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PREMIER DISCOURS SUR LE PSAUME XLVIII.PREMIER SERMON. LEMPLOI DES RICHESSES.
Limpie jouissant du bonheur temporel, et le juste qui en est privé, voilà pour beaucoup la pierre de scandale. Les nations désignent les impies; les habitants de la terre, les justes. Les riches peuvent être pauvres, sils ne comptent pas sur leurs richesses, et les pauvres sont riches quand ils les désirent. Ecoutons de manière à comprendre et nous verrons Dieu pour jouir de lui, non pour le fuir, comme ceux qui ont compté sur leur force, sur leur bien, sur leurs amis, qui se sont fait de magnifiques tombeaux pour y demeurer, mais dont lâme va au feu éternel, et qui laissent leurs biens à des étrangers ou à ceux qui ne peuvent les secourir.
1. Toutes les paroles de lEcriture sont utiles à ceux qui les comprennent bien, mais dangereuses pour ceux qui les veulent accommoder à la perversité de leur coeur, plutôt que de redresser leur coeur daprès ces règles saintes. Cest en effet chez les hommes un désordre bien grand, mais ordinaire, de vouloir que Dieu suive leur propre volonté, quand cest à eux de suivre la volonté de Dieu; de vouloir que Dieu se déprave, parce quils ne veulent point se corriger, et de ne voir le bien que dans leur propre volonté, et non dans celle de Dieu. Nous entendons souvent les hommes se plaindre contre Dieu, de la prospérité des méchants et des tribulations de lhomme de bien; comme si Dieu était injuste ou ne savait ce quil doit faire, ou détournait complètement ses regards des choses humaines, ou ne voulait point troubler son repos pour y donner ses soins, comme si voir et corriger les désordres fût une fatigue pour lui. Ils murmurent donc, ces hommes qui ne veulent adorer Dieu que pour en être plus heureux ici-bas, quand ils voient dans labondance et la félicité de la terre ceux qui nadorent que Dieu; tandis que pour eux, qui adorent le Seigneur, ils sont dans langoisse, dans la disette, dans les chagrins et dans toutes les autres misères de cette vie. Cest contre cette voix impie, contre ces blasphèmes et ces murmures, que la parole divine nous devient un charme qui guérit de la morsure du serpent. Tout cela est en effet comme le pus du coeur empoisonné, qui vomit contre Dieu le blasphème ordurier; et, ce quil y a de pire, écartant la main du médecin sans écarter la morsure du serpent. Cest-à-dire, que le coeur de lhomme écarte la sévérité de la parole de Dieu, pour admettre les flatteries pernicieuses du serpent. Cest contre ces hommes que la parole divine a des chants, et quelle va nous prévenir dans ce psaume. Je vous exhorterais à y donner toute votre attention, sil ne lattirait pas lui-même, et non-seulement la nôtre, mais celle du monde entier. Ecoutez en effet sa manière de commencer. 2. « Nations de la terre, écoutez ceci ». Ce nest donc pas vous seuls qui êtes ici. Quest-ce en effet que ma voix, pour crier de manière à retentir chez toutes les nations? Cest par les Apôtres que Notre-Seigneur Jésus-Christ sest fait entendre, il a crié par autant de langues quil en a envoyées; et ce psaume autrefois récité chez un seul peuple, dans la synagogue des Juifs, nous le voyons chaula dans lunivers entier, dans toutes les Eglises, et ainsi saccomplit cette parole : « Nations de la terre, écoutez ceci ». Mon but unique est de fixer votre attention, de peur que la fatigue du corps ne vous empêche dappliquer votre esprit effrayé de la longueur du psaume. Sil est possible, nous le verrons entièrement aujourdhui, sinon, il nous en restera une partie pour demain; toutefois, donnez-nous une attention soutenue. Vous nentendrez, sil plaît à Dieu, que des choses capables de vous encourager plutôt que de vous fatiguer. « Nations de la terre, écoutez ceci »; et vous-mêmes faites partie de ces peuples. « Prêtez loreille, ô vous qui habitez lunivers ». Le Prophète semble se répéter, comme sil ne lui eût pas suffi de dire « Ecoutez ». Vous
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dire : Ecoutez mes paroles, prêtez loreille, cest vous dire de nécouter pas à la légère. Quest-ce à dire : « Prêtez loreille? » Cest dans le même sens que Notre-Seigneur disait : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre 1 » ; et toutefois tous ceux qui étaient autour de lui avaient des oreilles. De quelles oreilles parlait-il, sinon des oreille du coeur, quand il disait : « Que celui-là entende, qui a des oreilles pour entendre? » Cest à ces mêmes oreilles que sadresse le Psalmiste: « Prêtez loreille, vous tous qui habitez lunivers». On pourrait trouver encore ici une différence. Nous ne devons pas sans doute en rétrécir létendue, mais il nest pas inutile dexposer cette signification. Il y a peut-être une différence entre cette expression: « Tous les peuples », et cette autre: « Vous tous qui habitez lunivers » . Le Prophète a voulu peut-être nous montrer une signification plus accentuée dans cette expression : « Qui habitez »; en sorte que les peuples désigneraient les impies, et que les habitants de la terre seraient tous les hommes justes. Celui qui habite, en effet, nest point assujéti; mais celui qui est assujéti, est plus habité quil nhabite. Un homme possède véritablement ce quil a, quand il en est le maître; mais celui-là est maître, qui nest point garrotté par les convoitises : au lieu que celui qui porte ces liens, est plutôt possédé que possesseur. Nous avons un mot qui désigne lhabitation dans cette parole de lEcriture : « Jai mieux aimé être petit dans la maison du Seigneur que dhabiter sous les tentes des pécheurs 2». Quoi donc? Etre petit dans la maison du Seigneur, nest-ce pas lhabiter? Il nemploie ce mot dhabiter, que pour ceux qui règnent, qui possèdent, qui dominent, qui gouvernent; quant à ceux que lon méprise, ils nhabitent pour ainsi dire pas, mais ils sont assujétis. Linterlocuteur aurait dit alors: Jaime mieux servir dans la maison du Seigneur, que régner sous les tentes des pécheurs. Si donc il y a une distinction entre « toutes les nations » et « tous les habitants de la terre», comme il y en a une entre « écoutez » et « prêtez loreille», ce qui paraît une répétition, sans en être une réellement, le Prophète a voulu nous dire que tous entendront cette parole de Dieu, non-seulement les pécheurs et les impies, mais aussi les justes. Ils sont mélangés aujourdhui
1. Matt. XI, 25. 2. Ps. LXXXIII, 11.
pour entendre cette parole; mais quand viendra le moment den rendre compte, ceux qui lauront entendue sans profit seront séparés de ceux qui lauront entendue des oreilles. Que les pécheurs écoutent : « Vous tous, ô peuples, écoutez ceci ». Que les justes écoutent, eux qui nont pas entendu en vain, et qui gouvernent la terre plus quils nen sont gouvernés « Prêtez loreille, vous tous qui habitez la terre ». 3. Le Prophète ajoute encore : « Et vous, hommes de la terre, et enfants des hommes 1 ». Cette expression : « Hommes de la terre», sappliquerait aux pécheurs; et cette autre : « Enfants des hommes », aux fidèles et aux justes. Vous voyez donc revenir cette distinction. Quels sont les hommes de la terre? les fils de la terre. Quels fils de la terre ? Ceux qui recherchent les possessions terrestres. Quels sont les fils des hommes? Ceux qui appartiennent au Fils de lhomme. Déjà nous avons établi devant vous cette distinction, et nous avons vu quAdam était homme sans être fils de lhomme; que le Christ était fils de lhomme , et quil était Dieu 2. Ainsi, tous ceux qui appartiennent à Adam sont hommes de la terre, tous ceux qui sont du Christ sont « fils de lhomme ». Que tous écoutent néanmoins, je ne refuse ma parole à personne. Celui-ci est terrestre, quil écoute ma parole, dans la crainte du jugement; celui-là est fils de lhomme, quil écoute, afin de régner. « Que le riche et le pauvre sunissent ». Nouvelle répétition. Cette expression: « Le riche », sapplique aux hommes terrestres; cette autre: «Le pauvre», aux enfants des hommes. Par les riches on doit entendre les orgueilleux; et par les pauvres, les humbles. Quun homme possède beaucoup de biens, il est pauvre sil ne sen prévaut pas. Quil ne possède rien, Dieu le rangera néanmoins parmi les riches, les réprouvés, sil a le désir ou lorgueil de la richesse. Cest par le coeur, et non par le palais ou le coffre-fort, que Dieu juge des pauvres ou des riches. Ne sont-ils pas réellement des pauvres, ceux qui accueillent ce précepte de lApôtre, disant à Timothée : « Commande aux riches du siècle de nêtre point orgueilleux 3? » Comment, de ceux qui étaient riches, a-t-il fait des pauvres? Il leur enlève ce qui nous fait rechercher les richesses. Car
1. Ps. XL, VIII,3. 2. Discours sur le Ps. VIII, n. 10. 3. I Tm. VI, 17.
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nul ne désire les richesses que pour sélever au-dessus de ceux qui lenvironnent, et leur paraître supérieur. Leur interdire lorgueil, cest donc les rendre semblables à ceux qui nont rien ; et peut-être un mendiant est plus orgueilleux de ses quelques pièces de monnaie, que le riche docile à cette recommandation de saint Paul : « Défendez aux riches du siècle de senorgueillir ». Comment sabstenir de lorgueil? En accomplissant ce qui suit : « De ne pas mettre leur confiance dans les richesses incertaines, mais dans le Dieu vivant, qui nous donne avec abondance ce qui nous est nécessaire pour la vie 1 ». LApôtre ne dit pas : Qui leur donne ; mais bien: « Qui nous donne». Paul navait-il donc aucune richesse ? Il en avait assurément. Quelles richesses? Celles dont lEcriture a dit à un autre endroit: « Le monde entier est la richesse de lhomme fidèle 2 ». Ecoute encore ce quil avoue de lui-même : « Nous paraissons ne rien posséder, quoique nous possédions tout 3». Quiconque désire la richesse, ne doit donc pas sattacher à une partie, et il possédera le tout ; mais quil sattache à Celui qui a tout créé. « Que le riche et le pauvre sunissent ». Il est dit dans un autre psaume : « Que les pauvres mangent, et ils seront rassasiés ». Quel avantage fait-il aux pauvres? «Quils mangent et ils seront rassasiés ». Que mangeront-ils? cest le secret des fidèles. Comment seront-ils rassasiés? En imitant la passion du Seigneur, et en ne laissant pas improductif le prix de leur rançon. « Les pauvres donc mangeront et seront rassasiés, et ils béniront le Seigneur, ceux qui le recherchent 4 ». Et les riches ? Ils mangent aussi. Mais comment? « Tous les riches de la terre ont mangé et ont adoré 5». Le Prophète ne dit point : ils ont mangé et sont rassasiés; mais bien : «Ils ont mangé et ils ont adoré ». Ils adorent Dieu à la vérité, mais ne veulent pas voir des frères dans les autres hommes. Ceux-ci mangent donc et ils adorent; ceux-là mangent et sont rassasiés; et tous mangent néanmoins. A celui qui mange on demandera compte de sa nourriture ; que le dispensateur de cette nourriture nen éloigne personne, mais quil avertisse de redouter le compte à rendre. Que tous donc prêtent loreille à ces paroles, pécheurs et
1. I Tim. VI, 17. 2. Prov. XVII, 6, selon les LXX. 3. II Cor. VI, 10. 4. Ps. XXI, 27. 5. Id.30.
justes, peuples et habitants de la terre. « Et les habitants de la terre, et les enfants des hommes, et le riche et le pauvre ensemble », unis et non séparés. Cest le temps de la moisson qui doit séparer, cest la main du vanneur qui le pourra faire 1. Maintenant, que le riche et le pauvre sunissent pour écouter, que les boucs et les agneaux paissent ensemble, jusquà lavènement de Celui qui doit séparer les uns à sa droite, les autres à sa gauche 2. Quils sunissent pour écouter le maître qui les instruit, de peur quils ne soient séparés pour entendre le Juge qui les condamnera. 4. Mais que doivent-ils entendre maintenant? « Ma bouche parlera la sagesse, et les méditations de mon coeur donneront lintelligence 3». Ici encore il y a une répétition, de peur quaprès avoir dit : « Ma bouche », on ne crût entendre parler un homme qui aurait la sagesse sur les lèvres. Plusieurs ont en effet la sagesse sur les lèvres et non dans le coeur; et cest deux quil est dit : « Ce peuple mhonore des lèvres, et leur coeur est loin de moi 4 ». Que va donc te dire linterlocuteur? Après avoir dit : « Ma bouche parle la sagesse », afin que tu comprennes bien que la parole de la bouche émane véritablement du coeur, il ajoute : « Et la méditation de mon coeur donne lintelligence ». 5. « Je prêterai loreille à la parabole, je développerai sur la harpe le sujet de mes chants 5». Quel est celui-ci dont le coeur, dans ses méditations, donne lintelligence, en sorte quelle nest pas seulement sur la superficie des lèvres, mais quelle pénètre lintérieur de lhomme? Quel est celui qui écoute et qui parle ensuite? Beaucoup parlent sans avoir écouté. Quels sont donc ceux qui parlent sans avoir écouté? Ceux qui ne font pas ce quils disent; tels ces Pharisiens, assis, dit le Seigneur, dans la chaire de Moïse. Dieu a voulu vous par1er de cette chaire de Moïse par ces hommes qui disent et ne font pas. Le Seigneur a voulu par là vous donner la sécurité. Ne craignez point, dit-il, « faites ce quils disent, mais ne faites pas ce quils font, car ils disent et nagissent pas 6». Ils nécoutent pas ce quils disent. Mais ceux qui disent et qui pratiquent, entendent ce quils disent; de là vient quils parlent avec fruit, parce quils écoutent. Celui-là donc qui parle sans écouter peut être utile aux
1. Matt. III, 12. 2. Id. XXV, 30, 33. 3. Ps. XLVIII, 4. 4. Isa. XXIX, 13. 5. Ps. XLVIII, 5. 6. Matt. XXIII, 2, 3.
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autres et inutile à lui-même. Quant à celui qui parle ici, qui veut écouter dabord, parler ensuite; avant de dire : « Je développerai sur ma harpe le sujet de mes chants », ce qui est le langage des organes, car lâme se sert du corps comme le joueur de sa harpe, il nous dit tout dabord : « Jinclinerai mon oreille à la parabole »; cest-à-dire, avant de vous parler par mes organes, avant de jouer du psaltérion, je prêterai tout dabord loreille à la parabole; cest-à-dire, jécouterai ce que je dois vous dire. Et pourquoi « à la parabole? » Parce que maintenant nous voyons dans un miroir et en parabole 1 , selon cette parole de lApôtre: « Tant que nous habitons dans ce corps, nous marchons hors du Seigneur 2», Car nous ne voyons pas encore face à face sans le voile des paraboles, sans lombre des énigmes. Tout ce que nous comprenons maintenant, nous le voyons en énigme. Lénigme est une parabole obscure, difficile à comprendre. Quelque soin que prenne lhomme de cultiver son coeur, de rentrer en lui-même pour comprendre les choses intérieures, tant que nous voyons à travers le voile dune chair corruptible, nous ne voyons quen partie. Mais quand la résurrection nous aura rendus incorruptibles, et quapparaîtra le Fils de lhomme pour juger les vivants et les morts, alors on verra ce Fils de lhomme, qui a dabord été jugé et qui à son tour jugera le monde, fera le discernement des bons et des méchants, placera les méchants à sa gauche et les bons à sa droite. Les bons et les méchants le verront, mais il dira aux méchants : « Allez au feu éternel » ; et aux bons : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume. Et les méchants sen iront aux flammes éternelles, et les justes dans la vie éternelle 3 » ; et là ils verront à découvert cette face que les méchants ne sont pas dignes de voir. Ecoutez mes paroles. Quand le Fils de lhomme était sur la terre pour être jugé, les méchants lont vu comme les bons, car les Apôtres qui le suivaient lont vu, et les Juifs qui le crucifièrent lont vu aussi; de même quand il viendra juger le monde, les bons et les méchants le verront aussi; les bons, pour en recevoir la récompense, parce quils lauront suivi; les méchants, pour en être châtiés, parce quils lauront crucifié. Il ny aura donc pour être damnés que ceux qui lauront crucifié? Jose le dire, il ny aura que ceux-là.
1. I Cor. XIII, 12. 2. II Cor. V, 6. 3. Matt. XXV, 31-36.
Donc, diront les pécheurs dici-bas, nous sommes en sûreté. Oui, vous êtes en sûreté, si Dieu ne sonde pas lintention. Mais que dis-je? Que votre charité veuille bien comprendre, afin quau jugement de Dieu ils ne se plaignent point de navoir point compris. Les Juifs ont vu le Christ et lont crucifié; et toi qui ne vois pas le Christ, tu es rebelle à sa parole. Mais résister à sa parole, nest-ce pas crucifier sa chair, si tu le voyais? Le juif la méprisé quand il pendait à la croix, et tu le méprises quand il est assis dans le ciel. Deux sortes dhommes lont donc vu quand il était sur la terre; deux sortes dhommes le verront quand il viendra. Car le Fils de lhomme viendra pour nous juger. Comme le Père ne sest pas incarné et na pas souffert, il ne juge que par son Fils, qui a dit dans lEvangile : « Le Père ne juge personne, il a donné tout jugement au Fils » ; et peu après il ajoute: « Il lui a donné le pouvoir de juger, parce quil est le Fils de lhomme 1 ». Comme Fils de Dieu, le Verbe est toujours avec son Père; et comme il est toujours avec son Père, il juge toujours avec son Père; mais comme Fils de lhomme, il a été jugé et il doit juger. De même quil a été vu par ceux qui ont cru en lui et par ceux qui lont cloué à la croix quand il a été jugé; ainsi, quand il viendra juger, il sera vu par ceux quil condamnera et par ceux quil couronnera. Mais quant à cette vision de Dieu quil a promise à ceux qui laiment, quand il a dit : « Celui qui maime sera aimé de mon Père; celui qui maime garde mes commandements, et moi je laimerai et me manifesterai à lui 2 » ; cette vision nest pas pour les méchants. Cette claire vue sera comme une intimité, il la réserve aux siens et nen fait aucune part aux impies. Quelle est cette vision? quest-ce que le Christ? Il est égal au Père. Mais encore, quest-ce que le Christ? « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu 3 ». Cest après cette vision que nous aspirons en gémissant, pendant que nous sommes en cette vie; telle est la vision qui nous est réservée pour la fin des temps, vision que nous navons ici-bas que sous des voiles 4. Si donc nous voyons en énigme, inclinons notre oreille pour entendre, et développons ensuite sur la harpe lobjet de nos chants;
1. Jean, V, 22, 27. 2. Id. XIV, 21. 3. Id. L 1. 4. I Cor. XIII, 12.
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écoutons ce que nous disons, faisons ce que nous recommandons. 6. Que dit le Prophète? « Pourquoi craindrai-je au mauvais jour? Dêtre enveloppé dans liniquité de mes voies». Ce début est un peu obscur: « Pourquoi », dit-il, « craindrai-je au mauvais jour? Dêtre enveloppé dans liniquité de mes voies ».Cette iniquité qui doit lenvelopper est donc un plus grand sujet de crainte. Car un homme ne doit pas craindre ce quil ne peut éviter. Que fera, par exemple, pour ne pas mourir, celui qui craint la mort? Quun fils dAdam mindique le moyen déchapper à la peine dAdam. Mais plutôt quil se sou-vienne que, né dAdam, il a suivi Jésus-Christ, et quil doit ainsi payer le tribut dAdam et recueillir les promesses de Jésus-Christ. Celui qui redoute la mort na donc nul moyen de léviter; mais pour celui qui redoute larrêt qui frappe les impies « Allez au feu éternel », il y a moyen dy échapper. Quil ne craigne donc point. A quoi bon cette crainte? Liniquité de ses voies doit lenvelopper. Si donc il évite les voies impies, et marche par les voies de Dieu, il narrivera point aux jours mauvais : le jour mauvais, le dernier de tous, naura rien de fâcheux pour lui. Car ce dernier jour sera funeste aux uns, favorable aux autres. Sera-t-il funeste à ceux qui sentendront dire : « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume 1 ? » Mais il sera funeste pour ceux qui entendront « Allez au feu éternel ». Si donc cest liniquité de nos voies qui doit nous envelopper, pourquoi craindre au jour mauvais ? Que les hommes plutôt travaillent ici-bas à leur salut, quils détournent liniquité de leurs voies; quils marchent, oui, quils marchent dans cette voie dont le Christ a dit : « Cest moi qui suis la voie, la vérité, et la vie 2 » ; et quils ne craignent pas au jour mauvais, puisque celui qui sest fait la voie leur donne la sécurité. « Pourquoi craindrai-je au jour mauvais? Dêtre enveloppé dans liniquité de mes voies ». Quils évitent liniquité de leurs démarches, car cest par la démarche que chacun tombe. Ecoutez bien, mes frères; que dit le Seigneur au serpent? « La femme observera ta tête, et toi tu observeras son talon 3 ». Le diable observe donc ton talon, afin de te faire tomber dans tes démarches. Sil observe ton talon, observe sa tête. Quest-ce à dire sa tête ? Le
1. Matt. XXV, 32-41. 2. Jean, XIV, 6. Gen. III, 15.
commencement dune suggestion mauvaise. Dès quil commence à te suggérer le mal, résiste-lui, avant quun plaisir criminel surgisse, et que le consentement le suive; ainsi tu éviteras sa tête, et il ne surprendra pas ton talon. Pourquoi le Seigneur tenait-il ce langage à Eve? Parce que lhomme tombe par la chair, et que pour nous lEve intérieure est notre chair. « Celui qui aime son épouse », a-t-il été dit, « saime lui-même 1». Quest-ce à dire, « lui-même ? » LApôtre lexplique ensuite et dit : « Nul na jamais haï sa propre chair 2». Comme donc le démon veut nous faire tomber par la chair, de même quil fit tomber Adam par Eve 3, il est recommandé à Eve dobserver la tête du serpent, parce que celui-ci observe son talon. Si donc cest liniquité de votre ta-ion ou de vos démarches qui doit vous envelopper, pourquoi craindre au jour mauvais, puisque votre conversion au Christ vous donne le pouvoir de ne point commettre liniquité, et qualors il ny aura plus rien pour vous envelopper, et que vous verrez avec joie et sans pleurs votre dernier jour? 7. Quels sont alors ceux quenveloppera liniquité de leurs démarches? « Ceux qui se confient en leur vertu, et se glorifient dans labondance de leurs richesses 4 », Voilà donc ce que jéviterai, pour nêtre point enveloppé dans liniquité de mes démarches. Comment léviter? Ne mettons point notre espérance dans nos vertus, non plus que notre gloire dans nos grandes richesses; mais glorifions-nous dans celui qui a promis la grandeur à notre humilité, et qui menace de damner les orgueilleux; et alors liniquité de nos démarches ne nous enveloppera point; mais ceux « qui mettent leur espoir dans leur vertu, et leur gloire dans leurs grandes richesses ». 8. Il en est qui comptent sur leurs amis, dautres sur leur force, dautres sur leurs richesses. Cest en cela et non en Dieu quespèrent les hommes. Après avoir parlé de la force, parié des richesses, le Prophète parle des amis : « Un frère ne rachète point, un homme rachètera-t-il 5 ? » Espères-tu quun homme te rachètera de la colère à venir ? Si un frère ne ten rachète pas, un homme ten rachètera-t-il ? De quel frère est-il dit que sil ne rachète point, nul homme ne pourra nous racheter? de celui qui a dit après la
1. Eph. V, 28. 2. Id. 29. 3. Gen. III, 6. 4. Ps. XLVIII, 7. 5. Id. 8.
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résurrection : « Allez, dites ceci à mes frères 1 ». Il a voulu devenir notre frère, et nous le témoignons tous les jours en disant à Dieu: «Notre Père ». Appeler Dieu « notre Père », cest appeler le Christ notre frère. Donc, avec Dieu pour Père et le Christ pour frère, il ny a rien craindre au jour mauvais. Celui-là ne peut être enveloppé dans liniquité de ses voies; car il ne compte ni sur sa vertu, ni sur labondance de ses richesses, et ne se vante point davoir de puissants amis. Que lhomme compte alors sur celui qui est mort pour le délivrer de la mort éternelle; qui sest humilié pour lélever; qui la cherché jusque dans limpiété, afin que lhomme devenu fidèle le cherchât à son tour. Si donc ce frère ne nous rachète pas, lhomme nous rachètera-t-il ? Adam nous rachètera-t-il , si le Christ ne nous rachète pas? « Le frère ne rachète point, lhomme rachètera-t-il 5? » 9. « Lhomme ne donne point à Dieu le prix de sa rançon ni ne rachète son âme 2», Tel fonde son espoir sur sa force, ou sur ses grandes richesses, qui ne saurait donner à Dieu le prix de sa rançon », cest-à-dire de quoi fléchir le Seigneur, et lapaiser pour ses péchés : « Il ne saurait racheter son âme », lui qui présume de sa vertu, de ses amis, de ses richesses. Quels sont ceux-ci qui rachètent leur âme? Ceux à qui le Seigneur a dit: « Faites-vous des amis avec la monnaie de liniquité, afin quils vous reçoivent dans des tabernacles éternels 3 ».Ceux-là donnent le prix de leur âme, qui ne cessent de faire laumône. Aussi ne veut-il point que ceux quil instruit par Timothée, soient orgueilleux et se glorifient de leurs richesses; enfin il ne veut pas que leurs richesses vieillissent chez eux, mais quils en usent de façon à racheter leur âme. Car il dit: « Ordonnez aux riches du siècle de ne point senorgueillir, ni de compter sur des richesses qui sont incertaines ; mais sur Dieu qui nous donne tout ce qui nous est nécessaire 4». Et comme sils disaient : Que ferons-nous de nos richesses? il ajoute : « Que les riches le soient en bonnes oeuvres, quils donnent généreusement, quils fassent part de leurs biens 5 ». En cela ils ne perdront rien ; doù le savons-nous? Ecoutez ce qui suit: « Quils sacquièrent un trésor et un fondement solide pour
1. Matt. XXVIII, 10. 2. Ps. XLVIII, 9. 3. Luc, XVI, 9.4. I Tim. VI,17. 5. Ibid.
lavenir, afin quils embrassent la vie éternelle 1 ». Cest ainsi quils donneront la rançon de leur âme. Voici encore un avertissement du Seigneur: « Faites-vous des bourses qui ne susent point, et dans le ciel un trésor qui ne sépuise jamais, dont le voleur napproche point, que les vers naltèrent point 2 ». Le Seigneur nexige donc pas que tu perdes tes richesses, il te conseille seulement den changer la place. Comprenez bien ceci, mes frères si un ami entrait dans votre maison, et quil vît votre froment placé dans un endroit humide, sachant combien le blé est assujéti à la pourriture, ce que peut. être vous ne sauriez pas, il vous donnerait un avis, et vous dirait : Frère, vous perdez ce que vous navez amassé quavec beaucoup de travail; vous avez mis dans un endroit humide ces blés qui seront bientôt pourris. Que faut-il faire, lui direz-vous ? Les mettre dans un endroit plus élevé. Alors vous écouteriez cet avis amical, vous transporteriez vos blés dans un lieu plus élevé; et vous nécoutez pas le Christ qui vous avertit de mettre votre trésor dans le ciel, où vous ne retrouverez pas seulement ce que vous aurez conservé, mais où vous échangerez la terre pour le ciel, des biens du temps pour des biens de léternité, où vous prêtez à usure à Jésus-Christ, et où pour peu de choses sur la terre, il vous rendra de grands biens? Quant à ceux qui seront enveloppés par liniquité de leurs voies, parce quils se confient en leur vertu, quils se glorifient de leurs richesses et quils mettent leur espoir dans la puissance de leurs amis: « Ils ne donnent rien à Dieu pour leur rançon, ils ne rachèteront point leur âme». 10. Que dit le Prophète à propos de cet homme? « Son labeur sera éternel, sa vie aura une fin 3 ». Son labeur sera donc sans fin, mais sa vie est bornée. Pourquoi dit-il que sa vie aura une fin? Cest que ces hommes ne font consister la vie que dans les délices de chaque jour. Aussi beaucoup de pauvres et dindigents parmi nous, trop peu affermis dans la vertu et nenvisageant point ce que Dieu leur a promis pour ces grands travaux, quand ils voient des riches chaque jour dans les festins, radieux de tout léclat de lor et de largent, que disent-ils? Voilà les seuls qui vivent, cest là vraiment vivre. Voilà ce que lon dit ; ne le disons plus, mes frères, je
1. I Tim. VI, 19. Luc, XII, 33. Ps. XLVIII 10.
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vous en avertis. Et si nous devons encore entendre ce langage, que du moins nous lentendions plus rarement que si nous navions point été avertis. Nous navons pas en nous-mêmes cette confiance, que cet avertissement fasse disparaître totalement ce langage; mais que du moins il devienne plus rare, car on le tiendra jusquà la fin des siècles. Cest peu quon dise dun riche quil vit, on ajoute quil parle, quil tonne. Tu crois quil est seul pour vivre; eh bien! quil vive, mais sa vie finira, car il ne donne rien pour la rançon de son âme; sa vie finira, son labeur ne finira point. « Il travaillera éternellement, et sa vie finira ». Comment sa vie finira-t-elle? Comme la vie de celui qui était vêtu de pourpre et de fin lin, qui faisait chaque jour bonne chère, qui navait que la hauteur et lorgueilleux mépris pour ce malheureux couvert dulcères, couché à sa porte, dont les chiens léchaient les plaies, tandis quil désirait les miettes qui tombaient de la table du riche. De quoi servirent à cet homme ses grands biens? lun et lautre changèrent détat : de la porte du riche lun fut porté au sein dAbraham, et de sa table splendide lautre fut précipité dans le feu : le premier se reposait, le second brûlait ; lun était rassasié, lautre avait soif; chez lun, au labeur temporel succédait une vie sans fin; chez lautre, à une vie passagère succédait une douleur éternelle. De quoi servaient les richesses à cet homme qui, dans les flammes de lenfer, demandait quune goutte deau tombât du doigt de Lazare pour rafraîchir sa langue; « car », disait-il, « je brûle de cette flamme », et cela ne lui fut point accordé 1. Il désirait une goutte deau tombant du doigt de Lazare, comme celui-ci avait désiré les miettes tombant de sa table ; mais la douleur avait fini pour lun, comme la vie avait fini pour lautre: la douleur de ce dernier devait être éternelle, la vie de celui-là également éternelle. Notre vie dici-bas nest proprement pas une vie pour nous qui souffrons ; mais il nen sera pas ainsi dans la suite, notre vie sera éternellement dans le Christ : quant à ceux qui veulent vivre ici-bas, ils souffriront à jamais et ne vivront quun temps. 11. « Car celui-là ne verra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Celui dont le travail sera éternel, et dont la vie
1. Luc, XVI, 19-26. Ps. XLVIII, 11.
doit finir, « ne verra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Quest-ce à dire? Cest-à-dire que, après avoir vu mourir les sages, il ne saura point ce quest la mort. Car il se dit : Cet homme nest-il pas mort en dépit de sa sagesse, de sa vie si régulière et de sa piété envers Dieu? Je nai donc plus quà me livrer aux plaisirs pendant cette vie, car la sagesse ne peut nous donner de ne point mourir. Il voit ainsi un sage mourir, sans comprendre ce quest la mort. « Il ne connaîtra point la mort après avoir vu mourir les sages ». Il ressemble aux Juifs qui ont vu le Christ cloué à la croix, et qui lont méprisé en disant : « Sil était Fils de Dieu, il descendrait de la croix 1 » : ils nont point vu ce que cest que mourir. Ah! si du moins ils eussent vu ce que cest que mourir, sils leussent compris! Le Christ mourait selon le temps, pour vivre selon léternité, et eux vivent selon le temps pour subir une mort éternelle. Mais parce quils le voyaient mourir, ils ne voyaient point la mort, cest-à-dire quils ne comprenaient pas ce que cest que la véritable mort. Que disent-ils en effet, même dans leur sagesse? « Condamnons-le à une mort honteuse, et lon verra ce que valent ses paroles; sil est vraiment le Fils de Dieu, Dieu le délivrera des mains de ses ennemis 2 », et ne permettra pas quil meure, sil est vraiment son Fils. Mais en le voyant sur la croix, exposé à leurs insultants défis, sans en descendre, ils se dirent : Cest vraiment un homme. On leur répond: Il pouvait bien descendre de la croix, celui qui a pu ressusciter du sépulcre ; mais il nous apprenait à supporter les insultes, à nopposer que la patience aux langues des méchants, à boire le calice de lamertume, et à recevoir ainsi le salut éternel. Bois donc, ô malade, bois ce calice amer, afin dobtenir la guérison, toi dont les entrailles ne sont point guéries: ne crains point, cest pour tempêcher de craindre que le médecin a bu le premier ce breuvage, ou que le Seigneur a épuisé le premier le calice amer de la passion. Il la bu, celui qui navait en lui aucun péché, qui navait rien à guérir. Bois à ton tour, jusquà ce que lamertume de cette vie soit passée, jusquà ce que vienne cette vie, qui naura ni scandales, ni colère, ni envie, ni amertume, ni fièvre, ni tromperie, ni dissensions, ni
1. Matt. XXVII, 12. 2. Sag. II, 20.
vieillesse, ni mort, ni combat. Souffre ici-bas, puisque fa douleur doit finir. Souffre, de peur quen refusant de souffrir, tu narrives à la fin de ta vie sans arriver à la fin de tes douleurs. « Il ne comprendra point la mort en voyant mourir les sages». 12. « Limprudent et linsensé périront ensemble 1 ». Qui est imprudent? Celui qui lenvisage pas lavenir. Qui est insensé? Celui qui ne comprend pas son malheur. Mais toi, comprends ton malheureux sort en cette vie, et pense à devenir heureux dans lavenir. Comprendre ton sort ici-bas, cest nêtre plus insensé; et pourvoir à ton avenir, cest nêtre plus imprudent. Quel est celui qui pourvoit à son avenir? Cest le serviteur à qui son maître avait donné ladministration de son bien, pour lui dire ensuite : « Vous ne pouvez plus gouverner mes biens, rendez compte de votre administration. Que ferai-je », dit en lui-même ce serviteur? « je ne puis bêcher la terre, et je rougis de mendier 2 ». Mais, avec le bien de son maître, il se fit des amis qui pussent le recevoir quand il fut privé de son emploi. Il fit donc tort à son maître, afin de se faire des amis chez qui il pût se retirer ; mais toi, tu nas pas à craindre de faire du tort, puisque le Seigneur ty engage, en te disant lui-même : « Faites-vous des amis avec la monnaie de liniquité ». Peut-être tes biens ne sont-ils que le fruit de linjustice; ou peut-être y a-t-il injustice en ce que tu possèdes, et quun autre na rien; que tu es dans labondance, un autre dans la pauvreté. Avec cette monnaie de liniquité, avec ces biens que les méchants seuls appellent des richesses, fais-toi des amis, et tu seras prudent. Cest amasser pour toi, sans tromper personne. Tu paraîtras dissipateur, mais est-ce dissiper son argent que de le mettre en trésor? Voyez, mes frères, les enfants qui veulent acheter je ne sais quoi ; ont-ils trouvé quelques pièces de monnaie, ils les mettent dans quelque lieu secret, quils nouvrent que longtemps après. Ont-ils perdu leur trésor, parce quils ne le voient point? Soyez donc sans crainte vous-mêmes. Des enfants ont caché leur argent dans leur coffre, et sont pleins de sécurité, et tu craindrais en le plaçant dans les mains du Christ? Sois donc prudent, et fais-toi des ressources pour lavenir dans le ciel. Sois prudent et imite la fourmi,
1. Ps. XLVIII, 11. 2. Luc, XVI, I, 2.
comme le dit lEcriture 1; amasse pendant lété, afin de ne pas souffrir de la disette en hiver: lhiver, cest le dernier jour, le jour de la tribulation; lhiver, cest le jour des scandales et de lamertume : amasse aujourdhui ce qui peut te soutenir alors: si tu ne le fais, tu mourras tout à la fois imprudent et insensé. 13. Mais ce riche est mort et on lui a fait des funérailles dignes de lui. Voilà où les hommes en reviennent : ils ne considèrent point la vie dun homme, mais la pompe de ses funérailles. O heureux celui qui fait verser tant de larmes ! Hélas! il a vécu de manière à être regretté dun petit nombre, et tous devraient pleurer celui qui mène une vie si désordonnée. Mais sa pompe funèbre était magnifique; il repose dans un riche tombeau, de précieux tissus lenveloppent, il est tout embaumé de parfums et daromates. Et puis quel tombeau on lui élève! Quel marbre superbe! Hélas! vit-il dans ce tombeau? Il y est mort. Voilà ce que les hommes ont pris pour des biens, et ils se sont éloignés de Dieu, et nont pas cherché les vrais biens, emportés quils étaient par léclat des biens trompeurs: aussi voyez la suite. Celui qui na pas donné le prix de son âme, qui na pas compris la mort, parce quil a vu mourir les sages, a pris place parmi les imprudents et les insensés pour mourir avec eux. Et comment périront « ceux qui laisseront leurs richesses aux étrangers? Limprudent et linsensé doivent mourir ensemble ». 14. Ecoutez bien, mes frères ! « Et ils laisseront leurs richesses à létranger». Il semble que le Prophète regarde comme une malédiction que des étrangers possèdent leurs biens après leur mort. Bienheureux alors ceux qui laisseront leurs biens à leurs enfants, qui ont les leurs pour héritiers? Avoir des enfants, cest nêtre point mort. Que font les enfants? Ils conservent à leur tour ce que leur omit laissé les parents ; et même cest peu de le conserver, ils laugmentent. Et pour qui conservent-ils ces richesses? Pour leurs enfants, et ceux-ci à leur tour pour leurs enfants, et ces troisièmes pour leurs enfants encore. Quy aura-t-il donc pour le Christ ? Quy aura-t-il pour leur âme? Tout sera-t-il pour les enfants? Entre tous ces enfants quils ont sur la terre, quils daignent compter un frère quils ont au ciel, à qui ils auraient dû tout donner,
1. Prov. VI, 6; XXX, 25.
520
ou du moins partager avec lui. Toutefois, me dira quelquun : Voilà ceux que maudit lEcriture: ceux qui meurent sans laisser à leurs enfants leur héritage ; elle appelle heureux celui qui leur laisse ses possessions. Pour moi, qui prête mon oreille à la vérité, je veux examiner ce sens, et je trouve que lEcriture na rien dit en vain. Je vois mourir en effet beaucoup de méchants qui ont leurs fils pour héritiers; et IEcriture na pu parler de manière à les séparer de ces misérables dont elle condamne la conduite ; et quel peut être mon sens, croyez-vous, mes frères, sinon que tous les hommes de cette sorte laisseront leurs biens à des étrangers? Comment leurs fils seront-ils des étrangers? Les fils des méchants sont des étrangers; nous voyons en effet quun étranger devient le prochain dun autre, dès quil lui rend service. Quun des vôtres ne vous rende aucun service, il vous devient étranger. Où trouvons-nous donc un étranger dont ses services ont fait un proche? Dans lEvangile. Un homme blessé par des voleurs gisait sur le grand chemin, et le Seigneur avait dit à quelquun : « Tu aimeras le prochain comme toi-même ; et cet homme avait répondu: Qui donc est mon prochain? et le Seigneur lui dit quun homme allant de Jérusalem à Jéricho tomba entre les mains des voleurs qui le laissèrent à demi-mort »; que ses proches passèrent; car cétait un juif qui allait aussi de Jérusalem à Jéricho; « et que le prêtre qui vint sur ces entrefaites passa outre ; quun lévite vint aussi et passa de même; quun Samaritain vint à passer », et que ce Samaritain, que je ne connais point, mais qui était étranger au blessé, « sapprocha de lui, considéra sa misère, soigna ses plaies par pitié, le mit sur son cheval, le conduisit dans une hôtellerie et le recommanda au maître de lhôtellerie». Tout cela est une parabole quil me serait trop long dexpliquer; mais, pour en revenir à ce que jai avancé, mes frères, le Seigneur demanda: « Lequel des trois qui passèrent fut le prochain du blessé? et le docteur de la loi répondit : Je crois que cest celui qui eut pitié de lui. Allez », dit le Sauveur, « et faites de même 1 ». Celui-là donc est votre prochain à qui vous faites miséricorde. Si donc un Samaritain est devenu le prochain de ce blessé par la pitié quil en eut,
1. Luc, X, 27-37.
par les secours quil lui porta; quiconque ne peut te venir en aide au moment des afflictions, devient pour toi un étranger. Revenons donc à ces riches qui ont vécu dans le crime, qui ont agi avec orgueil, qui sont morts en laissant leurs richesses, je ne dis pas à des étrangers, mais à des fils, et à des fils qui vivront comme leurs pères, qui seront superbes comme eux , voleurs comme eux, avares comme eux : ces fils leur sont étrangers. Et afin que vous compreniez bien quils leur sont étrangers, les héritiers de ce riche de lEvangile que dévoraient les flammes, le secoururent-ils? Mais, direz-vous, peut-être neut-il point dhéritiers naturels, et ses biens passèrent-ils à des étrangers? LEvangile nous dit quil avait des héritiers ; car il sécrie: « Jai cinq frères ». Ses frères ne purent alors le secourir au milieu des flammes dévorantes. Que dirait ce riche aujourdhui? « Jai cinq frères 1 », et jai négligé de me faire un ami de celui qui gisait autrefois à ma porte : ces frères qui possèdent mes biens ne peuvent me secourir, et sont des étrangers pour moi. Vous le voyez donc, tous ceux qui vivent mal laissent leurs biens à des étrangers. 15. Mais sans doute ces étrangers, quon nomme leurs proches, leur viennent en aide? Voyez ce quils peuvent leur donner, écoutez à ce propos les railleries de lEcriture : « Limprudent et linsensé périront ensemble, et ils laisseront leurs biens à des étrangers». Pourquoi dit-il : « A des étrangers? » Parce quils ne pourront leur être daucun secours. Et toutefois voyez en quoi ils simaginent leur être utiles : « Et leurs tombeaux seront leurs maisons pour léternité 2 ». On leur construit des sépulcres, et ces sépulcres sont des maisons. Souvent tu entendras un riche te dire: Jai un palais de marbre, que je dois laisser, et je ne pense pas à me construire une maison éternelle pour y habiter sans fin. Quand il pense à se bâtir un sépulcre enrichi de marbre et de sculpture, il semble penser à une maison éternelle; comme si telle était la demeure du riche de lEvangile. Ah! sil y demeurait, il ne demeurerait point dans les enfers. Ce qui doit nous préoccuper, ce nest pas le lieu où demeurera le corps, mais bien le lieu que doit habiter lâme du pécheur ; mais « leurs sépulcres sont leurs demeures pour léternité. Leurs tentes subsisteront dâge en âge.
1. Luc, XVI, 28. 2.Ps. XLVIII, 12
520
« Leurs tentes » sont les demeures quils nhabitent que dune manière passagère, « leurs maisons », les sépulcres quils doivent habiter à jamais. Ils laissent les tentes à leurs proches, ces tentes quils habitaient pendant leur vie, et ils vont dans leurs sépulcres comme dans des palais éternels. De quoi leur sert que leurs tentes passent de race en race ? Et par là nous entendons quelles passeront à leurs enfants, leurs petits-enfants, à leurs arrière-petits-enfants ; de quoi leur serviront leurs tentes, quel bien leur feront-elles? Oui, quel bien? Ecoutez-le. « Ils invoqueront leurs noms dans leurs terres». Quest-ce à dire? Ils porteront du pain et du vin à leurs tombeaux, et là ils invoqueront le nom des morts. Combien pensez-vous que lon ait invoqué le nom de ce riche, quand on senivrait à son tombeau, et quune goutte deau ne tombait point sur sa langue brûlante 1 ? Les hommes alors satisfont leur intempérance, mais ne soulagent point les âmes de leurs proches. Ces âmes nont de richesse que les bonnes oeuvres de leur vie; si pendant la vie elles nont point travaillé pour elles-mêmes, elles ne trouvent rien à la mort. Mais que leur feront les hommes ? « Ils invoqueront seulement leurs noms dans leurs terres ». 16. « Lhomme au milieu de sa grandeur ne la point comprise; il sest comparé aux animaux sans raison et leur est devenu semblable 2 ». Quelle insulte pour des hommes qui nont su que faire de leurs richesses pendant leur vie, qui ont cru se rendre heureux en se faisant un tombeau de marbre, comme une demeure éternelle, et en faisant invoquer leur nom sur la terre par leurs proches qui auront hérité de leurs biens ! Ils auraient dû au contraire se préparer une demeure éternelle par de bonnes oeuvres, se préparer une vie sans fin, envoyer leurs richesses devant eux, accomplir de bonnes oeuvres, jeter un regard de pitié sur lhomme dans la disette, donner à ceux qui marchaient avec eux dans la même voie, et ne point
1. Luc, XVI, 24. 2. Ps. XLVIII, 13.
mépriser ce Christ couvert dulcères couché à leur porte, et qui a dit: « Ce que vous ferez au moindre de mes frères, cest à moi que vous laurez fait 1 ». Lhomme donc dans sa grandeur ne la point comprise. Quest-ce à dire: « Lhomme dans sa grandeur?» Lhomme fait à limage et à la ressemblance de Dieu, lhomme supérieur aux animaux 2. Car Dieu na pas fait lhomme de la même manière que lanimal; mais il a fait lhomme pour dominer les animaux, et les dominer par la force, ou bien par la raison. Mais lhomme « na pas compris » ; et lui, qui était créé à limage de Dieu, « sest comparé à lanimal sans raison, et lui est devenu semblable ». De là vient quil est dit ailleurs: « Ne soyez pas semblables au cheval et au mulet, qui sont sans intelligence 3 ». 17. «Cest là pour eux la voie du scandale 4». Quelle soit la voie du scandale pour eux et non pour toi. Quand le serait-elle pour toi? Lorsque tu croiras ces hommes bienheureux. Mais si tu comprends que ce nest point là le bonheur, il ny aura de scandale que pour eux, et non pour le Christ, ni pour son corps, ni pour ses membres. « Et ensuite ils béniront Dieu des lèvres». Quest-ce à dire, quils béniront Dieu des lèvres? Quand ils en sont venus à ne chercher dautres biens que les biens temporels, ils deviennent hypocrites; et sils bénissent Dieu, cest des lèvres, et non du coeur. De tels hommes devenus chrétiens ne peuvent entendre parler de la vie éternelle, et dire quil leur faut au nom du Christ mépriser les richesses, grimacer intérieurement; et sils nosent le faire en face, par un reste de pudeur ou par la crainte dêtre réprimandés par les hommes, ils le font de coeur et ils méprisent en eux-mêmes. La bénédiction est donc sur leurs lèvres, la malédiction dans leurs coeurs. « Et ensuite ils béniront des lèvres ». Il serait trop long dachever le psaume; quil suffise à votre charité de ce que vous avez entendu aujourdhui, nous achèverons demain avec le secours de Dieu.
1. Matt. XXV, 40. 2. Gen. I,26. 3. Ps. XXXI, 9. 4. Id. XLVIII, 14.
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DEUXIÈME DISCOURS SUR LE PSAUME XLVIII.DEUXIÈME SERMON. LEMPLOI DES RICHESSES (SUITE).
Les pécheurs auront pour pasteur la mort, ou le diable qui a introduit la mort dans le monde; de même que la vie ou Jésus-Christ est le pasteur des fidèles. Déjà ces fidèles habitent le ciel par la foi et surtout par la charité; cest là quest leur coeur. Cest de là que leur vient la vie, car la vie du temps nest pas la vie proprement dite. La vie des justes paraît une folie, et un jour ils domineront les méchants qui les prennent aujourdhui pour des insensés. Cette vie des justes consiste dans lunion au Créateur, qui ne promet que pour lavenir. Travaillons au salut de notre âme, acceptons la douleur comme un redressement, une perfection.
1. Sil vous en souvient, mes frères, nous devons achever aujourdhui le psaume que nous avons commencé hier. Nous en étions arrivés à ce verset où lEsprit de Dieu flétrit ces hommes qui nont de souci que pour les biens passagers dici-bas, sans soccuper nullement de ce qui doit succéder à cette vie, sans mettre leur bonheur autre part que dans les richesses et les honneurs du siècle, dans une vertu dun instant; qui naspirent, au moment de la mort, quà sentourer dune certaine pompe funèbre, quà être ensevelis dans des tombeaux artistement ciselés, quà faire retentir leurs noms dans leurs terres et dans leurs palais; mais qui ne sinquiètent point du sort de leur âme après cette vie; imprudents que neffraie pas cette parole du Christ : « Insensé, cette nuit même on te redemandera ton âme, et pour qui sera ce que tu as amassé 1 ? » Ils ne considèrent point que le mauvais riche, après avoir fait chaque jour bonne chère et sêtre vêtu de pourpre et de fin lin 2, fut condamné aux tourments de lenfer; et quaprès les douleurs, les ulcères et la faim, le pauvre reposa au sein dAbraham. Voilà ce qui les inquiète peu. Mais ils soccupent du présent, peu soucieux pour lavenir, sinon de rendre célèbre sur la terre un nom réprouvé dans le ciel. Cest en faisant le portrait de ces hommes que lEsprit-Saint a dit : « Leur voie est pour eux la voie du scandale, puis ils béniront Dieu des lèvres 3 ». Cest ce que Notre-Seigneur Jésus-Christ a dit de quelques-uns qui arrivent dabord à la foi, purifiés par la parole de Dieu et les
1. Luc, XII, 20. 2. Id. XVI, 19. 3. Ps. XLVIII 14.
exorcismes faits au nom du Christ, afin de recevoir la grâce et le baptême, et qui retournent plus tard à des désordres plus grands que leurs désordres passés. « Leur dernier état devient pire que le premier 1 ». Ainsi dit lapôtre saint Pierre ; et le Seigneur : « Le dernier état de cet homme est pire que le premier 2 ». Pourquoi? Parce quauparavant cétait un païen déclaré, et quaujourdhui il est chrétien de nom, couvrant sa malice dun voile religieux. Leur état sera pire, est-il écrit, parce quil est caché, comme il est dit: « Ils béniront Dieu des lèvres » ; cest-à-dire que le nom du Christ est sur leurs lèvres, mais non dans leurs coeurs. Cest deux quil est dit: « Ce peuple mhonore des lèvres, mais leur coeur est loin de moi 3 ». Telle est la partie du psaume que nous avons expliquée. 2. Voici de quelle manière commencent les versets à expliquer : « Ils sont comme des troupeaux dans lenfer ; la mort est leur pasteur 4». De qui? De ceux qui ont trouvé le scandale dans leur voie. De qui? De ceux qui ne sont occupés que du présent, sans penser à lavenir; de ceux qui ne croient pas à une vie autre que cette vie, laquelle mérite plutôt le nom de mort. Ce nest donc pas sans sujet quils ressemblent à des troupeaux dans lenfer, ayant la mort pour pasteur. Quest-ce à-dire que la mort est leur pasteur? La mort serait-elle donc une réalité ayant quelque puissance? La mort est en effet la séparation de lâme et du corps, et cette séparation de lâme et du corps, voilà ce que redoutent les hommes;
1. II Pierre, II, 20. 2. Luc, XI, 26. 3. Ps. XXIX, 13. 4. Ps. XLVIII, 15.
mais il est une mort plus réelle, et que les hommes ne redoutent point, cest la séparation de lâme et de Dieu. Cest là proprement la mort. Comment cette mort doit-elle « être pour eux un berger? » Si le Christ est la vie, le diable est la mort. Or, nous savons par de nombreux passages de lEcriture que le Christ est la vie. Mais le diable est la mort, non que lui-même soit la mort, mais parce que la mort vient de lui. Quil soit question de la mort à laquelle Adam fut condamné, elle nest entrée que par lui dans le genre humain; quil soit question de la mort qui sépare notre âme de Dieu, elle vient encore de celui qui tomba par orgueil, et qui, jaloux de voir lhomme se tenir debout, le renversa par une mort invisible, de manière quil dut subir aussi une mort visible 1. Ceux donc qui lui appartiennent ont la mort pour pasteur mais nous, qui pensons à un avenir immortel, te nest pas sans raison que nos fronts sont marqués du signe de la croix, parce que nous navons dautre pasteur que la vie. Le pasteur des infidèles est donc la mort; le pasteur des fidèles est la vie. Quoi donc? Sommes-nous déjà dans le ciel? Nous y sommes selon la foi. Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient cette parole: Elevez vos coeurs? Si nous ne sommes pas dans le ciel, que devient ce mot de saint Paul: « Notre conversation est dans le ciel 2? » Notre corps est donc sur la terre, et notre coeur dans le ciel. Cest là que nous habitons, si nous y envoyons de quoi y retenir notre coeur. Car nul nest de coeur quau lieu occupé par ses pensées; et sa pensée est au même lieu que son trésor. Sil a son trésor sur la terre, son coeur ne sélève pas au-dessus de la terre; et sil a son trésor dans le ciel, son coeur ne descend pas du ciel; le Seigneur nous dit clairement: « Là où est votre trésor, là aussi est votre coeur 3 ». 3. Ils paraissent donc florissants ici-bas, ceux dont la mort est le pasteur, tandis que les justes sont dans laffliction; mais pourquoi? parce que nous sommes encore dans la nuit. Comment dans la nuit ? Cest-à-dire que les mérites des justes napparaissent point, tandis que le bonheur des impies est en évidence. Tant que dure lhiver, lherbe paraît plus riante que larbre; car lherbe paraît vive pendant lhiver, tandis que larbre paraît desséché: mais quand le
1. Gen, III, 1. 2. Phil. III, 20. 3. Matt. VI, 21.
soleil nous donnera ses feux de lété, larbre, qui paraissait desséché pendant lhiver, se couvrira de feuilles, portera des fruits, tandis que lherbe se desséchera: alors vous voyez larbre dans sa gloire, tandis que lherbe sèche et meurt. Ainsi en est-il des afflictions des justes ici-bas, avant que lété vienne pour eux. Leur vie est dans la racine, et napparaît pas encore dans les branches. Or, notre racine est la charité. Et que dit lApôtre? Que notre racine soit en Dieu, que la vie soit notre pasteur, que notre demeure ne doit point sécarter du ciel, que sur cette terre nous devons vivre comme si nous étions morts, afin que, vivant des choses den-haut, nous soyons morts pour celles dici-bas, et non morts pour celles den haut, vivant pour celles den bas. Comme donc notre vie, non plus que notre coeur, ne doit point séloigner du ciel, que nous dit saint Paul? « Vous êtes morts». Mais ne crains pas: « Votre vie », a-t-il ajouté, « est cachée en Dieu avec le Christ ». Cest là quest notre racine. Mais un jour notre gloire apparaîtra, et nous serons revêtus de nos feuilles et de nos fruits. Voilà ce que nous promet lApôtre en disant: « Lors de lapparition du Christ, qui est notre vie, vous apparaîtrez aussi avec lui dans la gloire 1 ». Ce sera notre matin, car le matin nest pas venu pour nous. Que les orgueilleux senflent de vanité ainsi que les riches du siècle, que les impies aient linsulte pour les bons, les infidèles pour les fidèles, et quils disent: De quoi vous sert votre foi? Quavez-vous de plus en possédant le Christ? Que les fidèles répondent, sils sont vraiment fidèles: Il est nuit, on ne voit pas encore ce que nous possédons. Que leurs mains ne se lassent point dans les bonnes oeuvres. Aussi est-il dit ailleurs: « Au jour de la tribulation, jai cherché mon Dieu; mes mains étaient avec lui pendant la nuit, et je nai pas été déçu 2 ». Au matin apparaîtra notre travail, et la récompense nous viendra le matin : ceux qui souffrent aujourdhui domineront ensuite; et ceux qui font étalage de jactance et dorgueil, seront dans la servitude. Quelle est en effet la suite du psaume? « Ils sont comme des troupeaux dans lenfer, la mort sera leur pasteur, et au matin les justes domineront sur eux 3 » 4. Ce verset me paraît éclairci, parce que
1. Coloss. III, 3,4. 2. Ps. LXXXVI, 3 3. Id. XLVIII, 15.
524
nous avons donné auparavant le sens de celui-ci: « Les justes domineront au matin». Endurez donc la nuit, soupirez après le matin. Ne timagine pas que lon vive la nuit, et que lon ne vive plus au matin. Le sommeil serait-il donc la vie, et le réveil ne serait-il pas une vie? Lhomme qui dort, au contraire, nest-il pas plus semblable à la mort? Et qui sont ceux qui dorment? Ceux quéveille saint Paul, si tant est quils veuillent séveiller. De qui dit-il, en effet: « Levez-vous, vous qui dormez, sortez dentre les morts, et Jésus-Christ vous éclairera. 1? » Donc ceux que le Christ a éclairés, veillent déjà, mais le fruit de leurs veilles napparaît pas encore; au matin il apparaîtra, cest-à-dire quand prendra fin lincertitude de cette vie. Ce monde est donc une nuit; nen vois-tu pas en effet les ténèbres? Un homme fait le mal, il vit, il est en horreur, il fait trembler, on le respecte; un autre fait le bien, il est réprimandé, couvert dimprécations, daccusations, il souffre, il tremble : cest là une espèce de nuit. Mais cest dans la racine quest la vigueur, le fruit, labondance: la vie nest pas encore dans les bran-cimes, mais la racine nest point morte: on la dirait desséchée, mais voici venir le temps où elle se couvrira de sa gloire et senrichira de ses fruits. Et de ceux dont on nous défend dêtre jaloux, que nous dit le psaume? « Quils se dessécheront comme le foin, et tomberont comme lherbe des prés 2 ». Ceux-là tomberont; quand ils verront à leur droite ces mêmes saints, quils raillaient dans les peines de cette vie, et ils se parleront eux-mêmes avec repentir, mais avec un repentir tardif et inutile. Ayant refusé de faire ici-bas une pénitence fructueuse, ils en feront une alors, mais une pénitence inutile. Que diront-ils donc dans un vain repentir? « Les voilà ceux que nous avons tournés jadis en u dérision, et comme le rebut du monde! » Jemprunte au livre de la Sagesse ces paroles connues de ceux qui les entendent souvent. Cest le langage futur des méchants, quand ils verront apparaître le Juge, avec les fidèles à sa droite, et tous ses saints qui jugeront avec lui. Voilà ce quils diront, et lEcriture a consigné leurs paroles: « Ce sont donc là ces hommes que nous avons tournés en dérision, que nous regardions comme le rebut de la terre! insensés que nous étions, nous regardions
1. Eph. V, 14. 2. Ps. XXXVI, 1, 2.
leur vie comme une folie 1 ». Quand un homme commence à vivre pour Dieu, à mépriser le monde, quand il renonce à venger une injure, dédaigne les biens dici-bas, ne cherche point en cette vie une félicité passagère, sélève au-dessus de tout, pour soccuper uniquement de Dieu, demeurer toujours dans la voie du Christ, non-seulement les païens disent de lui: Cest un insensé; mais ce qui est plus déplorable, comme il y a dans lEglise beaucoup dâmes endormies qui ne veulent point séveiller, on entend des proches, on entend des chrétiens dire: Quelle folie vous est venue? Mes frères, quest-ce donc que demander sil est fou, à un homme qui vit selon le Christ? Avons-nous réfléchi à cette parole? Nous avons horreur des Juifs qui disent à Jésus-Christ : « Vous êtes un possédé du démon 2 ». Et quand nous entendons ce passage de lEvangile nous frappons nos poitrines. Il y a de la scélératesse de la part des Juifs à dire à Jésus-Christ : « Vous êtes possédé du démon » ; et toi, ô chrétien, quand tu vois que le démon est sorti dun cur quhabite maintenant Jésus-Christ, et que tu dis : Doù vient cette folie? cet homme ne te paraît-il point possédé du démon? On a dit du Seigneur lui-même : Cest un insensé, quand il tenait aux Juifs un langage quils ne pouvaient comprendre; on la traité de fou, de possédé du démon 3; et pourtant quelques-uns sortaient du sommeil et disaient: «Ces paroles ne sont pas dun possédé du démon 4 ». Ainsi en est-il aujourdhui, quand ces paroles arrivent aux nations, à ceux qui habitent lunivers, aux enfants de la terre, aux fils des hommes, au riche, au pauvre, cest-à-dire à tous ceux qui appartiennent à Adam comme à ceux qui appartiennent au Christ ; les uns disent : Tu es possédé du démon; les autres: « Ces paroles ne sont pas celles dun possédé ». Les uns, en effet, marchent dans la voie du monde et nécoutent .ces paroles que dune manière passagère: les autres ne les accomplissent pas en vain, mais comme il est dit : « Prêtez loreille, vous qui habitez la terre 5 ». Et quand ils vivent ainsi, le fruit est encore incertain. Quant à ceux qui font le mal et qui choisissent la vie du monde, « la mort sera leur pasteur » ; au lieu que ceux qui choisissent la vie de Dieu, auront
1. Sag. V, 3, 4. 2. Jean, VIII, 48. 3. Id. X, 20. 4. Id. 21. 5. Ps. XLVIII, 2.
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pour pasteur la vie elle-même. Car cest la vie qui viendra juger et qui frappera de damnation, avec leur pasteur, ceux auxquels elle dira: « Allez au feu éternel, qui a été préparé au diable et à ses anges 1 ». Mais ceux qui ont reçu des insultes, et à qui leur foi a valu dérision, entendront de la vie elle-même quils auront pour pasteur: « Venez, bénis de mon Père, recevez le royaume qui vous a été préparé dès lorigine du monde 2. Les justes domineront donc les méchants » ; non point aujourdhui, mais au matin. Que nul ne dise: Que me sert dêtre chrétien? Je ne commande à personne, que du moins je domine les méchants. Ne vous pressez point; vous dominerez, mais au matin. « Et leur appui se consumera dans lenfer, après la gloire dont ils auront joui ». Aujourdhui ils sont dans la gloire, dans lenfer elle sera consumée, Quest-ce que leur appui? lappui de leurs richesses, lappui de leurs amis, lappui de leur propre puissance. Mais à la mort de lhomme, en ce jour même périront toutes ses pensées 3. Autant il avait paru élevé en gloire, pendant quil vivait parmi hommes, autant la mort doit lhumilier, lanéantir dans les supplices de lenfer. 5. « Mais Dieu rachètera mon âme 4 ». Ecoutez le cri de lespérance pour lavenir: « Toutefois Dieu rachètera mon âme ». Cest peut-être le cri de lâme qui aspire après la délivrance de cette vie. Un homme est en prison: Dieu, dit-il, délivrera mon âme; un autre gémit dans les chaînes: Dieu délivrera mon âme; un troisième se trouve exposé à la mer, il est battu par les flots en courroux et tempétueux, que dit-il? Dieu délivrera mon âme. Ils veulent être délivrés des maux de cette vie. Telle nest point la délivrance que lon souhaite ici. Ecoutez la suite: « Dieu délivrera mon âme de la puissance de lenfer, quand il maura pris sous sa garde ». Dès lors il est question de cette délivrance dont le Christ nous a donné le modèle en lui-même. Il est descendu aux enfers et ensuite remonté au ciel. Ce que nous avons vu dans le chef, nous le trouvons dans les membres. Notre foi dans le chef est basée sur la prédication de ceux qui ont vu ce quils nous ont annoncé, et nous avons vu par leurs yeux, puisque nous sommes un même corps 5. Mais
1. Matt. XXV, 41. 2. Id. 34. 3. Ps. CXLV, 4. 4. Id. XLVIII, 16 5. I Cor. XII, 12; Rom. XII, 5.
ceux-là peut-être sont plus privilégiés, parce quils ont vu, et peut-être le sommes-nous moins, parce que cela nous a été seulement prêché? Tel nest point le langage de celui qui est la vie et notre pasteur. Car il reproche à un disciple son doute, et sa volonté de toucher ses plaies ; et quand ce disciple eut touché ses plaies, et se fut écrié : « Mon Seigneur et mon Dieu », comparant lhésitation de ce disciple avec la foi de lunivers entier : « Vous avez cru », lui dit-il, « parce que vous avez vu: bienheureux ceux qui ne voient pas et qui croient 1 » . « Dieu toutefois rachètera mon âme de lenfer, quand il maura pris sous sa garde ». Mais ici-bas que faut-il attendre? le labeur, langoisse, la tribulation, lépreuve : nespérez rien autre chose. Où donc sera la joie? Dans lespérance de lavenir. Car lApôtre a dit: « Soyons toujours dans la joie ». Au milieu de vos tribulations, « soyez toujours dans la joie, toujours dans la tristesse ». Toujours dans la joie, car il a dit: « Nous paraissons dans la tristesse, et pourtant nous sommes dans la joie 2 ». Il y a chez nous tristesse en apparence; mais il nen est pas de même de notre joie. Pourquoi la tristesse nest-elle quapparente ? parce quelle passera comme un songe, « et que les justes domineront au matin ». Car vous le savez, quiconque raconte un songe, ajoute comme ; cétait comme si je voyais, comme si je dînais, comme si jétais à cheval, comme si je discutais. Toujours comme si, parce quen séveillant il na pas trouvé ce quil voyait. Javais comme trouvé un grand trésor, dit un mendiant; sans ce comme, il ne serait pas mendiant; à cause du comme il est mendiant. Pour ceux dès lors qui ouvrent les yeux sur les plaisirs du monde, et savent y fermer leur coeur, ce comme passe rapidement et fait place à la réalité. Leur comme est la félicité de cette vie; la réalité, cest la peine. Pour nous il y a comme une tristesse , et non comme une joie. Car lApôtre ne dit point: Soyez comme dans la joie, mais toujours tristes; ou : Comme dans la joie et comme dans la tristesse; mais bien : « Comme dans la tristesse, mais toujours dans la joie ». « Nous sommes semblables à des pauvres » ; il dit ici semblables au lieu de comme, « et nous enrichissons bien des hommes ». Et quand
1. Jean, XX, 28, 29. 2. II Cor. VI, 10.
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lApôtre parlait ainsi, il ne possédait rien. Il avait tout abandonné, navait plus aucune richesse. Et que dit-il ensuite? « Comme ne possédant rien » ; ce dénûment est aussi un comme pour lapôtre saint Paul. « Et possédant tout » ; ici il ne dit point comme. Il était pauvre en apparence; mais cétait bien en réalité, et non en apparence, quil enrichissait beaucoup dhommes. Il était comme dénué, et toutefois il possédait, non plus en apparence, mais réellement toutes les richesses. Comment possédait-il en réalité toutes les richesses? Parce quil était uni au Créateur de toutes choses. « Toutefois », dit le Prophète, « le Seigneur rachètera mon âme de lenfer, quand il me prendra sous sa garde ». 6. Que deviendront ceux qui désirent les biens du monde? Tu verras un méchant dans les délices de cette vie, et ton pied chancellera peut-être, et tu diras en ton âme : Dieu, jai connu les actes de cet homme, les crimes quil a commis, et le voilà dans le bonheur, il fait trembler les autres, il domine, il sélève; il na pas la moindre migraine, il nessuie pas la moindre perte: et te voilà pris de doute contre ta foi, et ton coeur sécrie : Malheur à moi ! cest en vain que jai la foi, Dieu na aucun soin des choses dici-bas. Dieu donc vient nous éveiller, et que nous dit-il? « Ne crains point, lorsquun homme sera devenu riche 1». Pourquoi les richesses de cet homme tinspiraient-elles de la crainte? Tu craignais davoir vainement cru en Dieu, davoir perdu le fruit de ta foi, lespérance fondée sur ta conversion: un gain frauduleux sest présenté, tu pouvais tenrichir, échapper à la misère; mais les menaces de Dieu tont détourné de la fraude et fait mépriser un tel gain; tu en vois un autre quun gain frauduleux vient denrichir, qui est exempt de peines, et tu crains ton attachement pour la justice. « Ne crains pas », te dit lEsprit-Saint, « quand un homme sera devenu riche ». Tu ne veux avoir des yeux que pour les biens présents. Ce sont des biens futurs que ta promis celui qui est ressuscité, mais il na promis pour ici-bas ni le repos ni la paix. Tout homme cherche le repos : cest un vrai bien, mais il ne cherche pas ce bien dans la région où il se trouve. La paix nest point de cette vie; cest dans le ciel que lon nous promet ce que nous cherchons ici-bas:
1. Ps. XLVIII, 17.
cest dans le siècle à venir que lon nous promet ce que nous cherchons dans le présent. 7. « Ne crains point quand un homme est devenu riche, et quil étend la gloire de sa maison ». Pourquoi ne pas craindre? « Car à sa mort, il nemportera pas toutes ses richesses 1 ». Tu le vois vivant, pense à son trépas. Tu vois ce quil possède, vois ce quil doit emporter avec lui. Que doit-il emporter? Il a des monceaux dor, des monceaux dargent, de grands domaines, de nombreux esclaves : il meurt, et tout cela va rester il ne sait à qui. Quand même il le laisserait à ceux quil veut enrichir, il ne saurait le conserver à ceux à qui il désire le conserver. Plusieurs en effet ont acquis ce quon ne leur avait point laissé, et plusieurs ont perdu ce quils avaient reçu en héritage. Tout cela va donc rester, et quemportera-t-il avec lui ? Mais, dira-t-on, il emporte au moins le linceul dont on lenveloppe, et ce que lon dépense pour lui ériger un tombeau de marbre, qui perpétuera sa mémoire. Et moi je vous dis : Non, pas même cela. On fait tout cela pour un homme privé de tout sentiment. Quon orne ainsi un homme dans son lit, profondément endormi, il aurait du moins ces ornements avec lui; et peut-être que, quand il serait couvert de ces riches vêtements, il se croirait en songe couvert de haillons. Lobjet quil se représente lui fait une plus vive impression quun objet quil ne voit pas. Bien quil nen doive pas juger ainsi à son réveil, néanmoins limpression de ce quil voyait en songe était plus forte que celle de tout ce quil ne voyait pas. Donc, mes frères, que les hommes se disent : Que lon fasse à ma mort de somptueuses dépenses, quai-je à faire de si riches héritiers? Ils auront dans mes biens une assez forte part ; il est bien juste que jen détache une partie pour mon corps. Que peut posséder une chair déjà morte? que peut posséder une chair déjà en pourriture, une chair privée de sentiment? Si cet homme, dont la langue était desséchée 2, possédait quelque chose, que lhomme, jy consens, emporte de son bien. Est-ce bien là, mes frères, ce que nous lisons dans lEvangile? Ce riche avait-il dans les flammes ses vêtements de soie et de lin? Etait-il dans les enfers comme dans ses festins somptueux ? Non, il navait point toutes ses richesses quand la soif le
1. Ps. XLVIII, 18. 2. Luc, XVI, 24.
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dévorait et quil demandait un goutte deau. Lhomme nemporte donc rien avec lui, et ce nest point lui qui reçoit ce que lon donne à sa sépulture. Il ny a dhomme, que quand il y a sentiment. Où il ny a plus de sentiment, il ny a plus dhomme. On voit seulement par terre le vase qui renfermait lhomme, la maison qui le renfermait. Nous appelons le corps une maison, et lâme est le maître qui y demeure. Cette âme est donc tourmentée dans les enfers : de quoi lui sert que le corps soit enveloppé de précieux tissus, dans les parfums et dans les aromates? Comme si tu ornais les murailles dun palais dont le maître est en exil. Voilà cet homme qui souffre de la faim et de la soif dans lexil, à peine a-t-il une hutte où il puisse prendre son sommeil, et tu dis: Quil est heureux davoir un si beau palais! Qui ne prendra ta parole pour une folie ou pour une raillerie? Tu ornes le corps, et lâme est dans les tourments. Fais quelque chose pour lâme, et tu auras fait quelque chose pour le mort. Mais que lui donneras-tu, quand il a désiré une goutte deau sans lobtenir? Il na pas voulu jeter avant lui quelque peu de son bien. Pourquoi na-t-il pas voulu? Parce que « cette voie est pour eux la voie du scandale ». Il na envisagé que la vie présente, il na eu dautre souci que dêtre enseveli dans des habits précieux. Son âme lui est enlevée, selon cette parole du Sauveur: « Insensé, on va cette nuit te redemander ton âme, et à qui appartiendra ce que tu as amassé 1 ? » Ainsi saccomplit en lui cette parole de notre psaume : « Ne craignez point, quand un homme sera enrichi, et quand sa gloire sétendra sur sa famille; car en mourant il nemportera pas toutes ses richesses, et sa gloire ne le suivra point dans le tombeau ». 8. « Son âme a reçu des bénédictions en cette vie 2 ». Redoublez dattention, mes frères: « Son âme a reçu des bénédictions en cette vie ». Tant que ce riche a vécu, il sest fait du bien. Tel est le langage de tous, langage bien faux. Le bien nétait que dans lesprit de celui qui le bénissait, et non dans réalité. Que dis-tu, en effet? quil a mangé, quil a bu, quil a fait à sa volonté, quil a vécu dans les festins splendides, et quainsi il sest fait du bien? Et moi, je dis quil sest fait du mal. Car ce nest point moi, mais Jésus-Christ
1. Luc, XII, 20. 2. Ps. XLVIII, 19.
qui dit que cet homme sest fait son malheur. Quiconque voyait ce riche chaque jour en festin, croyait quil se traitait bien, et quand il a dû brûler dans les enfers, ce que lon croyait bien, est devenu un mal, car il digérait dans les enfers ses festins dici-bas. Je parle de liniquité qui faisait sa nourriture. Sa bouche charnelle prenait des mets délicats, et la bouche de son coeur se repaissait diniquité. Cette nourriture de linjustice que prenait ici-bas la bouche de son coeur, voilà ce quil digérait dans les supplices de lenfer. Le plaisir de manger ne dura quun temps, la digestion sera éternelle. On mange donc liniquité, me dira quelquun? que signifie manger liniquité? Ce nest point moi qui parle ainsi, mais bien lEcriture; écoutez: «Comme le raisin vert est pour les dents, la fumée pour les yeux, telle est liniquité pour celui qui la commet 1 ». Se nourrir en effet de liniquité, ou la commettre volontiers, cest ne plus se nourrir de la justice. Or, la justice est un pain. Quel pain? « Je suis le pain de vie descendu du ciel 2 ». Tel est le pain de notre coeur. Celui qui mange des raisins verts en a les dents agacées et ne peut plus manger de pain, il ne peut plus que dire quil est bon sans pouvoir y toucher; ainsi en est-il de celui qui sest nourri diniquité, qui a donné le péché en pâture à son coeur; incapable de manger le véritable pain, il en est réduit à louer la parole de Dieu sans laccomplir. Pourquoi ne laccomplit-il point? A peine se met-il en devoir, quil est pris de douleur, de même que nos dents nous font souffrir, quand nous voulons manger du pain après avoir mangé des raisins verts. Mais que font ceux qui ont les dents agacées? Ils sabstiennent pendant quelque temps de manger des raisins verts, et leurs dents reprennent cette solidité, qui leur permet de manger du pain. Ainsi en est-il de nous qui faisons léloge de la justice. Si nous voulons en faire notre aliment, abstenons-nous de toute iniquité, et alors naîtra dans notre coeur non-seulement le bonheur de louer la justice, mais le bonheur de nous en nourrir. Quun chrétien dise : Dieu sait que jaime le bien, mais que je ne puis le faire : il a les dents agacées, longtemps il sest nourri diniquité. On se nourrit donc de justice? Si elle nétait pas un aliment, Dieu ne dirait point: « Bienheureux ceux qui ont
1. Prov. X, 26. 2. Jean, VI, 41.
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faim et soif de la justice 1». Donc, puisque « lâme de cet homme sera bénie pendant sa vie », les bénédictions seront ici-bas pour lui, et les tourments après la mort. 9. « Il vous louera si vous lui faites du bien ». Considérez cette vérité, quelle vous nourrisse, quelle soit enracinée dans vos coeurs et soit votre aliment. Voyez ces hommes, gardez-vous de leur ressembler prenez garde surtout à ces paroles : « Il vous louera, si vous lui faites du bien». Combien de chrétiens, mes frères, qui remercient Dieu seulement quand il leur arrive quelque bien? Cest accomplir cette parole : « Il vous bénira quand vous lui ferez quelque bien ». Il vous bénira et dira : Véritablement vous êtes mon Dieu : il ma délivré de ma prison et je le bénirai. Il lui survient quelque bonheur, et il bénit Dieu; quelque malheur, et il blasphème. Quel fils es-tu donc, pour quun père te déplaise alors quil te châtie? Le ferait-il si tu ne lui déplaisais? Et si tu lui déplaisais au point dencourir sa haine, voudrait-il te redresser? Rends donc grâces à celui qui te redresse, afin que tu puisses recueillir lhéritage du Dieu qui te châtie. Te redresser, cest te perfectionner; et sil te redresse fortement, cest quil te réserve un héritage précieux. Si tu compares en effet ces châtiments avec les biens quil te réserve, tu trouveras que ces châtiments ne sont rien. Saint Paul nous dit à ce propos : « Les afflictions si courtes et si légères de la vie présente, nous préparent un poids incroyable de gloire ». Mais pour quel moment? « Ne considérons point les choses visibles, mais bien les choses invisibles; non plus celles du temps, mais celles de léternité. Ce que lon voit est passager, ce que lon ne voit pas est éternel 2 ». Et ensuite : « Les douleurs de la vie présente ne sont-point comparables à la gloire future qui doit éclater en nous 3 ». Quest-ce donc que ta douleur? Mais, diras-tu, elle dure toujours, soit, Depuis ta naissance, dans tous les âges jusquà lextrême vieillesse, jusquà la mort, tu dois souffrir comme Job; quun homme endure depuis lenfance ce que Job a enduré quelque temps, néanmoins les douleurs passeront et auront une fin; la récompense de ces douleurs sera éternelle. Ne compare plus les maux avec les biens, mais le temps avec léternité, si tu le peux.
1. Matt. V, 6. 2. II Cor. IV, 17, 18. 3. Rom. VIII, 18.
10. « Il vous bénira si vous lui faites du bien e ». Quil nen soit pas ainsi de vous, mes frères; considérez que, si je vous tiens ce langage, si nous chantons ce psaume, si je me fatigue à vous lexpliquer, cest pour vous détourner den agir de la sorte. Vos occupations deviennent pour vous une épreuve : souvent dans votre négoce vous entendez la vérité, et alors vous blasphémez, vos blasphèmes retombent sur lEglise. Pourquoi? parce que vous êtes chrétiens. Sil en est ainsi, je vais chez Donat, direz-vous, je veux me faire païen. Pourquoi? Parce que vous avez touché le pain du bout des dents, et que vos dents étaient agacées. A la vue de ce pain, vous le vantiez : vous y avez mis la dent et vous lavez sentie endolorie; cest-à-dire que vous applaudissez en écoutant la parole de Dieu, mais que vous blasphémez, quand on vous dit : Faites ceci. Nagissez plus de la sorte ; dites plutôt : Ce pain est excellent, mais je ne puis en manger; au lieu que maintenant tu le bénis en le voyant des yeux, et tu te récries: Quil est mauvais ! qui donc la fait? dès que tu en goûtes. Par cette conduite tu bénis Dieu quand il te fait du bien; et pour toi, dire : «Je bénirai le Seigneur en tout temps, sa louange sera toujours en ma bouche 1 », cest là un véritable mensonge. Ce que chantent vos lèvres doit aussi sortir de votre coeur. Tu as chanté dans lEglise : « Je bénirai le Seigneur en tout temps ». Comment en tout temps? sil tarrive en tout temps quelque gain, tu le bénis en tout temps ; mais quun jour arrive la perte, et alors aussi arrive le blasphème, et non la louange : est-ce bien là le bénir en tout temps? est-ce bien là sa louange qui est toujours dans ta bouche? Tu ressemblerais à celui dont le Prophète a dit : « Il vous bénira, Seigneur, quand vous lui aurez fait quelque bien ». 11. « Il ira jusquoù sont allés ses pères 2»; cest-à-dire quil imitera ses ancêtres. Les méchants daujourdhui ont des frères, ont une lignée. Les méchants dautrefois sont les pères de ceux daujourdhui; et les méchants daujourdhui sont les pères des méchants à venir; de même que les anciens justes sont les pères de ceux daujourdhui, comme ceux daujourdhui les pères des justes qui viendront après eux. LEsprit-Saint a voulu nous montrer que la justice nest point à condamner,
1. Ps. XXXIII, 2. 2. Id. XLVIII, 20.
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bien que les méchants blasphèment contre elle, mais que ces hommes ont leur père dans la suite des âges. Adam eut deux fils; chez lun fut liniquité, chez lautre la justice: Caïn était méchant, mais Abel était juste. Or, liniquité sembla dominer la justice, puisque linjuste Caïn tua le juste Abel 1, pendant la nuit. Etait-ce le matin? Mais au matin les justes prévaudront sur les méchants. Ce matin viendra donc et lon verra où est Abel, où est Caïn. Ainsi en est-il de tous ceux qui auront suivi Caïn, comme de ceux qui auront suivi Abel. « Il ira jusquoù sont allés ses pères: il a perdu la lumière pour toujours». Quand il était en cette vie, il était dans les ténèbres, sapplaudissait des faux biens, naimait point les véritables : voilà pourquoi il sera précipité dans lenfer, et passera des ténèbres de lillusion aux ténèbres des tourments. Donc « ils seront éternellement privés de lumière ». Mais pourquoi? Voici à la fin du psaume la réponse donnée au milieu : « Lhomme était en honneur, il ne la pas compris, il sest comparé aux animaux sans raison et leur est devenu semblable 2 ».
1. Gen. IV, 8. 2. Ps. XLVIII, 21.
Quant à vous, mes frères, considérez que vous êtes les hommes créés à limage de Dieu, et à sa ressemblance 1. Cette image est intérieure en vous, elle nest pas dans votre corps; ni ces oreilles que vous voyez, ni ces yeux, ni ces narines, ni ce palais, ni ces mains, ni ces pieds ne sont à la ressemblance de Dieu, qui est néanmoins en vous : où est lintelligence, où est lesprit, où est la raison qui recherche la vérité, où est la foi, où est votre espérance, où est votre charité, là est aussi limage de Dieu. Cest au moins là que vous comprenez et que vous voyez que tout passe ici-bas, comme il est dit dans un autre psaume : « Quoique lhomme passe avec limage de Dieu, il est néanmoins inutilement troublé: il amasse, et ne sait pour qui 2. Ne vous troublez donc point: quels que soient ces biens, si vous êtes élevés en honneur et intelligents, vous verrez quils passent bien vite. Car si vous nêtes point élevés en honneur, et si vous navez point lintelligence, vous êtes comparés aux animaux sans raison, et vous leur devenez semblables.
1. Gen. I, 26. 2. Ps. XXXVIII, 7.
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