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DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIV.
CONFIANCE EN DIEU.
Le titre de ce psaume est : A David. Le double sens, attaché au nom de David, désigne deux qualités du Christ, et montre, comme le texte, que ce psaume sapplique au Christ, considéré en lui-même et dans ses membres. Sous ce double rapport, il souffre et cherche son secours en Dieu. Nous, qui souffrons, mettons aussi en Dieu notre confiance : 1° parce quil est notre salut. Pour venir à notre aide, il se sert de nous-mêmes, et des vertus quil nous inspire, comme dune armure : notre âme, voilà son épée, son casque, sa cuirasse; nos vices, nos semblables, le démon, voilà nos ennemis ; pour leur résister, il faut être juste, et cest Dieu qui donne la justice. Quoi quen disent nos ennemis, quel que soit notre sort ici-bas, Dieu seul est notre salut et ce quil a fait dans tous les temps, et surtout à légard de Job, en est la preuve. Il triomphe de nos ennemis en les convertissant ou en les condamnant; il punit les méchants par leur propre méchanceté Quant aux justes, il est leur unique souverain bien; ils doivent donc chercher en lui le sujet de joies et de leurs espérances. 2° Parce que le Christ est notre Chef, que nous sommes ses membres, et que comme il a été glorifié après avoir souffert , nous le serons nous-mêmes, si nous limitons. Environné dennemis acharnés à sa perte, il vécut dans linnocence, la mortification, le jeûne, la prière et lunion avec Dieu, et triompha ainsi de leur malice. Imitons ce parfait modèle, et, puisque nous sommes condamnés à souffrir, souffrons, comme lui, pour la justice, Dieu nous sauvera, et, alors, la tranquillité et la joie seront notre partage.
PREMIER SERMON
1. Votre charité ne lignore pas: la volonté de nos frères et coévêques nous a imposé lobligation dexpliquer ce psaume de manière à ce que nous en tirions tous une instruction, car nous sommes tous les auditeurs de celui qui nous instruit les uns et les autres, et dont nous recevons les enseignements en qualité de condisciples. Le titre de ce psaume ne peut nous arrêter longtemps, car il est court, et pour les enfants, de lEglise de Dieu surtout, il nest pas difficile à comprendre. Le voici : « A David ». Louange donc à David. David signifie: Homme dun bras vigoureux, homme désirable. Louange donc à cet homme fort et désirable, qui a vaincu notre mort et nous a promis la vie. Car, pour vaincre notre mort, il sest montré vigoureux il est désirable, puisquil nous a promis la vie éternelle. Et, de fait, quy a-t-il de plus fort que cette main, dont le contact a ressuscité un mort et la fait sortir vivant du cercueil? Quy a-t-il de plus fort que cette main, qui a vaincu le monde, sans porter le glaive, après avoir été clouée à la croix? Quy a-t-il de plus désirable que cet homme? Les martyrs ne lavaient pas vu, et pourtant, ils ont voulu mourir pour mérite darriver jusquà lui. Louange donc à lui; à lui notre coeur; à lui notre langue: puise t-elle chanter des louanges dignes de lui! Puisse-t-il inspirer lui-même nos chants! Nulle louange nest digne de sa majesté, sil te daigne en accorder la grâce à celui qui entreprend de la lui offrir. Enfin, ce que note chantons maintenant, son esprit nous la enseigné par la bouche du Prophète, et de ces paroles où nous nous reconnaissons nous-mêmes, et lui avec nous. En nous exprimai! ainsi, nous ne lui faisons point injure, car du haut du ciel, quand personne ne le touchait et que nous luttions sur la terre, il a dit « Pourquoi me persécutes-tu ? » Il nous faut donc. entendre sa parole, tantôt de no mêmes qui sommes son corps, tantôt de lui-même qui en est le Chef. Car, dans ce psaume on invoque Dieu contre ses ennemis, au milieu des tribulations de cette vie, et celui qui adresse cette invocation au Seigneur, est indubitablement le Christ, qui a souffert autrefois comme chef, et qui souffre aujourdhui (334) dans son corps, se servant néanmoins de ses tribulations pour communiquer à tous ses membres la vie éternelle, et méritant, par ses immortelles promesses, le titre de désirable. 2. « Seigneur», dit-il, « jugez ceux qui me dont du mal: domptez mes persécuteurs 1 ». Si Dieu est pour nous, qui est-ce qui sera contre nous 2? Et comment Dieu nous procure-t-il son secours? Il ajoute : « Prenez vos n armes et votre bouclier : levez-vous pour me secourir ». Admirable spectacle! Un Dieu armé pour ta défense! Quel est son bouclier? quelles sont ses armes? « Seigneur », dit encore ailleurs cet homme qui parle ici, « votre bonne volonté ma couvert comme un bouclier 3 ». Si nous profitons bien de son aide, nous deviendrons nous-mêmes les armes avec lesquelles il nous protégera et frappera nos ennemis: car, si nos armes viennent de lui, flous lui servons nous-mêmes darmure: tandis quil est armé de ceux quil a créés, ses créatures puisent en lui leurs moyens de défense. LApôtre nomme, quelque part, ces armes divines mises à notre portée : cest le bouclier de la foi, le casque du salut, le glaive spirituel de la parole de Dieu 4. Le Seigneur nous a munis, comme vous lavez entendu, darmes admirables et indestructibles, invincibles et brillantes, vraiment spirituelles et invisibles, parce que nous ne voyons pas les ennemis que nous combattons. Si tu aperçois ton ennemi, il te faut des armes quon puisse voir: la toi en des choses que mous ne voyous pas, voilà notre force pour terrasser des adversaires invisibles. Toutefois, mes très-chers, nallez pas croire que, parmi nos armes, celles qui nous tiennent lieu de bouclier doivent toujours être considérées comme telles ; que celles qui tiennent la place du casque, soient toujours un casque, et que la cuirasse soit toujours une cuirasse. Les armes matérielles restent les mêmes, quoiquon puisse donner une autre destination, au fer qui a servi à les fabriquer, et changer ainsi une épée en une hache; mais nous voyons lApôtre lui-même parler, tantôt de la cuirasse de la foi, et, tantôt, du bouclier de la foi. La foi peut donc être, eu même temps, et bouclier et cuirasse : bouclier, parce quelle reçoit et repousse les traits de lennemi; cuirasse, parce quelle les
1. Ps. XXXIV, 1, 2. 2. Rom. VIII, 31. 3. Ps. V, 13. 4. Eph. VI, 16, 17.
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empêche de transpercer ta poitrine. Voilà nos armes ; mais celles de Dieu? Nous lisons en quelque endroit: « Arrachez mon âme aux impies : retirez votre framée aux ennemis de votre bras 1 ». Ceux quil désigne dabord sous le nom « dimpies», il les appelle dans le verset suivant : « Les ennemis de votre bras »; et ce quil entend en premier lieu, par « mon âme», il en parle ensuite sous le nom de « votre framée », cest-à-dire, votre épée. Dans son langage, la framée de Dieu et son âme avaient donc le même sens. « Arrachez », dit-il, « mon âme aux « impies », cest-à-dire, « retirez votre framée aux ennemis de votre bras ». Car vous prenez mon âme en vos mains, et vous mettez -mes ennemis hors de combat. Mais quest-ce que notre âme, si brillante, si grande, si pénétrante, si polie, si flamboyante, si étincelante des feux de la sagesse, que vous la supposiez? Quest-ce que notre âme? De quoi est-elle capable, si Dieu lui-même ne la tient et ne sen sert pour combattre? La meilleure framée, quand elle nest pas aux mains dun guerrier, gît inutile. Nous avons dit quà nos armes on ne peut donner un nom unique et constamment le même, parce que les unes et les autres sont susceptibles dun autre emploi: ainsi en est-il des armes de Dieu, puisque, à lentendre, lâme du juste est la framée de Dieu, ou bien le trône de Dieu, ou bien encore le temple de la sagesse. Il fait donc de notre âme tout ce quil veut; puisquelle est entre ses mains, quil sen serve selon son bon plaisir. 3. Quil se lève donc, selon lexpression de celui qui linvoque, quil prenne ses armes, quil se lève pour nous secourir ! Doù peut-il se lever? La même voix le lui dit ailleurs « Levez-vous : pourquoi dormez-vous, Seigneur 2? » Quan,d on dit que Dieu dort, cest que nous dormons : si lon dit quil se lève, cest que nous sortons nous-mêmes des bras du sommeil. Car le Seigneur dormait dans la barque, et parce que Jésus dormait, la barque était battue par les flots : il nen eût pas été de même, si Jésus avait, veillé. Ta barque, cest ton coeur: Jésus dans ta barque, cest la foi dans ton coeur. Si ta foi occupe tes pensées, ton coeur est tranquille à labri des tempêtes; mais si tu as perdu le souvenir de ta foi, le Christ dort, prends garde de faire naufrage, emploie ta dernière ressource, éveille
1. Ps. XXI, 21. 2. Id. XLIII, 23. -
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le, dis-lui : Seigneur, levez-vous, nous périssons, afin quil commande à la tempête et que le calme se fasse dans ton cur 1. Toutes les tentations séloigneront, ou seront, du moins, impuissantes contre toi, quand le Christ, comme la foi te lenseigne, veillera dans ton coeur : « Levez-vous»; quest-ce donc à dire? Manifestez-vous, apparaissez, faites sentir votre présence. «Levez-vous » donc « pour me secourir». 4. « Tirez votre épée et fermez tout passage à ceux qui me persécutent 2». Quels sont tes persécuteurs? Peut-être ce voisin que tu as offensé; celui dont tu as blessé les intérêts, ou celui qui veut semparer de ton bien, ou celui à lencontre duquel tu prêches la vérité, ou encore, celui dont tu blâmes les vices, ou enfin, celui dont tu condamnes la mauvaise vie par ta bonne conduite. Tels sont déjà nos ennemis et nos persécuteurs : mais nous devons savoir quil nous faut combattre dautres adversaires, des ennemis invisibles : lApôtre nous en avertit par ces paroles: « Ce nest pas contre la chair et le sang», cest-à-dire, contre des hommes, « que nous avons à combattre » ; ce nest point contre des ennemis que nous apercevons, mais contre des adversaires que nous ne voyons pas : « cest contre les princes, les puissances et les maîtres du monde de ces ténèbres 3». Par maîtres du monde, il entendait le diable et ses anges; mais il était à craindre que ses paroles fussent mal comprises, et que le monde parût être gouverné par le diable et ses anges; et, comme on donne le nom de monde à lensemble des choses créées dont le tableau se déroule sous nos yeux, et aussi, à la multitude des pécheurs et de ceux qui aiment le monde, en un mot, à ceux dont il a été dit: « Et le monde ne la point connu 4»; et encore : « Le monde tout entier est sous « lempire de lesprit malin 5 », lApôtre a clairement fait connaître de quel inonde il désignait les maîtres : «Du monde de ces ténèbres». Maîtres du monde, dis-je, maîtres de ces ténèbres. Lexpression « de ces ténèbres » ne peut donc, non plus, nous laisser aucun doute sur le sens de ces paroles. De quelles ténèbres le diable et ses anges sont-ils les maîtres? De tous les infidèles, de tous les pécheurs, dont il a été dit : « La
1. Matt. VIII, 24. 2. Ps. XXXIV, 3. 3. Ephés. VI, 12. 4. Jean, I, 10. 5. I Jean, V, 19.
lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres «ne lont point comprise». Enfin, comme beaucoup dentre eux ont reçu le don de la foi, que leur dit le même apôtre? « Car, autrefois, vous étiez ténèbres; mais, maintenant, vous êtes lumière dans le Seigneur 1». Tu ne veux pas que le diable te gouverne? Passe à la lumière. Mais comment passeras-tu à la lumière, si Dieu ne tire son épée, sil ne tarrache des mains de tes ennemis et de tes persécuteurs? Et comment tire-t-il son épée? Nous avons déjà vu quelle est cette épée de Dieu : cest lâme du juste. Que les justes abondent, et le Seigneur tire son épée, et tout passage est fermé aux ennemis; car, en nous parlant de cette épée et de sa sortie du fourreau, lApôtre nous avertit de vivre avec justice, et il dit ensuite : « Afin que, nayant rien de mauvais à dire contre nous, notre adversaire soit saisi dune crainte respectueuse 2». Tout passage lui est fermé parce quil ne peut rien trouver à dire contre les saints. 5. Qui est-ce qui peut former les justes? Ou plutôt, quel langage tiennent les adversaires qui nous persécutent? Que disent les ennemis invisibles dont nous avons parlé? Les saint sont-ils condamnés au silence? Les ennemis invisibles, qui sacharnent à la perte de lhomme, suggèrent à son coeur cette pensée surtout, que Dieu ne nous aide pas: par là, ils nous portent à chercher du secours ailleurs, afin de nous trouver incapables de leur résister et de semparer de nous. Voilà ce quils nous suggèrent. Nous devons nous mettre particulièrement en garde contre ces perfides conseils, dont il est question dans un autre psaume: « Une multitude dennemis sélèvent contre moi; plusieurs disent à mon âme : Elle na point de salut à espérer de son Dieu 3». A lencontre dun tel langage, que lisons-nous ici? « Dites à mon âme : Cest moi qui suis ton salut». Lorsque vous aurez dit à mon âme : « Je suis ton salut», elle vivra dans la justice, et je nappellerai à mon secours personne autre qui vous. 6. Que lisons-nous ensuite? « Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte 4». Car ils ne la cherchent que pour la perdre. Puissent-ils la bien chercher; car, dans un autre psaume, il
1. Eph.V, 8. 2. Tite, II, 8. 3. Ps. III, 2, 3. 4. Id. XXXIV,4.
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adresse aux hommes ce reproche, quaucun deux ne cherche son âme: « Il ne me reste«aucun moyen de fuir, et nul ne cherche mon âme 1 ». Quel est celui qui dit : « Nul ne cherche mon âme? » Ne serait-ce point peut-être celui de qui le Prophète a dit si longtemps davance : « Ils ont percé de clous mes mains et mes pieds; ils ont compté tous mes os; ils ont pris plaisir à me regarder et à me considérer; ils ont partagé mes vêtements et jeté le sort sur ma robe 2? » Tout cela se passait sous leurs yeux, et, parmi eux, personne qui cherchât son âme! Frères, invoquons-le donc, et prions-le de dire à notre âme : « Je suis ton salut», et douvrir ses oreilles pour quelle lentende dire : « Je suis ton salut». Il le dit, en effet, mais il sen trouve qui restent sourds à sa voix; cest pourquoi, lorsquils sont plongés dans la tribulation, ils entendent plutôt la voix des ennemis qui les poursuivent. Sil leur manque quelque chose, si langoisse les oppresse, si les biens temporels leur font défaut, ils ont, dordinaire, recours aux démons, ils veulent consulter les suppôts des démons, et vont trouver les démons; et, ainsi, les ennemis invisibles qui poursuivaient leur âme, sen sont approchés, y sont entrés, lont combattue, en sont devenus les maîtres, lont vaincue et ont dit : «Elle na point de salut à espérer de son Dieu ». Elle est restée sourde à ces paroles: « Je suis ton salut. Dites à mon âme: Je suis ton salut, afin que ceux qui la cherchent soient couverts de confusion et de honte ». Oui, vous lui dites : « Je suis ton salut». Jécouterai le Seigneur qui me dit : « Je suis ton salut»; je ne chercherai mon salut que dans le Seigneur, mon Dieu. Le salut me vient du côté de la créature, mais cest lui qui en est la source; et quand je porte mes regards vers les montagnes doù jattends mon secours, ce ne sont point les montagnes qui me lenvoient, mais le Seigneur, Créateur du ciel et de la terre 3. Dans les nécessités temporelles, Dieu se sert de lhomme pour venir à ton aide, mais lui-même est ton Sauveur. Lange est, entre ses mains, un instrument pour te secourir, mais cest toujours lui qui te sauve. Toutes choses dépendent de lui : pour cette vie terrestre, il vient en aide, aux uns dici, aux autres de là:
1. Ps. CXLI, 5. 2. Ps. XXI, 17-19. 3. Ps. CXX, 1, 2.
la vie éternelle est un don qui ne vient que de lui. Lorsque tu éprouves les nécessités de la vie, tu ne possèdes pas ce que tu cherches, mais tu as près de toi celui que tu cherches cherche donc celui qui ne peut jamais te manquer. Que ses dons te soient ravis : est-ce que tu perds, en même temps, celui qui ten a comblé? Quon te rende ces preuves de sa munificence : où sera ta fortune? Sera-t-elle dans les biens que tu auras récupérés? Ne sera-t-elle pas )Plutôt en celui qui te les avait ravis pour téprouver, et qui te les a rendus pour te consoler? Car il nous console, lorsquil nous accorde ces dons; mais il nous console, comme si nous étions des voyageurs: -comprenons donc bien ce que cest que voyager. Cette vie tout entière, et tout ce qui sert à ton usage pendant sa durée, tu dois les considérer comme le voyageur considère une hôtellerie, et non comme le propriétaire considère sa maison; ne loublie pas: si tu as déjà fait du chemin, il ten reste encore à faire; si tu as suspendu ta marche, cest pour prendre de nouvelles forces, et non pour tarrêter. 7. Il y en a qui disent: Dieu, qui est bon et magnifique, qui règne au plus haut des cieux, qui est invisible, éternel et incorruptible, nous donnera la vie éternelle; il nous communiquera cette incorruptibilité quil nous a promise en nous promettant la résurrection; mais, pour les choses du temps, pour les biens de cette vie terrestre, ils sont du domaine des démons; ils appartiennent aux puissances de ces ténèbres. Par de telles paroles, lorsquils sont possédés de lamour des choses du monde, ils en écartent Dieu, comme si elles ne le concernaient en rien; et, par dabominables sacrifices, par je ne sais quels moyens ou quels perfides conseils venant des hommes, ils cherchent à se procurer des avantages temporels, tels que de largent, une lemme, des enfants et tout ce qui peut charmer le cours de la vie humaine, ou en retarder la marche trop rapide. La divine Providence a pris soin de démontrer la fausseté de cette opinion: Dieu a voulu nous convaincre quil nest pas étranger aux affaires du temps, et quil tient toutes choses sous sa dépendance; dabord les biens éternels quil nous a promis pour lavenir, et aussi les biens temporels quil donne à qui bon lui semble et quand il le juge opportun;
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car il sait à qui il doit les accorder, à qui il doit les refuser, de la même manière que le médecin sait distribuer ses remèdes, parce quil connaît mieux les besoins dun malade que le malade lui-même. Pour nous donner cette conviction, le Seigneur a partagé les siècles entre lAncien et le Nouveau Testament. Dans lAncien Testament, ses promesses ont pour objet les biens de cette vie; dans le Nouveau, elles ont trait au royaume des cieux. Dans lun et dans lautre, le culte de Dieu et les moeurs sont réglés par des prescriptions presque semblables, mais les promesses y paraissent différentes; la puissance prescriptive du supérieur, lobligation dobéir chez linférieur y sont les mêmes, mais la récompense ne lest pas. Il a été dit, en effet, aux anciens : Vous entrerez en possession de la terre promise; vous y régnerez; vous y triompherez de vos ennemis; vous ne leur serez point soumis dans ce pays; vous y jouirez dune complète abondance; vous y engendrerez des enfants 1. Ces avantages temporels furent promis; mais ils létaient en figure. Tu peux supposer que quelques-uns ont vu, pour eux, laccomplissement de telles promesses; et, de fait, il en a été ainsi pour plusieurs. Une contrée a été donnée aux enfants dIsraël; ils reçurent des richesses en partage; des femmes stériles et presque parvenues à la vieillesse ont prié Dieu; elles ont mis en lui leur espérance; elles nont cherché dautre secours que le sien même pour devenir mères, et elles ont mis au monde des enfants. Leur coeur nest point resté sourd à cette parole du Seigneur: «Je suis ton salut». Si cette parole est vraie pour les choses de léternité, pourquoi ne le serait-elle pas dans les affaires du temps? Dieu en a donné la preuve dans la cause du saint homme Job. Le diable nest à même de ravir les biens de ce monde quautant quil en a reçu le pouvoir de la part du souverain Maître. Il a pu porter envie au saint; a-t-il été capable de lui nuire? Il a pu laccuser; a-t-il été capable de le condamner? A-t-il pu lui ôter quoi que ce fût, même un ongle, même un cheveu, avant davoir dit à Dieu « Laissez aller votre main 2?» Quest-ce à dire: «Laissez aller votre main? o Donnez-moi le pouvoir. 111e reçut; il tenta Job; Job fut tenté; néanmoins, le tenté demeura
1. Exod. XXIII, 25-31. 2. Job, I, 11.
victorieux, et le tentateur fut vaincu; car Dieu, qui avait permis au diable de dépouiller de tout son serviteur, navait point abandonné celui-ci intérieurement, et il sétait fait de lâme de Job un glaive pour vaincre lesprit malin. Combien vaut cela? Je parle de lhomme. Vaincu au paradis 1; victorieux sur un fumier; au paradis, le diable sest servi de la femme pour en triompher; sur le fumier, il a triomphé du diable et de la femme. «Tu « as», dit-il, « parlé comme une dentre les femmes insensées. Si nous avons reçu des biens de la main de Dieu, pourquoi ne supporterions-nous pas les maux quelle nous envoie 2? » Comme il avait bien entendu ces paroles : « Je suis ton salut! » 8. « Que ceux qui cherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte ».Vois de quels hommes il sagit: « Priez», dit-il, « pour vos ennemis 3». Mais il y a ici une prophétie ce qui se dit sous forme de désir, sexplique dans le sens dune prophétie. Que ceci et que cela se fasse, ne veut rien dire autre chose que : ceci et cela se fera. Comprenez donc ainsi la prophétie : «Que ceux qui recherchent mon âme soient couverts de confusion et de honte». Quel sens donner à ces mots : « Quils soient couverts de confusion et de honte? » Ils seront couverts de confusion et de honte. Lévénement a justifié la prophétie. Plusieurs, en effet, ont été couverts dune salutaire confusion; plusieurs, devenus honteux et animés dune piété sincère, ont quitte les rangs des persécuteurs du Christ pour entrer en société avec ses membres. Nen cherchez pas la cause ailleurs que dans leur confusion et leur honte. Il a donc désiré leur bien. Les vaincus sont de deux sortes; on est vaincu en deux manières; car la défaite doit aboutir à un retour vers le Christ, ou à une condamnation par le Christ. Il est fait ici une allusion à ces deux sortes de vaincus; mais cette allusion est obscure, et elle a besoin dêtre expliquée. Il faut entendre, de ceux qui se convertissent, ces paroles : « Que ceux qui cherchent mon âme, soient couverts de confusion et de honte; quils passent en arrière! » Quils ne marchent pas les premiers, mais quils viennent à la suite; quils ne donnent pas de conseils, mais quils es reçoivent. Car Pierre a voulu prendre le pas sur le Seigneur, quand le Seigneur parlait
1. Gen. III, 6. 2. Job, II, 10. 3. Matt., V, 44
par avance, de sa passion; il voulut, en quelque sorte, lui donner un conseil salutaire, comme si un malade pouvait en donner à son médecin. Et que dit-il au Seigneur, malgré les assurances que ce Lui-ci lui donnait de ses souffrances à venir? « Seigneur, ny pensez pas»; prenez pitié de vous : « Il nen sera pas ainsi». Il a voulu primer et laisser le second rang au-Seigneur. Que lui dit celui-ci? «Satan, retourne en arrière 1». Tu es un démon en marchant devant moi; en me suivant, tu seras mon disciple. A ceux dont nous parlons sapplique donc ceci : « Quils passent en arrière et quils soient confondus, ceux qui ont de mauvais desseins «contre moi». En effet, dès quils auront commencé à ne plus occuper que le second rang, ils ne penseront plus au mal et ils désireront le bien. 9. Et les autres? Car tous ne sont pas vaincus pour convertir et pour croire. Plusieurs persistent dans leur entêtement; beaucoup conservent, dans leur coeur, la volonté de marcher les premiers; et, sils ne la manifestent pas au grand jour, ils la nourrissent pourtant en eux-mêmes, et la mettent en oeuvre, lorsque loccasion sen présente. Touchant de tels hommes, que lisons-nous ensuite? «Quils deviennent comme de la poussière en face du vent 2». Il nen est pas ainsi des impies, il nen est pas ainsi : mais ils sont comme la poussière que le vent disperse de dessus la face de la terre 3. Le vent, cest la tentation, la poussière, cest le pécheur Quand vient la tentation, la poussière senlève; elle ne demeure point en place, elle ne peut résister. «Quils deviennent comme de la poussière en face du vent, et que lange du Seigneur les tourmente, que leur chemin soit obscur et glissant». Chemin bien capable dépouvanter ! Où est celui que neffraie pas la seule vue des ténèbres? A quel homme ninspire pas de crainte la seule-perspective dun chemin gus-mut? Au milieu de la nuit, dans un sentier dangereux, comment diriger tes pas? Où placeras-tu sûrement ton pied? Ces deux maux, telles sont les grandes punitions des hommes. Les ténèbres, cest lignorance; le chemin glissant, cest la luxure. « Que leur chemin soit obscur et glissant, et que lange du Seigneur les poursuive ». Lorsque, environné de ténèbres et engagé dans un sentier dan-
1. Matt. XVI, 22, 23. 2. Ps. XXXIV, 5. 3. Ps. I, 4.
gereux, un homme saperçoit quil va tomber sil remue seulement le pied, il se résigne peut-être à attendre la lumière du jour; mais ici se trouve lange du Seigneur, qui les poursuit. Le prophète leur a bien moins désiré quil ne leur a prédit un pareil avenir. Animé de lEsprit de Dieu, il décrit leur punition telle que Dieu la leur inflige par un jugeaient infaillible, plein de bonté, juste, saint, tranquille, sans être troublé par la co1ère ou par un zèle chagrin, ou par la volonté dexercer une vengeance, mais par sa justice, qui doit punir les vices; néanmoins, cest une prophétie. 10. Doù proviennent de si grands maux? Quelle en est là cause? Ecoute, la voici « Parce que sans aucun sujet ils ont voulu me « faire périr dans le piége quils mont tendu en secret ». Il est ici question de notre Chef: les Juifs ont fait cela; ils ont caché leurs piéges scélérats. A qui ont-ils caché leurs -piéges? A celui qui voyait le coeur de ces traîtres. Il était au milieu deux comme un ignorant; on eût dit quil était leur dupe; et, pendant quils croyaient le tromper, ils étaient eux-mêmes pris dans leur propre piège. Il vivait au milieu deux avec toutes les apparences dun dupe, parce que nous devions nous-mêmes vivre au milieu de pareils hommes, et devenir infailliblement victimes de leur fourberie. Il connaissait, à nen pas douter, celui qui devait le trahir, et cet instrument, le plus nécessaire à laccomplissement de leur oeuvre, il le choisit entre ses douze apôtres, afin que même un si petit nombre de personnes ne fût point sans renfermer un méchant. Il voulait par là nous donner un exemple de patience, parce que nous devions vivre nous-mêmes parmi les méchants, soit que nous les connussions, soit que nous ne les connussions pas : il nous fallait les supporter: il est donc devenu un modèle de patience pour te soutenir au moment où tu commenceras à vivre au milieu des mécréants. Lécole du Christ, composée de douze disciples, na pas pris fin avec eux; cest pourquoi nous devons être dautant plus fermes, lorsque nous voyons saccomplir dans lEglise ce qui a été prédit sur le mélange des hommes mauvais. Dans cette école, on ne voyait pas encore la réalisation des promesses faites à la race dAbraham : on ny apercevait point non plus laire du sein de laquelle (339) devait sortir la multitude des grains destinés à remplir les celliers du père de famille. Pourquoi donc, lorsquon bat le blé, ny laisse-t-on pas la paille, comme en un lieu convenable, jusquà ce quon vannera le grain pour la dernière fois, puisque ce que vous avez entendu doit saccomplir à légard des méchants? 11. Mais enfin, quarrivera-t-il? « Sans sujet ils mont caché la scélératesse de leur piége ». Quest-ce à dire: « Sans sujet? » Je ne leur ai fait aucun mal: je ne leur ai nui en rien: « Ils mont injustement couvert doutrages». Quest-ce à dire : « Injustement ? » Ils ont dit des faussetés; il nont apporté aucune preuve. « Quun piège dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Magnifique récompense ! Rien de plus juste. Ils mont tendu un piége, et ils lont caché pour mempêcher de lapercevoir : quun piége leur soit tendu, et quils ne le voient pas. Je connais leur piége: quel est celui qui leur sera tendu? Celui quils ne voient pas. Voyons sil ne le nomme pas? « Quun piége dont ils ne se doutent pas vienne les surprendre». Ils lui en ont tendu un ; un autre leur est-il réservé? Non. Mais alors? Chacun deux est enlacé dans ses propres péchés comme dans linextricable infinité des petits cheveux : ils sont trompés par cela même dont ils se sont servis pour tromper les autres : les moyens quils ont employés pour nuire à autrui, tourneront à leur propre détriment: car il est dit ensuite : « Quils soient eux-mêmes pris dans le piège quils ont tendu en secret». Comme si quelquun oubliait quil a préparé pour un autre un breuvage empoisonné, et quil le boive lui-même; ou, comme si on creusait une fosse pour y faire tomber ses ennemis pendant la nuit, et que, ne se souvenant plus de ce quon a fait, on y tombe le premier en se promenant en ces parages. Il en est ainsi, mes frères; croyez-moi donc sans hésiter, soyez-en sûrs ; et, si une raison élevée et éclairée par la prudence vous le permet, voyez, examinez la vérité de mes paroles. Les méchants ne nuisent à personne avant de se nuire à eux-mêmes ; il en est de la méchanceté comme du feu. Tu veux mettre le feu quelque part? Il faut que linstrument dont tu te sers, brûle le premier; sil ne brûle pas, il est incapable de porter le feu ailleurs. Cest une torche : tu lapproches de lobjet que tu prétends incendier : nest-il pas indispensable que cette torche, placée entre tes mains, soit enflammée la première, pour quelle puisse communiquer la flamme à dautres objets? La méchanceté vient de toi ; ne seras-tu pas le premier sur lequel elle exercera ses ravages ? Si lon blesse un arbre là où il senfonce enterre, est-ce quon nendommage pas aussi ses racines ? Je te le dis : il peut se faire que ta malice ne nuise à personne autre, mais il est impossible quelle ne te nuise pas. Car, en quoi le saint homme Job, dont nous avons parlé tout à lheure, a-t-il souffert du dommage? Il est dit dans un autre psaume: « Comme un rasoir affilé, vous avez fait votre tromperie». Que fait-on avec un rasoir affilé? On fait tomber des cheveux, chose inutile. A quoi donc réussis-tu vis-à-vis de celui à qui tu prétends causer du dommage? Si le méchant, auquel tu veux nuire, se met daccord avec toi pour opérer le mai, cest sa malice, et non la tienne, qui lui devient nuisible. Si, au contraire, la malice est étrangère à son âme, et que, dans la pureté de son cur, il soit soumis à la voix qui lui dit: « Je suis moi-même ton salut», lhomme intérieur reste, chez lui, à labri de tes attaques extérieures; mais la malice, qui vient du fond de ton coeur, tenlève dabord tes propres forces Tu as le coeur gâté; cest de là que ce ver rongeur est sorti, ne laissant dans ton âme rien de sain. « Quils soient pris dans le piège quils ont caché, et quils tombent eux-mêmes dans le filet quils ont tendu». En entendant tout à lheure ces paroles: « Quun piége, dont ils ne se doutent pas, vienne les surprendre», tu croyais peut-être autre chose. Dans ta pensée il sagissait peut. être dun malheur inévitable, résultat dune cause cachée. Dans quel piège sont-ils donc tombés? dans celui de leur propre méchanceté, quils ont dérobée à mes regards. Nest-ce pas ce qui est advenu aux Juifs? Dieu triomphé de leur malice, et leur malice les a vaincus. Il est ressuscité pour nous: ils ont trouvé la mort en eux-mêmes. 12. Voilà le sort réservé aux méchants qui veulent me nuire. Pour moi, que deviendrai-je? Quel sera mon partage? « Mon âme se réjouira dans le Seigneur», comme dans celui qui lui aura dit: « Je suis moi-même ton salut ». Ne recherchant, à vrai dire, aucune richesse eu dehors de lui, ne désirant avoir en abondance
1. Ps. LI, 4.
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ni les plaisirs ni les biens de la terre, aimant Dieu comme son véritable Epoux, sans espoir de récompense, sans demander à recevoir de lui ce qui pourrait la charmer, mais en se proposant comme lunique objet de son bonheur. Car, pourrai-je entrer en possession dun objet meilleur que Dieu? Je suis aimé de Dieu : il taime aussi ; voici ses propositions : demande ce que tu veux. Si lempereur te disait : Demande ce que tu veux comme tu te hâterais de demander la dignité de tribun ou de comte ! Que de choses tu désirerais recevoir pour toi et pour les autres ! Dieu te dit: Demande ce que tu veux ; que lui demanderas-tu donc? Elargis le cercle de tes pensées; donne toute leur ampleur à tes désirs de posséder; écarte autant que possible les limites de ton ambition; dilate tes convoitises. Ce nest pas le premier venu qui te dit: Demande ce que tu veux; cest le Dieu tout-puissant. Si tu es amateur de domaines, tu voudras posséder toute la terre tu désireras que tous ceux qui viennent au monde soient tes fermiers ou tes serviteurs et quand tu aurais toute la terre, que posséderais-tu? Si tu demandes la mer, tu ne pourras vivre dans son sein : les poissons quelle renferme seront au-dessus des atteintes de ton avarice. Mais, peut-être, posséderas-tu les îles? Elève-toi au-dessus de ce monde ; et, quoique des ailes te manquent pour voler dans les airs, demandes-en limmensité; porte ton ambition jusque dans le ciel; demande à devenir le maître du soleil, de la lune et des étoiles, car celui qui les a créés, ta dit : Demande ce que tu veux. Et, cependant, tu ne trouveras rien de plus précieux ni de meilleur que celui qui a fait toutes choses. Demande à posséder le Créateur lui-même, et en lui, et par lui tu posséderas tout ce quil a fait. Tout est digne dêtre aimé, parce que tout est beau; mais, quy a-t-il de-plus beau que lui? En tout, il y a de la puissance; mais quy a-t-il de plus puissant que lui ? Et il ne veut plus rien ardemment que se donner lui-même à toi. Si tu trouves mieux, demande-le; nais si tu demandes autre chose, tu lui fais injure, et tu te portes du dommage, parce que tu lui préfères ses créatures, quand il veut se donner lui-même à toi, et te donner, en sa personne, le Créateur de toutes choses. Dans ces sentiments damour, une âme lui a dit: «Seigneur, est-ce que vous êtes mon partage 1? » Cest-à-dire: Vous êtes mon partage. Que ceux qui désirent des richesses choisissent ce quils veulent; quils prennent leur part dans les biens de ce monde : pour moi, vous êtes mon partage; je vous ai choisi. Et encore : « Vous êtes la part de mon héritage ». Quil te possède, afin que tu le possèdes: tu seras son domaine ; tu seras sa maison. Il possède une âme pour lui faire du bien ; en le possédant on en tire avantage. Est-ce que tu peux lui être de quelque utilité? « Jai dit au Seigneur : Vous navez pas besoin de mes biens 2. Mon âme se réjouira dans le Seigneur; elle trouvera toute sa consolation dans son Sauveur». Le salut qui vient de Dieu, cest le Christ, « car mes yeux ont vu votre salut 3 ». 13. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? » Où est lhomme capable dinterpréter ces paroles dune manière digne delles? Selon moi, on doit se borner à les prononcer, et ne point essayer de les expliquer. Pourquoi y chercher tel ou tel sens? Quy a-t-il de pareil à ton Seigneur? Tu las devant toi. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous ? Les méchants mont entretenu de choses agréables; « mais, Seigneur, quelles sont différentes de votre loi 4! » Il sest trouvé des persécuteurs qui ont dit: Adore Saturne , adore Mercure. Et on leur a répondu: Je nadore pas les idoles : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Les idoles omit des oreilles et nentendent pas, des yeux et ne voient pas 5. « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait loeil pour voir et loreille pour entendre. Mais, a-t-on ajouté, je nadore pas les idoles, parce quelles sont loeuvre dun artisan. Adore donc les arbres et les montagnes ; ils ne sont sortis des mains daucun ouvrier. « Seigneur, qui est semblable à vous ? » On me montre des objets terrestres, et cest vous qui avez créé la terre ! On tourne peut-être alors ses regards vers les créatures placées au-dessus de nous, et lon me dit: Adore la lune, adore ce soleil qui, du haut des cieux, pareil à un immense flambeau, donne au jour son éclat. Et moi, je réponds avec énergie : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Vous avez fait la lune et les étoiles, le soleil a reçu de vous les feux
1. Ps. LXXII, 26, 2. Ps.XV, 5,2. 3. Luc, II, 30. 4. Ps. CXVIII, 85. 5. Ps. CXIII, 5, 6.
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ardents qui le font présider au jour: vous êtes lauteur des harmonies du ciel ! Il y a dautres créatures , elles sont invisibles et meilleures ; peut-être me dira-t-on aussi : Honore les anges, adore-les: et, ici encore, je mécrierai: « Seigneur, qui est semblable à vous ?» Les anges eux-mêmes sont sortis de vos mains. Que seraient-ils, sils ne vous voyaient pas? Rien. Il vaut bien mieux vous posséder avec eux, que tomber, loin de vous, dans les abîmes, pour les avoir adorés. 14. « Tous mes os vous diront: Seigneur, qui est semblable à vous? » O corps du Christ, ô sainte Eglise, que tous tes os disent : « Seigneur, qui est semblable à vous ? » Et si tes chairs ont disparu sous leffort de la persécution; que tes os, du moins, disent encore « Seigneur, qui est semblable à vous? » Car il a été dit des justes: « Le Seigneur aime tous leurs os; aucun deux ne sera brisé 1 ». Comment énumérer tous les justes dont les os ont été brisés pendant la persécution? Enfin, le juste vit de la foi 2, et limpie est justifié par le Christ 3; et quel est lhomme ainsi ramené à la justification, sinon celui qui croit et qui confesse sa foi, puisque lon croit de coeur pour être justifié, et que lon confesse de bouche pour être sauvé 4? Parce quil a cru de coeur et confessé de bouche, le larron a été justifié sur la croix, même après que ses crimes leurent conduit aux pieds du juge, et de là au dernier supplice; car le Seigneur naurait pas dit à un scélérat non encore justifié: «Tu seras aujourdhui avec moi dans le paradis 5 » Et, cependant, on a brisé ses os. En effet, lorsquon arriva pour enlever les corps à cause de la proximité du sabbat, on saperçut que le Seigneur était déjà mort, et on ne lui brisa pas les os 6 .Pour les autres, comme ils vivaient encore, on les leur brisa, afin de hâter leur mort par ce supplice , et ainsi de pouvoir les détacher plus vite de la croix et les ensevelir. Le larron, qui persévéra dans son impiété jusque sur la croix, fut-il le seul à qui on brisa les os, et nen fut-il pas de même de celui qui crut de coeur pour être justifié et confessa de bouche pour être sauvé? Quest donc devenue cette promesse : « Le Seigneur garde tous leurs os; aucun deux ne sera brisé? » Mais nest-ce pas que, dans le corps du Seigneur, les os sont tous
1. Ps. XXXIII, 21. 2. Rom. I, 17. 3. Id. IV, 5. 4. Id. X, 10. 5. Luc. XXIII, 43. Jean, XIX, 33.
les justes, chrétiens au coeur énergique, pleins de courage, intrépides en face des persécutions et des tentations, incapables de consentir au mal? Et comment résister à toutes les tentations? Comment demeurer ferme, quand les persécuteurs vous disent : Voilà le vrai Dieu; voilà ce quil est; quil vienne et soit ton sauveur; il y a ici je ne sais quel grand. prêtre, au sommet de la montagne; si tu es pauvre, cest peut-être parce que ce Dieu ne vient pas à ton secours ; prie-le, il taidera; tu ne fais point monter vers lui tes supplications : voilà, sans doute, pourquoi tu es malade; prie-le, et la santé te sera rendue; peut-être encore est-ce pour ce motif que tu nas pas denfants: adresse-toi donc à lui, et tu en auras? Celui qui appartient au corps du Seigneur et ht partie de ses os, repousse tous ces conseils et répond : « Seigneur, qui est semblable à vous? » Si vous daignez maccorder, mène dès cette vie, ce que je recherche, donnez-le. moi; mais si vous ne voulez pas me laccorder, soyez ma vie, car je ne cesse point de vous chercher. En sortant de ce monde, oserai-je paraître devant vous, la tête haute, si jai adoré un autre que vous, si je vous ai offensé? Grande est sa miséricorde ! Il nous engage à bien vivre et il nous cache le dernier de nos jours, celui de notre mort, pour que nous ne puissions rien nous promettre de lavenir. Je fais mal aujourdhui et je vis ; demain je cesse dagir ainsi. Et si demain tu nes plus? Sois donc du nombre des os du Christ, et dis-lui : « Seigneur, qui est semblable à vous? Tous mes os diront: Seigneur, qui est semblable à vous? Cest vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui, et celui qui est abandonné et dans lindigence, de celles de ses ennemis qui le dépouillent».
15. Ce psaume a été lu aujourdhui jusquici, et nous lavons expliqué de même: mais afin que ce que nous avons dit ne devienne point pour vous un sujet dennui, nous ny ajouterons rien. Arrêtons-nous donc à ces paroles: « Cest vous qui tirez le pauvre des mains de ceux qui sont plus forts que lui». Qui est -libérateur, si ce nest celui dont le bras est robuste? Cet autre David délivrera le pausa des mains de ceux qui sont plus forts que lui. Le démon avait été le plus fort; il sétait rendu maître de toi : il tavait vaincu, parce
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que tu avais consenti à ses suggestions ; mais qua fait celui dont le bras est puissant? « Personne nentre dans la maison dun homme robuste pour en enlever les meubles, avant davoir réduit cet homme à limpuissance 1». Par sa puissance auguste et digne dadmiration, il à réduit le diable à limpuissance il a tiré son épée pour lui fermer tout passage, poser délivrer le pauvre et lindigent dénués de tout secours 2.Quel est, en effet, ton protecteur, sinon le Seigneur, à qui tu dis:
1. Matt. XII, 29. 2. Ps. LXX, 12.
« Seigneur, vous êtes mon aide et mon Rédempteur ? » Si tu veux présumer de tes forces, ta présomption sera pour toi une cause de chute : si tu tappuies sur les forces dun autre, sache quil voudra, non te venir en aide, mais devenir ton maître. Recherche donc, comme ton soutien, celui-là seul qui a racheté les hommes, qui les a rendus libres, qui a donné son sang pour en faire un peuple dacquisition et conférer à ses serviteurs le titre de frères.
1. Ps. XVIII, 15.
DEUXIÈME SERMONDEUXIÈME PARTIE DU PSAUME.
1. Fixons notre attention sur le reste du psaume, et prions le Seigneur, notre Dieu, de nous donner une intelligence saine pour le bien comprendre, et la grâce den tirer profit par nos bonnes oeuvres. Votre charité se rappelle, sans doute, où sest arrêtée hier notre explication: partons donc de là aujourdhui. Nous attribuons ces paroles au Christ, considéré comme Chef et comme corps de lEglise. Et, puisquil sagit du Christ, ne sépare point lEpoux de lépouse, et comprends ce grand mystère : « Ils seront deux dans une même chair». Si, étant deux, ils nont quune même chair, pourquoi ne se serviraient-ils pas des mêmes paroles? Car, si le chef a supporté ici-bas de mauvais traitements, son corps les apporte aussi : le chef na souffert que pour servir dexemple au corps. En effet, le Seigneur a volontairement souffert, tandis que nous souffrons nécessairement: lui a souffert par bonté pour nous: notre nature nous y condamne. Dans cette indispensable obligation, nous trouvons donc un sujet de consolation en ce quil a souffert de sa propre volonté; aussi, quand, par hasard, nous subissons de pareilles épreuves, portons nos regards sur notre chef, prenons exemple sur sa conduite et disons-nous: Sil
1. Eph., V, 31.
a été ainsi traité, à quoi devons-nous nous attendre? Conduisons-nous donc comme il la fait lui-même. Son ennemi a pu en venir jusquà lui ôter la vie du corps; mais, si cruel quil se soit montré, il na pu détruire entièrement ce corps, puisquil est ressuscité le troisième jour. Ce qui est advenu de lui le troisième jour, se fera pour nous à la fin du monde. Si la réalisation de nos espérances de résurrection est différée, ces espérances nous sont-elles ravies? Reconnaissons donc ici la parole du Christ, et ne la confondons pas avec celle des impies. Cette parole est celle du corps du Christ, qui souffre persécutions, angoisses et tribulations, mais, parce que ici-bas il y en a beaucoup pour souffrir à cause de leurs péchés et de leurs crimes, nous devons apporter un soin tout particulier à distinguer de leurs souffrances elles-mêmes la cause de leurs souffrances : car un scélérat peut subir un supplice pareil à celui des martyrs, mais la raison de ses douleurs est bien différente. Il y en avait trois de crucifiés: le Sauveur, celui qui devait être sauvé, et celui qui devait être damné : pour tous, même supplice; mais, pour chacun deux, cause de souffrances non pareille. 2. Que notre chef dise donc: « Des témoins injustes sétant élevés, mont interrogé sur
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des choses que je ne connaissais pas 1 » Pour nous, disons à notre chef: Seigneur, que ne saviez-vous pan? Etiez-vous à ce point ignorant? Ne connaissiez-vous point le coeur de ceux qui vous interrogeaient? Ne vous étiez-vous point aperçu davance de leurs fourberies? Nétait-ce pas en connaissance de cause que vous vous étiez livré entre leurs mains? Nétiez-vous point venu en ce monde pour subir leurs mauvais traitements? Quignoriez-vous donc? Il ignorait le péché; il ignorait ce péché, non comme sil ne le condamnait pas, mais parce quil ne le commettait point. On emploie tous les jours de pareilles manières de parler; car tu dis de quelquun : Il ne sait se tenir debout, pour dire : Il ne se tient pas debout; il ne sait faire le bien, pour dire : Il ne fait pas de bien; il ne sait pas faire le mal, pour dire : Il ne fait pas de mal. Ce quon ne fait pas nintéresse nullement la conscience, et ce dont la conscience ne soccupe pas, on semble ne pas le savoir. Ainsi, dans notre pensée, Dieu ignore comme lart qui ne conduit pas au mal, mais qui apprend à connaître le vice et à le discerner. Lors donc que nous interrogeons notre chef, il nous répond dans toute la vérité de son Evangile ; quand nous lui disons: Seigneur, quignoriez-vous? Comment a-t-on pu vous interroger sur des choses que vous ne connaissiez pas? Il nous dit : Jignorais le péché, et ils minterrogeaient sur le péché. Si tu ne crois pas que jignore le péché, lis lEvangile et tu y verras que je ne connais pas même les pécheurs; car je leur dirai à la fin du monde : « Je ne vous connais pas; vous, qui commettez liniquité, retirez-vous de moi 2». Est-ce quil ne connaissait pas ceux quil condamnait? Peut-il prononcer un jugement conforme à léquité, sil ne le porte pas en parfaite- connaissance de cause? Il agissait en connaissance de cause, et pourtant il na pas menti quand il a dit: « Je ne vous connais pas»; cest-à-dire vous nêtes pas unis à mon corps; vous ne vous attachez pas à mes préceptes : vous êtes la personnification des vices; et moi, je suis lart, qui na rien de commun avec les défauts, et qui napprend rien autre chose quà les éviter. « Des témoins injustes sétant levés, mont interrogé sur des choses que je ne connaissais pas». Quest-ce que le Christ pouvait
1. Ps. XXXIV, 11, 12. 2. Matt. VII, 23.
ainsi ignorer, sinon le blasphème? Voilà pourquoi il fut accusé davoir blasphémé, lorsque interrogé par ses persécuteurs, il répondit selon la vérité. Mais quels furent ses accusateurs? Ceux-là mêmes dont il est dit plus loin: « Ils me rendaient le mal pour le bien; ils « rendaient à mon âme la stérilité ». Je leur apportai labondance, et ils me rendaient la stérilité : je leur apportai la vie, et ils me rendaient la mort : je leur apportai lhonneur, et ils me rendaient lhumiliation. Je leur apportai le remède, et ils me rendaient des blessures; et, dans tout ce quils me rendaient, il ny avait que de la stérilité. Cette stérilité, il la maudite dans le figuier, lorsque, y cherchant des fruits, il nen trouva aucun 1. Il y avait des feuilles, mais pas de fruits; des paroles, mais pas doeuvres: abondance de paroles, stérilité en fait doeuvres. « Tu prêches quil rie faut rien dérober, et tu dérobes; tu dis que ladultère est un crime, et tu commets ladultère ». Tels étaient ceux qui interrogeaient le Christ sur des choses quil ne connaissait pas. 3. « Pour moi, lorsquils minterrogeaient, je me revêtais dun cilice ; jhumiliais mon âme par le jeûne, et je répandais ma prière dans mon sein». Nous savons, mes frères, que nous appartenons au corps de Jésus-Christ, puisque nous en sommes les membres: nous ne devons pas non plus lignorer: dans nos tribulations, il ne nous faut point penser à la manière dont nous répondrons à nos ennemis, mais chercher à leur être propices auprès de Dieu par nos prières, surtout à ne pas nous laisser vaincre par la tentation, et enfin, à obtenir du Tout-Puissant, pour nos persécuteurs, la guérison de leur âme et leur retour à la justice. Rien, de plus grand, rien de meilleur au sein des tribulations, que de séloigner du bruit extérieur, et dentrer dans le plus profond intérieur de son âme pour invoquer Dieu, en ce sanctuaire où personne ne peut ni entendre nos gémissements, ni voir celui qui vient à notre aide; mettons-nous-y à labri de toutes les ennuyeuses contrariétés qui nous viennent du dehors: fermons les portes de ce lieu secret; humilions. -nous en faisant laveu de nos fautes; louons et bénissons le Dieu qui nous corrige et nous -console: voilà bien la conduite que nous devons tenir.
1. Matt., XXI, 19.
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Ce que nous disons sapplique au corps du Christ, cest-à-dire, à chacun de nous : mais soyons-nous en Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même quelque chose de pareil? Tant de soin que nous mettions à examiner et à scruter lEvangile, jamais nous ny verrons que, dans ses peines et ses ennuis, le Seigneur se soit revêtu dun cilice. Nous y lisons, à la vérité, quil a jeûné après son baptême; mais, pur un cilice, il nen est nulle part question nous ne le voyons en aucun endroit. Quand il a jeûné, le diable le tentait, mais les Juifs se le persécutaient pas encore, et je ne puis lire quil ait jeûné au moment où ils linterrogeaient sur des choses quil ne connaissait pas, ni au moment où, lui rendant le mal pour le bien, ils examinaient malicieusement sa conduite, le poursuivaient, semparaient de sa personne, le flagellaient, le couvraient de blessures et lui donnaient la mort. Néanmoins, mes frères, cédons à une pieuse curiosité, levons un peu le voile, ouvrons les yeux de notre coeur, pénétrons le sens caché le lEcriture, et nous verrons quen réalité, pendant le cours de ses souffrances, le Seigneur a jeûné et sest couvert dun cilice. Quentend-il par un cilice, sinon peut-être la condition mortelle de la chair? Pourquoi en cilice? A cause de la ressemblance de sa et chair avec la chair du péché. « Car», dit lApôtre, « Dieu a envoyé son propre Fils, revêtu dune chair semblable à la chair du péché; il a condamné le péché dans sa chair 1 »; cest-à-dire, il a revêtu son Fils dun cilice pour condamner les boucs par ce cilice. Sans aucun doute, il ny avait pas de péché dans le Verbe de Dieu ; il ny en avait, non plus, dans lâme sainte, ni dans lesprit de lhomme que le Verbe et la sagesse de Dieu sétaient attaché en unité de personne : il ny en avait pas même dans son corps; mais la ressemblance de la chair du péché se trouvait dans le Seigneur, parce que la mort nexiste du péché, et son corps était certainement sujet à mourir. Si, en effet, il navait pas été mortel, il ne serait pas mort ; sil nétait pas mort, il naurait pas ressuscité; et Sil nétait pas ressuscité, il ne nous aurait point donné la preuve et lexemple de notre immortalité. La mort, qui nous est venue du à, porte le nom de péché, de la même manière quon désigne, sous le nom de
1. Rom. VIII, 3
langue grecque ou de langue latine, non pas notre langue corporelle, mais ce que nous disons au moyen de ce membre: notre langue est un de nos membres, aussi bien que nos yeux, nos oreilles, notre nez, etc.; mais, par langue grecque, on entend les paroles prononcées en grec, non parce que les paroles seraient la même chose que la langue, mais parce quelles sont prononcées par elle. Tu dis de quelquun, pour désigner une partie quelconque de son corps-: Jai reconnu sa figure. En parlant dun absent, tu dis encore Jai reconnu sa main, quoique tu veuilles parler, non de sa main corporelle, mais de lécriture tracée par elle. Ainsi en est-il du péché du Seigneur: il a eu pour cause le péché, puisquil a pris un corps fait de cette substance, qui est devenue sujette à la mort, à cause du péché. Et pour exprimer plus brièvement ma pensée, je dirai : Marie est morte à cause du péché dAdam, parce quelle en était la fille ; Adam est mort à cause de sa propre prévarication; et le corps du Seigneur, mis au monde par Marie, est mort pour détruire le péché. Le Seigneur sest revêtu de ce cilice, et ce cilice, sous lequel il se cachait, la empêché dêtre reconnu. « Lorsque», dit-il, « ils me tourmentaient je me revêtais dun cilice » ; cest-à-dire : ils sévissaient contre moi, et je me cachais. Sil navait pas voulu se cacher, il naurait pu mourir. Quand, en effet, ils sapprochèrent de lui pour le saisir, il lui suffit dun instant, il neut quà laisser jaillir un éclair de sa puissance, si toutefois on peut dire que cen était même un éclair; cen fut assez de sa part, de leur adresser cette seule question : « Qui cherchez-vous? » pour les faire reculer et tomber en arrière. Une telle puissance naurait certes pas subi les ignominies de la passion, si elle ne sétait cachée sous le cilice : donc, « je me revêtais du cilice et jhumiliais mon âme par le jeûne ». 4. Si nous avons bien compris ce quil faut entendre par le cilice, comment devons-nous maintenant comprendre ce quil faut entendre par le jeûne? Le Christ voulait manger, quand il cherchait des fruits sur le figuier stérile, et sil en avait trouvé, il sen serait nourri. Il voulut boire, quand il dit à la femme de Samarie: « Donne-moi à boire 1» et sur la croix: « Jai soif 2». Quelle faim et quelle soif éprouva-t-il donc? Il eut faim et soif de nos bonnes
1. Jean, IV, 7. Id. XIX, 28.
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oeuvres. Et, parce quil ne trouvait le mérite daucune bonne oeuvre en ceux qui le persécutaient et le crucifiaient, il jeûnait ; ils jetaient dans son âme la disette. Quel jeûne, en effet, de trouver à peine un larron dont il pût se nourrir, étant sur la croix ! Les apôtres avaient pris la fuite et sétaient cachés dans la foule; Pierre lui-même, ce Pierre qui avait promis de persévérer jusquà la mort du Seigneur, lavait déjà renié trois fois; il pleurait déjà, mais il se cachait encore dans la multitude et craignait dêtre reconnu. Tous, enfin, le voyant mort, désespérèrent de lavenir aussi les trouva-t-il, après sa résurrection, plongés dans le découragement; quand il leur parla, la tristesse, la désolation et le désespoir étaient dans leurs coeurs et se reflétaient dans les paroles de ceux qui sentretenaient avec lui. Il leur dit: « De quoi vous entretenez-vous ensemble? » Car ils parlaient de lui ; et ils lui répondirent: « Etes-vous seul « si étranger dans Jérusalem, que vous ne sachiez pas ce qui sy est passé ces jours-ci, touchant Jésus de Nazareth, qui a été un prophète puissant en oeuvres et en paroles, devant Dieu, devant tout le peuple; et de quelle manière les princes des prêtres et nos sénateurs lont livré pour être condamné à mort, et lont crucifié? Or, nous espérions que ce serait lui qui rachèterait Israël 1 ». Le Seigneur aurait persévéré datas ce grand jeûne, sil navait pas ranimé ceux qui devaient apaiser sa faim. Il leur rendit le courage, les consola, les raffermit et en fit les membres de son corps. Tel fut donc le jeûne que simposa le Seigneur. 5. « Et je répandais», dit-il, « ma prière dans « mon sein ». Il y a certainement, dans ce verset, un sens profond; daigne le Seigneur nous aider à le pénétrer! Par sein, nous devons entendre une chose secrète. Mes frères, nous trouvons déjà, dans ces paroles, un avertissement pour nous, le bon conseil de prier dans le secret de notre coeur. Dieu nous y voit; il nous y entend; loeil de lhomme est incapable dy pénétrer; celui-là, qui vient à notre aide, peut seul y porter ses regards. Ce fut là que pria Susanne et quelle fut entendue de Dieu, lorsque les hommes ne voulurent plus écouter sa voix 2. En ce qui nous concerne, voilà le conseil que nous devons tirer de ces paroles; mais nous devons les entendre plus
Luc, XXIV, 18-21. Dan. XIII, 35, 44.
particulièrement de Notre-Seigneur, parce que, lui aussi, il a prié. En examinant la lettre de lEvangile, nous navons vu, nulle part, quil y fût question de son cilice; il ny est point davantage parlé, dans le sens littéral, du jeûne quil a observé pendant sa- passion; cest pourquoi nous avons, selon la mesure de nos forces, expliqué ces deux mots par similitude et dans le sens allégorique. Pour sa prière, nous lavons entendue tomber du haut de la croix: « Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi mavez-vous abandonné 1? » Là aussi nous priions. En effet, quand son Père, dont il ne sest jamais séparé, la-t-il abandonné? Nous lisons encore quil a prié seul sur la montagne, quil n passé les nuits en prières, quil a prié dans le cours de sa passion. Je répandrai donc na prière dans mon sein. Je ne sais ce quon pourrait imaginer de mieux à légard du Seigneur. Quoi quil en soit, je vais dire ce qui me vient en ce moment à lesprit; une idée meilleure sy présentera peut-être plus tard; ou bien elle se présentera à une personne plus intelligente que moi. Je comprends donc ces paroles : « Je répandrai ma prière dans mon sein», dans ce sens que son Père habite en lui, car Dieu sest réconcilié le monde dans le Christ 2 . Il possédait en lui-même celui quil voulait prier. Il nen était pas éloigné, puisquil avait dit : « Je suis dans mon Père, et mon Père est en moi 3. Mais, en lui, la prière est plus particulièrement loeuvre de lhomme; car, en tant quil est le Verbe, le Christ ne prie pas, il exauce; il ne demande pas quon lui vienne en aide; mais, daccord avec son Père, il secourt les autres. Quel est donc le sens de ces paroles : Je répandais mea prière dans mon sein? Celui-ci, sans aucun doute : Mon humanité invoque en moi-mère la divinité. 6. « Javais de la complaisance comme pour « un parent et un frère ; jétais abattu, comme touché dune vraie douleur qui me portait à gémir». Il fait allusion à son corps: cest nous quil faut voir ici désignés, quand nous trouvons notre bonheur dans la prière, et que notre âme se rassérène, non par linfluence des prospérités de ce monde, mais sous limpression des rayons de la vérité. Il est facile de comprendre ce que je dis , et celui quéclaire cette lumière voit et reconnaît par
1. Ps. XXI, 2 ; Matt. XXVII, 46. 2. II Cor. V, 19. 3. Jean, XIV, 10
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lui-même la vérité de ces paroles : « Javais de la complaisance comme pour un parent et un frère»; car alors lâme se rapproche de Dieu, et lui devient agréable comme à un frère, à un parent, ou à un ami; « car», est-il dit, «nous avons en lui lêtre et le mouvement 1». Si notre âme nen est point là, si elle ne peut se réjouir ni briller des feux de la vérité, ni sapprocher de Dieu, ni sattacher à lui : si elle sen voit éloignée, quelle fasse du moins ce qui suit: « Jétais abattu, comme touché dune vraie douleur qui me portait à gémir». En sapprochant de Dieu , il dit: « Javais de la complaisance comme pour un parent et un frère». Retiré et placé loin de lui, il a dit : « Jétais abattu, comme touché dune vraie douleur qui me portait à gémir». Pourquoi gémit-il, sinon parce quil ne possède point ce quil désire? Parfois il arrive au même homme, tantôt de sapprocher de Dieu et tantôt de sen éloigner, de sen approcher sous linfluence lumineuse de la vérité, de sen éloigner parce que la chair enveloppe son esprit dun voile épais. Dieu, mes frères, est partout: son être infini ne peut être circonscrit en un lieu quelconque nous ne nous éloignons donc ni ne nous rapprochons de lui dune manière physique. Sen approcher, cest lui devenir semblable; en lui devenant dissemblable, on sen éloigne. Lorsque tu vois deux objets presque pareils, tu dis quils approchent lun de lautre : sils tapparaissent différents, quoique placés dans le même endroit et souvent dans la même main, tu dis : Cet objet est loin de lautre. Tu les tiens tous les deux, tu les réunis ensemble, et tu dis Ils sont loin lun de lautre, non pas physiquement, mais parce quils ne se ressemblent pas. Si tu lui es pareil, réjouis-toi; gémis si tu lui es différent: que tes gémissements éveillent en toi les désirs: les désirs contribueront eux-mêmes à exciter les gémissements de ton coeur par veux tu te rapprocheras de celui dont tu avais commencé à téloigner. Pierre ne sapprochait-il pas, quand il dit : « Vous êtes le Christ, Fils du Dieu vivant? » Et le même Apôtre ne séloigna-t-il pas quand il dit: « Seigneur, m ny pensez pas, il nen sera pas ainsi? » Enfin, au moment où il sapprochait et se trouvait près de Dieu, que lui dit le Seigneur? « Tu es heureux, fils de Barjona! » Comme
1. Act. XVII, 28
au moment où Pierre séloignait et navait plus de traits de ressemblance avec son Maître, celui-ci lui dit encore : « Retire-toi, Satan » . En sapprochant, il entendit ces paroles : « Ce nest ni la chair, ni le sang qui te lont révélé, mais mon Père qui est dans les cieux». En séloignant et en contredisant le Sauveur au sujet des souffrances quil devait endurer pour notre salut, il entendit ces autres paroles: « Tu nas point de goût pour les choses de Dieu, mais tu en as pour celles des hommes 1 » . Parlant de ces deux états de lâme, quelquun a dit avec raison dans un psaume: « Pour moi, jai dit dans mon extase : Jai été rejeté de devant vos yeux 2». Il ne dirait point: « Dans mon extase», sil ne sapprochait, car lextase est le transport de lâme. Il a répandu son âme sur lui-même, et sest approché de Dieu; puis, ramené de nouveau sur la terre par le poids et les ténébreuses illusions de la chair; se rappelant les transports de son âme et voyant son abaissement présent, il a ajouté « Jai été rejeté de devant vos yeux». Que le Seigneur nous accorde de voir saccomplir en nous ces paroles : « Javais de la complaisance comme pour un parent et un frère! » Et, sil nen est pas ainsi, quau moins nous puissions dire : « Jétais abattu, comme touché dune vraie douleur qui me portait à gémir». 7. « Quant à eux, ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi 3». Chez eux la joie; dans mon âme, la tristesse. Et pourtant, nous avons entendu tout à lheure dans lEvangile : « Bienheureux ceux qui pleurent 4 », malheur à ceux qui rient. « Ils se sont réjouis sur mon sujet; ils se sont réunis ensemble contre moi; ils mont accablé de maux sans savoir pourquoi ». Ils minterrogeaient sur des choses que jignorais, et eux-mêmes ne connaissaient pas celui quils interrogeaient. 8. « Ils mont tenté et insulté avec moquerie 5» ,cest-à-dire, ils mont tourné en dérision et accablé dinjures. Ceci sapplique tout ensemble au chef et au corps. Remarquez, mes frères, la gloire présente de lEglise; rappelez-vous ses humiliations passées : souvenez-vous quautrefois les chrétiens furent partout mis en fuite, et que, partout où on les trouvait, ils se voyaient tournés en dérision,
1. Matt. XVI, 16, 17, 22, 23. 2. Ps. XXX, 23. 3. Ps. XXXIV, 15. 4. Matt. V, 5. 5. Ps. XXXIV, 16.
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maltraités, mis â mort, exposés aux bêtes, brûlés vifs; tous, en ricanant, se déclaraient contre eux. Ce que le chef avait souffert, le corps devait lendurer; et dans toutes les persécutions qui ont eu lieu jusquà ce jour, le corps a subi les mêmes traitements que le Seigneur en croix. Partout où lon rencontre un chrétien, on linsulte, on le harcèle, on sen moque, on lui donne le nom dhomme stupide, insensé, dépourvu de coeur et desprit. Quils fassent ce quils veulent, le Christ est dans le ciel ! Quils fassent ce quils veulent, il a ennobli son supplice, il a imprimé sa croix sur tous les fronts; il permet aux impies dinsulter, mais il leur interdit de nuire; néanmoins, par les paroles qui tombent de leurs lèvres, on connaît les secrètes pensées de leurs coeurs. « Ils ont grincé des dents contre moi». 9. « Seigneur, quand ouvrirez-vous les yeux? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions 1 ». Notre patience se lasse de souffrir, et ces paroles : « Quand ouvrirez-vous les yeux», ont été dites de chacun de nous. Cest-à-dire, quand vous verrons-nous tirer vengeance de ceux qui nous insultent? Quand le juge, vaincu par les importunités de cette veuve, lui fera-t-il justice? Si notre juge diffère de nous délivrer, cest, non par indifférence, mais par amour, non par impuissance, mais par raison, non par incapacité de nous venir en aide, mais parce quil veut attendre jusquà la fin pour nous sauver tous en même temps. Et toutefois nos désirs nous portent à lui dire: « Quand ouvrirez-vous les yeux, Seigneur ? Délivrez mon âme de leurs fourberies, et mon unique des lions»; cest-à-dire, délivrez mon Eglise des puissances qui la persécutent. 10. En effet, veux-tu savoir quelle est cette unique? Lis ce qui suit: « Je publierai vos louanges dans une grande assemblée : je vous louerai au milieu dun peuple chargé de mérites. Oui, dans une grande assemblée je publierai vos louanges; oui, au milieu dun peuple chargé de mérites, je vous louerai ! » Les louanges du Seigneur se chantent devant toute lassemblée, mais tous ceux qui la composent ne louent pas Dieu. Toute lassemblée entend les louanges que nous lui adressons; mais Dieu ne trouve pas sa louange en tous ceux qui en font partie
1. Ps. XXXIV, 17
car, dans toute assemblée, cest-à-dire, dans lEglise qui est répandue sur toute la terre, il y a de la paille et du grain; la paille senvole, le grain reste. « Cest pourquoi je vous louerai au milieu dun peuple de poids ». Dieu trouve sa louange dans ce peuple que nenlève pas le vent de la tentation. Pour la paille, elle est toujours un sujet de blasphèmes. Quand on fait attention à notre paille, que dit-on? Voilà comment vivent les chrétiens ! Voilà ce quils font ! Et en eux saccomplissent ces paroles de lEcriture : « Parce que vous faites blasphémer mon nom parmi les nations .» Homme pécheur et jaloux, qui nest que paille, tu examines laire, et tu y aperçois difficilement le grain ; cherche et tu trouveras un peuple chargé de mérites, dont la vue te portera à louer Dieu. Ressemble à ce peuple, si tu ne lui es point pareil, tu y verras difficilement autre chose que ce que tu es toi-même « Ils ne se comparent quavec eux-mêmes 1 », dit lApôtre, et ils ne comprennent point ces paroles: « Je vous louerai au milieu dun peuple de poids». 11. « Que je ne sois pas un sujet dinsultes pour ceux qui mattaquent injustement 2 », car ils minsultent à cause de ma paille, «ceux qui me haïssent sans aucun motif», cest-à-dire, ceux à qui je nai pas fait de mal, «et qui mapprouvent du regard » , cest-à-dire, ceux dont le visage affecte des sentiments étrangers à leur coeur. Et qui sont ces hommes à loeil approbateur? » Car, « ils me parlaient avec amitié, et pour irriter davantage mes ennemis, ils ne pensaient quà des tromperies. Ils ont ouvert leur bouche contre moi».En apparence, ils approuvaient du regard, mais ils nétaient que des lions occupés à trouver une proie pour lenlever et la dévorer; au dehors, ils flattaient et parlaient dans un esprit de paix; mais pour irriter davantage unes ennemis, ils ne pensaient quà des tromperies. Que disaient-ils dans un esprit de paix ? « Maître, nous savons que vous enseignez la voie de Dieu dans la vérité, sans avoir égard à qui que ce soit. Est-on libre de payer le tribut à César ou de ne pas le lui payer ? » Ils me parlaient comme auraient fait des amis. Quoi donc! Ne les connaissiez-vous pas, et, par leurs regards flatteurs, pouvaient-ils vous tromper? Il ne les connaissait que trop ; voilà
1. II Cor. X, 12. 2. Ps. XXXIV, 19-21.
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pourquoi il leur répondit : « Hypocrites, pourquoi me tentez-vous 1? » Puis, ils ont ouvert leur bouche contre moi, et se sont écriés : « Crucifiez-le! Crucifiez-le! Ils ont dit : Courage, courage ! nos yeux ont vu ». Commencement de leurs insultes: « Courage, courage. Christ, prophétise-nous!» Lorsquils consultent au sujet de la pièce de monnaie, leurs paroles nétaient que mensonges; ainsi, leurs louanges nétaient quinsultes. « Ils ont dit : « Courage, courage, nos yeux ont vu » - Quoi? Des oeuvres, vos prodiges. Il est le Christ. « Sil est le Christ, quil descende de la croix, et nous croirons en lui. Il a sauvé les autres et il ne peut se sauver lui-même 2 . Nos yeux ont vu». Il se vantait, il disait quil était le Fils de Dieu. Voilà tout ce quil en est! Pour le Seigneur, il demeurait patiemment attaché à la croix ; il navait rien perdu de sa puissance, mais il manifestait sa patience. Descendre de la croix, était-ce chose bien difficile pour celui qui devait, bientôt après, sortir vivant du tombeau ? Non. Mais il aurait paru céder devant ceux qui linsultaient, tandis quil lui était nécessaire de se montrer après sa résurrection à ses disciples, et non peint à ses ennemis, pour leur enseigner ce grand mystère ; car sa résurrection était le symbole dune nouvelle vie, et cette vie nouvelle, on la manifeste aux yeux de ses amis, et non aux regards de ses ennemis. 12. « Vous avez vu, Seigneur, ne gardez pas de silence 2» . Ces paroles: « Ne gardez pas le silence», veulent dire : « Jugez». Au sujet du jugement, il est dit quelque part : « Je me suis tu : est-ce que je me tairai toujours 3? »quant au délai du jugement, il est dit au pécheur: «Tu as fait ces choses, et je me suis tu, tu as cru le mensonge: tu as cru que je serais semblable à toi 5». Est-ce quil garde le silence, celui qui parle par les prophètes, celui qui parle lui-même dans lEvangile, celui qui parle par les évangélistes, celui qui parle par nous-mêmes, toutes les fois que nous disons la vérité? Quest-ce donc à dire : Il se tait? Il ne prononce pas son jugement, mais il ne cesse pas pour cela de nous imposer des préceptes et de nous instruire. Le prophète invoque en quelque façon et annonce davance ce jugement de Dieu : « Seigneur, vous mavez vu, ne gardez pas le silence ». Cest-à-dire :
1. Matt. XXII, 16-18. 2. Matt. XXVI, 68. 3. Ps. XXXIV, 22. 4. XLII, 14. 5. Ps. XLIX, 21.
Vous ne garderez pas le silence, il faut que vous rendiez votre jugement. En attendant lheure de ce jugement, ne vous éloignez pas de moi; vous men avez fait la promesse : « Voici que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles 1» 13. « Levez-vous, Seigneur, et appliquez-vous à me juger 2». Pourquoi te juger? parce que tu es dans la tribulation ? Parce que les inquiétudes et les souffrances ne te laissent pas de repos? Est-ce quune multitude de méchants néprouvent pas des tourments pareils? Pourquoi te juger? Es-tu juste par cela même que tu souffres ainsi ? Non. Mais, quest-ce à dire : « A me juger ? » Que lis-tu ensuite? : « Appliquez-vous à me juger, Seigneur, mon Dieu ; appliquez-vous à ma cause». Non pas à mes peines, mais à ma cause; non parce que je souffre comme le larron, mais parce quen moi saccomplit cette parole: « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice 3». Voilà cette cause parfaitement définie. Les bons et les méchants ont à supporter des peines pareilles: ce qui constitue le martyre, ce nest donc pas la souffrance; cen est le motif. Si les supplices faisaient les martyrs, toutes les mines en regorgeraient, toutes les chaînes serviraient à en conduire, la couronne serait accordée à tous ceux qui tombent sous le glaive. Il faut donc connaître le motif des souffrances. Aussi, que personne ne dise: Je souffre, donc je suis un juste. Celui qui a souffert le premier a souffert pour la justice; cest pourquoi il a ajouté cette condition essentielle : « Bienheureux ceux qui souffrent persécution pour la justice». Il en est plusieurs qui deviennent persécuteurs pour la bonne cause, comme il en est qui souffrent persécution pour en soutenir une mauvaise. Si lon ne pouvait devenir persécuteur à bon droit, le psalmiste naurait pas dit : « Je persécutais celui qui médisait secrètement de son prochain 4». De plus, mes frères, un père juste et bon ne persécute-t-il pas un fils libertin? Il persécute, non pas lhomme, mais ses vices; non pas son enfant, mais ce qui est venu sy adjoindre. Le médecin, appelé pour soulager un malade, nemploie-t-il pas souvent les instruments tranchants? cest contre la blessure et non point
1. Matt. XXVIII, 20. 2. Ps. XXXIV, 23. 3. Matt. V, 10. 4. Ps, C, 5.
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contre lhomme; il coupe, mais pour guérir: et, pourtant, quand il tranche dans le corps du patient, celui-ci souffre, il crie, il résiste; et si, par hasard, la fièvre lui a fait perdre la raison, il va jusquà frapper le médecin : mais celui-ci continue à le soigner, il fait ce quil doit faire sans se tourmenter, en aucune façon, des malédictions et des injures quil en reçoit. Néveille-t-on pas tous ceux qui tombent en léthargie, dans la crainte de voir leur profond sommeil aboutir à la mort ? Et par qui sont-ils éveillés, sinon par les enfants quils ont été si heureux de mettre au inonde? Nul ne mériterait le titre de fils dévoué, sil ne faisait violence à son père en circonstance pareille. On éveille les gens tombés en léthargie, on garrotte les frénétiques, uniquement parce quon les aime. Que personne ne dise donc : Je souffre persécution. Il ne suffit pas de faire parade de ses maux, il faut en faire connaître le motif; et si lon ne peut démontrer que la cause en est juste, on doit être mis au nombre des méchants. Aussi, avec quel à-propos et quelles paroles pleines de justesse il sest recommandé à Dieu! « Seigneur, appliquez-vous à mon jugement», non à mes peines : « Seigneur, mon Dieu, appliquez-vous à ma cause». 14. « Jugez-moi, Seigneur, selon ma justice 1»; voilà bien ma cause: non selon ma peine, mais « selon ma justice, Seigneur mon « Dieu ». Que ce soit le motif de votre jugement. 15. « Que mes ennemis ne se réjouissent pas en triomphant de moi. Quils ne disent point dans leurs coeurs: Courage, courage, réjouissons-nous»; cest-à-dire : nous avons fait ce que nous avons pu : nous lavons tué nous nous sommes débarrassés de lui. « Quils ne disent pas». Montrez-leur quils nont rien fait. « Quils ne disent pas : Nous lavons dévoré». De là ces paroles des martyrs : « Si le Seigneur navait été avec nous, ils auraient pu nous absorber tout vivants 2 ». Quest-ce : Ils nous auraient absorbés? ils nous auraient fait entrer dans leur corps. Car ce que tu absorbes, tu le fais entrer dans ton corps. Le monde veut tabsorber : absorbe-le loi-même: fais-le entrer dans ton corps: tue-
1. Ps. XXXIV, 24-26. 2. Id. CXXXIII, 1, 3.
le; mange-le, suivant ce qui a été dit à Pierre : « Tue et mange». Tue en eux ce quils sont, et fais-les ce que tu es : mais sils parviennent à te rendre impie, ils absorberont : ce nest pas en te persécutant quils tabsorberont; cest en te rendant semblable à eux. « Quils ne disent pas : Nous lavons dévoré ! » Dévore toi-même le corps des païens. Pourquoi le corps des païens? Il veut te dévorer. Fais-lui ce quil veut te faire. Pourquoi Moïse fit-il réduire en poussière le veau dairain, en jeta-t-il les cendres dans leau et donna-t-il cette eau en breuvage aux Israélites? Cétait peut-être pour leur faire absorber le corps des impies. « Que ceux qui témoignent être contents de mes maux rougissent et soient confondus : quils soient couverts de confusion et de honte! » Puissions-nous les absorber pleins de honte et de confusion ! Quils soient confondus, quils de viennent honteux, « ceux qui parlent orgueilleusement contre moi ». 16. Et maintenant, que dites-vous des membres dont vous êtes le chef? « Quils se réjouissent et soient transportés de bonheur, ceux qui veulent ma justice 2», ceux qui se sont unis à mon corps, «et quils disent sans cesse: « Que le Seigneur soit glorifié, ceux qui désirent la paix de son serviteur; et ma langue publiera votre justice et vos louanges tout le jour ». Quel est celui dont la langue est capable de publier les louanges de Dieu pendant tout le jour? Mon discours a été un peu trop long; vous êtes fatigués. Quel est celui, qui peut louer Dieu tout le jour? Si tu y consens, je vais tindiquer un moyen de le faire. Fais bien tout ce que tu fais, et tu loues Dieu. Quand tu chantes un hymne, tu chantes les louanges de Dieu. Mais que peut faire ta langue, si ton coeur reste muet? Ton hymne fini, tu tarrêtes, puis tu te retires pour prendre ton repas. Ne tenivre pas et tu loues Dieu. Tu traites une affaire : ne te rends coupable daucune fraude, et tu loues Dieu. Si tu cultive un champ, ne suscite de querelle à personne, et tu loues Dieu. Prépare-toi, par linnocence de tes actions, à louer Dieu tout le jour.
1. Act. X, 13. 2. Ps. XXXIV, 27, 28.
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