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DISCOURS SUR LE PSAUME XLVII.SERMON AU PEUPLE.ÉTABLISSEMENT DE LÉGLISE.
Ce psaume est pour le deuxième jour de la semaine, celui où fut formé le firmament par Jésus-Christ ressuscité. Ce firmament est limage de 1Eglise, qui est la cité du grand roi, la montagne sainte sur laquelle Dieu exauce nos prières, et qui remplit le monde entier; Elle est un seul édifice formé néanmoins de la circoncision et de la gentilité, deux murailles unies par le Christ, qui est la pierre de langle. La gentilité, figurée par laquilon, dépose son orgueil, vient avec ses rois recevoir la grâce. Mélange des bons et des méchants; les bons sont le froment parfois recouvert de paille. La force de Sion, cest la charité qui nous fait proclamer Jésus-Christ comme notre Dieu.
1. Ce psaume a pour titre : « Cantique à la louange des fils de Coré, pour le second jour de la semaine 1» . Ecoutez, comme les enfants du ciel, ce que le Seigneur voudra bien me suggérer à ce sujet. Ce fut le second jour de semaine, ou le lendemain du jour que nous appelons Dimanche, et que lon appelle encore tonde férie, que fut créé le firmament du ciel, ou plutôt le firmament qui est le ciel. Car Dieu donna au ciel le nom de firmament 2. Le premier jour il avait fait la lumière quil avait séparée des ténèbres; il avait appelé la lumière jour, et les ténèbres nuit. Or, comme lindique le contexte du psaume, Dieu nous marqué dans cet ouvrage quelque chose qui sait saccomplir en nous ; et les siècles se sont écoulés sur le modèle de cette création. nest point en effet sans raison que le Seigneur a dit de Moïse : « Cest de moi quil a écrit 3 », puisque toutes les Ecritures, même celles qui regardent la création, peuvent être envisagées comme une prophétie de lavenir; et quainsi la création de la lumière annonçait la résurrection du Christ. Car alors la lumière fut vraiment séparée des ténèbres, quand limmortalité se dégagea des liens, de mort. Quelle devait en être la conséquence, sinon quil se formât pour ce chef un corps qui est lEglise ? Enfin, il y a aussi un autre psaume, pour le premier jour du Sabbat, et qui annonce clairement la résurrection du Seigneur. Car on y lit : « Princes, ouvrez vos portes; élevez-vous, portes éternelles, et le Roi de gloire entrera 1 ». Nest-il pas visible que ce Roi de gloire est le Christ? Lui dont
1. Ps. XLVII,1. 2. Gen. I, 3-8. 3. Jean, V, 46. 4. Ps. XXLIII, 7, 9..
saint Paul a dit: « Sils eussent connu le Roi de gloire, ils ne leussent jamais crucifié 1 ». Donc par le second jour de la semaine il nous est impossible dentendre autre chose que lEglise du Christ; mais lEglise du Christ dans les saints, lEglise du Christ dans ceux dont les noms sont écrits au ciel, 1Eglise du Christ dans ceux qui ne cèdent point aux tentations de ce monde. Car ceux-là méritent de sappeler firmament. Cest donc lEglise du Christ qui est appelée firmament, dans ceux qui sont forts et dont lApôtre a dit : « Nous devons, nous qui sommes plus forts, supporter les faiblesses des infirmes 2 ». Cest de ce firmament quil est parlé dans ce Psaume. Ecoutons-le, comprenons-le, associons-nous à la gloire et au règne quil célèbre. Aussi voyons-nous que tette Eglise est appelée un firmament dans les lettres de lApôtre; écoutons et voyons: « Elle est », dit-il, « lEglise de Dieu, la colonne et le firmament de la vérité 3 ». Cest de ce firmament que notre psaume entretient les fils de Coré, que vous savez déjà être les fils de 1Epoux crucifié au Calvaire 4 ; car Coré signifie Chauve. Voici donc la suite du psaume intitulé: « Le second jour de la semaine ». 2. « Le Seigneur est grand et digne de nos louanges 5 ». Oui, « le Seigneur est grand, il est souverainement louable »; mais est-il béni parles infidèles? Est-il béni par ceux qui le connaissent et qui néanmoins vivent dans le désordre, qui sont pour le nom du Seigneur une cause de blasphème parmi les nations 6?
1. Cor. II, 5. 2. Rom. XV, 1. 3. I Tim. III, 15. 4. Matt. XXVII, 33. 5. Ps. XLVII, 2. 6. Isa. LII, 5; Rom, II, 24.
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Ceux-là bénissent-ils Dieu ? Quand même ils le béniraient, leurs bénédictions seraient-elles acceptées, puisquil est écrit: « La louange nest pas bonne dans la bouche dun pécheur 1 ? » Tu nous dis donc, ô saint Prophète : « Le Seigneur est grand et souverainement digne de nos louanges ». Mais dis-nous, en quel endroit le faut-il bénir? « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ». Il est dit ailleurs à propos de cette montagne : « Qui sélèvera sur la montagne du Seigneur? Lhomme au coeur pur, aux mains innocentes 2 ». Cest pour eux que « le Seigneur est grand et souverainement louable »; et encore : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte ». Telle est la cité placée sur la montagne et qui ne peut être cachée 3. Tel est le flambeau que lon ne cache point sous le boisseau, que chacun connaît, qui brille partout. Mais tous ne sont pas citoyens de cette ville ; il ny a que ceux pour qui « le Seigneur est grand et souverainement louable ». Voyons quelle est cette cité ; et comme il est dit : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte », peut-être devons-nous rechercher aussi cette montagne où Dieu exauce nos prières. Car ce nest probablement pas sans raison quil est dit dans un autre psaume : « Ma voix sest élevée jusquà Dieu, et il ma exaucé du haut de la montagne sainte 4 ». Cette montagne a contribué à te faire exaucer. Car si tu ny étais monté, tu aurais pu crier den bas, mais non être exaucé. Quelle est donc cette montagne, mes frères? Il faut la rechercher avec soin, avec la plus vive attention; il faut des efforts pour sen emparer et y monter. Mais que faire si elle noccupe quun lieu dans le monde? Faudra-t-il quitter la patrie pour arriver à cette montagne? Au contraire, ne pas lhabiter, cest être hors de notre patrie. Car cest bien elle qui est notre cité, si nous sommes les membres de ce roi qui est le chef de la cité. Où donc est cette montagne? Si elle occupait une seule partie du monde, il nous faudrait tout entreprendre pour y arriver. Mais à quoi bon te tourmenter? Plaise à Dieu que tu ne mettes pas plus de lenteur pour aller à cette montagne quelle nen a mis à venir téveiller. Il y eut en effet une pierre angulaire méprisée par les Juifs 5, qui sy
1. Eccl. XV, 9. 2. Ps. XXIII, 3. 3. Matt. V, 15, 15. 4. Ps. III, 5. 5. Rom. IX, 32.
heurtèrent, détachée dune certaine montagne sans la main dun homme 1, cest-à-dire détachée du royaume des Juifs, et qui vint sans la main dun homme, parce que nul homme neut part à cet enfantement de Marie qui mit au monde Jésus-Christ 2. Mais si cette pierre était demeurée à lendroit où les Juifs la heurtèrent 3, tu naurais rien où tu puisses monter. Quest-il donc arrivé? Que dit la prophétie de Daniel? sinon que cette pierre a grandi et quelle est devenue une grande montagne? Combien grande? jusquà remplir toute la terre 4. Donc, cette montagne en grandissant, jusquà embrasser toute la terre, est venue jusquà nous. A quoi bon dès lors chercher cette montagne comme si elle était loin de nous, et ne pas y monter puisquelle est sous nos yeux, afin que pour nous aussi, « le Seigneur soit grand et souverainement louable? » 3. Et même afin que tu ne puisses méconnaître la montagne dont parle notre psaume, et que tu ne croies devoir la chercher en quelque lieu de la terre, écoute la suite. Après avoir dit : « Dans la cité de notre Dieu, sur la montagne sainte », quajoute le Psalmiste ? « Vous étendez les montagnes de Sion qui sont la joie de la terre entière 5 ». Il ny a quune seule montagne de Sion: pourquoi est-il dit : « Les montagnes? » Serait-ce parce que ceux-là aussi appartiennent à Sion, qui sont venus dun côté différent, de manière à se rencontrer dans la pierre de langle, et à former deux murs, comme deux montagnes dont lune viendrait des circoncis, lautre des incirconcis, lune des Juifs, lautre des Gentils, et qui dès lors ne sont plus séparés? Sil y a une divergence parce quils viennent de directions différentes, ils ne sont plus différents dans langle qui les unit. « Cest lui », dit lApôtre, « qui est notre paix, cest lui qui de deux peuples nen fait quun ; cest là cette pierre quont rejetée les bâtisseurs, et qui est devenue la pierre angulaire ». Cette montagne a réuni en elle deux montagnes. Cest un seul édifice, et il y a pourtant deux édifices : deux à cause des deux peuples qui viennent de deux directions différentes, un seul à cause de la pierre angulaire qui les unit. Ecoute ceci encore : «Les montagnes de Sion, les flancs de lAquilon, sont la cité du
1. Dan. II, 34. 2. Matt. I, 16 ; Luc, I, 34, II, 7.3. Rom. IX, 32. 4. Dan. II, 35. 5. Ps. XLVII, 3. 6. Eph. II, 14. 7. Ps. CXVII, 22.
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grand roi ». Au nom de Sion, tu te figurais cet unique endroit de la terre où est bâtie Jérusalem, et tu ny rencontrais quun peuple circoncis, et dont Jésus-Christ na recueilli que les restes, la plus grande partie ayant été chassée par le vent comme la paille. Il est écrit en effet : « Les restes seront sauvés 1». Mais jette les yeux sur les Gentils, et vois lolivier sauvage greffé sur lolivier franc 2, dont il boit la sève. Les Gentils sont donc « ces flancs de lAquilon » ajoutés au palais du grand Roi. LAquilon est ordinairement opposé à Sion, car Sion est au midi, et lAquilon est lopposé du midi. Quel est cet Aquilon, sinon celui qui a dit: « Jétablirai mon trône du côté de lAquilon, et je serai semblable au Très-Haut 3? » Cétait jadis lempire de Satan, qui régnait sur les Gentils adonnés à lidolâtrie et au culte des démons. Or, tout ce quil y avait dhommes dans lunivers entier, sétant attaché à lui, était devenu Aquilon. gais comme celui qui peut enchaîner le fort, lui enlève aussi ses dépouilles 4, et se les approprie, les hommes délivrés de linfidélité et du culte superstitieux des démons, ont cru au Christ et sont entrés dans la structure de cette ville, et ils se sont rencontrés, à langle, avec cette muraille qui venait de la circoncision, et ces flancs de laquilon sont devenus la cité du grand Roi. Aussi est-il dit dans un autre endroit de lEcriture : « Les nuées aux reflets dor viennent de lAquilon, cest en elles que le Tout-Puissant fait consister son honneur et sa gloire 5». La convalescence dun malade désespéré fait la gloire du médecin. Les nuées de lAquilon ne sont point noires, ni ténébreuses, ni obscures, mais elles ont des reflets dor. Doù vient cela, sinon de la grâce qui les éclaire par le Christ? Voilà « les flancs de lAquilon devenus la cité du grand Roi ». Ils sont bien des flancs, puisquils avaient adhéré au démon. On dit en effet de ceux qui sattachent à quelquun quils sont toujours à ses côtés. Souvent encore, à propos de quelques hommes, nous disons: Il est honnête homme et pourtant mal flanqué; cest-à-dire, il a de la probité, mais ceux qui laccompagnent sont mauvais. Donc les flancs de lAquilon désignent ceux qui adhéraient au diable; cest de là que revenait celui dont nous entendions tout à lheure lhistoire, qui était mort et qui
1. Rom. IX, 27. 2. Id. XI, 17. 3. Isa. XIV, 13, 14. 4. Matt. XII, 29. 5. Job, XXXVII, 22.
ressuscita, qui était perdu et qui fut retrouvé 1. Il sen était allé dans une région lointaine, était arrivé jusquà lAquilon, et là, comme vous lavez entendu, sétait attaché à un prince de ces contrées. Il devint donc un flanc de lAquilon en sattachant à ce prince de ces contrées; mais comme la cité du grand Roi se peuple des flancs de lAquilon, il rentra en lui-même et dit : « Je me lèverai et jirai à mon Père 2 ». Alors, accourant au-devant de lui, il sécria: « Il était mort, il est ressuscité; il était perdu et je lai retrouvé ». Le veau gras devint la pierre angulaire 3. Enfin, le fils aîné, qui ne voulait prendre aucune part au festin, entra sur les instances de son père : et ainsi ces deux murailles, comme ces deux fils, arrivèrent au veau gras et formèrent la cité du grand Roi. 4. Continuons donc le psaume et disons : « Dieu sera connu dans ses demeures 4». Dans ses demeures, est-il dit, à cause des montagnes, à cause des deux murailles, à cause des deux fils. « Le Seigneur sera connu dans ses palais ». Mais le Prophète ajoute à linstant, pour nous prêcher la grâce : « Quand il en prendra la garde ». Que deviendrait en effet la cité, si Dieu ne la gardait? Ne sécroulerait-elle pas à linstant, si elle navait tin tel fondement? Car nul ne peut en poser dautre que celui qui a été posé et qui est Jésus-Christ 5, « Que nul donc ne se prévale de ses mérites, mais que celui qui se glorifie se glorifie dans le Seigneur »; puisque cette ville nest grande, et que le Seigneur nest en elle quà la condition quil en prendra la garde: comme un médecin prend un malade pour le guérir, et non pour laimer tel quil est. Le médecin, en effet, naime pas la fièvre. Il naime pas le malade non plus, et néanmoins il laime. Sil aimait le malade, il le souhaiterait toujours en cet état, et sil naimait le malade, il ne viendrait pas le visiter; il aime donc le malade afin de le guérir. Le Seigneur a donc pris cette cité sous sa garde, et il sy est fait connaître, cest-à-dire que sa grâce y a été connue; car tous les privilèges de cette ville qui se glorifie en Dieu, elle ne les tient pas delle-même. De là vient cette parole qui lui est adressée : « Quavez vous que vous nayez reçu? Mais si vous avez reçu, pourquoi vous glorifier comme si vous
1. Luc, XV, 32. 2. Id. 18. 3. Eph. II, 20. 4. Ps. XLVII, 4. 5. I Cor. III, 11. 6. Id. I, 31.
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« naviez pas reçu 1? » « Le Seigneur sera donc connu dans les demeures de cette ville, quand il laura prise sous sa garde ». 5. « Car voilà que les rois de la terre se sont rassemblés 2 ». Voyez comme viennent ces flancs de lAquilon, voyez comme ils disent: « Venez, allons à la montagne du Seigneur; car il nous a fait connaître ses voies, afin que nous y marchions 3. Voilà que les rois de la terre se sont rassemblés, ils se sont réunis dans lunité». Où donc se sont-ils réunis dans lunité, sinon en celui qui est la pierre angulaire 4? « Eux-mêmes à cette vue ont été dans ladmiration ». Après quils ont admiré les miracles et la gloire du Christ, quest-il arrivé? « Ils ont été dans la stupéfaction, dans le trouble, saisis de crainte 5». Doù leur venait cette crainte, sinon du remords de leurs péchés? Que les rois courent donc après ce roi, que les potentats le reconnaissent pour maître. Aussi est-il dit ailleurs: « Pour moi, jai été établi roi dans Sion, sur la montagne sainte, pour prêcher la loi du Seigneur; le Seigneur ma dit : Tu es mon fils, je tai engendré aujourdhui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage, et ton domaine sétendra jusquaux confins de la terre; tu les gouverneras avec un sceptre de fer, tu les briseras comme un vase dargile 6 ». Le roi établi dans Sion a été entendu, et il a reçu en héritage les confins de la terre. Les rois ont-ils donc à redouter de perdre leur domination, de se la voir enlever, comme le craignit ce misérable Hérode, qui, pour tuer un petit enfant, en fit mourir tant dautres 7? Il craignait de perdre la royauté, et il ne mérita point de connaître le roi. Hélas! que nadorait-il ce roi avec les Mages! la malheureuse passion de régner ne lui eût pas fait égorger tant dinnocents pour mourir si coupable. Sa part, en effet, fut dégorger des innocents, et le Christ, nonobstant son jeune âge, couronna ces enfants qui mouraient pour lui. Il y avait donc de quoi trembler pour les rois, quand le Christ disait: « Pour moi, jai été établi roi par lui », et celui qui ma sacré roi me donnera pour héritage les confins de la terre. Pourquoi, ô rois, porter envie à ce roi? Voyez-le, mais sans envie. Car il est bien différent des autres, celui qui a dit: « Mon royaume nest pas de
1. I Cor. IV, 7. 2. Ps. XLVII, 5. 3. Isa. II, 3. 4. Eph. II, 20. 5. Ps. XLVII, 6,7. 6. Id II, 16-9. 7. Matt. II, 3.
ce monde 1 ». Ne craignez donc point quil vous ôte un royaume temporel, il vous donnera au contraire un royaume, mais dans les cieux, dont il est le Roi. Quelle est donc la suite du psaume? « Et maintenant, ô rois, comprenez ». Déjà saiguisait votre envie: « Comprenez » quil sagit dun roi tout différent, dont le royaume nest point dici-bas. Cest donc à bon droit que les rois de la terre se sont rassemblés, se sont troublés, ont été saisis de crainte ». De là vient quon leur dit: « Maintenant, ô rois, comprenez, instruisez-vous, juges de la terre 2 », Et quont-ils fait? « Ils ont ressenti des douleurs comme celles de lenfantement ». Quelles sont « ces douleurs comme celles de lenfantement », sinon les douleurs de la pénitence? Voyez encore ces douleurs, ce travail de lenfantement : « Votre crainte, ô Dieu », sécrie lsaïe, « nous a fait concevoir et enfanter lesprit de salut 3 », Ainsi conçurent les rois, dans la crainte que leur inspira le Christ, et ils enfantèrent le salut en sattachant par la foi à celui quils redoutaient. « Là donc sont des douleurs comme celles de lenfantement ». Quand on parle denfantement, espérez un fruit. Le vieil homme a enfanté, et il en est résulté lhomme nouveau. « Là sont des douleurs comme celles de lenfantement ». 6. « Dun souffle tempêtueux vous briserez les vaisseaux de Tharsis 4 ». Cest-à-dire, en un mot, vous renverserez lorgueil des Gentils. Mais quel est dans cette histoire le fait qui marquerait en figure la chute de lorgueil des nations? A cause « des vaisseaux de Tharsis ». Les savants ont cherché quelle était cette ville de Tharsis, cest-à-dire quelle ville pouvait être ainsi désignée. Les uns ont cru que la Cilicie était désignée sous le nom de Tharsis, à cause de Tharse, qui en est la métropole. Cétait la patrie de lapôtre saint Paul, né à Tharse en Cilicie 5. Dautres y ont vu Carthage, qui aurait peut-être jadis porté ce nom, ou que désignerait quelque expression semblable. Dans le prophète Isaïe on trouve en effet: « Hurlez, vaisseaux de Carthage 6 ». Un même endroit dEzéchiel est traduit, Carthage par les uns et Tharsis par les autres 7 : cette variante chez les interprètes pourrait bien nous faire croire que cette ville appelée Carthage
1. Jean , XVIII, 36. 2. Ps. II, 10, 11. 3. Isa. XXVI, 18. 4. Ps. XLVII, 8. 5. Act. XXI, 39. 6. Isa. XXIII, 1, selon les LXX. 7. Ézéch. XXXVIII, 13, selon les LXX.
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est appelée ici Tharsis. On sait en effet que Carthage, à son origine, était florissante en vaisseaux, et tellement florissante quelle était célèbre chez tous les peuples par son commerce et sa navigation. Car Didon, fuyant son frère et abordant ces côtes dAfrique, où elle bâtit Carthage, avait enlevé, du consentement des principaux du pays, tous les vaisseaux qui mouillaient près de Tyr pour le commerce. Depuis son origine, Carthage na jamais manqué de vaisseaux pour le négoce. De là lorgueil de cette cité; en sorte que, sous la figure de ses vaisseaux, on peut voir lorgueil des nations, qui fondent leur espoir sur des choses inconstantes comme le souffle des vents. Ne mettons donc point notre confiance dans nos voiles nombreuses, ni dans la prospérité du siècle, houleux comme la mer; que notre point dappui soit dans Sion, où nous pourrons être solidement établis, et non plus exposés à tout vent de doctrine 1. Que tous ceux alors que les biens de cette vie enflaient dorgueil soient renversés, et que tout orgueil des Gentils soit soumis au Christ, « qui doit briser dun souffle impétueux les vaisseaux de Tharsis », non pas dune ville quelconque, mais de Tharsis. Pourquoi « dun souffle impétueux? » Cest-à-dire, par une grande crainte. Tout orgueil, en effet, a redouté le jugement du Christ, au point de croire en lui avec humilité, pour ne plus craindre sa gloire. 7. « Ce qui nous était annoncé, nous le voyons dans la cité de Dieu 2 ». O bienheureuse Eglise, un jour tu as entendu, un autre jour tu as vu. Elle a entendu les promesses, elle en voit laccomplissement; elle a entendu les Prophètes, elle voit lEvangile. Tout ce qui saccomplit aujourdhui a été prophétisé. Elève donc les yeux, tourne tes regards dans le monde entier et vois ses possessions sétendre jusquaux confins de la terre; vois saccomplir cette prophétie : « Tous les rois de la terre se prosterneront devant lui, tous les peuples le serviront 3 ». Vois comme sest accomplie cette parole: « Elevez-vous, ô Dieu, par-dessus les cieux, et que votre gloire sétende par toute la terre 4 ». Contemple donc celui dont les mains et les pieds furent percés par des clous, dont on a pu compter les os lorsquil pendait à la croix, dont la robe
1. Eph. IV, 14. 2. Ps. XLVII, 9. 3. Id. LXXI, 11. 4. Id. CVII, 6.
fut tirée au sort 1 : vois dans sa royauté celui quils ont vu pendu à la croix; vois siéger dans les cieux celui quils ont méprisé quand il marchait sur la terre. Vois dès lors saccomplir cette parole : « Tous les confins de la terre se souviendront du Seigneur et se tourneront vers lui, toutes les nations du monde se prosterneront devant lui 2 ». A cette vue tu nas plus quà técrier : « Ce qui était annoncé, nous le voyons ». Cest avec raison que lEglise est ainsi appelée du milieu des Gentils : « Ecoute, ô ma fille, et vois; oublie ton peuple et la maison de ton père 3». Ton père était jadis lAquilon, viens à Sion, à la montagne sainte. Ecoute et vois non pas vois et écoute, mais écoute et vois dabord écoute, et vois ensuite. Vous écoutez dabord ce que vous ne voyez pas, et ensuite vous verrez ce que vous aurez entendu. « Un peuple qui métait inconnu ma servi », dit le Prophète, « il ma écouté lorsquil ma entendu parler ». Sil sest rendu parce quil a entendu, il navait donc point vu. Que deviendrait cette parole : « Ceux à qui il navait pas été annoncé verront sa lumière, et ceux qui nont rien ouï de lui le comprendront?» Ceux à qui les Prophètes nont pas été envoyés, ont été les premiers à écouter et à comprendre les Prophètes; ceux qui dabord ne les avaient pas entendus, les ont écoutés ensuite avec admiration. Mais ceux à qui les Prophètes étaient envoyés sont demeurés en arrière, portant nos livres, nen comprenant pas la vérité. Ils avaient les tables du Testament et nen ont point lhéritage. Pour nous, «ce qui nous a été annoncé, nous le voyons, dans la cité du Dieu des armées, dans la cité de notre Dieu ». Cest là que nous avons entendu, là aussi que nous avons vu. Quiconque est au dehors ne peut entendre ni voir; quiconque est dans cette ville nest ni sourd ni aveugle: « Comme nous avons entendu, ainsi nous avons vu». Où donc as-tu entendu? Où as-tu vu? « Dans la cité du Dieu des vertus, dans la cité de nôtre Dieu. Le Seigneur la fondée pour léternité ». Quils ne viennent point nous insulter, ces hérétiques divisés par provinces ; quils ne sélèvent point, en disant: « Le Christ est ici ou il est là 4! » Nous dire que le Christ est ici ou quil est là, cest nous porter à la division.
1. Matt. XXVII, 35. 2. Ps. XXI, 28. 3. Id. XLIV, 1l. Matt. XXIV, 23.
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Dieu nous a promis lunité : les rois ont été rassemblés dans lunité et non divisés par le schisme. Cette cité qui embrasse le monde entier sera peut-être détruite un jour? Point du tout. « Dieu la fondée pour léternité ». Si donc cest pour léternité que Dieu la fondée, pourquoi redouter que le fondement soit renversé? 8. « Grand Dieu ! nous avons senti votre miséricorde au milieu de votre peuple 1 ». Qui donc a ressenti cette miséricorde, et où la-t-il ressentie? Nest-ce point votre peuple, ô Dieu, qui a ressenti votre miséricorde, et comment « lavons-nous ressentie au milieu de votre peuple? » comme si autres étaient ceux qui lont ressentie, et autres ceux au milieu desquels ils lont ressentie. Cest là, mes frères, un grand symbole, que vous connaissez pourtant; et quand nous aurons dégagé dici, ou de ces versets, ce que vous connaissez, il nen sera pas plus obscur, mais plus doux. En cette vie on range dans le peuple de Dieu tous ceux qui participent à ses sacrements, quoique tous naient point la même part à sa miséricorde. Tous ceux qui reçoivent le sacrement de baptême, sont appelés chrétiens, mais tous ne vivent pas dune manière digne de ce sacrement. Car il est plusieurs dont lApôtre a dit « quils ont lapparence de la piété, sans en avoir la réalité 2 ». Néanmoins celte apparence de piété leur donne un rang dans le peuple de Dieu, de même que, quand on bat le grain dans laire, la paille y tient une place comme le froment. Mais aura-t-elle aussi sa place dans le grenier? Cest au milieu de ce peuple mauvais quhabite le peuple de Dieu qui a ressenti les effets de sa miséricorde. Il vit dune manière digne de cette miséricorde, car il écoute, il retient, il pratique ce conseil de saint Paul : « Nous vous enjoignons et vous conjurons de ne pas recevoir en vain la grâce de Dieu 3 ». Celui-là donc reçoit tout à la fois le sacrement et la miséricorde de Dieu, qui ne reçoit pas en vain la grâce de Dieu. Est-ce alors un obstacle pour lui dhabiter au milieu dun peuple insubordonné, jusquà ce que le van passe dans laire, et que les bons soient séparés des méchants? Est-ce un obstacle dhabiter chez ces peuples? Quil sefforce dêtre de ceux qui sont appelés firmament en recevant la divine miséricorde, quil soit un lis au milieu des
1. Ps. XLVII, 10. 2. II Tim. III, 5». 3. II Cor. VI, 1.
épines. Car veux-tu comprendre que les épines elles-mêmes appartiennent au royaume de Dieu? Voici une comparaison : « Comme le lis », dit lEcriture, « est au milieu des épines, ainsi est ma bien-aimée au milieu des filles 1 ». Est-il dit au milieu des étrangères? Non, mais au milieu des filles. Il y a donc des filles qui sont mauvaises et il y en a dautres qui sont parmi elles comme des lis au milieu des épines. Donc ceux qui ont part aux sacrements, sans mener une vie pure, sont appelés enfants de Dieu sans être enfants de Dieu : on dit quils sont à lui et ils lui sont étrangers; à lui à cause du sacrement; étrangers à cause de leurs vices. Il en est de même des filles étrangères : elles sont filles à cause de leur piété apparente, étrangères parce quelles ont perdu la vertu. Que le lis y habite aussi, quil y reçoive la divine miséricorde, quil conserve la racine dune belle fleur, et ne se montre pas ingrat envers la douce rosée qui tombera du ciel. Que les épines soient ingrates et croissent par ces pluies; elles croissent pour le feu, et non pour le grenier. « Grand Dieu! nous avons reçu votre miséricorde au milieu de votre peuple ». Oui, au milieu de ce peuple insensible à votre miséricorde, nous avons reçu votre miséricorde. « Le Christ est venu en effet chez les siens, et les siens ne lont point reçu ». Mais « à tous ceux qui lont reçu » au milieu du peuple, « il a donné le pouvoir de devenir enfants de Dieu 2». 9. Mais ici tout homme qui réfléchit se demande: Quoi donc? Ce peuple qui, au milieu du peuple de Dieu, reçoit la divine miséricorde, est-il bien nombreux? Hélas, quil est en petit nombre ! cest à peine si lon en trouve quelques-uns : et Dieu se contentera-t-il de si peu, et perdra-t-il le grand nombre? Ainsi parlent ceux qui se promettent ce quils nont pas entendu promettre par le Seigneur. Est-il vrai que si nous vivons dans le désordre, si nous jouissons des plaisirs du monde, si nous donnons satisfaction à nos convoitises, Dieu nous perdra? Combien en trouvera-t-on pour gar. der les commandements de Dieu? A peine en trouverez-vous un ou deux, bien peu du moins. Dieu ne doit-il sauver que ceux-là, et damner les autres ? Point du tout, nous dit-on, mais quand il viendra, et quil verra une si grande foule à sa gauche, il en aura pitié et pardonnera tout. Cest bien là ce que promit le
1. Cant. 11,2. 2. Jean, I, II, 12.
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serpent au premier homme : Dieu lavait menacé de la mort, sil touchait au fruit défendu 1; « Point du tout », dit le serpent, « vous ne mourrez point 2 ». Nos premiers parents crurent le serpent, et virent que la menace de Dieu était vraie, que la promesse du diable était fausse. Ainsi en est-il aujourdhui, mes frères; figurez-vous lEglise comme un paradis terrestre où le serpent ne cesse de suggérer ce quil suggérait alors. Toutefois la chute premier homme doit être pour nous un préservatif de chute et non un modèle de péché. Adam est tombé pour que nous nous relevions. A ses suggestions faisons constamment la réponse de Job. Car le démon le tenta par la femme, comme par une nouvelle Eve; et lhomme vaincu dans le paradis, fut vainqueur sur le fumier 3. Loin de nous découter ses dires et de croire quil y ait si peu de justes; il y en a beaucoup, mais ils sont cachés dans un plus grand nombre. Nous ne pouvons le nier, les méchants, sont en plus grand nombre, et tellement en plus grand nombre, que les bons napparaissent au milieu deux, que comme le bon grain dans laire. Quiconque en effet jette un regard dans laire, pourrait croire quil ny a que de la paille. Que lon y fasse entrer un homme peu connaisseur, il croira que cest inutilement quon y introduit les boeufs, et que des hommes supportent la chaleur du jour, pour briser la paille; et néanmoins il y a là une masse de bons grains, que le van doit séparer de la paille. Alors on verra cet amas de blé se dégager de la paille qui lenveloppait. Et dès maintenant, voulez-vous connaître de bons chrétiens? soyez bons et vous en trouverez. 10. Vois ce que notre psaume oppose à ce désespoir. Après avoir dit : « Nous avons ressenti, ô Dieu, votre miséricorde, au milieu de votre peuple », il nous montre que cest au milieu de ce peuple insensible à la divine miséricorde , que plusieurs ressentent les effets de cette miséricorde : et pour empêcher quon ne regardât ce nombre comme tellement petit quil deviendrait nul, en quels termes le Prophète va-t-il nous consoler? « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusquaux confins de la terre 4 ». Quest-ce à dire? « Le Seigneur est grand, et infiniment digne de louanges, dans la cité de notre Dieu, sur sa montagne sainte »;
1. Gen. II, 17. 2. Id. III, 4. 3. Job, II, 8.10. 4. Ps. XLVII, 11.
or, il ne peut être loué que par ses saints. Car ceux qui vivent dans le désordre ne le louent point ; mais ils ne le prêchent de bouche, que pour le blasphémer par leur vie. Si donc il my a que les saints pour louer Dieu, que les hérétiques ne se disent point à eux-mêmes : Cest chez nous que subsiste encore la louange, parce que nous sommes peu nombreux, que nous vivons loin de la foule, et dans la justice, que nous bénissons Dieu, non-seulement par nos paroles, mais aussi par notre vie. On leur répond par le même psaume : Pourquoi dire que vous bénissez dans une partie du monde ce Dieu auquel il est dit: « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange se répandra jusquaux confins de la terre? » cest-à-dire, de même que vous êtes connu dans toute la terre, ainsi vous y êtes béni; et cest vous louer que vivre dans la piété. « Comme votre nom, Seigneur, ainsi votre louange est répandue », non point dans une partie de la terre, mais « dans toute la terre ». « Votre droite est pleine de justice », cest-à-dire, ils sont nombreux, ceux qui se tiendront à votre droite. Et non-seulement ils seront nombreux ceux qui sont à votre gauche, mais la masse du bon grain qui sera à votre droite formera aussi une plénitude 1 : « Votre droite est pleine de justice ». 11. « Que la montagne de Sion soit dans la joie, et les filles de Juda dans lallégresse, à la vue de vos jugements, ô mon Dieu ». O montagne de Sion, ô filles de Juda, vous souffrez aujourdhui au milieu de livraie, au milieu de la paille, au milieu des épines; mais tressaillez à cause des jugements de Dieu. Votre Dieu ne peut errer dans ses jugements. Que votre vie vous sépare des méchants, si votre naissance vous a jetées au milieu deux; ce nest pas en vain que vous avez chanté de la voix et du coeur: « Ne perdez pas mon âme avec les impies, ni ma vie avec les hommes de sang 2 ». Le souverain Créateur viendra faire le discernement, il viendra le van à la main afin de ne laisser ni tomber un grain de blé dans la paille destinée au feu, ni passer la moindre paille avec le froment destiné au grenier céleste 3. Tressaillez donc, filles de Sion, à la vue des infaillibles jugements du Seigneur, et gardez-vous de juger témérairement. A vous de recueillir, à Dieu de séparer. « Que la montagne de Sion
1. Matt. XXV, 33. 2. Ps. XXV, 9. 3. Matt. III, 12.
soit dans la joie, et les filles de Juda dans lallégresse, à cause de vos jugements, ô mon Dieu ». Par ces filles de Juda, gardez-vous dentendre les Juifs, Juda signifie confession. Tous les fils de la confession sont les fils de Juda : et le salut qui vient des Juifs nest autre que le Christ issu des Juifs 1. Voilà ce que dit lApôtre : « Car le juif nest pas celui qui lest au dehors, et la circoncision nest pas celle qui se fait sur la chair, qui est extérieure ; mais le juif est celui qui lest intérieurement; et la circoncision du coeur se fait par lesprit, et non par la lettre; et ce juif tire sa gloire non des hommes, mais de Dieu 2 ». Sois juif de cette manière: glorifie-toi de la circoncision du coeur, quoique tu naies pas celle de la chair. « Que les filles de Sion tressaillent à cause de vos jugements, ô mon Dieu » 12. « Environnez Sion, embrassez son enceinte 3 ». Que lon dise à ceux dont la vie est un désordre, et au milieu desquels se trouve le peuple qui a reçu la divine miséricorde: Il y a au milieu de vous un peuple dont la vie est sainte. « Environnez Sion ». Mais comment? « Embrassez son enceinte » ; embrassez-la, non par le scandale, mais par la charité, afin dimiter ceux qui mènent au milieu de vous une vie sainte, et par cette imitation dêtre incorporés au Christ dont ils sont les membres. « Environnez Sion, embrassez son enceinte, parlez sur ses tours ». Chantez ses louanges du haut de ses forteresses. 13. « Reposez votre amour dans sa vertu 4», afin de navoir pas lextérieur de la piété, et den repousser lesprit 5; « mais affermissez vos coeurs dans sa vertu ». Quelle est la vertu de cette cité? Pour comprendre la vertu de cette cité, il faut comprendre la force de la charité. Cest là une vertu que nul ne peut vaincre ; cest un feu que néteignent point ni les flots de cette vie, ni les fleuves des tentations. Cest delle quil est écrit: « Lamour est fort comme la mort 6 ». De même en effet quon ne peut résister à la mort, qui savance, et que nul artifice, nul remède ne peuvent dérober à ses coups lhomme qui est né mortel; de même le monde, est impuissant contre la charité. Toutefois la comparaison avec la mort est en sens contraire; et comme
1. Jean, IV, 22. 3. Rom. II, 28, 20. 4. Ps. XLVII, 13. 5. Id. 14. 6. II Tim. III, 5. 7. Cant. VIII, 6.
la mort est invincible à nous enlever, la charité au contraire est invincible à nous sauver. Beaucoup en effet ne sont morts victimes de la charité quafin de vivre pour Dieu. Cest la charité qui embrasait les martyrs, non les martyrs hypocrites, non ceux quenflait la vaine gloire, non ceux dont il est dit: « Quand même je livrerais mon corps pour être brûlé, si je nai point la charité, cela ne me sert de rien 1 ». Mais ces martyrs du Christ et de la vérité, quune véritable charité conduisait à la mort, quelle prise ont eue sur eux les violences des bourreaux? Les larmes de leurs proches avaient plus dempire sur eux que, les cruautés des persécuteurs. Combien de fils ont retenu leurs pères en présence de la mort? Combien dépouses embrassaient les genoux de leurs maris, afin de nêtre point laissées dans le veuvage? Combien de fils sopposaient au trépas de leurs pères, comme nous le voyons dans le martyre de sainte Perpétue? Tout cela est arrivé. Mais quelle que fût labondance ou limpétuosité de ces larmes, quel feu de la charité ont-elles pu éteindre? Telle est la force de Sion, à laquelle on dit ailleurs: « Que la paix saffermisse dans votre vertu, et labondance dans vos forteresses 2. Parlez du haut de ses tours, reposez vos coeurs dans sa force, et distribuez ses demeures ». 14. Quel est le sens de ces paroles: « Reposez vos coeurs dans sa force, et distribuez ses demeures 3 ? » cest-à-dire, faites le discernement dune demeure et dune autre demeure, ne les confondez point. Il est en effet des maisons qui ont lapparence de la piété, sans en avoir lesprit; et il est des maisons qui ont tout à la fois lapparence et lesprit de la piété. Distinguez et ne confondez point. Pour vous, ce sera distinguer sans confondre, que de reposer vos coeurs dans sa force, cest-à-dire de devenir spirituels par la charité. Alors vous ne jugerez pas témérairement; alors vous verrez que les méchants ne font aux bons aucun obstacle réel, tant que nous sommes dans laire: « Comptez ses demeures ». On peut encore donner un autre sens à ces paroles, et y voir une recommandation faite aux Apôtres de distribuer ces deux palais, dont lun vient de la circoncision et lautre de la gentilité. Quand Paul, appelé dabord Saul, devint Apôtre, et quil
I Cor. XIII, 3. 2. CXXI, 7. 3. Id. XLVII, 14.
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entra dans lunité avec les autres Apôtres, il parut bon à ces derniers de prêcher aux Juifs, et à Paul daller chez les Gentils 1. Cette distinction de leur apostolat distribuait entre eux les palais de la cité du grand Roi; et, se rencontrant à la pierre angulaire, ils divisèrent en quelque sorte la prédication de lEvangile, mais se réunirent par la charité. Car les paroles qui suivent nous montrent quil sagit ici de prédicateurs: « Distribuez ses demeures, afin de parler aux races futures »; cest-à-dire, afin que la prédication de lEvangile arrive jusquà nous, qui devons suivre. Car ils nont pas borné leur travail à ceux qui vivaient de leur temps; comme ce ne fut pas seulement pour les Apôtres, mais aussi pour nous, que le Seigneur daigna se montrer après sa résurrection. Car, en leur parlant, il avait aussi les yeux sur nous, quand il disait: « Voici que je suis avec vous jusquà la consommation des siècles 2». Devaient-ils vivre ici-bas en effet jusquà la du monde? De même il dit encore : « Je ne prie pas seulement pour eux, mais pour tous ceux qui croiront en moi sur leur prédication 3 ». Cest donc nous quil avait en vue, puisquil est mort pour nous. est alors avec raison que le Prophète leur : « Afin que vous racontiez aux races futures ». 15. Que direz-vous? « Que cest là Dieu, et notre Dieu 4 ». On voyait en, lui la terre, et non le Créateur de la terre; on touchait sa chair, on ne connaissait pas Dieu sous cette chair. La chair était entre les mains de ceux dont il lavait prise, puisque la vierge Marie était de la race dAbraham; ils se sont arrêtés à la chair, sans comprendre la divinité. O Apôtres, ô grande cité, annonce du haut de tes tours: « Celui-là est Dieu, notre Dieu ». De même, oui, de même quil a été méprisé,
1. Gal. II, 9. 2. Matt. XXVIII, 20. 3. Jean, XVII, 20. 4. Ps. XLVII, 15
quil na été quune pierre devant les pieds de ceux qui la heurtaient, afin dhumilier les coeurs de ceux qui le confesseraient; de même « il est notre Dieu ». On la vu dans le monde, comme dit le Prophète: « On la vu ensuite sur la terre, et il a conversé avec les hommes 1 » . « Celui-là est notre Dieu». Il est homme aussi, et qui pourra le connaître? « Car cest là notre Dieu ». Mais peut-être nest-ce que pour un temps, comme les faux dieux. Car si lon peut les appeler des dieux, bien quils ne le soient pas, on ne les appelle ainsi que pour un temps. Que nous dit en effet le Prophète, ou que leur apprend-il à leur dire? Voici ce que vous leur direz, Quoi donc? « Quils soient bannis de la terre, et de tout ce qui est sous le ciel, ces dieux qui nont pas fait le ciel et la terre 2 ». Tel nest point notre Dieu, qui sest élevé au-dessus de tous les dieux. Au-dessus de quels dieux? de « tous les dieux des païens qui sont des démons; mais le Seigneur a fait le ciel 3». Cest donc lui qui est notre Dieu; oui, « cest là notre Dieu ». Jusques à quand? « Pour jamais, et dans les siècles des siècles, il régnera sur nous éternellement ». Sil est notre Dieu, û est aussi notre Roi; il nous protège contre la mort, car il est notre Dieu; il nous conduit, de peur que nous ne tombions, car il est notre Roi. Mais en nous conduisant il ne nous brise point; car il ne brise que ceux quil ne conduit point. « Vous les conduirez avec un sceptre de fer », dit le Prophète, « et vous les briserez comme des vases dargile 4 ». Il en est quil ne conduit point; mais il les brisera sans ménagement comme des vases dargile. Puisse-t-il toujours nous régir, nous délivrer; car « cest lui qui est notre Dieu pour jamais, dans les siècles des siècles; lui qui régnera éternellement sur nous ».
1. Baruch, III, 38. 2. Jérém. X, II 3. Ps. CXV, 5. 4. Id. II, 9.
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