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DISCOURS SUR LE PSAUME XXXIXSERMON AU PEUPLELES DIVERTISSEMENTS DU MONDE.
Le monde sévit contre nous, tantôt à la manière du lion, tantôt à la manière du serpent; cette manière, la plus à craindre, est celle des hérétiques rebaptisants. Le Seigneur nous exauce en nous tirant du péché, en nous établissant sur le Christ ou sur la pierre. A la vue de la voie étroite et de la voie large, les justes craignent de prendre la mauvaise voie ; le Seigneur les guidera et leur donnera en spectacle les merveilles de la grâce, comme la marche sur leau de saint Pierre. Dans le spectacle de la terre un seul est couronné ; pour nous, ce sont tous ceux qui courent, pourvu quils arrivent au but. Jésus-Christ vient établir le nouveau sacrifice. Signe de Caïn et du peuple juif. Prédication de la vérité, de la miséricorde, de lhumilité. Soyons confus de nos péchés.
1. De toutes les prédictions qua faites Notre-Seigneur Jésus-Christ, nous voyons les unes saccomplir, et nous espérons laccomplissement des autres; toutes néanmoins saccompliront, parce quelles sont émanées de la vérité, qui exige autant de fidélité dans la foi quelle en met elle-même dans ses paroles. Celui qui croit sera dans la joie quand ces choses saccompliront; et celui qui ne croit pas sera confondu. Que les hommes le veuillent ou ne le veuillent pas, quils le croient ou ne le croient pas, ces choses saccompliront, selon cette parole de lApôtre: « Si nous le renonçons, il nous renoncera aussi; si nous t avons confiance en lui, il demeurera fidèle, car il ne saurait se contredire 1 ». Avant tout cependant, mes frères, souvenez-vous dune courte parole que nous venons dentendre dans lEvangile, et retenez-la bien : « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusquà la fin 2 ». Déjà nos pères ont été traduits devant les assemblées ; ils ont plaidé leur amuse devant leurs ennemis quils aimaient; te leur ont donné et la leçon quils pouvaient donner, et la charité selon leurs forces; alors te sang des justes a été répandu, et ce sang est devenu, dans lunivers entier, une semence doù a surgi la moisson de 1Eglise. Ensuite
1. II Tim. II, 12. 2. Matt. X, 22; XXIV, 13.
est venu le temps des scandales, de lhypocrisie, des épreuves de la part de ceux qui disaient : Le Christ est ici ou il est là 1. Notre ennemi fut dabord un lion attaquant avec violence; aujourdhui, cest un serpent qui use dartifice. Mais comme nous sommes les membres de celui à qui il est dit: « Vous foulerez aux pieds le lion et le dragon 2 », quil foule aujourdhui le dragon et nous mette hors de ses embûches, comme jadis il foula sous les pieds de nos pères le lion qui sévissait ouvertement et qui traînait les martyrs à la torture. Cest contre ce dragon que lApôtre nous mettait en garde quand il disait: « Je vous ai fiancés à cet unique Epoux, Jésus-Christ, pour vous présenter à lui comme une vierge pure; mais je crains que, comme Eve fut séduite par les artifices du serpent, vos esprits ne se corrompent et ne dégénèrent de la chasteté qui est en Jésus-Christ 3 ». Le serpent donc, cet ancien adultère, cherche à corrompre la pureté, non de la chair, mais du coeur; de même que lhomme adultère sapplaudit de son iniquité, quand il a corrompu la chair, ainsi tressaille le démon quand il a flétri lâme. De même que nos pères avaient besoin de patience contre le lion, ainsi nous faut-il de la vigilance contre le serpent.
1. Matt. 23. 2. Ps. XC, 13. 3. II Cor. XI, 2.
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Toutefois la persécution, soit du lion, soit du serpent, na jamais fait défaut à lEglise; et la ruse est plus à redouter encore que la violence. Autrefois il forçait les chrétiens à renier le Christ, aujourdhui il enseigne aux chrétiens à renier le Christ; la violence jadis, la leçon aujourdhui. Alors il recourait à la force, aujourdhui cest aux embûches; on le voyait alors frémissant, on le découvre avec peine, aujourdhui quil glisse et quil rampe. On sait comment alors il forçait les chrétiens à lapostasie. On les entraînait pour quils abjurassent le Christ, et la confession leur valait la couronne. Maintenant quil enseigne à renier le Christ, il trompe dautant plus facilement que celui à qui lon enseigne à renoncer au Christ ne saperçoit point quil sen éloigne. Quest-ce que les hérétiques 1 disent maintenant au chrétien catholique? Viens, fais-toi chrétien. Mais lui dit-on : Fais-toi chrétien, pour quil réponde : Je ne le suis pas? Autre est ce langage : Viens, fais-toi chrétien, et autre : Viens, abjure le Christ. Un mal visible, cest le rugissement du lion que lon entend de loin, que lon évite de loin. Mais le dragon se glisse, il rampe et dérobe sa marche légère; il se traîne et ne fait résonner quun astucieux sifflement; mais il ne dit pas : Renonce au Christ. Qui lécouterait, avec tant de martyrs qui ont obtenu la couronne? Mais il dit: Sois chrétien. Quiconque lentend, charmé de sa voix, sinon encore infecté de son venin, répond : Mais je suis chrétien. Sil se laisse ébranler, si la dent du serpent le saisit, il répond : Pourquoi me dis-tu : Sois chrétien ? Quoi donc? Ne suis-je pas chrétien ? Non, dit lautre. Moi, je ne suis pas chrétien? Non, encore une fois. Alors fais-moi chrétien, si je ne le suis pas. Viens alors, mais quand lévêque te demandera : Qui es-tu? Ne réponds pas: Je suis chrétien; dis que tu ne les pas, afin que tu puisses le devenir. Car sil entendait la profession de foi dun chrétien, il noserait le rebaptiser. Mais quand il entendra ce quil nest pas, il lui donnera ce quil paraît ne pas avoir, afin de sabriter lui-même contre toute peine 2, en se conformant à la déclaration quon lui fait. Dis-moi donc, ô hérétique, pourquoi te croire exempt de fautes? Que me dit cette déclaration? Que ce nest pas toi, mais ce chrétien qui renie le Christ? Mais si
1. Les Donatistes. 2. Les lois impériales portaient des pénalités contre ceux qui réitéraient le baptême.
le renégat est coupable, que sera-ce de celui qui lui donne des leçons dapostasie? Seras-tu donc innocent, quand tes leçons de chrétien obtiennent le même effet que les menaces dun païen? Que fais-tu enfin? Parviens-tu à dépouiller cet homme de ce quil a, parce que tu lui fais dire quil ne la pas? Sans len dépouiller, tu fais quil lait pour sa condamnation. Ce quil avait, il la toujours, car le baptême est comme un caractère indélébile; lornement du soldat devient laccusation du transfuge. Que fais-tu, en effet? Tu mets le Christ sur le Christ. Si tu avais ta simplicité, tu ne chercherais pas un double Christ. Mais enfin, as-tu donc oublié que le Christ est la pierre, et que « cette pierre, quont rejetée les architectes, est devenue la pierre angulaire 1? » Si donc le Christ est la pierre, et que tu veuilles mettre le Christ sur le Christ, aurais-tu oublié cette parole de lEvangile, quune pierre ne restera pas sur une pierre 2? Telle est la force dunion qui est dans la charité, que de tant de pierres vivantes qui servent à construire le temple de Dieu, il ne se forme quune seule pierre. Mais toi qui fais schisme, tu retires les autres de cet édifice pour les inviter à la ruine; et ces embûches sont nombreuses et de chaque jour; et nous les voyons, et nous en souffrons, et nous faisons tous nos efforts-pour les réprimer, tantôt par la discussion, tantôt par la conviction, en allant les instruire, en les effrayant, mais toujours dans la charité, Et quand, malgré nos efforts, ils persévèrent dans leur malice, et que notre coeur sattriste de la mort de nos frères; quand il plaint ceux qui sont dehors, quil craint pour ceux du dedans, au milieu dangoisses sans nombre, des continuelles épreuves de cette vie, que ferons-nous? Car laccroissement de liniquité attiédit la charité, « puisque la charité de beaucoup saffaiblit par labondance de liniquité 3 ». Que ferons-nous donc, sinon ce qui suit, si néanmoins nous le pouvons avec le secours de Dieu: « Celui qui aura persévéré jusquà la fin sera sauvé 4». 12. Disons donc avec notre psaume: « Jai attendu patiemment le Seigneur 5 ». Ce nest point un homme quelconque avec ses promesses, un homme capable de tromper et de se tromper, que jai attendu avec
1. Ps. CXV. 22 ; Matt. XXI, 42; I Pierre, II, 4, 7. 2. Matt. XXIV, 2. 3. Id. 12. 4. Id. 13. 5. Ps. XXXIX, 2.
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patience; ni un homme pour me consoler, et qui séchera dans sa douleur, avant dadoucir la mienne. Quil me console, mes frères, celui qui est triste avec moi; que nous puissions gémir ensemble, pleurer ensemble, prier et attendre ensemble. Qui pouvons-nous attendre, sinon le Seigneur qui ne nous trompera point dans ses promesses, bien quil en diffère laccomplissement? Il les accomplira, certainement il les accomplira; il en a déjà mis sous nos yeux une grande partie, et Dieu ne nous eût-il rien montré, que nous ne devrions pas douter de sa véracité. Supposons quil nous a tout promis sans rien donner encore; il a la bonté pour promettre, la fidélité pour tenir parole; pour toi, demande avec piété, et si tu es petit, si tu es faible, demande miséricorde. Ne vois-tu pas les petits agneaux frapper de leurs têtes les mamelles de leur mère, pour en tirer du lait? « Jai attendu», dit le Prophète, «jai attendu le Seigneur». Qua fait le Seigneur? A-t-il détourné de toi son visage ? A-t-il méprisé ta patience? Ne taurait-il pas vu? Il nen est pas ainsi. Quest-ce donc? « Et il sest rendu attentif, et il a écouté ma prière1 ». Il a écouté, il a exaucé. Ce nest donc pas en vain que tu as attendu, puisque ses yeux te fixaient et ses oreilles tentendaient. « Car les yeux du Seigneur sont sur de juste, et ses oreilles attentives à ses prières 2 ». Mais quoi ! lorsque ta vie était un désordre, tes paroles un blasphème, ne voyait-il pas? nentendait-il pas? Que devient donc cette parole du Psalmiste, que la face du Seigneur est sur ceux qui commettent le mal? et pourquoi? « Pour effacer leur mémoire de dessus la terre 3 ». Donc, lorsque tu commettais le mal, Dieu te voyait, mais il nétait pas attentif à tes besoins. Dès lors cétait peu, pour celui qui a patiemment attendu le Seigneur, de dire: Le Seigneur ma vu; mais il dit: Il sest rendu attentif, cest-à-dire, il a pris soin de me consoler, de me lire du bien. A quoi a-t-il été attentif? « A exaucer ma prière ». 3. Que ta-t-il donné? Qua-t-il fait pour toi? il! ma tiré de labîme de la misère et dun lac fangeux. il a consolidé mes pieds sur la terre et a dirigé mes pas. Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un hymne à notre Dieu 4 ». Il nous a donc fait de
1. Ps. XXXIX, 3. 2. Id. XXXIII, 16. 3. Id. 17. 4. Id. XXXIX, 3 ,4.
grands biens, et nous est redevable encore. Mais que celui qui a déjà reçu ces promesses ait la foi pour le reste, lui qui aurait toujours dû croire, neût-il rien reçu. Dieu a voulu par des effets nous montrer quil est fidèle dans ses promesses et large dans ses dons. Qua-t-il donc fait dès cette vie ? « Il ma tiré de labîme de la misère ». Quel est cet abîme de misère? Cest labîme du péché creusé par les convoitises de la chair. Tel est ce lac bourbeux. Doù Dieu ta-t-il retiré? dune certaine profondeur. Aussi criais-tu dans un autre psaume: « Du fond de labîme jai crié vers vous, ô mon Dieu 1». Mais ceux qui crient déjà du fond de labîme ne sont pas au plus profond: leurs cris les soulèvent. Ceux-là sont plus bas dans labîme, qui ne savent pas quils y sont plongés. Tels sont les orgueilleux qui méprisent, au lieu de prier avec piété, de gémir avec larmes: ces âmes que désigne cet autre passage de 1Ecriture « Quand le pécheur arrive dans les profondeurs du mal, il méprise 2». Dès quun homme compte pour rien dêtre pécheur, dès quau lieu de confesser ses crimes, il va jusquà les défendre , il est au plus profond de labîme. Mais celui qui dans labîme pousse des cris, a déjà soulevé sa tête du fond de cet abîme afin de crier. Dieu la entendu et la tiré des profondeurs de la misère, et du lac bourbeux. Déjà il a la foi quil navait pas; il a lespérance dont il était sevré; il marche avec le Christ, lui qui errait avec le diable. Aussi dit-il que le Seigneur « a consolidé ses pieds sur la pierre, quil a dirigé ses pas. Cette pierre était le Christ 3». Soyons donc sur la pierre, marchons avec droiture. Car nous devons marcher encore afin darriver. Que disait en effet saint Paul, affermi sur la pierre, lui dont les démarches étaient redressées? « Non que jaie atteint déjà mon but, ou que je sois parfait. Non, mes frères, je ne crois pas être arrivé à mon but 4 ». Quavez-vous donc obtenu, si vous navez point reçu? Doù vient cette action de grâces qui vous fait dire : « Mais jai obtenu miséricorde? » Cest que ses pieds sont redressés et quil marche sur la pierre. Que dit-il en effet? « Il est un fait, cest que joublie ce qui est en arrière ». Quest-ce qui est en arrière? Labîme de misère. Quest-ce
1. Ps. CXXIX, 1. 2. Prov. XVIII, 3. 3. I Cor. X, 4. 4. Philipp. III, 12, 13. I Tim. I, 13.
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encore? Le lac bourbeux, les charnelles convoitises, les ténèbres de liniquité. « Joublie ce qui est en arrière, pour mélancer vers ce qui est devant moi ». Il ne dirait pas quil sélance, sil était parvenu. Car lâme sélance par lamour de ce quelle désire, et non par la joie de ce quelle a obtenu. « Je mélance»,dit-il, «vers ce qui est en avant, je cours vers la palme de la céleste vocation qui est en Dieu par Jésus-Christ 1». Il courait donc, il voulait remporter la palme. Et ailleurs, sur le point de cueillir cette palme, « Jai achevé ma course 2 », dit-il. Quand il disait donc: « Je cours vers la palme de la céleste vocation », parce que ses pieds étaient redressés, raffermis sur la pierre, déjà il marchait dans le bon chemin : il avait des grâces à rendre, il avait des demandes à faire, à rendre grâces de ce quil avait reçu, à demander ce qui lui était dû encore. Quavait-il reçu? Le pardon de ses fautes, les lumières de la foi, la force de lespérance, le feu de la charité. De quoi le Seigneur lui était-il redevable? «Il ne me reste plus», dit-il, « quà recevoir la couronne de justice ». Il y a donc envers moi des arrérages? Quels arrérages? « La couronne de justice, que le Seigneur, comme un juste juge, maccordera en ce grand jour 3 ». Dans sa bonté paternelle, il ma tiré dabord de labîme des misères, ma remis mes fautes, ma soulevé du lac bourbeux : dans léquité dun juge, il tient sa promesse envers celui qui marche dans la bonne voie, après lavoir fait tout dabord marcher dans cette voie. Ce juge équitable tiendra donc sa promesse; mais envers qui? « Celui qui aura persévéré jusquà la fin sera sauvé 4 ». 4. « Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau ». Quel est ce nouveau cantique? « Un hymne à notre Dieu ». Tu chantais autrefois peut-être des hymnes aux dieux étrangers, vieilles hymnes que chantait le vieil homme et non lhomme nouveau: que le vieil homme se renouvelle et chante un cantique nouveau, quil se renouvelle et quil aime ces nouveautés qui le rajeunissent. Quy a-t-il de plus ancien que Dieu, qui est avant tout, sans fin comme sans commencement? Il est nouveau pour toi quand tu reviens à lui; car, en téloignant de lui, tu
1. Philipp. III, 14. 2. II Tim. IV, 7 . 3. Id. 8. 4. Matt.X, 22. 5. Ps. XXXIX, 4.
avais vieilli, et tu avais dit : « Je vieillis au milieu de mes ennemis 1 ». Nous chantons donc un hymne à notre Dieu, et cet hymne nous délivre. « Je logerai, jinvoquerai le Seigneur et je serai délivré de mes ennemis 2 ». Un hymne est en effet un cantique de louanges. Invoque en louant, non pas en blâmant. Si tu demandes que Dieu afflige ton ennemi, si tu veux te réjouir du mal dautrui, et que tu demandes ce mal à Dieu, tu le rends complice de ta méchanceté. Mais le rendre complice de ta méchanceté, ce nest plus linvoquer avec louange, cest linvoquer en le blâmant. Tu crois alors que Dieu est semblable à toi. De là vient ce reproche quil te fait ailleurs : « Cest là ce que tu as fait, et je me suis tu. Ton iniquité ma jugé semblable à toi 3 ». Invoque alors le Seigneur en le bénissant; ne va point le croire semblable à toi, pour te rendre semblable à lui. « Soyez parfaits comme votre Père est parfait, lui qui fait lever son soleil sur les bons et sur les méchants, qui fait pleuvoir sur les justes et sur les injustes 4 ». Cest à toi de louer le Seigneur de manière à ne souhaiter aucun mal à tes ennemis. Et quel bien faut-il désirer pour eux? le même que pour toi. Ce nest pas à tes dépens que la grâce les fera bons, et ce qui leur sera donné ne diminuera rien de ce quelle te donne, Ton ennemi nest ton ennemi quà cause de sa malice; quil devienne bon, et il sera pour toi un ami, un compagnon; il sera même un frère, et tu voudras aimer avec lui ce que tu aimes. Loue donc le Seigneur en linvoquant, et chante un hymne à ton Dieu. « Cest », dit le Seigneur, « un sacrifice de louanges qui doit mhonorer ». Quoi donc? La gloire de Dieu en sera plus grande si vous le glorifiez? Est-ce ajouter à sa gloire, que lui dire: Je vous glorifie, ô mon Dieu? Le rendons-nous plus saint en lui disant : Seigneur, je vous bénis? Pour lui, nous bénir, cest nous rendre plus saints, plus heureux; nous glorifier, cest nous élever en gloire et en honneur: mais nous, le glorifier, cest profit pour nous, rien pour lui. Comment le glorifier? En chantant sa gloire, mais nullement en lui en donnant. Aussi après avoir dit: « Cest un sacrifice de louanges qui doit mhonorer », qua-t-il ajouté? Afin que nul ne croie faire un avantage à Dieu en lui offrant ce sacrifice
1. Ps. VI, 8 . 2. Id. XVII, 4. 3. Id. XLIX, 21. 4. Matt, V, 45, 48.
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de louanges. « Tel est », dit le Seigneur, « le chemin où je lui montrerai mon salut 1 ». Tu le vois, louer Dieu est un avantage pour toi, plutôt que pour le Seigneur. Las-tu loué? Tu es dans la voie droite. Las-tu blâmé? tu es égaré. 5. « Il a mis dans ma bouche un cantique nouveau, un hymne à notre Dieu ». On me demandera peut-être quel est celui qui parle dans ce psaume. Je le dirai en un seul mot, sest Jésus-Christ. Mais, comme vous le savez, mes frères, et comme il est bon de le répéter souvent, le Christ parle quelquefois de lui-même, cest-à-dire comme notre chef. Car il est le Sauveur de son corps 2, il est notre chef, le Fils de Dieu, né de la Vierge; il a souffert pour nous, il est ressuscité pour notre justification, il est assis à la droite de Dieu, afin dintercéder pour nous 3, et dassigner jugement la félicité aux bons, le châtiment aux méchants. Ce chef, qui est le nôtre, a bien voulu devenir le chef dun corps, en prenant de nous une chair dans laquelle il pût mourir pour nous; pour nous encore il la ressuscitée, afin de nous donner en cette chair un modèle de cette résurrection, qui nous apprît à espérer ce que nous nespérions pas, et qui consolidât nos pieds sur la pierre, en nous faisant marcher dans le Christ. Il parle donc tantôt au nom du chef, et tantôt en notre nom ou au nom des membres. Quand il dit : « Jai eu faim et vous mavez donné à manger 4 », cétaient ses membres qui parlaient, et non point lui-même. Quand ildit: « Saul, Saul, pourquoi me persécuter 5? » cétait le chef réclamant pour les membres. Et pourtant il, na point dit: « Pourquoi persécuter mes membres? » mais bien: « Pourquoi me persécuter?» Si nous souffrons en lui, nous serons couronnés avec lui. Telle est la charité du Christ. Que peut-on lui comparer? Cest pour len bénir quil a mis un hymne dans notre bouche, et il parle ainsi dans ses membres. 6. « Les justes verront, ils craindront, ils espéreront dans le Seigneur ». Les justes verront. Quels justes? Les croyants. « Car le juste vit de la foi 6». Tel est lordre qui règne dans lEglise: les uns précèdent, les autres suivent; ceux qui précèdent servent de modèles à ceux qui viennent après: et ceux qui suivent
1. Ps. XLIX, 23. 2. Eph. V, 23. 3. Rom. VIII, 23. 4. Matt. XXV, 35 5. Act. IX, 4. 6. Habac. II, 4 ; Rom. I, 17.
prennent exemple sur ceux qui précèdent. Mais ceux qui se donnent en exemple à ceux qui les suivent, nont-ils donc point de guide? Sils ne suivent personne, ils vont ségarer. Ils suivent donc aussi un guide, qui est le Christ. Les plus saints dans lEglise, nayant aucun homme à imiter sur la terre, parce quils ont devancé tous les autres, ont toujours à imiter le Christ, quils suivront jusquà la fin. Et vous voyez ces degrés marqués par lapôtre saint Paul: « Soyez mes imitateurs, comme je le suis du Christ 1 ». Que ceux alors dont les démarches sont redressées sur la pierre, servent de modèle à ceux qui ont la foi. « Soyez », dit-il, « lexemple des fidèles 2 ». Ces fidèles sont les justes qui, sattachant du regard à ceux qui les ont précédés dans le bien, les suivent en les imitant. Comment les suivent-ils? « Les justes verront et ils craindront ». Ils verront, et ils craindront de suivre une fausse voie, quand ils verront que les plus saints marchent dans la bonne. Alors ils diront en eux-mêmes ce que disent ordinairement les voyageurs, quand ils en voient dautres marcher hardiment, marcher dans un chemin queux-mêmes ne connaissent pas, et qui leur laisse quelque incertitude: Ce nest pas en vain, se disent-ils, que ces autres prennent ce chemin pour aller où je veux aller moi-même. Pourquoi marchent-ils résolument par cet endroit, sinon parce quil est dangereux daller par cet autre? « Les justes donc verront, et ils craindront ». Ils voient ici un étroit sentier, là une voie large : ici de rares voyageurs, là une grande foule 3. Or, si tu es juste, ne compte pas, mais pèse; apporte-moi une balance, non point une balance trompeuse, puisquon tappelle juste, et quon a dit de toi: « Les justes verront et ils craindront ». Garde-toi donc de compter cette foule dhommes qui marchent - par la voie large, qui vont demain remplir le théâtre, qui célébreront demain la fondation de cette ville et qui la déshonorent par leurs désordres. Ne considère donc point cette foule : elle est nombreuse, qui peut la compter? Mais il y en a peu dans la voie étroite. Apporte-moi, dis-je, une balance, et pèse bien; vois combien de paille tu soulèves pour si peu de grains. Cest là ce que doit faire le juste et le fidèle qui suit. Que feront ceux qui précèdent? Ils seront sans orgueil, sans hauteur,
1. Cor. IV, 16. 2. I Tim. IV, 12. 3. Matt. VII, 13, 14,
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sans fraude pour ceux qui suivent. Comment pourraient-ils tromper ceux qui suivent? En leur promettant de les sauver par eux-mêmes. Que devront faire ceux qui suivent? « Les justes verront, et ils craindront, et ils espéreront dans le Seigneur », et non dans ceux qui les précèdent; en considérant ceux qui marchent devant eux, ils les suivent à la vérité, ils les imitent, mais ils attachent leur pensée sur celui qui a donné à ceux-ci la grâce de les précéder, et ils espèrent en lui. Alors, tout en les imitant, ils mettent leur espérance dans celui qui a fait ceux-ci tels quils sont. « Les justes verront, et ils craindront, et ils espéreront dans le Seigneur » : cest encore ce qui est dit dans un autre psaume: « Jai levé les yeux vers les montagnes 1 » ; et par ces montagnes nous avons entendu les hommes illustres, les grands hommes de la vie spirituelle, qui ont acquis dans lEglise, non lenflure, mais une grandeur solide. Ce sont eux qui nous ont ouvert les saintes Ecritures, les prophètes, les évangélistes, les saints docteurs. « Cest là, cest vers ces montagnes que jai levé les yeux, et de là me viendra le secours ». Et de peur que nous ne voyions là un secours humain, le Prophète ajoute: « Tout mon secours est dans le Seigneur qui a fait le ciel et la terre 2. Les justes verront et ils craindront, et ils mettront leur espoir dans le Seigneur ». 7. Courage, mes frères; que ceux qui veulent espérer dans le Seigneur, qui voient et qui craignent, se gardent bien de marcher dans les voies mauvaises, dans les voies larges; quils choisissent la voie étroite, où les pas de quelques-uns sont déjà redressés sur la pierre; et quils écoutent maintenant ce quils ont à faire: « Bienheureux lhomme qui a mis son espérance dans le nom du Seigneur, qui na point tourné ses regards vers les vanités et vers les folies du mensonge 3 ». Dans ce chemin que tu voulais prendre, remarque la foule de la voie large : ce nest pas en vain quelle conduit à lamphithéâtre, ni en vain quelle conduit à la mort. La voie large est le chemin de la mort; sa largeur nous plaît un instant; mais elle devient étroite, et pour léternité. La foule toutefois y marche, la foule sy presse, la foule sy livre à ses ébats, la foule y vient de toutes parts. Garde-toi bien
1. Ps. CXX, 1, 2. 2. Id. 2. 3. Id. XXXIX, 5.
de les imiter, de quitter ta voie; ce sont là des vanités, des folies menteuses. Que le Seigneur ton Dieu soit toujours ton espérance: nattends de lui rien autre chose, mais quil soit lui-même ton espérance. Le grand nombre attend de Dieu de largent, dautres espèrent que Dieu leur donnera des honneurs fragiles et périssables, toute autre chose que Dieu lui-même; pour toi, ne demande à Dieu que lui seul; méprise tout ce qui nest pas lui, ne cherche que lui; oublie tout le reste pour te souvenir de lui; laisse tout en arrière pour courir à lui. Cest lui assurément qui la redressé dans tes égarements, lui qui te dirige dans la voie droite, lui qui te fera parvenir au terme. Quil soit donc ton espérance, puisquil te conduit et te fera arriver. Où lavarice doit-elle te mener et aboutir? Tu cher. chais des domaines, lu voulais posséder la terre, tu évinçais tes voisins; ceux-ci évincé, tu portais envie à dautres voisins; ton avarice ne voyait de bornes que les rivages de la nec Arrivé sur ces bords, tu voudrais les îles; possédant la terre, tu voudrais prendre le ciel. Laisse là tous ces désirs : celui qui a fait le ciel et la terre a bien plus dattraits. 8. « Bienheureux lhomme qui a mis son « espérance dans le nom du Seigneur, qui na point tourné ses regards sur les vanité et sur les folies du mensonge ». Pourquoi des folies mensongères? La folie est menteuse, la sagesse est véridique. Tu prends ce que tu vois pour des biens, illusion! tu manques de sagesse, lexcès de la fièvre ta rendu frénétique; ce que tu aimes nest pas réel. Louer un cocher, acclamer un cocher, raffoler dun cocher; voilà ton occupation. Cest là une vanité, une folie menteuse. Nullement, répond-il; rien de mieux, rien de plus amusant. Que dire à ce fiévreux? Si vous avez quelque pitié, priez pour ces gens-là. Sou. vent quand on désespère dun malade, le médecin se tourne vers ceux qui pleurent autour de lui dans la maison, qui sont suspendus à ses lèvres pour entendre ce quil pense du malade en danger; le médecin est alors dans langoisse, il ne voit rien de boni promettre, il craint deffrayer en disant le mal quil appréhende; alors il choisit na parti modéré : Dieu est bon, dit-il, priez pour ce malade. Auquel de ces insensés pourrai-je donc madresser? Qui voudra mentendre? Qui dentre eux ne nous croit point (427) misérables? Parce que nous ne sommes point faux avec eux, ils pensent quil y a perte pour nous dans la privation de ces plaisirs nombreux et variés dont ils raffolent, sans voir combien ils sont faux. Comment donner à ce malade, malgré lui, un oeuf ou un breuvage salutaire? Quel moyen trouver pour le guérir? Dans la crainte quil ne meure de faim et quil nen vienne à rendre impossible son retour à la santé, je lengage à prendre quelque nourriture; et le voilà qui sapprête à frapper, qui semporte contre le médecin. Aimons-le, bien quil nous frappe; ne labandonnons pas malgré ses injures; il reviendra au bien et nous remerciera. Combien peuvent ici se reconnaître, se voir, se parler mutuellement dans 1Eglise de Dieu; maintenant quils sont dans le giron de la sainte Eglise, ils se sentent des affections déjà plus saintes pour entendre la parole de pour accomplir les devoirs et les prévenances de la charité, pour demeurer dans lEglise, afin dêtre mêlés au troupeau de Jésus-Christ. Ils se voient et se parlent nullement lun de lautre. Quel est, disent-ils, amateur du cirque? cet homme infatué lutteurs, et qui vantait les comédiens? Voilà ce quun homme dit dun autre, et cet autre de lui. Voilà leur langage, langage qui doit nous réjouir. Quand ceux-ci nous comblent de joie, ne désespérons point de leur salut. Prions pour eux, mes frères bien-aimés: ce qui formait jadis le nombre des impies, augmente aujourdhui le nombre des impies . « Il na point regardé les vanités et les folies mensongères ». Cet homme est vainqueur, il a pris tel cheval, il prononce, il joue le rôle du devin; il affecte la divination; et, se séparant de la source de la divinité, souvent il se prononce, et souvent il se trompe. Pourquoi? Parce que ce sont là des folies menteuses. Comment se fait-il que leurs oracles se vérifient quelquefois? Cest afin quils séduisent les insensés, et que sous un spécieux amour de la vérité, ils tombent dans le piége du mensonge ; quon les laisse en arrière, quils soient abandonnés et retranchés. Sils étaient nos membres, quils soient mortifiés. « Mortifiez vos membres sur la terre « Coloss. III, 5 ) », nous dit lApôtre. Que notre Dieu soit notre espérance. Celui qui a tout fait, est bien supérieur à tout ; celui qui a fait tout ce qui est beau, a plus de beauté lui-même ; lauteur de tout ce qui est fort, de tout ce qui est grand, a plus de force et plus de grandeur: il sera pour toi tout ce que tu pourras désirer. Apprends donc à auner le Créateur dans la créature, et dans loeuvre louvrier; ne téprends daucune de ses oeuvres, afin de ne point perdre celui dont tu es louvrage. « Bienheureux donc lhomme qui a mis son espérance dans le nom du Seigneur, qui ne sest point arrêté aux vanités et aux folies du mensonge ». 9. Mais un homme frappé de ce verset, et qui voudra se corriger, un homme que saisit de crainte la justice de la foi, et qui veut marcher dans la voie étroite, viendra peut-être me dire : Je ne pourrai marcher dans cette voie, si rien ne loffre à mes yeux. Que faisons-nous donc, mes frères ?Le renverrons-nous, sans quil ait rien vu? Il en mourra, il ny tiendra pas, il ne pourra nous suivre. Que faire? Remplaçons donc ses spectacles par dautres spectacles. Et quels spectacles donner à un chrétien que nous voulons retirer des spectacles mondains? Grâces en soient rendues au Seigneur notre Dieu; dans le verset suivant, le psalmiste nous indique le genre de spectacle que nous devons mettre sous les yeux de ceux qui veulent des spectacles. Le voilà qui sexile du cirque, de lamphithéâtre; quil cherche des spectacles, quil cherche à voir; nous ne labandonnerons point sans spectacles. Par quoi les remplacerons-nous? Ecoutez ce qui suit : « Vous avez fait, Seigneur mon Dieu, de nombreuses merveilles (Ps. XXXIX, 6 ) ». Il se repaissait des spectacles des hommes, quil envisage les merveilles de Dieu. Ces merveilles de Dieu sont innombrables; quil les admire et les contemple. Pourquoi nen est-il pas ému? Il vante un cocher qui conduit quatre chevaux et les fait courir sans aucun choc ; et le Seigneur na-t-il pas aussi des miracles spirituels dans le même genre? Que cet homme mette le frein à son avarice, le frein à sa nonchalance, le frein à son injustice, le frein à son imprudence, le frein à tous ces mouvements dont la fougue enfante les vices, quil leur mette un frein et se les assujettisse, quil gouverne ses passions sans en être lesclave; quil les dirige où bon lui semble et ne se laisse pas entraîner malgré lui. Il louait un cocher; on le louera à son tour comme le cocher de (428) ses passions; il demandait un vêtement pour un cocher, lui-même sera revêtu dimmortalité. Tels sont les jeux et les spectacles auxquels Dieu nous fait assister. Du haut du ciel, il nous crie : Je vous regarde; combattez, je vous soutiendrai; remportez le prix et je vous couronnerai. « Vous avez fait, Seigneur mon Dieu, de nombreuses merveilles; et dans vos conseils nul ne peut vous ressembler 1 ». Vois maintenant un histrion. Il a mis tous ses soins pour apprendre à marcher sur une corde, il sy suspend et se tient ainsi en suspens. Mais voyez Dieu qui vous donne de plus grands spectacles. Cet homme apprend à marcher sur une corde, en fait-il marcher un autre sur la mer? Oublie donc le théâtre, et vois notre bienheureux Pierre, non plus un funambule, mais un mariambule, si je puis dire ainsi. A ton tour, marche aussi, non plus sur ces eaux de la mer, où la marche de Pierre était une figure, mais sur dautres eaux, puisque ce siècle est une mer. Il a son amertume dangereuse, il a ses flots de tribulations, ses tempêtes de tentations : il a pour poissons des hommes qui paraissent heureux de leur malheur, et se dévorent mutuellement; cest là que tu dois marcher, cest là ce que tu dois fouler aux pieds. Tu veux des spectacles, sois toi-même un spectacle. Ne perds point courage ; vois celui qui ta précédé et qui te crie : « Nous sommes en spectacle à ce bas « monde, et aux anges et aux hommes 2 ». Foule aux pieds la mer, afin de ny être pas submergé. Tu niras, tu ne marcheras que sur lordre de celui qui le premier marcha sur la mer, comme le disait autrefois saint Pierre : « Si cest vous, Seigneur, faites que jaille à vous sur les eaux 3 ». Et comme cétait lui-même, il entendit sa prière, il exauça son désir, il lappela sur les eaux, et le souleva quand il enfonçait. Telles sont les merveilles du Seigneur quil te faut contempler; mais vois de loeil de la foi. Fais toi-même ces merveilles ; car si les vents se déchaînent, si les flots se soulèvent, si la faiblesse humaine te fait désespérer de ton salut, tu as une prière toute préparée Seigneur, je péris. Si déjà tu marches sur la pierre , tu nas pas à craindre sur les eaux; mais si tu nétais sur la pierre, tu serais englouti par les flots; car il nous faut
1. Ps. XXXIX, 6. 2. Cor. IV, 9 3. Matt. XIV, 28-31.
marcher sur ce rocher que ne recouvre point leur fureur. 10. Vois donc les merveilles du Seigneur. « Jai annoncé, jai publié ces merveilles; ils se sont multipliés à linfini 1 ». Il y a un nombre délus, mais il y a au-delà de ce nombre. Il y a un nombre déterminé qui appartient à la Jérusalem céleste. « Le Seigneur connaît ceux qui sont à lui 2 ». Les chrétiens qui le craignent, les chrétiens fidèles, les chrétiens qui gardent ses préceptes, qui marchent dans les voies de Dieu, qui sabstiennent du péché, qui confessent cour quils ont pu commettre : ceux-là sont du nombre des élus. Mais est-ce tout? Il y en a au-delà du nombre. Car, sil y a peu dassistants ici, peu en comparaison de cette foule des grandes assistances : quelles multitudes ne remplissent point parfois nos églises, nen pressent point les murailles, ne se serrent point jusquà sétouffer? Sil y a des joua publics, on les voit incontinent courir à lamphithéâtre; ceux-là sont au-delà du nombre, Mais nous parlons ainsi pour les faire entrer dans le nombre; absents dici, ils ne peuvent nous entendre; mais ils vous entendront quand vous en serez sortis. « Jai annoncé » dit le prophète, « jai parlé ». Cest le Christ qui parle de la sorte ; il a prêché comme chef, il a prêché par ses membres, il a envoyé des prédicateurs, il a envoyé des apôtres. « Leur langage a été entendu par toute la terre, et leurs paroles jusquaux confins de lunivers 3 ». Combien de fidèles sassemblent à leurs paroles, combien accourent en foule; beaucoup se convertissent en réalité, beaucoup ne le font que faussement; la conversion réelle est pour le plus petit nombre, la fausse conversion pour le plus grand: car « ils se multiplient à linfini ». 11. « Jai annoncé vos merveilles, je les ai prêchées : ils se sont multipliés à linfini. Vous navez voulu ni sacrifice ni offrande 4 ». Ce sont là les merveilles de Dieu, les desseins de Dieu à qui nul nest égal; il veut détourner de sa vaine curiosité cet amateur des spectacles, et lui faire chercher avec nous des spectacles plus saints, plus avantageux, qui donnent la vraie joie à ceux qui les trouvent; et telle sera cette joie quil naura plus à craindre léchec de celui quil aimera; il
1. Ps. XXXIX, 6. 2. II Tim. II, 19. 3. Ps. XVIII, 5. 4. Ps. XXXIX, 7.
429
aime un cocher, et il supportera les huées, si ce cocher est vaincu; que ce cocher soit vainqueur, voici un manteau. Pour le misérable qui vient lacclamer? Non, le vêtement est pour le vainqueur, les huées pour celui qui applaudissait le vaincu. Pourquoi donc partager la confusion dun homme dont tu ne partages point le manteau? Il en est bien autrement dans nos spectacles. « Il est vrai », dit saint Paul, «que tous partent » dans votre lice, dans vos spectacles; « mais un seul reçoit le prix 1 »; les autres sont vaincus et sen vont Ils ont persévéré à courir; mais un seul ayant reçu le prix, il ny a plus rien pour les autres qui ont également travaillé. Notre course est bien différente. Tous ceux qui prennent part à la course et persévèrent à courir, emportent le prix : le premier arrivé attend pour recevoir sa couronne avec les autres. Notre arène est en effet loeuvre de la charité, non de la cupidité : tous ceux qui courent sont unis par la charité, et cette charité même la course. 12. « Vous navez voulu ni sacrifice ni offrande », dit à Dieu le Psalmiste. Dans lancienne loi, quand le véritable sacrifice connu des fidèles nous était annoncé par des figures, on célébrait alors les figures de lavenir : beaucoup en comprenaient le sens, mais beaucoup plus encore lignoraient. Les Prophètes et les saints patriarches savaient ce que lon célébrait; mais le reste de ce peuple inique était charnel, au point de figurer lui-même les événements de lavenir. Or, il arriva que le premier sacrifice fut aboli, que disparurent ces holocaustes de béliers, de boucs, de taureaux et dautres victimes ; Dieu nen voulut plus. Pourquoi nen voulut-il plus? Pourquoi dabord en avait-il voulu? Parce que tout cela nétait que comme une promesse de Dieu; or, quand on a donné ce que lon a promis, les paroles de la promesse ne sont plus rien. Un homme est engagé à sa promesse jusquà ce quil lait tenue; quand il la accomplie, il change alors de langage. Il ne dit plus: Je donnerai, ce quil promettait de donner; mais bien : Jai donné; lexpression est changée. Pourquoi cette expression a-t-elle été dabord agréable à Dieu, et pourquoi la-t-il changée? Cest que cette expression était celle de son temps, et quelle lui a plu selon lépoque. Elle était dusage dans le temps des
1. I Cor. IX, 21.
promesses, mais quand les promesses ont reçu leur accomplissement, alors les expressions promissives ont disparu pour faire place au langage de laccomplissement. Donc, ces sacrifices, qui étaient le langage de la promesse, ont disparu. Qua-t-on donné pour les accomplir? Ce corps que vous connaissez, mais que vous ne connaissez pas tous1 ; et plaise à Dieu que vous, qui le connaissez, ne le connaissiez point pour votre condamna-ion! Soyez attentifs, car cest le Christ Notre-Seigneur qui parle, tantôt dans ses membres, et tantôt par lui-même; voyez en quel temps il est dit: « Vous navez voulu ni des sacrifices, ni de loffrande ». Quest-ce donc? Sommes-nous présentement abandonnés sans sacrifice? A Dieu ne plaise. « Vous mavez donné un corps parfait ». Cétait pour donner la perfection à ce corps que vous navez plus voulu de ces offrandes; vous les avez agréées avant que mon corps fût parfait. Laccomplissement des promesses a supprimé le langage primitif. Si lon emploie en effet les paroles de la promesse, cest que cette promesse nest pas accomplie. Cette promesse était exprimée par des signes; les signes ont disparu quand sest montrée la vérité promise. Nous sommes dans ce corps, nous en faisons partie; nous savons ce que nous recevons ; et vous qui ne le savez pas encore, puissiez-vous lapprendre, et quand vous laurez appris, puissiez-vous ne pas le recevoir pour votre condamnation! « Car celui qui mange et boit dune manière indigne, mange et boit son propre jugement 2 ». Ce corps est parfait pour nous, devenons parfaits dans ce même corps. 13. « Vous avez refusé le sacrifice et les oblations; mais vous mavez donné un corps parfait; vous navez demandé pour le péché ni holocauste, ni sacrifice ; alors jai dit : « Me voici 3 ». Est-il besoin dexpliquer ces paroles : « Vous avez refusé le sacrifice et loblation; mais vous mavez donné un corps parfait. Vous navez demandé pour le péché ni lholocauste, ni le sacrifice », quil demandait autrefois. « Alors jai dit : Me voici ». Il est temps que vienne la promesse, puisque les signes de la promesse vont disparaître. En effet, unes frères, voyez les uns abolis, lautre accomplie. Que la nation juive me montre
1. Le saint Docteur désigne un les Catéchumènes, qui se connaissaient pas lEucharistie. 2. I Cor. XI, 29. 3. Ps. XXXIX, 7, 8.
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aujourdhui un prêtre. Où sont leurs sacrifices? Ils ont disparu, il nen est plus rien. Les aurions-nous réprouvés alors? Nous les réprouvons aujourdhui, parce que lheure en est passée; ils sont hors de propos, hors de convenance. Tu me les promets encore, et je tiens déjà la promesse. Ils ont encore quelques observances dans leurs fêtes, afin de nêtre point sans aucun signe. Caïn lui-même, cet aîné, assassin de son plus jeune frère, eut un signe pour empêcher quon ne le tuât, ainsi quil est écrit dans la Genèse : « Le Seigneur mit une figure sur Caïn afin que nul nosât le tuer 1 ». De là vient la durée de la nation juive. Toutes les nations soumises à la domination romaine se sont fondues dans le droit romain, en ont accepté les pratiques superstitieuses; puis est venue la grâce de Notre-Seigneur Jésus-Christ qui les en a séparées. Mais la nation juive est demeurée avec son signe, le signe de la circoncision, le signe des azymes; nul na tué Caïn, nul ne la tué, il a toujours sa marque. Il est maudit sur la terre qui a ouvert sa bouche pour recevoir de sa main le sang dAbel. Car il a répandu le sang et ne la point recueilli ; il la répandu, une autre terre la reçu; et il est maudit sur cette terre qui a ouvert sa bouche et recueilli ce sang précieux : et cette terre qui la recueilli, cest lEglise. Cest donc delle quil est rejeté. Et ce sang crie de la terre vers moi. Cest de cette terre que le Seigneur a dit : « La voix du sang de ton frère crie de la terre jusquà moi 2 ». Il crie, dit le Seigneur, de la terre vers moi. Il crie vers le Seigneur, et celui qui la répandu est sourd, parce quil ne la point bu. Les Juifs sont donc maintenant comme Caïn, avec un signe. Les sacrifices que lon offrait chez eux ont disparu; et ce qui leur en est resté, pour servir de signe comme à Caïn, est accompli sans quils le sachent. Ils immolent lagneau, ils mangent des pains azymes : « Car Jésus-Christ, notre agneau pascal, a été immolé pour nous». Je reconnais donc en lui cet Agneau qui a été tué; où sont les azymes? « Cest pourquoi », continue saint Paul, « célébrons notre solennité, non dans le vieux levain ni dans le ferment de la malice et de liniquité » : (il montre par là ce quest le vieux levain, une pâte vieillie et aigrie), « mais avec les azymes de la sincérité et de la vérité 3 » Ils sont
1. Gen. IV, 15. 2. Id. 10. 3. I Cor. V, 7.
demeurés dans lombre sans pouvoir envisager le soleil de justice; mais nous qui sommes dans la lumière, nous recueillons le sang du Christ. Si nous avons une vie nouvelle, chantons un cantique nouveau, une hymne à notre Dieu. « Vous navez pas voulu dholocauste pour le péché; alors jai dit: Me voici». 14. « Il est écrit de moi à la tête de votre livre que jaccomplirai votre volonté; je lai voulu, ô mon Dieu, et votre loi est gravée au fond de mon cur 1 ». Le voici qui revient à ses membres, et lui-même fait la volonté de son Père. Mais au commencement de quel livre est-il écrit de lui? Peut-être au commencement de ce livre des Psaumes. A quoi bon chercher plus loin et feuilleter dautres livres? Voilà quà la tête du livre des Psaumes nous lisons : « Bienheureux lhomme qui nest point allé dans le conseil des méchants, qui ne sest pas arrêté dans la voie des pécheurs, qui ne sest point assis dans la chaire de pestilence, mais qui na dautre loi que la volonté du Seigneur »; ce qui revient à dire : « Je lai voulu, ô mon Dieu, votre loi est gravée dans le fond de mon coeur »; ou bien: « Et qui jour et nuit médite sa loi 2 ». 15. « Jai annoncé votre justice dans une grande assemblée 3 ». Il parle ici aux membres, il les engage à faire ce quil a fait. Il a prêché, prêchons aussi; il a souffert, souffrons avec lui; il a été glorifié, nous serons glorifiés avec lui. « Jai prêché votre justice dans une grande assemblée ». Jusquoù sétend cette assemblée? Dans lunivers entier. Que renferme-t-elle? Toutes les nations. Pourquoi toutes les nations? Parce que cest la postérité dAbraham, dans laquelle tous les peuples doivent être bénis 4. Pourquoi encore toutes les nations? « Parce que leur voix sest répandue par toute la terre 5 » . « Dans une grande assemblée. « Voilà que je ne retiendrai point mes lèvres, Seigneur, vous le savez ». Mes lèvres parlent, et je ne les empêcherai pas de parler. Le sen de mes lèvres arrive aux oreilles des hommes, mais vous connaissez mon coeur. «Je nempêcherai donc point mes lèvres, Seigneur, vous le savez ». Autre est ce quentend lhomme, et autre ce que connaît le Seigneur. Ainsi
1. Ps. XXXIX, 8-10. 2. Id. I, 1,2. 3. Id. XXXIX, l0. 4. Gen. XII, 3 ; XXI, 18. 5. Ps. XVIII, 5.
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donc, parlez des lèvres, mais soyez près de Dieu par le coeur, afin que nous ne prêchions pas seulement des lèvres, et quon ne dise point de nous : « Faites ce quils vous disent et non pas ce quils font 1 » ; ou que lon ne dise pas de ce peuple, dont la bouche loue Seigneur, tandis que le coeur en est loin : « Ce peuple me loue des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 2. Car cest la croyance du coeur qui nous conduit à la justice, et la confession des lèvres qui nous mène au salut 3 ». Cest ce que fit le larron, crucifié avec Seigneur, et qui, à la croix même, le reconnut pour le Seigneur. Dautres ne le reconnurent point aux miracles quil faisait, lui le reconnut à la croix. Il était cloué à la croix par tous ses membres; ses mains y étaient clouées, ses pieds étaient transpercés, son corps était collé au bois; les autres membres de ce corps nétaient point libres; il ne restait que la langue et le coeur; il crut du coeur et il confessa de la langue. « Souvenez-vous de moi», dit-il, « Seigneur, quand vous serez dans votre royaume ». Il croyait son salut bien éloigné encore; il eût été heureux de lobtenir, même après un temps bien long; il espérait pour lavenir, et il nattend pas un jour. «Souvenez-vous de moi », dit-il, « quand vous serez dans votre royaume », et Jésus répond: « En vérité, je vous le dis, aujourdhui vous serez avec moi dans le paradis 4 ».Or, le paradis a des arbres de bonheur: aujourdhui avec moi sur larbre de la croix, aujourdhui avec moi sur larbre du salut. 5. « Voilà que je ne fermerai point mes lèvres, Seigneur, vous le savez », de peur quil ne croie dans son coeur, et que la crainte ne ferme ses lèvres à la confession de sa foi. Il y a des chrétiens, en effet, qui ont la foi dans le coeur ; mais au milieu des païens aux paroles amères, qui nont quune feinte politesse, qui ont lâme corrompue, qui sont sans foi, badins, railleurs, pour peu quon leur fasse un crime dêtre chrétiens, ils nosent confesser des lèvres la foi quils ont dans le coeur, ils interdisent à ces lèvres de dire au dehors ce quils savent, ce quils croient intérieurement. Mais le Seigneur les condamne. «Celui», dit-il, « qui aura rougi de moi devant les hommes, je rougirai de lui devant mon Père 5 », cest-à-dire, je ne
1. Ps. XXIII, 3. 2. Isa. XXIX, 13. 3. Rom. X, 10. 4. Luc, XXIII, 42, 43. 5. Marc, VII, 38.
le connaîtrai point : parce quil a rougi de me confesser en présence des hommes, à mon tour, je le désavouerai devant mon Père. Que les lèvres parlent donc selon le coeur; cest un avis contre la crainte. Que le coeur ait en lui ce que disent les lèvres; cest un conseil contre le déguisement. Souvent la crainte empêche de dire ce que lon sait, ce que lon croit; souvent la dissimulation nous fait dire ce que nous navons pas dans le coeur. Que les lèvres et le coeur soient daccord. En demandant la paix à Dieu, sois en paix avec toi-même; quil ny ait aucun désaccord entre le coeur et les lèvres. « Je ne tiendrai point mes lèvres fermées, Seigneur, vous le savez ». Comment Dieu le sait-il? Et que sait-il? Il voit dans le coeur où lhomme ne voit point. Aussi le Prophète a-t-il dit : « Jai cru ». Le voilà donc qui possède un coeur; il a ce que Dieu veut voir ; et alors quil ne retienne point ses lèvres. Mais il ne les ferme point. Que dit-il en effet ? « Cest pour cela que jai parlé 1». Et comme il a dit ce quil croyait, il cherche ce quil rendra au Seigneur pour le bien que le Seigneur lui a fait, et il ajoute « Je prendrai le calice du salut, et jinvoquerai le nom du Seigneur 2». Il na pas craint cette parole du Seigneur: « Pouvez-vous boire le calice que je boirai moi-même 3 ? » Il confesse de bouche ce quil a dans son coeur, et il en arrive aux souffrances. Mais dans ses souffrances, en quoi lui nuit son ennemi? « Car la mort des justes est précieuse devant la face du Seigneur 4 ». Ces morts auxquelles aboutissait la fureur des païens nous consolent aujourdhui. Nous célébrons la fête des martyrs, nous les prenons pour modèles, nous considérons leur foi, comment ils furent découverts, comment emmenés, quelle fut leur contenance devant les juges. Ils navaient dans lEglise de Dieu aucune hypocrisie, et unis par les liens de la charité, ils confessèrent le Christ ; membres quils étaient, ils ont désiré suivre leur chef. Mais quétaient-ils pour avoir ce désir? Ils étaient patients dans les douleurs, fidèles dans leur confession , véridiques dans leurs paroles. Ils lançaient à la face de leurs interrogateurs, les flèches de Dieu, et leurs blessures enflammaient la colère; ils firent à plusieurs les blessures du salut. Voilà ce que nous nous
1. Ps. CXV, 10. 2. Id. CXV, 13. 3. Matt. XX, 22. 4. Ps. CXV, 15.
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représentons, ce que nous voyons, ce que nous désirons imiter. Voilà les spectacles des chrétiens, que Dieu contemple du haut du ciel; cest à cela quil nous exhorte, pour cela quil nous soutient; cest à ces luttes quil promet et décerne des récompenses. « Je ne tiendrai point mes lèvres fermées ». Garde-toi de craindre et de tenir tes lèvres fermées. « Seigneur, vous le savez » ; mon coeur ressent ce que disent mes lèvres. 17. « Je nai point recélé ma justice dans « mon cur 1 ». Quest-ce à dire: « Ma justice? » Ma foi, parce que « le juste vit de la foi 2 ». Ainsi un persécuteur demande, comme il en avait jadis le pouvoir: Qui es-tu? es-tu païen ou chrétien? Chrétien, répond linterrogé. Voilà sa justice: il a cru et il vit de la foi. Il na pas enfoui sa justice dans son coeur. Il na point dit en son âme: Je crois au Christ, à la vérité; mais à ce persécuteur furieux et menaçant, je ne dirai point que je crois; mon Dieu voit bien ma foi dans mon coeur; il sait que je ne le renonce point. Voilà ce qui est dans ton coeur, jy consens; mais sur tes lèvres? Je ne suis pas chrétien? Alors le témoignage de tes lèvres est contraire à celui de ton coeur. « Je nai point caché ma u justice dans mon cur ». 18. « Jai proclamé votre vérité et votre salut ». Jai chanté votre Christ, qui est « votre vérité comme votre salut o. Doù vient que le Christ est la Vérité? « Je suis la Vérité», a-t-il dit 3. De quelle manière est-il pour lui le salut? Siméon, dans le temple, reconnut le saint Enfant dans les bras de sa Mère, et sécria: « Mes yeux ont vu votre salut 4 ». Le vieillard reconnut lEnfant, il redevint enfant dans lEnfant divin, et se renouvela par sa foi. Il avait reçu une réponse du ciel, et il parla de la sorte; le Seigneur lui avait promis quil ne sortirait point de cette vie sans avoir vu le salut de Dieu. Il est bon que Dieu fasse connaître ainsi le Sauveur aux hommes; mais quils sécrient: « Montrez-nous, Seigneur, votre miséricorde, et donnez-nous votre Sauveur 5», ce Sauveur de Dieu dans toutes les nations. Car, après avoir dit en un endroit: « Que le Seigneur nous prenne en pitié, nous bénisse et projette sur nous la lumière de sa face, afin que sur la terre nous connaissions votre voie 6 » ; il ajoute aussitôt: « Et
1. Ps. XXXIX, 11. 2. Habac. II, 4; Rom. 1,17. 3. Jean, XIV, 6. 4. Luc, II, 30. 5. Ps. LXXXIV, 8. 9. Id. LXVI, 2.
« que les nations connaissent votre salut ». Il dit dabord : « Afin que sur la terre nous connaissions votre voie »; et ensuite: « Que les nations connaissent votre salut». Comme si on lui disait : Quelle est cette voie que tu veux connaître? Les hommes cherchent après la voie; est-ce la voie qui vient aux hommes? Eh bien ! cest votre voie qui est venue vers les hommes, qui les a trouvés dans légarement, et qui a invité à marcher en elle ceux qui étaient en dehors. Marchez en moi, a-t-elle dit, et vous ne vous égarerez pas: « Je suis la voie, la vérité et la vie 1 ». Ne dis donc plus: Où est la voie de Dieu? en quelle contrée dois-je aller? quelle montagne me faut-il gravir? quelles campagnes explorer? Cherches-tu la voie de Dieu? Le salut de Dieu est lui-même la voie de Dieu, et il se trouve partout, parce que le salut du Seigneur est dans toutes les nations. « Jai proclamé votre vérité et votre salut». 19. « Je nai point caché votre clémence ni votre vérité au milieu dun grand peuple 2 ». Soyons donc ce peuple, faisons partie de ce grand corps; ne cachons ni la miséricorde, ni la justice de Dieu. Veux-tu entendre la miséricorde du Seigneur? Retire-toi de tes péchés, et il te pardonnera tes péchés. Veux-tu connaître la vérité du Seigneur? Pratique la justice, et ta justice sera couronnée. On te prêche aujourdhui sa miséricorde, pour te montrer ensuite sa vérité. Car Dieu nest pas miséricordieux jusquà être injuste, ni juste au point de manquer de miséricorde. Est-ce peu de miséricorde pour toi que doublier tes actes jusquà présent? Tu as vécu dans le désordre jusquaujourdhui, tu y vis encore; commence aujourdhui à bien vivre, et tu néchapperas pas à cette clémence. Si telle est la miséricorde, quelle est la vérité? Toutes les nations seront rassemblées devant lui, et ce pasteur séparera les brebis davec les boucs pour mettre les brebis à la droite et les boucs à la gauche. Que dira-t-il aux brebis? « Venez les bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé ». Et aux boucs? « Allez au feu éternel 3 ». Cest là quil ny aura plus de pénitence. Après avoir méprisé la bonté de Dieu, tu en sentiras la justice; mais si tu nas point méprisé sa bonté, sa vérité te remplira de joie. 20. « Pour vous, Seigneur, néloignez pas
1. Jean, XIV, 6. 2. Ps. XXXIX, 11. 3. Matt. XXV, 32, 33, 41.
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de moi vos miséricordes 1 ». Le Christ envisage ses membres malades. Parce que je nai point caché votre miséricorde ni votre vérité au milieu dun grand peuple, de cette Eglise qui est une dans toute la terre; arrêtez vos regards sur les membres malades, sur les coupables, sur les pécheurs, et ne détournez point deux vos miséricordes. « Votre amour et votre vérité veillent toujours sur moi ». Je noserais revenir à vous si je nétais assuré votre pardon; et je ne pourrais persévérer je nétais sûr de vos promesses. « Votre amour et votre vérité veillent toujours sur moi ». Je considère que vous êtes bon, je sais que vous êtes juste; jaime le Dieu bon, je crains le Dieu juste. Lamour et la crainte dirigent, parce que « votre miséricorde et votre vérité veillent toujours sur moi ». Pourquoi ont-elles cette vigilance et ne dois-je point les perdre de vue? « Parce que je suis environné de maux sans nombre 2 ». Qui peut énumérer les péchés? qui peut compter ses propres fautes et celles des autres? Leur poids faisait gémir celui qui a dit: « Purifiez-moi, Seigneur, de mes fautes cachées, et nimputez pas à votre serviteur celles des autres 3 ». Comme si cétait peu de nos propres fautes, nous sommes chargés de celles autres; je crains pour moi; je crains pour mon frère qui est bon; je tolère celui qui est méchant; et sous un tel fardeau, que deviendrons-nous, si la divine miséricorde ne nous soutient? « Mais vous, Seigneur, ne vous éloignez pas de moi ». Demeurez près de moi. De qui le Seigneur sapproche-t-il? De ceux qui ont le coeur brisé 4. Il séloigne des orgueilleux, sapproche des humbles. Car, du haut de son trône, le Seigneur regarde les humbles 5. Mais que lorgueilleux ne croie pas échapper à ses yeux; car « il voit de loin ce qui est élevé ». Il voyait de loin le Pharisien qui se vantait, et il aidait de tout près le publicain qui avouait ses fautes 6. Lun vantait ses mérites et cachait ses blessures ; lautre, sans parler de ses mérites, exposait ses plaies. Il se présentait au médecin, car il se savait malade; il savait quil avait besoin de guérison; il osait lever les yeux vers le ciel et se frappait poitrine; il ne se pardonnait point à lui-même, afin que Dieu lui pardonnât; il voyait ses fautes, afin que Dieu ne les vît plus; il
1. Ps. XXXIX, 12. 2. Id. XXXIX, 12. 3. Id. XVIII, 13, 14. 4. Id. XXXIII, 19. 5. Id. CXXXVII, 6. 6. Luc, XVIII, 11.
se châtiait, afin que Dieu lépargnât. Ainsi parle lauteur sacré; écoutons pieusement ses paroles, aimons-les pieusement, et répétons-les du coeur, de la langue et de tout ce que nous avons de plus intime. Que nul ne se croie juste; celui qui parle est vivant; il vit, et plaise à Dieu quil vive. Il vit encore ici; il vit, mais avec la mort; et si lesprit est vivant à cause de la justice, le corps est mort à cause du péché 1. « Et le corps qui se corrompt, appesantit lâme, et cette habitation terrestre abat lesprit capable des plus hautes pensées 2 ». A toi donc de crier, à toi de gémir, à toi davouer ta misère, mais non de télever, de te vanter, de te glorifier de tes mérites; car si tu as quelque chose dont tu puisses te réjouir, quas-tu que tu naies pas reçu 3? « Je suis environné de maux sans nombre ». 21. « Mes iniquités mont investi, et je nai pu en soutenir la vue 4 ». Il y a quelque chose que nous devons voir; qui donc nous empêche de le voir? Nest-ce point le péché? Pour nous empêcher de voir la lumière, il ne faut, dans notre oeil, quune humeur, quun peu de poussière, quune fumée, un rien qui y pénètre; et cet oeil malade ne peut supporter la lumière; comment élever à Dieu un coeur malade? Ne faut-il pas le guérir, afin que tu voies? Nest-ce pas orgueil de ta part de dire Je verrai et ensuite je croirai? Qui parle de la sorte? Quel est celui qui veut voir et qui dit: Je verrai dabord, puis je croirai?Je veux montrer la lumière, ou plutôt la lumière se veut montrer à moi. A qui? Elle ne peut se montrer à un aveugle, qui ne la voit point. Pourquoi ne la voit-il point? Son oeil est chargé de péchés nombreux. Que dit-il, en effet? « Mes iniquités mont investi, et il ma été impossible de voir ». Il faut donc éloigner les iniquités, remettre les péchés, soulager loeil de son poids, guérir ce qui est malade et appliquer le précepte comme un cuisant collyre. Fais dabord ce qui test commandé; guéris ton coeur, purifie-le, aime ton ennemi 5. Et qui aime son ennemi? Cest toutefois lordre du médecin : il est amer, mais efficace. Que puis-je te faire? dit-il. Telle est ta maladie, que tu seras guéri par là. Il dit même plus Quand tu seras guéri, mon ordonnance ne sera plus difficile; cest avec plaisir que tu
1. Rom. VIII, 10. 2. Sag. IX, 15. 3. I Cor. IV, 7. 4. Ps. XXXIX, 13. 5. Matt. V, 44.
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aimeras ton ennemi; tâche de te guérir. Dans les tribulations, dans les angoisses, dans les tentations, sois fort, sois constant; cest la main dun médecin et non dun larron. Mais, dit le pécheur, après avoir accompli les préceptes, en commençant par la foi; après avoir purifié mon coeur selon vos conseils, que verrai-je, une fois que mon coeur sera guéri, purifié? » Bienheureux ceux dont le coeur est « pur, parce quils verront Dieu 1 ». Pour cela, répond-il, je ne le puis aujourdhui, puisque « je ne puis voir à cause des iniquités qui mont investi ». 22. « Elles sont plus nombreuses que les cheveux de ma tête 2 ». Il prend les cheveux de sa tête pour exprimer un grand nombre. Qui peut compter les cheveux de sa tête? Encore moins ses péchés, plus nombreux que ses cheveux. Ils paraissent petits, mais le nombre en est grand. Tu as évité les plus graves, tu ne commets point ladultère, tu tabstiens de lhomicide, tu ne ravis pas le bien dautrui, tu ne profères ni blasphème, ni faux témoignage : ce sont là les montagnes du péché. Tu as donc évité les plus graves, mais que fais-tu des moindres? Ces moindres, ne les crains-tu pas? Tu as jeté la montagne loin de toi, prends garde que le sable ne tensevelisse. « Mes iniquités sont plus nombreuses que les cheveux de ma tête 3 ». 23. « Et mon coeur a défailli ». Faut-il sétonner que ton coeur soit éloigné de Dieu, quand il sabandonne lui-même? Quest-ce à dire : Mon coeur a défailli? Cest-à-dire, mon coeur ne peut point se connaître lui-même. Voilà ce que signifie: « Mon coeur a défailli ». Cest par le coeur que je veux voir le Seigneur, et je ne le puis, à cause du grand nombre de mes péchés. Cest peu encore : mon coeur ne peut même se comprendre. Non, mon coeur ne se comprend point, que nul ne le croie. Est-ce que Pierre se connaissait dans son propre coeur, quand il disait: « Je serai avec vous jusquà la mort 3? » Il avait dans le coeur une fausse présomption, il y cachait une véritable crainte : et son coeur ne pouvait comprendre son coeur. Son coeur ne se croyait point malade, mais le médecin le voyait. Ce qui lui fut alors prédit saccomplit. Dieu voyait en lui ce que lui-même ny voyait point; cest que son coeur lavait abandonné, cest
1. Matt. V, 8. 2. Ps. XXXIX, 13. 3. Matt. XXVI, 35.
que son coeur était caché à son coeur même. « Et mon coeur a défailli ». Mais quoi ! quels doivent être nos cris? nos paroles? « Quil vous plaise, Seigneur, de me délivrer 1 ». Comme sil disait: « Seigneur, si vous voulez, vous pouvez me guérir 2. Quil vous plaise, Seigneur, de me délivrer, soyez attentif à me secourir ». Ce langage est celui des membres pénitents, des membres qui souffrent, des membres qui crient sous le fer des médecins, mais qui espèrent. « Seigneur, soyez attentif à me secourir ». 24. « Quils soient confondus et couverts de honte, ceux qui cherchent mon âme pour me la ravir 3 ». Dans un autre endroit il se plaint en disant : « Je regardais à droite, et je voyais, et nul ne cherchait mon âme 4 » ; cest-à-dire, nul ne cherchait à mimiter. Cest le langage du Christ dans sa Passion: Je regardais à ma droite, non pas du côté des Juifs impies, mais à ma droite, du côté des Apôtres eux-mêmes. « Et nul ne recherchait mon âme». Ils étaient si loin de rechercher mon âme, que le plus présomptueux renia mon âme 5. Mais comme on peut rechercher un homme, ou pour jouir de son amitié, ou pour le persécuter, le Christ veut ici couvrir de honte et flétrir certains autres qui recherchent son âme. Et pour quon nattribue pas ses paroles le même sens quà sa plainte, quon ne recherche point son âme, il ajoute : « Afin de la ravir » ; cest-à-dire, ils cherchent mon âme avec des desseins de mort : quils soient donc, poursuit-il, confondus et flétris. Beaucoup en effet ont cherché son âme, et nont trouvé que la honte et la confusion; ils ont cherché son âme, et dans leur intention ils la lui ont ôtée ; mais il avait le pouvoir de la donner et le pouvoir de la reprendre 6. Ils tressaillirent donc lorsquil la donna, et furent dans la confusion quand il la reprit. « Quils soient dans la honte et dans la confusion, ceux qui cherchent mon âme pour me la ravir ». 25. « Quils reculent en arrière, chargés dignominie, ceux qui me veulent du mal 7 ». Ne prenons pas en mauvaise part ces paroles : « Quils reculent en arrière ». Cest un bien quil leur souhaite ; cest la parole de celui qui dit sur la croix: « Mon Père, pardonnez-leur, car ils ne savent ce quils
1. Ps. XXXIX, 14. . 2. Matt. VIII, 2. 3. Ps. XXXIX, 15. 4. Id. CXLI. 5. Matt. XXVI, 70. 6. Jean, X, 18. 7. Ps. XXXIX, 15.
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font 1 ». Pourquoi donc leur dit-il de retourner en arrière? Cest que ceux qui auparavant étaient orgueilleux, et tombèrent à la renverse, devinrent humbles et se relevèrent. Quand ils prennent le devant, ils veulent précéder le Seigneur, être plus parfaits que le Seigneur; mais demeurer en arrière, cest reconnaître quil est plus parfait, quil doit marcher devant, et eux venir après, quil doit les guider et eux le suivre. Aussi reprit-il Pierre qui lui donnait un conseil peu sage. Le Seigneur allait souffrir pour notre salut, il annonçait à ses disciples ce qui allait arriver dans sa Passion ; et Pierre lui dit : « Non point, Seigneur, veillez sur vous, il ne vous arrivera rien de tel ». Le voilà qui veut marcher devant le Seigneur, donner des conseils au Maître. Or, pour lui rappeler quil ne doit point précéder, mais suivre: « Arrière, Satan», lui dit le Seigneur. Tu es Satan, dit-il, parce que tu veux marcher devant celui quil te faut suivre : mais si tu marches arrière, et que tu me suives, tu ne seras plus Satan. Que sera-t-il donc? « Sur cette terre jétablirai mon Eglise ». 26. « Quils reculent en arrière chargés dignominie, ceux qui me veulent du mal». Il y a des esprits méchants, qui maudissent leurs coeurs autant quils paraissent bénir. Vous dites à lun: Es-tu chrétien? Sois chrétien à ton tour, répond-il. Cette parole est bonne, et Dieu ne leur en tiendra pas compte, mais du sens quil y ajoute; comme il tint compte aux Juifs du souhait quils firent à laveugle-né quand il fut guéri: accablé de leurs questions arrogantes, « Voulez-vous », dit-il, « devenir aussi ses disciples? » « Les Juifs alors le chargèrent de malédictions», dit lEvangéliste, « ils le maudirent en disant: Pour toi, sois son disciple 2 ». Comme ils le maudissaient, le Seigneur le bénit. Il fit ce quavaient dit les Juifs, et rendit à ceux-ci leurs malédictions. « Quils reculent en arrière, couverts dignominie, ceux qui me veulent du mal ». Quelques-uns, sans être bons, nous souhaitent du bien; il faut sen défier. De même en effet que les premiers, en voulant nous maudire, nous souhaitent pourtant du bien, quoique dans une intention mauvaise; ainsi dautres, avec bonne intention, nous souhaitent ce qui un mal. Voici : tel qui te dit: Sois chrétien,
1. Luc, XXIII, 34. 2. Jean, IX, 21, 28.
te dit du bien, mais avec mauvaise intention; mais que lon vienne te dire : Nul nest meilleur que toi, et que lon tapplaudisse de la sorte dans ta vie criminelle, car le pécheur est loué dans les désirs de son âme, et lon applaudit à celui qui fait le mal 1 ; on tapplaudit pour ton malheur : de même que le premier te maudissait pour ton bonheur, le second te bénit pour ton malheur. Mais fuis, mais évite chacun de ces deux ennemis. Lun sévit, lautre caresse : ni lun ni lautre ne sont bons; lun a recours à la colère, lautre est fourbe dans ses éloges. Evite lun et lautre, et prie pour lun et pour lautre. Car celui qui faisait cette prière : « Quils retournent sur leurs pas, couverts dignominie, ceux qui me veulent du mal », celui-là jette les yeux sur une autre catégorie de fourbes et de méchants, qui nous bénit pour nous perdre : « Que ceux-là soient chargés de leur propre honte, qui me disent: Courage ! courage ! » Ils donnent de fausses louanges: cest un grand homme, un homme de bien, un lettré, un savant; pourquoi est-il chrétien? Ils applaudissent en vous ce que vous ne voudriez pas quon louât; ils blâment ce qui fait votre joie. Mais dis-leur seulement : Pourquoi donc, ô homme, louer en moi la bonté, la justice? Si vous me croyez tel, bénissez Jésus-Christ qui ma fait ainsi. Mais lui: Non pas, ne va point te calomnier toi-même, cest toi qui tes fait ce que tu es. « Quils soient couverts de confusion ceux qui me disent: Courage! courage ! » Quest-il dit ensuite? « Quils tressaillent, quils soient dans la joie, Seigneur, ceux qui vous cherchent 2! » Ce nest pas moi, cest bien vous quils cherchent : Ce nest point à moi quils disent: Courage ! courage ! mais ils voient que si jai quelque sujet de mapplaudir, cest en vous que je me glorifie: « Que celui, en effet, qui se glorifie, se glorifie dans le Seigneur 3. Quils tressaillent, quils soient dans la joie, ceux qui vous cherchent, et quils disent toujours: Que le Seigneur soit glorifié ». Quand le pécheur devient juste, bénis celui qui justifie limpie 4 ; sil reste dans son péché, bénis encore celui qui lappelle au pardon; sil sélance dans la carrière de la justice, bénissons aussi celui qui lappelle à la récompense. « Que le Seigneur
1. Ps. X,3. 2. Id. XXXIX, 17. 3. I Cor. I, 31. 4. Rom. IV, 5.
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reçoive toujours les bénédictions de celui « qui aime son salut ». 27. « Pour moi», à qui ils voulaient tant de mal; « pour moi », dont ils cherchaient lâme afin de la perdre; et, pour parler de cette autre catégorie: « Pour moi », à qui tous criaient : Courage ! courage ! pour moi, « je suis pauvre et dans lindigence ». Il ny a rien en moi que lon puisse louer. Que Dieu déchire mon sac, et me couvre du vêtement de sa gloire. « Je vis, non pas moi, mais le Seigneur vit en moi 1 ». Si le Christ vit en toi, si le bien qui est en toi vient du Christ, tout ce que tu as est du Christ. Ques-tu donc par toi-même? « Je suis pauvre et dans lindigence ». Je ne suis point riche, puisque je ne suis point superbe. II était riche celui qui disait: « Seigneur, je vous rends grâces de ce que je ne suis point comme les autres hommes 2 » ; mais il était pauvre ce publicain qui disait : « Seigneur, ayez pitié de moi qui suis un pécheur ». Lun rejetait le trop plein de son âme, lautre pleurait à la faim. « Je suis pauvre et dans lindigence ». Et que deviendras-tu avec ton indigence et ta pauvreté? Va mendier à la porte du Seigneur; frappe et lon touvrira. « Je suis pauvre et dans lindigence; mais le Seigneur prendra soin de moi. Jette dans le Seigneur tes angoisses, espère en lui et il fera le reste 3 ». Pourquoi te charger de toi-même? Comment pourvoir à tes besoins? Abandonne ces soins à celui qui ta fait. Si, même avant que tu fusses, il a pris soin de toi, comment tabandonnerait-il, maintenant que tu es ce quil te voulait? Car déjà tu es fidèle et tu marches dans les voies de la justice. Il tabandonnerait, « Celui qui fait luire son soleil sur les bons et sur les méchants, et pleuvoir sur les justes et sur les injustes 4 », alors que dans ta justice tu vis de la foi? il pourrait te mépriser 5, te négliger, te rejeter? Loin de là, puisquil a soin de toi dès ce monde; il te vient en aide, il te donne ce qui est nécessaire, écarte ce qui est nuisible. Te donner, cest te consoler, pour que tu demeures ferme; te reprendre, cest te châtier, de peur que tu ne périsses. Le Seigneur a donc soin de toi, ne tinquiète point. Il te porte, celui qui ta fait ; garde-toi déchapper à la main de ton Créateur; échapper à cette main, cest te briser dans ta chute.
1. Gal. II, 20. 2. Luc, XVIII, 11, 13. 3. Ps. LIV, 23. 4. Matt. V, 45. 5. Rom. I, 17.
Cest leffet de la bonne volonté que tu de. meures dans les mains de ton Créateur. Dis alors: Mon Dieu la voulu, il me portera, il me soutiendra. Jette-toi donc dans ses bras: ne crois pas ty précipiter comme dans le vide; loin de toi cette pensée. Cest lui qui a dit: « Je remplis le ciel et la terre 1». Il ne te manquera nulle part; pour toi, ne lui manque jamais, ne te manque pas à toi-même. 28. « Cest vous, Seigneur, qui êtes mon soutien, mon protecteur, ne tardez point 2». Il prie, il implore, il craint de manquer de courage : « Ne tardez point ». Que signifie: « Ne tardez point? Si ces jours neussent été abrégés, nulle chair neût pu être sauvée 3». Voilà ce que nous lisions tout à lheure à propos des jours de tribulation. Ce sont les membres de Jésus-Christ qui invoquent le Seigneur comme sils ne formaient quun seul homme, quun seul corps du Christ, répandu dans toute la terre, un seul mendiant, un seul pauvre ; car il est pauvre aussi, lui qui de riche est devenu pauvre, selon cette parole de lApôtre : « Etant riche, il est devenu pauvre, afin de vous enrichir de sa pauvreté 4». Il enrichit les vrais pauvres, il appauvrit les faux riches. Cest ce pauvre qui crie à Dieu : « Des extrémités de la terre, je crie vers vous, quand mon âme est dans lennui 4 ». Voici venir les jours des tribulations, et des plus grandes tribulations; ils viendront, selon le témoignage de lEcriture; et à mesure quils approchent, les tribulations saccroissent. Que nul ne se promette ce que lEvangile ne promet point. Je vous conjure, mes frères, dexaminer si les Ecritures nous ont trompés en rien; si elles ont fait une prédiction, et quil soit arrivé le contraire de ce qui était prédit : il est de toute nécessité que tout arrive comme elles lont marqué. Or, les Ecritures nont dautres promesses pour cette vie, que peines, quafflictions, quangoisses, que surcroîts de douleurs, que tentations sans nombre. Cest à tout cela quil faut nous pré. parer , de peur dêtre surpris et de tomber dans le découragement. « Malheur aux femmes enceintes, aux nourrices 6 » vous venez de lentendre. Les femmes enceintes figurent ceux qui- sont enflés despoir; les nourrices, ou celles qui allaitent, marquent ceux qui jouissent de ce quils ont désiré. Une
1. Jérém. XXIII, 24. 2. Ps. XXXIX, 18. 3. Matt. XXIV, 22 4. II Cor. VIII, 9. Ps. LI, 3. 6. Matt. XXIV, 19.
femme enceinte, en effet, a lespérance dun fils, mais dun fils quelle ne voit pas encore; celle qui allaite, embrasse le fils quelle espérait. Prenons, pour plus de lumière, une comparaison : Quelle villa magnifique a mon voisin! si elle mappartenait! comme je la joindrais à la mienne, et des deux nen ferais quune seule! Lavarice aussi aime lunité : ce quelle aime est un bien ; mais elle ne sait où il faut laimer. Cet homme convoite la terre de son voisin, mais ce voisin est riche, il na besoin de rien, il a des honneurs, il a même de la puissance, et il y a plus de motifs peut-être dappréhender sa puissance, quil ny en a despérer sa terre : notre avare nespérant rien, ne conçoit pas, son âme ne ressemble pas à la femme enceinte. Mais que le voisin soit pauvre, quil se trouve dans la nécessité de vendre son bien ou quon puisse ly forcer, notre avare ouvre les yeux, il espère la villa son âme est enceinte, elle a lespoir quelle pourra acquérir et posséder la terre dun voisin pauvre. Et lorsque ce voisin dans lindigence, pressé par le besoin, vient trouver son voisin riche, pour lequel peut-être il est dordinaire obséquieux, pour qui il a de la déférence jusquà se lever à son arrivée, le saluer en inclinant la tête; prêtez-moi, je vous en prie, dit-il, je suis dans le besoin, un créancier me presse. Je nai rien sous la main, répond le riche, qui aurait si lautre voulait vendre. Nous savons tout cela, nous avons eu de ces gens parmi nous; puissions-nous nen plus avoir! Nous ne sommes pas dhier, nous ne sommes pas pour aujourdhui seulement; il est temps encore de se corriger : nous nen sommes pas encore à cette séparation des uns à droite, des autres à gauche 1 ; nous ne sommes pas encore dans les enfers, où était c riche qui soupirait après une goutte deau 2: écoutons pendant que nous sommes en vie, et corrigeons-nous. Ne désirons pas le bien des autres, afin de ne ressembler pas aux femmes enceintes; ne les possédons point, afin de ne point les embrasser, comme on embrasse des enfants : « Malheur aux femmes qui seront en ces jours enceintes , ou nourrices ». Il faut changer, il faut élever notre coeur, ne pas demeurer de coeur ici-bas. Cest une région maudite, quil nous suffise
1. Matt. XXV, 33. Luc, XVI, 22.
de la nécessité dy demeurer de corps; ne faisons rien de ce qui nest pas nécessaire. Quà chaque jour suffise sa peine 1; et que notre coeur habite plus haut. « Si vous êtes ressuscités avec le Christ (dit lApôtre aux fidèles, qui reçoivent le corps et le sang du Seigneur) « si vous êtes ressuscités avec le Christ, ayez du goût pour les choses du ciel, où Jésus-Christ est assis à la droite de Dieu. Cherchez les choses den haut , et non les choses de la terre. Car vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec Jésus-Christ 2 ». Ce qui nous est promis napparaît pas encore; il est préparé, mais vous ne le voyez point. Tu es gros de désirs, sois-le de ces désirs-là; que telle soit ton espérance : et alors tu aboutiras à un enfantement certain, non plus à un avortement, ni à rien dici-bas; tu embrasseras dans léternité le fruit que tu auras mis au monde. Cest ainsi que le prophète Isaïe sécriait : « Nous avons conçu et nous avons enfanté un souffle de salut 3 ». Tout cela est donc dans léloignement, on ne le donne point aujourdhui, mais un jour on le donnera. Combien Dieu nous a-t-il déjà donné? qui pourra compter ses dons daprès les saintes Ecritures ? Il y est parlé de lEglise, nous la voyons établie; il y est parlé de la destruction des idoles, et nous voyons quelles ne sont plus; il y est écrit que les Juifs perdront leur royaume, cest ce que nous voyons; il y est écrit quil y aura des hérétiques dans lavenir, et nous les voyons; il y est parlé du jour du jugement, il est parlé encore de la récompense des bons, de la peine des méchants; et Dieu, que nous voyons fidèle en tout le reste, pourrait-il faiblir et nous tromper en ce dernier point? « Le Seigneur prendra soin de moi. Cest vous, ô mon Dieu, qui êtes mon soutien, mon protecteur; ô mon Dieu, ne tardez point. Si ces jours neussent été abrégés, nulle chair neût pu être sauvée; mais ils seront abrégés en faveur des élus ». Ces jours seront des jours de tribulation et ne seront pas aussi longs quon le croit. Ils passeront avec rapidité, et alors viendra le repos qui ne passera point, quoiquon doive, ce semble, acquérir par une longue douleur un bien sans limite.
1. Matt.VI, 34. 2. Colos. III, 1-3. 3. Isa. XXVI, 18. 4. Matt. XXIV, 22.
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