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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIII.PREMIER SERMON. LEUCHARISTIE.
David, qui chez Achis affecte la folie et contrefait son visage, est la figure de Jésus-Christ qui change de sacrifice, en répudiant les offrandes figuratives selon lordre dAaron, pour établir loffrande de .son corps et de son sang selon lordre de Melchisédech. Sa folie simulée est la figure de cette folie que les incrédules doivent voir dans lEucharistie
1. Ce psaume ne paraît avoir dans le texte aucune obscurité qui mérite une explication mais le titre excite notre attention et demande que lon frappe. De même quil est (315) dit que bienheureux est lhomme qui a mis sa confiance en Dieu; espérons aussi que Dieu nous ouvrira, si nous frappons à la porte. Il ne nous engagerait point à frapper, sil ne voulait point ouvrir à ceux qui frappent 1. Sil arrive quelquefois que celui-là même qui était résolu de tenir sa porte continuellement fermée, se lève néanmoins importuné, et ouvre malgré sa résolution, afin de nentendre plus frapper 2 : comment ne pas espérer quil mettra plus dempressement encore à nous ouvrir, celui qui a dit: « Frappez et lon vous ouvrira? » Je frappe donc de toute lintention de mon coeur à la porte du Seigneur Dieu, afin quil daigne me découvrir ce mystère. Frappez, vous aussi, mes frères, par la bonne volonté de mécouter, et par lhumilité avec laquelle vous prierez pour moi. Il y a là, il faut lavouer, un grand mystère, difficile à pénétrer. 2. Voici le titre du psaume : « Psaume de David lorsquil changea son visage devant Abimélech qui le renvoya, et il sen alla 3 ». Cherchons lépoque de ce fait dans les saintes Ecritures où sont consignées les actions de David. Quand nous avons trouvé ce titre : « Psaume de David, quand il fuyait devant la face de son fils Absalon 4 »; nous avons lu et nous avons rencontré dans les livres des Rois, à quelle époque David avait fui devant son fils Absalon 5; cest un fait qui a réellement eu lieu, et qui est consigné parce quil est arrivé; et, quoique ce titre cache quelque mystère, il est néanmoins tiré de lévénement qui est réel. Je crois aussi que ce titre: « Lorsque David changea sa face devant Abimélech, qui le chassa, et il sen alla », doit être aussi consigné dans les livres des Rois, qui ont recueilli tout ce qui tient aux actions de David 6. Nous ne ly trouvons pas néanmoins, mais nous y trouvons quelque histoire doù il semble tiré 7. II est écrit, en effet, que David, fuyant les persécutions de Saül, se retira chez Achis, roi de Geth, cest-à-dire chez le roi dune nation limitrophe du royaume des Juifs. Il sy tenait caché pour échapper à Saül son persécuteur. La mort de Goliath 8, qui, dun seul coup, donna au roi et au peuple la gloire et la tranquillité dans le royaume, était récente encore, et avait valu à
1. Matt. VII, 7. 2.Luc, XI, 8. 3. Ps. XXXIII, 1. 4. Id. III, 1. 5. II Rois, XV, 14. 6. I Rois, XXI, 13. 7. Id. 10. 8. Id. XVII, 50.
1. I Rois, XVIII,7. 2. Id. XXI, 10. 3. Id. 11. 4. Id.13. 5. Id. 14, 15. 6. Id. 12.
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et voilà pourquoi cette histoire est écrite avec un changement de noms. 3. Vous comprenez, mes frères, la profondeur des figures mystérieuses. Sil ny a point de figure dans la mort de Goliath 1, renversé par un enfant, il ny en a point non plus pour David à changer son visage, à contrefaire la folie, à frapper sur un tambour 2, à heurter la porte de la ville et le seuil de la porte, à laisser couler sa salive sur sa barbe. Comment serait-il possible quil ny eût point là quelque figure, quand lApôtre nous dit clairement: « Que toutes ces choses qui arrivaient (à nos pères), étaient des figures, et quelles sont été écrites pour nous instruire, nous qui nous trouvons à la fin des temps 3?» Sil ny a point de figure dans la manne, dont lApôtre a dit « quils mangèrent un pain spirituel 4»; sil ny a nulle figure dans la mer qui se divisa pour laisser passage aux enfants dIsraël, et les délivrer des poursuites de Pharaon, quand lApôtre nous dit : « Je ne s veux point, mes frères, vous laisser ignorer que nos pères ont tous été sous la nuée, quils ont tous été baptisés sous la conduite de Moïse, dans la nuée et dans la mer » ; si elle nétait point figurative, cette pierre que frappa Moïse, et qui donna de leau; bien que « cette pierre soit le Christ 6», selon saint Paul; si donc ces faits, quoique réels, navaient aucune signification, sil ny avait aucune figure dans les deux fils dAbraham qui lui sont nés selon lordre commun des hommes, bien que lApôtre appelle ces deux enfants les deux Testaments, lAncien et le Nouveau, et quil dise: « Ce sont là les deux testaments sous une allégorie 7 »; si donc il ny a aucune figure dans tous ces actes qui nous sont donnés ranime des symboles de lavenir, par une autorité apostolique, nous devons croire quil nya rien non plus de significatif dans cette histoire du livre des Rois, que je viens de vous raconter au sujet de David. Mais ce nest pas sans mystère que le nom est changé, et que lon a écrit, « en présence dAbimélech ». 4. Examinez donc avec moi. Tout ce que je viens de vous dire, est pour vous engager à frapper à ta porte, qui nest point encore ouverte. Vous le dire, cétait frapper, et, pour nous encore, lécouter, cétait frapper. Frappons aussi par la prière, afin que le
1. I Rois, XVII, 50. 2. Id. XVIII. 3. I Cor. X, 11 4. Id. 3. 5. Id. 1- 4. 6. Id. 4. 7. GaI. IV, 24.
Seigneur nous ouvre enfin. Nous avons le sens des noms hébreux; il na pas manqué dhommes savants pour les traduire de lhébreu en grec, et du grec en latin. Si donc nous examinons de près ces noms, nous trouvons que Abimélech signifie le royaume de mon Père; et Achis, comment cela est-il? Expliquons ces noms, et la porte va souvrir sous nos coups. Si tu demandes: Que signifie Achis? on te répond quil signifie : Comment cela est-il? Mais comment, cest le mot dun homme qui admire sans comprendre encore. Abimélech, le royaume de mon Père : David, la main puissante. Or, David était la figure du Christ, comme Goliath était la figure du diable : et David qui renverse Goliath, est la figure du Christ qui renverse le démon. Mais quest-ce que le Christ qui donne la mort au démon ? Cest lhumilité qui tue lorgueil. Ainsi, mes frères, nommer le Christ, cest principalement nous prêcher lhumilité. Cest par lhumilité quil nous a ouvert le chemin du ciel : lorgueil nous avait séparés de Dieu, nous ne pouvions retourner à lui que par lhumilité, et nous navions aucun modèle que nous pussions suivre. Les hommes, ces chétifs mortels, étaient pleins dorgueil, et si quelques-uns avaient lesprit dhumilité comme les Prophètes, les patriarches, la race humaine dédaignait de les suivre dans leur humilité. Mais afin que lhomme ne refusât plus dimiter lhumilité dun autre homme, voilà que Dieu sest fait humble, afin que lhomme dans son orgueil ne dédaignât plus de suivre les pas dun Dieu. 5. Vous le savez, il y avait jadis, chez les Juifs, un sacrifice selon lordre dAaron, et dont les victimes étaient des animaux : tout cela était figuratif : alors nexistait point ce sacrifice du corps et du sang du Seigneur, que connaissent les fidèles et ceux qui ont lu lEvangile, et qui est aujourdhui répandu sur toute la terre. Représentez-vous donc deux sacrifices, lun selon lordre dAaron, lautre selon lordre de Melchisédech, dont il est écrit: « Le Seigneur la juré, et sa parole est sans repentir: Vous êtes prêtre pour léternité, selon lordre de Melchisédech (Ps. CIX, 4 ) ». De qui le Psalmiste dit-il: « Vous êtes prêtre pour léternité, selon lordre de Melchisédech? » De Notre-Seigneur Jésus-Christ. Quétait Melchisédech? Roi de Salem. Or, Salem fut autrefois (317) une ville que lon appela dans la suite Jérusalem, au dire des savants. Donc, avant que les Juifs en fussent maîtres, il y avait là le prêtre Melchisédech, appelé, dans la Genèse, prêtre du Très-Haut 1, Ce fut lui qui vint au-devant dAbraham, quand ce patriarche délivra Loth des mains de ses persécuteurs, et que pour délivrer ce frère, il tua ceux qui lemmenaient en captivité. Après cette délivrance, Melchisédech vint au-devant de- lui; et telle était la grandeur de Melchisédech, que ce fut lui qui bénit Abraham. Il prit du pain et du vin, puis-bénit Abraham, et Abraham lui donna la dîme. Voyez donc ce quil offrit, et lhomme quil bénit. Longtemps après David sécrie: « Vous êtes prêtre pour léternité , selon lordre de Melchisédech ». Cétait longtemps après Abraham, que lEsprit de Dieu faisait ainsi parler David; et cétait au temps dAbraham que vivait Melchisédech. De quel autre David a-t-il pu dire : « Vous êtes prêtre pour léternité, selon lordre de Melchisédech », sinon de celui dont vous connaissez le sacrifice ? 6. Donc, le sacrifice dAaron- est aboli, et alors a commencé le sacrifice selon lordre de Melchisédech. Un visage, et je ne sais lequel, est donc changé. Quel est-il, celui-là que jignore ? Quil ne nous soit plus inconnu, car cest Notre-Seigneur Jésus-Christ, que nous connaissons. Il a voulu établir notre salut dans linstitution de son corps et de son sang. Par quel moyen ce corps et ce sang sont-ils venus en notre puissance 2 ? Par son humilité. Sil ne se fût fait humble, il ne serait point notre nourriture et notre breuvage. Voyez de quelle hauteur il est descendu : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu et le Verbe était Dieu 3 ». Voilà léternelle nourriture, la nourriture des Anges, la nourriture des Vertus den haut, la nourriture des Esprits célestes; ils mangent et ils sont rassasiés, et ce qui fait leur aliment et leur bonheur, nen demeure pas moins tout-entier. Mais quel homme pourrait toucher à cette nourriture? Quel coeur dhomme serait assez préparé? Cette viande spirituelle devait donc être changée en lait, afin darriver aux enfants. Mais, comment une viande devient-elle du lait? Comment peut-elle subir ce changement, si ce nest en passant par la chair? Cest là ce que fait la mère. Ce qua
1. Gen XIV, 18. 2. Matt. XXVI, 26. 3. Jean, I, 1. mangé la mère, lenfant le mange aussi; mais comme lenfant est incapable de manger du pain, la mère doit faire passer ce pain par sa chair, et le rendre à son enfant dans le suc du lait, et par lhumilité des mamelles. Comment donc la divine Sagesse nous a-t-elle nourris du pain des Anges? Cest que « le Verbe sest fait chair, et a demeuré parmi nous 1». Voilà le fruit de lhumilité, qui donne à lhomme le pain des Anges, ainsi quil est écrit : « Il leur a donné le pain du ciel, lhomme a mangé le pain des Anges 2. » Cest-à-dire, lhomme a mangé le Verbe, cette nourriture éternelle des Anges, et qui est égal à son Père; car, « ayant la nature de Dieu, il na pas cru que ce fût pour lui une usurpation de ségaler à Dieu ». Telle est la nourriture des Anges: « Mais il sest anéanti lui-même en prenant la forme de lesclave, et en se rendant semblable aux autres hommes, et reconnu pour homme par tout ce qui a paru de lui; il sest humilié, se rendant obéissant jusquà la mort, et la mort de la croix 3 », afin que par la croix il rendît auguste pour nous le sacrifice du corps et du sang du Seigneur. Il a donc changé son visage devant Abimélech , ou devant le royaume de son père. Car le royaume de son père était le royaume des Juifs. Comment était-ce le royaume de son père? Le royaume de David, le royaume dAbraham. Car le royaume de Dieu son Père est plutôt lEglise que le peuple juif: mais Israël est le royaume de son père selon la chair. Il est dit en effet : « Dieu lui donnera le trône de David son père 4». On le voit donc; David est selon la chair le père du Seigneur; mais selon la divinité le Christ est Seigneur de David, et non son fils. Quant aux Juifs, ils ont connu le Christ selon la chair, mais non selon la divinité. Cest pourquoi il leur fit cette question : « De qui dites-vous que le Christ soit fils? Fils de David », répondirent-ils. « Mais lui : Comment donc David, inspiré, lappelle-t-il le Seigneur, en disant: Le Seigneur a dit à mon Seigneur: Assieds-toi à ma droite, jusquà ce que jaie fait de tes ennemis lescalier de tes pieds? Si donc David, au souffle de lEsprit-Saint, lappelle son Seigneur, comment est-il son fils? Et ils ne pouvaient lui répondre 5 ». parce quils ne connaissaient le Christ que des
1. Jean, 1,14. 2. Ps. LXXVII, 24,25. 3. Philipp. II, 6-8. 4. Luc, I, 32. 5. Matt. XXII, 42-46. (318) yeux, et que leur coeur ne le comprenait point. liais sils eussent eu la lumière intérieure de lâme, aussi bien que celle du jour, les oeuvres extérieures leur eussent montré dans Jésus le fils de David, et le mouvement de leur coeur leur eût fait connaître en lui le Seigneur de David. 7. « Il changea donc son visage en présence dAbimélech 1». Quest-ce à dire devant Abimélech? Devant le royaume de son père. Quel royaume de son père? Devant les Juifs. «Et il le laissa, et il sen alla». Qui laissa-t-il? Ce peuple Juif qui sen est allé. Cherche maintenant le Christ chez les Juifs, tu ne ly trouveras point, Comment les a-t-il laissés, et sont-ils partis? Parce quil a changé son visage. Ils se sont obstinés dans le sacrifice selon lordre dAaron, et nont point accepté le sacrifice selon lordre de Melchisédech 2, et ils ont perdu le Christ, qui est devenu lhéritage des nations , auxquelles cependant il navait pas envoyé ses Prophètes. Car il avait envoyé aux Juifs , et David et Isaac, et Jacob, et Isaïe, et Jérémie, et les autres Prophètes ; mais peu dentre les toits les ont compris : je dis peu, en comparaison de ceux qui ont voulu périr; car ils étaient assez nombreux en eux-mêmes, et nous lisons quil y en avait des milliers. Il est écrit en effet: « Les restes seront sauvés 3 ». Mais aujourdhui vous chercherez vainement des chrétiens circoncis, vous nen trouverez point. Néanmoins, dans les premiers temps de ta foi, la circoncision fournit des milliers de chrétiens. Vous en chercherez maintenant, sil ny en a plus, Mais cest avec raison que vous nen trouvez point. « Car il a changé son visage devant Abimélech, et il la quitté et sen est allé ». Il contrefit encore son visage devant Achis et il le laissa, et sen alla. Ici les noms sont changés, afin que ce changement dans les noms, nous engageât à en chercher la raison mystérieuse ; de peur que nous nen vinssions à croire quil ny a de raconté et de mentionné dans les psaumes, que les histoires contenues dans les livres des Rois, sans nous mettre en peine den chercher les symboles, mais en regardant ces faits comme de simples histoires. Quel est donc le dessein de Dieu sur vous dans ces changements de noms? Il y a ici un mystère caché; frappez sans vous en tenir à la lettre, car la 1. I Rois, XXI, 13. 2. Hébr. VII, 11. 3. Rom. IX, 27.
lettre tue ; cherchez lEsprit, parce que lEsprit vivifie 1. La connaissance de lEsprit sauve le vrai fidèle. 8. Voyons maintenant, mes frères, comment il quitta le roi Achis. Achis, avons-nous dit, signifie: Comment cela est-il? Car, souvenez-vous de ce que rapporte lEvangile. Quand Notre-Seigneur Jésus-Christ parla de son corps, il dit aux Juifs: « Si quelquun ne mange ma chair et ne boit mon sang, il naura pas la vie en lui-même ; car ma chair est une véritable nourriture, et mon sang un véritable breuvage 2». Les disciples qui le suivaient furent saisis détonnement, ils eurent horreur de cette parole, et sans la comprendre, ils simaginèrent quil leur tenait je ne sais quel langage trop dur, comme sils devaient manger cette chair telle quils la voyaient, et boire son sang: ils ne purent supporter ce discours, disant en quelque sorte : Comment cela est-il? Le roi Achis est ici la figure de lerreur, de lignorance, de la folie. Quiconque dit : Comment, ne comprend pas; et ne pas comprendre est le propre des ténèbres de lignorance. Donc ils étaient -sous lempire de lignorance, ou du roi Achis; cest-à-dire que la puissance de lerreur les dominait. Jésus disait : « Si quelquun ne mange ma chair, et ne boit mon sang ». Mais il avait changé son visage, et lon ne voyait quune exaltation, une folie à donner à des hommes sa chair à manger, son sang à boire. Ainsi David passa pour un fou devant Achis, qui sécria: « Pourquoi mamener ce furieux 3? » Mais ne voit-on pas de la folie dans ces paroles : « Mangez ma chair, et buvez mon sang?» Et en disant: « Si quelquun ne mange ma chair et ne boit mon sang, il naura pas en lui-même la vie 4 ». Jésus est pris pour un insensé. Mais cest le roi Achis, qui le prend pour un insensé, ou plutôt les vrais fous, les ignorants. Il les laisse donc et sen va : leur coeur demeure sans intelligence, afin quils ne le comprennent point. Comment lui ont-ils parlé? en disant en quelque sorte : Comment cela est-il? ce qui est la signification dAchis. Ils dirent en effet: « Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 5 ? » Ils regardaient le Seigneur comme un insensé, un homme en détire, ne sachant ce quil 1. II Cor. III, 6. 2. Jean, VI, 54-56. 3. I Rois, XXI, 14. 4. Jean, VI, 54. 5. Id. 53 - (319)
9. Mais voyons ce quil marquait en simulant sa folie, en frappant du tambour à la porte de la cité. Ce nest pas sans raison quil est dit: « Il se heurtait contre le seuil de la porte » ; ni sans raison quil est écrit: « Sa salive découlait sur sa barbe 1 ». Rien de tout cela nest dit sans raison; et ce que lon gagne à le comprendre doit nous faire supporter un discours un peu long. Vous savez, mes frères, que les Juifs, en présence de qui le Christ contrefit son visage, quil laissa aller, dont il se sépara, gardent aujourdhui le repos. Si donc ceux qui ont perdu le Christ, qui les a quittés en se séparant deux, gardent sans profit ce repos du sabbat, pour nous, ce repos aura lavantage de nous faire comprendre le Christ qui les a quittés pour venir à nous. Ce nest donc point sans raison que tout cela est arrivé dans le délire de David, ni que lon nous raconte quil avait des transports, quil frappait du tambour à la porte de la cité, quil se portait sur ses mains, quil heurtait contre le seuil de la porte, et que la salive coulait sur sa barbe. Affectabat, il avait des transports. Quest-ce quavoir des transports? Cest être sous le poids dun vif amour. Et pourquoi ce vif amour? Cest pour compatir à nos infirmités; aussi a-t-il voulu prendre notre chair, et en elle tuer la mort. Donc, nous prendre en pitié, cest là ce que lon peut appeler un transport damour. Aussi lApôtre a-t-il jeté le blâme sur ceux qui sont durs et sans affection,. Car il reproche à quelques-uns dêtre sans affection, sans miséricorde 2. Donc, où il y a de laffection, il y a de la miséricorde. Où est la miséricorde? Cest que le Fils de Dieu nous a pris en pitié du haut du ciel ; et sil neût point voulu sanéantir, sil fût demeuré dans cette forme divine qui le rend égal à son Père, nous serions demeurés éternellement sous lempire de la mort: mais afin de nous délivrer de cette mort éternelle où lorgueil nous avait conduits , il sest humilié , il est devenu obéissant jusquà la mort, et la mort de la croix. Il a donc eu des transports pour arriver jusquà la mort de la croix. Mais
1. I Rois, XXI, 13. 2.Rom. 31.
on étend sur le bois celui que lon crucifie; et pour avoir un tambour on fait subir sur le bois une tension violente à la chair, cest-à-dire à la peau; et il est dit quil frappait sur un tambour, cest-à-dire quil était cloué à la croix, horriblement étendu sur le bois. « Il avait des transports », oui, des transports damour pour nous, il voulait donner sa vie pour ses brebis 1. « Il frappait du tambour ». Comment? A la porte de la ville. Cest la porte que lon nous ouvre pour notas faire croire en Dieu. Nous avions fermé ces portes au Christ, pour les ouvrir au diable, notre coeur était fermé à la vie éternelle : et parce que nous autres hommes, nous avions fermé notre coeur à la vie éternelle, et que nous ne pouvions voir le Verbe que voient les anges, le Seigneur notre Dieu souvrait, par la croix, les coeurs des mortels, cest ainsi quil frappait du tambour aux portes de la ville. 10. « Il se portait dans ses mains 2». Qui donc, mes frères, pourra comprendre que cela soit possible pour un homme? Qui se porte dans ses mains? Un homme peut être porté dans les mains dun autre, jamais dans les siennes. Nous ne voyons donc pas que notas puissions lentendre de David, dans te sens littéral; mais nous le voyons pour le Christ. Car il se portait dans ses propres mains quand il nous présentait son corps en disant: « Ceci est mon corps 3 ». Il portait alors ne corps dans ses mains. Cest la profonde humilité de Notre-Seigneur qui est recommandée aux hommes. Cest elle quil nous exhorte à imiter et à faire paraître en notre vie, afin que nous renversions Goliath 4, et que, nous alla. chant à Jésus-Christ, nous puissions vaincra lorgueil. « Il tombait contre les poteaux de la porte 5». Que signifie, il se laissait tomber? Il sabaissait jusquà la plus profonde humilité. Que sont « ces poteaux de la porte? » Cest le commencement de cette foi qui doit nous sauver. Nul ne peut se sauver sil ne commence par croire, ainsi quil est dit dans le Cantique des cantiques : « Tu viendras, et tu en passeras par le commencement de la foi 6 ». Nous devons aller-jusquà voir Dieu face à face, ainsi quil est écrit : « Mes bien-aimés, nous sommes les enfants de Dieu; mais ce, que nous devons être un jour ne 1. Jean, x, 15. 2. I Rois, XXI, 13. 3. Matt. XXVI, 26. 4. I Rois XVII, 49. 5. Id. XXI, 13. 6. Cant. IV, 8, selon les LXX. (320) paraît pas encore. Nous savons que quand il viendra dans sa gloire, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est 1 ». Nous le verrons donc, mais quand? Lorsque cette vie sera passée. Ecoute lapôtre saint Paul: « Nous ne voyons Dieu s maintenant que comme dans un miroir et sous des images, mais alors nous le verrons face à face 2 ». Donc, avant de voir le Verbe face à face, comme le voient les anges, il faut encore nous tenir à ces portes, auxquelles heurta le Seigneur, en shumiliant jusquà la mort 3. 11. Que signifie encore « sa salive qui découlait sur sa barbe? » Ce fut principalement en ce point « quil changea son visage devant Abimélech, ou Achis, quil quitta, et sen alla 4 ». Car il quitta ceux qui ne le comprenaient point. Chez qui sen alla-t-il? Chez les Gentils. Pour nous, comprenons donc ce quils ne purent comprendre. La salive
1. I Jean, III,2. 2. I Cor. XIII, 12. 3. Philipp. II,8. 4. I Rois, XXI, 13
découlait sur la barbe de David. Que désigne cette salive? Des discours puérils, car les enfants laissent ainsi couler leur salive. Ces paroles : « Mangez ma chair, et buvez mon sang (Matt. XXVI, 26 ) », nétaient-elles point des puérilités pour les Juifs ?Et néanmoins, ces puérilités cachaient sa force; car la barbe est le symbole de la force; et cette salive qui découlait sur sa barbe, que désignait-elle, sinon les paroles de faiblesse qui servent à voiler une grandeur infinie? Votre sainteté , je le présume, a compris le titre du psaume; et si nous entrons dans lexplication du texte, ii est à craindre que vos coeurs ne laissent échapper ce que vous avez entendu. Quil nous suffise davoir exposé ce titre au nom de Jésus-Christ Notre-Seigneur ; comme cest demain jour de dimanche, et que nous devons parler, réservons-nous pour demain, afin que vous écoutiez plus volontiers le texte du psaume.
DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIII.DEUXIÈME SERMON. DISPOSITIONS A LEUCHARISTIE.
Bénir le Seigneur en tout temps, cest le porter par lhumilité, cest sapprocher de la vraie sagesse sans jalousie, parce quelle peut être aimée de tous; les schismatiques ne la veulent que pour eux. Purifions notre intérieur, afin que Dieu nous éclaire et nous comble de ses bénédictions intérieures.
1. Je ne doute nullement que ceux dentre vous qui nous ont écouté hier, ne se souviennent de notre promesse. Il est temps dacquitter notre dette avec le secours de Dieu. Cest lui qui nous a inspiré la promesse, lui aussi qui nous donnera de laccomplir, mais nous vous serons toujours redevable de la charité. Cest la dette toujours acquittée et qui demeure toujours, selon cette parole de lApôtre: «Ne demeurez redevables de rien à personne, sinon de la charité mutuelle (Rom. XIII, 8 )». Nous avons exposé hier le titre du psaume, et comme lexplication du texte nous eût retenus trop longtemps, nous avons ajourné cette explication. Ecoutons donc ce que le Saint-Esprit nous dit par la bouche de son Prophète, et qui, dans le cours du psaume, a rapport au titre que nous expliquions hier. Ceux qui ny étaient pas, me le réclament comme une dette; mais de peur que si je my étendais encore comme hier, je ne trompasse lattente de ceux envers qui je dois macquitter de ma promesse, que ceux qui sont présents aujourdhui, et qui étaient hier absents, comprennent mon résumé autant quils pourront. Ah! sils veulent me (321) questionner sur quelques points, mes oreilles seront prêtes à les écouter au nom du Christ, mais en dautres moments, afin de ne pas employer à cela celui-ci. 2. Il est écrit au livre des Rois, disions-nous hier, que David, fuyant Saül, voulut sabriter chez un roi de Geth, nommé Achis 1. Mais comme ses exploits y furent connus, craignant que la jalousie ne portât ce roi, chez qui il sétait réfugié, à tramer contre lui quelque mauvais dessein, il contrefit linsensé, et comme saisi de fureur, « il changea son visage » ; et, comme il est écrit, « il était transporté, il battait du tambour à la porte de la ville, il était porté sur ses mains, il heurtait contre le seuil de la porte. Et le roi Achis dit: Pourquoi mamener ce. fou? ai-je besoin dun furieux? » Et il le laissa aller, accomplissant ce qui est écrit : « Il contrefit son visage, et il le laissa, et il sen alla ». Mais ce roi que David laissa, était Achis; tandis que le titre du psaume porte: « Il contrefit son visage en présence dAbimélech, et il le quitta et sen alla ». Nous avons dit que ces changements de noms étaient symboliques, et que si le psaume répétait le même nom que lhistoire, nous aurions pu croire que le prophète racontait un fait, sans nous donner aucune prophétie figurative. Il y a donc une figure dans chacun des noms: car Achis veut dire: Comment est-ce? et Abimélech: Le royaume de mon Père, il y a de lignorance à dire: Comment est-ce? cest le mot dun homme qui admire et qui ne sait pas. Quant au nom dAbimélech, il désigne le royaume des Juifs, que le Christ peut appeler royaume de mon père, parce que David est son père selon la chair, et que David régnait sur le peuple Juif. Cest donc devant le royaume de son père, quil «changea son visage, et il le quitta et sen alla», parce que cétait là que lon sacrifiait selon lordre dAaron, et quil a établi depuis le sacrifice de son corps et de son sang, quil a quitté la nation juive, et quil sen est allé chez les Gentils, Que signifie: « Il avait des transports 2 ?» Il était transporté damour. Quel amour est comparable à la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui, voyant notre infirmité, afin d. nous délivrer de la mort éternelle, à subi lui-même la mort temporelle avec tant doutrages et tant dinjures? « Il frappait du tambour. »
1. I Rois, XXI, 10, etc. 2. Id. 13.
On ne fait un tambour quen étendant une peau sur du bois, et quand David frappait du tambour il figurait le Christ à la croix. « Il frappait du tambour à la porte de la cité ». Que seraient ces portes de la cité, sinon ces coeurs que nous avions fermés au Christ, et quil sest ouverts par les coups de la croix? « Il se portait sur ses mains». Comment se portait-il sur ses mains? Quand il nous donnait son corps même et son sang, il tenait en ses mains ce que savent les fidèles; il se portait lui-même en quelque sorte, quand il disait: « Ceci est mon corps 1 » . « Il heurtait contre le seuil de la porte 2 », cest-à-dire, il shumiliait. Car cest là sabaisser jusquau seuil de notre foi. Le seuil de la porte est le commencement de cette foi, qui a été le commencement de lEglise, pour arriver à la claire vue de Dieu : croire ce que lon ne voit pas, cest mériter de jouir de Dieu face à face. Tel est -en peu de mots le titre du psaume. Ecoutons maintenant les paroles de cet insensé qui frappe du tambour aux portes de la ville. 3. « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche 3 ». Ainsi dit le Christ, ainsi doit dire le chrétien ; puisque le chrétien est incorporé au Christ, et que le Christ ne sest fait honnie quafin que lhomme pût devenir un ange. Cest lui, qui dit : « Je bénirai le Seigneur ». Quand le bénirai-je? Quand il taura fait du bien. Sera-ce dans labondance terrestre? Quand il y a profusion de froment, de vin, dhuile, dor, dargent, desclaves, de troupeaux; lorsque cette santé mortelle demeure inaltérable et incorruptible, que tout ce qui naît dans tes domaines croît à souhait, quune mort prématurée nenlève rien, que tout prospère dans ta maison, que tout tient de toutes parts, est-ce alors que tu béniras le Seigneur? Non: mais en tout temps; cest-à-dire et dans ce moment, et lorsque cette prospérité, soit pour un temps, soit par lordre du Seigneur, sera troublée, que ces biens te seront enlevés quils écloront plus rarement, quà peine éclos ils disparaîtront. Car voilà ce qui arrive, et ce qui amène la pauvreté, la disette, le labeur, la souffrance et la tentation. Mais toi, ô mon frère, qui as chanté : « Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche », bénis Dieu quand il te donne ces biens , bénis-le quand il te les enlève
1. Matt. XXVI, 26. 2. I Rois, XXI, 13. 3. Ps. XXXIII, 2.
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Cest lui qui les donne, cest lui qui les retire; mais il ne se retire point de celui qui le bénit. 4. Quel est toutefois lhomme qui bénit le Seigneur en tout temps, sinon lhomme qui est humble de coeur? Car cest lhumilité que le Seigneur nous a enseignée dans son corps et dans son sang : sil nous donne en effet son corps et son sang, il-nous prêche lhumilité, ainsi quil est écrit dans cette histoire, et dans cette espèce de fureur de David, dont nous avons parlé. « Et la salive coulait sur sa barbe 1 ». La lecture de [Apôtre vous a expliqué la salive, mais elle coulait sur la barbe, Quelquun me dira: De quelle salive avons-nous entendu parler? LApôtre quon vient de lire ne disait-il pas : « Les Juifs réclament des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse? »Voilà ce quon a lu: « Pour nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, (le voilà qui frappe du tambour), scandale pour les Juifs, folie pour les Gentils; mais pour ceux qui sont appelés, Juifs ou Gentils, le Christ est la force ide Dieu, la sagesse de Dieu, car ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui paraît faiblesse en Dieu, est plus fort que les hommes 2 ». La salive était le symbole de la folie comme le symbole de la faiblesse. Mais la folie en Dieu est plus sage que la sagesse des hommes, et la faiblesse en Dieu plus forte que la force des hommes : que cette salive ne vous offusque point, mais faites attention quelle coule sur la barbe; et si la salive est une marque dinfirmité, la barbe est un symbole de force. Le Christ a donc voilé sa force sous la faiblesse de la chair, et ce qui paraissait faiblesse en lui, était comme une salive, mais sa force était cachée à lintérieur, comme sa barbe était souillée. Tout ceci nous prêche lhumilité. Sois donc humble, ô mon frère, si tu veux bénir le Seigneur en tout temps; et que sa louange soit toujours en ta bouche. Car Job na pas seulement béni le Seigneur quand il regorgeait de ces biens, qui le rendaient, au dire de lhistoire, si heureux et si riche ; riche en troupeaux, en serviteurs, en palais, riche en postérité et en fautes choses. En un clin doeil tout lui fut enlevé, et il vit ce que dit notre psaume, en sécriant: « Le Seigneur la donné, le Seigneur la ôté, comme il a plu au Seigneur, ainsi il a été fait; que le nom du Seigneur
1. I Rois, XXI, 13. 2.I Cor. I, 22-26.
soit béni 1 ». Voilà un homme qui vous donne lexemple et qui bénit le Seigneur en tout temps. 5. Mais pourquoi lhomme bénit-il le Seigneur en tout temps? Parce quil est humble. Mais être humble, quest-ce donc? Cest ne point rechercher la louange pour soi-même. Quiconque veut être loué pour lui-même, est orgueilleux. Mais où nest point lorgueil, là est lhumilité. Veux-tu donc nêtre pas orgueilleux ? Afin de pouvoir être humble, dis ce qui suit : « Mon âme sera louée dans le Seigneur ; que ceux qui sont doux lentendent, quils partagent ma joie 2 ». Celui-là donc nest pas doux, qui ne veut point être loué dans le Seigneur, mais il est opiniâtre, arrogant, enflé, superbe. Il faut au Seigneur une monture paisible, sois la monture du Seigneur, cest-à-dire sois doux. Il sassiéra sur toi, cest lui qui veut te conduire ; ne crains pas de heurter ton pied ni de tomber dans labîme. Tu es infirme à la vérité, mais considère celui qui te dirige. Tu peux être le fils de lânesse, mais tu portes le Christ. Car ce fut sur le poulain de lânesse quil entra dans Jérusalem, et cet animal était doux. Or, était-ce lanimal que lon chantait alors ? Etait-ce à lui que lon chantait : « Hosanna, fils de David , béni soit celui qui vient au nom du Seigneur 3 ? » Cétait lânon qui portait, mais cétait au Christ, quil portait, que sadressaient les acclamations de ceux qui précédaient et de ceux qui suivaient. Cet animal disait peut-être : « Mon âme sera louée dans le Seigneur; que les hommes doux lentendent, et en soient dans lallégresse ». Non, mes frères, cet ânon na jamais parlé de la sorte, mais que tel soit le langage du peuple dont il est la figure, si ce peuple veut porter le Seigneur. Ce peuple sirritera-t-il dêtre comparé à lânon qui est la monture du Seigneur Jésus ? et quelques hommes pleins denflure et dorgueil, sen viendront dire: Voilà quil fait de nous des ânes. Eh bien quil devienne lâne du Seigneur celui qui me parlera de la sorte, mais quil ne soit ni le cheval ni le mulet qui nont point dintelligence. Vous connaissez le psaume qui dit : « Ne ressemblez ni au cheval ni au mulet, sans entendement 4 ». Le cheval et le mulet lèvent parfois la tête, et dans leur indocilité renversent leur cavalier. On les dompte avec le frein et 1. Job, I, 21. 2. Ps. XXXIII, 3. 3. Matt. XXI, 9. 4. Ps. XXXI, 9.
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le mors, avec le fouet, jusquà ce quils sassouplissent, et portent leur maître; mais toi, avant même que ta bouche soit meurtrie par le mors, sois doux et porte ton Dieu : ne recherche point la louange pour toi-même, cherche-la pour celui que tu portes, et chante alors : « Mon âme sera louée devant le Seigneur; que les hommes doux lentendent, et quils sen réjouissent » ; car si ce nest point un homme doux et humble qui lentend, loin de sen réjouir, il sen irrite : et tels sont ceux qui nous reprochent de les comparer à des ânes. Quant aux coeurs doux, puissent-ils écouter, et devenir ce quils entendent! 6. Voyons la suite: « Louez le Seigneur avec moi (Ps. XXXIII, 4 ) ». Quel est celui qui nous engage à bénir le Seigneur avec lui? Quiconque, mes frères, appartient au corps de Jésus-Christ ne doit pas avoir de plus grand soin que de faire bénir le Seigneur avec lui. Quel que soit cet homme, il aime le Seigneur. Et une manière de lui témoigner son amour, cest de ne point porter envie à ceux qui laiment aussi bien que lui. Celui qui est épris dun amour charnel, ressent nécessairement dans cet amour le poison amer de la jalousie; et sil tient à voir dans une hideuse nudité, la créature quil poursuit dun amour criminel, voudrait-il quun autre la vît aussi ? Il serait nécessairement dévoré de jalousie contre celui qui laurait vue également. Pour une femme, un préservatif de la chasteté, cest de nêtre vue que par celui qui en a le droit, mais par aucun autre, ou même par celui-là non plus. Mais II nen est pas ainsi de la sagesse divine: nous la verrons face à face, nous la verrons tous, et sans jalousie. Elle se montre à tous, et pour tous elle demeure toujours pure et toujours chaste. Ceux qui la voient se changent en elle, et jamais elle ne se change en eux. Cest elle qui est la vérité, elle qui est Dieu. Or, avez-vous jamais ouï dire, mes frères, que Dieu subisse des changements? La vérité sélève par-dessus tout, cest le Verbe de Dieu, la sagesse de Dieu par qui tout a été fait ; elle a des coeurs qui sont épris delle. Mais que dit celui qui laime avec transport? « Bénissez avec moi le Seigneur ». Que je ne sois point le seul à bénir Dieu, le seul à laimer, le seul à létreindre dans ma joie ; et si je veux létreindre, je nai point à redouter quun autre ne trouve plus où poser sa main. Telle est lampleur de cette sagesse, que toutes les âmes peuvent sy attacher et en jouir. Que dirai-je encore, mes frères ? Honte à ceux qui aimeraient Dieu de manière à lenvier aux autres ! Des hommes sans moeurs se passionnent pour un cocher, et quiconque aime un cocher ou un chasseur, voudrait que chacun laimât avec lui ; il presse, il engage : Aimez donc avec moi ce comédien, aimez avec moi telle ou telle infamie. Il crie au milieu du peuple, il veut que lon partage son amour pour la honte; et un chrétien ne crierait point dans lEglise pour inviter à aimer avec lui la divine vérité? Stimulez donc parmi vous lamour, mes frères, et criez à chacun des vôtres: « Bénissez avec moi le Seigneur ». Soyez tous dans cette émulation, autrement à quoi bon chanter des psaumes, et vous les expliquer? Si vous aimez Dieu, entraînez à lamour de Dieu tous ceux qui vous sont unis, tous ceux qui partagent votre demeure : si vous aimez le corps de Jésus-Christ ou lunité de lEglise, entraînez-les à jouir de Dieu, et dites avec allégresse : « Bénissez avec moi le Seigneur ». 7. « Et louons ensemble la sainteté de son nom (Ps. XXXIII, 4 ). Quest-ce à dire : « Louons ensemble? » Louons dun commun accord, ainsi quon lit dans beaucoup dexemplaires. « Bénissez avec moi le Seigneur, chantons la sainteté de son nom à lunanimité ». Mais dire « ensemble », ou dire « dun commun accord », cest toujours le même sens. Entraînez donc dans cet amour tous ceux que vous pourrez ; exhortez, portez, suppliez, instruisez, rendez raison, avec douceur et bonté, entraînez-les à lamour, afin que sils bénissent le Seigneur, ils le bénissent de concert. Les gens de Donat simaginent bénir le Seigneur; mais que leur a fait le reste du monde? Disons-leur donc, mes frères: « Bénissez le Seigneur avec nous, chantez ses louanges dun commun accord ». Pourquoi vous séparer pour bénir le Seigneur? Il est le seul Dieu, pourquoi voulez-vous lui faire deux peuples? pourquoi séparer le corps du Christ? Nous savons tous quil fut attaché à la croix alors quil frappait du tambour, et que sur la croix il rendit lesprit; et quand vinrent ceux qui ly avaient suspendu, ils trouvèrent quil était déjà mort, et ils ne lui brisèrent point les jambes ; mais ils les rompirent aux larrons (324) qui vivaient encore sur la croix 1 , afin de hâter leur mort par cette nouvelle douleur, et de les descendre de la croix, comme cétait lordinaire pour les crucifiés. Le persécuteur vint donc et trouva que le Seigneur avait paisiblement rendu lesprit, selon sa propre parole: « Jai le pouvoir de livrer ma vie 2 ». Pour qui donc a-t-il donné sa vie ? Pour tout le peuple , pour son corps entier. Ainsi voici un bourreau, qui ne brise point les jambes à Jésus: mais Donat vient et fait une rupture dans lEglise du Christ. Sur la croix, entre les mains des bourreaux, le corps de Jésus-Christ demeure dans son intégrité, et le corps de lEglise ne demeure pas dans son intégrité entre les mains des chrétiens. Faisons donc entendre nos cris, mes frères, et des gémissements aussi profonds quil nous sera possible, et disons : « Bénissez avec moi le Seigneur, et chantons de concert son saint nom ». Cest là ce que leur crie lEglise : cest la voix de lEglise appelant ainsi les dissidents. Doù vient leur séparation? de lorgueil. Mais Jésus-Christ nous enseigne lhumilité par linstitution de son corps et de son sang: cest là, comme nous lavons dit à votre sainteté, le sujet que célèbre ce psaume, où il sagit du corps et du sang du Christ, et où lon nous représente cette humilité profonde à laquelle le Christ a bien voulu sabaisser pour nous. 8. « Jai cherché le Seigneur, et il ma exaucé 3 ». Où a-t-il exaucé? à lintérieur. Où donne-t-il sa grâce? à lintérieur, Cest là que tu pries, là que tu es exaucé, là que tu obtiens le bonheur. Tu as prié, tu as été exaucé, tu es heureux; et celui qui est près de toi ne le sait point. Tout sest fait dans le secret, selon cette parole du Seigneur dans lEvangile : « Entrez dans votre chambre, fermez-en la porte, priez en secret, et votre Père, qui voit dans le secret, vous le rendra 4 ». Mais entrer dans votre chambre, cest entrer dans votre coeur. Bienheureux ceux qui rentrent avec joie dans leur coeur, et qui ny trouvent rien de mauvais. Que sotte sainteté considère bien ceci : voyez quils ne rentrent quà regret dans leur maison, ceux qui ont une épouse méchante, mais quils sen vont sur la place publique prendre leurs ébats, et quils sattristent quand lheure
1. Jean, XIX, 32, 33. 2. Jean, X, 18. 3. Ps. XXXIII, 5. 4. Matt VI, 6.
est venue pour eux de rentrer au logis; car ils ny peuvent rentrer que pour y trouver lennui, les murmures, lamertume et le trouble; puisquune maison ne peut être bien réglée, quand il ny a point de paix entre le mari et ha femme, et que lon est mieux à se promener au dehors. Si donc il est triste en rentrant à son logis davoir toujours à redouter de la part des siens le trouble et le bouleversement; combien plus encore sont malheureux ceux qui nosent rentrer dans leur conscience, de peur dy rencontrer le trouble et les remords du péché! Purifiez donc votre coeur, afin de pouvoir y rentrer volontiers. « Bienheureux ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu 1 ». Otez-en les souillures des désirs mauvais, ôtez-en la tache de lavarice, linfection des pratiques superstitieuses. ôtez- en les sacrilèges et les pensées honteuses; ôtez-en la haine, je ne dis pas contre vos amis, mais encore contre vos ennemis; ôtez-en tout cela, et alors vous pourrez rentrer dans votre coeur et y trouver de la joie. Quand vous commencerez à goûter cette joie, vous trouverez aussi dans la pureté du coeur un parfum délicieux, et lexcitation à la prière; de même quen arrivant dans un lieu où règne le silence, où tout est calme et respire la propreté, vous dites aussitôt: Prions ici; la décence du lieu vous porte à croire que Dieu y exaucera vos prières. Si donc la propreté dun lieu visible a pour vous tant dattraits, comment nêtes-vous point révolté des immondices de votre coeur? Entrez-y donc, purifiez-le complètement, levez les yeux vers Dieu, et aussitôt il vous exaucera. Crie donc, ô mon frère, et dis en ton coeur: « Jai cherché le Seigneur, et il ma exaucé, et il ma délivré de toutes mes tribulations ». Pourquoi? Une fois que tu seras éclairé, et que ta conscience commencera par saméliorer ici-bas, des tribulations te sont réservées, parce quil restera toujours en toi quelque faiblesse, jusquà ce que la mort soit absorbée par sa victoire, et que ce corps mortel soit revêtu dimmortalité 2 : il est donc nécessaire que tu sois châtié en cette vie, il est nécessaire que tu aies toujours quelques tentations à vaincre, Mais un jour Dieu purifiera tout, et te délivrera de tes afflictions. Cherche-le seulement. 9. « Jai cherché le Seigneur et il ma exaucé». Donc ceux qui ne sont point exaucés,
1. Matt, V, 8. 2. I Cor XV, 54.
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nont point cherché le Seigneur. Que votre sainteté veuille mécouter, Le Prophète ne dit point : Jai cherché de lor chez le Seigneur, et il ma écouté; jai cherché une longue vieillesse dans le Seigneur, et il ma exaucé; jai cherché tel ou tel objet dans le Seigneur, et il ma exaucé. Autre chose est de chercher quelque chose dans le Seigneur, et autre de chercher le Seigneur lui-même. « Jai cherché le Seigneur », dit-il, « et il ma exaucé». Mais lorsque dans tes prières tu dis à Dieu : Envoyez la mort à celui-là, qui est mon ennemi ; ce nest point là chercher le Seigneur, cest là tétablir en juge de ton ennemi, et faire de Dieu un bourreau à tes ordres. Que sais-tu, si lhomme dont tu demandes la mort nest pas meilleur que toi, par cela même quil ne demande pas la tienne? Ne va donc demander à Dieu rien qui ne soit Dieu, mais cherche Dieu lui-même, et il texaucera, et tu parleras encore, quil te dira : « Me voici 1 » Quest-ce à dire : Me voici? Voici que je suis présent, que veux-tu? quelle est ta demande ? Toute autre chose que je puisse te donner, est moins que moi; mais possède-moi, jouis de moi, étreins-moi de ton amour, tu ne le peux encore dans tout ce que tu es; touche-moi du moins par la foi, et tu tattacheras à moi, dit le Seigneur, et je te déchargerai de tes autres fardeaux; afin que tu sois entièrement uni à moi, quand ce quil y a de mortel en toi sera devenu immortel 2 ; afin que tu sois égal à mes anges 3, et que tu voies toujours ma face, et que tu sois dans la joie, et que nul ne tenlève ta joie 4; car tu as cherché le Seigneur, et il ta exaucé, et ta délivré de toutes tes afflictions. 10. Nous avons déjà dit quel est celui qui nous exhorte, cet amant qui ne veut pas seul étreindre lobjet de son amour, et qui dit «Approchez de lui, et vous serez éclairés ». Il dit ce quil a éprouvé lui-même. Que dit lhomme spirituel qui appartient au corps de Jésus-Christ, ou bien Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même dans son humanité, ce chef qui exhorte les autres membres? « Approchez de lui et vous serez illuminés 5 ». Ou plutôt, cest un chrétien qui vit de lesprit, qui nous invite à nous approcher de Jésus-Christ Notre-Seigneur. Du moins approchons de lui, afin dêtre éclairés, et non comme les Juifs,
1. Isa. LXV, 24. 2. I Cor. XV, 51. 3. Matt. XXII, 30. 4. Jean, XVI, 22. 5. Ps. XXXIII, 6.
pour être plongés dans les ténèbres. Ils lont donc approché pour le crucifier, mais nous, approchons-nous de lui, pour recevoir son corps et son sang. Le crucifié les a couverts de ténèbres; et nous, en mangeant la chair et en buvant le sang du crucifié, soyons dans la lumière. « Approchez-vous de lui, et vous serez illuminés ». Cest aux Gentils que sadressent ces paroles. Le Christ à la croix était au milieu des Juifs, qui le voyaient et le traitaient cruellement; les Gentils nétaient point là, et voilà que ceux qui étaient dans les ténèbres se sont approchés, et ceux qui ne voyaient pas ont été remplis de lumière. Comment sapprochent les Gentils? En le suivant parla foi, en exhalant les désirs de leurs coeurs, eu le poursuivant par lamour. Tes pieds sont ton amour. Marche sur deux pieds, ne sois point boiteux. Quels sont ces deux pieds? les deux préceptes de lamour de Dieu et du prochain. Sur ces deux pieds, coure à Dieu, approche-toi de lui, car lui-même tengage à courir, et il ne ta donné sa lumière, que pour te donner le moyen de le suivre dune manière admirable et divine! « Car vos visages ne rougiront point. Approchez de lui », dit le Prophète, « et vous serez éclairés; et vos sages nauront point à rougir 1 ». Il naura pour rougir, que le visage de lorgueilleux. Pourquoi? parce quil veut être élevé, et quil rougit quand il doit dévorer un affront, subir quelque humiliation, quelque disgrâce du monde, ou quelque affliction. Mais ne craignez pas, approchez-vous de lui, et vous ne rougirez point. Quun ennemi vous nuise, il paraît avoir la supériorité sur vous, aux yeux des hommes; et néanmoins vous lui êtes supérieur devant Dieu. Je lai fait prendre, je lai enchaîné, je lai fait mourir. Quelle supériorité ne se donnent point ceux qui tiennent ce langage! Quelle supériorité ne se croyaient point les Juifs, quand ils souffletaient le Seigneur, quand ils lui crachaient au visage, quand ils frappaient sa tête dun roseau, quand ils le revêtaient dune tunique dérisoire! Comme ils se croyaient forts! Il paraissait faible au contraire; celui qui heurtait contre le seuil de la porte 2, mais il ne rougissait point. Il était la lumière véritable, qui éclaire tout homme venant en ce monde 3. Comme il ny a point de confusion pour celle lumière, de même ceux quelle éclaire ne 1. Ps. XXXIII, 6. 2. I Rois, XXI, 13. 3. Jean, I, 9. (326) seront point confondus. « Approchiez donc de s lui, et soyez éclairés, et vos visages nauront point à rougir ». 11. Mais, dira quelquun, commuent sapprocher de Dieu ? Tant de maux, tant de fautes pèsent sur moi, tant de crimes rugissent dans ma conscience, comment oserai-je approcher de Dieu? Comment? En thumiliant par la pénitence. Mais, dis-tu, je rougis de faire pénitence. Approche donc du -Seigneur, et tu seras éclairé, et ton front ne rougira point. Si la crainte de rougir te détourne de la pénitence, et que la pénitence te rapproche de Dieu; ne vois-tu pas que tu portes sur ton visage la peine de ton péché, puisque ton front a rougi, précisément parce quil napproche pas de Dieu : et quil nen approche point, parce quil ne veut point faire pénitence? Cest là ce quaffirme le Prophète : « Le pauvre a crié, et le Seigneur la exaucé 1 ». Il tenseigne la manière dêtre exaucé. Cest parce que tu es riche que Dieu ne texauce pas. Peut-être as-tu crié sans être exaucé, écoute pourquoi. « Ce pauvre a crié, et Dieu la exaucé ». Sois donc pauvre, afin de crier, et le Seigneur texaucera. Comment crier dans ma pauvreté? diras-tu. Ne présume point de tes propres forces, quelles que soient tes richesses ; comprends enfin que tu es dans lindigence, et que cette indigence doit durer tant que tu ne posséderas pas celui qui doit lenrichir. Comment le Seigneur la-t-il exaucé? « En le sauvant », dit le Prophète, « de toutes les tribulations ». Comment la-t-il sauvé de toutes les tribulations? « Lange du Seigneur se placera autour de ceux qui le craignent, et il les délivrera 2 ». Voilà ce qui est écrit, mes frères, et non point comme portent certains exemplaires peu exacts: « Le Seigneur placera son ange autour de ceux qui le craignent »; mais bien: « Lange du Seigneur campera autour de ceux qui le craignent, et les délivrera». Quel est celui quil appelle lange du Seigneur, et qui doit camper autour de ceux qui le craignent pour les délivrer? Jésus-Christ Notre-Seigneur est appelé dans les prophéties, lange du grand conseil, le messager du grand conseil, ainsi le désignent les Prophètes 3. Cest donc lange du grand conseil, ou ce messager, qui campera autour de ceux qui le craignent, afin de les délivrer. Ne craignez point déchapper à
1. Ps, XXXIII, 7. 2. Id. 8. 3. Isa. IX, 6, selon les LXX.
sa vigilance; partout où vous craindrez le Seigneur, cet ange vous découvrira, et campera autour de vous afin de vous délivrer. 12. Voilà que le Prophète parle maintenant avec clarté de ce sacrement dans lequel il se portait dans ses mains. « Goûtez et voyez combien le Seigneur est doux 1 ». Le psaume ne commence-t-il pas à sexpliquer, et à te montrer cette espèce de folie et de fureur calme, cette folie sage, cette sobre ivresse de ce David, qui désignait en figure je ne sais quel mystère, lorsque dans la personne dAchis, les Juifs lui dirent : « Comment cela se peut-il 2 ? » Rappelle-toi que le Seigneur disait: « Celui qui ne mange point ma chair et ne boit point mon sang, naura pas en soi la vie 3 ». Et ceux qui appartenaient au royaume dAchis, ou à lerreur et à lignorance, que répondirent-ils? « Comment celui-ci pourra-t-il nous donner sa chair à manger 4? » Si tu lignores, goûte, et vois combien le Seigneur est doux : si tu ne le comprends point, tu es le roi Achis. David changera sa face, et il te quittera, il se retirera de toi pour sen aller. 13. « Bienheureux lhomme qui espère en lui 5 ! » Est-il besoin dexpliquer longuement cette phrase ? Quiconque nespère pas dans le Seigneur, est misérable. Et qui nespère point dans le Seigneur? Celui qui espère en lui-même. Souvent même, ce qui est pire, mes frères , ne loubliez point, cest que les hommes ne veulent point espérer en eux-mêmes, mais dans dautres hommes. Tant que vivra Gaius Séius, disent-ils, on ne peut rien me faire. Souvent on parle ainsi dun homme déjà mort. On dit dans cette ville : Tant que cet homme vivra, je nai rien à craindre, et souvent alors cet homme est mort dans une autre ville. Cependant il ny a rien de plus commun que ce langage, et les hommes ne disent point: Je crois en Dieu, qui ne te permettra point de me nuire. Ils ne disent point: Je me confie en Dieu, parce que sil te donne quelque pouvoir sur moi, il ne ten donnera point sur mon âme. Mais quand ils disent : Jen jure par le salut de cet homme, dabord ils ne veulent pas le salut véritable, et de plus ils font tort à ceux dont ils espèrent le salut pour eux-mêmes. 11. « Craignez le Seigneur, vous tous qui êtes ses saints, parce que rien ne manque
1. Ps. XXXIII, 9. 2. I Rois, XXI, 11. 3. Jean, VI, 54. 4. Id. 53. 5. Ps. XXXIII, 9. (327) à ceux qui le craignent 1 ». La crainte de souffrir la disette, cest là ce qui en détourne beaucoup de la crainte de Dieu. On leur dit: Ne fraudez personne ; et ils répondent: Comment vivrai-je ? Ma profession ne se peut exercer sans quelque fraude, il faut tromper quelque peu dans le négoce. Mais Dieu punit la fraude : crains donc le Seigneur. Mais si je crains le Seigneur, je ne pourrai vivre. «Craignez le Seigneur, ô vous qui êtes ses saints, car rien ne manque à ceux qui le craignent ». Il promet labondance à celui qui le craint, et qui hésite à le servir, dans lappréhension dêtre privé du superflu. Eh quoi! le Seigneur qui talimente lorsque tu le négliges, tabandonnera quand tu le crains? Sois donc sage, et garde-toi de dire: Un tel est riche et moi je suis pauvre; je crains le Seigneur, et celui-là qui ne le craint pas, quels biens na-t-il pas amassés, tandis que ma crainte ma laissé dans lindigence ! Ecoute bien ce qui suit: « Les riches ont éprouvé lindigence et la faim, mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens en abondance 2 ». Ces paroles te paraissent trompeuses en les prenant à la lettre ; car tu vois beaucoup de riches impies mourir au milieu de leurs richesses, et néprouver point la pauvreté pendant leur vie; tu les vois vieillir et arriver à la fin de leur vie, parmi leurs grandes richesses ; on leur fait des pompes funèbres avec une grande magnificence; au milieu des pleurs de leur famille on les conduit dans un riche tombeau, eux qui sont morts sur un lit divoire; et toi, qui connais peut-être les dérèglements et les crimes dun tel homme, tu dis en ton âme : Je sais ce quil a fait ; et néanmoins il a vieilli, il est mort dans son lit, les siens le conduisent à la tombe, et on lui fait de si grandes funérailles : et moi, je connais ce quil a fait, et lEcriture men impose, elle me trompe, quand jentends et quand je chante: « Les riches ont éprouvé lindigence et la faim ». Quand cet homme a-t-il été pauvre, et quand dans lindigence ? « Mais ceux qui cherchent le Seigneur, auront tous les biens en abondance». Chaque matin je me rends à lEglise, chaque jour je fléchis le genou, chaque jour je cherche le Seigneur, et pourtant je ne possède aucun bien: tel autre sest peu soucié du Seigneur, et il est mort dans de grandes richesses. Cest là le 1. Ps. XXXIII, 10. 2. Id. 11 noeud du scandale qui étouffe celui qui pense de la sorte. Il cherche sur la terre un aliment périssable, et ne cherche point dans le ciel une véritable récompense ; il donne tête baissée dans le filet du diable, qui lui presse la gorge, le pousse au mal, et lui fait imiter ce riche quil voit mourir parmi tant de richesses. 15. Loin de toi donc dentendre ainsi ces paroles. Comment les entendrai-je? des biens spirituels. Où sont-ils ? Cest le coeur qui les voit et non les yeux. Mais je ne vois pas ces biens? Quiconque les aime, les voit. Je ne vois point la justice? Elle nest pas de lor, elle nest pas de largent. Si elle était de lor, tu la verrais; mais parce quelle est la foi, tu ne la vois point. Et si tu ne vois point la foi, pourquoi donc aimes-tu un serviteur fidèle? Interroge tes sentiments, et vois quel est le serviteur que tu aimes. Tu as peut-être un serviteur dune belle figure, dune haute stature, dun port élégant; mais il est fripon, méchant et fourbe: tu en as un autre, qui est peut-être petit de taille, désagréable de visage, et au teint basané, mais fidèle, économe et sobre ; examine bien, je ten prie, celui que tu préfères. Les yeux du corps donneront la préférence au serviteur fourbe, mais bien fait ; mais les yeux du coeur au serviteur fidèle, mais disgrâcié. Tu vois donc ce que tu désires quun autre te rende, cest-à-dire la bonne foi, cest à toi à la lui rendre aussi. Pourquoi ressens-tu de laffection pour celui qui se montre fidèle, et as-tu des éloges pour des qualités que voient seulement les yeux du coeur ? Seras-lu donc pauvre, quand tu seras comblé de ces richesses spirituelles? Etait-ce donc pour tel autre une grande richesse, quun lit divoire? et tu te crois pauvre, quand le ht de ton coeur étale comme des perles ces vertus de justice, de vérité, de charité, de foi, de patience, de mansuétude ! Examine tes richesses, si tu possèdes ces vertus, et compare-les aux grands biens des riches. Mais celui-ci, dans son négoce, trouve des mules de grand prix elles achète; si la foi pouvait se vendre, à quel prix nen achèterais-tu pas? Et cependant Dieu u voulu te la donner gratuitement, et tu ne len remercies pas. Le s riches sont donc dans la disette, ils sont dans la pauvreté ; et ce qui est pire encore, ils nont pas un morceau de pain. Je ne veux pas dire quils nont ni or ni argent, quoique souvent même ils en (328) manquent. Combien cet autre nen avait-il pas? et en a-t-ii été rassasié ?-Il est donc mort pauvre, puisquil voulait encore acquérir plus quil navait. Mais ils nont pas un morceau de pain. Comment nont-ils pas de pain? Si tu ne connais pas le vrai pain, le pain te dit lui-même : « Je suis le pain vivant, descendu du ciel 1 » ; et encore: « Bienheureux ceux qui ont faim et soif de la justice, parce quils seront rassasiés 2 » . « Mais ceux qui cherchent le Seigneur auront les biens en abondance ». Oui, les biens dont nous avons parlé. 16. « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu 3 ».Vous pensez, mes frères, que cest moi qui vous parle : croyez que cest David qui vous parle de la sorte, croyez que cest lApôtre qui vous parle, ou plutôt croyez que cest Jésus-Christ qui vous dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi ». Ecoutons-le donc ensemble, écoutez-le par ma bouche: il veut nous enseigner dans son humilité, ce fou divin, qui frappait du tambour, il veut nous enseigner. Et que dit-il? « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu». quil nous enseigne donc, prêtons-lui loreille, ouvrons surtout notre coeur. Nouvrons pas des oreilles de chair, pour lui fermer nos coeurs, mais, comme le dit lEvangile: « Que celui-là entende qui a des oreilles pour entendre 4» Qui refuserait dentendre le Christ qui nous instruit par son Prophète ? 17. « Quel est lhomme qui souhaite la vie, met qui soupire après des jours heureux 5? » Voilà ce quil demande. Chacun dentre vous ne répond-il pas : Cest moi ? En est-il un seul dentre vous pour ne souhaiter pas la vie, cest-à-dire, qui ne veuille vivre, et ne soupire après des jours heureux? Nest-ce point là ce que vous dites chaque jour dans vos murmures : Combien dureront ces misères? Chaque jour va de mal en pire. Nos ancêtres avaient des jours plus beaux, des jours plus heureux. Si tu pouvais interroger tes pères, tu les entendrais se plaindre aussi de leur temps; ils te diraient dans leurs murmures : Nos pères étaient heureux, nous voilà misérables, nous avons des jours mauvais : le règne dun tel était déplorable, nous avions cru quà sa mort nous aurions un peu de relâche, et
1. Jean, VI, 41 . 2. Matt. V, 6. 3. Ps. XXXIII, 12. 4. Matt. XI, 15 5. Ps. XXXIII, 13.
nous sommes plus mal encore. O Dieu, faites luire pour nous dheureux jours! « Quel est lhomme qui souhaite la vie, et qui soupire après des jours heureux? » Quil ne cherche point le bonheur ici-bas. Ce quil cherche est bien, mais il ne le cherche pas où il réside. Si vous cherchez un homme dans un pays quil nhabite pas, on vous dira : Vous cherchez un homme de bien, vous cherchez un grand homme, cherchez-le, mais pas ici, vous le chercherez vainement en ces contrées, vous ne ly trouverez jamais. Vous cherchez des jours heureux, cherchons-les ensemble, mais non pas ici-bas. Et pourtant nos pères en avaient. Vous vous trompez, tous ont souffert en cette vie. Lisez les Ecritures; Dieu les a fait écrire afin quelles fussent pour nous une consultation. Au temps dElie, il y eut une grande famine, et nos pères en souffrirent cruellement. Des têtes dânes morts se vendaient à prix dor, on tuait ses propres enfants pour les manger; deux femmes résolurent ensemble de tuer leurs fils et de les manger: lune tua son fils et toutes deux le mangèrent; lautre ensuite ne voulut plus tuer son enfant, et celle qui la première avait-tué le sien, lexigeait pourtant; ce procès fut porté devant le roi, elles comparurent devant lui, plaidant le meurtre de leurs enfants 1. Que Dieu éloigne de nous ce que nous lisons de ces mets horribles. Mais dans le monde il y aura toujours des moments malheureux, et tous les jours seront heureux en Dieu. Abraham eut des jours heureux, mais dans lintérieur de son coeur. Il eut des jours mauvais, quand la famine lobligea de changer de pays pour chercher des vivres 2. Tous ont cherché comme lui, Paul avait-il des jours heureux, lui qui souffrait « la faim, la soif, le froid, la nudité 3?» Mais que les serviteurs sapaisent : le Seigneur lui-même neut point des jours heureux en ce monde, lui qui dut passer par les affronts, par les injures, par la croix, et par tant dautres maux. 18. Que le chrétien ne murmure donc point, quil considère celui dont il suit les traces. Mais sil veut des jours heureux, quil entende le divin docteur qui lui dit: « Venez, mes enfants, écoutez-moi, je vous enseignerai la crainte de Dieu ». Que veux-tu, ô chrétien? La vie et des jours heureux. Ecoute
1. IV Rois, VI, 26-30. 2. Gen. XII, 10, XXVI, 1. 3. II Cor. XI, 27.
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et agis : «Préserve ta langue du mal 1». Oui, fais cela. Je ne veux point, dit lhomme du fond de sa misère, je ne veux point interdire le mal à ma langue, et pourtant je veux la vie et des jours heureux. Si un homme de peine te disait :Je ravage ta vigne, et je veux encore un salaire ; tu mas amené à ta vigne afin de la tailler, de lébourgeonner, jen coupe tous les bois fruitiers, jénerve les branches vigoureuses, afin que tu ny puisses rien recueillir, et quand jaurai fait cela, tu me paieras mon travail. Ne dirais-tu point que cet homme est insensé? Ne le chasserais-tu pas de chez toi, avant quil prenne la serpe en main? Tels sont les hommes qui veulent faire le mal, commettre le parjure, blasphémer Dieu, murmurer, sadonner à la fraude, à lintempérance, aux procès, à ladultère, user damulettes, consulter les devins, et avoir des jours heureux. On lui dit : Tu ne peux, en commettant le mal, revendiquer la récompense du bien. Si tu es injuste, le Seigneur le sera-t-il aussi? Que ferai-je donc? Et que veux-tu? Je veux la vie, je veux des jours heureux, « Préserve donc ta langue du mal, et que tes lèvres ne distillent point la fraude » ; cest-à-dire, que nul ne soit victime de ta fraude, nul de tes mensonges. 19. Mais que signifie : « Détourne-toi du mal 2? » Cest peu de ne nuire à personne, de ne tuer personne, de ne commettre ni vol, ni fraude, ni adultère, et de ne faire aucun faux témoignage. « Détourne-toi du mal » ; mais à peine en es-tu détourné que tu dis : Je suis en sûreté, jai tout fait, jaurai la vie , je verrai des jours heureux. Non-seulement « détourne-toi du mal»; mais, « fais le bien ». Cest peu de ne dépouiller personne, il faut vêtir le pauvre. Ne pas dépouiller, cest éviter le mal; mais tu ne feras le bien quà la condition de recevoir létranger dans ta demeure. Donc, évite le mal, afin de faire le bien. « Cherche la paix, et suis-la». Il ne te dit point: Tu auras la paix ici-bas, mais : Cherche-la et poursuis-la. Où la chercher? Où elle sest retirée. Notre paix, cest le Seigneur qui est ressuscité, qui est monté aux cieux. « Cherche donc là paix et poursuis-la » : car à la résurrection, ce quil y a de mortel en toi sera changé, et tu embrasseras cette paix que nul ne pourra troubler. La Paix sera parfaite pour toi,
1. Ps. XXXIII, 14. 2. Id. 15.
puisque tu ne souffriras plus la faim. Cest le pain qui fait la paix ici-bas ; ôte le pain, et vois quelle guerre tu ressentiras en tes entrailles. Pourquoi donc les justes ont-ils à gémir ici-bas, mes frères? Cest afin de vous apprendre quen cette vie nous cherchons la paix, et que nous lobtiendrons à la fin seulement. Mais essayons de lavoir en partie en cette vie, afin de lavoir entièrement dans lautre. Quest-ce à dire en partie? Soyons en bonne harmonie, aimons notre prochain comme nous-mêmes. Aie donc pour ton frère le même amour que pour toi-même, sois en paix avec lui. Mais il est impossible de bannir toute espèce de rixe, comme on en voit sélever entre des frères, et même entre des saints, comme il sen éleva entre Barnabas et Paul 1, mais qui nallaient point jusquà éteindre la charité, jusquà étouffer la concorde. Car tu es souvent en désaccord avec toi-même, et néanmoins tu nas pas de haine pour toi. Quiconque a du repentir est en désaccord avec lui-même, Il a péché, il rentre en lui-même, il se fâche davoir agi de la sorte, davoir fait cette faute. Il est donc en désaccord avec lui-même, mais ce désaccord doit rétablir lharmonie. Vois de quelle manière un juste se querelle, et se dit : «Pourquoi cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? Espère dans le Seigneur, parce que je le confesserai encore 2 ». Si donc il dit à son âme : « Pourquoi me troubler? » cest quelle lui causait du trouble. Il voulait peut-être souffrir pour le Christ, et son âme sen affligeait. Et lui qui le savait, et qui disait : « Pourquoi donc, ô mon âme, tattrister et me troubler? » nétait pas en paix avec lui-même; mais il était uni desprit au Christ, afin que son âme le suivît, et quelle ne le troublât plus. Donc, mes frères, cherchez la paix. « Je vous parle de la sorte», dit le Seigneur, «afin que vous ayez la paix en moi; je ne vous promets point la paix sur la terre 3». Il ny a en cette vie ni paix véritab1e, ni tranquillité. On nous promet la joie de limmortalité, et la société des anges. Mais quiconque ne laura point cherchée pendant cette vie, ne la possédera point, quand elle doit nous échoir. 20. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes 4 ». Bannis donc toute crainte, et travaille; les yeux du Seigneur sont sur toi,
1. Act. XV, 39, 2. Ps. LXII, 5. 3. Jean, XVI, 33. 4. Ps. XXXIII, 16.
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« Et ses oreilles attentives à. tes prières ». Que veux-tu de plus? Si le père de famille nentendait point dans une maison nombreuse les murmures dun serviteur, celui-ci pourrait se plaindre et dire: Quelles sont nos douleurs! et nul ne nous entend. Mais peux-tu dire en parlant de Dieu : Quelles sont mes douleurs, et nul ne mentend? Mais, diras-tu, sil mentendait, il me délivrerait de cette affliction: je crie, et néanmoins je suis dans la douleur. Tiens ferme seulement dans tes voies, et dans ta douleur il técoutera. Mais il est médecin, et il reste en toi je ne sais quelle gangrène; tu cries, mais il tranche encore; et sa main ne sarrêtera point quil nait fait les incisions quil sait nécessaires. Cest en effet une cruauté pour un médecin, découter les cris dun malade, de ménager la blessure la gangrène. Comment une mère frictionne-t-elle ses enfants dans les bains? Les enfants ne poussent-ils point des cris entre ses mains? cependant elle est assez cruelle, pour ne point cesser et nécouter point leurs larmes. les aime-t-elle point de toute sa tendresse? pourtant ces enfants poussent des cris, et mères ne les épargnent point. Ainsi en est-il de Dieu qui est plein de tendresse pour nous: et sil paraît ne point nous écouter, cest afin de nous guérir, et de nous épargner dans léternité. 21. « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles sont attentives à leurs prières », Mais, pourra dire le méchant, je tais donc le mal en toute sécurité, puisque les yeux du Seigneur ne sont pas sur moi : si une Dieu ne regarde que les justes, il ne me voit point; et je suis en sûreté dans toutes mes actions. Or, lEsprit-Saint, voyant ces pensées hommes, ajoute aussitôt: « Les yeux du Seigneur sont sur les justes, et ses oreilles attentives à leurs prières: mais le regard de sa colère est sur ceux qui font le mal, afin deffacer leur mémoire de la terre 1 ». 22. « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de tous leurs maux 2». Les trois enfants de la fournaise étaient justes: et ils crièrent vers le Seigneur, et à leurs chants les flammes devinrent une douce rosée. Ces flammes ne purent approcher ni meurtrir ces trois enfants, justes et innocents, et le Seigneur arracha aux flammes 3. Mais, dira quelquun, à la vérité, voilà trois justes qui ont
1. Ps. XXXIII, 16, 17. 2. Id. 18. 3. Dan. III, 49.
été exaucés, selon cette parole: « Les justes ont crié, et le Seigneur les a exaucés et les a délivrés de leurs tribulations » ; mais moi jai crié, et il ne ma point délivré : donc ou bien je ne suis pas juste, ou je ne fais point ce que Dieu ordonne, ou peut-être que Dieu ne me voit point. Sois sans crainte, et fais ce que Dieu ordonne; et sil ne te délivre point dune manière corporelle, il délivrera ton âme. Lui qui délivra les trois enfants des flammes, en délivra-t-il les Macchabées ? Si les uns chantaient au milieu des flammes, les autres ny expiraient-ils pas 1 ? Le Dieu des trois enfants nétait-il pas le Dieu des Macchabées ? Il a délivré les uns sans délivrer les autres; au contraire, il les a tous délivrés; il a délivré les trois enfants, afin de confondre les hommes charnels; il na pas délivré les Macchabées de la même manière, afin que leurs persécuteurs fussent plus sévèrement condamnés, parce quils avaient cru opprimer les martyrs de Dieu. Il délivra Pierre quand lAnge vint trouver cet Apôtre dans les chaînes et lui dit: « Lève-toi, et va-ten » : et alors ses chaînes furent déliées, et il suivit lange qui le délivra 2. Pierre avait-il cessé dêtre juste, quand le Seigneur ne le délivra point de la croix? Mais ne le délivra-t-il pas alors? Il le délivra certainement. Na-t-il vécu plus longtemps que pour devenir injuste ? Dieu en ce moment le délivra, plus quauparavant, puisquil larracha véritablement à toutes les misères. Après que Dieu leût délivré une première fois, combien cet Apôtre neût-il pas à souffrir dans la suite? au lieu que Dieu le fit passer de la croix à ce lieu où lon ne doit plus souffrir. 23. « Le Seigneur est près de ceux qui ont le coeur brisé, et il doit sauver les hommes humbles desprit 3 ». Dieu est élevé; que le chrétien sabaisse, quil pratique lhumilité sil veut que Dieu sapproche de lui. Ce sont là de grands mystères, mes frères. Dieu est au-dessus de tous; élève-toi, tu ne latteindras point; humilie-toi, et il descendra jusquà ton niveau. « De grandes tribulations sont réservées aux justes ». Dieu nous dit-il: Que les chrétiens soient justes, quils écoutent ma parole, afin de navoir aucune affliction à souffrir? Telles ne sont point ses promesses; mais il dit: « De grandes tribulations sont réservées aux justes ». Donc, sils ne sont point justes, ils
1. II Macch. VI, 3. 2. Act. XII, 7. 3. Ps. XXXIII, 19.
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en auront moins à en endurer, et parce quils sont justes, ils en auront beaucoup. Mais après des souffrances ou légères ou nulles, les injustes arriveront à la douleur éternelle, dont ils ne seront point délivrés; tandis que les justes, après les grandes douleurs de cette vie, arriveront à léternel repos, où ils nauront aucun mal à souffrir. « De grandes tribulations sont réservées aux justes; mais le Seigneur les délivrera de tous les maux 1 ». 24. « Il garde tous leurs os, pas un ne sera brisé 2 ». Ceci, mes frères, ne doit point sentendre dune manière charnelle. Les ossements dont la force des fidèles. De même que, dans le corps humain, les os donnent la solidité, de même, dans le coeur du chrétien, cest la foi qui en fait la force. La patience qui vient de la foi nous constitue une ossification intérieure. Cest là ce quon ne peut briser. « Le Seigneur garde tous leurs os, pas un ne sera brisé ». Si le Prophète, en partant de Notre-Seigneur Jésus-Christ, eût dit Le Seigneur garde tous les ossements de son Fils, nul ne sera brisé : selon la figure qui nous en est donnée dans un autre endroit, quand il fut prescrit dimmoler un agneau et que Moïse ajouta: « Garde-toi den briser les « os 3 » ; assurément cette prédiction sest accomplie en Jésus-Christ. Quand il pendait à la croix, il expira avant que les soldats vinssent à lui, et comme ils trouvèrent son corps inanimé, ils ne voulurent point lui briser les jambes, et ainsi saccomplit la prédiction 4. Mais le Seigneur fait encore cette promesse aux autres chrétiens : « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera brisé ». Si donc, mes frères, nous voyons quelque juste endurer quelque souffrance, telle amputation que lui fait un médecin, telle meurtrissure que lui fait un ennemi, au point que ses os soient brisés, ne disons pas : Cet homme nétait pas juste, puisque Dieu a fait à ses justes cette promesse : « Le Seigneur garde leurs os, pas un ne sera brisé ». Voulez-vous voir quil parle dautres os, de ceux que nous appelons la force de la foi, cest-à-dire de la patience à endurer la douleur? Car tels sont les os que lon ne brise point. Ecoutez et voyez ce que je vais dire de la passion du Sauveur. Le Seigneur était crucifié au milieu de deux voleurs : lun deux lui insulta, lautre crut en lui ; lun fut damné, lautre justifié; lun
1. Ps. XXXIII, 20. 2. Id. 21. 3. Exod. XII, 46. 4. Jean, XIX, 33.
subit son châtiment ici-bas et dans léternité, et le Seigneur dit à lautre : « En vérité, je vous le dis, vous serez aujourdhui avec moi dans le paradis 1 » : et pourtant, ceux qui étaient venus et qui ne brisèrent point les ossements du Seigneur, brisèrent ceux des deux larrons 2 ; en sorte que ceux du larron blasphémateur furent brisés comme les os de celui qui crut en Jésus-Christ. Où est donc la vérité de cette parole: « Le Seigneur garde leurs os, et pas un ne sera rompu? » Na-t-il donc pu garder tous les os de ce voleur à qui il disait: « Aujourdhui , tu seras avec moi dans le paradis? » Le Seigneur te répond : Au contraire, je les ai gardés, puisque les coups des bourreaux qui lui brisaient les jambes nont pu ébranler la solidité de sa foi. 25. « La mort des pécheurs est très funeste 3 ». Ecoutez ceci, mes frères, après ce que nous venons de dire. Assurément Dieu est grand, sa miséricorde est grande; il est grand, celui qui nous a donné à manger son corps tout meurtri, et son sang à boire. Comprenez comment il voit les pensées corrompues des hommes qui disent : Cet homme est mort, les bêtes lont dévoré ; il nétait pas juste, puisquil a péri si misérablement; autrement, eût-il péri de la sorte? Donc celui-li est juste qui meurt chez lui et dans son lit ? Cest encore là ce qui métonne, diras-tu, car je connais ses péchés et ses crimes, et toute fois, il est mort paisiblement dans sa maison, dans sa chambre, sans avoir souffert dans ses voyages nullement, pas même dans un âge avancé. Ecoute bien, ô mon frère. « La mort des pécheurs est très funeste ». Cette mort que tu crois heureuse est très mauvaise, au point de vue intérieur. Tu vois extérieurement un homme étendu sur un lit funèbre; mais le vois-tu, des yeux de la foi, entraîné dans lenfer? Ecoutez, mes frères, et voyez daprès lEvangile ce quil y a de funeste dans la mort des pécheurs. Ny voyez-vous pas deux hommes qui vivaient ici-bas, lun riche, vêtu de pourpre et de fin lin, et qui faisait chaque jour bonne chère 4; lautre pauvre, étendu à la porte du riche et couvert dulcères, et les chiens venaient et léchaient ses ulcères, et il désirait se rassasier des miettes qui tombaient de la table du riche? Il arriva que le pauvre mourut, et ce pauvre qui était juste fut porté
1. Luc, XXIII, 43. 2. Jean, XIX, 32. 3. Ps. XXXIII, 22, Luc XVI, 19-25.
par les anges dans le sein dAbraham. Que ne pouvait dire quiconque avait vu son corps étendu à la porte du riche, sans que personne se mît en peine de lensevelir? Ainsi puisse mourir mon ennemi, celui qui ma persécuté, puisse-je le voir en cet état! On crache sur ce cadavre, la puanteur sexhale des plaies, mais lâne repose au sein dAbraham. Croyons cela, si nous sommes chrétiens; mais si nous ne le croyons, mes frères, ne nous imaginons pas que nous sommes chrétiens. Cest la foi qui nous conduit. Comme le dit le Seigneur, ainsi en est-il. La vérité serait-elle dans les paroles dun astrologue, et la fausseté dans celles de Jésus-Christ? Mais quelle fut la mort du riche? Comment put-il mourir dans la pourpre et dans le fin lin? Avec quelle pompe et quelle magnificence? Quelles nétaient pas ses funérailles? Dans quels parfums nensevelit-on pas son cadavre? Et pourtant quand il était dans les tourments de lenter, il désirait ardemment quune goutte deau tombât, du doigt de ce pauvre jadis méprisé, sur sa lingue desséchée, et il ne lobtint pas. Apprenez donc ce que signifie: « La mort des pécheurs est très funeste », et ne jetez pas les yeux sur ses lits aux tentures somptueuses, sûr ce cadavre environné de riches broderies, sur uns pompeuses lamentations, sur cette famille en deuil, sur cette foule qui précède et qui suit le corps que lon porte en terre, sur des cénotaphes dor et de marbre. Si vous interrogez tout cela, vous naurez quune réponse mensongère, tout cela vous dira quil est beau de mourir, non-seulement pour des hommes légèrement pécheurs, mais pour de grands criminels, quand on a mérité cette pompe des larmes, cette pompe des parfums, cette pompe de parure, cette pompe de cortège, cette pompe de sépulture. Mais interrogez lEvangile, et aux yeux de votre foi, il découvrira lâme du riche qui brûle dans les flammes, et que ne peuvent nullement soulager tous ces honneurs, tout ce cortège, dont la vanité des vivants environnait son cadavre. 26. Mais parce quil y a différentes sortes de pécheurs, et quil est difficile, peut-être même impossible en cette vie de nêtre point pécheur, le Prophète nous dit aussitôt de quels pécheurs la mort est si funeste: « Et ceux qui haïssent le juste, périront 1 », nous dit-il. Quel est ce juste, sinon celui qui juge limpie 2? Quel est ce juste, sinon Notre-Seigneur Jésus-Christ, qui est aussi lhostie de propitiation pour nos péchés 3? Ceux donc qui le haïssent ont une mort très-funeste, puisquils meurent dans leurs péchés et quils ne sont point par lui réconciliés à notre Dieu. « Le Seigneur, en effet, rachètera les âmes de ses serviteurs 4». Cest au point de vue de lâme que lon doit envisager la mort comme très- funeste, ou comme très-désirable; et non au point de vue des affronts que lon peut faire à nos corps, ou des honneurs quon peut leur rendre aux yeux des hommes. « Et ceux qui « espèrent en lui ne seront point délaissés 5 ». Telle est, en effet, la règle de la justice humaine. Quels que soient nos efforts, il est impossible que la vie humaine soit sans péché, du moins ne péchons point sous le rapport de lespérance en celui qui nous remet nos péchés. Ainsi soit-il.
1. Ps. XXXIII, 22. 2. Rom. XV, 5. 3. I Jean, II, 2. 4. Ps. XXXIII, 23. 5. Ibid.
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