aussi un gémissement. Bien quil narrive pas toujours à loreille des hommes, il ne cesse pas néanmoins dêtre dans loreille de Dieu. 15. « Mon coeur sest troublé 1 »; pourquoi sest-il troublé? « Et ma force ma trahi ». Souvent je ne sais quoi de soudain vient troubler le coeur : que la terre vienne à trembler, que le tonnerre gronde au ciel, quil se fasse un mouvement impétueux, un bruit insolite, que lon rencontre un lion, alors on se trouble; que des voleurs soient en embuscade, le coeur se trouble, il craint, il est de toutes parts dans langoisse. Pourquoi? « Parce que ma force ma trahi ». Si cette même force me soutenait, quaurais-je à craindre? Nulle nouvelle, nul frémissement, nul fracas, nulle chute, rien de ce qui est horrible ne pourrait nous effrayer. Doù vient alors ce trouble? « De ce que ma force ma trahi ». Et doù vient cette trahison de mes forces? De ce que « la lumière de mes yeux nest point avec moi ». Adam navait donc plus déjà cette lumière de ses yeux : car cette lumière, cétait Dieu; et après lavoir offensé, Adam senfuit vers les ombrages et se cacha dans les arbres du paradis 2. Il redoutait la présence du Seigneur, et il cherchait lombre des grands arbres. Déjà dans ces arbres il navait plus cette lumière de ses yeux qui avait fait sa joie jusqualors. Si donc Adam fut coupable dès lorigine, nous le sommes par naissance; or, ces membres divers viennent se réunir au second ou nouvel Adam, car le nouvel Adam est rempli de lesprit qui vivifie 3; et devenus membres de son corps, ils crient en faisant cet aveu: « La lumière de mes yeux nest plus en moi »; et déjà, si lhomme est racheté par cet aveu, sil est incorporé au Christ, la lumière de ses yeux nest-elle donc point avec lui? Non, elle nest plus en lui : il peut lentrevoir encore,
1. Ps. XXXVII, 13 2. Gen III, 8 3. I Cor XV, 45
comme ceux qui se souviennent du sabbat, comme ceux qui regardent par lespérance; mais elle nest point pour eux cette vision dont il est dit: « Je me montrerai à lui 1». Il y a bien là quelque lumière, parce que nous sommes enfants de Dieu et que la foi nous y fait croire; mais ce nest pas encore cette lumière que nous verrons: « Ce que nous serons un jour ne paraît point encore : nous savons que, quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, et nous le verrons tel quil est 2». Car à présent la lumière de la foi est la lumière de lespérance. « Tant que nous sommes dans ce corps, en effet, nous marchons en dehors du Seigneur : car nous nallons à lui que par la foi, sans le voir tu découvert 3». Et tant que nous ne voyons pas ce que nous espérons, nous lattendons « par la patience 4 ». Ce sont là des paroles dexilés, et non pas dhommes établis dans la patrie. Cest donc avec raison, cest avec vérité, et sil nuse point de déguisement cest avec sincérité quil fait cet aveu: «Lumière de mes yeux nest point avec moi ». Voilà ce que souffre lhomme dans son âme, en lui-même, avec lui-même; ce quil souffre de sa part, ce que nul ne lui fait endurer, si ce nest lui-même : telle est la peine quil sest attirée, et que nous avons définie tout à lheure. 16. Mais est-ce là tout ce que lhomme endure? Au dedans de lui-même il souffre de ses propres misères, et à lextérieur, il souffre de tout ce que lui font endurer ceux au milieu desquels il vit; il souffre donc ses maux particuliers, il est forcé de souffrir de la part des autres. Delà ces deux cris du Prophète : « Purifiez-moi de mes fautes cachées, et détournez de votre serviteur les fautes des autres 5 ». Déjà il a confessé les fautes qui lui sont propres et dont il voudrait être purifié : quil parle des péchés des autres dont il prie Dieu de léloigner. « Mes amis »; que dirai-je alors des ennemis? « Mes amis et mes proches se sont placés debout en face de moi »s. Comprenez bien cette expression: « Ils se sont élevés debout en face de mois, car ils se sont élevés contre moi, et sont tombés contre eux-mêmes. « Mes amis et mes proches se sont élevés et placés en face de moi ». Ecoutons ici la voix du chef, et voyons
1. Jean, XIV, 21. 2. I Jean, III, 2. 3. II Cor. V, 6,7 4. Rom. VIII, 25. 5. Ps. XVIII, 13, 14. 6. Ps. XXXVII, 12.
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paraître notre chef dans sa passion. Mais encore une fois, quand cest la tête qui parle, nen séparez point les membrés. Si le chef na point voulu séparer sa voix de celle du corps, le corps oserait-il bien se séparer des douleurs du chef ? Souffrez donc dans le Christ, puisque le Christ a pour ainsi dire péché dans votre faiblesse. Il parlait naguère de vos péchés, et il en parlait comme sils eussent été les siens. Il disait en effet: « A la vue de mes péchés », comme sils eussent été les siens. De même donc quil a voulu que nos péchés fussent les siens, parce que nous sommes ses membres, faisons de ses souffrances les nôtres, parce quil est notre chef. Ce nest point pour que nous soyons traités autrement que ses amis sont devenus ses ennemis. Préparons-nous, au contraire, à prendre le même breuvage; ne rejetons point son calice, afin de mériter, par son humilité, de soupirer après sa grandeur. Telle fut, en effet, sa réponse à ceux qui voulaient partager sa grandeur, et qui nenvisageaient point son humilité quand il leur dit: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 1? » Donc les douleurs de notre Maître sont aussi nos douleurs; et quand chacun de nous aura servi Dieu fidèlement, gardé la bonne foi, payé ses dettes, accompli la justice envers les hommes, je voudrais bien voir sil naura point à souffrir ce que Jésus-Christ nous dit de sa passion. 17. « Mes amis et mes proches se sont tenus tout près contre moi debout; dautres proches se sont éloignés 2». Quels sont ces proches, dont les uns se sont rapprochés, dont les autres se sont éloignés? Les Juifs étaient proches pour le Sauveur, puisquils lui étaient unis par le sang; ils sen approchèrent et le crucifièrent. Les Apôtres étaient des proies; mais eux se tinrent dans léloignement, de peur de souffrir avec lui. On pourrait encore donner cette interprétation: « Mes amis», ou ceux qui ont feint de lêtre. Car ils feignirent dêtre ses amis, en disant: « Nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité 3 » ; alors quils voulaient le nier au sujet du tribut à payer à César, et quil les confondit par leur propre langage, ils voulaient paraître ses amis. Mais il navait pas besoin alors quon rendît témoignage aucun homme 4, puisquil savait ce qui était dans lhomme; aussi répondit-il, en entendant
1. Matt, XX, 22. 2. Ps. XXXVII, 13. 3.Matt. XXII, 16. 4. Jean, II, 25
ces paroles : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous 1? » Donc, « mes amis et mes proches sont venus près de moi, en face et debout; dautres proches se sont éloignés ». Vous comprenez mon explication. Jai appelé ses proches ceux qui sapprochèrent de lui et néanmoins sen éloignèrent de cur. Comment être plus près de corps que ceux qui élevèrent Jésus sur la croix? Comment sen éloigner de coeur plus que ceux qui le blasphémaient? Isaïe a parlé de cet éloignement; voyez en effet ce quil dit de ceux qui sont proches et de ceux qui sont éloignés: « Ce peuple mhonore des lèvres » ; voilà un rapprochement corporel: « mais leur coeur est loin de moi 2 ». Ceux qui sont proches sont en même temps éloignés, proches des lèvres, éloignés de coeur. Toutefois, comme la crainte retint les Apôtres dans léloignement, on peut dune manière plus nette et plus claire entendre des uns, quils sapprochèrent, des autres, quils séloignèrent: surtout que saint Pierre, qui lavait suivi plus hardiment, en était encore loin, et quinterrogé il se troubla et renia ce Maître avec lequel il avait juré de mourir 3. Mais afin que de son éloignement il vînt à se rapprocher, il entendit après la résurrection: « Maimez-vous? » et il répondit: « Je vous aime 4 ». Et cette affirmation rapprochait celui que son reniement avait éloigné; ainsi une triple protestation damour effaça son triple renoncement. « Et mes proches se tenaient loin de moi ». 18. « Ils emploient la violence, ceux qui en veulent à mon âme 5». Il est facile de connaître ceux qui en veulent à son âme; car ils navaient point cette âme ceux qui ne faisaient point partie de son corps. Ceux qui cherchaient cette âme en étaient éloignés; et la cherchaient pour la tuer. Car on peut rechercher son âme pour un bon motif; puisque, dans un autre endroit, il nous fait ce reproche: « Il ny a personne pour rechercher mon âme 6 ».Il se plaint donc aux uns de ce quils né recherchent point son âme, et aux autres, de ce quils la recherchent. Quel est celui qui recherché son âme dans une intention pure? Celui qui limite dans ses souffrances. Quels sont ceux qui la recherchaient dans une intention perverse? Ceux qui lui faisaient violence et qui le crucifiaient.
1. Matt. XXII, 18. 2. Isa. XXIX, 13. 3. Matt. XXVI, 70. 4. Jean, XXI, 27. 5. Ps. XXXVII, 13. 6. Id. CXLI, 5.
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19. Voici la suite: « Ceux qui cherchaient le mal en moi ont parlé vainement ». Que signifie : « Ceux qui cherchaient le mal en moi? » Ils cherchaient beaucoup et ne trouvaient rien. Peut-être veut-il dire : Ils me cherchaient des crimes; car ils cherchèrent de quoi laccuser, « sans rien trouver 1».Ils cherchaient le mal chez lhomme de bien, le crime chez linnocent; et queussent-ils trouvé chez celui qui navait aucune faute? Mais comme ils cherchaient des fautes chez lhomme qui nen avait commis aucune, ils navaient plus de ressource quà feindre ce quils ne trouvaient point. Cest pourquoi, « ceux qui cherchaient le mal en moi, tenaient le langage de la vanité », non de la vérité; « et tout le jour ils tramaient la fraude » ; cest-à-dire, ils sétudiaient sans cesse au mensonge. Vous connaissez tous les faux témoignages quils ont apportés contre le Sauveur, même après sa résurrection. En effet, pour ces soldats du sépulcre, dont Isaïe avait dit: « Je mettrai les méchants près de son tombeau 2 » (cétaient bien des méchants, puisquils ne voulurent point déclarer la vérité, et quils se laissèrent corrompre, pour semer le mensonge), voyez quelle fut lineptie de leur langage. On les interroge, et les voilà qui répondent: « Lorsque nous étions endormis, ses disciples sont venus et lont enlevé 3 ». Quelle vanité de langage ! Sils dormaient, comment savaient-ils ce qui sétait passé? 20. « Pour moi », dit le Prophète, « je suis comme un sourd qui nentend rien ». Car il ne répondait pas plus à ce quon lui objectait que sil neût point entendu. « Non plus quun sourd, je nentendais pas; et nouvrais ma bouche non plus quun muet ». Puis il répète sous une autre forme : «Je suis comme un homme qui nentend point et qui na nulle réponse à la bouche 4 » ; comme sil navait rien à leur dire, aucune réplique pour les confondre. Mais ne leur avait-il pas fait déjà beaucoup de reproches, tenu bien des discours, et dit : « Malheur à vous, Scribes et Pharisiens hypocrites 5 », et autres choses semblables? Pourtant, dans la passion, il ne dit rien de tout cela, non quil neût rien à dire, mais il attendait que tout fût achevé, et que saccomplît tout ce
1. Matt. XXVI , 59. 2. Isa. LIII, 9. 3. Matt. XXVIII, 13. 4. Ps. XXXVII, 14, 15. 5. Matt XXIII, 13.
qui était prédit à son sujet, lui dont il est écrit : « Comme une brebis devant celui qui la tond, il est sans voix et nouvre pas la bouche 1». Il devait donc se taire dans sa passion, celui qui ne se taira point au jugement. Il était venu pour être jugé, lui qui viendra plus tard pour juger; et pour juger avec une puissance dautant plus grande quil sest laissé juger avec plus dhumilité. 21. « Parce que jai espéré en vous, Seigneur, vous mexaucerez, Seigneur mon Dieu 2 ». Comme si on lui demandait: Pourquoi navez-vous point ouvert la bouche? pourquoi navez-vous point dit : Epargnez-moi? Pourquoi sur la croix navez-vous point confondu les impies? Voilà quil poursuit en disant : « Parce que jai espéré en vous, Seigneur, vous mexaucerez, Seigneur mon Dieu ». Il te montre ce quil faut faire quand viendra la tribulation, Tu cherche parfois à te justifier, et nul nentend ta défense. Alors survient le trouble, comme ta cause était perdue, parce que nul ne vient te défendre ou te rendre témoignage. Mais garde linnocence dans ton coeur, où nul ne peut opprimer la justice de ta cause. Si le faux témoignage a prévalu contre toi, ce nest que devant les hommes; mais prévaudra-t-il devant Dieu, qui sera le juge de ta cause? Et au jugement de Dieu il ny aura dautre juge que ta conscience. Entre un juge qui est juste et la conscience, ne crains rien que ta cause : si tu nas point une mauvaise causa, tu nauras ni accusateur à craindre, ni faux témoin à repousser, ni témoin véridique à rechercher. Apporte seulement une bonne conscience, afin de pouvoir dire: « Parce que jai espéré en vous, Seigneur, vous mexaucerez, Seigneur mon Dieu. » 22. « Je disais : Ne permettez plus que mes ennemis minsultent, eux qui ont fait éditer leur insolence quand mes pieds étaient chancelants 3 ». Il revient à sa faiblesse corporelle, et ce chef a égard à ses pieds. La gloire du ciel ne lui fait point négliger ce quil a sur la terre , il nous regarde, il nous voit. Quelquefois, dans cette vie fragile, nos pieds sont ébranlés, ils tombent dans quelque faute; alors sélèvent contre nous les langue perverses de nos ennemis. Cest en ce casque nous comprenons ce quils méditaient duos leur silence. ils parlent avec aigreur et
1. Isa. LVIII, 7. 2. Ps. XXXVII, 16. 3. Id. XXXVII, 17.
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cruauté, ils se font une joie davoir trouvé ce qui devrait les affliger. « Et jai dit : Que mes ennemis ne minsultent plus à lavenir ». Voilà ce que jai dit; et néanmoins, pour que je me corrigeasse sans doute, vous les avez, fait parler avec insolence contre moi, ô mon Dieu, « pendant que mes pieds chancelaient»; cest-à-dire, ils se sont élevés, et ont mal parlé quand jétais ébranlé. Ils auraient du avoir pitié du faible, sans linsulter, selon cette parole de lApôtre : « Mes frères, si quelquun est tombé par surprise dans quelque crime, vous autres, qui êtes spirituels, relevez-de dans un esprit de douceur ». Et il en ajoute cette raison: « Chacun craignant dêtre tenté à son tour 1».Tels nétaient point ceux dont il est dit: « Quand mes pieds chancelaient, ils parlaient de moi avec arrogance»; mais ils ressemblaient à ceux dont il est dit ailleurs: « Ceux qui me persécutent, seront comblés de joie si je viens à faiblir 2 ». 23. « Je suis préparé au châtiment 3». Admirables paroles du Prophète , comme sil lisait: Je suis né pour endurer les châtiments. Car il ne pouvait naître que dAdam à qui la peine est due. Mais souvent en cette vie les méchants échappent à la peine, ou nen souffrent que de légères, parce que leur conversion noffre aucun espoir. Or, il est nécessaire quils passent par le châtiment, ceux à qui Dieu prépare la vie éternelle; car elle est vraie, cette parole: « Mon fils, ne taigris point sous le fouet du Seigneur, ne te fatigue point quand il te châtie: car le Seigneur châtie celui quil aime, il corrige celui quil reçoit au nombre de ses enfants 4 ». Que mes ennemis donc ne minsultent plus, quils ne se répandent point en outrages; et si on Père me châtie, « je suis préparé au châtiment » ; parce quil me prépare un héritage. Si tu veux échapper au fouet du Seigneur, lhéritage ne sera point pour toi. Tout fils doit passer par le châtiment : et cest tellement sans exception, que celui-là même qui savait point de péché 5, na pas été épargné 6. « Je suis donc préparé au châtiment ». 24. « Et ma douleur est toujours présente à mes yeux 7 ». Quelle douleur ? Peut-être celle du châtiment? Il est vrai, mes frères, et le dis en vérité, les hommes saffligent des châtiments, et non de ce qui amène les châtiments.
1. Gal. VI,1. 2. Ps. XII, 5. 3. Id. XXXVII, 18. 4. Prov. III, 11, 12. 5. I Pier. II, 22. 6. Rom. VIII, 32. 7. Ps. XXXVII, 18.
Il nen est pas ainsi de celui qui parle. Ecoutez, mes frères: quun homme, le premier venu, essuie une perte, il est plutôt prêt à dire : Je ne mérite point cette perte, quà considérer pourquoi elle lui arrive; il pleure une perte dargent et non la perte de la justice. Si tu as péché, pleure ton trésor intérieur ; tu nas rien peut-être en ta maison, et ton coeur est encore plus vide; mais si ton coeur est plein de Dieu qui est son bien, pourquoi ne pas dire: « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté, comme il a plu au Seigneur ainsi il a été fait, que le nom du Seigneur soit béni 1?» Doù vient donc la plainte de linterlocuteur? Du châtiment quil endurait? Point du tout. « Ma douleurs, dit-il, est toujours devant mes yeux ». Et comme si nous lui disions Quelle douleur? doù vient-elle? « Cest », dit-il, « que je publierai mon iniquité, et je prendrai soin de mon péché 2 ». Voilà doù vient sa douleur ; elle ne vient pas du châtiment; elle vient de la plaie et non du remède. Car le châtiment est comme un remède pour le péché. Ecoutez, mes frères : nous sommes chrétiens ; et néanmoins quun dentre nous vienne à perdre son fils, il le pleure; que ce fils devienne pécheur, il ne le pleure pas. Cest en le voyant tomber dans le péché quil devrait pleurer et gémir ; cest alors quil faudrait le refréner, lui donner une règle de conduite, le châtier. Sil la fait sans être écouté, cest alors quil fallait pleurer ; car, vivre dans la luxure est une mort plus funeste que ce trépas qui met fin à la luxure; vivre ainsi, chez vous, cétait non-seulement la mort, mais la puanteur. Voilà les maux quil faut pleurer; les autres, il faut les supporter ; endurons ceux-ci, mais déplorons les premiers. Il faut les déplorer comme vous lentendez faire au Prophète: « Voilà que jannonce mon iniquité, je prendrai soin de mon péché ». Ne te crois pas en sûreté parce que tu as confessé ta faute, comme celui qui la confesse et qui est prêt à la commettre encore. Mais publie ton iniquité de telle sorte que tu penses avec soin à ton péché. Quest-ce à dire, prendre soin de son péché? Prendre soin de sa blessure. Si tu disais: Jaurai soin de ma blessure, que devrait-on comprendre, sinon : Je mettrai mes soins à me guérir ? Tel est le soin à prendre de son péché, cest une application continuelle, un effort incessant, une diligence soutenue à
1. Job, I, 21. 2. Ps. XXXVII, 19.
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tout faire pour guérir notre péché. Voilà que chaque jour tu pleures ton péché, mais peut-être que tes larmes coulent sans que la main agisse. Fais des aumônes, afin que tes péchés soient rachetés, que tes dons réjouissent lindigent, afin que tu aies à te réjouir du don de Dieu. Lindigent a besoin, et tu as besoin; il a besoin de toi, et toi de Dieu. Tu méprises le pauvre qui a besoin de toi, et Dieu ne te méprise pas, toi qui as besoin de lui? Comble donc lindigence du pauvre, afin que Dieu comble ton âme. Cest dire: « Je prendrai soin de mon péché », je ferai tout ce quil faut faire pour effacer mon péché, le guérir complètement. « Je prendrai soin de mon péché ». 25. « Quant à mes ennemis, ils vivent 1 ». Ils ont le bonheur, ils jouissent des félicités du siècle où jendure la fatigue, et je rugis dans les gémissements de mon coeur. Comment vivent les ennemis de celui qui disait deux tout à lheure: « Quils ont dit des paroles vaines? » Ecoute ce qui est dit dans un autre psaume : « Leurs fils sont comme de nouvelles plantations »; et plus haut: « Leur bouche porte le mensonge, leurs filles sont parées comme les autels dun temple; leurs greniers sont pleins, ils regorgent de çà et de là; leurs boeufs sont gras, des brebis fécondes se multiplient dans leurs étables; on ne voit point leurs haies en ruine, on nentend point de cris dans leurs places publiques ». Donc, mes ennemis vivent: telle est la vie quils mènent, la vie quils chantent, la vie quils aiment, la vie quils possèdent pour leur malheur. Quajoute en effet le Prophète? « Ils ont appelé heureux le peuple qui a de tels biens ». Quen dis-tu, toi qui as soin de ton péché ? Quel est ton langage, ô toi qui accuses ton iniquité? « Bienheureux le peuple qui a le Seigneur pour son Dieu. Mes ennemis vivent; ils prévalent sur moi; ils se multiplient ceux qui une haïssent injustement 2».Que veut dire: Ils me haïssent injustement? Ils haïssent celui qui leur veut du bien. Rendre le mal pour le mal, ce nest pas être bon; ne pas rendre le bien pour le bien, cest de lingratitude; mais rendre le mal pour le bien, cest là haïr injustement. Ainsi firent les Juifs : le Christ est venu chez eux avec des biens, et pour ces biens ils lui ont rendu le mal. Craignons, mes frères,
1. Ps. XXXVII, 20. 2. Id. CXLIII, 12-15.
une faute semblable : il est si facile dy tomber. Mais quand nous disons: Tels furent les Juifs, que chacun de nous se garde bien de se croire excepté. Que lun de vos frères vous réprime pour votre bien, vous tombez dans cette faute, si vous le haïssez. Et voyez comme elle est facile, comme elle est bientôt commise; évitez un si grand malheur, un péché si facile. 26. « Ceux qui me rendent le mal pour le bien, me déchirent parce que je poursuis la justice 1».Cest là le motif du bien pour le mal. Que signifie: « Je poursuis la justice ? » Je ne labandonne point. Ne prenons pas toujours la persécution en mauvaise part; poursuivre, signifie suivre parfaitement: « Parce que jai poursuivi la justice». Ecoute le langage de notre chef qui gémit dans sa passion: « Ils mont rejeté, moi le bien-aimé, comme un mort en abomination. Etait-ce peu dêtre mort? pourquoi en abomination? Parce quil a été crucifié. Car cette mort sur la croix était une grande abomination pour ceux qui ne comprenaient pas que cette parole: « Maudit lhomme qui pend au bois 2», était une prophétie. Le Christ na point apporté la mort ici-bas, il ly a trouvée comme le fruit maudit du premier homme 3; et, se revêtant de cette mort qui était la nôtre et qui nous venait du péché, il la suspendue au bois. Dès lors, afin que lon ne crût pas, comme certains hérétiques 4 lont fait, que Notre-Seigneur Jésus-Christ navait quune chair apparente, et quil navait point subi la mort sur la croix, le prophète sécrie: « Maudit tout homme qui pend au bois ». Il nous montre que le Fils de Dieu a souffert une véritable mort, celle qui était due à notre chair mortelle: il craint que, sil nest maudit, tu ne le croies pas mort. Comme donc cette mort nétait feinte, mais descendait par la filiation de cet Adam maudit daprès cet arrêt de Dieu: Tu mourras de mort 5; et, comme Jésus devait subir un véritable trépas, afin quil donnât ainsi une vie véritable, voilà quil est lui-même atteint par la malédiction de la mort, pour nous mériter la bénédiction de la vie. « Ils mont rejeté , moi le bien-aimé comme un mort en abominations. » 27. « Ne mabandonnez pas, Seigneur Dieu, ne vous éloignez pas de moi 6 ».
1. Ps. XXXVII, 21. 2. Deut. XXX, 23. 3. Gal, III, 10. 4. Manichéens. 5. Gen. II, 17. 6. Ps. XXXVII, 22.
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Disons ces paroles en lui-même, disons-les par lui; car il intercède pour nous 1; disons : « Ne mabandonnez pas, Seigneur mon Dieu». Il avait dit pourtant : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 2? » Et voilà quil dit : « O Dieu, ne vous éloignez pas de moi ». Si Dieu ne sest point retiré du corps, sest-il donc retiré du chef ? De qui est donc cette prière, sinon du premier homme? Or, pour nous montrer quil a tiré dAdam une véritable chair, il sécrie : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné? » Car Dieu ne lavait point délaissé. Sil ne tabandonne point pourvu que tu croies en lui, ce seul Dieu Père, Fils et Saint-Esprit pourrait-il abandonner le Christ? Mais alors, il avait personnifié en lui-même le premier homme. Nous savons, daprès lApôtre, « que notre vieil homme a été cloué à la croix avec lui 3»; et nous naurions pu nous dépouiller de cette vétusté, si le Christ neût été crucifié en sa faiblesse. Car il est venu sur la terre pour nous renouveler en lui; et le désir de le posséder, limitation de ses douleurs nous font entrer dans ce renouvellement. Donc, la voix de son infirmité était notre voix disait : « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné? » De là encore cette autre parole : « Le rugissement de mes péchés 4 ». Comme sil disait : Cest au nom du pécheur que je vous tiens ce langage: « Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ». 28. « Seigneur, Dieu de mon salut, soyez attentif à me secourir 5 ». Ce salut, mes frères, est celui dont se sont enquis les prophètes, au dire de saint Pierre, et que nont point reçu
1. Rom. VIII, 34. 2. Matt. XXVII, 46 ; Ps. XXI, 2. 3. Rom. VI. 4. Ps. XXI, 2. 5. Id. XXXVII, 23.
ceux qui le recherchaient; mais ils lont recherché et lont annoncé, et nous sommes venus, nous qui avons trouvé ce quils désiraient de pénétrer. Et voilà que nous-mêmes ne lavons pas reçu encore; dautres viendront après nous et le trouveront de même sans le recevoir; puis ils passeront, afin que tous, à la fin du jour, nous recevions le denier du salut avec les patriarches, les prophètes et les apôtres. Vous connaissez ces mercenaires ou ces ouvriers que le père de famille envoya dans sa vigne à des heures différentes, et qui reçurent néanmoins une même récompense1. Ainsi les Prophètes et les Apôtres, et les martyrs et nous, et ceux qui viendront après nous jusquà la consommation des siècles, nous recevrons alors le salut éternel, afin que, contemplant la gloire de Dieu, et le voyant face à face, nous le bénissions dans léternité sans défaillance, sans la peine cuisante de liniquité, sans aucune altération du péché; nous bénirons Dieu sans soupirer davantage, nous attachant à celui après lequel nous avons soupiré jusquà la fin, et dont lespérance faisait notre joie. Nous serons alors dans la cité bienheureuse où Dieu sera notre bien, Dieu sera notre lumière, Dieu sera notre nourriture, Dieu sera notre vie. Tout ce qui est notre bien, pendant que nous travaillons dans notre exil, nous le trouverons en Dieu. En lui sera ce repos dont nous ne pouvons nous souvenir quavec douleur. Car il nous rappelle ce sabbat dont le souvenir a inspiré tant de paroles, dont nous devons tant parler encore, que notre coeur, sinon notre bouche, doit chanter toujours; car le silence de la bouche nétouffe point les cris du coeur.
1. Matt. XX, 9.
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