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DISCOURS SUR LE PSAUME XL
SERMON AU PEUPLE POUR UNE FÊTE DE MARTYRS.
LE CHRIST DANS LES MARTYRS
Les Juifs ont crucifié Jésus afin dempêcher que lon crût à lui, et sa mort a répandu son nom dans toute la terre; le sang des martyrs a multiplié les chrétiens. Le salut pour nous est de comprendre pourquoi Jésus sest anéanti jusquà mourir; celui qui le comprend ne sera point livré à lennemi qui est le diable, lion quand il persécute les martyrs, serpent quand il séduit par lhérésie. Dieu vient à notre secours, empoisonne nos plaisirs, nous fait aimer ce qui est aimable, et guérit notre âme qui a péché. Nos ennemis entrent pour voir les hypocrites dans l Eglise, comme Judas dans le collège apostolique; ils cherchent le mal, Dieu en tire le bien. Accomplissement des prophéties en Jésus-Christ.
1. En ce jour où nous célébrons les saints martyrs, pour glorifier les douleurs du Christ, chef des martyrs, qui ne sest point épargné lui-même en appelant ses soldats au combat, mais qui a le premier combattu, le premier vaincu, afin dencourager les combattants par son exemple, de les soutenir de sa majesté, de les couronner selon ses promesses ; écoutons quelques passages de ce psaume qui regardent la passion. Nous lavons dit souvent, et nous ne craignons pas de répéter ce quil vous est bon de retenir, cest que Notre-Seigneur Jésus-Christ parle souvent en son propre nom, cest-à-dire en qualité de chef, et souvent encore il parle dans la personne de ses membres, cest-à-dire de nous-mêmes et de sa sainte Eglise; de telle sorte néanmoins quune seule personne semble parler, afin de nous faire comprendre que la tête et les membres subsistent dans une parfaite unité, et quils sont inséparables; telle est lunion dont il est dit : « Ils seront deux dans une même chair 1 ». Si donc nous reconnaissons quil ny a pour deux quune même chair, nattribuons aux deux quune même voix. Commençons notre discours par ce verset que nous avons chanté, en répondant au lecteur, bien quil soit tiré du milieu du psaume : « Mes ennemis moutragent dans leurs discours; ils sécrient: Quand mourra-t-il? Quand périra son nom 2? » Cest Notre-Seigneur Jésus-Christ qui parle; mais voyez si lon ne peut pas lentendre aussi des membres. Cela fut dit quand Notre-Seigneur vivait encore sur la terre dans une chair mortelle. Les Juifs en effet voyaient la multitude accepter
1. Gen. II, 24; Eph. V, 31. 2. Ps, XL, 6.
son autorité, ainsi que sa majesté et sa divinité qui éclataient dans ses miracles; alors, stigmatisés par la parabole de ceux qui avaient dit : « Voici lhéritier, venez, tuons-le, et lhéritage sera pour nous 1 » ; ils dirent en eux-mêmes, cest-à-dire entre eux, ce mot fameux du grand-prêtre Caïphe: « Vous voyez quil est suivi dune grande foule, que le monde court après lui; si nous le laissons vivre, les Romains viendront nous exterminer, nous et notre ville. Il est bon quun homme meure pour le peuple, et non que toute la nation périsse ». Or, lEvangéliste ajoute à ces paroles dun homme qui ne savait ce quil disait: « Il ne parlait pas ainsi de lui-même; mais, étant pontife cette année, il prophétisa que Jésus-Christ devait mourir pour le peuple et pour la nation 2 ». Et néanmoins, à la vue du peuple qui le suivait, ils dirent : « Quand mourra-t-il, quand périra son nom?» cest-à-dire, quand nous laurons fait mourir, son nom nexistera plus sur la terre, et une fois mort, il ne séduira plus personne; sa mort seule fera comprendre aux hommes quils ne suivaient quun homme et quil n avait en lui aucune espérance de salut; ils abandonneront son nom et il ne subsistera plus. Il est donc mort, mais son nom na point péri, il sest répandu par toute la terre ; il est mort, mais cétait le grain de froment qui doit mourir pour faire surgir une abondante moisson 3. Lors donc que Notre-Seigneur Jésus-Christ fut glorifié, les hommes crurent en lui plus que jamais et en plus grand nombre; et les membres entendirent le langage que le
1. Matt. XXI, 38. 2. Jean, XI, 47-51. 3. Jean, XII, 25.
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chef avait entendu. Le Seigneur était remonté lins les cieux et souffrait encore en nous sur la terre, lorsque ses ennemis dirent: « Quand mourra-t-il et quand périra son nom? » De là viennent les persécutions que Satan souleva contre lEglise pour perdre le nom du Christ. Ne croyez pas en effet, mes frères, que les païens qui sévissaient contre les chrétiens, ne se proposaient pas deffacer de la terre le nom du Christ. Cest pour tuer le Christ, non plus dans le chef, mais dans les membres, que lon égorgea les martyrs. Or, leffusion de ce sang précieux servit à multiplier les membres lEglise, et la mort des martyrs fut ajoutée à cette semence divine. La mort de ses justes précieuse devant le Seigneur 1. Les chrétiens allèrent donc chaque jour se multipliant, et ce souhait de leurs ennemis . « Quand mourra-t-il, quand périra son nom? » ne fut pas accompli. On le fait encore aujourdhui. On voit les païens se réunir, compter les années, prêter loreille au dire de certains fanatiques : Un jour viendra quil ny aura plus de chrétiens 2; le culte de nos idoles sera rétabli comme auparavant. Ils disent encore : « Quand mourra-t-il, quand périra son nom? » Deux fois vaincus, soyez donc sages pour la troisième : le Christ est mort, et son nom na point disparu; les martyrs sont morts, et lEglise sen accroît davantage, et le nom du Christ se répand dans toutes les nations; lui qui a prédit sa mort et sa résurrection, qui a prédit la mort et le couronnement des martyrs, a prédit aussi ce qui doit arriver à son Eglise. Sil a dit vrai deux fois, aura-t-il menti la troisième? Vous navez donc contre lui quune fausse opinion; mieux vaudrait pour vous croire en lui, « afin de comprendre sa pauvreté, son indigence 3; car de riche quil était, il sest fait pauvre, afin que vous fussiez enrichis de sa pauvreté 4 », dit saint Paul. Cette pauvreté est pour lui une cause de mépris, et lon dit: Cétait un
1. Ps. CXV, 15. 2. Saint Augustin nous dit, dans la Cité de Dieu (liv. XVIII, chap. XXXV), que les païens voyant que des persécutions et si nombreuses navaient pu mettre fin à la religion chrétienne, mais quelle y puisait même une force merveilleuse daccroissement, inventèrent je ne sais quels vers grecs, formant la réponse des oracles à une consultation, et qui attribuent à saint Pierre davoir usé de maléfices pour faire adorer le Christ pendant 365 ans après lesquels ce culte devait immédiatement disparaître. Mais si lon part de la première prédication de saint Pierre à la Pentecôte, ce nombre dannées doit échoir à la 399e du Christ; et ce culte est si loin de disparaître, quil renverse au contraire ce qui des temples des Dieux, quil brise les idoles, et règne glorieusement. (Cité de Dieu, liv. XVIII, chap. LIV.) 3. Ps. XL, 10. II Cor. VIII, 9.
homme. Que pouvait-il être? Il est mort, il a été crucifié : vous rendez un culte à un homme, vous mettez votre espoir dans un homme, vous adorez un mort. Erreur. Comprends donc, ô mon frère, ce pauvre, cet indigent , afin que sa pauvreté tenrichisse. Comprends-tu le pauvre et lindigent? Sais-tu bien que cest le Christ lui-même qui est ce pauvre, cet indigent dun autre psaume : « Pour moi, je suis pauvre, je suis indigent, mais le Seigneur a pris soin de moi 1? » Quest-ce que comprendre le pauvre et lindigent? Cest comprendre « quil sest anéanti, prenant la forme dun esclave, se rendant semblable aux autres hommes, reconnu homme par ses dehors »; lui qui était riche devant son Père, pauvre à nos yeux; riche dans le ciel, pauvre sur la terre; riche parce quil était Dieu, pauvre parce quil était homme. Ton trouble viendrait-il de ce que tu vois un homme, tu vois une chair, tu envisages sa mort, tu persifles sa croix? Cest là ton trouble? Comprends donc ce pauvre, cet indigent. Quest-ce à dire? Comprends que, dans cette infirmité que tu vois, il y a une divinité cachée; quil est riche, parce quil lest de lui-même; quil est pauvre, parce que tu létais. Sa pauvreté néanmoins fait notre richesse, comme son infirmité fait notre force, comme sa folie fait notre sagesse, comme sa nature mortelle fait notre immortalité 2. Considère quel est ce pauvre, nen juge point par la pauvreté des autres. Il est venu enrichir les pauvres, lui qui sest fait pauvre. Ouvre donc le giron de ta foi, et reçois-y ce pauvre pour ne pas demeurer dans ta pauvreté. 2. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et lindigent, le Seigneur le délivrera au jour mauvais 3». Ce jour mauvais viendra; bon gré mal gré, il viendra; viendra le jour du jugement, jour mauvais si tu nas pas compris le pauvre et lindigent. Car alors apparaîtra clairement ce que tu refuses de croire aujourdhui; mais tu ne pourras échapper à lévidence, toi qui ne crois pas à linvisible. Tu es invité à croire ce que tu ne vois pas, afin déchapper à la confusion lorsque tu verras. Comprends donc le pauvre et lindigent, cest-à-dire Jésus-Christ, comprends les richesses cachées dans celui que tu vois pauvre. Car en lui sont cachés les trésors de la sagesse
1. Ps. XXXIX, 18. I Cor, I, 30. Ps. XL, 2.
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et de la science 1. Il te délivrera au jour mauvais, parce quil est Dieu; parce quil est homme, il a ressuscité ce quil y avait en lui dhumain, la changé, la amélioré, la élevé au ciel. Mais cette nature divine qui a voulu ne faire en lhomme et avec lhomme quune seule personne, ne pouvait ni décroître, ni croître, ni mourir, ni ressusciter. Il est mort à cause de linfirmité de lhomme; mais, après tout, Dieu ne saurait mourir. Que le Verbe de Dieu ne meure pas, nen sois pas étonné, puisque lâme dun martyr ne meurt point. Nentendions-nous pas tout à lheure Jésus-Christ qui nous disait : « Ne craignez « point ceux qui tuent le corps et qui ne peuvent tuer lâme 2?» Donc, à la mort des martyrs les âmes ne sont point mortes, et le Verbe serait mort quand le Christ expira? Le Verbe de Dieu est bien plus que lâme humaine, puisque celte âme de lhomme a été faite par Dieu; et si elle est faite par Dieu, elle est faite par le Verbe, puisque tout a été fait par lui 3. Donc le Verbe ne meurt pas, puisque lâme faite par le Verbe est immortelle. Mais de même que nous disons : Lhomme est mort, bien que son âme ne meure point; nous disons de même sans erreur que le Christ est mort, bien que la divinité ne meure pas en lui. Doù vient sa mort? de sa pauvreté, de son indigence. Que sa mort ne te blesse point, ne tempêche point de contempler sa divinité. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et lindigent». Jette les yeux sur les pauvres, sur les indigents, sur ceux qui ont faim, qui ont soif, qui sont étrangers, qui sont nus, qui sont malades, qui sont en prison ; comprends bien ce pauvre, car si tu le comprends, tu comprendras aussi celui qui a dit : « Jai eu faim, jai eu soif, jai été nu, étranger, malade, prisonnier 4 ». Et de la sorte, le Seigneur te délivrera au jour mauvais. 3. Vois aussi quel sera ton bonheur. « Que le Seigneur le conserve ». Le prophète souhaite le bonheur à lhomme qui comprend le pauvre et lindigent. Ce souhait est une promesse : ceux qui en agissent ainsi peuvent attendre en toute sécurité : « Que le Seigneur le conserve et le vivifie ». Quest-ce à dire, « le conserve et le vivifie? » En quel sens « le vivifie ? » Dans le sens de la vie
1. Coloss. II, 3. 2. Matt. X, 28. 3. Jean, I, 3. 4. Matt. XXV, 15 5. Ps. XL, 3.
éternelle. Car on ne donne la vie quà celui qui est mort. Mais un mort peut-il comprendre le pauvre et lindigent? Le prophète nous promet donc la vie dont parle saint Paul: « Le corps est mort à cause du péché, mais lesprit vit à cause de la justice; or, si celui qui a ressuscité le Christ dentre les morts habite en vous, il rendra aussi la vie à vos corps mortels, à cause de lesprit qui habite en vous 1 ». Cest là cette vie qui est promise à celui qui comprend le pauvre et lindigent. Mais saint Paul a dit à Timothée, que « nous avons reçu la promesse de cette vie et de la vie future 2 », donc, ceux qui ont lintelligence du pauvre et de lindigent ne doivent pas croire que, certains daller au ciel, ils sont négligés sur la terre; quils nont à espérer que pour lavenir et léternité, et que Dieu ne prend aucun soin de ses saints et de ses fidèles en cette vie : aussi le prophète, après nous avoir dit ce que nous devons attendre principalement: « Que le Seigneur le conserve et le vivifie»; jette les yeux sur la vie actuelle et sécrie : « Quil le rende heureux sur la terre ». Elève donc tes regards sur ces promesses de la foi chrétienne : Dieu ne tabandonne pas sur la terre, et il te fait des promesses pour le ciel. Beaucoup de mauvais chrétiens, de ces consulteurs déphémérides, qui observent les temps et les jours, pressés par les reproches quils reçoivent de nous ou de chrétiens qui valent mieux queux, au sujet de ces pratiques nous répondent : Ces choses nous servent pour la vie présente, mais nous sommes chrétiens pour la vie éternelle; nous croyons au Christ afin quil nous donne la vie céleste, mais cette vie temporelle, qui est aujourdhui la nôtre, il nen prend aucun souci. Il ne leur reste plus quà dire, en résumé, quil faut honorer Dieu en vue de la vie éternelle, et le diable en vue de la vie temporelle. Mais Jésus-Christ lui-même va leur répondre : « Vous ne pouvez servir deux maîtres 3 ». Or, tu sers celui-ci à cause de tes espérances du ciel, et tu sers celui-là à cause de tes espérances de la terre; combien ne serait-il pas mieux de servir celui qui a fait le ciel et la terre? Celui qui a pris soin quil y eût une terre, négligera-t-il son image sur la terre? Donc, «Que le Seigneur conserve, quil vivifie » celui qui comprend le pauvre et lindigent. De
1. Rom, VIII, 10, 11. 2. I Tim. IV, 8. 3. Matt. VI, 24.
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plus, quen lui donnant la vie pour léternité, il lui donne le bonheur sur la terre ». 4. « Quil ne le livre point entre les mains de son ennemi 1 ».Cet ennemi, cest le diable. Que nul, en entendant ces paroles, ne pense à aucun homme qui serait son ennemi. Déjà peut-être il pensait à son voisin, à tel autre avec lequel il est en procès, à celui-ci qui veut le dépouiller de son bien, à celui-là qui veut le forcer à vendre sa maison. Loin de vous ces pensées ; mais pensez à celui dont le Seigneur a dit : « Cest lhomme ennemi qui a fait cela 2 ». Cest lui, cet ennemi qui veut se faire adorer en vue des biens de la terre, dans son impuissance à renverser le nom chrétien: il se voit en effet distancé par la gloire et la renommée du Christ; il voit, quégorger des martyrs, cest leur procurer une couronne et un triomphe sur lui-même, quil ne réussit à persuader aux hommes que le Christ nest rien, quil lui est difficile de tromper en déshonorant le Christ, et il sefforce de tromper en le comblant déloges. Quel était jadis son langage ? Quel homme adorez-vous? un Juif mort, un crucifié, un homme de rien qui na pu se défendre du trépas. Mais quand il a vu le genre humain accourir au nom du Christ, et au nom du crucifié les temples renversés, les idoles brisées, les sacrifices éteints, les hommes comprendre que tout cela est prédit dans les Prophètes, séprendre dadmiration et fermer leur coeur à toute injure contre le Christ, il sest revêtu des louanges du Christ et a pris un autre moyen de nous détourner de la foi. Elle est belle, dit-il, cette loi des chrétiens, elle est puissante, elle est divine, ineffable; mais qui la peut accomplir? Au nom de notre Sauveur, mes frères, foulez aux pieds le lion et le dragon 3 ! Dans ses blasphèmes insolents, cétait le lion qui frémissait; dans ses éloges astucieux, cest le dragon qui tend des embûches. Quils embrassent la foi, ceux qui avaient quelque doute, et quils ne disent pas: Qui peut accomplir cette loi ? Sils comptent sur leurs forces, ils ne laccompliront point. Mais quils croient en se reposant sur la grâce de Dieu, quils viennent dans cette confiance, quils viennent chercher du secours, et non leur condamnation. Cest au nom du Christ que vivent tous les fidèles; chacun selon son état accomplissant les préceptes du Christ, voit dans le mariage, soit dans le célibat, soit
1. Ps. XI, 3. 2. Matt. XIII, 28. 3. Ps. XC, 13.
dans la virginité, ils vivent autant que Dieu leur donne de vivre ; ils ne présument point de leurs forces, mais ils savent quils nont à se glorifier que de Dieu. « Quavez-vous que vous nayez point reçu? Si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier, comme si vous naviez pas reçu 1 ? » Ne me dis plus alors : Qui accomplit la loi? Il laccomplit en moi, celui qui est venu vers le pauvre avec ses richesses: cétait le pauvre à la vérité qui venait vers le pauvre, mais plein de richesses pour celui qui nen avait point. Lhomme qui a ces pensées, qui comprend le pauvre et lindigent, qui ne dédaigne pas la pauvreté du Christ, qui comprend les richesses du Christ, celui-là devient heureux sur la terre ; il nest pas livré aux mains de cet ennemi qui cherche à lui persuader de servir Dieu pour les biens du ciel, et le diable pour les biens de la terre. « Que Dieu ne le livre point aux mains de son ennemi ». 5. « Que le Seigneur lui porte secours 2 ». Mais où ? Peut-être dans le ciel, peut-être dans ce qui concerne la vie éternelle, en sorte quil lui reste à servir le diable, dans les privations terrestres, et à cause des nécessités de cette vie! Non. Tu as la promesse de la vie présente et de la vie future 3. Il est venu te trouver sur la terre, celui qui a créé le ciel et la terre. Ecoute enfin ce quil dit ensuite: « Que le Seigneur lui porte du secours sur son lit de douleur ». Ce lit de douleur, cest linfirmité de la chair. Ne dis point: Je ne puis maîtriser, ni porter, ni refréner ma chair : Dieu te donne cette puissance. « Que le Seigneur te porte secours sur ton lit de douleur ». Ton lit te portait et tu ne portais pas ton lit ; mais tu avais une paralysie intérieure ; le Christ est venu te dire: « Prends ton grabat et va dans ta maison 4. Que le Seigneur lui porte du secours sur son lit de douleur ». Le Prophète en appelle maintenant à Dieu, comme si on lui demandait: Puisque Dieu nous porte du secours, pourquoi donc avons-nous à subir tant de douleurs en cette vie, tant de scandales, tant de travaux, tant de troubles du côté de la chair et du monde ? Il en appelle à Dieu et nous expose la sagesse de ses remèdes. « Pendant son infirmité », dit-il, « vous avez bouleversé toute sa couche ». Mais quest-ce que cela: « Vous avez bouleversé toute sa couche pendant son infirmité ? » Cette couche se dit de quelque chose de
1. I Cor. IV, 7. 2. Ps. XL, 4. 3. 1 Tim. IV, 8. 4. Marc, II, 11.
terrestre. Toute âme infirme en cette vie cherche quelque chose de terrestre où elle se puisse reposer, car elle ne peut supporter que difficilement la fatigue dune tension de lesprit vers Dieu; elle cherche donc sur la terre quelque objet qui lui serve de repos, où elle puisse en quelque sorte sétendre et faire une pose, comme sont les choses que peuvent aimer les âmes innocentes. Il nest point ici question de ces convoitises perverses qui font que les uns se délassent au théâtre, les autres dans le cirque, dans lamphithéâtre, celui-ci dans les jeux, celui-là dans la bonne chère, plusieurs dans les voluptés de ladultère, dautres dans les violences de la rapine, dautres enfin dans la fraude et dans les artifices de la fourberie; tout cela est pour ces hommes un délassement. Comment un délassement? lis y trouvent une félicité. Mais éloignons tout cela pour en venir à lhomme innocent. Il trouve son repos dans sa maison, dans sa famille, dans son épouse, dans ses enfants, dans sa pauvreté, dans son champ médiocre, dans le petit jardin quil a planté, dans quelque bâtisse quil a faite avec soin ; cest en cela que se délassent les justes. Toutefois, Dieu qui veut que nous nayons damour que pour la vie éternelle, mêle des amertumes à nos plaisirs les plus innocents, afin de nous y faire sentir la tribulation et de retourner ainsi notre couche, dans notre infirmité. « Pendant mon infirmité vous avez bouleversé toute ma couche ». Quil ne cherche donc point pourquoi il trouve des épines même dans ses oeuvres les plus innocentes. Lamertume des choses de la terre lui apprend à sélever à un amour supérieur; de peur que ce voyageur qui va dans sa patrie ne prenne lhôtellerie pour sa maison, « vous avez bouleversé toute sa couche pendant son infirmité ». 6. Mais pourquoi en agir ainsi? Cest que Dieu flagelle celui quil reçoit parmi ses enfants 1 ». Pourquoi encore? Parce quil a été dit à lhomme: « Tu mangeras ton pain à la sueur de ton front 2 ». Si donc lhomme doit reconnaître que cest à cause de ses péchés, quil subit tous ces châtiments dont Dieu se sert pour bouleverser notre couche dans notre infirmité, quil se convertisse et quil se dise : «Pour moi, jai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car jai péché contre vous ». O mon Dieu, exercez-
1. Hébr. XII, 6. 2.Gen. III, 19.
moi par les châtiments; vous jugez bon dexercer celui que vous recevez parmi vos enfants, vous qui navez pas épargné votre Fils unique. Pour lui, il a subi le châtiment sans être coupable ; et moi je dis : « Ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que jai péché contre vous ». Sil a subi des incisions, celui qui navait aucune gangrène; si, lui qui est pour nous la guérison, na pas dédaigné les brûlures du remède ; pouvons. nous témoigner de limpatience, quand le médecin nous coupe et nous brûle, cest-à-dire, nous met à lépreuve de toutes les tribulations, nous guérit de notre péché? Livrons-nous donc entièrement à la main du médecin: il nest pas dans lerreur, et ne tranche point la chair vive au lieu de la chair corrompue; il juge de ce quil voit, il sait jusquoù va le mal, lui qui a fait la nature ; il discerne ce qui est son oeuvre et ce qui est loeuvre de nos convoitises. Il sait quil a donné à lhomme en santé des préceptes pour lempêcher de tomber dans la langueur ; quil lui a dit dans le paradis : Mange ceci, ne touche point à cela 1. Lhomme en santé na pas écouté le précepte du médecin qui laurait empêché de tomber; quil lécoute dans sa maladie, afin den relever. « Pour moi, jai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérisses mon âme , parce que jai péché contre vous ». Dans mes actions, dans mes fautes, je naccuse pas le hasard, je ne dis pas: Voilà ce que ma fait le destin ; je ne dis point: Cest Vénus qui ma fait adultère, Mars qui ma fait brigand, Saturne qui ma fait avare; « jai dit : Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, parce que jai péché contre vous». Est-ce le Christ qui parle ainsi? Est-ce lui, notre Chef sans péché ? Est-ce lui qui a restitué ce quil navait point enlevé 3? Est-ce lui qui seul est libre parmi les morts 3? Il était libre en effet parmi les morts, parce quil était sans péché; puisque tout homme qui pèche devient esclave du péché 4. Est-ce donc bien lui? Cest lui dans ses membres, car la voix de ses membres est sa voix, comme la voix de notre chef est notre voix. Nous étions en lui quand il disait : « Mon âme est triste jusquà la mort 5». Car il ne craignait pas de mourir, lui qui était venu pour mourir; il ne refusait pas de mourir, celui qui avait
1. Gen. II, 16, 17. 2. Ps. LXVIII, 5. 3. Id. LXXXVII, 6. 4. Jean, VIII, 34. 5. Matt. XXVI, 38.
la puissance de donner sa vie, et la puissance de la reprendre 1 ; mais les membres parlaient dans la personne du chef, et le chef parlait au nom des membres. Cest donc en notre nom, quil exhale cette plainte : « Guérissez mon âme, parce que jai péché contre vous». Car nous étions en lui, quand il dit: « O Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 2 ? » En effet, dans le psaume qui contient ce verset, nous lisons à la suite : « Les rugissements de mes péchés 3 ». Quel péché y avait-il en lui, sinon que notre vieil homme a été crucifié avec lui, afin que le corps du péché fût anéanti, et que désormais nous ne fussions plus esclaves du péché 4. Disons-lui donc, et disons en lui: « Pour moi, Seigneur, prenez-moi en pitié, guérissez mon âme, parce que jai péché contre vous ». 7. « Mes ennemis moutragent dans leurs discours, ils ont dit : Quand mourra-t-il, quand périra son nom 5?» Nous avons déjà imposé ces paroles, nous avons commencé par là; allons plus loin, II nest pas nécessaire de répéter ce qui est frais encore dans votre mémoire et dans vos curs. 8. « Ils entraient afin de me voir 6 ». LEglise endure ce qua enduré le Christ, la passion du chef devient la passion des membres. Le serviteur est-il donc plus grand que son Seigneur , et le disciple au-dessus du maître? « Sils mont persécuté, ils vous persécuteront à votre tour; sils ont traité de Béelzébub le père de famille, combien plus ses serviteurs 7? Ils entraient donc afin de voir ». Ce Judas était près de notre chef, il entrait auprès de notre chef, afin de voir, cest-à-dire despionner ; non pas afin de trouver des motifs de croire, mais afin davoir quoi de trahir. Celui-là donc entrait afin de voir, et notre chef a voulu nous servir dexemple. Quest-il arrivé ensuite aux membres après lexaltation du chef? Saint Paul na-t-il pas dit : « Quelques faux frères se sont introduits dans lEglise pour espionner notre liberté ? » Ceux-là aussi entraient donc pour voir. Il est en effet des hypocrites, des méchants déguisés, qui se joignent à nous sous les apparences de la charité, qui épient tous les mouvements, toutes les paroles des saints, qui tendent partout des piéges. Et que leur arrive- t-il? Lisez ensuite : « Leur cur
1. Jean. X, 18. 2. Matt. XXVII, 46. 3. Ps. XXI, 2. 4. Rom. VI, 6 5. Ps. XL, 6. 6. Id. 8. 7. Matt. X, 24, 8. Gal, II, 4.
a proféré des choses vaines » ; cest-à-dire, quils affectent dans leurs discours une feinte charité; ce quils disent est vain, sans vérité, sans solidité. Et comme ils cherchent les occasions de nous accuser, que dit le prophète? « Ils se sont amassé liniquité». Car nos ennemis préparent des calomnies contre nous; cest beaucoup pour eux davoir des prétextes de nous accuser. « Ils ont amassé contre eux liniquité ». Contre eux, dit le Prophète, et non contre moi. De même que Judas le fit contre lui-même, et non contre le Christ, ainsi les hypocrites le font contre eux, non contre lEglise; car cest deux quil est dit ailleurs « Liniquité a menti contre elle-même 1. Cest contre eux-mêmes quils ont amassé liniquité ». Et de même quils entraient pour voir, « ils sortaient dehors et ils parlaient ». Celui qui était entré pour voir, sortait dehors et parlait. Plût à Dieu quil fût dedans et quil parlât selon la vérité! Il ne sortirait point dehors où il dit le mensonge. Il est un traître et un persécuteur, celui qui sort au dehors pour parler. Si tu fais partie des membres du Christ, viens à lintérieur, demeure uni au chef. Tolère livraie, si tu es le bon grain; tolère la paille, si tu es le froment 2 ; si tu es un bon poisson, souffre dans le filet des poissons mauvais. Pourquoi tenvoler avant quil soit temps de vanner? Pourquoi prévenir le temps de la moisson, pour arracher le froment avec toi? Pourquoi rompre le filet avant dêtre sur les bords ? « Ils sortaient dehors, et ils parlaient». 9. « Tous mes ennemis tenaient contre moi le même langage 3 ». Ils tenaient le même langage contre moi; combien eût-il été mieux quils tinssent un même langage avec moi? Quest-ce à dire : « Le même langage contre moi? » ils formaient tous le même dessein, la même conspiration. Cest donc le Christ qui leur dit : Vous vous unissez contre moi, unissez-vous à moi. Pourquoi contre moi? pourquoi pas avec moi? Si vous aviez toujours le même sentiment, vous ne seriez point déchirés par le schisme. Car lApôtre leur dit: « Je vous supplie, mes frères, davoir tous le même langage, afin quil ny ait aucun schisme parmi vous 4. Mes ennemis murmuraient contre moi le même langage; tous méditaient le mal contre moi », ou plutôt contre eux, car ils se sont amassé
1. Ps. XXVI, 12. 2. Matt, XIII, 30. 3. Ps. XL, 8. I Cor. I, 10.
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liniquité; mais aussi contre moi, car il faut les juger daprès leurs intentions. De ce quils naient rien pu faire, nen concluons pas quils ne voulaient rien faire. Le diable aussi voulut exterminer le Christ, et Judas le voulut mettre à mort: mais la mort et la résurrection du Christ nous ont donné la vie; et néanmoins le diable et Judas ont reçu la récompense de leur volonté perverse, et non point de notre salut. Car, vous le savez, cest daprès lintention quun homme doit être jugé digne de récompense ou de châtiment, et nous voyons des hommes faire à dautres des souhaits tels que nous pouvons le désirer, et qui sont accusés de malédiction. Quand cet homme, jadis aveugle, mais dont les yeux elle coeur étaient rendus à la lumière, confondait les Juifs aux yeux ouverts, au coeur aveugle, « Voulez-vous », leur dit cet homme déjà éclairé, « voulez-vous aussi être ses disciples? »« Mais eux », dit lEvangile, « sécrièrent en le maudissant : Pour toi, sois son disciple 1 ». Puisse tomber sur chacun de nous cette malédiction quils lui jetaient! Elle est appelée malédiction à cause de lerreur malveillante de ceux qui la profèrent, et non du mal que contiennent les expressions: lhistorien qui nous la raconte envisage plutôt leur intention que leurs paroles. « Ils méditaient le mal contre moi ». Or, quel mal arriva-t-il au Christ, quel mal aux martyrs? Dieu changea tout en bien. 10. « Ils ont arrêté contre moi une parole diniquité ». Quelle parole diniquité? Jette les yeux sur notre chef: « Tuons-le, et lhéritage sera pour nous 3 ». Insensés, comment donc aurez-vous son héritage? Parce que vous laurez tué? Eh bien! le voilà tué, et lhéritage ne sera point pour vous. « Celui qui dort ne se relèvera-t-il donc pas? » Quand sa mort vous donnait des jubilations, il dormait; car il dit dans un autre psaume: « Pour moi, jai dormi ». Ses ennemis furieux voulurent le mettre à mort : « Pour moi », dit-il, « jai dormi ». Car si je lavais voulu, je naurais éprouvé aucun sommeil. « Je me suis endormi, parce que jai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la reprendre 4. Jai dormi, jai pris mon sommeil et je me suis éveillé 5 » . Que les Juifs donc semportent, que la terre soit livrée aux
1. Jean, IX, 27, 28. 2. Ps. XL, 9. 3. Matt. XXI, 38. 4. Jean, X, 18. 5. Ps. III,6.
mains de limpie 1, que mon corps soit entre les mains des persécuteurs, quils le suspendent à la croix, ly attachent avec des clous, le percent dune lance : « Celui qui dort ne se lèvera-t-il point? » Pourquoi a-t-il dormi? Parce que le vieil Adam était la figure de lAdam futur 2: « Et Adam dormait quand Dieu tira Eve de son côté 3 », Adam était donc la figure du Christ, Eve la figure de lEglise: doù elle fut appelée mère des vivants. Quand le Seigneur forma-t-il Eve? Quand Adam dormait. Quand les sacrements de lEglise coulèrent-ils du flanc du Christ? Quand il dormait sur la croix. « Celui qui dort ne se lèvera-t-il donc point? » 11. Doù vient ce sommeil? De celui qui est entra pour voir, et qui sest amassé liniquité. « Car lhomme de ma paix, en qui je me confiais, qui mangeait mon pain, a levé le talon contre moi 4 ». Il a levé le pied contre moi, il a voulu me frapper. Quel est cet homme de sa paix? Judas. Mais le Christ a-t-il eu confiance en lui, pour dire: «En qui je me confiais? » Ne le connaissait-il point dès le commencement? Ne savait-il pas ce quil serait avant quil fût né? Navait-il pas dit à ses disciples : « Je vous ai choisis douze et lun de vous est un démon 5? » Comment donc a-t-il espéré en lui, sinon parce que ce Judas est parmi ses membres, et que plusieurs fidèles ayant espéré en Judas, le Seigneur se personnifie en eux? Beaucoup de ceux qui croyaient en Jésus-Christ voyaient Judas marcher parmi les douze disciples, et quelques-uns espéraient en lui; car il était semblable aux autres; et parce que le Christ était en cens de ses membres qui avaient cet espoir, comme il est dans ceux qui ont faim et soif, il a pu dire: « Jai eu confiance», comme il a dit: «Jai eu faim ». Si donc nous lui disons: Seigneur, quand avez-vous espéré? comme on lui a dit: Quand avez-vous eu faim? de même que dans cette occasion il nous a dit : Ce que vous aven fait au plus petit des miens, cest à moi que vous lavez fait; de même il peut nous dire ici : Quand le moindre des miens avait confiance en Judas, cétait moi qui avais confiance, En qui ai-je eu la confiance? En « lhomme de ma paix, en qui jai espéré, qui mangeait mon pain ». Comment la-t-il désigné dans sa passion, daprès ces paroles du Prophète? Il le fit
1. Job, IX, 24. 2. Rom. V, 14. 3. Gen. II, 21. 4. Ps. XL, 10. 5. Jean. VI, 71. -
connaître par un morceau de pain 1, afin que lon reconnût que cétait de lui quil était dit : Qui mangera mon pain » .Et quand Judas vint ensuite pour le livrer, il lui donna le baiser 2, afin de montrer que cétait lui que désignait cette parole: « Lhomme de ma paix ». 12. « Mais vous, Seigneur, ayez pitié de moi 3 ». Il parle ici sous la forme de lesclave, sous la forme du pauvre et de lindigent. « Bienheureux celui qui comprend le pauvre et lindigent 4. Ayez pitié de moi, ressuscitez-moi, et je me vengerai deux ». Voyez quand sest dite cette parole, maintenant accomplie. Les Juifs ont mis à mort le Christ pour ne point perdre leur patrie 5 ; et, après sa mort, ils la perdirent ; arrachés de leur royaume, ils furent dispersés. Le Christ, après sa résurrection, leur rendit la souffrance, et la rendit comme un avertissement, non point comme une condamnation. Cette cité dans laquelle tout un peuple frémissait, comme le lion qui enlève et qui rugit, sécriait: « Crucifiez-le, crucifiez-le 6», renferme aujourdhui des chrétiens, et pas un seul juif, tous les Juifs en sont expulsés. LEglise du Christ est plantée en ce lieu doù lon a extirpé les épines de la Synagogue. Leur feu sest donc allumé comme le feu dans les épines 7; mais le Seigneur était un bois vert. « Cest ce quil dit lui-même à quelques femmes qui le pleuraient comme un homme qui va mourir : « Ne pleurez point sur moi, mais pleurez sur vous et sur vos enfants 8»; prédisant ainsi : « Ressuscitez-moi, et je me vengerai deux. Si lon traite ainsi le bois vert, que fera-t-on au bois sec9 ? » Quand le bois vert pourra-t-il être consumé par le feu des épines? « Ils ont pris flamme comme le feu dans les épines 10 ». Le feu consume les épines ; et à quelque bois vert quon lapplique, il ne sallume que difficilement; la sève du bois vert résiste longtemps à cette flamme lente et sans vigueur, capable néanmoins de consumer des épines. « Ressuscitez-moi, je me vengerai deux ». Ne croyez pas, mes frères, que le Fils ait moins de puissance que le Père, parce quil dit : « Ressuscitez-moi », comme sil ne pouvait se ressusciter lui-même. Car le Père a ressuscité seulement ce qui pouvait mourir; cest-à-dire,
1. Jean, XIII, 26. 2. Matt. XXVI, 49. 3. Ps. XL, 11. 4. Id. 2. 5. Jean, XI, 18. 6. Luc, XXIII, 31; Jean, XIX, 6. 7. Ps. CXVIII, 12 . 8. Luc, XXIII, 28. 9. Id. 31. 10. Ps. CXVII, 12.
la chair est morte, la chair est ressuscitée. Ne croyez pas non plus que Dieu, le Père du Christ, a pu ressusciter le Christ en cette chair de son Fils, et que le Christ, Verbe de Dieu, égal à son Père, naurait pu ressusciter sa chair. Ecoutez dans lEvangile: « Détruisez ce temple de Dieu et je le rebâtirai en trois jours ». Et pour dissiper tous les doutes: « Il parlait ainsi », dit lEvangéliste, « du temple de son corps 1, Ressuscitez-moi, et je me vengerai deux ». 13. « Voici en quoi jai connu votre amour pour moi, cest que mon ennemi na pas triomphé de moi 2». Voir le Christ à la croix, cétait un bonheur pour les Juifs; ils croyaient avoir assouvi leur volonté de lui nuire ; ils ont contemplé dans le Christ à la croix , le fruit de leur cruauté ; ils branlaient la tête: « Sil est le Fils de Dieu, quil descende de la croix 3 ». Lui qui le pouvait, nen descendait pas; loin de montrer son pouvoir, il enseignait la patience. Sil fût descendu de la croix quand ils parlaient ainsi, il eût paru céder à leurs insultes ; on eût pu croire quil ne pouvait supporter les opprobres. Il demeura donc à la croix, nonobstant leurs blasphèmes; il était ferme quand eux chancelaient. Car sils branlaient la tête, cest quils nétaient pas unis au Christ, qui est le véritable chef. Grande leçon de patience que nous donne le Christ! car, tout en refusant dagir selon les provocations des Juifs, il fit quelque chose de plus grand, puisquil est plus merveilleux de sortir du tombeau que de descendre de la croix. « Cest que je ne serai point pour mon ennemi un sujet de triomphe ». Ils tressaillirent donc à ce moment: mais le Christ ressuscita, mais le Christ entra dans sa gloire. Aujourdhui quils voient tout le genre humain croire en son nom, quils osent aujourdhui le provoquer, aujourdhui branler la tête : ou plutôt, que leur tête soit immobile, et, si elle sagite, que ce soit dans la stupeur et dans ladmiration. Ils disent en effet aujourdhui : Serait-il donc celui quont prédit Moïse et les Prophètes? Ils ont dit de lui « quil a été conduit comme une brebis pour être immolé; que, comme lagneau devant celui qui le tond, il est demeuré sans voix, et na pas ouvert la bouche; que nous sommes guéris par ses blessures 4 ». Or,
1. Jean, II, 19, 21. 2. Ps. XL, 12. 3. Matt. XXVII, 39, 40. 4. Isa. LIII, 5, 7.
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nous voyons que ce crucifié entraîne après lui le genre humain, et que nos pères ont dit en vain : « Tuons-le, de peur que le monde ne le suive » Peut-être ne le suivrait-on pas sil nétait point mort. « Pour moi, le signe de votre amour, cest que je ne serai pas un sujet de triomphe pour mon ennemi ». 14. « Vous mavez au contraire soutenu à cause de mon innocence 2 » : véritable innocence ! intégrité sans tache , paiement sans dette, châtiment sans faute! « Vous mavez soutenu à cause de mon innocence, et mavez affermi en votre présence pour jamais 3». Vous mavez affermi pour jamais, et affaibli pour un temps, affermi en votre présence, affaibli en présence des hommes. Quoi donc? Louange à Dieu, gloire à Dieu. « Béni soit le Seigneur, Dieu dIsraël 4 ». Car il est le Dieu dIsraël, notre Dieu, le Dieu de Jacob, le Dieu du second fils, le Dieu du second peuple. Quon nose point nous dire : Cest des Juifs que lon parle ainsi ; je ne suis point dIsraël. Les Juifs sont bien moins enfants dIsraël. Car laîné des deux frères, cest le peuple rejeté; le second, cest le peuple chéri de Dieu. Aujourdhui saccomplit cette parole: « Laîné servira le plus jeune 5 ». Aujourdhui, mes frères, les Juifs sont nos serviteurs; aujourdhui ils sont nos colporteurs, ils portent les livres que nous étudions. Ecoutez en quoi les Juifs nous rendent service et non sans raison. Caïn, ce frère aîné qui tua son frère le plus jeune, fut marqué dun signe, afin quon ne le tuât point, cest-à-dire, afin
1. Jean, XII, 19. 2. Ps. XL, 13. 3. Ibid. 4. Id. 14. 5. Gen. XXV, 23.
quil demeurât lui-même un peuple 1. Or, les Juifs ont les Prophètes et la loi, et cette loi et ces Prophètes ont annoncé le Christ, Quand nous avons affaire aux païens et que nous leur montrons aujourdhui, dans lEglise du Christ, laccomplissement de ce qui a été prédit longtemps davance concernant le nom du Christ, le Christ damas son chef et dans ses membres, nous prenons les livres des Juifs, afin que ces païens ne puissent croire que nous avons fabriqué ces prophéties, et que nous avons ajusté sur lévénement ces annonces de lavenir. Car les Juifs sont nos ennemis, et ces livres de nos ennemis nous servent à convaincre les païens. Dieu a donc tout réglé, tout disposé pour notre salut. Il a prédit avant nous, il accomplit la prophétie de nos jours, et ce qui nest point encore accompli, saccomplira. Il a donc tenu sa promesse de manière à nous faire croire à ce quil nous doit encore; car il nous donnera ce quil ne nous pas donné encore, comme il a donné aujourdhui ce quil navait pas donné auparavant. Si quelquun veut voir où sont écrites ces promesses, quil lise Moïse et les Prophètes. Si quelque ennemi veut sopiniâtrer en disant: Vous vous êtes fait vos prophéties, montrons-lui les livres des Juifs, puisque laîné doit être le serviteur du plus jeune. Que nos adversaires y lisent des oracles accomplis aujourdhui sous nos yeux; et disons tous : « Béni soit de siècle en siècle le Seigneur Dieu dIsraël; et tout le peuple dira : Amen, Amen ».
1. Gen. IV, 15.
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