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DISCOURS SUR LE PSAUME XXXVLIMPIÉTÉ
Limpie ne veut point connaître son iniquité afin de ne point la haïr, il cherche à se dérober à Dieu, il ne prie point dans les secret ou pour demander les biens du ciel. Il ne peut espérer quun jugement sévère, parce quil se laisse entraîner dans labîme jusquà mépriser Dieu. Nos ressources pour éviter ce malheur sont dans la miséricorde divine, à laquelle nous devons demander non les biens terrestres, comme Israël, mais les biens du ciel. Sainte ivresse du ciel. Eviter lorgueil afin dy arriver.
1. Jappelle toute lattention de votre charité sur les paroles et sur les mystères de ce psaume, afin que nous puissions lexposer rapidement, car il est clair en bien des endroits; et quand lobscurité nous obligera de sous étendre quelque peu, le plaisir dapprendre nous adoucira cette longueur. « Limpie sest en lui-même déterminé au mal; la crainte de Dieu nest point devant ses yeux 1». Ce nest point un seul homme que désigne ici le Prophète, mais bien cette espèce dhommes pervers, ennemis deux-mêmes, parce quils ne comprennent pas la sainteté de la vie, non quils ne le puissent, mais parce quils ne le veulent pas. Il y a une différence entre un homme qui sefforce de comprendre et qui est empêché par linfirmité de sa chair, comme il est dit dans IEcriture : « Que ce corps corruptible appesantit lâme, et que cette habitation terrestre abat lesprit capable des plus hautes pensées 2. » ; et un homme dont le coeur se livre une guerre funeste, afin de ne point comprendre ce quil comprendrait avec quelque bonne volonté, non que cela soit difficile, mais parce que sa volonté y répugne. Cest ce qui arrive quand on aime ses péchés et que lon hait la loi de Dieu. Cette parole de Dieu est haïssable pour toi, si tu as de lattachement pour ton iniquité. Si au contraire tu hais ton iniquité, la parole de Dieu devient aimable pour toi et repousse ton iniquité. Haïr le mal, cest donc travailler de concert avec la parole de Dieu; et ainsi vous serez deux, cette parole et toi, pour le détruire. Pour toi, tu ne peux rien par tes propres forces; mais celui qui ta envoyé cette parole te prête son secours, et te mal est surmonté. Si tu la hais, Dieu te la pardonne et
1. Ps. XXXV, 12. 2. Sag. IX, 15.
laffranchit de la servitude; mais si tu laimes, il te répugne de comprendre le blâme que lon en fait. Montrez-moi un homme qui cherche comment le Fils est égal au Père; il croit, mais il cherche à comprendre et ne le peut encore. Cest en effet une doctrine bien relevée et quon ne peut saisir quavec les plus grandes forces de lesprit; et il est un commencement de foi qui préserve lâme jusquà ce quelle se fortifie. Elle se nourrit dabord de lait, jusquà ce quelle prenne de laccroissement et devienne plus capable dun aliment plus solide, afin quelle puisse comprendre: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 1 ». Avant den arriver là, elle salimente par la foi; elle sefforce de comprendre, afin de le faire enfin autant que Dieu lui en donne la grâce. Mais faut-il un grand effort pour comprendre : « Ne fais pas à un autre ce que tu ne veux pas que lon te fasse 2 », en sorte que tu ne commettes point dinjustice, puisque tu naimes pas quon soit injuste envers toi, et que tu ne tendes aucune embûche, puisque tu ne veux pas être victime des embûches? Ne pas comprendre cela, cest le tort de ta volonté. Aussi « linjuste a-t-il résolu en lui-même de commettre le mal »; il a résolu de pécher. 2. Mais est-ce bien publiquement? nest-ce pas en soi-même que lon prend la résolution de pécher? Pourquoi en soi-même? Parce que lhomme ne la voit point. Quoi donc? parce que lhomme ne voit point dans le coeur la résolution de pécher, Dieu ne la voit-il point? Dieu la voit, assurément. Mais quest-il dit ensuite? « La crainte de Dieu nest point devant ses yeux ». Il na devant les yeux que
1. Jean, I, 1. 2. Tob. IV, 16.
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la crainte des hommes. Il noserait afficher publiquement liniquité, de peur dêtre blâmé ou condamné par les hommes. Il fuit la présence des hommes; où est son refuge? En lui-même; il rentre dans son intérieur où nul ne le voit; cest là que, sans être aperçu, il sétudie aux piéges, aux embûches et aux crimes. Cependant il ne pourrait sétudier au mal, même dans son intérieur, sil pensait que Dieu le voit; mais comme il na point devant les yeux la crainte de Dieu et quil se dérobe au regard des hommes en rentrant dans son coeur, qua-t-il à craindre ? Dieu ny est-il pas présent? Oui, mais « la crainte de Dieu nest pas devant ses yeux ». 3. Donc il inédite la fraude; et voici la suite (car il ne sait peut-être pas que Dieu le voit, pourriez-vous me dire; et le Prophète nous montre ce que javais commencé à vous exposer, quil veut bien ne pas le savoir et que cette volonté dignorer tourne contre lui-même) : « Il a frauduleusement agi en sa présence 1 ». En présence de qui? de celui quil ne craint point dans ses fourberies. « En cherchant son iniquité pour la haïr ». Il a donc agi de manière à ne la point trouver. Il y a des hommes, en effet, qui paraissent faire des efforts pour connaître leur iniquité, et qui craignent de la trouver; car, sils la trouvaient, une voix leur dirait Rompez avec elle. Vous avez fait cela avant de connaître le mal; cette faute est celle de votre ignorance, Dieu vous la pardonne; et, maintenant que vous la connaissez, rompez avec elle, afin que votre ignorance obtienne plus facilement son pardon, et que sans rougir vous puissiez dire à Dieu: « Ne vous souvenez plus, Seigneur, des péchés de ma jeunesse et de mon ignorance 2 ». Dune part donc il cherche son injustice, et dautre part il craint de la trouver; car il cherche avec feinte. Je ne savais pas quil y eût péché; quand est-ce que lhomme parle ainsi? Cest quand il reconnaît quil a péché et quil cesse de faire ce quil faisait précisément parce quil ignorait que ce fût un mal; il voulait réellement connaître sa faute, afin de la trouver et de la haïr. Mais aujourdhui beaucoup cherchent leur iniquité avec feinte, cest-à-dire quils ne la cherchent point avec lintention de la trouver et de la haïr. Mais comme la recherche quils en font est hypocrite, ils ne trouvent cette iniquité
1. Ps. XXXV, 3. 2. Id. XXIV, 7.
que pour la défendre. Pour celui qui découvre liniquité, il est évident que cette iniquité est un mal. Ne le faites plus, lui direz-vous. Et lui, qui nagissait que frauduleusement pour trouver son iniquité, la trouve enfin, mais ne la hait pas. Que dit-il, en effet? Combien dautres en agissent ainsi, et qui nen est pas là? Dieu voudrait-il nous damner tous? Ou, du moins, voici son langage : Si Dieu ne voulait pas quon agît de la sorte, les hommes qui en sont là vivraient-ils encore? Vois-tu bien que tu ne cherches ton iniquité quavec hypocrisie? Si tu neusses point agi en homme hypocrite, mais en homme sincère, tu laurai déjà trouvée et prise en haine; maintenant que tu la trouves, tu la soutiens; tu la cher. chais donc en hypocrite. 4. « Linjustice et la ruse, telles sont ta « paroles de sa bouche; il na point voulu comprendre, afin de ne point faire le bien 1. » Vous voyez que ces torts sont attribués à sa volonté; il est en effet des hommes qui ne veulent pas comprendre et ne le peuvent; il est aussi des hommes qui ne comprennent point parce quils ne veulent point corsO prendre. « Il na point voulu comprendre, de peur de faire le bien ». 5. « Il a médité liniquité sur sa couche 2 ». Quest-ce à dire: « Sur sa couche? Le méchant a résolu en lui-même de faire le mal ». Lexpression « en lui-même » a le même sens que: « sur sa couche ». Notre lit, en effet, cont notre coeur; cest là que nous ressentons laiguillon dune conscience coupable, comme le calme dune bonne conscience. Quiconque aime de jouir dans son coeur, doit dabord y faire le bien. Cest dans ce lit que Notre-Seigneur Jésus-Christ nous ordonne de prier. « Entrez », nous dit-il, « dans votre lit secret et fermez-en la porte ». Quest-ce à dire: « Fermez-en la porte? » Nattendez point de Dieu les biens extérieurs, mais les biens de lâme. « Et votre Père qui voit dans le secret vous le rendra 3 ». Quel est celui qui se ferme point sa porte? Celui qui croit beaucoup demander à Dieu en lui demandant les biens de la terre, et qui borne là toutes mes demandes. Alors, votre porte est béante, et chacun voit quand vous priez. Quest-ce qui clore votre porte? Cest demander à Dieu ce que Dieu seul sait vous donner. Et que demanderas-tu en fermant ta porte? « Ce que
1. Ps, XXXV, 4. 2. Id. 5. 3. Matt. VI, 6.
doeil na point vu, ce que loreille na pas entendu, ce que le coeur de lhomme na jamais compris 1 ». Ce qui peut-être nest jamais entré dans ton lit, ou plutôt dans ton coeur. Mais Dieu sait ce quil doit te donner. Quand sera-ce? Quand Dieu se révélera, quand il apparaîtra comme Juge. Quoi de plus clair que ce langage quil doit tenir à ceux qui seront à sa droite « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde 2? » Voici ce quentendront ceux qui seront à sa gauche, et ils gémiront dans une pénitence inutile 3, parce quils nauront pas voulu pendant leur vie la rendre fructueuse. Pourquoi gémir alors? Parce que ce ne sera plus le lieu de se corriger. Donc ils entendront cet arrêt: « Allez un feu éternel, qui a été préparé pour le diable et pour ses anges 4 ». Paroles de consternation. Quant aux justes, ils se réjouiront de ce quils entendront; et, comme il est écrit: « La mémoire du juste sera éternelle; il nentendra point une parole sévère qui lui inspire de leffroi 5 ». Quelle parole sévère? Cette parole que ceux-ci doivent entendre: « Allez au feu éternel ». Dieu donc, qui peut nous accorder au-delà de nos demandes et de notre intelligence 6, cherche nos gémissements secrets, afin que nous mous coudions agréables à ses yeux et que nous ne vantions point notre justice devant les hommes. Celui qui prétend par sa justice plaire aux hommes, qui ne se propose point de faire bénir Dieu par ceux qui le verront, mais de sattirer à lui-même des louanges, celui-là ne ferme point sa porte au bruit; et comme cette porte est ouverte au bruit du monde, le Seigneur nentend point comme il voudrait entendre. Travaillons donc à rendre pur ce lit ou notre coeur, afin que nous puissions y être à laise. Votre charité connaît tout coque lon endure dans la vie publique, dans le forum, dans les querelles, dans les procès, dans lembarras des affaires, et combien sont nombreux ceux qui en souffrent; elle sait comment, fatigué des occupations du dehors, chacun retourne à la hâte en sa maison afin de sy reposer, chacun cherche à terminer promptement les affaires qui le retiennent dehors, afin dy goûter un peu de calme. Cest en effet pour cela que chacun a son logis, afin dy être
1. I Cor. II, 9. 2. Matt. XXV, 34. 3. Sag, V, 3. 4. Matt. XXV, 41, 5. Ps. XI, 7. 6. Eph. III, 20.
en paix. Mais sil vient à souffrir des troubles jusque-là , où donc se reposera-t-il? Quoi donc? Encore doit-il goûter le calme chez lui! Mais sil rencontre des ennemis au dehors et une épouse acariâtre à la maison, il sort de nouveau. Quand il veut se reposer des fatigues du dehors, il rentre dans son intérieur; et sil ny trouve pas plus de calme quau dehors, où donc se reposera-t-il? Du moins dans le secret de son coeur, cest là que tu dois te retirer, dans lintérieur de ta conscience. Si par hasard tu y rencontres cette épouse qui na aucune parole amère , cest-à-dire la sagesse de Dieu, vis avec elle dans une sainte union, repose dans ton lit secret, et que la fumée dune conscience coupable ne ten fasse point sortir. Mais cest là que se retirait, loin des regards des hommes et pour méditer le crime, celui dont nous parle David; et telles étaient ses pensées, quil ne pouvait même trouver la paix dans son coeur. « Sur sa couche il a médité les embûches ». 6. « Il sest tenu à lentrée de toute voie coupable 1 ». Quest-ce à dire : « Il sest tenu? » Il a persévéré dans le mal. Cest pourquoi il est dit de lhomme juste « quil ne sest point arrêté dans la voie des pécheurs 2 ». De même que lun ne sest point arrêté, lautre sest tenu. « Il ne repousse aucun mal ». Cest là sa fin, le fruit quil vient recueillir ; sil lui est impossible de sexempter de tout mal, que du moins il le prenne en haine. Car si tu en avais la haine, à peine te surprendrait-il dans quelque acte mauvais. Il est vrai que le péché habite un corps mortel; mais que nous dit lApôtre? « Que le péché ne règne donc plus dans votre corps mortel pour vous assujettir à ses convoitises 3 ». Quand commencera-t-il à ny plus habiter? Lorsque saccomplira en nous ce quil nous dit ailleurs « Quand ce qui est corruptible en nous aura revêtu lincorruptibilité, et quand ce corps mortel sera revêtu dimmortalité 4 ». Avant cela il y a dans notre corps un attrait pour le mal; mais il y a un attrait supérieur dans les douceurs de la parole de sagesse et des préceptes de Dieu. Surmonte donc le péché et la volonté de le commettre; hais le péché et linjustice, afin de tunir à Dieu dans une commune réprobation. Dans cette union desprit à la loi de Dieu, tu obéis à cette loi selon lesprit. Et si
1. Ps. XXXV, 5. 2. Id. t, 1. 3. Rom. vi, 12. 4. I Cor. XV, 53.
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ta chair tassujettit encore à la loi du péché 1, parce que tu ressens quelques délectations dans la chair, elles deviendront nulles quand tu nauras plus à combattre. Il y a une différence entre navoir plus à combattre, parce que lon jouit dune paix vraie et continuelle, et combattre encore, mais vaincre; entre combattre et être vaincu, et ne plus combattre, mais se laisser entraîner. Il y a des hommes qui ne combattent plus; tel est celui dont il est parlé ici. Il ne hait point le mal, dit le Prophète; comment combattre ce quil ne hait point? Il est donc entraîné par sa malice, sans résister nullement. Dautres commencent par combattre; mais comme ils présument de leurs forces, Dieu veut leur montrer que cest lui seul qui peut vaincre dans lhomme qui se soumet à lui, et ils sont vaincus dans le combat; et quand ils ont commencé à pratiquer une certaine justice, ils deviennent orgueilleux et se brisent. Ceux-là combattent, mais ils succombent. Quel est celui qui combat sans être vaincu? Celui qui dit: «Je vois dans mes membres une autre loi contraire à la loi de lesprit ». Voilà un athlète; mais comme il ne présume point de ses forces, il sera victorieux. Que dit-il ensuite? « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? La grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 2 ». Il met son espoir dans celui qui lui ordonne de combattre, et il surmonte son ennemi avec le secours de celui qui commande la lutte. Quant à lautre, « il na point de haine pour le mal». 7. « Seigneur, votre miséricorde est dans le « ciel et votre vérité jusquaux nues 3 ». Le Prophète parle de je ne sais quelle miséricorde, qui est spécialement dans le ciel. Car il y a aussi une miséricorde du Seigneur qui est sur la terre. Il est écrit : « La terre est pleine des miséricordes du Seigneur 4 ». De quelle miséricorde veut-il parler, quand il dit: « Seigneur, votre miséricorde est dans les cieux? » Entre les dons de Dieu, il en est qui sont temporels et terrestres, et dautres qui sont célestes et éternels; celui qui ne se propose, en servant Dieu, que dacquérir ces dons terrestres et temporels, qui sont lapanage de tous, nest encore quau rang des bêtes; il a part à la divine miséricorde, mais non à cette miséricorde, plus spéciale, qui u e sera donnée quaux seuls justes, aux saints,
1. Rom. VI, 25. 2. Id. 23-25. 3. Ps. XXXV, 6. 4. Id. XXII, 5.
aux bons. Quels sont les dons communs à tous? « Dieu fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes « et sur les injustes 1 ». Qui dentre les hommes na part à cette miséricorde, puisque dabord il existe; ensuite il diffère des animaux brutes, il est animal raisonnable, il peut comprendre Dieu, jouir de cette lumière, de cet air, de ta pluie, des récoltes, de la diversité des saisons, de la santé du corps, du commerce de ses amis, de la conservation de sa famille? Tout autant de biens qui viennent de la munificence de Dieu. Ne croyez point, mes frères, que tout autre que Dieu seul nous les puisse donner. Quiconque alors ne les attend que de Dieu seul, met un vaste intervalle entre lui et ceux qui les recherchent auprès des démons, des magiciens, des astrologues, Ces derniers, en effet, sont doublement misérables, puis. quils ne souhaitent que des biens temporels et quils ne les demandent pas à lAuteur de tout bien. Mais ceux qui désirent ces biens, qui veulent mettre en eux leur félicité, et qui ne les demandent quà Dieu seul, sont préférables sans doute en ce quils ne les demandent quà Dieu, et toutefois ils sont encore en danger. Quel est ce danger? nous dira-t-on. Cest quils jettent parfois les yeux sur les choses du monde, et ils voient que ces biens terrestres, objets de leurs désirs, sont aussi le partage, lample partage des impies et des mi chants, et ils se croient privés de récompense dans le culte de Dieu, puisque les méchante qui nhonorent pas Dieu partagent ces biens avec ceux qui le servent fidèlement; quelquefois même ceux qui servent Dieu nont rien de ce qui est en abondance chez ceux qui blasphèment : cest en cela quest pour eux le danger. 8. Mais le Prophète sait bien quelle miséricorde il implore de Dieu. « Seigneur», dit-il, « votre miséricorde est dans le ciel, et votre vérité sélève jusquaux nues »; cest-à-dire cette miséricorde spéciale que vous accordez à vos saints est du ciel et non de la terre; oit est éternelle et non passagère. Mais comment avez-vous pu lannoncer aux hommes? Cont que votre vérité sélève jusquaux nues pourrait en effet connaître les dons célestes de Dieu, si Dieu ne les annonçait aux hommes? Comment les a-t-il fait connaître? En faisant descendre la vérité jusquaux nuées. Quelles
1. Matt. V, 45.
nuées?Les prédicateurs de la vérité. Cest en ce sens quen un certain endroit de lEcriture le Seigneur sirrite contre une certaine vigne. Votre charité, je pense, me comprend, elle entend le prophète Isaïe qui dit de cette vigne: « Jai attendu quelle produisît du raisin, elle na produit que des épines 1 ». Et pour nous ôter lidée dune vigne visible, voici la conclusion du Prophète : « La vigne du Seigneur des armées, cest ta maison dIsraël; le plant que Dieu aime, cest le peuple de Juda 2 ». Il reproche donc à cette vigne de lui avoir produit des épines au lieu des raisins quil espérait. Et que dit-il? « Je commanderai à mes nuées de ne plus répandre leur rosée sur elle 3 ». Cest donc dans sa colère que le Seigneur commande aux nuées de refuser la pluie. Cest ce qui est arrivé. Les Apôtres furent envoyés prêcher lEvangile; et nous voyons au livre des Actes que saint Paul voulait dabord prêcher aux Juifs, et quau lieu de raisins il ne trouva chez eux que des épines. Ils commencèrent à lui rendre le mal pour le bien, et le persécutèrent. Alors, comme pour exécuter cette sentence : « Je commanderai aux nuées de ne point donner la pluie; nous étions envoyés vers vous », dit lApôtre; « mais puisque vous méprisez la parole de Dieu, nous allons vers les Gentils». Ainsi saccomplit : « Je commanderai aux nuées de ne plus verser la pluie sur elle ». La vérité descendit jusquaux nuées; et de là vient que lon put nous prêcher cette miséricorde de Dieu qui est dans le ciel et non sur la terre. Or, les prédicateurs de la vérité sent bien des nuées. Quand le Seigneur nous menace par ses prédicateurs, il tonne dans les nuées. Sil fait des miracles par ses prédicateurs, cest léclair qui sillonne les nues, test leffroi qui se répand par elles, cest la pluie quelles versent. Donc, les prédicateurs qui annoncent la parole de Dieu sont les nuées de Dieu. Ainsi espérons la miséricorde, mais celle qui est du ciel. 9. « Votre justice est comme les montagnes ide Dieu; vos jugements sont de profonds abîmes 4 ». Quelles sont les montagnes de tien? Nous venons déjà dappeler nuées ceux qui sont des montagnes, car ces montagnes sont les grands prédicateurs. Et de même que le soleil à son lever projette sur les sommets des montagnes ses rayons lumineux, qui descendent
1. Isa. V,4. 2. Id. 6. 3. Id. 7. 4. Ps. XXXV, 7.
ensuite dans les plus profondes vallées ainsi Notre-Seigneur Jésus-Christ, à son avènement, jeta sur les Apôtres, comme sur des montagnes, les premiers rayons de sa lumière qui descendirent ensuite dans les vallées de la terre. De là vient quil est dit dans un psaume: « Jai levé les yeux vers les montagnes, doù me viendra le secours 1», Mais nallons pas croire que delles-mêmes des montagnes donneront du secours. Elles reçoivent ce quelles donnent, sans donner delles-mêmes. Et si tu demeures attaché à ces montagnes, ton espérance ne sera point ferme; mais ton appui, ta confiance, doivent être en celui qui éclaire ces montagnes. Cest donc des montagnes que te viendra le secours, parce que les saintes Ecritures te sont prêchées par ces montagnes ou par ces grands prédicateurs de la vérité; mais ce nest point en eux quil faut mettre ton espoir. Ecoute alors ce que dit le Prophète : « Jai levé les yeux vers les montagnes, doù me viendra le secours». Mais les montagnes me donneront donc le secours? Point du tout; écoute la suite : « Tout mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2. » Il vient ainsi par lentremise des montagnes, et non des montagnes elles-mêmes. De qui vient-il donc? « Du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Il y avait aussi dautres montagnes; et quiconque sen approchait avec sa barque faisait naufrage. Les princes de lhérésie se sont élevés, et ils étaient des montagnes. Arius était une montagne, Donat était une montagne, Maximien depuis peu est comme une montagne 3. Plusieurs, qui regardaient ces montagnes et désiraient la terre afin déchapper aux flots, ont heurté contre des rochers et ont fait naufrage sur la terre. Ces montagnes étaient loin de séduire celui qui disait : « Jai mis ma confiance dans le Seigneur, et comment dites-vous à mon âme : Passereau, va dans les montagnes 4?» Je ne veux mettre mon espoir ni en Arius ni en Donat. « Tout mon secours vient du Seigneur qui a fait le ciel et la terre ». Voyez ici combien vous mettez votre confiance en Dieu et combien vous attribuez aux hommes: « Car, maudit est celui qui met son espérance dans un 1. Ps. CXX, 1. 2. Id. 2. 3. Ce Maximien était un diacre du schisme de Donat, qui devint évêque de Carthage contre Primianus, et fut le chef des Maximianistes. Voy. le disc, sur le ps. XXXVI. 4. Ps. X, 2.
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homme 1». Saint Paul avec une rare modestie et une grande humilité , jaloux délever une Eglise au divin Epoux et non à lui-même, sindigne contre ceux qui disaient: « Pour moi, je suis à Paul, moi à Apollo 2 »; il se met en avant pour se fouler aux pieds, se mépriser et glorifier Jésus-Christ: « Paul a-t-il donc été crucifié pour vous, ou bien est-ce au nom de Paul que vous êtes baptisés 3? » Il éloigne de lui-même pour envoyer au Christ. Il ne veut pas même que lami de lEpoux usurpe dans le coeur de lEpouse lamour qui est dû à 1Epoux. Car les amis de lEpoux étaient les Apôtres. Jean aussi, que lon regardait comme le Christ, dans son humilité, avait à cur la gloire de lEpoux. Aussi répond-il : « Je ne suis point le Christ; mais celui qui est venu après moi est plus grand que moi, et je ne suis pas digne de délier le cordon de ses souliers 4 ». Il montrait donc en shumiliant quil nétait point lEpoux, mais lami de lEpoux, et il disait : « Celui qui a lEpouse est lEpoux, mais lami de lEpoux qui est debout et lécoute, est plein de joie à la voix de lEpoux 5». Et cet ami de lEpoux, fût-il une montagne , na pourtant pas la lumière en lui-même ; il écoute, il est au comble de la joie à cause de la voix de lEpoux. « Pour nous », dit-il, « nous avons tout reçu de sa plénitude 6». De la plénitude de qui? « De celui qui était la lumière véritable qui éclaire tout homme venant en ce monde 7». Cest donc à lui que saint Paul voulait conserver lEglise, quand il disait: « Que les hommes nous regardent comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu ». Ainsi : « Jai levé les yeux vers les montagnes doù viendra mon secours. Que lhomme nous regarde comme les ministres du Christ et les dispensateurs des mystères de Dieu 8». Et de peur que tu ne mettes encore quelque espérance en ces montagnes plutôt quen Dieu, écoute : « Jai planté, Apollo a arrosé, mais Dieu a donné laccroissement »; et encore : « Or, celui qui plante nest rien, non plus que celui qui arrose, mais cest Dieu, qui donne laccroissement 9». Déjà donc tu as dit : « Jai levé les yeux vers les montagnes, doù me viendra le secours»; mais, « parce que celui qui
1. Jérém. XVII, 5. 2. I Cor. III, 4 . 3. Ibid I, 3. 4. Jean, I,20 ; Marc, I,7. 5. Jean, III,29. 6. Id. I,16. 7. Id.9, 8. I Cor. IV,1. 9. Id. 6,7.
plante nest rien non plus que celui qui arrose » ; dis alors : « Mon secours viendra du Seigneur qui a fait le ciel et la terre » ; et : « Votre justice est comme les montagnes de Dieu », cest-à-dire les montagnes sont rein-plies de votre justice. 10. « Vos jugements sont de profonds abîmes ». On appelle abîme cette profondeur du péché où lhomme arrive par le mépris de Dieu, ainsi quil est dit quelque part : « Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs, et ils se sont couverts de honte ». Que votre charité redouble dattention, il sagit dune importante vérité ; oui , très-importante. Quest-ce à dire que « Dieu les a livrés aux désirs de leurs coeurs pour faire ce qui est honteux? » Cest donc lorsque Dieu les s livrés aux convoitises de leurs coeurs pour faire ce qui est honteux, quils commettent de si grands crimes? Ce qui revient à poser cette question Si cest Dieu qui fait quil commettent ce qui est honteux, que font ils deux-mêmes? Il y a de lobscurité dans cette parole : « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs». Il y avait donc en eux des convoitises quils nont point voulu réprimer, et auxquelles ils sont livrés par un châtiment de Dieu. Mais pour comprendre quils méritaient dy être livrés, écoute ce quavait dit lApôtre à leur sujet: « Ayant connu Dieu, il ne lont point glorifié comme Dieu et ne lui ont point rendu grâces; mais ils se sont évanouis dans leurs pensées, et leur coeur insensé a été obscurci ». Comment? Par lorgueil. « En se disant sages ils sont devenus fous ». De là cette sentence : « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs». Donc, parce quils furent ingrats et orgueilleux, ils méritèrent dêtre livrés aux convoitises de leurs coeurs et ils sont devenus un profond abîme, non-seulement en commettant le péché, mais en agissant avec hypocrisie, de peur de connaître leur iniquité et de la haïr. Cest le comble de la malice de navoir pas voulu trouver leurs péchés et les haïr. Mais voici comment on arrive à cette profondeur: « Les jugements de Dieu sont un abîme profond ». De même que les montagnes de Dieu se forment par sa justice et grandissent par sa grâce, ainsi cest par ses jugements que tombent dans labîme ceux qui se roulent dans les bas-fonds du péché. Ainsi donc que par la grâce les montagnes aient donc pour
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toi des attraits, mais par la grâce aussi fuis labîme et tourne-toi vers « le secours du Seigneur» qui nous est promis. Comment? En levant les yeux vers les montagnes. Quest-ce à dire? Je vais mexpliquer : Dans lEglise de lieu tu trouveras des abîmes et des montagnes. Tu y trouveras les bons en petit nombre, parce que les montagnes sont rares; mais le gouffre est large, cest-à-dire que beaucoup miment dans le désordre par la juste colère de lieu, parce que leurs actes les ont fait livrer aux convoitises de leurs coeurs, jusquà défendre leurs péchés au lieu den faire laveu, et nue jusquà dire: Quoi donc? Quai-je fait? Un tel a bien commis tel crime, celui-là tel autre crime. Bientôt même ils veulent légitimer ce que la parole de Dieu condamne: cest labîme. Ecoute en effet ce que dit lEcriture en certain endroit: « Quand le pécheur en arrive aux profondeurs du mal, il méprise ». Voilà comme « vos jugements, ô Dieu, sont de profonds abîmes ». Pour toi, tu nes pas une montagne, tu nes pas un abîme: fuis labîme, regarde les montagnes, mais ne tarrête point sur les montagnes. Ton secours est dans le Seigneur qui a fait le ciel et la terre. 11. « Seigneur, vous sauverez les hommes met les animaux, selon que sest multipliée notre miséricorde, ô mon Dieu 1 ». Le Prophète avait dit : « Votre miséricorde est dans le ciel»; et, afin que lon sache quelle est aussi sur la terre, il ajoute : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux selon que sest multipliée votre miséricorde ». Par cette miséricorde est grande, ô mon Dieu, cette miséricorde se multiplie à linfini; vous létendez sur les hommes et sur les animaux. De qui vient le salut des hommes? De Dieu. Et le salut des animaux ne vient-il pas aussi de Dieu? Car le créateur de lhomme est aussi le créateur de lanimal; celui qui a fait lun et lautre, sauve aussi lun et lautre mais le salut des animaux est temporel. Il en cet qui demandent comme une grande grâce ce quil a donné aux animaux. « Votre miséricorde, ô mon Dieu , se multiplie à linfini » ; non-seulement elle sétend aux hommes, elle descend jusquaux animaux pour leur donner ce salut terrestre et passager que vous donnez aux hommes. 12. Mais Dieu ne réserve-t-il donc aux hommes rien de particulier, que lanimal ne
1. Ps. XXXV, 7, 8.
puisse obtenir, rien que lanimal ne puisse atteindre? Assurément il est une faveur pour eux. Et où donc est cette réserve? « Quant « aux fils des hommes, ils espéreront à lombre de vos ailes ». Que votre charité pèse bien cette sentence consolante : « Seigneur, vous sauverez les hommes et les animaux ». Le Prophète a donc parlé « de lhomme et de lanimal », et le voilà qui soccupe des « enfants des hommes » : comme sil mettait une différence entre lhomme et les fils de lhomme. Quelquefois dans lEcriture on entend par enfants des hommes les hommes en général; et quelquefois cette expression « des enfants des hommes », est prise dans une acception spéciale, elle a un sens particulier qui empêche dentendre par là tous les hommes; surtout quand elle établit une distinction. Or, ce nest point sans raison que le Psalmiste, après avoir parlé « des hommes et des bêtes que Dieu doit sauver », nous dit: « Quant aux fils des hommes »; comme si Dieu mettait à part les autres pour accorder une protection spéciale aux fils des hommes quil aurait séparés. Séparés de qui? non-seulement des animaux, mais encore de ces hommes qui demandent comme un grand bien le salut quil donne aux bêtes. Qui sont donc les enfants des hommes? Ceux qui espèrent à lombre de ses ailes. Les hommes, en effet, partagent avec les animaux la joie des biens présents, les fils des hommes goûtent les joies de lespérance : les uns recherchent avec les animaux les biens du temps, les autres espèrent les biens éternels avec les anges. Pourquoi donc une distinction, et appeler hommes les uns, fils des hommes les autres? car lEcriture dit quelque part: « Quest-ce que lhomme, Seigneur, pour que vous vous souveniez de lui, ou le fils de lhomme, pour que vous le visitiez 1? Quest-ce donc que lhomme pour que vous vous souveniez de lui? » Vous vous souvenez de lui comme on se souvient dun absent; vous visitez le fils de lhomme comme on visite celui qui est présent. Quest-ce à dire que vous vous souvenez de lhomme? « Seigneur, vous sauvez les hommes et les animaux »; car vous donnez un certain salut même aux méchants, même à ceux qui ne désirent point le royaume des cieux. Car Dieu les protége comme son troupeau, il ne les abandonne
1. Ps. VIII, 5.
357
que dune manière qui leur est propre, salis les abandonner totalement; mais il a pour eux le souvenir qui est le soin des absents. Au contraire, celui quil visite, cest le fils de lhomme, dont il est dit: « Quant aux fils des hommes, ils espéreront à lombre de vos ailes ». Et si vous voulez discerner ces deux sortes dhommes, considérez dabord deux hommes, Adam et Jésus-Christ. Ecoutez lApôtre: « De même que tous meurent en Adam, de même tous vivront en Jésus-Christ 1 ». Nous naissons dAdam pour mourir: nous ressuscitons en Jésus-Christ pour vivre toujours. Porter limage de lhomme terrestre, cest là être homme; et porter limage de lhomme céleste, cest là être fils de lhomme; car le Christ est appelé Fils de lhomme. Adam était homme, il est vrai; mais non fils de lhomme; et tous ceux-là viennent dAdam qui désirent les biens de la terre et le salut temporel. Nous les exhortons à devenir fils des hommes, espérant sous la protection des ailes de Dieu, désirant cette miséricorde qui est dans le ciel et qui nous a été annoncée par les nuées. Sils ne le peuvent encore, quau moins ils nattendent que de Dieu ces biens temporels : et quils le servent selon lancienne loi, afin darriver ainsi à la loi nouvelle. 13. Le peuple juif, en effet, désira les biens terrestres et la domination pour Jérusalem, et lasservissement de ses ennemis, et labondance des récoltes, et son propre salut, et la conservation de ses enfants. Tels étaient les biens quils désiraient, les biens quils recevaient, la loi les protégeait. Ils demandaient à Dieu ces biens quil donne aux animaux de la terre, parce que le Fils de lhomme nétait point venu en eux pour les rendre enfants des hommes; mais ils avaient déjà des nuées qui annonçaient ce Fils de lhomme. Les prophètes sont venus leur annoncer le Christ ; et il y en avait parmi eux plusieurs qui comprenaient, qui avaient lespérance de lavenir et comptaient sur cette miséricorde qui est du ciel. Mais il y en avait dautres qui ne désiraient que les biens dici-bas, une félicité temporelle et terrestre. Leurs pieds allaient deux-mêmes façonner ou adorer des idoles. Et même quand le Seigneur les avertissait, les châtiait et les dépouillait de tout ce quils aimaient, quand ils étaient affligés par la
1. I Cor. XV, 22.
famine, la guerre, la peste, les maladies, ils recouraient aux idoles. Les biens quils devaient attendre de Dieu comme un grand bienfait, ils les demandaient aux idoles et abandonnaient le vrai Dieu. Ils voyaient en abondance, entre les mains des impies et des scélérats, ces biens quils convoitaient, et ils croyaient adorer sans profit un Dieu qui ne leur accordait aucune récompense terrestre. O homme ! tu es louvrier de Dieu, plus tard viendra le temps de la rémunération ; pourquoi demander un salaire avant que le travail soit achevé? Quun ouvrier vienne chez toi, lui donneras-tu son salaire avant lachèvement de louvrage ? Tu le trouverais déraisonnable de dire: Je veux dabord mon salaire, et ensuite je travaillerai. Tu ten fâche. rais. Et pourquoi ten fâcherais-tu ? parce quil aurait manqué de confiance envers un homme qui peut tromper. Et comment Dieu ne sirriterait-il point , quand tu nas pas confiance en la vérité même? Ce quil ta promis, il te le donnera ; il est infaillible, cest la vérité même qui a promis. Craindrais tu peut-être quil neût pas de quoi te donner? Il est tout-puissant. Ne crains pas quil ne soit plus alors pour te donner. Il est immortel. lie crains pas enfin quil ait des successeurs;il est éternel. Sois en pleine sécurité. Si tu exiges que ton ouvrier se fie à toi pendant tout un jour, mets ta confiance en Dieu pendant toute ta vie, car ta vie nest quun instant pour Dieu. Et alors, que seras-tu? Un de ces «enfants des hommes qui espèrent à lombre de vos ailes, ô mon Dieu ». 14. « Ils seront enivrés de labondance de votre maison 1 ». Je ne sais quoi de grand nous promet ici le Prophète. Il veut le dire et ne le dit point; est-ce lui qui ne saurait le dire, ou nous qui ne le comprenons point ? Je le dis sans crainte, mes frères, et même des langues et des coeurs des saints qui nous ont annoncé la vérité : lobjet de leur message était supérieur à toute parole et à toute pensée. Cest en effet quelque chose de grand et dineffable; eux-mêmes ne le voyaient quen partie, dune manière figurative, comme la dit lApôtre. « Nous ne voyons Dieu quimparfaitement et comme en énigme; mais alors nous le verrons face à face 2 ». Ainsi jetaient leur surabondance ceux qui ne voyaient quen énigme. Comment donc serons-nous, quand nous
1. Ps. XXXV, 9. 2. I Cor. XIII 12.
verrons face à face Celui quils portaient dans leurs coeurs, et que leurs langues ne pouvaient exprimer aux hommes dune manière compréhensible? Quelle nécessité y avait-il de dire: « Ils seront enivrés de labondance de votre maison ? » Il cherche dans la langue humaine une expression à sa pensée; et comme ils voient que les hommes se gorgent de vin jusquà livresse, quils en prennent sans mesure et jusquà perdre la raison, trouve là une manière de sexprimer; car, une fois cette joie céleste répandue dans nos âmes, la raison humaine sévanouit en quelque serte, elle devient divine et senivre de labondance qui est dans la demeure de Dieu. Aussi est-il dit dans un autre psaume: « Combien mest délicieux le calice qui menivre 1 !» Cest ce calice qui enivrait les martyrs quand ils allaient au supplice sans connaître leurs proches. Quelle plus grande ivresse que de méconnaître une épouse éplorée, des enfants, des proches? Et pourtant, ils ne les connaissaient plus, ils ne croyaient point les avoir devant les yeux. Ne vous en étonnez pas, ils étaient dans livresse. Dans quelle ivresse ? Voyez: ils avaient pris la coupe qui avait dû les enivrer. Cest ce qui porte à remercier Dieu celui qui sécriait: « Que rendrai-je au Seigneur pour tous les biens dont il ma comblé? Je prendrai le calice du salut et jinvoquerai le nom du Seigneur 2 ». Donc, mes frères, soyons les enfants des hommes; espérons à lombre des ailes du Seigneur, et enivrons-nous de labondance de sa maison. Je dis ce que je puis à ce sujet, je ne vois que comme je puis, et je ne puis dire encore ce que je vois. « Ils seront enivrés de labondance de votre maison ; et vous les abreuverez au torrent de vos délices». On appelle torrent cette eau qui se précipite avec impétuosité; la divine miséricorde se précipitera donc, pour baigner, pour enivrer ceux qui, en cette vie, se reposent dans lespérance à lombre de vos ailes. Quelle est cette volupté? Cest un torrent qui enivre ceux qui ont soif. lue celui-là donc qui a soif se prenne à espérer; quil espère, celui qui a soif, et quand il sera dans livresse, il possédera lobjet de son espérance ; mais avant de le posséder, quil en ait la soif et lespérance. « Bienheureux iceux qui ont faim et soif de la justice, parce n quils seront rassasiés 3 ».
1. Ps. XXII, 5. 2. Id. CXV, 12, 13. 3. Matt. V, 6.
15. A quelle source irez-vous donc boire, et doù coulera cet impétueux torrent des divines voluptés? « Cest en vous », dit le Prophète, « quest la source de vie ». Quelle autre source de vie que le Christ? Il est venu à vous dans sa chair, afin darroser votre gosier desséché par la soif; et celui qui a pu vous soulager dans votre soif, comblera un jour votre espérance. «Cest en vous, Seigneur, quest la source de la vie, et à votre flambeau nous verrons la lumière1 ». Autre est la source deau, et autre est la lumière; en Dieu il nen est pas ainsi. La source deau est identique à la lumière; tu peux lui donner le nom quil te plaira, parce que tu ne le désigneras point par son nom ; puisque tu ne peux trouver un nom qui lui soit propre, et quun seul nom ne lui suffit point. Si tu dis quil est seulement une lumière, on te répondra: Cest donc en vain que lon me pousse à la faim et à la soif; comment, en effet, manger une lumière? On ma dit alors avec raison : « Heureux les hommes dont le coeur est pur, parce quils verront Dieu 2 » ; si Dieu est une lumière, je dois préparer mes yeux. Prépare encore ta bouche ; car celui qui est une lumière est encore une source ; oui, une source qui abreuve ceux qui ont soif, une lumière qui éclaire les aveugles, Ici-bas il est souvent une distance entre la source et la lumière. Car les sources parfois coulent dans les ténèbres, et souvent encore dans le désert tu souffriras du soleil sans trouver une source: ces deux choses peuvent donc être séparées ici-bas; mais là haut, il ny a point de lassitude, parce quil y aune source; il ny a point de ténèbres, parce que cest le foyer de la lumière. 16. « Etendez votre miséricorde à ceux qui vous connaissent, et votre justice à ceux qui ont le coeur droit 2 ». Nous lavons dit souvent: ceux qui ont le coeur droit sont ceux qui accomplissent ici-bas la volonté de Dieu. Or, quelquefois cest la volonté de Dieu que tu sois en santé, quelquefois que tu sois malade ; et si la volonté de Dieu te plaît dans la santé, pour te déplaire dans la maladie, tu nas pas le coeur pur. Pourquoi? Parce que tu ne veux point te soumettre à la volonté de Dieu, mais la courber afin quelle subisse la tienne. Cette volonté est droite, et toi tu es défectueux ; cest ta volonté qui doit se
1. Ps. XXXV, 10. 2. Matt. V, 8. 3. Ps. XXXV, 11.
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dresser selon la volonté de Dieu, et non celle-ci se courber selon la tienne: alors seulement tu auras un coeur droit. Es-tu heureux en ce monde? Bénis Dieu qui te console. Es-tu dans la peine? Bénis Dieu qui te châtie et téprouve : et alors tu auras le coeur droit et tu diras: « Je bénirai le Seigneur en tout temps; sa louange sera toujours dans ma bouche 1» 17. « Que le pied de lorgueil ne sattache point à moi 2 ». Déjà le Prophète a dit: « Les enfants des hommes espéreront à lombre de vos ailes, ils senivreront au torrent des voluptés de votre palais ». Quil prenne garde à lorgueil celui qui sentira couler sur lui leau sacrée. Elle ne faisait point défaut au premier homme, Adam; mais il fut heurté par le pied de lorgueil, il fut ébranlé par la main du pécheur ou par la main orgueilleuse de Satan. Ce séducteur, qui avait dit: « Jétablirai mon trône vers lAquilon 3 » , dit à Adam pour le persuader: « Goûtez du fruit, et vous serez comme des dieux 4 ». Donc cest par lorgueil que nous sommes tombés et réduits à passer par la mort. Comme lorgueil nous avait blessés, lhumilité nous guérira. Dieu est venu dans son humilité pour guérir chez lhomme cette immense blessure de lorgueil. Il est venu, puisque « le Verbe sest fait chair et a demeuré parmi nous 5 ». Il a souffert que les Juifs le prissent pour linsulter. LEvangile vient de vous dire quels hommes, et à qui ils dirent: « Vous êtes possédé du démon 6 » ; mais lui ne leur dit point: Cest vous qui êtes en la puissance du démon, puisque vous demeurez dans votre péché et que le diable règne dans vos coeurs. Tel ne fut point son langage, qui toutefois eût été vrai ; mais ce nétait pas le temps de parler ainsi, de peur quil parût moins prêcher la vérité que repousser linjure par linjure. Il oublie ce quil a entendu, comme sil ne lavait point entendu ; car il était médecin et venait pour guérir un frénétique. De même que les paroles dun frénétique ne sont rien pour un médecin, qui ne sinquiète que de sa santé et de sa guérison, qui en reçoit un coup de poing sans y faire attention et ne lui en fait pas moins de nouvelles blessures, cherchant à guérir une fièvre invétérée ; ainsi Notre-Seigneur
1. Ps. XXII, 2. 2. Id. XXXV, 12. 3. Isa. XIV, 13. 4. Gen. III, 5. 5. Jean, I, 14. 6. Id. III, 48.
est venu guérir un malade, il est venu près dun frénétique, résolu à mépriser toutes ses récriminations, toutes ses injures. Il voulait par là donner à tous des leçons dhumilité, et par lhumilité les guérir de lorgueil, de cet orgueil dont le Prophète supplie que Dieu le délivre, en disant: « Que le pied de lorgueil ne sattache point à moi; que la main du pécheur ne puisse mébranler 1 ». Car si le pied de lorgueil sattache à nous, la main du pécheur nous ébranle. Quelle est cette main du pécheur? Loeuvre qui nous porte au mal. Es-tu orgueilleux? Celui qui te porte au mal te corrompra bientôt. Affermis-toi en Dieu par lhumilité, et mets-toi peu en peine de ce que lon te dira. Aussi est-il dit ailleurs: « Purifiez-moi de mes fautes cachées, épargnez à votre serviteur les fautes des autres 2 ». Quest-ce à dire , « mes fautes « cachées ? » cest-à-dire : « Que le pied de lorgueil ne sattache point à moi » . «Epargnez à votre serviteur les péchés des autres », cest-à-dire: « Que la main du pécheur ne mébranle point ». Défends bien lintérieur, et tu nauras rien à craindre du dehors. 18. Et comme si lon demandait au prophète: Pourquoi craindre ainsi lorgueil? Cest répond-il , que « là sont tombés tous ceux qui commettent liniquité 1 »; pour en venir à cet abîme dont il est dit: « Vos jugements sont de profonds abîmes, et se précipiter enfin dans ces profondeurs où sont tombés les pécheurs qui méprisent Dieu 4. « Ils sont tombés » . Mais comment sont-ils tombés? Dabord par le pied de lorgueil. Or, écoutez ce quest le pied de lorgueil. « Ils ont connu Dieu et ne lont point glorifié comme Dieu 5 ». Le pied de lorgueil les a donc touchés, et de là ils sont tombés dans labîme. « Dieu les a livrés aux convoitises de leurs coeurs, et ils se sont couverts de honte 6 ». Le prophète craint donc et la racine du péché, et la tête du péché, quand il dit: « Que le pied de lorgueil ne me heurte point». Pourquoi lappeler un pied? cest que lorgueil a porté lhomme à déserter le Seigneur et à sen éloigner. Cest son affection quil appelle son pied. « Que le pied de lorgueil ne me heurte point, que la main du pécheur ne mébranle point, cest-à-dire, que les oeuvres du pécheur ne me séparent point de vous, ne me portent pas à les
1. Ps. XXXV, 12. 2. Id. XVIII, 13, 14. 3. Id. XXXV, 13. 4. Prov. XVIII, 3. 5. Rom. 1, 21. 6. Id. 24.
360
imiter. Pourquoi dire que cest par lorgueil « que sont tombés ceux qui commettent liniquité? » Cest que tout pécheur daujourdhui est tombé par orgueil. Cest pourquoi Dieu, recommandant à lEglise la vigilance, dit au serpent: « Elle observera ta tête, et tu observeras son talon 1 ». Quand, heurté par le pied de lorgueil, tu viens à chanceler, le serpent est aux aguets pour te faire tomber; mais toi, observe bien sa tête : « Car lorgueil est le commencement de tout péché 2. Cest décueil de tous ceux qui commettent liniquité: ils ont été poussés et nont pu se tenir debout » . Celui-là est le premier qui nest point demeuré ferme dans la vérité, et ensuite ceux dont il entraîna lexpulsion du paradis 3. Mais celui qui pousse lhumilité jusquà dire quil nest pas digne de dénouer las cordons dun soulier, celui-là na pas été ébranlé, au contraire il demeure ferme pour
1. Gen. III,15. 2. Eccl. X, 15. 3. Gen. III, 23.
écouter lEpoux, pour sépanouir à la voix de lEpoux 1, non à sa propre voix, de peur dêtre heurté par le pied de lorgueil, dêtre ébranlé, de ne point tenir debout. 19. Nous voici au terme dun psaume qui a pu causer un peu de fatigue et dennui à quelques-uns dentre vous; mais cet. ennui est passé , et je me réjouis davoir exposé le psaume tout entier. Vers le milieu, javais eu la pensée de quitter, afin de ne pas vous surcharger; mais jai cru que lattention serait partagée, et que lon écouterait moins bien la seconde partie, que si lon parcourait le psaume tout entier. Jai donc mieux aimé vous être un peu à charge, que de réserver quelque partie dun discours imparfait. Demain encore il faut vous parler; priez pour nous, afin que nous puissions le faire encore, et revenez-nous avec une soif ardente et des coeurs fervents.
1. Jean, I, 27 ; III, 29.
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