SERMON CLXIX
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SERMON CLXIX. LA VIE CHRÉTIENNE (1).

 

ANALYSE. — Dans les quelques versets qui viennent d'être indiqués pour servir de thème à ce discours, saint Paul assigne à la vie chrétienne trois caractères opposés aux idées que se faisaient les Juifs. Ceux-ci mettaient leur gloire dans des avantages que saint Paul appelle charnels ; ils étaient surtout fiers d'être de la race d'Abraham : le chrétien, au contraire, se détache de tout l'extérieur pour ne s'attacher qu'à Jésus-Christ. Les Juifs, secondement, s'appuyaient sur leur propre justice, se croyaient capables de mériter le ciel : le chrétien au contraire ne compte que sur la grâce et la miséricorde du Sauveur. Troisièmement enfin, les Juifs s'estimaient parfaits : mais le chrétien, quoi qu'il ait fait, ne croit jamais avoir atteint à la perfection. En développant, en expliquant le texte de l'Apôtre, saint Augustin assigne ces mêmes caractères à la vie chrétienne.

 

1. Que votre sainteté s'applique à bien écouter et à bien comprendre cette leçon que nous fait l'Apôtre ; que vos pieux désirs nous obtiennent en même temps du Seigneur notre Dieu la grâce de vous expliquer convenablement et utilement les idées qu'il daigne nous révéler.

Pendant que se faisait la lecture, vous avez entendu l'apôtre saint Paul nous dire: « Car c'est nous qui sommes la circoncision, nous qui servons l'Esprit de Dieu ». La. plupart des manuscrits portent, je le sais: « Nous qui servons Dieu en esprit » ; mais les textes grecs que nous avons pu consulter, disent: « Nous qui servons l'Esprit de Dieu ». Du reste, il n'y a point là de difficulté ; les deux sens sont également clairs et orthodoxes , puisqu'il est vrai que nous servons l'Esprit de Dieu, vrai aussi que nous servons Dieu en esprit et non pas selon la chair. Servir Dieu selon la chair, ce serait compter lui plaire par ce qui tient à la chair. Mais lorsque, pour faire le bien, la chair même est soumise à l'esprit, c'est en esprit que nous servons Dieu. Alors en effet nous domptons la chair pour soumettre à Dieu l'esprit qui la gouverne; et l'esprit ne saurait la gouverner comme il convient, s'il n'est gouverné lui-même.

2. « C'est nous qui sommes la circoncision ». Examinez ce que l'Apôtre veut faire entendre par cette circoncision qui fut imposée sous le règne des ombres mystérieuses et qui a été abrogée à l'apparition de la lumière véritable. Pourquoi ne dit-il pas: C'est nous qui avons, mais: « C'est nous qui sommes la circoncision? » C'est comme s'il avait voulu dire C'est nous qui sommes la justice, attendu que la circoncision est justice. Mais être justice,

 

1. Philipp. III, 3-16.

 

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c'est, plus que d'être juste ; et pourtant saint Paul, en disant que nous sommes justice, veut signifier que nous sommes justes. Nous ne sommes pas en effet cette justice immuable à laquelle nous -participons. Comme on dit une nombreuse jeunesse pour désigner de nombreux jeunes gens, on dit aussi justice pour désigner des justes. Voyez-le plus clairement dans ces paroles du même Apôtre: « Afin, « dit-il, due nous soyons en lui justice de Dieu  (1) ». Justice de Dieu et non de nous; justice reçue de lui et non puisée en nous; justice obtenue et non usurpée, donnée et non ravie. Il y eut un être qui usurpa en cherchant à s'égaler à Dieu; aussi trouva-t-il sa ruine dans cette ambition. Mais Jésus-Christ Notre-Seigneur étant de la nature de Dieu, « ne crut pas usurper en s'égalant à lui ». Comment d'ailleurs aurait-il usurpé, puisque par nature il était son égal? Toutefois « il s'anéantit lui-même en prenant une nature d'esclave (2), afin que nous soyons en lui justice de Dieu ». Ah ! s'il n'avait accepté notre indigence, nous ne cesserions pas d'être pauvres. Mais étant riche il s'est fait pauvre, « afin de nous enrichir par sa pauvreté », dit l'Ecriture (3). Que ne devons-nous donc pas espérer de ses richesses, puisque sa pauvreté même contribue à nous enrichir? — Ainsi l'Apôtre ne nie pas que tu sois circoncis ; seulement il explique la circoncision, il apporte la lumière et chasse les ombres.

3. « Nous sommes, dit-il, la circoncision, « nous qui servons Dieu en esprit, qui nous glorifions dans le Christ Jésus et qui ne mettons pas notre confiance dans la chair ». Il avait en vue des hommes qui mettaient dans la chair leur confiance, qui se glorifiaient de la circoncision charnelle; et d'eux il disait encore: « Qu'ils font un Dieu de leur ventre et qu'ils mettent leur honneur dans leur ignominie (4) ». Comprends mieux, toi, la circoncision, sois la circoncision; comprends et agis, car il est bon de comprendre quand on pratique (5) ».

Ce n'est pas sans raison que l'enfant devait être circoncis le huitième jour (6). Le Christ n'est-il pas la Pierre qui nous circoncit? Le peuple juif fut circoncis avec, des couteaux de pierre (7); mais la pierre désignait le Christ (8) ;

 

1. II Cor. V, 21. — 2. Philip. II, 6, 7. — 3. II Cor. VIII, 9. — 4. Philip. III, 19. — 5. Ps. CX, 10. — 6. Gen. XVI, 12; Lév. XI, 3. — 7. Josué, V, 2. — 8. I Cor. X, 4.

 

et si l'opération se pratiquait le huitième jour, c'est que, dans la succession des semaines, le huitième jour est le premier, puisque les sept jours écoulés on revient au premier. Quand finit le septième, le Sauveur est encore au tombeau; il ressuscite quand reparaît le premier, et sa résurrection est pour nous la promesse du jour éternel comme elle est la consécration du dimanche. Dimanche en effet paraît se rapporter à Seigneur, dominicus ad Dominum; ce qui s'explique parce que le Sauveur est ressuscité ce jour-là. C'est la Pierre qui nous a été rendue en ce moment. Faites-vous donc circoncire, vous qui voulez dire: « Nous qui sommes la circoncision. Car il s'est sacrifié pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification  (1) ». Cette justification ou cette circoncision ne vient pas de toi. « C'est la grâce qui vous a sauvés par la foi, et cela ne vient pas de vous, car c'est un don de Dieu, ni de vos oeuvres (2) ». Ne dis donc pas : Si j'ai reçu, c'est que j'ai mérité; ne crois pas avoir reçu à cause de tes mérites, -puisque tu n'en aurais point si tu n'avais reçu. Ainsi la grâce a devancé le mérite : ce n'est pas la grâce qui vient du mérite, mais le mérite qui vient de la grâce. Si la grâce venait du mérite, ce serait un achat et non, pas un don gratuit. « Vous les sauverez pour rien (3) ». Que signifie : « Vous les sauverez pour rien ? » Vous ne trouvez en eux rien qui mérite le salut, et pourtant vous le leur accordez. Vous donnez, vous sauvez gratuitement. Vos dons précèdent tous mes mérites , afin que, mes mérites suivent vos dons. Vous donnez donc et vous sauvez gratuitement, puisqu'au lieu de trouver en moi de quoi vous porter à me sauver, vous y trouvez tant de motifs de me condamner.

4. Donc, dit-il, « c'est nous qui sommes la circoncision, qui servons l'Esprit de Dieu et qui nous glorifions en Jésus-Christ ». Car celui qui se glorifie doit se glorifier dans le Seigneur (4). « Sans mettre notre confiance dans la chair ». Qu'est-ce que mettre sa confiance deus la chair? Le voici. « Et pourtant, continue l'Apôtre, moi aussi j'ai sujet d'y mettre ma confiance, j'ai même sujet plus que beaucoup d'autres ». Ne vous. figurez point que je dédaigne ce que je ne puis avoir. Est-il étonnant qu'un homme du bas peuple et de

 

1. Rom. IV, 25. — 2. Ephés. II, 8, 9. — 3. Ps. LV, 8. — 4. I Cor. I, 51.

 

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condition vile méprise la noblesse et montre sous ce rapport une humilité véritable? Oui, «moi aussi, j'ai de quoi mettre ma confiance dans la chair ». Je puis donc vous enseigner à ne faire aucun cas de ce que vous me voyez fouler aux pieds moi-même. «Si quelqu'un croit pouvoir se confier dans la chair, je le puis davantage ».

5. Voici enfin la nature de cette confiance. « J'ai été circoncis le huitième jour » : je ne suis par conséquent ni prosélyte, ni étranger, au sein du peuple de Dieu ; je n'ai pas été circoncis dans un âge déjà avancé, mais le huitième jour, réellement, puisque je suis né de parents juifs. « De la race d'Israël, de la tribu de Benjamin, hébreu de pères hébreux; pharisien dans le zèle pour la loi ». Les pharisiens étaient comme les premiers de la nation, comme la noblesse juive; ils n'étaient pas confondus avec le petit peuple. Ce mot de pharisien signifie, dit-on, une espèce de séparation, comme en latin le mot egregius distingué, signifie tiré de la foule, e grege. De la race d'Israël faisaient partie aussi les tribus qui avaient renoncé au temple. Mais les tribus de Benjamin et de Juda étaient restées fidèles. A l'époque du schisme qui eut lieu sous le serviteur de Salomon, il n'y eut en effet pour continuer à fréquenter Jérusalem et le temple du vrai Dieu, que la tribu sacerdotale de Lévi, la tribu royale de Juda, et la tribu de Benjamin (1). Il ne faut donc point passer légèrement sur ce mot : « De la tribu de Benjamin » c'est-à-dire attaché à Juda et fidèle au temple. « Hébreu de parents hébreux ; quant à la loi, pharisien; quant au zèle, persécuteur de l'Eglise ». Il considère donc comme un de ses mérites d'avoir persécuté les chrétiens. « C'était par zèle, dit-il ». En d'autres termes, je n'étais pas un juif indolent, je souffrais avec peine et j'attaquais avec vigueur tout ce qui semblait contraire à ma loi.

Toutes ces distinctions étaient parmi les Juifs des caractères de noblesse ; mais il faut être humble pour être chrétien. Aussi l'Apôtre s'appelait-il Saul quand il était Juif et a-t-il pris le nom de Paul quand il est devenu l'un des nôtres. Le mot Saul vient de Saül. Vous savez ce qu'était Saül, quelle haute taille il avait. L'Ecriture dit de lui qu'il surpassait tous les autres quand il fut choisi pour

 

1. III Rois, XII.

 

recevoir l'onction royale (1). Tel n'était pas Paul, mais seulement quand il eut pris ce nom de Paul, qui veut dire Petit. « Par zèle donc persécuteur de l'Eglise ». Comprenez par là quel rang j'occupais parmi les Juifs, puisque le zèle de nos traditions paternelles me déterminait à persécuter l'Eglise du Christ.

6. Il ajoute : « Quant à la justice de la loi, ayant vécu sans reproche ». Votre charité n'ignore pas qu'il est dit de Zacharie et d'Elizabeth qu'ils marchaient sans reproche dans toutes les prescriptions du Seigneur. « Observant tous deux, dit l'Ecriture, les commandements du Seigneur sans reproche (2) ». C'est ce que faisait notre saint Apôtre quand il s'appelait Saul. Il suivait la loi sans encourir de reproche; mais ce fut en ne méritant point de reproche qu'il arriva à mériter un reproche bien grave. Quoi donc? rues frères, estimons nous qu'il y eût du mal à vivre irrépréhensible dans la justice commandée par la loi? S'il y avait du mal à cela, il y en avait donc aussi dans la loi même? Le même Apôtre nous dit néanmoins : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon (3) ». Or, la loi étant sainte, et le commandement saint, juste et bon, comment y aurait-il du mal à vivre irréprochable dans l'observation de la justice ordonnée par cette sainte loi ? N'est-ce pas plutôt être saint ? Et pourtant est-ce être saint que de vivre ainsi ? Ecoutons encore le même Apôtre, voici ce qu'il dit : « Ce qui était gain pour moi, je l'ai jugé perte à cause du Christ ». Il parle ici de ses pertes réelles, et dans le nombre de ses pertes il met la vie irréprochable qu'il a menée conformément à la justice légale. « Bien plus, continue-t-il, j'estime que tout est perte comparativement à l'éminente connaissance de Jésus-Christ Notre-Seigneur ». J'examine ce qui fait ma gloire, et je le mets en face de la grandeur incomparable de Notre-Seigneur Jésus-Christ. J'ai soif de ceci, dégoût pour cela. C'est peu : « Non-seulement je regarde tout comme perte en face de lui; mais quand il s'agit de gagner le Christ, tout n'est à mes yeux que fumier ».

7. Voici, grand Apôtre, une question plus profonde. Vous viviez, sans mériter de reproche, conformément à la justice ordonnée par la loi; cette vie néanmoins est considérée par

 

1. I Rois, IX, 2. — 2. Luc, X, 6. — 3. Rom. VII, 12.

 

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vous comme une perte, comme un dommage, comme du fumier, relativement à l'acquisition que vous voulez faire du Christ: ne s'ensuit-il pas que cette justice détournait du Christ? Je vous en prie, daignez vous expliquer un peu. Ou plutôt demandons à Dieu de nous éclairer; car c'est lui qui a éclairé l'auteur de cette épître, écrite, non pas avec de l'encre, mais avec l'Esprit du Dieu vivant. Vous voyez bien, mes très-chers, qu'il y a ici une difficulté fort ardue et malaisée à comprendre. D'un côté la loi est sûrement sainte, et le commandement saint, juste et bon; pour les catholiques il est certain encore, et on ne peut le nier qu'en cherchant à sortir de l'Eglise, que cette loi ancienne n'a été donnée que par le Seigneur notre Dieu. D'un autre côté cependant la vie irréprochable et conforme à cette justice légale a détourné l'Apôtre du Christ, et il ne s'est attaché à lui qu'en regardant comme une perte, comme un dommage, comme du fumier, son irrépréhensible fidélité à la justice ordonnée par la loi. Voilà la difficulté.

Continuons à lire, faisons un pas en avant, peut-être trouverons-nous dans les propres paroles de saint Paul, un trait de lumière qui dissipera ces ombres. « J'ai regardé tout cela, « dit-il, comme une perte, et comme du fumier, afin de gagner le Christ ». Soyez attentifs, je vous prie. Je regarde tous ces avantages, et parmi eux je compte la fidélité inviolable de ma vie à la justice légale, comme perte, comme dommage, comme fumier véritable. Oui, j'estime tout cela à l'égal d'une perte, à l'égal du fumier, « afin de gagner le Christ et d'être trouvé, en lui, possédant, non ma propre justice qui vient de la loi ». Vous qui comprenez avant que j'aie expliqué, figurez-vous que vous ressemblez à des voyageurs plus rapides qui sont en route avec des voyageurs au pas plus lent. Ralentissez tant soit peu votre marche, pour ne laisser pas vos compagnons en arrière. « Pour gagner le Christ, dit donc l'Apôtre, et pour être trouvé possédant en lui, non ma propre justice, qui vient de la loi ». Si c'est la sienne, pourquoi dire qu'elle vient de la loi? Si elle vient de la loi, comment vient-elle de vous ? Est-ce vous qui vous seriez donné la loi? Mais c'est Dieu qui l'a donnée, c'est Dieu qui l'a imposée, c'est Dieu qui a commandé de l'observer. Si cette loi ne t'apprenait pas à vivre, comment te dirais-tu irréprochable au point de vue de la justice qu'elle prescrit? Et si c'est d'elle que te vient cette justice, comment affirmes-tu que tu possèdes, « non ta propre justice qui vient de la loi, mais celle qui vient de Dieu par la foi au Christ? »

8. Je résoudrai cette question le mieux que je pourrai : daigne Celui qui habite en vous y jeter plus de lumière, nous donner la grâce de voir et d'aimer la vérité; car s'il nous donne de l'aimer, il nous donnera par là même la grâce de la pratiquer. — Voici donc quelle est ma pensée.

Dieu a donné sa loi, je parle de la loi qui dit: « Tu ne convoiteras point (1) », et non de ces observances charnelles qui sont des ombres de l'avenir. Or, Dieu ayant donné cette loi; si un homme craint, s'il croit pouvoir l'accomplir avec ses propres forces, s'il fait réellement ce qu'elle prescrit, non par amour de la justice, mais par peur du châtiment, cet homme est sans reproche au point de vue de la justice légale, car il ne dérobe ni ne commet d'adultère, il ne fait ni faux témoignage ni homicide, il ne convoite même pas le bien de son prochain; va-t-il toutefois jusque-là? Le peut-il? S'il le fait, c'est par crainte du châtiment. Mais s'abstenir de convoiter uniquement par crainte du châtiment, n'est-ce pas convoiter? En présence d'un appareil formidable d'armes défensives et offensives, en face d'une multitude qui le cerne ou qui court à sa rencontre, un lion même cesse de poursuivre sa proie: en est-il moins lion? Il a laissé sa proie, mais non sa fureur. Lui ressembles-tu ? Tu pratiques sans doute la justice, et c'est elle qui te dit de te dérober aux tourments. Mais est-il étonnant qu'on redoute les supplices ? Qui ne les redoute pas? Quel voleur, quel sicaire, quel scélérat n'en a peur? La différence qui distingue ta peur de la peur du larron, c'est que tout en craignant les lois humaines , celui-ci ne s'abstient pas d'être homicide , parce qu'il compte échapper à la vigilance de ces lois ; tandis que les lois et les peines que tu redoutes sont celles d'une puissance que tu ne saurais tromper ; que ne ferais-tu point si tu le pouvais? Ainsi tes convoitises coupables ne sont pas éteintes par l'amour, mais comprimées par la crainte. C'est le loup qui se lance sur un bercail et que forcent à s'éloigner

 

1. Exod. XX, 16.

 

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l'aboiement des chiens et le cri des bergers en est-il moins loup? Ah ! qu'il change et devienne brebis. Le Seigneur en effet peut faire ce changement. Mais alors c'est sa justice et non la tienne. Tu peux avec la tienne redouter le châtiment, tu n'as pas pour la justice un amour réel.

Quoi ! mes frères, l'iniquité aurait ses charmes et la justice n'aurait pas les siens? Le mal a de l'attrait, et le bien n'en aurait. pas? A coup sûr il en a ; mais « c'est le Seigneur qui répandra la douceur, puis notre terre portera ses fruits (1)». Elle demeurera stérile si d'abord le Seigneur ne verse ses attraits. Voilà pourquoi l'Apôtre aimait la justice et se trouvait heureux; se souvenait de Dieu et se trouvait heureux (2); soupirait avec ardeur après les parvis sacrés (3), et dédaignait, considérait comme perte, comme dommage et comme vil fumier tout ce qu'il estimait auparavant.

9. C'était donc son zèle ardent pour les traditions de ses pères, qui l'avait porté à persécuter l'Eglise (4), à établir sa propre justice au lieu de rechercher la justice de Dieu. En voulez-vous la preuve? « Que dirons-nous donc? » s'écrie-t-il ailleurs. « Que les gentils, qui ne cherchaient point la justice, ont embrassé la justice ». Laquelle? « Mais la justice qui a vient de la foi; et que les gentils qui ne cherchaient point », comme la leur, « la justice qui vient de la loi », la justice inspirée par la crainte du châtiment et non par l'amour du bien, « sont parvenus à la justice, cet à la justice qui vient de la foi; tandis qu'Israël, en recherchant la loi de justice, n'y est point parvenu. Pourquoi ? Parce que ce n'est point par la foi ». Qu'est-ce à dire : « Ce n'est point par la      foi ? » C'est-à-dire qu'Israël n'a point espéré en Dieu, n'a point attendu de lui la justice, n'a point eu foi en Celui qui justifie l'impie (5), n'a point fait comme le publicain qui baissait les yeux jusqu'à terre, se frappait la poitrine et disait «Seigneur, ayez pitié de moi, pauvre pécheur (6). — Voilà pourquoi tout en recherchant la loi de justice, il n'y est point parvenu. Pourquoi? Parce que ce n'est point par la foi, mais comme par   les oeuvres qu'ils l'ont recherchée; car ils se sont heurtés contre la pierre d'achoppement (7) » . Voilà bien pourquoi Saul persécutait l'Eglise;

 

1. Ps. LXXXIV, 13. — 2. Ps. LXXVI, 3. — 3. Ps. LXXXIII, 3. — 4. Gal. I, 14. — 5. Rom. IV, 5. — 6. Luc, XVIII, 13. — 7. Rom. IX, 30-32.

 

il se heurtait alors contre la pierre d'achoppement, contre le Christ étendu en quelque sorte sur terre dans son humilité. Sans doute aussi il était élevé au ciel avec son corps ressuscité d'entre les morts; mais s'il n'eût été en même temps sur la terre, aurait-il crié à Saul : « Pourquoi me persécutes-tu » ? Il était donc abaissé à terre par son humilité; et Saul se heurtait contre lui dans son aveuglement. Cet aveuglement, d'où venait-il? De l'enflure causée par son orgueil. Qu'est-ce à dire? De ce qu'il s'appuyait sur sa justice. Cette justice à la vérité venait de la toi; mais elle était aussi la sienne. Comment venait-elle de la loi ? Parce qu'elle était contenue dans les prescriptions légales. Et comment était-elle aussi la sienne? Parce qu'il se l'attribuait, parce qu'elle ne venait pas de l'amour, de l'amour de la justice, de l'amour de la charité du Christ. Mais d'où lui est venu cet amour? Quand il n'y avait en lui que la crainte, cette crainte réservait dans son coeur la place que devait occuper la charité. Lors donc qu'il sévissait avec fierté, avec orgueil contre les chrétiens et qu'il se glorifiait devant les Juifs de persécuter l'Eglise par zèle pour les traditions paternelles; lorsqu'il se croyait un grand homme, il entendit du haut du ciel la voix de Notre-Seigneur Jésus-Christ. Déjà assis sur son trône le Sauveur n'en recommandait pas moins l'humilité. « Saul, Saul, dit-il, pourquoi me persécutes-tu ? Il t'est dur de regimber contre l'aiguillon (1) ». Je pourrais te laisser faire; tu te blesserais toi-même, sans m'atteindre, en frappant du pied; mais non, je ne te laisse pas. Tu es furieux, et je suis miséricordieux. « Pourquoi me persécutes-tu? » Je ne crains pas que tu mie crucifies de nouveau; je veux seulement me révéler à toi, afin de te détourner de mettre à mort, non pas moi, mais toi.

10. L'Apôtre frémit; frappé et renversé, il fut bientôt relevé et raffermi. En lui s'accomplit cette parole : « C'est moi qui frapperai et c'est moi qui guérirai (2)». Il n'est pas dit: Je guérirai, puis je frapperai; mais : « Je frapperai et je guérirai». Je te frapperai, puis je me donnerai à toi. Ainsi frappé, il prit à dégoût sa propre justice, cette justice qu'il pratiquait sans reproche et qui le rendait honorable, grand et glorieux aux yeux de Juifs; il la regarda comme une perte, comme un

 

1. Act. IX, 4, 5. — 2. Deut. XXXII, 39.

 

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dommage, comme un fumier, aspirant à «avoir en lui, non sa propre justice, qui vient de la loi, mais celle qui vient de Dieu par la foi en Jésus-Christ ».

Que dit ensuite le même Apôtre de ceux qui se sont heurtés contre la pierre d'achoppement? Qu'ils s'appuyaient, non sur la foi, « mais sur les oeuvres » ; et que c'est en quelque sorte leur justice même qui a fait qu'ils se sont heurtés contre la pierre d'achoppement, comme il est écrit: Voici que je mets en Sion une pierre d'achoppement et une pierre de scandale; et quiconque croit en Elle ne sera point confondu (1) ». En croyant en Elle, effectivement, on ne comptera plus sur cette justice qui vient de la loi, toute bonne que soit cette loi; mais on accomplira la loi à l'aide de la justice octroyée par Dieu; et c'est ainsi qu'on ne sera point confondu. Car la charité est la plénitude de la loi (2). Mais par qui cette charité a-t-elle été répandue dans nos coeurs? Ce n'est point par nous, à coup sûr, c'est par le Saint-Esprit, qui nous a été donné (3). Les Juifs donc se sont heurtés contre la pierre d'achoppement et contre la pierre de scandale, et l'Apôtre dit d'eux : « Mes frères, les ardents désirs de mon coeur et mes supplications à Dieu ont pour objet leur salut ». Ainsi,l'Apôtre demande la foi pour ceux qui ne croient pas, et la conversion pour les impies ; ce qui prouve que la conversion même ne se produit pas sans la grâce. « Mes supplications à Dieu ont pour objet leur salut. Car je leur rends ce témoignage, qu'ils ont du zèle pour Dieu». Lui aussi avait du zèle pour Dieu; mais quel zèle? Un zèle pareil au leur, un zèle qui n'était pas « selon la science ». Comment n'était-il pas selon la science? C'est qu'ils ignoraient la justice de Dieu et voulaient établir la leur ». Aussi revenu de cet égarement l'Apôtre disait-il: « Je n'ai plus ma propre justice». Eux veulent établir la leur, ils aiment encore à rester sur le fumier. Je n'ai plus, moi, ma justice, mais la justice que donne la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu, oui, cette justice qui vient de Dieu qui justifie l'impie.

11. Sors, sors de toi-même, tu es pour toi un obstacle, et en t'élevant toi-même tu ne prépares que des ruines. Si le Seigneur ne

 

1. Rom. IX, 32, 33. — 2. Ib. XIII, 10. — 3. Ib. V, 5.

 

bâtit la maison, c'est en vain qu'on se fatigue à la construire (1). Garde-toi donc de chercher à acquérir ta propre justice. Oui la justice vient, elle doit venir de la loi donnée par Dieu; mais puisqu'elle vient de la loi, quelle ne vienne pas de toi. C'est l'Apôtre qui le dit, et ce n'est pas à moi que doivent s'en prendre les amis de leur propre justice. Voilà le livre, ouvre lis, écoute, comprends. Ne cherche pas ta justice; quoiqu'elle vienne de la loi, l'Apôtre la considère comme du fumier, dès qu'elle est la tienne. « Car en ignorant la justice de Dieu et en cherchant à établir la leur, ils ne sont point soumis à la divine justice (2) ». Ne t'imagine pas qu'étant chrétien tu ne saurais te heurter contre la pierre d'achoppement. Tu t'y heurtes, dès que tu dérobes quelque chose à la grâce. Et n'est-on pas plus coupable de se heurter contre le Christ sur son trône, que contre le Christ sur la croix? Sois juste, mais par la grâce, par le secours de Dieu et non par toi. « Que vos prêtres soient revêtus de justice (3) ». On reçoit un vêtement, il ne naît pas avec les cheveux et il n'y a que les animaux qui naissent tout vêtus. Telle est la grâce que préconise l'Apôtre : tu dois l'attendre de Dieu. Gémis pour l'obtenir, crois et pleure afin que Dieu te la donne. « Celui qui invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé, est-il écrit (4) ». Remarque qu'il ne s'agit pas ici de la guérison de quelque mal corporel, tel que serait la fièvre, la peste, la goutte ou tout autre. Non. « Celui qui invoquera le nom du Seigneur, sera sauvé », c'est-à-dire qu'il sera justifié. Si le Seigneur a dit: « Le médecin n'est pas nécessaire à ceux qui se portent bien, mais aux malades », n'a-t-il pas expliqué sa pensée par ces autres paroles: « Je ne suis pas venu chercher les justes, mais les pécheurs (5) ? »

12. Aussi voyez ce que dit encore l'Apôtre: « Je voudrais avoir en lui, non pas ma justice, qui vient de la loi », car c'est toujours la mienne, « mais celle qui vient de Dieu », qui s'obtient de Dieu par la foi au Christ, « la justice de la foi, pour le connaître, ainsi que la vertu de sa résurrection ». Quel bonheur de connaître la vertu de la résurrection du Christ ! Etes-vous étonnés qu'il ait ressuscité son corps? Est-ce en cela que consiste la vertu de sa résurrection ?

 

1. Ps. CXXVI, 1. — 2. Rom. X, 1-3. — 3. Ps. CXXXI, 16. — 4. Joël, II, 32. — 5. Matt. IX, 12,13.

 

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Ne ressusciterons-nous pas aussi a la fin des siècles? Ce corps corruptible ne se revêtira-t-il pas d'incorruptibilité, ce corps mortel d'immortalité ? Le Christ est ressuscité d'entre les morts, il ne meurt plus et la mort 1faura plus sur lui d'empire (1); ne ressusciterons-nous pas, si je l'ose dire, d'une façon plus admirable encore? Sa chair est ressuscitée sans avoir été corrompue; la nôtre sortira pleine de vie de la corruption même. Il est beau sans doute qu'il nous ait devancés pour être notre modèle et pour nous montrer ce que nous devons attendre; mais ce n'est point là tout ce qu'avait en vue l'Apôtre en parlant, non pas de sa justice, mais de celle qui vient de Dieu, et en faisant mention de la vertu de la résurrection du Christ ; il voulait t'y faire voir ta justification. Car c'est la résurrection du Sauveur qui nous justifie, comme c'était la Pierre qui opérait la circoncision. Voilà pourquoi saint Paul a commencé par ces mots: « C'est nous qui sommes la circoncision ». Comment a-t-elle été produite? Par la Pierre. Quelle est cette Pierre? Le Christ. Quand a-t-elle été produite? Le huitième jour: aussi bien est-ce en ce jour que le Seigneur est ressuscité.

13. Voilà donc, mes frères, la justice que nous devons conserver si nous l'avons, augmenter dans ce qui lui manque, et porter à sa perfection pour l'époque où on chantera : « O mort, « où est ta victoire? O mort, où est ton aiguillon (2)? » Tout cela néanmoins doit nous venir de Dieu; mais nous ne devons ni nous endormir, ni oublier de faire des efforts, ni négliger de vouloir. Sans volonté de ta part, ne compte pas avoir en toi la justice de Dieu. Sans doute, tu n'as d'autre volonté que la tienne; mais tu ne peux avoir non plus de justice que de Dieu. La justice de Dieu est indépendante de ta volonté; mais sans la vouloir tu ne l'auras pas. On t'a bien montré ce que tu dois faire, la loi fa dit : Ne fais ni ceci ni cela; mais cela et ceci. La loi donc t'a parlé, elle t'a commandé, elle t'a montré, et si tu as de l'intelligence tu as compris ton devoir. Demande maintenant la grâce de l'accomplir, si tu connais la vertu de la résurrection du Christ. « Car il s'est sacrifié pour nos péchés, et il est ressuscité pour notre justification (3) ». Pour notre justification? pour nous justifier, pour nous

 

1. Rom. VI, 9. — 2. I Cor. XV, 53-55. — 3. Rom. IV, 25.

 

rendre justes. Ainsi tu seras à double titre l'oeuvre de Dieu : comme homme et comme juste. Mieux vaut pour toi être juste que d'être homme. Si donc c'est Dieu qui t'a fait homme et si c'est toi qui te rends juste, ton oeuvre est préférable à celle de Dieu. Mais non; Dieu t'a fait sans toi, car tu n'as point consenti à être créé par lui. Eh ! comment y aurais-tu consenti, puisque tu n'étais pas? Mais s'il t'a fait sans toi, sans toi il ne te justifie pas. Il t'a donc formé sans que tu le susses, et il ne te justifie qu'autant que tu le veux. C'est lui néanmoins qui te justifies ce n'est pas toi, et tu ne dois pas retomber sur ce qui était pour toi une perte, un dommage, du fumier, mais chercher en lui, non ta propre justice, « qui vient de la loi, mais la justice qui vient de Dieu par la foi du Christ, la justice de la foi, pour le connaître, ainsi que la vertu de sa résurrection, et la participation de ses souffrances ». Ici encore tu trouveras la vertu ; la vertu sera pour toi dans la participation des souffrances du Christ.

14. Comment toutefois participer aux souffrances du Christ, sans la charité? Ne voit-on pas, au milieu des tortures, des larrons montrer un tempérament si ferme , que loin de faire connaître leurs complices, plusieurs mêmes refusent de se nommer? Ils sont déchirés, broyés; ils ont les côtes brisées, les membres en lambeaux; et rien ne peut vaincre leur obstination coupable. Qu'aiment-ils? car il est impossible qu'ils résistent ainsi sans un ardent amour. Ne leur comparons pas toutefois celui qui aime Dieu, car on ne l'aime que par lui. Ce coupable aime autre chose, autre chose qui tient à la chair, car il est homme. Mais quel que soit l'objet de son amour, que son amour tombe sur ses complices, sur le désir de n'être pas connu ou sur la gloire qu'il attache aux crimes; quel que soit enfin l'objet de son amour, il en avait beaucoup pour n'avoir pas cédé sous le poids des tortures. Si donc ce misérable n'a pu, sans aimer, soutenir tant de tourments, les soutenir et n'y pas succomber; tu ne pourras non plus, sans aimer, partager les souffrances du Christ.

15. Or, quel doit être ton amour? Il doit être charité et non cupidité. « Quand je livrerais mon corps aux flammes, est-il dit, si je «n'ai pas la charité, je n'y ai aucun profit (1) ».

 

1. I Cor. XIII, 3.

 

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Afin donc de profiter de là participation aux souffrances du Christ, tu dois avoir la charité. Comment l'avoir? Pauvre mendiant, comment avoir l'amour de Dieu? Veux-tu que je te l'apprenne? Interroge plutôt l'économe du Seigneur. Oui, avec la charité, la participation aux souffrances du Christ te rendra véritablement martyr; le martyr étant celui dont on couronne la charité. Mais enfin, comment avoir cette charité? Nous portons ce trésor dans des vases d'argile, dit le même Apôtre, « de sorte que la grandeur appartient à la vertu de Dieu et ne vient pas de nous (1) ». N'est-ce pas dire que « la charité a été répandue dans nos coeurs par l'Esprit-Saint, qui nous a été donné (2) ? »

C'est après cela que tu dois soupirer. Dédaigne ton esprit et reçois l'Esprit de Dieu. Que ton esprit ne craigne pas de se trouver à l'étroit dans ton corps, lorsque l'Esprit de Dieu commencera à régner en toi. Non, l'Esprit de Dieu ne bannira pas alors ton esprit; ne crains pas. Tu serais à l'étroit, si tu donnais l'hospitalité à un riche, tu ne saurais où te loger, où  placer ton lit, ton épouse, tes enfants, toute ta famille. Que faire ? dirais-tu. Où aller? Où habiter? L'Esprit de Dieu est riche, reçois-le pourtant; il te mettra au large au lieu de te mettre à l'étroit. « Sous moi vous avez élargi l'espace (3) » ; c'est ce que tu chantes. Tu diras donc à ton hôte divin : « Sous moi vous avez élargi l'espace ». J'étais à l'étroit, quand vous n'étiez pas ici; vous avez rempli ma demeure, et au lieu de m'en chasser, vous n'en avez chassé que la gêne. Dans ces mots d'ailleurs: « La charité de Dieu a été répandue », le terme répandue n'éveille-t-il pas l'idée d'étendue ? Non, ne crains pas d'être à l'étroit, accueille ton hôte, et ne le traite pas comme un de ceux qui ne font que passer. Tu ne gagnerais rien à son départ; c'est en demeurant qu'il donne. Sois à lui, ne souffre pas qu'il te laisse, qu'il sorte, retiens-le toujours et dis-lui : « Faites de nous votre possession, ô Seigneur notre Dieu (4) ».

16. Oui, conservons la justice qui vient de Dieu, pour le connaître, ainsi que la vertu de sa résurrection et la participation à ses souffrances, en nous conformant à sa mort. « Car nous avons été, par le baptême, ensevelis avec le Christ pour mourir, afin que, comme

 

1. II Cor. IV, 7. — 2. Rom, V, 5. — 3. Ps. XVII, 37. — 4. Isaïe XXVI, 13, sept.

 

le Christ est ressuscité d'entre les morts, nous menions aussi une vie nouvelle (1) ». Meurs, pour vivre; pour ressusciter, ensevelis-toi: c'est après ta sépulture et ta résurrection que véritablement tu auras le coeur élevé, Vous goûtez ce que je dis. Le goûteriez-vous, si vous n'y trouviez une secrète douceur ?

« Je me conforme à sa mort, poursuit saint Paul, afin que je puisse parvenir de quelque manière à la résurrection d'entre les morts ». Il parlait de la justification, de la justification par la foi au Christ, de la justification qui vient de Dieu, et voici comment il termine. Après avoir recherché cette justification, après avoir dit: « Afin d'être trouvé en lui, possédant non ma propre justice, qui vient de la loi, mais la justice qui s'obtient par la foi au Christ, la justice qui vient de Dieu », il ajoute: « Pour parvenir de quelque manière à la résurrection d'entre les morts ». Pourquoi avoir dit: « Pour parvenir de quelque manière ? — C'est que sans avoir atteint encore jusque-là ni être déjà parfait, je cherche, en poursuivant, à atteindre de quelque manière le but auquel j'ai été destiné par le Christ Jésus ». Sa justice m'a prévenu, que la mienne le suive ; et elle le suivra, dès que ce ne sera plus la mienne. « A parvenir de quelque manière. Ce n'est pas que j'aie encore atteint ou que déjà je sois parfait». On s'étonne en entendant l'Apôtre dire: « Ce n'est pas que j'aie atteint encore jusque-là ou que déjà je sois parfait ». Que n'avait-il pas atteint encore ? Il avait la foi, le courage, l'espérance ; la charité l'embrasait, il faisait des miracles, il prêchait avec une indomptable vigueur, souffrait toutes sortes de persécutions et se montrait partout patient, plein d'amour pour l'Eglise et de sollicitude pour toutes les communautés chrétiennes: que n'avait-il pas reçu? « Ce n'est pas que j'aie encore atteint ni que je sois déjà parfait ». Que dis-tu? Tu parles et nous sommes dans l'étonnement; tu parles et nous sommes dans la stupeur; car nous avons notre pensée. Que dis-tu ? « Mes frères », s'écrie-t-il. Que veux-tu dire enfin? que dis-tu? « Je ne pense pas avoir atteint le but ». Ne vous méprenez pas sur mon compte, je me connais mieux que vous. Si j'ignorais ce qui me manque, je ne saurais ce que j'ai. « Je ne crois pas avoir atteint le but.

 

1. Rom. VI, 4.

 

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« Il est une chose », que je ne crois pas avoir encore. J'ai beaucoup, mais il est une chose que je n'ai pas encore. « J'ai demandé une grâce au Seigneur, je la réclamerai encore ». Qu'as-tu demandé et que réclames-tu ? « C'est d'habiter dans la maison du Seigneur tous les jours de ma vie». Pourquoi? « Afin de contempler la joie du Seigneur (1) ». Voilà la chose unique que l'Apôtre assurait n'avoir point obtenue encore ; et plus il en était éloigné, moins il était parfait.

17. Vous vous rappelez, mes frères, ce passage de l'Evangile où il est parlé de deux soeurs, Marthe et Marie, qui donnèrent l'hospitalité au Seigneur. Oui, vous vous le rappelez: Marthe s'empressait à faire de nombreux préparatifs et avait soin de la maison; car enfin elle recevait le Seigneur et ses disciples. Elle cherchait, avec un empressement tout religieux, à faire en sorte qu'aucun égard ne manquât chez elle à ces saints personnages. Or, pendant qu'elle s'empressait ainsi, Marie sa soeur était assise aux pieds du Seigneur et recueillait sa parole. Mécontente, au milieu de ses soins, de la voir assise sans s'occuper de ce qu'elle faisait, elle en appela au Sauveur: « Vous plait-il, Seigneur, lui dit-elle, que ma soeur me laisse ainsi, quand je suis si pressée ? Marthe, Marthe, reprit le Seigneur, tu t'occupes de beaucoup de choses; il n'y en a pourtant qu'une de nécessaire. Marie a choisi la meilleure part,  qui ne lui sera point ôtée (2) ». La tienne est bonne, la sienne est meilleure. La tienne est bonne, car il est bon de s'appliquer à servir les saints, mais la sienne est meilleure. En effet ce que tu as choisi passe. Tu apaises la faim et la soif, tu nous prépares des lits de repos, et tu ouvres ta porte quand nous voulons loger ici. Tout cela passe ; viendra le temps où on n'aura plus besoin de manger, de boire ni de dormir; tu perdras alors ton emploi. « Marie a choisi la meilleure part; elle ne lui sera point ôtée. —Elle ne lui sera point ôtée » ; car elle a choisi de contempler et de vivre de la parole. Que ne sera point cette vie par la Parole, sans bruit de paroles ! Marie vivait bien alors de la Parole, ruais avec un bruit de paroles. Viendra la vie par la Parole, sans aucun bruit de paroles. La Parole même est la vie. « Nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est (3) ». Telle était l'unique

 

1. Ps. XXVI, 4. — 2. Luc, X, 38-42. — 3. I Jean, III, 2.

 

grâce demandée, afin de contempler la joie du Seigneur. Nous n'en pouvons jouir durant la nuit de ce siècle. « Je paraîtrai devant vous le matin, et je vous contemplerai (1) ». Ainsi donc « il est une chose que je ne crois pas avoir atteinte ».

18. Que fais-je alors ? « Oubliant ce qui est en arrière et m'élançant vers ce qui est en avant, je tends au terme », maintenant encore, « à la palme à laquelle Dieu m'a appelé d'en haut par Jésus-Christ». Oui, je marche encore, j'avance, je suis sur la route, je me hâte, je ne suis pas encore arrivé. Toi donc également, si tu marches, si tu t'avances encore, si tu penses à l'avenir; oublie le passé, ne t'y arrête pas, dans la crainte de t'arrêter au point sur lequel tu fixes les yeux. Souvenez-vous de la femme de Lot (2).

« Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits ! » Il avait dit : « Ce n'est pas que je sois parfait » ; et il dit maintenant : « Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits ! » — « Je ne crois pas avoir atteint. Ce n'est pas que j'aie encore atteint ou que je sois déjà parfait » ; et maintenant Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits (3) » C'est qu'on peut être parfait et imparfait en même temps; parfait voyageur sans être encore possesseur parfait. Or, pour te convaincre que l'Apôtre parle ici de voyageurs parfaits, de ceux qui sont parfaits comme voyageurs, sans être encore eu possession du souverain bien, remarque ce qui suit : « Ayons ces sentiments, nous tous qui sommes parfaits ; et si vous en avez d'autres » ; car vous pourriez être tentés de vous croire quelque chose, malgré ces paroles : « Quiconque s'estime quelque chose, s'abuse lui-même, puisqu'il n'est rien (4) » ; et malgré ces autres : « Si quelqu'un se persuade savoir quelque chose, il ne sait pas encore comment il doit savoir (5) ». Ainsi donc, « si vous avez d'autres sentiments », si vous êtes faibles encore, « Dieu vous éclairera aussi sur ce point. Marchons cependant dans le chemin que nous connaissons déjà ». Afin donc que Dieu nous détrompe, ne nous arrêtons pas à ce que nous savons déjà; allons en avant, marchons.

Vous voyez bien que nous sommes voyageurs. Demandez-vous ce que c'est que

 

1. Ps. V, 5. — 2. Luc, XVII, 32. — 3. Gal. 6, 3. — 5. I Cor. VIII, 2.

 

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marcher ? Je le dis en un mot : Marcher, c'est progresser; je le dis ainsi dans la crainte que ne le comprenant pas, vous marchiez moins vite. Avancez donc, mes frères; examinez-vous toujours sans vous tromper, sans vous flatter, sans vous caresser; car il n'y a personne, au dedans de toi, qui te doive porter à rougir ou à te vanter. Il y a bien quelqu'un; mais c'est quelqu'un à qui plaît l'humilité. Ah ! que celui-là te contrôle. Sache aussi te contrôler toi-même, et pour arriver à ce que tu n'es pas encore, aie constamment horreur de ce que tu es. Te plaire en quelque chose, ce serait t'arrêter. Si donc pour ton malheur il t'est arrivé de dire : c'est assez; va désormais toujours en avant, augmente et progresse toujours ; garde-toi de t'arrêter, de retourner ou de t'égarer. Ne pas avancer, c'est s'arrêter; retourner, c'est retomber dans les désordres auxquels on avait renoncé; s'égarer, c'est s'éloigner de la,voie; or il vaut mieux y rester en boitant, que de s'en éloigner en courant. Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

 

 

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