SERMON CLXXXIII
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SERMON CLXXXIII. DE LA CROYANCE A L'INCARNATION (1).

 

ANALYSE. — Nous l'avons dit, ce discours n'est que la suite et comme la seconde partie du précédent. Les Manichéens ne ment pas de Dieu, puisqu'ils n'admettent pas l'Incarnation du Christ. Mais dans quel sens saint Jean dit-il encore que tous si qui l'admettent viennent de Dieu ? Doit-on regarder comme venant de Dieu les Ariens, les Eunomiens, les Sabelliens, les Photiniens? Doit-on regarder aussi comme animés de son esprit les Pélagiens, les Donatistes et en général tous les hérétiques tous les mauvais catholiques ? Assurément non, car ils professent, au moins en pratique, une idée fausse de Jésus-Christ : les Ariens, en ne reconnaissant pas sa génération éternelle ; les Eunomiens, en n'admettant pas même sa ressemblance avec le père ; les Sabelliens, en le confondant avec lui; les Photiniens, en ne voyant en lui qu'un homme; les Donatistes, en croyant qu'il est pas l'Epoux de l'Eglise universelle ; les Pélagiens , en ne voulant pas qu'il ait pris une chair semblable à notre chair de péché. Ainsi en est-il de toutes les hérésies, si nous voulions les examiner en détail. Mais tout en confessant de bouche la vérité de l’Incarnation, les mauvais catholiques la renient par leurs oeuvres. C'est à Dieu qu'il faut demander la grâce de conformer sa à sa croyance.

 

1. L'attente où je vois votre charité, exige que je paie ma dette. Vous vous souvenez, en suis sûr, de ce que je vous ai promis, avec aide du Seigneur, à propos de la dernière dure de saint Jean. Aussi en entendant le lecteur, vous m'avez senti, je n'en doute pas, obligé de m'acquitter.

Le précédent discours prenant une longue étendue, nous avons ajourné l'importante question de savoir dans quel sens on doit entendre ces paroles d'une épître du bienheureux Jean, non pas de saint Jean-Baptiste,

 

1. Jean, IV, 2.

 

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mais de saint Jean l'Evangéliste : « Tout esprit qui confesse l'Incarnation de Jésus-Christ, vient de Dieu ». Combien d'hérésies ne voyons-nous pas confesser cette Incarnation, sans que nous puissions admettre, toutefois, qu'elles viennent de Dieu ! Le Manichéen nie l'Incarnation ; mais il ne faut travailler ni beaucoup ni longtemps pour vous persuader que cette erreur n'a point Dieu pour auteur. Or, l'Arien, l'Eunomien, le Sabellien et le Photinien confessent l'Incarnation. Pourquoi chercher ici des témoins pour les confondre ? Qui pourrait compter toutes ces espèces de contagion? Arrêtons-nous toutefois à ce qui est plus connu. Beaucoup en effet ignorent les hérésies que je viens de citer, et cette ignorance est préférable. Ce que nous savons tous, c'est que les Donatistes aussi confessent l'Incarnation ; loin de nous pourtant la pensée que cette erreur vienne de Dieu ! Pour parler même d'hérétiques plus récents, les Pélagiens admettent l'Incarnation également; sûrement néanmoins, ce n'est pas Dieu qui leur enseigne l'erreur.

2. Appliquons-nous donc avec soin; mes bien-aimés; et comme nous ne révoquons point en doute la vérité de cette assertion « Tout esprit qui confesse l'Incarnation de Jésus-Christ vient de Dieu » , prouvons à tous ces hérétiques que réellement ils ne la confessent pas. Si nous admettions avec eux qu'ils la confessent, ce serait avouer qu'ils viennent de Dieu. Et comment alors pourrions-nous vous détourner, vous éloigner de leurs erreurs et vous protéger contre leurs assauts avec le bouclier de la vérité? Daigne le Seigneur nous accorder le secours que sollicite pour nous votre attente, et nous leur, montrerons qu'ils ne confessent véritablement pas l'Incarnation du Christ.

3. L'Arien entend parler et il parle à son tour du Fils de la Vierge Marie. Ne confesse-t-il pas ainsi l'Incarnation ? — Non. — Comment le prouver? — Très-facilement, si le Seigneur répand sa lumière dans vos esprits. En effet, que cherchons-nous, si l'Arien confesse l'Incarnation du Christ? Mais comment peut-il confesser l'Incarnation du Christ, puisqu'il nie le Christ ? Qu'est-ce que le Christ. Adressons-nous au bienheureux Pierre. Vous venez d'entendre ce qu'on a lu dans l'Evangile. Notre-Seigneur Jésus-Christ demandait ce que les hommes pensaient de lui, Fils de l'homme; ses disciples rapportèrent quelles étaient leurs différentes manières de voir: « Les uns, dirent ils, croient que vous êtes Jean-Baptiste, d'autres Elie, d'autres encore Jérémie ou l'un des prophètes ». Avec ces idées on ne voyait et on ne voit encore dans Jésus-Christ que l'humanité. Mais ne voir dans Jésus-Christ que son humanité, c'est ne le pas connaître; car il n'est pas vrai de dire que Jésus-Christ ne soit qu'un homme. « Pour vous, demanda alors le Sauveur, qui dites-vous que je suis? » Et parlant au nom de tous, parce que tous ont la même foi : « Vous êtes, répondit Pierre, le Christ, le Fils du Dieu vivant (1) ».

4. Voilà pour former une profession de foi vraie, une profession de foi entière. Joins a que le Christ a dit de lui à ce que Pierre dit du Christ. Qu'est-ce que le Christ a dit di lui-même? Il a demandé ce que les homme pensaient de lui, « Fils de l'homme ». Et Pierre ? « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Unis ces deux idées, et voilà le Christ incarné. Le Christ a dit de lui ce qui est plus humble, et Pierre a dit du Christ ce qui est plus glorieux. L'humilité a rendu témoignage à la vérité, et la vérité à l'humilité en d'autres termes, l'humilité de l'homme la vérité de Dieu, et la vérité de Dieu à l'humilité de l'homme. « Qui pense-t-on que je suis, moi, Fils de l'homme ? » J'exprime ici ce que je me suis fait pour vous; à toi nous dire, Pierre, quel est Celui qui vous faits.

Ainsi donc confesser l'Incarnation de Jésus-Christ, c'est confesser l'Incarnation du Fils de Dieu. Dis-nous, maintenant, ô Arien, si tu a mets réellement cette Incarnation. Il l'admet, s'il confesse que le Christ est le Fils de Dieu mais s'il nie que le Christ soit le Fils de Dieu il ne connaît pas le Christ, il nomme l'un pour l'autre, il parle d'un autre que de lui. Qu'est-ce en effet que le Fils de Dieu? Nous nous demandions tout à l'heure : Qu'est-ce que le Christ? Et on nous répondait: C'est le Fils de Dieu. Demandons-nous maintenant: Qu'est-ce que le Fils de Dieu? Le voici: « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu; il était Dieu dès le commencement. — Au commencement était le Verbe ». Mais toi, Arien, que dis-tu ? « Au commencement, lisons-nous dans

 

1. Matt. XVI, 13-16.

 

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la Genèse, Dieu a fait le ciel et la terre (1) »      ; et toi tu dis au contraire: Au commencement Dieu a fait le Verbe; car tu prétends que le Verbe a été fait, qu'il est une créature, et tu dis ainsi que Dieu l'a fait au commencement, tandis que selon l'Evangéliste il était. Et c'est parce qu'il était que Dieu a fait au commencement le ciel et la terre. « Tout a été fait par lui (2) » ; et tu dis, toi, qu'il a été fait. S'il l'avait été, il ne serait pas le Fils de Dieu.

5. Car il s'agit ici d'un Fils par nature et non d'un fils par grâce; d'un Fils unique, d'un Fils unique engendré et non pas adopté. Le Fils qu'il nous faut est un Fils vrai, un Fils « qui étant de la nature de Dieu », comme s'exprime l'Apôtre, que je nomme ici à cause des moins instruits, et pour qu'ils ne m'attribuent passes paroles, « qui étant donc, dit saint Paul, de la nature de Dieu, ne crut point usurper en s'égalant à Dieu ». Cette égalité n'était pas une usurpation, c'était sa nature même; il l'avait de toute éternité, éternel avec son Père, égal, absolument égal à lui. « Mais il s'est anéanti » ; c'est publier son incarnation. « Il s'est anéanti ». Comment ? Est-ce en quittant ce qu'il était et en prenant ce qu'il n'était pas? Continuons à écouter l'Apôtre : « Il s'est  anéanti en prenant une nature d'esclave (3) ». Ainsi donc s'est-il anéanti, en prenant une nature d'esclave et non pas en laissant sa nature de Dieu. Il s'est uni l'une sans se dépouiller de l'autre : voilà comment il faut confesser l'Incarnation; d'où il suit que l'Arien ne la confesse pas. En effet, en ne croyant pas le Fils égal au Père, il ne le croit pas Fils. En ne croyant pas qu'il est Fils, il ne croit pas non plus qu'il est le Christ. Or, en ne croyant pas au Christ, comment croire à l'Incarnation du Christ?

6. Ainsi en est-il de l'Eunomien, son pareil, son associé et qui a peu de différences avec lui. Les Ariens, dit-on, admettaient au moins que le Fils est semblable au Père ; ils ne le disaient point égal à lui, mais semblable; tandis que l’Eunomien ne veut même pas de cette similitude. N'est-ce pas aussi nier le Christ ? Effectivement, si le Christ, si le vrai Fils de Dieu est à la fois égal et semblable à son Père, n'est-ce pas le nier que de prétendre qu'il n'a ni cette égalité ni cette similitude? N'est-ce pas aussi nier par là même son incarnation ? Je demande: Le

 

1. Gen. I, 1. — 2. Jean, I, 1-3. — 3. Philip. II, 6, 7.

 

Christ s'est-il incarné? — Oui, répond l'Eunomien. — Nous serions portés à croire qu'il a la foi. Je poursuis. — Quel est le Christ qui s'est incarné ? Est-il égal ou inégal au Père ? — II est inégal. — Ainsi c'est un être inégal au Père qui selon toi s'est incarné. Donc ce n'est pas le Christ, puisque le Christ est égal au Père.

7. Voici le Sabellien. Le Fils, dit-il, n'est pas distinct du Père; c'est là qu'il fait une large ouverture à la foi pour répandre au loin le poison de sa doctrine. Le Fils, selon lui, n'est pas différent du Père. Dieu, comme il le veut, est tantôt Père et tantôt Fils. Mais ce n'est pas là le Christ, et tu t'égares si tu crois à l'incarnation d'un tel Christ; ou plutôt tu ne crois pas à l'Incarnation du Christ, puisque cet être n'est pas le Christ.

8. Et toi, Photin, que dis-tu ? — Que le Christ n'est pas Dieu et qu'il est simplement un homme. —  Ainsi tu admets en lui la nature humaine et non la nature divine. Pourtant le Christ, dans sa nature divine, est égal à Dieu, tandis que sa nature humaine le rend semblable à nous. Toi donc aussi, tu nies l'Incarnation du Christ.

9. Que pensent les Donatistes? Il en est parmi eux qui admettent avec nous que le Fils est égal au Père et de même nature que lui; d'autres reconnaissent l'identité de nature et rejettent l'égalité. Pourquoi argumenter contre ces derniers? En rejetant l'égalité ils nient la filiation ; en niant la filiation ils nient le Christ. Mais dès qu'ils nient le Christ, comment croient-ils à l'Incarnation du Christ ?

10. Il faut raisonner davantage contre ceux qui confessent avec nous que le Fils est égal au Père, qu'il a la même nature et la même éternité, tout en restant Donatistes. Disons-leur donc: Vous confessez de bouche, mais vous niez par vos actes. On peut en effet nier par ses actes, et toute négation ne consiste pas en paroles, il est des négations par effets. Adressons-nous à l'Apôtre: « Tout est pur, dit-il, pour ceux qui sont purs ; mais pour les impurs et les infidèles rien, n'est pur ; leur esprit et leur conscience sont souillés. Ils publient qu'ils connaissent Dieu , et ils le nient par leurs oeuvres (1) ». Qu'est-ce que le nier par ses oeuvres ? C'est se livrer à l'orgueil et établir des divisions ; c'est mettre sa gloire, non pas en Dieu, mais dans un homme. N'est-ce pas

 

1. Tit. I, 15, 16.

 

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aussi nier le Christ, puisque le Christ aime l'unité?

Disons plus clairement encore comment les Donatistes nient le Christ. Pour nous, le Christ est celui dont saint Jean-Baptiste disait: « L'E« poux est celui à qui appartient l'épouse (1) ». Sainte union ! noces heureuses ! Le Christ même est l'Epoux, l'Eglise est l'épouse. Or, c'est l'Epoux qui nous fait connaître l'épouse. Ah ! que cet Epoux nous dise donc quelle est son épouse; qu'il nous l'apprenne pour nous empêcher de nous égarer et de troubler la solennité sainte où il nous a conviés; qu'il nous instruise, en nous enseignant d'abord lui-même qu'il est véritablement l'Epoux.

11. Après sa résurrection il disait à ses disciples : « Ne saviez-vous pas qu'il fallait que fût accompli tout ce qui est écrit de moi dans la loi de Moïse, dans les Prophètes et dans les Psaumes ? Alors, poursuit l'Evangéliste, il leur ouvrit l'esprit, pour leur faire comprendre les Ecritures ; et il leur dit : « C'est ainsi que devait souffrir le Christ et ressusciter, le troisième jour, d'entre les morts ». Voilà quel est l'Epoux confessé par Pierre; c'est le Fils même du Dieu vivant qui était destiné à souffrir ainsi et à ressusciter le troisième jour. Or, cet événement était accompli; les disciples en étaient témoins; ils voyaient le Chef divin, mais où était son corps ? Le Christ est ce Chef qui a souffert et qui est ressuscité le troisième jour; et c'est de l'Eglise qu'il est le Chef; d'où il suit que l'Eglise est son corps. Encore une fois , les disciples voyaient le Chef, mais non pas le corps. Dites-leur, ô Chef sacré, où est votre corps, qu'ils ne voient pas. Parlez, Seigneur Jésus, parlez, ô saint Epoux, parlez-nous de votre corps, de votre épouse, de votre bien-aimée, de votre colombe, de celle à qui vous avez donné pour dot votre propre sang; dites : « Il fallait que « le Christ souffrit et ressuscitât d'entre les a morts, le troisième jour ». Voilà pour l'Epoux. Parlez maintenant de l'épouse, écrivez sur les tablettes, dans l'acte de mariage. — Voici donc pour l'Epouse : « Et qu'on prêchât » ; c'est ce qui suit ces mots : « Il fallait que le Christ souffrît, qu'il ressuscitât d'entre les morts, et qu'on prêchât en son nom la pénitence et la rémission des péchés au milieu de toutes les nations ». Ou te

 

1. Jean, III, 29.

 

cacher? « Au milieu de toutes les nations, à commencer par Jérusalem (1) ». Ce qui a été fait. Si nous lisons cette promesse, nous la voyons accomplie. Voilà à quelle lumière je marche. D'où fais-tu venir les ténèbres où tu te plonges ?

Ainsi le Christ a pour épouse cette Eglise que l'on prêche au milieu de toutes les nations, qui se multiplie et qui s'étend jusqu'aux extrémités de la terre, à partir de Jérusalem: c'est bien de cette Eglise que le Christ est l'Epoux. Mais toi, que prétends-tu ? Quelle est selon toi l’épouse du Christ ? La faction de Donat ? Non, non, non, non, homme, le Christ n'est pas l'Epoux de cette faction ; ou plutôt, non, méchant, il n'est pas son Epoux. Nous voici près du contrat, lisons-le et point de disputes. Diras-tu encore que le Christ est l'Epoux de la faction de Donat ? Je lis l'acte de mariage et je constate au contraire que le Christ a pour épouse l'Eglise répandue par tout l'univers. Or, dire de lui ce qu'il n'est pas, c'est nier son incarnation.

12. Des hérésies que j'ai rappelées dans le peu de temps que j'ai à vous donner, reste le Pélagianisme; car il est beaucoup d'autres hérésies encore, et j'ai dit moi-même : Qui pourrait nombrer ces sortes de contagion? Que disent donc les Pélagiens ? Ecoutez : Ils semblent d'abord admettre l'Incarnation; mais en y regardant de près on voit qu'ils à rejettent. En effet le Christ a pris une chair qui n'était pas une chair de péché, mais qui en avait la ressemblance. —Voici les termes mêmes de l'Apôtre : « Dieu a envoyé son Fils dans une chair semblable à la chair de péché (2) ». Il ne l'a pas envoyé dans une espèce de chair, dans une chair qui n'en était pas une ; mais « dans une chair semblable à la chair de péché » ; chair réelle, mais qui n'était pas une chair de péché. Or Pélage ne veut-il pas que la chair de tous les enfants sont tout à fait semblable à la chair du Christ ? Il n'en est rien, mes bien-aimés. Pourquoi mettre si fort en relief que le Christ n'avait qu'une chair semblable à la chair de péché, si toute autre chair n'était pas une chair de péché? Qu'importe de dire que le Christ s'est incarné, quand on ne fait de lui, sous le rapport de la chair, qu'un enfant comme tous les autres ? Je te dirai donc ce que j'ai dit au Donatiste: Ce

 

1. Luc, XXIV, 44-47. — 2. Rom. VIII, 3.

 

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n'est pas lui. Ne vois-je pas les entrailles mêmes de l'Église notre mère rendre témoignage à la vérité ? Les mères ne courent-elles pas, leurs petits enfants dans les bras, les offrir au Sauveur pour qu'il les sauve, et non à Pélage pour qu'il les perde ? Qu'on le baptise et qu'il soit sauvé, s'écrie toute mère pieuse en apportant à la hâte son cher petit. — Qu'il soit sauvé? réplique Pélage : il n'y a rien à sauver en lui, il n'y a en lui aucun vice, il n'a rien puisé de condamnable en puisant la vie. — S'il est vraiment égal au Christ, pourquoi recourir au Christ ? Écoute-moi donc : L'Époux, le Fils de Dieu incarné est le Sauveur des grands et des petits, des hommes mûrs et des enfants; voilà quel est le Christ. Tu prétends au contraire qu'il est le Sauveur des grands seulement et non pas des petits ; tel n'est pas le Christ. Or, si ce n'est pas lui, il est évident que tu nies son incarnation.

13. Nous constaterions, en étudiant chaque hérésie, que toutes sont contraires à l'Incarnation; oui, tous les hérétiques nient l'Incarnation du Christ. Pourquoi vous étonner que les païens la nient, que les Juifs la nient, que les Manichéens la nient ouvertement ? J'ose même dire à votre charité que tous les mauvais catholiques, tout en la confessant de bouche, la nient par leurs oeuvres.

De grâce donc, ne comptez pas sur la foi seule. Joignez à la vraie foi une vie sainte ; confessez l'Incarnation du Christ par la justice de vos Couvres aussi bien que par la vérité de vos paroles. La confession de bouche accompagnée de la négation des oeuvres est une foi de mauvais catholiques qui ressemble beaucoup à la toi des démons. Écoutez-moi, mes bien-aimés, écoutez-moi , de peur que ma sueur ne dépose contre vous: Ah ! écoutez-moi. L'apôtre saint Jacques parlait de la foi et des bonnes oeuvres pour condamner des esprits qui croyaient la foi suffisante, sans vouloir y joindre la pratique des vertus. Or, il s'exprimait ainsi : « Tu crois qu'il n'y a qu'un Dieu ; les démons le croient aussi, et ils tremblent (1) ». De ce que les démons croient et tremblent, faut-il conclure qu'ils seront tirés du feu éternel ? Vous venez d'entendre dans l’Evangile cette réponse de Pierre : « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant ». Lisez encore, et vous verrez que les démons ont dit

 

1. Jacq. II, 19.

 

aussi : « Nous savons que vous êtes le Fils de Dieu ». Pierre cependant est applaudi, et le démon repoussé. Les paroles sont les mêmes, mais les oeuvres sont diverses. D'où vient la différence de ces deux confessions ? De ce que l'une est inspirée par un amour louable et l'autre par une crainte condamnable. Car ce n'est pas l'amour qui faisait dire aux démons: « Vous êtes le Fils de Dieu » ; c'est la peur et non l'amour. Aussi s'écriaient-ils, tout en le proclamant: « Qu'y a-t-il entre nous et vous (1)?» tandis que Pierre lui répétait : « Je vous accompagne même à la mort (2) ».

14. Cependant, mes frères, comment Pierre lui-même pouvait-il lui dire avec amour « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant?» D'où lui venait cet amour ? Uniquement de lui-même ? Nullement. Le même passage de l'Évangile nous fait connaître et ce qui en lui venait de Dieu et ce qui venait de son propre fonds. Tout y est ; lis, tu n'as pas besoin de mes explications. Je rappelle le texte sacré. « Vous êtes le Christ, le Fils du Dieu vivant », dit Pierre. « Tu es heureux, Simon, fils de Jonas », reprend le Seigneur. Pourquoi ? Est-ce de toi que te vient ce bonheur ? Nullement. « C'est parce que ni la chair ni le sang ne t'ont révélé cela » ; car tu es chair et sang; « mais mon Père qui est dans les cieux ». Et le Sauveur ajoute beaucoup d'autres choses qu'il serait trop long de rapporter.

Un peu après cependant, après ces éloges donnés à la foi de Pierre qu'il a montrée comme une pierre mystérieuse, le Seigneur commença à apprendre à ses disciples qu'il lui fallait aller à Jérusalem, y souffrir beaucoup, y être réprouvé par les anciens, par les scribes, par les prêtres, être mis à mort et ressusciter le troisième jour. Inspiré alors par lui-même, Pierre trembla, l'idée de la mort du Christ lui fit horreur; pauvre malade qui reculait devant le remède: « Non, non, Seigneur, s'écria-t-il, ayez pitié de vous-même et que cela ne vous arrive point ». Oublies-tu donc: « J'ai le pouvoir de donner ma vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre (3) ? » Oublies-tu cela, Pierre ? Oublies-tu encore : « Nul n'a un amour plus grand que de donner sa vie pour ses amis (4)?» Tu n'y penses pas. Cet oubli venait de lui-même; sa peur, l'horreur qu'il éprouvait, la frayeur de la mort, tout cela venait de Pierre ou plutôt

 

1. Marc, I, 24,25. — 2. Luc, XXII, 33. — 3. Jean, X,18. — 4. Ib. XV, 10

 

150

 

de Simon et non pas de Pierre. Aussi : « Arrière , Satan, dit alors le Seigneur. — Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas.

« Arrière, Satan. — Tu es bienheureux, Simon, fils de Jonas »: voilà qui vient de Dieu. « Arrière, Satan » ; d'où cela vient-il ? Rappelez-vous d'où vient son bonheur. Je l'ai déjà dit, «c'est que tu n'as été instruit ni par la chair ni par le sang, mais par mon Père qui est au cieux». Pourquoi est-il Satan? apprenons-le du Seigneur même : « C'est que tu ne goûtes pas ce qui est de Dieu, mais ce qui est des hommes, lui dit-il ».

15. Espérez donc au Seigneur, et à la vraie foi joignez les bonnes oeuvres. Confessez l'incarnation du Christ par la pureté de votre croyance et par la sainteté de votre vie; si vous avez reçu de lui cette double grâce, attachez-vous-y, et espérez-en par lui l'accroisse ment et-la consommation. Maudit soit, est-il écrit en effet, quiconque met sa confiance dans l'homme; et pour celui qui se glorifie il est bon de se glorifier dans le Seigneur (1). Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

 

1. Jér. XVII, 5 ; I Cor. I, 31.

 

 

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