PSAUME XXXIII
Précédente Accueil Remonter Suivante


rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

Accueil
Remonter
PSAUME  XXXI
PSAUME XXXII
PSAUME XXXIII
PSAUME XXXIV
PSAUME XXXV
PSAUME XXXVI
PSAUME XXXVI (II)
PSAUME XXXVII
PSAUME XXXVIII
PSAUME XXXIX
PSAUME XL

 

PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIII.

PREMIER SERMON. — L’EUCHARISTIE.   

David, qui chez Achis affecte la folie et contrefait son visage, est la figure de Jésus-Christ qui change de sacrifice, en répudiant les offrandes figuratives selon l’ordre d’Aaron, pour établir l’offrande de .son corps et de son sang selon l’ordre de Melchisédech. Sa folie simulée est la figure de cette folie que les incrédules doivent voir dans l’Eucharistie 

1. Ce psaume ne paraît avoir dans le texte aucune obscurité qui mérite une explication mais le titre excite notre attention et demande que l’on frappe. De même qu’il est   (315) dit que bienheureux est l’homme qui a mis sa confiance en Dieu; espérons aussi que Dieu nous ouvrira, si nous frappons à la porte. Il ne nous engagerait point à frapper, s’il ne voulait point ouvrir à ceux qui frappent 1. S’il arrive quelquefois que celui-là même qui était résolu de tenir sa porte continuellement fermée, se lève néanmoins importuné, et ouvre malgré sa résolution, afin de n’entendre plus frapper 2 : comment ne pas espérer qu’il mettra plus d’empressement encore à nous ouvrir, celui qui a dit: « Frappez et l’on vous ouvrira? » Je frappe donc de toute l’intention de mon coeur à la porte du Seigneur Dieu, afin qu’il daigne me découvrir ce mystère. Frappez, vous aussi, mes frères, par la bonne volonté de m’écouter, et par l’humilité avec laquelle vous prierez pour moi. Il y a là, il faut l’avouer, un grand mystère, difficile à pénétrer.

2. Voici le titre du psaume : « Psaume de David lorsqu’il changea son visage devant Abimélech qui le renvoya, et il s’en alla 3 ». Cherchons l’époque de ce fait dans les saintes Ecritures où sont consignées les actions de David. Quand nous avons trouvé ce titre : « Psaume de David, quand il fuyait devant la face de son fils Absalon 4 »; nous avons lu et nous avons rencontré dans les livres des Rois, à quelle époque David avait fui devant son fils Absalon 5; c’est un fait qui a réellement eu lieu, et qui est consigné parce qu’il est arrivé; et, quoique ce titre cache quelque mystère, il est néanmoins tiré de l’événement qui est réel. Je crois aussi que ce titre: « Lorsque David changea sa face devant Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla », doit être aussi consigné dans les livres des Rois, qui ont recueilli tout ce qui tient aux actions de David 6. Nous ne l’y trouvons pas néanmoins, mais nous y trouvons quelque histoire d’où il semble tiré 7. II est écrit, en effet, que David, fuyant les persécutions de Saül, se retira chez Achis, roi de Geth, c’est-à-dire chez le roi d’une nation limitrophe du royaume des Juifs. Il s’y tenait caché pour échapper à Saül son persécuteur. La mort de Goliath 8, qui, d’un seul coup, donna au roi et au peuple la gloire et la tranquillité dans le royaume, était récente encore, et avait valu à 

1. Matt. VII, 7. — 2.Luc, XI, 8. — 3. Ps. XXXIII, 1. — 4. Id. III, 1. — 5. II Rois, XV, 14.— 6. I Rois, XXI, 13. — 7. Id. 10.— 8. Id. XVII, 50. 

  David la jalousie en échange d’un bienfait. Les défis de Goliath avaient exaspéré Saut; la mort du géant le rendit ennemi de celui qui l’avait tué; et il envia la gloire du jeune héros, surtout quand le peuple, dans son allégresse, et quand les femmes chantèrent en choeur la gloire de David, en disant: Saut en a tué mille et David dix mille 1. Saül fut ému de voir qu’un seul combat acquérait à un enfant une gloire qui éclipsait la sienne, d’en. tendre surtout que toutes les bouches mettaient David au-dessus du roi, et, comme c’est l’ordinaire, le venin de l’envie, l’orgueil mondain le rendit jaloux et persécuteur, Ce fut alors, comme je l’ai dit, que David s’enfuit chez le roi de Geth nommé Achis 2. Mais on fit connaître à ce roi qu’il tenait sous sa main ce même soldat qui s’était fait chez les Juifs un nom si grand et si populaire: «N’est. « ce point là», lui dit-on, « ce David que chutent les femmes d’Israël, en disant: Saül en a tué mille et David dix mille 3? » Mais si cette gloire naissante avait été pour Saül un sujet de jalousie, il était à craindre aussi, pour David, que ce roi qui lui donnait asile, ne conçût le projet de se défaire de lui, comme d’un voisin qui pouvait devenir un ennemi, s’il le laissait échapper. David « craignit donc, au sujet d’Achis, et, comme il est écrit, il changea son visage devant ses serviteurs, il simulait la folie, il frappait sur un tambour à la porte de la ville, il se portait de ses mains, il heurtait du front le seuil de la porte, et l’écume de sa bouche coulait sur sa barbe 4 ». Le roi chez qui il se cachait, le vit en cet état, et il dit à ses gens : « Pourquoi   m’avoir amené ce furieux? entrera-t-il ainsi dans ma maison 5 ? » Ainsi il le renvoya eu le chassant ; et, sous le voile de cette folie, David s’échappa sain et sauf. Tel est le point d’histoire que paraît nous rappeler le titre du psaume : « Chant de David, quand il changea son visage en présence d’Abimélech, qui le chassa, et il s’en alla ». Mais ce roi était Achis et non Abimélech 6. Le nom seul parait peu d’accord, car l’action est désignée en termes semblables dams les psaumes et dans le livre des Rois. Ce changement de nom doit nous stimuler à chercher un mystère. Car c’est un fait, à la vérité, mais qui n’est point arrivé sans cause : il y a donc là une figure, 

1. I Rois, XVIII,7. — 2. Id. XXI, 10. — 3. Id. 11. — 4. Id.13. — 5. Id. 14, 15. — 6. Id. 12. 

(316) 

et voilà pourquoi cette histoire est écrite avec un changement de noms.

3. Vous comprenez, mes frères, la profondeur des figures mystérieuses. S’il n’y a point de figure dans la mort de Goliath 1, renversé par un enfant, il n’y en a point non plus pour David à changer son visage, à contrefaire la folie, à frapper sur un tambour 2, à heurter la porte de la ville et le seuil de la porte, à laisser couler sa salive sur sa barbe. Comment serait-il possible qu’il n’y eût point là quelque figure, quand l’Apôtre nous dit clairement: « Que toutes ces choses qui arrivaient (à nos pères), étaient des figures, et qu’elles sont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 3?» S’il n’y a point de figure dans la manne, dont l’Apôtre a dit « qu’ils mangèrent un pain spirituel 4»; s’il n’y a nulle figure dans la mer qui se divisa pour laisser passage aux enfants d’Israël, et les délivrer des poursuites de Pharaon, quand l’Apôtre nous dit : « Je ne s veux point, mes frères, vous laisser ignorer que nos pères ont tous été sous la nuée, qu’ils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer » ; si elle n’était point figurative, cette pierre que frappa Moïse, et qui donna de l’eau; bien que « cette pierre soit le Christ 6», selon saint Paul; si donc ces faits, quoique réels, n’avaient aucune signification, s’il n’y avait aucune figure dans les deux fils d’Abraham qui lui sont nés selon l’ordre commun des hommes, bien que l’Apôtre appelle ces deux enfants les deux Testaments, l’Ancien et le Nouveau, et qu’il dise: « Ce sont là les deux testaments sous une allégorie 7 »; si donc il n’y a aucune figure dans tous ces actes qui nous sont donnés ranime des symboles de l’avenir, par une autorité apostolique, nous devons croire qu’il n’ya rien non plus de significatif dans cette histoire du livre des Rois, que je viens de vous raconter au sujet de David. Mais ce n’est pas sans mystère que le nom est changé, et que l’on a écrit, « en présence d’Abimélech ».

4. Examinez donc avec moi. Tout ce que je viens de vous dire, est pour vous engager à frapper à ta porte, qui n’est point encore ouverte. Vous le dire, c’était frapper, et, pour nous encore, l’écouter, c’était frapper. Frappons aussi par la prière, afin que le  

1. I Rois, XVII, 50.— 2. Id. XVIII.— 3. I Cor. X, 11 —  4. Id. 3.—   5.  Id. 1- 4.— 6. Id. 4.— 7. GaI. IV, 24. 

Seigneur nous ouvre enfin. Nous avons le sens des noms hébreux; il n’a pas manqué d’hommes savants pour les traduire de l’hébreu en grec, et du grec en latin. Si donc nous examinons de près ces noms, nous trouvons que Abimélech signifie le royaume de mon Père; et Achis, comment cela est-il? Expliquons ces noms, et la porte va s’ouvrir sous nos coups. Si tu demandes: Que signifie Achis? on te répond qu’il signifie : Comment cela est-il? Mais comment, c’est le mot d’un homme qui admire sans comprendre encore. Abimélech, le royaume de mon Père : David, la main puissante. Or, David était la figure du Christ, comme Goliath était la figure du diable : et David qui renverse Goliath, est la figure du Christ qui renverse le démon. Mais qu’est-ce que le Christ qui donne la mort au démon ? C’est l’humilité qui tue l’orgueil. Ainsi, mes frères, nommer le Christ, c’est principalement nous prêcher l’humilité. C’est par l’humilité qu’il nous a ouvert le chemin du ciel : l’orgueil nous avait séparés de Dieu, nous ne pouvions retourner à lui que par l’humilité, et nous n’avions aucun modèle que nous pussions suivre. Les hommes, ces chétifs mortels, étaient pleins d’orgueil, et si quelques-uns avaient l’esprit d’humilité comme les Prophètes, les patriarches, la race humaine dédaignait de les suivre dans leur humilité. Mais afin que l’homme ne refusât plus d’imiter l’humilité d’un autre homme, voilà que Dieu s’est fait humble, afin que l’homme dans son orgueil ne dédaignât plus de suivre les pas d’un Dieu.

5. Vous le savez, il y avait jadis, chez les Juifs, un sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et dont les victimes étaient des animaux : tout cela était figuratif : alors n’existait point ce sacrifice du corps et du sang du Seigneur, que connaissent les fidèles et ceux qui ont lu l’Evangile, et qui est aujourd’hui répandu sur toute la terre. Représentez-vous donc deux sacrifices, l’un selon l’ordre d’Aaron, l’autre selon l’ordre de Melchisédech, dont il est écrit:

« Le Seigneur l’a juré, et sa parole est sans repentir: Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4 ) ». De qui le Psalmiste dit-il: « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech? » De Notre-Seigneur Jésus-Christ. Qu’était Melchisédech? Roi de Salem. Or, Salem fut autrefois  (317) une ville que l’on appela dans la suite Jérusalem, au dire des savants. Donc, avant que les Juifs en fussent maîtres, il y avait là le prêtre Melchisédech, appelé, dans la Genèse, prêtre du Très-Haut 1, Ce fut lui qui vint au-devant d’Abraham, quand ce patriarche délivra Loth des mains de ses persécuteurs, et que pour délivrer ce frère, il tua ceux qui l’emmenaient en captivité. Après cette délivrance, Melchisédech vint au-devant de- lui; et telle était la grandeur de Melchisédech, que ce fut lui qui bénit Abraham. Il prit du pain et du vin, puis-bénit Abraham, et Abraham lui donna la dîme. Voyez donc ce qu’il offrit, et l’homme qu’il bénit. Longtemps après David s’écrie: « Vous êtes prêtre pour l’éternité , selon l’ordre de Melchisédech ». C’était longtemps après Abraham, que l’Esprit de Dieu faisait ainsi parler David; et c’était au temps d’Abraham que vivait Melchisédech. De quel autre David a-t-il pu dire : « Vous êtes prêtre pour l’éternité, selon l’ordre de Melchisédech », sinon de celui dont vous connaissez le sacrifice ?

6. Donc, le sacrifice d’Aaron- est aboli, et alors a commencé le sacrifice selon l’ordre de Melchisédech. Un visage, et je ne sais lequel, est donc changé. Quel est-il, celui-là que j’ignore ? Qu’il ne nous soit plus inconnu, car c’est Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous connaissons. Il a voulu établir notre salut dans l’institution de son corps et de son sang. Par quel moyen ce corps et ce sang sont-ils venus en notre puissance 2 ? Par son humilité. S’il ne se fût fait humble, il ne serait point notre nourriture et notre breuvage. Voyez de quelle hauteur il est descendu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu 3 ». Voilà l’éternelle nourriture, la nourriture des Anges, la nourriture des Vertus d’en haut, la nourriture des Esprits célestes; ils mangent et ils sont rassasiés, et ce qui fait leur aliment et leur bonheur, n’en demeure pas moins tout-entier. Mais quel homme pourrait toucher à cette nourriture? Quel coeur d’homme serait assez préparé? Cette viande spirituelle devait donc être changée en lait, afin d’arriver aux enfants. Mais, comment une viande devient-elle du lait? Comment peut-elle subir ce changement, si ce n’est en passant par la chair? C’est là ce que fait la mère. Ce qu’a 

1. Gen XIV, 18.— 2. Matt. XXVI, 26. — 3. Jean, I, 1. 

mangé la mère, l’enfant le mange aussi; mais comme l’enfant est incapable de manger du pain, la mère doit faire passer ce pain par sa chair, et le rendre à son enfant dans le suc du lait, et par l’humilité des mamelles. Comment donc la divine Sagesse nous a-t-elle nourris du pain des Anges? C’est que « le Verbe s’est fait chair, et a demeuré parmi nous 1». Voilà le fruit de l’humilité, qui donne à l’homme le pain des Anges, ainsi qu’il est écrit : « Il leur a donné le pain du ciel, l’homme a mangé le pain des Anges 2. » C’est-à-dire, l’homme a mangé le Verbe, cette nourriture éternelle des Anges, et qui est égal à son Père; car, « ayant la nature de Dieu, il n’a pas cru que ce fût pour lui une usurpation de s’égaler à Dieu ». Telle est la nourriture des Anges: « Mais il s’est anéanti lui-même en prenant la forme de l’esclave, et en se rendant semblable aux autres hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il s’est humilié, se rendant obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix 3 », afin que par la croix il rendît auguste pour nous le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. Il a donc changé son visage devant Abimélech , ou devant le royaume de son père. Car le royaume de son père était le royaume des Juifs. Comment était-ce le royaume de son père? Le royaume de David, le royaume d’Abraham. Car le royaume de Dieu son Père est plutôt l’Eglise que le peuple juif: mais Israël est le royaume de son père selon la chair. Il est dit en effet : « Dieu lui donnera le trône de David son père 4». On le voit donc; David est selon la chair le père du Seigneur; mais selon la divinité le Christ est Seigneur de David, et non son fils. Quant aux Juifs, ils ont connu le Christ selon la chair, mais non selon la divinité. C’est pourquoi il leur fit cette question : « De qui dites-vous que le Christ soit fils? Fils de David », répondirent-ils. « Mais lui : Comment donc David, inspiré, l’appelle-t-il le Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusqu’à ce que j’aie fait de tes ennemis l’escalier de tes pieds? Si donc David, au souffle de l’Esprit-Saint, l’appelle son Seigneur, comment est-il son fils? Et ils ne pouvaient lui répondre 5 ». parce qu’ils ne connaissaient le Christ que des 

1. Jean, 1,14. — 2. Ps. LXXVII, 24,25.— 3. Philipp. II, 6-8.— 4. Luc, I, 32. — 5. Matt. XXII, 42-46.

(318)

yeux, et que leur coeur ne le comprenait point. liais s’ils eussent eu la lumière intérieure de l’âme, aussi bien que celle du jour, les oeuvres extérieures leur eussent montré dans Jésus le fils de David, et le mouvement de leur coeur leur eût fait connaître en lui le Seigneur de David.

7. « Il changea donc son visage en présence d’Abimélech 1». Qu’est-ce à dire devant Abimélech? Devant le royaume de son père. Quel royaume de son père? Devant les Juifs. «Et il le laissa, et il s’en alla». Qui laissa-t-il? Ce peuple Juif qui s’en est allé. Cherche maintenant le Christ chez les Juifs, tu ne l’y trouveras point, Comment les a-t-il laissés, et sont-ils partis? Parce qu’il a changé son visage. Ils se sont obstinés dans le sacrifice selon l’ordre d’Aaron, et n’ont point accepté le sacrifice selon l’ordre de Melchisédech 2, et ils ont perdu le Christ, qui est devenu l’héritage des nations , auxquelles cependant il n’avait pas envoyé ses Prophètes. Car il avait envoyé aux Juifs , et David et Isaac, et Jacob, et Isaïe, et Jérémie, et les autres Prophètes ; mais peu d’entre les toits les ont compris : je dis peu, en comparaison de ceux qui ont voulu périr; car ils étaient assez nombreux en eux-mêmes, et nous lisons qu’il y en avait des milliers. Il est écrit en effet: « Les restes seront sauvés 3 ». Mais aujourd’hui vous chercherez vainement des chrétiens circoncis, vous n’en trouverez point. Néanmoins, dans les premiers temps de ta foi, la circoncision fournit des milliers de chrétiens. Vous en chercherez maintenant, s’il n’y en a plus, Mais c’est avec raison que vous n’en trouvez point. « Car il a changé son visage devant Abimélech, et il l’a quitté et s’en est allé ». Il contrefit encore son visage devant Achis et il le laissa, et s’en alla. Ici les noms sont changés, afin que ce changement dans les noms, nous engageât à en chercher la raison mystérieuse ; de peur que nous n’en vinssions à croire qu’il n’y a de raconté et de mentionné dans les psaumes, que les histoires contenues dans les livres des Rois, sans nous mettre en peine d’en chercher les symboles, mais en regardant ces faits comme de simples histoires. Quel est donc le dessein de Dieu sur vous dans ces changements de noms? Il y a ici un mystère caché; frappez sans vous en tenir à la lettre, car la

1. I Rois, XXI, 13.— 2. Hébr. VII, 11.— 3. Rom. IX, 27.

lettre tue ; cherchez l’Esprit, parce que l’Esprit vivifie 1. La connaissance de l’Esprit sauve le vrai fidèle.

8. Voyons maintenant, mes frères, comment il quitta le roi Achis. Achis, avons-nous dit, signifie: Comment cela est-il? Car, souvenez-vous de ce que rapporte l’Evangile. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parla de son corps, il dit aux Juifs: « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura pas la vie en lui-même ; car ma chair est une véritable nourriture, et mon sang un véritable breuvage 2». Les disciples qui le suivaient furent saisis d’étonnement, ils eurent horreur de cette parole, et sans la comprendre, ils s’imaginèrent qu’il leur tenait je ne sais quel langage trop dur, comme s’ils devaient manger cette chair telle qu’ils la voyaient, et boire son sang: ils ne purent supporter ce discours, disant en quelque sorte : Comment cela est-il? Le roi Achis est ici la figure de l’erreur, de l’ignorance, de la folie. Quiconque dit : Comment, ne comprend pas; et ne pas comprendre est le propre des ténèbres de l’ignorance. Donc ils étaient -sous l’empire de l’ignorance, ou du roi Achis; c’est-à-dire que la puissance de l’erreur les dominait. Jésus disait : « Si quelqu’un ne mange ma chair, et ne boit mon sang ». Mais il avait changé son visage, et l’on ne voyait qu’une exaltation, une folie à donner à des hommes sa chair à manger, son sang à boire. Ainsi David passa pour un fou devant Achis, qui s’écria: « Pourquoi m’amener ce furieux 3? » Mais ne voit-on pas de la folie dans ces paroles : « Mangez ma chair, et buvez mon sang?» Et en disant: « Si quelqu’un ne mange ma chair et ne boit mon sang, il n’aura pas en lui-même la vie 4 ». Jésus est pris pour un insensé. Mais c’est le roi Achis, qui le prend pour un insensé, ou plutôt les vrais fous, les ignorants. Il les laisse donc et s’en va : leur coeur demeure sans intelligence, afin qu’ils ne le comprennent point. Comment lui ont-ils parlé? en disant en quelque sorte : Comment cela est-il? ce qui est la signification d’Achis. Ils dirent en effet: « Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 5 ? » Ils regardaient le Seigneur comme un insensé, un homme en détire, ne sachant ce qu’il

1. II Cor. III, 6.— 2. Jean, VI, 54-56.— 3. I Rois, XXI, 14.— 4. Jean, VI, 54. — 5. Id. 53 -

(319)

  disait. Mais lui qui savait ce qu’il disait, prêchait par avance ses mystères, en contrefaisant son visage, en affectant la folie et le délire; et il était dans des transports, et il frappait du tambour à la porte de la ville.

9. Mais voyons ce qu’il marquait en simulant sa folie, en frappant du tambour à la porte de la cité. Ce n’est pas sans raison qu’il est dit: « Il se heurtait contre le seuil de la  porte » ; ni sans raison qu’il est écrit: « Sa salive découlait sur sa barbe 1 ». Rien de tout cela n’est dit sans raison; et ce que l’on gagne à le comprendre doit nous faire supporter un discours un peu long. Vous savez, mes frères, que les Juifs, en présence de qui le Christ contrefit son visage, qu’il laissa aller, dont il se sépara, gardent aujourd’hui le repos. Si donc ceux qui ont perdu le Christ, qui les a quittés en se séparant d’eux, gardent sans profit ce repos du sabbat, pour nous, ce repos aura l’avantage de nous faire comprendre le Christ qui les a quittés pour venir à nous. Ce n’est donc point sans raison que tout cela est arrivé dans le délire de David, ni que l’on nous raconte qu’il avait des transports, qu’il frappait du tambour à la porte de la cité, qu’il se portait sur ses mains, qu’il heurtait contre le seuil de la porte, et que la salive coulait sur sa barbe. Affectabat, il avait des transports. Qu’est-ce qu’avoir des transports? C’est être sous le poids d’un vif amour. Et pourquoi ce vif amour? C’est pour compatir à nos infirmités; aussi a-t-il voulu prendre notre chair, et en elle tuer la mort. Donc, nous prendre en pitié, c’est là ce que l’on peut appeler un transport d’amour. Aussi l’Apôtre a-t-il jeté le blâme sur ceux qui sont durs et sans affection,. Car il reproche à quelques-uns d’être sans affection, sans miséricorde 2. Donc, où il y a de l’affection, il y a de la miséricorde. Où est la miséricorde? C’est que le Fils de Dieu nous a pris en pitié du haut du ciel ; et s’il n’eût point voulu s’anéantir, s’il fût demeuré dans cette forme divine qui le rend égal à son Père, nous serions demeurés éternellement sous l’empire de la mort: mais afin de nous délivrer de cette mort éternelle où l’orgueil nous avait conduits , il s’est humilié , il est devenu obéissant jusqu’à la mort, et la mort de la croix. Il a donc eu des transports pour arriver jusqu’à la mort de la croix. Mais 

1. I Rois, XXI, 13.— 2.Rom. 31.

on étend sur le bois celui que l’on crucifie; et pour avoir un tambour on fait subir sur le bois une tension violente à la chair, c’est-à-dire à la peau; et il est dit qu’il frappait sur un tambour, c’est-à-dire qu’il était cloué à la croix, horriblement étendu sur le bois. « Il avait des transports », oui, des transports d’amour pour nous, il voulait donner sa vie pour ses brebis 1. « Il frappait du tambour ». Comment? A la porte de la ville. C’est la porte que l’on nous ouvre pour notas faire croire en Dieu. Nous avions fermé ces portes au Christ, pour les ouvrir au diable, notre coeur était fermé à la vie éternelle : et parce que nous autres hommes, nous avions fermé notre coeur à la vie éternelle, et que nous ne pouvions voir le Verbe que voient les anges, le Seigneur notre Dieu s’ouvrait, par la croix, les coeurs des mortels, c’est ainsi qu’il frappait du tambour aux portes de la ville.

10. « Il se portait dans ses mains 2». Qui donc, mes frères, pourra comprendre que cela soit possible pour un homme? Qui se porte dans ses mains? Un homme peut être porté dans les mains d’un autre, jamais dans les siennes. Nous ne voyons donc pas que notas puissions l’entendre de David, dans te sens littéral; mais nous le voyons pour le Christ. Car il se portait dans ses propres mains quand il nous présentait son corps en disant: « Ceci est mon corps 3 ». Il portait alors ne corps dans ses mains. C’est la profonde humilité de Notre-Seigneur qui est recommandée aux hommes. C’est elle qu’il nous exhorte à imiter et à faire paraître en notre vie, afin que nous renversions Goliath 4, et que, nous alla. chant à Jésus-Christ, nous puissions vaincra l’orgueil. « Il tombait contre les poteaux de la porte 5». Que signifie, il se laissait tomber? Il s’abaissait jusqu’à la plus profonde humilité. Que sont « ces poteaux de la porte? » C’est le commencement de cette foi qui doit nous sauver. Nul ne peut se sauver s’il ne commence par croire, ainsi qu’il est dit dans le Cantique des cantiques : « Tu viendras, et tu en passeras par le commencement de la foi 6 ». Nous devons aller-jusqu’à voir Dieu face à face, ainsi qu’il est écrit : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce, que nous devons être un jour ne

1. Jean, x, 15.— 2. I Rois, XXI, 13.— 3. Matt. XXVI, 26.— 4. I Rois XVII, 49. — 5. Id. XXI, 13. — 6. Cant. IV, 8, selon les LXX.

(320)

 paraît pas encore. Nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel qu’il est 1 ». Nous le verrons donc, mais quand? Lorsque cette vie sera passée. Ecoute l’apôtre saint Paul: « Nous ne voyons Dieu s maintenant que comme dans un miroir et sous des images, mais alors nous le verrons face à face 2 ». Donc, avant de voir le Verbe face à face, comme le voient les anges, il faut encore nous tenir à ces portes, auxquelles heurta le Seigneur, en s’humiliant jusqu’à la mort 3.

11. Que signifie encore « sa salive qui découlait sur sa barbe? » Ce fut principalement en ce point « qu’il changea son visage devant Abimélech, ou Achis, qu’il quitta, et s’en alla 4 ». Car il quitta ceux qui ne le comprenaient point. Chez qui s’en alla-t-il? Chez les Gentils. Pour nous, comprenons donc ce qu’ils ne purent comprendre. La salive  

1. I Jean, III,2. — 2. I Cor. XIII, 12. — 3. Philipp. II,8. — 4. I Rois, XXI, 13  

découlait sur la barbe de David. Que désigne cette salive? Des discours puérils, car les enfants laissent ainsi couler leur salive. Ces paroles :  « Mangez ma chair, et buvez mon sang (Matt. XXVI, 26 ) », n’étaient-elles point des puérilités pour les Juifs ?Et néanmoins, ces puérilités cachaient sa force; car la barbe est le symbole de la force; et cette salive qui découlait sur sa barbe, que désignait-elle, sinon les paroles de faiblesse qui servent à voiler une grandeur infinie? Votre sainteté , je le présume, a compris le titre du psaume; et si nous entrons dans l’explication du texte, ii est à craindre que vos coeurs ne laissent échapper ce que vous avez entendu. Qu’il nous suffise d’avoir exposé ce titre au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; comme c’est demain jour de dimanche, et que nous devons parler, réservons-nous pour demain, afin que vous écoutiez plus volontiers le texte du psaume.

 

DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIII.

DEUXIÈME SERMON. — DISPOSITIONS A L’EUCHARISTIE. 

Bénir le Seigneur en tout temps, c’est le porter par l’humilité, c’est s’approcher de la vraie sagesse sans jalousie, parce qu’elle peut être aimée de tous; les schismatiques ne la veulent que pour eux. Purifions notre intérieur, afin que Dieu nous éclaire et nous comble de ses bénédictions intérieures.  

1. Je ne doute nullement que ceux d’entre vous qui nous ont écouté hier, ne se souviennent de notre promesse. Il est temps d’acquitter notre dette avec le secours de Dieu. C’est lui qui nous a inspiré la promesse, lui aussi qui nous donnera de l’accomplir, mais nous vous serons toujours redevable de la charité. C’est la dette toujours acquittée et qui demeure toujours, selon cette parole de l’Apôtre: «Ne demeurez redevables de rien à personne, sinon de la charité mutuelle (Rom. XIII, 8 )». Nous avons exposé hier le titre du psaume, et comme l’explication du texte nous eût retenus trop longtemps, nous avons ajourné cette explication. Ecoutons donc ce que le Saint-Esprit nous dit par la bouche de son Prophète, et qui, dans le cours du psaume, a rapport au titre que nous expliquions hier. Ceux qui n’y étaient pas, me le réclament comme une dette; mais de peur que si je m’y étendais encore comme hier, je ne trompasse l’attente de ceux envers qui je dois m’acquitter de ma promesse, que ceux qui sont présents aujourd’hui, et qui étaient hier absents, comprennent mon résumé autant qu’ils pourront. Ah! s’ils veulent me (321) questionner sur quelques points, mes oreilles seront prêtes à les écouter au nom du Christ, mais en d’autres moments, afin de ne pas employer à cela celui-ci.

2. Il est écrit au livre des Rois, disions-nous hier, que David, fuyant Saül, voulut s’abriter chez un roi de Geth, nommé Achis 1. Mais comme ses exploits y furent connus, craignant que la jalousie ne portât ce roi, chez qui il s’était réfugié, à tramer contre lui quelque mauvais dessein, il contrefit l’insensé, et comme saisi de fureur, « il changea son visage » ; et, comme il est écrit, « il était transporté, il battait du tambour à la porte de la ville, il était porté sur ses mains, il heurtait contre le seuil de la porte. Et le roi Achis dit: Pourquoi m’amener ce. fou? ai-je besoin d’un furieux? » Et il le laissa aller, accomplissant ce qui est écrit : « Il contrefit son visage, et il le laissa, et il s’en alla ». Mais ce roi que David laissa, était Achis; tandis que le titre du psaume porte: « Il contrefit son visage en présence d’Abimélech, et il le quitta et s’en alla ». Nous avons dit que ces changements de noms étaient symboliques, et que si le psaume répétait le même nom que l’histoire, nous aurions pu croire que le prophète racontait un fait, sans nous donner aucune prophétie figurative. Il y a donc une figure dans chacun des noms: car Achis veut dire: Comment est-ce? et Abimélech: Le royaume de mon Père, il y a de l’ignorance à dire: Comment est-ce? c’est le mot d’un homme qui admire et qui ne sait pas. Quant au nom d’Abimélech, il désigne le royaume des Juifs, que le Christ peut appeler royaume de mon père, parce que David est son père selon la chair, et que David régnait sur le peuple Juif. C’est donc devant le royaume de son père, qu’il «changea son visage, et il le quitta et s’en alla», parce que c’était là que l’on sacrifiait selon l’ordre d’Aaron, et qu’il a établi depuis le sacrifice de son corps et de son sang, qu’il a quitté la nation juive, et qu’il s’en est allé chez les Gentils, Que signifie: « Il avait des transports 2 ?» Il était transporté d’amour. Quel amour est comparable à la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, voyant notre infirmité, afin d. nous délivrer de la mort éternelle, à subi lui-même la mort temporelle avec tant d’outrages et tant d’injures? « Il frappait du tambour. » 

1. I Rois, XXI, 10, etc. — 2. Id. 13.   

On ne fait un tambour qu’en étendant une peau sur du bois, et quand David frappait du tambour il figurait le Christ à la croix. « Il frappait du tambour à la porte de la cité ». Que seraient ces portes de la cité, sinon ces coeurs que nous avions fermés au Christ, et qu’il s’est ouverts par les coups de la croix? « Il se portait sur ses mains». Comment se portait-il sur ses mains? Quand il nous donnait son corps même et son sang, il tenait en ses mains ce que savent les fidèles; il se portait lui-même en quelque sorte, quand il disait: « Ceci est mon corps 1 » . « Il heurtait contre le seuil de la porte 2 », c’est-à-dire, il s’humiliait. Car c’est là s’abaisser jusqu’au seuil de notre foi. Le seuil de la porte est le commencement de cette foi, qui a été le commencement de l’Eglise, pour arriver à la claire vue de Dieu : croire ce que l’on ne voit pas, c’est mériter de jouir de Dieu face à face. Tel est -en peu de mots le titre du psaume. Ecoutons maintenant les paroles de cet insensé qui frappe du tambour aux portes de la ville.

3. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche 3 ». Ainsi dit le Christ, ainsi doit dire le chrétien ; puisque le chrétien est incorporé au Christ, et que le Christ ne s’est fait honnie qu’afin que l’homme pût devenir un ange. C’est lui, qui dit : « Je bénirai le Seigneur ». Quand le bénirai-je? Quand il t’aura fait du bien. Sera-ce dans l’abondance terrestre? Quand il y a profusion de froment, de vin, d’huile, d’or, d’argent, d’esclaves, de troupeaux; lorsque cette santé mortelle demeure inaltérable et incorruptible, que tout ce qui naît dans tes domaines croît à souhait, qu’une mort prématurée n’enlève rien, que tout prospère dans ta maison, que tout tient de toutes parts, est-ce alors que tu béniras le Seigneur? Non: mais en tout temps; c’est-à-dire et dans ce moment, et lorsque cette prospérité, soit pour un temps, soit par l’ordre du Seigneur, sera troublée, que ces biens te seront enlevés qu’ils écloront plus rarement, qu’à peine éclos ils disparaîtront. Car voilà ce qui arrive, et ce qui amène la pauvreté, la disette, le labeur, la souffrance et la tentation. Mais toi, ô mon frère, qui as chanté : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche », bénis Dieu quand il te donne ces biens , bénis-le quand il te les enlève 

1. Matt. XXVI, 26. — 2. I Rois, XXI, 13. — 3. Ps. XXXIII, 2.  

(322)

C’est lui qui les donne, c’est lui qui les retire; mais il ne se retire point de celui qui le bénit.

4. Quel est toutefois l’homme qui bénit le Seigneur en tout temps, sinon l’homme qui est humble de coeur? Car c’est l’humilité que le Seigneur nous a enseignée dans son corps et dans son sang : s’il nous donne en effet son corps et son sang, il-nous prêche l’humilité, ainsi qu’il est écrit dans cette histoire, et dans cette espèce de fureur de David, dont nous avons parlé. « Et la salive coulait sur sa barbe 1 ». La lecture de [‘Apôtre vous a expliqué la salive, mais elle coulait sur la barbe, Quelqu’un me dira: De quelle salive avons-nous entendu parler? L’Apôtre qu’on vient de lire ne disait-il pas : « Les Juifs réclament des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse? »Voilà ce qu’on a lu: « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, (le voilà qui frappe du tambour), scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs ou Gentils, le Christ est la force ide Dieu, la sagesse de Dieu, car ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui paraît faiblesse en Dieu, est plus fort que les hommes 2 ». La salive était le symbole de la folie comme le symbole de la faiblesse. Mais la folie en Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse en Dieu plus forte que la force des hommes : que cette salive ne vous offusque point, mais faites attention qu’elle coule sur la barbe; et si la salive est une marque d’infirmité, la barbe est un symbole de force. Le Christ a donc voilé sa force sous la faiblesse de la chair, et ce qui paraissait faiblesse en lui, était comme une salive, mais sa force était cachée à l’intérieur, comme sa barbe était souillée. Tout ceci nous prêche l’humilité. Sois donc humble, ô mon frère, si tu veux bénir le Seigneur en tout temps; et que sa louange soit toujours en ta bouche. Car Job n’a pas seulement béni le Seigneur quand il regorgeait de ces biens, qui le rendaient, au dire de l’histoire, si heureux et si riche ; riche en troupeaux, en serviteurs, en palais, riche en postérité et en fautes choses. En un clin d’oeil tout lui fut enlevé, et il vit ce que dit notre psaume, en s’écriant: « Le Seigneur l’a donné, le Seigneur l’a ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur 

1. I Rois, XXI, 13.— 2.I Cor. I, 22-26.  

soit béni 1 ». Voilà un homme qui vous donne l’exemple et qui bénit le Seigneur en tout temps.

5. Mais pourquoi l’homme bénit-il le Seigneur en tout temps? Parce qu’il est humble. Mais être humble, qu’est-ce donc? C’est ne point rechercher la louange pour soi-même. Quiconque veut être loué pour lui-même, est orgueilleux. Mais où n’est point l’orgueil, là est l’humilité. Veux-tu donc n’être pas orgueilleux ? Afin de pouvoir être humble, dis ce qui suit : « Mon âme sera louée dans le Seigneur ; que ceux qui sont doux l’entendent, qu’ils partagent ma joie 2 ». Celui-là donc n’est pas doux, qui ne veut point être loué dans le Seigneur, mais il est opiniâtre, arrogant, enflé, superbe. Il faut au Seigneur une monture paisible, sois la monture du Seigneur, c’est-à-dire sois doux. Il s’assiéra sur toi, c’est lui qui veut te conduire ; ne crains pas de heurter ton pied ni de tomber dans l’abîme. Tu es infirme à la vérité, mais considère celui qui te dirige. Tu peux être le fils de l’ânesse, mais tu portes le Christ. Car ce fut sur le poulain de l’ânesse qu’il entra dans Jérusalem, et cet animal était doux. Or, était-ce l’animal que l’on chantait alors ? Etait-ce à lui que l’on chantait : « Hosanna, fils de David , béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 3 ? » C’était l’ânon qui portait, mais c’était au Christ, qu’il portait, que s’adressaient les acclamations de ceux qui précédaient et de ceux qui suivaient. Cet animal disait peut-être : « Mon âme sera louée dans le Seigneur; que les hommes doux l’entendent, et en soient dans l’allégresse ». Non, mes frères, cet ânon n’a jamais parlé de la sorte, mais que tel soit le langage du peuple dont il est la figure, si ce peuple veut porter le Seigneur. Ce peuple s’irritera-t-il d’être comparé à l’ânon qui est la monture du Seigneur Jésus ? et quelques hommes pleins d’enflure et d’orgueil, s’en viendront dire: Voilà qu’il fait de nous des ânes. Eh bien qu’il devienne l’âne du Seigneur celui qui me parlera de la sorte, mais qu’il ne soit ni le cheval ni le mulet qui n’ont point d’intelligence. Vous connaissez le psaume qui dit : « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, sans entendement 4 ». Le cheval et le mulet lèvent parfois la tête, et dans leur indocilité renversent leur cavalier. On les dompte avec le frein et

1. Job, I, 21.— 2. Ps. XXXIII, 3.— 3. Matt. XXI, 9.— 4. Ps. XXXI, 9. 

(323)  

le mors, avec le fouet, jusqu’à ce qu’ils s’assouplissent, et portent leur maître; mais toi, avant même que ta bouche soit meurtrie par le mors, sois doux et porte ton Dieu : ne recherche point la louange pour toi-même, cherche-la pour celui que tu portes, et chante alors : « Mon âme sera louée devant le Seigneur; que les hommes doux l’entendent, et qu’ils s’en réjouissent » ; car si ce n’est point un homme doux et humble qui l’entend, loin de s’en réjouir, il s’en irrite : et tels sont ceux qui nous reprochent de les comparer à des ânes. Quant aux coeurs doux, puissent-ils écouter, et devenir ce qu’ils entendent!

6. Voyons la suite: « Louez le Seigneur avec moi (Ps. XXXIII, 4 ) ». Quel est celui qui nous engage à bénir le Seigneur avec lui? Quiconque, mes frères, appartient au corps de Jésus-Christ ne doit pas avoir de plus grand soin que de faire bénir le Seigneur avec lui. Quel que soit cet homme, il aime le Seigneur. Et une manière de lui témoigner son amour, c’est de ne point porter envie à ceux qui l’aiment aussi bien que lui. Celui qui est épris d’un amour charnel, ressent nécessairement dans cet amour le poison amer de la jalousie; et s’il tient à voir dans une hideuse nudité, la créature qu’il poursuit d’un amour criminel, voudrait-il qu’un autre la vît aussi ? Il serait nécessairement dévoré de jalousie contre celui qui l’aurait vue également. Pour une femme, un préservatif de la chasteté, c’est de n’être vue que par celui qui en a le droit, mais par aucun autre, ou même par celui-là non plus. Mais II n’en est pas ainsi de la sagesse divine: nous la verrons face à face, nous la verrons tous, et sans jalousie. Elle se montre à tous, et pour tous elle demeure toujours pure et toujours chaste. Ceux qui la voient se changent en elle, et jamais elle ne se change en eux. C’est elle qui est la vérité, elle qui est Dieu. Or, avez-vous jamais ouï dire, mes frères, que Dieu subisse des changements? La vérité s’élève par-dessus tout, c’est le Verbe de Dieu, la sagesse de Dieu par qui tout a été fait ; elle a des coeurs qui sont épris d’elle. Mais que dit celui qui l’aime avec transport? « Bénissez avec moi le Seigneur ». Que je ne sois point le seul à bénir Dieu, le seul à l’aimer, le seul à l’étreindre dans ma joie ; et si je veux l’étreindre, je n’ai point à redouter qu’un autre ne trouve plus où poser sa main. Telle est l’ampleur de cette sagesse, que toutes les âmes peuvent s’y attacher et en jouir. Que dirai-je encore, mes frères ? Honte à ceux qui aimeraient Dieu de manière à l’envier aux autres ! Des hommes sans moeurs se passionnent pour un cocher, et quiconque aime un cocher ou un chasseur, voudrait que chacun l’aimât avec lui ; il presse, il engage : Aimez donc avec moi ce comédien, aimez avec moi telle ou telle infamie. Il crie au milieu du peuple, il veut que l’on partage son amour pour la honte; et un chrétien ne crierait point dans l’Eglise pour inviter à aimer avec lui la divine vérité? Stimulez donc parmi vous l’amour, mes frères, et criez à chacun des vôtres: « Bénissez avec moi le Seigneur ». Soyez tous dans cette émulation, autrement à quoi bon chanter des psaumes, et vous les expliquer? Si vous aimez Dieu, entraînez à l’amour de Dieu tous ceux qui vous sont unis, tous ceux qui partagent votre demeure : si vous aimez le corps de Jésus-Christ ou l’unité de l’Eglise, entraînez-les à jouir de Dieu, et dites avec allégresse : « Bénissez avec moi le Seigneur ».

7. « Et louons ensemble la sainteté de son nom (Ps. XXXIII, 4 ). Qu’est-ce à dire : « Louons ensemble? » Louons d’un commun accord, ainsi qu’on lit dans beaucoup d’exemplaires. « Bénissez avec moi le Seigneur, chantons la sainteté de son nom à l’unanimité ». Mais dire « ensemble », ou dire « d’un commun accord », c’est toujours le même sens. Entraînez donc dans cet amour tous ceux que vous pourrez ; exhortez, portez, suppliez, instruisez, rendez raison, avec douceur et bonté, entraînez-les à l’amour, afin que s’ils bénissent le Seigneur, ils le bénissent de concert. Les gens de Donat s’imaginent bénir le Seigneur; mais que leur a fait le reste du monde? Disons-leur donc, mes frères: « Bénissez le  Seigneur avec nous, chantez ses louanges d’un commun accord ». Pourquoi vous séparer pour bénir le Seigneur? Il est le seul Dieu, pourquoi voulez-vous lui faire deux peuples? pourquoi séparer le corps du Christ? Nous savons tous qu’il fut attaché à la croix  alors qu’il frappait du tambour, et que sur la croix il rendit l’esprit; et quand vinrent ceux qui l’y avaient suspendu, ils trouvèrent qu’il était déjà mort, et ils ne lui brisèrent point les jambes ; mais ils les rompirent aux larrons (324) qui vivaient encore sur la croix 1 , afin de hâter leur mort par cette nouvelle douleur, et de les descendre de la croix, comme c’était l’ordinaire pour les crucifiés. Le persécuteur vint donc et trouva que le Seigneur avait paisiblement rendu l’esprit, selon sa propre parole: « J’ai le pouvoir de livrer ma vie 2 ». Pour qui donc a-t-il donné sa vie ? Pour tout le peuple , pour son corps entier. Ainsi voici un bourreau, qui ne brise point les jambes à Jésus: mais Donat vient et fait une rupture dans l’Eglise du Christ. Sur la croix, entre les mains des bourreaux, le corps de Jésus-Christ demeure dans son intégrité, et le corps de l’Eglise ne demeure pas dans son intégrité entre les mains des chrétiens. Faisons donc entendre nos cris, mes frères, et des gémissements aussi profonds qu’il nous sera possible, et disons : « Bénissez avec moi le Seigneur, et chantons de concert son saint nom ». C’est là ce que leur crie l’Eglise : c’est la voix de l’Eglise appelant ainsi les dissidents. D’où vient leur séparation? de l’orgueil. Mais Jésus-Christ nous enseigne l’humilité par l’institution de son corps et de son sang: c’est là, comme nous l’avons dit à votre sainteté, le sujet que célèbre ce psaume, où il s’agit du corps et du sang du Christ, et où l’on nous représente cette humilité profonde à laquelle le Christ a bien voulu s’abaisser pour nous.

8. « J’ai cherché le Seigneur, et il m’a exaucé 3 ». Où a-t-il exaucé? à l’intérieur. Où donne-t-il sa grâce? à l’intérieur, C’est là que tu pries, là que tu es exaucé, là que tu obtiens le bonheur. Tu as prié, tu as été exaucé, tu es heureux; et celui qui est près de toi ne le sait point. Tout s’est fait dans le secret, selon cette parole du Seigneur dans l’Evangile : « Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte, priez en secret, et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Mais entrer dans votre chambre, c‘est entrer dans votre coeur. Bienheureux ceux qui rentrent avec joie dans leur coeur, et qui n’y trouvent rien de mauvais. Que sotte sainteté considère bien ceci : voyez qu’ils ne rentrent qu’à regret dans leur maison, ceux qui ont une épouse méchante, mais qu’ils s’en vont sur la place publique prendre leurs ébats, et qu’ils s’attristent quand l’heure 

1. Jean, XIX, 32, 33. — 2. Jean, X, 18. — 3. Ps. XXXIII, 5. — 4. Matt VI, 6.  

est venue pour eux de rentrer au logis; car ils n’y peuvent rentrer que pour y trouver l’ennui, les murmures, l’amertume et le trouble; puisqu’une maison ne peut être bien réglée, quand il n’y a point de paix entre le mari et ha femme, et que l’on est mieux à se promener au dehors. Si donc il est triste en rentrant à son logis d’avoir toujours à redouter de la part des siens le trouble et le bouleversement; combien plus encore sont malheureux ceux qui n’osent rentrer dans leur conscience, de peur d’y rencontrer le trouble et les remords du péché! Purifiez donc votre coeur, afin de pouvoir y rentrer volontiers. « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, car  ils verront Dieu 1 ». Otez-en les souillures des désirs mauvais, ôtez-en la tache de l’avarice, l’infection des pratiques superstitieuses. ôtez- en les sacrilèges et les pensées honteuses; ôtez-en la haine, je ne dis pas contre vos amis, mais encore contre vos ennemis; ôtez-en tout cela, et alors vous pourrez rentrer dans votre coeur et y trouver de la joie. Quand vous commencerez à goûter cette joie, vous trouverez aussi dans la pureté du coeur un parfum délicieux, et l’excitation à la prière; de même qu’en arrivant dans un lieu où règne le silence, où tout est calme et respire la propreté, vous dites aussitôt: Prions ici; la décence du lieu vous porte à croire que Dieu y exaucera vos prières. Si donc la propreté d’un lieu visible a pour vous tant d’attraits, comment n’êtes-vous point révolté des immondices de votre coeur? Entrez-y donc, purifiez-le complètement, levez les yeux vers Dieu, et aussitôt il vous exaucera. Crie donc, ô mon frère, et dis en ton coeur: « J’ai cherché le Seigneur, et il m’a exaucé, et il m’a délivré de toutes mes tribulations ». Pourquoi? Une fois que tu seras éclairé, et que ta conscience commencera par s’améliorer ici-bas, des tribulations te sont réservées, parce qu’il restera toujours en toi quelque faiblesse, jusqu’à ce que la mort soit absorbée par sa victoire, et que ce corps mortel soit revêtu d’immortalité 2 : il est donc nécessaire que tu sois châtié en cette vie, il est nécessaire que tu aies toujours quelques tentations à vaincre, Mais un jour Dieu purifiera tout, et te délivrera de tes afflictions. Cherche-le seulement.

9. « J’ai cherché le Seigneur et il m’a exaucé». Donc ceux qui ne sont point exaucés,  

1. Matt, V, 8. — 2. I Cor XV, 54.  

(325)  

n’ont point cherché le Seigneur. Que votre sainteté veuille m’écouter, Le Prophète ne dit point : J’ai cherché de l’or chez le Seigneur, et il m’a écouté; j’ai cherché une longue vieillesse dans le Seigneur, et il m’a exaucé; j’ai cherché tel ou tel objet dans le Seigneur, et il m’a exaucé. Autre chose est de chercher quelque chose dans le Seigneur, et autre de chercher le Seigneur lui-même. « J’ai cherché le Seigneur », dit-il, « et il m’a exaucé». Mais lorsque dans tes prières tu dis à Dieu : Envoyez la mort à celui-là, qui est mon ennemi ; ce n’est point là chercher le Seigneur, c’est là t’établir en juge de ton ennemi, et faire de Dieu un bourreau à tes ordres. Que sais-tu, si l’homme dont tu demandes la mort n’est pas meilleur que toi, par cela même qu’il ne demande pas la tienne? Ne va donc demander à Dieu rien qui ne soit Dieu, mais cherche Dieu lui-même, et il t’exaucera, et tu parleras encore, qu’il te dira : « Me voici 1 » Qu’est-ce à dire : Me voici? Voici que je suis présent, que veux-tu? quelle est ta demande ? Toute autre chose que je puisse te donner, est moins que moi; mais possède-moi, jouis de moi, étreins-moi de ton amour, tu ne le peux encore dans tout ce que tu es; touche-moi du moins par la foi, et tu t’attacheras à moi, dit le Seigneur, et je te déchargerai de tes autres fardeaux; afin que tu sois entièrement uni à moi, quand ce qu’il y a de mortel en toi sera devenu immortel 2 ; afin que tu sois égal à mes anges 3, et que tu voies toujours ma face, et que tu sois dans la joie, et que nul ne t’enlève ta joie 4; car tu as cherché le Seigneur, et il t’a exaucé, et t’a délivré de toutes tes afflictions.

10. Nous avons déjà dit quel est celui qui nous exhorte, cet amant qui ne veut pas seul étreindre l’objet de son amour, et qui dit «Approchez de lui, et vous serez éclairés ». Il dit ce qu’il a éprouvé lui-même. Que dit l’homme spirituel qui appartient au corps de Jésus-Christ, ou bien Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même dans son humanité, ce chef qui exhorte les autres membres? « Approchez de lui et vous serez illuminés 5 ». Ou plutôt, c’est un chrétien qui vit de l’esprit, qui nous invite à nous approcher de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Du moins approchons de lui, afin d’être éclairés, et non comme les Juifs, 

1. Isa. LXV, 24. — 2. I Cor. XV, 51. — 3. Matt. XXII, 30. — 4. Jean, XVI, 22. — 5. Ps. XXXIII, 6.

pour être plongés dans les ténèbres. Ils l’ont donc approché pour le crucifier, mais nous, approchons-nous de lui, pour recevoir son corps et son sang. Le crucifié les a couverts de ténèbres; et nous, en mangeant la chair et en buvant le sang du crucifié, soyons dans la lumière. « Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés ». C’est aux Gentils que s’adressent ces paroles. Le Christ à la croix était au milieu des Juifs, qui le voyaient et le traitaient cruellement; les Gentils n’étaient point là, et voilà que ceux qui étaient dans les ténèbres se sont approchés, et ceux qui ne voyaient pas ont été remplis de lumière. Comment s’approchent les Gentils? En le suivant parla foi, en exhalant les désirs de leurs coeurs, eu le poursuivant par l’amour. Tes pieds sont ton amour. Marche sur deux pieds, ne sois point boiteux. Quels sont ces deux pieds? les deux préceptes de l’amour de Dieu et du prochain. Sur ces deux pieds, coure à Dieu, approche-toi de lui, car lui-même t’engage à courir, et il ne t’a donné sa lumière, que pour te donner le moyen de le suivre d’une manière admirable et divine! « Car vos visages ne rougiront point. Approchez de lui », dit le Prophète, « et vous serez éclairés; et vos sages n’auront point à rougir 1 ». Il n’aura pour rougir, que le visage de l’orgueilleux. Pourquoi? parce qu’il veut être élevé, et qu’il rougit quand il doit dévorer un affront, subir quelque humiliation, quelque disgrâce du monde, ou quelque affliction. Mais ne craignez pas, approchez-vous de lui, et vous ne rougirez point. Qu’un ennemi vous nuise, il paraît avoir la supériorité sur vous, aux yeux des hommes; et néanmoins vous lui êtes supérieur devant Dieu. Je l’ai fait prendre, je l’ai enchaîné, je l’ai fait mourir. Quelle supériorité ne se donnent point ceux qui tiennent ce langage! Quelle supériorité ne se croyaient point les Juifs, quand ils souffletaient le Seigneur, quand ils lui crachaient au visage, quand ils frappaient sa tête d’un roseau, quand ils le revêtaient d’une tunique dérisoire! Comme ils se croyaient forts! Il paraissait faible au contraire; celui qui heurtait contre le seuil de la porte 2, mais il ne rougissait point. Il était la lumière véritable, qui éclaire tout homme venant en ce monde 3. Comme il n’y a point de confusion pour celle lumière, de même ceux qu’elle éclaire ne

1. Ps. XXXIII, 6. — 2. I Rois, XXI, 13.— 3.   Jean, I, 9.

(326)

seront point confondus. « Approchiez donc de s lui, et soyez éclairés, et vos visages n’auront point à rougir ».

11. Mais, dira quelqu’un, commuent s’approcher de Dieu ? Tant de maux, tant de fautes pèsent sur moi, tant de crimes rugissent dans ma conscience, comment oserai-je approcher de Dieu? Comment? En t’humiliant par la pénitence. Mais, dis-tu, je rougis de faire pénitence. Approche donc du -Seigneur, et tu seras éclairé, et ton front ne rougira point. Si la crainte de rougir te détourne de la pénitence, et que la pénitence te rapproche de Dieu; ne vois-tu pas que tu portes sur ton visage la peine de ton péché, puisque ton front a rougi, précisément parce qu’il n’approche pas de Dieu : et qu’il n’en approche point, parce qu’il ne veut point faire pénitence? C’est là ce qu’affirme le Prophète : « Le pauvre a crié, et le Seigneur l’a exaucé 1 ». Il t’enseigne la manière d’être exaucé. C’est parce que tu es riche que Dieu ne t’exauce pas. Peut-être as-tu crié sans être exaucé, écoute pourquoi. « Ce pauvre a crié, et Dieu l’a exaucé ». Sois donc pauvre, afin de crier, et le Seigneur t’exaucera. Comment crier dans ma pauvreté? diras-tu. Ne présume point de tes propres forces, quelles que soient tes richesses ; comprends enfin que tu es dans l’indigence, et que cette indigence doit durer tant que tu ne posséderas pas celui qui doit l’enrichir. Comment le Seigneur l’a-t-il exaucé? « En le sauvant », dit le Prophète, « de toutes les tribulations ». Comment l’a-t-il sauvé de toutes les tribulations? « L’ange du Seigneur se placera autour de ceux qui le craignent, et il les délivrera 2 ». Voilà ce qui est écrit, mes frères, et non point comme portent certains exemplaires peu exacts: « Le Seigneur placera son ange autour de ceux qui le craignent »; mais bien: « L’ange du Seigneur campera autour de ceux qui le craignent, et les délivrera». Quel est celui qu’il appelle l’ange du Seigneur, et qui doit camper autour de ceux qui le craignent pour les délivrer? Jésus-Christ Notre-Seigneur est appelé dans les prophéties, l’ange du grand conseil, le messager du grand conseil, ainsi le désignent les Prophètes 3. C’est donc l’ange du grand conseil, ou ce messager, qui campera autour de ceux qui le craignent, afin de les délivrer. Ne craignez point d’échapper à 

1. Ps, XXXIII, 7.— 2. Id. 8.— 3. Isa. IX, 6, selon les LXX. 

sa vigilance; partout où vous craindrez le Seigneur, cet ange vous découvrira, et campera autour de vous afin de vous délivrer.

12. Voilà que le Prophète parle maintenant avec clarté de ce sacrement dans lequel il se portait dans ses mains. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 1 ». Le psaume ne commence-t-il pas à s’expliquer, et à te montrer cette espèce de folie et de fureur calme, cette folie sage, cette sobre ivresse de ce David, qui désignait en figure je ne sais quel mystère, lorsque dans la personne d’Achis, les Juifs lui dirent : « Comment cela se peut-il 2 ? » Rappelle-toi que le Seigneur disait: « Celui qui ne mange point ma chair et ne boit point mon sang, n’aura pas en soi la vie 3 ». Et ceux qui appartenaient au royaume d’Achis, ou à l’erreur et à l’ignorance, que répondirent-ils? « Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 4? » Si tu l’ignores, goûte, et vois combien le Seigneur est doux : si tu ne le comprends point, tu es le roi Achis. David changera sa face, et il te quittera, il se retirera de toi pour s’en aller.

13. « Bienheureux l’homme qui espère en lui 5 ! » Est-il besoin d’expliquer longuement cette phrase ? Quiconque n’espère pas dans le Seigneur, est misérable. Et qui n’espère point dans le Seigneur? Celui qui espère en lui-même. Souvent même, ce qui est pire, mes frères , ne l’oubliez point, c’est que les hommes ne veulent point espérer en eux-mêmes, mais dans d’autres hommes. Tant que vivra Gaius Séius, disent-ils, on ne peut rien me faire. Souvent on parle ainsi d’un homme déjà mort. On dit dans cette ville : Tant que cet homme vivra, je n’ai rien à craindre, et souvent alors cet homme est mort dans une autre ville. Cependant il n’y a rien de plus commun que ce langage, et les hommes ne disent point:

Je crois en Dieu, qui ne te permettra point de me nuire. Ils ne disent point: Je me confie en Dieu, parce que s’il te donne quelque pouvoir sur moi, il ne t’en donnera point sur mon âme. Mais quand ils disent : J’en jure par le salut de cet homme, d’abord ils ne veulent pas le salut véritable, et de plus ils font tort à ceux dont ils espèrent le salut pour eux-mêmes.

11. « Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes ses saints, parce que rien ne manque 

1. Ps. XXXIII, 9.— 2. I Rois, XXI, 11. — 3. Jean, VI, 54. — 4. Id. 53. —  5. Ps. XXXIII, 9.

(327)

à ceux qui le craignent 1 ». La crainte de souffrir la disette, c’est là ce qui en détourne beaucoup de la crainte de Dieu. On leur dit: Ne fraudez personne ; et ils répondent: Comment vivrai-je ? Ma profession ne se peut exercer sans quelque fraude, il faut tromper quelque peu dans le négoce. Mais Dieu punit la fraude : crains donc le Seigneur. Mais si je crains le Seigneur, je ne pourrai vivre. «Craignez le Seigneur, ô vous qui êtes ses saints, car rien ne manque à ceux qui le craignent ». Il promet l’abondance à celui qui le craint, et qui hésite à le servir, dans l’appréhension d’être privé du superflu. Eh quoi! le Seigneur qui t’alimente lorsque tu le négliges, t’abandonnera quand tu le crains? Sois donc sage, et garde-toi de dire: Un tel est riche et moi je suis pauvre; je crains le Seigneur, et celui-là qui ne le craint pas, quels biens n’a-t-il pas amassés, tandis que ma crainte m’a laissé dans l’indigence ! Ecoute bien ce qui suit: « Les riches ont éprouvé l’indigence et la faim, mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens en abondance 2 ». Ces paroles te paraissent trompeuses en les prenant à la lettre ; car tu vois beaucoup de riches impies mourir au milieu de leurs richesses, et n’éprouver point la pauvreté pendant leur vie; tu les vois vieillir et arriver à la fin de leur vie, parmi leurs grandes richesses ; on leur fait des pompes funèbres avec une grande magnificence; au milieu des pleurs de leur famille on les conduit dans un riche tombeau, eux qui sont morts sur un lit d’ivoire; et toi, qui connais peut-être les dérèglements et les crimes d’un tel homme, tu dis en ton âme : Je sais ce qu’il a fait ; et néanmoins il a vieilli, il est mort dans son lit, les siens le conduisent à la tombe, et on lui fait de si grandes funérailles : et moi, je connais ce qu’il a fait, et l’Ecriture m’en impose, elle me trompe, quand j’entends et quand je chante: « Les riches ont éprouvé l’indigence et la faim ». Quand cet homme a-t-il été pauvre, et quand dans l’indigence ? « Mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens en abondance». Chaque matin je me rends à l’Eglise, chaque jour je fléchis le genou, chaque jour je cherche le Seigneur, et pourtant je ne possède aucun bien: tel autre s’est peu soucié du Seigneur, et il est mort dans de grandes richesses. C’est là le

1. Ps. XXXIII, 10.— 2. Id. 11

noeud du scandale qui étouffe celui qui pense de la sorte. Il cherche sur la terre un aliment périssable, et ne cherche point dans le ciel une véritable récompense ; il donne tête baissée dans le filet du diable, qui lui presse la gorge, le pousse au mal, et lui fait imiter ce riche qu’il voit mourir parmi tant de richesses.

15. Loin de toi donc d’entendre ainsi ces paroles. Comment les entendrai-je? des biens spirituels. Où sont-ils ? C’est le coeur qui les voit et non les yeux. Mais je ne vois pas ces biens? Quiconque les aime, les voit. Je ne vois point la justice? Elle n’est pas de l’or, elle n’est pas de l’argent. Si elle était de l’or, tu la verrais; mais parce qu’elle est la foi, tu ne la vois point. Et si tu ne vois point la foi, pourquoi donc aimes-tu un serviteur fidèle? Interroge tes sentiments, et vois quel est le serviteur que tu aimes. Tu as peut-être un serviteur d’une belle figure, d’une haute stature, d’un port élégant; mais il est fripon, méchant et fourbe:

tu en as un autre, qui est peut-être petit de taille, désagréable de visage, et au teint basané, mais fidèle, économe et sobre ; examine bien, je t’en prie, celui que tu préfères. Les yeux du corps donneront la préférence au serviteur fourbe, mais bien fait ; mais les yeux du coeur au serviteur fidèle, mais disgrâcié. Tu vois donc ce que tu désires qu’un autre te rende, c’est-à-dire la bonne foi, c’est à toi à la lui rendre aussi. Pourquoi ressens-tu de l’affection pour celui qui se montre fidèle, et as-tu des éloges pour des qualités que voient seulement les yeux du coeur ? Seras-lu donc pauvre, quand tu seras comblé de ces richesses spirituelles? Etait-ce donc pour tel autre une grande richesse, qu’un lit d’ivoire? et tu te crois pauvre, quand le ht de ton coeur étale comme des perles ces vertus de justice, de vérité, de charité, de foi, de patience, de mansuétude ! Examine tes richesses, si tu possèdes ces vertus, et compare-les aux grands biens des riches. Mais celui-ci, dans son négoce, trouve des mules de grand prix elles achète; si la foi pouvait se vendre, à quel prix n’en achèterais-tu pas? Et cependant Dieu u voulu te la donner gratuitement, et tu ne l’en remercies pas. Le s riches sont donc dans la disette, ils sont dans la pauvreté ; et ce qui est pire encore, ils n’ont pas un morceau de pain. Je ne veux pas dire qu’ils n’ont ni or ni argent, quoique souvent même ils en (328) manquent. Combien cet autre n’en avait-il pas? et en a-t-ii été rassasié ?-Il est donc mort pauvre, puisqu’il voulait encore acquérir plus qu’il n’avait. Mais ils n’ont pas un morceau de pain. Comment n’ont-ils pas de pain? Si tu ne connais pas le vrai pain, le pain te dit lui-même : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel 1 » ; et encore: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce qu’ils seront rassasiés 2 » . « Mais ceux qui cherchent le Seigneur auront les biens en abondance ». Oui, les biens dont nous avons parlé.

16. « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu 3 ».Vous pensez, mes frères, que c’est moi qui vous parle : croyez que c’est David qui vous parle de la sorte, croyez que c’est l’Apôtre qui vous parle, ou plutôt croyez que c’est Jésus-Christ qui vous dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi ». Ecoutons-le donc ensemble, écoutez-le par ma bouche: il veut nous enseigner dans son humilité, ce fou divin, qui frappait du tambour, il veut nous enseigner. Et que dit-il? « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu». qu’il nous enseigne donc, prêtons-lui l’oreille, ouvrons surtout notre coeur. N’ouvrons pas des oreilles de chair, pour lui fermer nos coeurs, mais, comme le dit l’Evangile: « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre 4»   Qui refuserait d’entendre le Christ qui nous instruit par son Prophète ?

17. « Quel est l’homme qui souhaite la vie, met qui soupire après des jours heureux 5? » Voilà ce qu’il demande. Chacun d’entre vous ne répond-il pas : C’est moi ? En est-il un  seul d’entre vous pour ne souhaiter pas la vie, c’est-à-dire, qui ne veuille vivre, et ne soupire après des jours heureux? N’est-ce point là ce que vous dites chaque jour dans vos murmures : Combien dureront ces misères? Chaque jour va de mal en pire. Nos ancêtres avaient des jours plus beaux, des jours plus heureux. Si tu pouvais interroger tes pères, tu les entendrais se plaindre aussi de leur temps; ils te diraient dans leurs murmures : Nos pères étaient heureux, nous voilà misérables, nous avons des jours mauvais : le règne d’un tel était déplorable, nous avions cru qu’à sa mort nous aurions un peu de relâche, et 

1. Jean, VI, 41 . — 2. Matt. V, 6. — 3. Ps. XXXIII, 12. —  4. Matt. XI, 15 — 5. Ps. XXXIII, 13.  

nous sommes plus mal encore. O Dieu, faites luire pour nous d’heureux jours! « Quel est l’homme qui souhaite la vie, et qui soupire après des jours heureux? » Qu’il ne cherche point le bonheur ici-bas. Ce qu’il cherche est bien, mais il ne le cherche pas où il réside. Si vous cherchez un homme dans un pays qu’il n’habite pas, on vous dira : Vous cherchez un homme de bien, vous cherchez un grand homme, cherchez-le, mais pas ici, vous le chercherez vainement en ces contrées, vous ne l’y trouverez jamais. Vous cherchez des jours heureux, cherchons-les ensemble, mais non pas ici-bas. Et pourtant nos pères en avaient. Vous vous trompez, tous ont souffert en cette vie. Lisez les Ecritures; Dieu les a fait écrire afin qu’elles fussent pour nous une consultation. Au temps d’Elie, il y eut une grande famine, et nos pères en souffrirent cruellement. Des têtes d’ânes morts se vendaient à prix d’or, on tuait ses propres enfants pour les manger; deux femmes résolurent ensemble de tuer leurs fils et de les manger: l’une tua son fils et toutes deux le mangèrent; l’autre ensuite ne voulut plus tuer son enfant, et celle qui la première avait-tué le sien, l’exigeait pourtant; ce procès fut porté devant le roi, elles comparurent devant lui, plaidant le meurtre de leurs enfants 1. Que Dieu éloigne de nous ce que nous lisons de ces mets horribles. Mais dans le monde il y aura toujours des moments malheureux, et tous les jours seront heureux en Dieu. Abraham eut des jours heureux, mais dans l’intérieur de son coeur. Il eut des jours mauvais, quand la famine l’obligea de changer de pays pour chercher des vivres 2. Tous ont cherché comme lui, Paul avait-il des jours heureux, lui qui souffrait « la faim, la soif, le froid, la nudité 3?» Mais que les serviteurs s’apaisent : le Seigneur lui-même n’eut point des jours heureux en ce monde, lui qui dut passer par les affronts, par les injures, par la croix, et par tant d’autres maux.

18. Que le chrétien ne murmure donc point, qu’il considère celui dont il suit les traces. Mais s’il veut des jours heureux, qu’il entende le divin docteur qui lui dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Que veux-tu, ô chrétien? La vie et des jours heureux. Ecoute  

1. IV Rois, VI, 26-30. —   2. Gen. XII, 10, XXVI, 1. — 3. II Cor. XI, 27.  

(329)  

et agis : «Préserve ta langue du mal 1». Oui, fais cela. Je ne veux point, dit l’homme du fond de sa misère, je ne veux point interdire le mal à ma langue, et pourtant je veux la vie et des jours heureux. Si un homme de peine te disait :Je ravage ta vigne, et je veux encore un salaire ; tu m’as amené à ta vigne afin de la tailler, de l’ébourgeonner, j’en coupe tous les bois fruitiers, j’énerve les branches vigoureuses, afin que tu n’y puisses rien recueillir, et quand j’aurai fait cela, tu me paieras mon travail. Ne dirais-tu point que cet homme est insensé? Ne le chasserais-tu pas de chez toi, avant qu’il prenne la serpe en main? Tels sont les hommes qui veulent faire le mal, commettre le parjure, blasphémer Dieu, murmurer, s’adonner à la fraude, à l’intempérance, aux procès, à l’adultère,  user d’amulettes, consulter les devins, et avoir des jours heureux. On lui dit : Tu ne peux, en commettant le mal, revendiquer la récompense du bien. Si tu es injuste, le Seigneur le sera-t-il aussi? Que ferai-je donc? Et que veux-tu? Je veux la vie, je veux des jours heureux, « Préserve donc ta langue du mal, et que tes lèvres ne distillent point la fraude » ; c’est-à-dire, que nul ne soit victime de ta fraude, nul de tes mensonges.

19. Mais que signifie : « Détourne-toi du  mal 2? » C’est peu de ne nuire à personne, de ne tuer personne, de ne commettre ni vol, ni fraude, ni adultère, et de ne faire aucun faux témoignage. « Détourne-toi du mal » ; mais à peine en es-tu détourné que tu dis : Je suis en sûreté, j’ai tout fait, j’aurai la vie , je verrai des jours heureux. Non-seulement « détourne-toi du mal»; mais,  « fais le bien ». C’est peu de ne dépouiller personne, il faut vêtir le pauvre. Ne pas dépouiller, c’est éviter le mal; mais tu ne feras le bien qu’à la condition de recevoir l’étranger dans ta demeure. Donc, évite le mal, afin de faire le bien. « Cherche la paix, et suis-la». Il ne te dit point: Tu auras la paix ici-bas, mais : Cherche-la et poursuis-la. Où la chercher? Où elle s’est retirée. Notre paix, c’est le Seigneur qui est ressuscité, qui est monté aux cieux. « Cherche donc là paix et poursuis-la » : car à la résurrection, ce qu’il y a de mortel en toi sera changé, et tu embrasseras cette paix que nul ne pourra troubler. La Paix sera parfaite pour toi, 

1. Ps. XXXIII, 14. —  2. Id. 15.  

puisque tu ne souffriras plus la faim. C’est le pain qui fait la paix ici-bas ; ôte le pain, et vois quelle guerre tu ressentiras en tes entrailles. Pourquoi donc les justes ont-ils à gémir ici-bas, mes frères? C’est afin de vous apprendre qu’en cette vie nous cherchons la paix, et que nous l’obtiendrons à la fin seulement. Mais essayons de l’avoir en partie en cette vie, afin de l’avoir entièrement dans l’autre. Qu’est-ce à dire en partie? Soyons en bonne harmonie, aimons notre prochain comme nous-mêmes. Aie donc pour ton frère le même amour que pour toi-même, sois en paix avec lui. Mais il est impossible de bannir toute espèce de rixe, comme on en voit s’élever entre des frères, et même entre des saints, comme il s’en éleva entre Barnabas et Paul 1, mais qui n’allaient point jusqu’à éteindre la charité, jusqu’à étouffer la concorde. Car tu es souvent en désaccord avec toi-même, et néanmoins tu n’as pas de haine pour toi. Quiconque a du repentir est en désaccord avec lui-même, Il a péché, il rentre en lui-même, il se fâche d’avoir agi de la sorte, d’avoir fait cette faute. Il est donc en désaccord avec lui-même, mais ce désaccord doit rétablir l’harmonie. Vois de quelle manière un juste se querelle, et se dit : «Pourquoi cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? Espère dans le Seigneur, parce que je le confesserai encore 2 ». Si donc il dit à son âme : « Pourquoi me troubler? » c’est qu’elle lui causait du trouble. Il voulait peut-être souffrir pour le Christ, et son âme s’en affligeait. Et lui qui le savait, et qui disait : « Pourquoi donc, ô mon âme, t’attrister et me troubler? » n’était pas en paix avec lui-même; mais il était uni d’esprit au Christ, afin que son âme le suivît, et qu’elle ne le troublât plus. Donc, mes frères, cherchez la paix. « Je vous parle de la sorte», dit le Seigneur, «afin que vous ayez la paix en moi; je ne vous promets point la paix sur la terre 3».  Il n’y a en cette vie ni paix véritab1e, ni tranquillité. On nous promet la joie de l’immortalité, et la société des anges. Mais quiconque ne l’aura point cherchée pendant cette vie, ne la possédera point, quand elle doit nous échoir.

20. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes 4 ». Bannis donc toute crainte, et  travaille; les yeux du Seigneur sont sur toi, 

1. Act. XV, 39,— 2. Ps. LXII, 5.— 3. Jean, XVI, 33.— 4. Ps. XXXIII, 16. 

(330) 

« Et ses oreilles attentives à. tes prières ». Que veux-tu de plus? Si le père de famille n’entendait point dans une maison nombreuse les murmures d’un serviteur, celui-ci pourrait se plaindre et dire: Quelles sont nos douleurs! et nul ne nous entend. Mais peux-tu dire en parlant de Dieu : Quelles sont mes douleurs, et nul ne m’entend? Mais, diras-tu, s’il m’entendait, il me délivrerait de cette affliction: je crie, et néanmoins je suis dans la douleur. Tiens ferme seulement dans tes voies, et dans ta douleur il t’écoutera. Mais il est médecin, et il reste en toi je ne sais quelle gangrène; tu cries, mais il tranche encore; et sa main ne s’arrêtera point qu’il n’ait fait les incisions qu’il sait nécessaires. C’est en effet une cruauté pour un médecin, d’écouter les cris d’un malade, de ménager la blessure la gangrène. Comment une mère frictionne-t-elle ses enfants dans les bains? Les enfants ne poussent-ils point des cris entre ses mains? cependant elle est assez cruelle, pour ne point cesser et n’écouter point leurs larmes. les aime-t-elle point de toute sa tendresse? pourtant ces enfants poussent des cris, et mères ne les épargnent point. Ainsi en est-il de Dieu qui est plein de tendresse pour nous: et s’il paraît ne point nous écouter, c’est afin de nous guérir, et de nous épargner dans l’éternité.

21. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières », Mais, pourra dire le méchant, je tais donc le mal en toute sécurité, puisque les yeux du Seigneur ne sont pas sur moi : si une Dieu ne regarde que les justes, il ne me voit point; et je suis en sûreté dans toutes mes actions. Or, l’Esprit-Saint, voyant ces pensées hommes, ajoute aussitôt: « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles attentives à leurs prières: mais le regard de sa colère est sur ceux qui font le mal, afin d’effacer leur mémoire de la terre 1 ».

22. « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de tous leurs maux 2». Les trois enfants de la fournaise étaient justes: et ils crièrent vers le Seigneur, et à leurs chants les flammes devinrent une douce rosée. Ces flammes ne purent approcher ni meurtrir ces trois enfants, justes et innocents, et le Seigneur arracha aux flammes 3. Mais, dira quelqu’un, à la vérité, voilà trois justes qui ont  

1. Ps. XXXIII, 16, 17. — 2. Id. 18. — 3. Dan. III, 49.  

été exaucés, selon cette parole: « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de leurs tribulations » ; mais moi j’ai crié, et il ne m’a point délivré : donc ou bien je ne suis pas juste, ou je ne fais point ce que Dieu ordonne, ou peut-être que Dieu ne me voit point. Sois sans crainte, et fais ce que Dieu ordonne; et s’il ne te délivre point d’une manière corporelle, il délivrera ton âme. Lui qui délivra les trois enfants des flammes, en délivra-t-il les Macchabées ? Si les uns chantaient au milieu des flammes, les autres n’y expiraient-ils pas 1 ? Le Dieu des trois enfants n’était-il pas le Dieu des Macchabées ? Il a délivré les uns sans délivrer les autres; au contraire, il les a tous délivrés; il a délivré les trois enfants, afin de confondre les hommes charnels; il n’a pas délivré les Macchabées de la même manière, afin que leurs persécuteurs fussent plus sévèrement condamnés, parce qu’ils avaient cru opprimer les martyrs de Dieu. Il délivra Pierre quand l’Ange vint trouver cet Apôtre dans les chaînes et lui dit: « Lève-toi, et va-t’en » : et alors ses chaînes furent déliées, et il suivit l’ange qui le délivra 2. Pierre avait-il cessé d’être juste, quand le Seigneur ne le délivra point de la croix? Mais ne le délivra-t-il pas alors? Il le délivra certainement. N’a-t-il vécu plus longtemps que pour devenir injuste ? Dieu en ce moment le délivra, plus qu’auparavant, puisqu’il l’arracha véritablement à toutes les misères. Après que Dieu l’eût délivré une première fois, combien cet Apôtre n’eût-il pas à souffrir dans la suite? au lieu que Dieu le fit passer de la croix à ce lieu où l’on ne doit plus souffrir.

23. « Le Seigneur est près de ceux qui ont le coeur brisé, et il doit sauver les hommes  humbles d’esprit 3 ». Dieu est élevé; que le chrétien s’abaisse, qu’il pratique l’humilité s’il veut que Dieu s’approche de lui. Ce sont là de grands mystères, mes frères. Dieu est au-dessus de tous; élève-toi, tu ne l’atteindras point; humilie-toi, et il descendra jusqu’à ton niveau. « De grandes tribulations sont réservées aux justes ». Dieu nous dit-il: Que les chrétiens soient justes, qu’ils écoutent ma parole, afin de n’avoir aucune affliction à souffrir? Telles ne sont point ses promesses; mais il dit: « De grandes tribulations sont réservées aux justes ».   Donc, s’ils ne sont point justes, ils 

1. II Macch. VI, 3.—  2. Act. XII, 7. — 3. Ps. XXXIII, 19.  

(331) 

en auront moins à en endurer, et parce qu’ils sont justes, ils en auront beaucoup. Mais après des souffrances ou légères ou nulles, les injustes arriveront à la douleur éternelle, dont ils ne seront point délivrés; tandis que les justes, après les grandes douleurs de cette vie, arriveront à l’éternel repos, où ils n’auront aucun mal à souffrir. « De grandes tribulations sont réservées aux justes; mais le Seigneur les délivrera de tous les maux 1 ».

24. « Il garde tous leurs os, pas un ne sera brisé 2 ». Ceci, mes frères, ne doit point s’entendre d’une manière charnelle. Les ossements dont la force des fidèles. De même que, dans le corps humain, les os donnent la solidité, de même, dans le coeur du chrétien, c’est la foi qui en fait la force. La patience qui vient de la foi nous constitue une ossification intérieure. C’est là ce qu’on ne peut briser. « Le Seigneur garde tous leurs os, pas un ne sera brisé ». Si le Prophète, en partant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, eût dit Le Seigneur garde tous les ossements de son Fils, nul ne sera brisé : selon la figure qui nous en est donnée dans un autre endroit, quand il fut prescrit d’immoler un agneau et que Moïse ajouta: « Garde-toi d’en briser les « os 3 » ; assurément cette prédiction s’est accomplie en Jésus-Christ. Quand il pendait à la croix, il expira avant que les soldats vinssent à lui, et comme ils trouvèrent son corps inanimé, ils ne voulurent point lui briser les jambes, et ainsi s’accomplit la prédiction 4. Mais le Seigneur fait encore cette promesse aux autres chrétiens : « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera brisé ». Si donc, mes frères, nous voyons quelque juste endurer quelque souffrance, telle amputation que lui fait un médecin, telle meurtrissure que lui fait un ennemi, au point que ses os soient brisés, ne disons pas : Cet homme n’était pas juste, puisque Dieu a fait à ses justes cette promesse : « Le Seigneur garde leurs os, pas un ne sera brisé ». Voulez-vous voir qu’il parle d’autres os, de ceux que nous appelons la force de la foi, c’est-à-dire de la patience à endurer la douleur? Car tels sont les os que l’on ne brise point. Ecoutez et voyez ce que je vais dire de la passion du Sauveur. Le Seigneur était crucifié au milieu de deux voleurs : l’un d’eux lui insulta, l’autre crut en lui ; l’un fut damné, l’autre justifié; l’un   

1. Ps. XXXIII, 20.— 2. Id. 21.— 3. Exod. XII, 46.—  4. Jean, XIX, 33. 

subit son châtiment ici-bas et dans l’éternité, et le Seigneur dit à l’autre : « En vérité, je vous le dis, vous serez aujourd’hui avec moi dans le paradis 1 » : et pourtant, ceux qui étaient venus et qui ne brisèrent point les ossements du Seigneur, brisèrent ceux des deux larrons 2 ; en sorte que ceux du larron blasphémateur furent brisés comme les os de celui qui crut en Jésus-Christ. Où est donc la vérité de cette parole: « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera rompu? » N’a-t-il donc pu garder tous les os de ce voleur à qui il disait: « Aujourd’hui , tu seras avec moi dans le paradis? » Le Seigneur te répond : Au contraire, je les ai gardés, puisque les coups des bourreaux qui lui brisaient les jambes n’ont pu ébranler la solidité de sa foi.

25. « La mort des pécheurs est très funeste 3 ». Ecoutez ceci, mes frères, après ce que nous venons de dire. Assurément Dieu est grand, sa miséricorde est grande; il est grand, celui qui nous a donné à manger son corps tout meurtri, et son sang à boire. Comprenez comment il voit les pensées corrompues des hommes qui disent : Cet homme est mort, les bêtes l’ont dévoré ; il n’était pas juste, puisqu’il a péri si misérablement; autrement, eût-il péri de la sorte? Donc celui-li est juste qui meurt chez lui et dans son lit ? C’est encore là ce qui m’étonne, diras-tu, car je connais ses péchés et ses crimes, et toute fois, il est mort paisiblement dans sa maison, dans sa chambre, sans avoir souffert dans ses voyages nullement, pas même dans un âge avancé. Ecoute bien, ô mon frère. « La mort des pécheurs est très funeste ». Cette mort que tu crois heureuse est très mauvaise, au point de vue intérieur. Tu vois extérieurement un homme étendu sur un lit funèbre; mais le vois-tu, des yeux de la foi, entraîné dans l’enfer? Ecoutez, mes frères, et voyez d’après l’Evangile ce qu’il y a de funeste dans la mort des pécheurs. N’y voyez-vous pas deux hommes qui vivaient ici-bas, l’un riche, vêtu de pourpre et de fin lin, et qui faisait chaque jour bonne chère 4; l’autre pauvre, étendu à la porte du riche et couvert d’ulcères, et les chiens venaient et léchaient ses ulcères, et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche? Il arriva que le pauvre mourut, et ce pauvre qui était juste fut porté 

1. Luc, XXIII, 43. — 2. Jean, XIX, 32. — 3. Ps. XXXIII, 22, — Luc XVI, 19-25.

  (332)  

par les anges dans le sein d’Abraham. Que ne pouvait dire quiconque avait vu son corps étendu à la porte du riche, sans que personne se mît en peine de l’ensevelir? Ainsi puisse mourir mon ennemi, celui qui m’a persécuté, puisse-je le voir en cet état! On crache sur ce cadavre, la puanteur s’exhale des plaies, mais l’âne repose au sein d’Abraham. Croyons cela, si nous sommes chrétiens; mais si nous ne le croyons, mes frères, ne nous imaginons pas que nous sommes chrétiens. C’est la foi qui nous conduit. Comme le dit le Seigneur, ainsi en est-il. La vérité serait-elle dans les paroles d’un astrologue, et la fausseté dans celles de Jésus-Christ? Mais quelle fut la mort du riche? Comment put-il mourir dans la pourpre et dans le fin lin? Avec quelle pompe et quelle magnificence? Quelles n’étaient pas ses funérailles? Dans quels parfums n’ensevelit-on pas son cadavre? Et pourtant quand il était dans les tourments de l’enter, il désirait ardemment qu’une goutte d’eau tombât, du doigt de ce pauvre jadis méprisé, sur sa lingue desséchée, et il ne l’obtint pas. Apprenez donc ce que signifie: « La mort des pécheurs est très funeste », et ne jetez pas les yeux sur ses lits aux tentures somptueuses, sûr ce cadavre environné de riches broderies, sur uns pompeuses lamentations, sur cette famille en deuil, sur cette foule qui précède et qui suit le corps que l’on porte en terre, sur des cénotaphes d’or et de marbre. Si vous interrogez tout cela, vous n’aurez  qu’une réponse mensongère, tout cela vous dira qu’il est beau de mourir, non-seulement pour des hommes légèrement pécheurs, mais pour de grands criminels, quand on a mérité cette pompe des larmes, cette pompe des parfums, cette pompe de parure, cette pompe de cortège, cette pompe de sépulture. Mais interrogez l’Evangile, et aux yeux de votre foi, il découvrira l’âme du riche qui brûle dans les flammes, et que ne peuvent nullement soulager tous ces honneurs, tout ce cortège, dont la vanité des vivants environnait son cadavre.

26. Mais parce qu’il y a différentes sortes de pécheurs, et qu’il est difficile, peut-être même impossible en cette vie de n’être point pécheur, le Prophète nous dit aussitôt de quels pécheurs la mort est si funeste: « Et ceux qui haïssent le juste, périront 1 », nous dit-il. Quel est ce juste, sinon celui qui juge l’impie 2? Quel est ce juste, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est aussi l’hostie de propitiation pour nos péchés 3? Ceux donc qui le haïssent ont une mort très-funeste, puisqu’ils meurent dans leurs péchés et qu’ils ne sont point par lui réconciliés à notre Dieu. « Le Seigneur, en effet, rachètera les âmes de ses serviteurs 4». C’est au point de vue de l’âme que l’on doit envisager la mort comme très- funeste, ou comme très-désirable; et non au point de vue des affronts que l’on peut faire à nos corps, ou des honneurs qu’on peut leur rendre aux yeux des hommes. « Et ceux qui « espèrent en lui ne seront point délaissés 5 ». Telle est, en effet, la règle de la justice humaine. Quels que soient nos efforts, il est impossible que la vie humaine soit sans péché, du moins ne péchons point sous le rapport de l’espérance en celui qui nous remet nos péchés. Ainsi soit-il. 

1. Ps. XXXIII, 22. — 2. Rom. XV, 5. —  3. I Jean, II, 2. —  4. Ps. XXXIII, 23. — 5. Ibid.

  Ces trente-trois premiers Psaumes ont été traduits par M. l’abbé MORISOT.

 

  Précédente Accueil Remonter Suivante