PSAUME XLII
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DISCOURS SUR LE PSAUME XLII

SERMON AU PEUPLE.

LES GÉMISSEMENTS DES SAINTS.

 

 

Ce discours fut prêché un jour de jeûne, dans l’après-midi. Saint Augustin y relève les gémissements du bon grain mêlé à la paille, et demandant à Dieu d’en être séparé par le jugement.  C’est Dieu qui nous donne le courage de les supporter ici-bas; qui nous donnera la lumière, nous fera approcher de son autel pour fortifier l’homme nouveau. Appliquons-nous à la justice, confessons le Seigneur, faisons les oeuvres sanctifiantes de l’aumône, du jeûne, de la prière, et Dieu nous exaucera.

 

 

1. Ce psaume est court; il convient ainsi à l’avidité des auditeurs et n’incommode point ceux qui sont à jeun. Nourrissons-en notre âme qui est triste, si l’on en croit celui qui chante le psaume; tristesse qu’il attribue, je crois, à un certain jeûne, ou plutôt à une certaine faim qu’elle endure. Car le jeûne est un acte de volonté, la faim vient de la nécessité. L’Eglise endure la faim, le corps de Jésus-Christ a faim, cet homme répandu dans tout le monde, dont la tête est dans le ciel et les membres sur la terre. Comme il parle dans tous les psaumes pour y chanter ou y gémir, pour tressaillir de ce qu’il espère, ou pour soupirer de ce qu’il endure, nous devons connaître sa voix, être familiarisés avec elle, puisqu’elle est la nôtre. Ne nous arrêtons pas davantage à vous dire quel est celui qui parle ici;que chacun de vous soit dans le corps du Christ, et alors chacun de vous parlera.

2. Vous connaissez tous ceux qui avancent dans la vertu, qui gémissent au souvenir de la patrie céleste, qui savent qu’ils sont ici-bas en exil, qui marchent dans la voie droite, qui s’affermissent dans le désir de la patrie céleste comme sur une ancre solide; vous savez, dis-je, que cette race de chrétiens, cette bonne semence, ce froment du Christ, gémit sur la terre avec la zizanie, et cela jusqu’au temps de la moisson, c’est-à-dire jusqu’à la fin des siècles, ainsi que nous l’expose l’infaillible vérité 1. Il gémit donc au milieu de la zizanie, c’est-à-dire parmi les méchants, les hommes de la fraude et de la séduction, ceux que trouble leur colère, ou qui s’empoisonnent par leurs ruses. Il comprend qu’il est avec eux dans le inonde entier comme dans un seul champ, qu’il reçoit la même pluie, les mêmes tempêtes, qu’il croît avec eux au milieu des maux de cette vie, qu’il partage avec eux les mêmes dons que Dieu accorde indistinctement aux bons et aux méchants, « lui qui fait lever son soleil sur les bons et « sur les mauvais, et qui fait pleuvoir sur les «justes comme sur les injustes 2». Ce germe saint, cette race d’Abraham, voyant combien de vicissitudes lui sont communes avec ceux dont elle doit être un jour séparée, qui naissent comme elle, qui partagent avec elle les conditions de la vie humaine, qui portent comme elle une chair périssable, qui jouissent de la même lumière, des mêmes eaux, des mêmes fruits, qui partagent le bonheur comme le malheur de cette vie, la disette ou l’abondance, la paix ou la guerre, la santé ou la maladie; elle voit que tout lui est commun avec les méchants, bien que sa cause ne leur soit pas commune; et alors elle s’écrie « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie 3. Jugez-moi », dit-elle, « ô mon Dieu ». Je ne crains pas votre

 

1. Matt. XIII, 18. — 2. Id. V, 45. — 3. Ps. XLII, 1.

 

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jugement, parce que je connais votre miséricorde. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle d’un peuple impie ». Maintenant que je suis dans ces contrées de l’exil, vous ne faites encore aucune séparation locale, parce que je vis avec l’ivraie, jusqu’au temps de la moisson1; vous ne me donnez pas une pluie à part, non plus qu’une lumière à part; seulement, séparez ma cause. Mettez une différence entre celui qui croit en vous et celui qui n’y croit point. Semblables par la faiblesse, ils diffèrent par la conscience; le labeur est le même, les désirs sont opposés. Les désirs des méchants périront; mais le désir des justes pourrait nous laisser des doutes, si l’auteur des promesses n’était infaillible. Le terme de nos désirs est celui-là même qui nous a fait les promesses. Il se donnera, parce qu’il s’est déjà donné; il se donnera immortel à des hommes immortels, lui qui s’est donné mortel à des mortels. « Jugez-moi, ô Dieu, et séparez ma cause de celle de la nation impie. Délivrez-moi de l’homme impie et trompeur » ; c’est-à-dire, d’un peuple qui n’est pas saint. Délivrez-moi de l’homme, dit le Prophète, c’est-à-dire, d’une certaine race d’hommes. Car il y a homme et homme; et de ces deux, l’un sera pris, l’autre sera laissé 2.

3. Mais parce qu’il faut de la patience pour supporter, jusqu’à la moisson, ce que j’appellerais, si je le pouvais, une séparation non séparée; car l’ivraie est avec le froment, et alors ils ne sont pas encore séparés; mais l’ivraie c’est l’ivraie, et le froment c’est le froment, et alors il y a déjà une distinction; donc parce qu’il faut de la force, implorons-la de celui qui nous a ordonné d’être forts; et, si lui-même ne nous rend forts, nous ne serons point tels qu’il nous veut. Demandons la force à celui qui a dit : « Celui-là sera sauvé qui aura persévéré jusqu’à la fin 3»; et de peur de s’affaiblir en s’arrogeant la force, l’âme ajoute aussitôt: « C’est vous, Seigneur, qui êtes ma force; pourquoi une rejeter? pourquoi marché-je dans la tristesse, quand mon ennemi m’afflige? » L’âme recherche la cause de sa tristesse : « Pourquoi, dit-elle, marché-je dans la douleur sous l’oppression de mon ennemi? » Je marche dans la tristesse, mou ennemi me harcèle chaque jour de ses vexations, en me

 

1. Matt. XIII, 10. — 2. Id. XXIV, 40. — 3. Id. X, 22.

 

 

suggérant ce qu’il est mal d’aimer ou mal de redouter; et mon âme, en résistant à cette double suggestion, sans être vaincue, est b néanmoins en danger; alors, saisie de tristesse, elle dit à Dieu: Pourquoi? Qu’elle s’informe près de lui et qu’elle entende ce pourquoi. Elle cherche dans le psaume la cause de sa douleur, en disant: « Pourquoi m’avez-vous repoussée, pourquoi marché-je dans la tristesse ? » Qu’elle l’apprenne d’Isaïe, qu’elle se souvienne du passage que l’on vient de lire : « L’esprit », dit-il, « sortira de moi; et c’est moi qui ai fait tout ce qui respire; j’ai quelque peu contristé ce peuple à cause de son péché; j’ai détourné de lui ma face, et il est devenu triste, et il s’en est allé tout affligé dans sa voie 1 ». Quelle est donc ta question: « Pourquoi me repousser? pourquoi marché-je dans la tristesse? » Tu l’as entendu: à cause du péché. La cause de ta tristesse est donc le péché; puisse la justice être la cause de ta joie! Tu voulais du péché sans vouloir souffrir, C’était peu à tes yeux que ta propre injustice, tu as voulu rendre injuste celui-là même dont tu récusais les châtiments, Ecoute cette parole plus équitable d’un autre psaume : « Vos humiliations sont un bien pour moi, afin que j’apprenne votre justice 2 ». Dans mon orgueil j’avais appris mes iniquités; que j’apprenne votre justice dans l’humilité. « Pourquoi marcher tristement sous l’oppression de mon ennemi? » Tu te plains de l’ennemi; il t’afflige, en effet; mais tu lui en as donné l’occasion. Et maintenant qu’il y a remède, forme un bon dessein; admets en toi ton roi et bannis le tyran.

4. Mais écoutez ce que dit le Prophète pour en arriver là, les supplications qu’il emploie, l’humble prière qu’il fait. Prie toi-même comme tu entends prier, et prie lorsque tu entends; que, cette parole soit unanime pour nous : « Envoyez votre lumière et votre vérité: elles m’ont guidé, elles m’ont introduit sur votre montagne sainte et dans votre vestibule 3 ». Votre lumière est en même temps votre vérité; il y a deux noms, mais un seul objet. Qu’est-ce eu effet que la lumière de Dieu, sinon la vérité de Dieu? Ou qu’est-ce que la vérité de Dieu, sinon la lumière de Dieu? Et l’une et l’autre forment un seul Jésus-Christ. « Je suis la lumière du monde: celui qui croit en moi ne marchera point

 

1. Isa. LVII, 16, 17. — 2 Ps. CXVIII, 71. — 3. Id. XLII, 3.

 

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dans les ténèbres. Je suis la voie, la vérité et la vie 1». C’est lui qui est la lumière, lui qui est la vérité. Qu’il vienne donc et nous délivre, en séparant notre cause de celle d’un peuple impie, qu’il nous arrache à l’homme de l’iniquité, de la fourberie; qu’il sépare le froment de l’ivraie; car au temps de la moisson, il enverra ses anges qui arracheront de son royaume tous les scandales, et les jetteront dans la fournaise ardente; mais le froment, ils le mettront dans ses greniers 2. Il enverra sa lumière et sa vérité, parce que ce sont elles qui  nous ont déjà guidés et qui nous introduiront sur la montagne sainte et dans son vestibule. Nous avons des gages, espérons la récompense promise. Cette montagne sainte, la sainte Eglise du Christ. Telle est cette montagne qui, selon la vision de Daniel, de petite pierre d’abord, a pris de l’accroissement au point de renverser les royaumes de la terre, et qui dans son étendue renferme le monde entier 3. C’est de cette montagne encore qu’a été exaucé, nous dit-il, celui qui s’écrie: « Mes clameurs se sont élevées jusqu’au Seigneur, il m’a exaucé du haut de sa montagne sainte 4». Qu’il n’espère aucunement être exaucé pour la vie éternelle, celui qui prie en dehors de cette montagne. Il est beaucoup d’hommes qui se voient exaucés en bien des points. Qu’ils ne s’applaudissent pas de ce que Dieu les exauce ; car les démons furent exaucés et envoyés dans les pourceaux 5. Désirons être exaucés pour la vie éternelle, désir qui nous fait dire à Dieu : « Envoyez votre lumière et votre vérité». Cette lumière veut les yeux du coeur. « Bienheureux en effet », est-il dit, « ceux dont le coeur est pur, car ils verront Dieu 6 ». Nous sommes aujourd’hui sur cette montagne, c’est-à-dire dans son Eglise, dans sa tente. La tente est le palais des voyageurs, la maison est pour ceux qui doivent l’habiter à demeure. La tente sert aussi pour les voyageurs et les gens de guerre. Au nom de tente, souviens-toi de la guerre, veille à l’ennemi. Mais quel sera le palais? « Bienheureux ceux qui habitent votre palais, vous béniront dans les siècles des siècles 7 ».

8. Arrivés au tabernacle, et affermis sur la montagne sainte, qu’avons-nous à espérer? « Et je m’approcherai de l’autel de Dieu ». Il

 

1. Jean, VIII, 12 ; XIV, 6. — 2. Matt. XIII, 41- 43. — 3. Dan. II, 35. — 4. Ps. III, 5. — 5. Matt. VIII, 32,— 6.  Id. V, 8.— 7. Ps. LXXXIII, 5.

 

 

est en effet un autel sublime, invisible, dont n’approche pas l’homme injuste. Celui-là seul peut en approcher, qui s’approche avec sécurité de l’autel d’ici-bas : c’est là qu’il trouvera la vie, si dès ici-bas il a séparé sa cause. « Je m’approcherai de l’autel de Dieu » ; de sa montagne sacrée, de son tabernacle, de sa sainte Eglise, je passerai à cet autel de Dieu qui est dans le ciel. Quel est le sacrifice que l’on y offre? Celui même qui en approche est offert en holocauste. « Je m’approcherai de l’autel du Seigneur ». Qu’est-ce à dire, de l’autel du Seigneur? « Du Dieu qui réjouit ma jeunesse ». Jeunesse veut dire ici nouveauté; c’est comme s’il disait : Du Dieu qui me réjouit dans mon renouvellement. Il remplit de joie l’homme nouveau, après avoir affligé le vieil homme. Je marche contristé maintenant par ma vieillesse; devenu l’homme nouveau, je serai ferme et plein de joie. Alors « ô Dieu, mon Dieu, je chanterai vos louanges sur la harpe ». Qu’est-ce que chanter les louanges de Dieu sur la harpe, et sur le psaltérion ? Car on ne prend pas toujours le psaltérion, ni toujours la harpe. Ces deux instruments de musique ont entre eux une différence bien marquée, digne d’être examinée et confiée à la mémoire. La main porte l’un et l’autre, touche l’un et l’autre; et ils désignent certaines oeuvres dont le corps est l’instrument. L’un et l’autre sont harmonieux, pourvu qu’on touche bien du psaltérion, qu’on touche bien de la harpe. Mais on nomme psaltérion cet instrument qui a la tortue ou la voûte à sa partie supérieure, c’est-à-dire ce tambour, ce bois creux sur lequel on appuie les cordes qui doivent résonner ; dans la harpe, au contraire, ce même bois est à la partie inférieure; de là vient la nécessité de distinguer si nos oeuvres sont faites sur la harpe ou sur le psaltérion, bien qu’elles soient également agréables à Dieu, harmonieuses pour ses oreilles. Aussi, quand nous agissons selon les préceptes du Seigneur, avec l’intention de lui obéir et d’accomplir ses préceptes, si nos oeuvres ne sont le fruit d’aucune peine, c’est là chanter sur le psaltérion. C’est l’oeuvre des anges, qui sont supérieurs aux souffrances. Mais quand nous devons lutter ici-bas contre la douleur, la tentation, le scandale, comme nous ne souffrons que dans la partie inférieure de l’âme, c’est-à-dire à cause de notre condition mortelle, et parce que notre origine première

 

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nous a soumis à la peine, et que ces nombreuses tribulations ne viennent point d’en haut, c’est là chanter sur la harpe. Car alors c’est d’en bas que s’exhale cette harmonie suave. Nous souffrons et nous chantons sur le psaltérion, ou plutôt, nous chantons et nous jouons de la harpe. Quand l’Apôtre disait que pour obéir à Dieu il annonçait l’Evangile et le prêchait par toute la terre, parce qu’il n’avait reçu, disait-il, cet Evangile ni d’un homme, ni par l’intermédiaire d’un homme, mais bien de Jésus-Christ, les cordes de sa harpe résonnaient d’en haut; mais quand il disait: « Nous mettons notre gloire dans les afflictions, sachant que l’affliction engendre la patience, la patience la pureté, et la pureté l’espérance », sa harpe résonnait d’en bas, et néanmoins avec harmonie. Car toute patience est agréable à Dieu. Mais c’est briser la harpe que défaillir dans la tribulation. Comment donc dit-il maintenant : « Je vous chanterai sur la harpe? » parce qu’il avait dit: « Pourquoi marcher dans la tristesse quand l’ennemi m’afflige? » Il souffrait alors dans son âme inférieure, et néanmoins il voulait en cela plaire à Dieu, il brûlait du désir de lui rendre grâces en souffrant avec courage : et comme il ne pouvait vivre ici-bas sans souffrir, il était redevable à Dieu de sa patience. « Je vous chanterai sur la harpe, ô Dieu, mon Dieu ».

6. Et s’adressant à son âme, pour tirer des sous suaves de ce bois inférieur et harmonieux: « D’où te vient cette tristesse », lui dit-il, « ô mon âme, et pourquoi me troubler? » Dans la peine où je suis, dans les langueurs, dans les chagrins, pourquoi me troubler, ô mon âme? Quel est l’interlocuteur? et à qui s’adresse-t-il? Il parle à son âme, nous le voyons tous ; il est clair que le discours est pour elle. « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » On demande qui est l’interlocuteur. Est-ce la chair qui s’adresse à l’âme, cette chair qui sans l’âme ne parle point? Il convient mieux en effet à l’âme de s’adresser à la chair, qu’à la chair de s’adresser à l’âme. Toutefois il n’est pas dit : D’où te vient cette tristesse, ô ma chair; mais bien: D’où te vient cette tristesse, ô mon âme? S’il s’adressait à la chair, il ne dirait peut-être pas: D’où te vient ta tristesse; mais: D’où te vient ta douleur; car la douleur de l’âme s’appelle tristesse, tandis que ce que l’on souffre dans la chair s’appelle douleur et ne peut se dire tristesse. Et pourtant, la douleur corporelle produit d’ordinaire la tristesse de l’âme. Mais il n’en est pas moins une différence entre la douleur et la tristesse; car la douleur est pour la chair, la tristesse pour l’âme. Aussi est-il dit clairement: « Pourquoi, mon âme, es-tu triste? » Car ce n’en point l’âme qui s’adresse à la chair, puisqu’il ne dit point: D’où te vient cette tristesse, ému chair? ce n’est pas non plus la chair qui s’adresse à l’âme; il serait absurde qu’un inférieur parlât ainsi au supérieur.  Nous comprenons dès lors qu’il est en nous une image de Dieu, c’est-à-dire l’esprit et la raison. C’est l’esprit qui tout à l’heure en appelait à la lumière de Dieu, et à la vérité de Dieu. C’est lui qui nous apprend ce qui est juste et ce qui est injuste; lui qui nous fait discerner le vrai du faux; lui que l’on appelle intelligence, et qui n’est point dans les bêtes; lui que nul ne peut négliger en lui préférant tout le reste et en se méprisant comme s’il n’en avait point, sans entendre ces reproches du Psalmiste: « Gardez-vous de ressembler au cheval et au mulet, qui n’ont point d’intelligence 1». C’est donc en nous l’esprit qui s’adresse à l’âme. Celle-ci est abattue par la tribulation, fatiguée par les angoisses, resserrée par les tentations, accablée sous les travaux. L’esprit qui reçoit d’en haut la vérité, relève cette âme en disant: « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler? »

7. Voyez si ce langage ne nous reporte point à ce conflit dont nous parle saint Paul, figure alors de beaucoup de chrétiens, de nous-mêmes peut-être, quand il disait : « Selon l’homme intérieur, je trouve du plaisir dans la loi de Dieu, mais je sens dans mes membres une autre loi 2 »; c’est-à-dire, des mouvements de la chair: et dans cet antagonisme, comme saisi d’un certain désespoir, il invoque la grâce de Dieu: « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps de mort? la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur 3? » Tels sont les lutteurs que Notre. Seigneur a daigné personnifier en lui quand il a dit: « Mon âme est triste jusqu’à la mort 4 ». Car il savait ce qu’il était venu faire au monde. Pouvait-il craindre les souffrances. celui qui avait dit: « J’ai le pouvoir de donner ma vie, et le pouvoir aussi de la

 

1. Ps. XXXI, 9.— 2. Rom. VII, 22.— 3. Id. 25.— 4. Matt. XXVI, 38,

 

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reprendre; nul ne peut me l’ôter, mais je la donne moi-même, afin que je la reprenne le nouveau 1? » Or, en disant: « Mon âme est triste jusqu’à la mort», il figurait quelques-uns de ses membres. Souvent, en effet, l’âme croit sincèrement , elle croit que l’homme, selon les enseignements de la foi, passera au sein d’Abraham; elle le croit, et néanmoins, quand elle arrive à l’heure la mort, elle se trouble à cause de ses habitudes en cette vie; elle se relève pourtant afin d’entendre la voix intérieure de Dieu, jusqu’à saisir intérieurement une spirituelle harmonie. Car, dans le silence, une mélodie céleste se fait entendre, non plus aux oreilles, mais à l’âme; en sorte que tout bruit du corps devient un ennui pour celui qui choisit cette mélodie, et que toute la vie humaine n’est plus qu’un bruit fâcheux, qui l’empêche d’entendre ce concert plein de charmes, ravissant, ineffable. Qu’un trouble, en effet, vienne l’en distraire, l’homme souffre violence; et, s’adressant à son âme: « Pourquoi», lui dit-il, «  cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Serait-ce peut-être parce qu’il est difficile que la vie soit pure au jugement de celui qui sait juger avec tant d’exactitude et de  lumière? Bien qu’une vie soit irréprochable aux yeux des hommes, et qu’ils n’y puissent rien reprendre avec justice , les yeux de Dieu sont perspicaces, la règle de sa justice n’est point sujette à l’erreur, et il trouve à reprendre dans un homme ce que les hommes n’y voyaient point de blâmable, ce que ne découvrait pas intérieurement celui-là même qui est jugé. Telles sont, peut-être, les appréhensions qui troublent notre âme ; et l’esprit lui jetterait cette apostrophe: Pourquoi te troubler à cause de tes péchés que tu ne peux éviter entièrement? «Espère dans le Seigneur, car je le confesserai de nouveau ». Ce dialogue guérit une partie de ses maux, une fidèle confession purifie le reste. Crains donc si tu dis que tu es juste, si tu n’es pénétré de cette autre parole du psaume : «  N’entrez point en jugement avec votre serviteur». Pourquoi : «N’entrez point en jugement avec votre serviteur? » C’est que j’ai besoin de votre miséricorde. Et si votre miséricorde n’est pour rien dans votre jugement, où irai-je ? « Si vous examinez toutes les iniquités, Seigneur, qui pourra tenir

 

1. Jean, X, 17, 18.

 

 

devant vous, ô mon Dieu  1? » « N’entrez donc point en jugement avec votre serviteur, car nul homme vivant ne paraîtra juste devant vous 2 ». Donc, si nul homme vivant n’est juste en votre présence, malheur à quiconque vit ici-bas, quelle que soit la pureté de sa vie, si Dieu entre en jugement avec lui! C’est pourquoi Dieu, par un autre prophète, prend ainsi à partie les hommes arrogants et superbes : « Pourquoi vouloir entrer en jugement avec moi? vous m’avez tous abandonné, dit le Seigneur 3». Garde-toi donc d’entrer en jugement avec Dieu; efforce-toi d’être juste, et, quelle que soit ta justice, fais l’aveu de tes fautes; espère toujours la miséricorde; et, dans cet humble aveu, dis sans crainte à cette âme qui te trouble et qui se

soulève contre toi: « D’où te vient cette tristesse, ô mon âme, et pourquoi me troubler ? » Tu voulais peut-être espérer en toi-même? « Espère en Dieu», non pas en toi. Qu’es-tu par toi-même? Qu’il soit pour toi la santé, celui qui a souffert tant de blessures pour toi. « Espère dans le Seigneur », dit le Prophète, « car je le confesserai de nouveau». Que lui confesseras-tu? « Qu’il est le salut à mes yeux, qu’il est mon Dieu ». Vous êtes le salut qu’attendent mes yeux, et vous une guérissez. Malade, je m’adresse à vous: je vous reconnais pour mon médecin, et je ne vante point ma santé. Qu’est-ce à dire : Je reconnais en vous mon médecin, et je ne vante point ma santé? C’est ce qui est marqué dans un autre psaume: « J’ai dit: Seigneur, ayez pitié de moi, guérissez mon âme, car j’ai péché contre vous 4».

8. C’est là, mes frères, une parole sûre: mais veillez à faire de bonnes oeuvres. Touchez du psaltérion, en obéissant aux préceptes ; touchez de la harpe, en souffrant les maux de ce monde. Vous venez d’entendre cette parole d’Isaïe: « Partage ton pain avec celui qui a faim 5 ». Ne va pas croire qu’il suffise de jeûner. Ton jeûne peut t’affliger, mais sans soulager le pauvre. Tes angoisses te seront fructueuses, quand elles soulageront la peine des autres. Voilà que tu refuses quelque chose à ton âme, à qui donneras-tu ce que tu t’es retranché? Où mettras-tu ce que tu as ainsi épargné? Combien le dîner dont aujourd’hui nous nous sommes privés aurait pu nourrir

 

1. Ps. CXXIX, 3.— 2. Id. CXLII, 2.— 3. Jérém. II, 29, — 4. Ps. XL, 5. — 5 . Isa. LVIII, 7.

 

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de pauvres! Jeûne donc de manière à te réjouir de ton dîner qu’un autre aura mangé, afin que tu sois exaucé dans tes prières. Le Prophète nous dit au même endroit: « Lorsque tu auras de bon coeur partagé ton pain avec celui qui a faim, tu parleras encore que je dirai: Me voici 1 ». On fait souvent l’aumône avec chagrin et avec murmure, pour échapper aux importunités d’un mendiant, et non pour soulager la faim qui le presse. Or, Dieu aime celui qui donne avec joie 2. Si tu ne donnes ton pain qu’avec tristesse, ton pain est perdu comme ton mérite. Agis donc de

 

1. Isa. LVIII, 9, 10.— 2. II Cor. IX, 7.

 

bon coeur, afin que celui qui voit à l’intérieur te dise : « Me voici » , quand tu parleras encore. Comme Dieu accueille promptement les prières de ceux qui font le bien! et les oeuvres qui justifient un homme en cette vie, ce sont le jeûne, l’aumône et la prière. Veux. tu que ta prière vole jusqu’à Dieu? donne-lui deux ailes : le jeûne et l’aumône. Puisse-t-il nous trouver tels; afin que la lumière de Dieu nous trouve en sûreté, comme la vérité de Dieu, quand viendra nous délivrer de la mort celui qui est venu subir la mort pour nous. Ainsi soit-il!

 

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