SERMON CLXI
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rte de l'église 38 - CH-1897 Le Bouveret (VS)

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SERMON CLXI. LE PÉCHÉ DE LA CHAIR (1).

 

ANALYSE. — Ce péché doit nous faire horreur : 1° Parce qu'il fait une injure grave à Jésus-Christ , dont nous sommes les membres, et au Saint-Esprit dont nous sommes les temples; 2° parce qu'il nous rend dignes de l'éternelle damnation. Comment, hélas! ne craint-on pas davantage ces supplices effroyables et interminables, quand on fait tant pour échapper aux maux légers et éphémères de la vie présente ? 3° parce que nous devrions agir par amour de Dieu, par le désir de lui plaire et la crainte de lui déplaire : amour heureux qui porte les vierges chrétiennes à renoncer absolument aux plaisirs charnels même permis.

 

1. Nous venons d'entendre, pendant la lecture, l'Apôtre reprendre et réprimer les passions humaines. « Ne savez-vous pas, disait-il, que vos corps sont les membres du Christ? Ainsi je prendrai au Christ ses membres pour en faire les membres d'une prostituée? Dieu m'en garde ». Si l'Apôtre dit que nos corps sont les membres du Christ, c'est qu'en se faisant homme pour nous le Christ est devenu notre Chef, notre Chef dont il est dit qu'«il est lui-même le Sauveur de son corps (2)»; or, son corps est l'Eglise (3). Si Notre-Seigneur Jésus-Christ ne s'était uni qu'à l'âme humaine, nos âmes seules seraient ses membres ; mais comme il s'est de plus uni à un corps, afin de devenir sous tout rapport notre chef, de nous qui sommes composés d'un corps aussi bien que d'une âme, il s'ensuit, à coup sûr, que nos corps aussi sont ses membres.

Si donc un chrétien se méprisait et s'avilissait assez pour vouloir s'abandonner à l'impureté, de grâce, qu'il respecte en lui le Christ; qu'il ne dise pas : Je céderai, car je ne suis rien, « toute chair n'étant que de l'herbe (4)». Ton corps toutefois n'est-il pas un membre du Christ ? Où allais-tu ? Reviens.

 

1. I Cor. VI, 9, 10, 15, 19. — 2. Ephés. V, 23. —  3. Colos. I, 18. — 4. Isaïe, XL, 6.

 

Où voulais-tu te précipiter ? Epargne en toi le Christ, reconnais-le en toi. « Je prendrai au Christ ses membres pour en faire les membres d'une prostituée ? » Car il faut qu'elle soit prostituée pour consentir à commettre avec toi l'adultère; et pourtant c'est peut-être une chrétienne qui prend aussi des membres au Christ pour en faire les membres d'un adultère. Ainsi vous outragez l'un et l'autre le Christ, sans égard ni pour votre Seigneur, ni pour la rançon qu'il a donnée afin de vous racheter. Comment néanmoins qualifier ce Seigneur, qui fait de ses serviteurs ses propres frères ? Ce n'était même pas assez; il en a fait ses membres. Et un tel honneur n'est rien pour toi ? Est-ce parce qu'il t'a été accordé avec une bonté si touchante que tu n'en tiens aucun cas ? Si tu ne l'avais pas, tu en serais jaloux; et parce que tu l'as reçu, tu le dédaignes !

2. Non content d'avoir appelé nos corps les membres du Christ, par la raison que le Christ a pris un corps de même nature que le nôtre, l'Apôtre dit encore que ces corps sont pour nous le temple du Saint-Esprit, que nous avons reçu de Dieu. Ainsi le corps du Christ fait que nos corps sont les membres du Christ, et l'Esprit du Christ demeurant en nous fait (54) de ces mêmes corps le temple de l'Esprit-Saint. Sur quoi maintenant vont tomber tes mépris ? Est-ce sur le Christ, dont tu es le membre, ou sur le Saint-Esprit, dont tu es le temple ? Cette infâme prostituée qui consent à faire le mat avec toi, tu n'oserais peut-être l'introduire dans ta chambre, dans ta chambre où est le lit conjugal; aussi pour te vautrer dans la fange, cherches-tu dans ta demeure quelque lieu abject et infâme. Ainsi tu respectes le lit de ton épouse, et tu ne respectes pas le temple de ton Dieu ? Tu ne fais pas entrer une impudique dans le lieu où tu dors avec ta femme, et quoique tu sois le temple de Dieu, tu vas trouver toi-même la prostituée? Le temple de Dieu pourtant me semble plus honorable que la chambre de ton épouse.

D'ailleurs, où que tu ailles, Jésus te voit, lui qui t'a créé, lui qui t'a racheté quand tu étais vendu, lui qui est mort pour toi quand tu étais mort. Tu te méconnais, mais lui ne détourne pas de toi ses regards; c'est pour te châtier, il est vrai, et non pour te venir en aide; car c'est sur les justes que veillent les yeux du Seigneur, et c'est à leurs prières que s'ouvrent ses oreilles ». Pour glacer de terreur ceux qui se flattent d'une fatale sécurité et qui se disent : J'agirai, car Dieu dédaigne de remarquer ces actions ignobles, le Prophète ajoute immédiatement. Ecoute-le, examine à qui tu appartiens, car Jésus te voit en quelque lieu que tu portes tes pas. Le Prophète ajoute donc : « Mais le Seigneur lance ses regards sur ceux qui font le mal, pour effacer de la terre jusqu'à leur souvenir (1) ». Et de quelle terre ? De celle dont il est dit : « Vous êtes mon espérance, mon héritage dans la terre des vivants (2) ».

3. N'y a-t-il pas ici quelque homme corrompu, impie, adultère, impudique et corrupteur qui s'applaudit de sa conduite, qui y vieillit sans laisser vieillir en lui la passion et qui se dit : Oui, il est bien vrai « que le Seigneur lance ses regards sur ceux qui font le mal, pour effacer de la terre jusqu'à leur souvenir ? » Me voici déjà vieillard; depuis mon jeune âge jusqu'aujourd'hui je n'ai rien épargné, j'ai inhumé tant d'hommes chastes plus jeunes que moi, j'ai conduit les funérailles d'un si grand nombre d'hommes purs, à combien d'hommes sages n'ai-je pas survécu

 

1. Ps. XXXIII, 16, 17. — 2. Ps. CXLI, 6.

 

dans mon libertinage ? Pourquoi donc nous dire que le Seigneur lance ses regards sur ceux qui font le mal, afin d'effacer de la terre jusqu'à leur souvenir ? » - C'est qu'il est une autre terre où il n'y a pas d'impudique, une autre terre où Dieu règne en personne. « Ne vous abusez point : ni les fornicateurs, ni les idolâtres, ni les adultères, ni les efféminés, ni les    abominables, ni les --voleurs, ni les avares, ni les ivrognes, ni les médisants, ne posséderont le royaume de Dieu ». C'est ainsi qu'il effacera de la terre jusqu'à leur souvenir. Tout en s'abandonnant à ces crimes, beaucoup se font illusion; or, à cause de ces malheureux qui vivent abominablement et qui espèrent encore le royaume de Dieu, où ils n'entreront pas, il est écrit : « Il effacera de la terre jusqu'à leur souvenir ». Il y aura pour la demeure des justes un nouveau ciel et une terre nouvelle. Mais là ne pourront habiter ni impies, ni méchants, ni débauchés. Toi qui te reconnais ici, choisis où tu voudrais demeurer, quand le temps te permet encore de pouvoir changer.

4. Car il y a deux habitations : l'une au milieu des feux éternels, et l'autre dans l'éternel royaume. Sans doute on sera tourmenté différemment dans les flammes éternelles; on y sera pourtant, et pour y être tous tourmentés, quoique à des degrés divers. N'est-il pas écrit que Sodome, au jour du jugement, sera traitée d'une façon plus tolérable que quelque autre cité (1); et que plusieurs parcourent la mer et la terre pour faire un prosélyte, qu'ils rendent ensuite digne de l'enfer deux fois plus qu'eux-mêmes (2) ? Figure-toi que l'un est torturé deux fois plus que l'autre, que les uns le sont moins et les autres davantage, ce n'est pourtant pas un séjour à choisir pour toi. Les moindres tourments y sont plus effroyables que les plus redoutés par toi dans ce siècle. De quel tremblement ne serais-tu pas saisi, si tu te voyais accusé pour être jeté dans les cachots; et tu es assez ennemi de toi-même pour mériter par ta conduite d'être jeté dans les flammes ? Je te vois frissonner, te troubler, pâlir, courir à l'église, demander à voir l'évêque, te prosterner à ses pieds. Il te demande pourquoi. Sauvez-moi, lui réponds-tu. — Qu'y a-t-il ? — Un tel m'accuse injustement. — Que prétend-il contre toi ? — Seigneur,

 

1. Matt. X, 15. — 2. Ib. XXIII, 15.

 

55

 

il m'enlève mon bien; Seigneur, il me jette en prison; prenez pitié de moi, sauvez-moi. Voilà jusqu'à quel point on redoute la prison, la perte des biens; et l'on craint si peu d'être brûlé dans l'enfer ?

Enfin, quand le danger devient plus pressant, quand l'infortune va plus loin et qu'on est exposé à la mort, quand quelqu'un redoute de succomber et d'être condamné à mourir, tous crient qu'il faut le secourir, et on appelle toutes sortes de moyens : Aidez-le, courez, dit-on, il s'agit de sa vie. Ce qu'on peut dire de plus pour grossir son infortune, c'est qu'il s'agit de sa vie. Sans doute il faut lui venir en aide et ne pas refuser de le secourir dans un tel embarras; si l'on a quelque pouvoir, il faut ici l'employer tout entier.

5. Je veux toutefois questionner cet homme en danger, cet homme dont le péril m'émeut jusqu'aux entrailles. Courez, dit-il, il s'agit de ma vie. Il m'est facile de lui répondre : Oui, je cours pour te sauver la vie du corps; si seulement tu courais pour sauver ton âme ; si seulement tu savais qu'en courant pour ton corps je ne puis rien pour ton âme ! Je préfère donc entendre la vérité de la bouche du Christ, plutôt que les cris que t'inspire une fausse frayeur. « Ne craignez pas, dit-il, ceux qui peuvent tuer le corps, sans pouvoir tuer l'âme (1) ». Tu veux que je courre pour te sauver la vie ; mais voilà celui que tu redoutes, celui dont les menaces te font pâlir, il ne peut tuer ton âme, sa fureur s'arrête à ton corps, c'est à toi d'épargner ton âme. Lui ne peut la tuer, tu le peux, toi ; tu le peux, non avec une lance, mais avec ta langue. Ton ennemi, en te frappant, met fin à.cette vie; « mais la bouche, en mentant, donne la mort à l'âme (2)». Il faudrait donc que la vue de ce que l'on craint dans le temps, élevât la pensée à ce que l'on doit réellement craindre. On craint la prison, et l'on ne craint point la géhenne? On craint les bourreaux de la torture, et on ne craint point les anges de l'enfer? On craint un châtiment temporel, et on ne craint point les supplices du feu éternel ? On craint enfin de mourir momentanément, et on ne craint pas de mourir éternellement?

6. Après tout, que te fera cet homme qui veut ta mort, que tu crains, que tu as en horreur, que tu fuis, dont la peur ne te laisse pas

 

1. Matt. X, 28. — 2. Sag. I, 11.

 

dormir, qui te fait même trembler durant ton sommeil, s'il t'arrive de le voir en songe ? Il séparera ton âme de ton corps. Mais considère où va cette âme un fois séparée. Car tout ce que peut ton ennemi, en tuant le corps, se borne à en séparer l'âme qui le fait vivre : puisque sa vie vient réellement de la présence de l'âme, et que cette présence, tant qu'elle dure, rend la vie indestructible. L'ennemi qui a juré ta mort, veut donc simplement chasser de ton corps l'âme qui le fait vivre.

Mais ton âme aussi n'a-t-elle pas un principe de vie ? L'âme est bien le principe de la vie du corps ; l'âme à son tour n'a-t-elle pas un autre principe de vie? Si ton corps a dans ton âme un principe de vie; l'âme également ne puise-t-elle pas la vie quelque part? Et si la mort du corps consiste à rejeter l'âme ou la vie, l'âme à son tour ne rejette-t-elle pas, en mourant, ce qui la fait vivre ? Eh bien ! si nous parvenons à découvrir, non pas quelle est la vie de ton corps, puisque nous savons que c'est ton âme, mais quelle est la vie de la vie de ton corps, en d'autres termes, quelle est la vie de ton âme ; tu devras, je crois, redouter de perdre cette vie de ton âme, plus que tu ne crains de perdre la vie de ton corps; une mort doit t'inspirer plus de frayeur que l'autre.

Abrégeons ; pourquoi rester si longtemps sur ce point? L'âme est la vie du corps, et Dieu est la vie de l'âme. L'Esprit de Dieu habite dans notre âme, et par notre âme dans notre corps, lequel devient ainsi le temple de l'Esprit-Saint, que Dieu nous a donné. Cet Esprit est effectivement descendu dans notre âme; la charité divine ayant été répandue dans nos coeurs par le Saint-Esprit que nous avons reçu (1), et le tout dépendant de qui occupe la partie maîtresse. En toi effectivement cette partie maîtresse est la nature la plus noble; d'où il suit que Dieu occupant cette nature, laquelle est ton coeur, ton intelligence, ton âme, il possède aussi par elle la nature qui lui est subordonnée, c'est-à-dire ton corps.

Que l'ennemi s'emporte maintenant, qu'il te menace de la mort, qu'il te la donne s'il le

peul, qu'il sépare ainsi ton âme de ton corps ah ! du moins que ton âme ne se sépare point de sa propre vie. Si tu pleures avec raison devant cet ennemi puissant, si, tu dis d'un ton

 

1. Rom. V, 5.

 

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attendri : Ne frappez pas, épargnez mon sang ; Dieu ne te dit-il pas aussi : « Prends pitié de ton âme pour plaire au Seigneur (1)? » C'est peut-être ton âme qui te crie : Conjure-le de ne pas frapper, autrement je te quitte ; je ne pourrais plus alors demeurer avec toi, et si tu veux que je te reste , demande-lui de ne frapper pas. Or, quelle est cette âme qui dit : Si tu veux que je te reste ? C'est toi-même ; toi qui parles ainsi, tu es l'âme ; et c'est toi qui fuis, si l'ennemi frappe le corps, c'est toi qui t'en vas, qui émigres, pendant que la poussière restera gisant sur la poussière. Où sera alors ce principe qui a animé cette poussière? Que deviendra cet esprit que t'a donné le souffle de Dieu? S'il n'a point exhalé sa vie, son Dieu même, il demeurera en lui; oui, s'il ne l'a point perdu, s'il ne l'a point éloigné, c'est en lui que demeurera ton esprit. Or, si tu as égard à la faiblesse de ton âme quand elle te crie : Il va me frapper et je te laisse ; tu ne crains point quand Dieu même te dit : Je t'abandonne si tu pèches?

7. Je voudrais que nos vaines frayeurs nous inspirassent une frayeur utile. C'est une vaine frayeur que celle de tous ces hommes qui redoutent de perdre ce qui ne peut se conserver toujours, qui doivent sortir un jour d'ici et qui tremblent d'en sortir, qui veulent enfin retarder toujours ce qui doit inévitablement s'accomplir. Oui, ce sont là de vaines frayeurs ; et pourtant elles existent, on les ressent vivement, on ne saurait s'y soustraire. Mais c'est là aussi ce qui doit nous servir à blâmer, à réprimander, à plaindre et à pleurer ces malheureux qui ont peur de mourir et qui ne travaillent qu'à retarder un peu la mort. Pourquoi ne travaillent-ils pas à ne mourir jamais ? Parce que, malgré tout, ils n'y parviendront pas. Ne peuvent-ils donc rien faire pour y parvenir? Absolument rien. Quoique tu fasses en effet, prends toutes les précautions possibles, fuis où tu voudras, abrite-toi sous les plus solides remparts, emploie toutes les richesses imaginables à racheter ta vie, et tous les plus habiles stratagèmes pour déjouer l'ennemi; une fièvre suffit pour t'arrêter, et en essayant de tous les moyens pour ne pas expirer immédiatement sous les coups de l'ennemi, tu obtiens tout au plus de mourir de la fièvre un peu plus tard.

 

1. Eccli. XXX, 24.

 

Tu peux toutefois ne mourir jamais. Si tu crains la mort, aime la vie. Or, ta vie est Dieu même, ta vie est le Christ, ta vie est l'Esprit-Saint. Ce n'est pas en faisant mal que tu lui plais; il ne veut pas d'un temple ruineux, il n'entre point dans un temple souillé. Ah ! gémis devant lui pour obtenir qu'il purifie son sanctuaire; gémis devant lui pour qu'il rebâtisse son temple, pour qu'il relève ce que tu as abattu, pour qu'il répare ce que tu as détruit, pour qu'il refasse ce que tu as défait. Crie vers Dieu, crie dans ton coeur, c'est là qu'il entend ; car si tu pèches où plonge son regard, tu dois crier où il, a l'oreille ouverte.

8. Et pourtant lorsque tu auras redressé en toi la crainte, lorsque tu auras commencé à redouter à ton profit, non pas des tourments passagers, mais le supplice des flammes éternelles , lorsqu'en conséquence tu ne commettras plus d'adultère, car c'est de ce vice que nous avons été amenés à parler à cause de ces mots de l'Apôtre : « Vos corps sont les membres du Christ » ; lors donc que la peur de brûler dans le feu qui ne s'éteint point t'aura fait renoncer à l'adultère, tu ne mériteras point d'éloge encore : sans doute tu seras moins à plaindre qu'auparavant, mais tu ne seras point encore à louer.

En effet, qu'y a-t-il d'honorable à craindre le châtiment? Ce qui est beau, c'est d'aimer la justice. Pour te connaître, je vais t'interroger. Ecoute mes questions retentissant à ton oreille, et interroge-toi en silence. Dis-moi donc : Lorsque vaincu par la passion ta as une complice, pourquoi ne commets-tu pas l'adultère? — Parce que je crains, répondras-tu, je crains l'enfer, je crains le supplice des feux éternels; je crains le jugement du Christ, je crains la société du démon, je crains d'être condamné par le premier et de brûler avec l'autre. — Eh quoi ! blâmerai-je cette crainte, comme je t'ai blâmé de craindre l'ennemi qui cherchait à t'ôter la vie du corps ? Je te disais alors et avec raison : Tu as tort, car ton Seigneur t'a rassuré par ces mots : « Gardez-vous de craindre ceux qui tuent le corps ». Maintenant que tu t'écries : Je crains l'enfer, je redoute d'être brûlé, j'ai peur d'être châtié éternellement, que.répondrai-je? Que tu as tort? Que ta crainte n'est pas fondée? Je ne l'ose, puisqu'après avoir condamné ta crainte, le Seigneur t'a recommandé de craindre. « Gardez-vous de redouter, a-t-il dit, ceux qui  (57) tuent le corps et qui ne. peuvent plus rien après cela; mais craignez Celui qui ale pouvoir de jeter dans la géhenne brûlante et le corps et l'âme; oui, je vous le répète, craignez Celui-là  (1) ». Le Seigneur donc ayant ainsi inspiré la crainte, une crainte vive, et menacé deux fois en répétant ce mot : craignez, de quel front te dirais-je que tu as tort de craindre? Je ne le dirai pas. Oui, crains, rien n'est plus digne de crainte, il n'est rien que tu doives redouter davantage.

Autre question encore : Si Dieu ne te voyait pas faire le mal, et que personne d'ailleurs ne dût te convaincre, devant son tribunal, de l'avoir fait, le commettrais-tu? Examine-toi bien; car tu ne saurais répondre à toutes mes paroles : examine-toi. Eh bien ! le commettrais-tu ? Si c'est oui, c'est que le châtiment te fait peur : ce n'est pas encore la chasteté que tu aimes, tu n'as pas encore la charité, mais une crainte servile; il y a en toi la peur du mal, et non pas l'amour du bien. Continue toutefois à craindre : cette crainte pourra te préserver et te conduire à la charité. Car cette peur de l'enfer, qui t'empêche de faire le mal, est réellement un frein pour toi, elle empêche la volonté d'exécuter le mal qui lui plait. C'est une crainte qui te préserve, qui te fait accomplir la loi, la verge à la main; c'est la lettre qui menace et non pas encore la grâce qui donne des forces. Qu'elle continue néanmoins à te préserver; et en t'abstenant par crainte tu finiras par recevoir la charité ; celle-ci entrera dans ton coeur, et au fur et à mesure qu'elle y pénètrera, elle en fera sortir la crainte. La crainte t'empêchait d'accomplir le mal; la charité t'empêchera d'y consentir , quand même tu pourrais le commettre impunément.

9. Je viens de dire ce que vous devez craindre, de dire aussi ce que vous devez rechercher. Appliquez-vous à la charité, que la charité pénètre en vous, accueillez-la avec la crainte de pécher, appelez en vous l'amour qui ne pèche pas, l'amour qui règle la vie. Je le disais tout à l'heure, quand la charité commence à entrer dans le coeur, la crainte de son côté commence à en sortir; plus l'une entre, plus l'autre disparaît, et lorsque l'une est entrée complètement, il ne reste plus rien de l'autre, car la charité parfaite chasse la

 

1. Luc, XII, 4-5.

 

crainte (1); elle la chasse en pénétrant dans l'âme.

Cependant elle n'y entre pas seule; elle y mène avec elle une crainte spéciale qui est son oeuvre : mais c'est une crainte chaste et qui subsiste dans les siècles des siècles (2). On distingue donc la crainte servile, celle par exemple de brûler avec les démons; et la crainte chaste, celle de déplaire à Dieu. Faites-vous-en une idée, mes très-chers frères, en considérant les dispositions du coeur de l'homme. Un esclave a peur d'offenser son maître, mais c'est pour n'être pas frappé, pour n'avoir pas les fers aux pieds, pour n'être pas jeté au cachot ni condamné à être broyé en tournant la meule. De telles craintes éloignent l'esclave du péché; mais dès qu'il ne voit plus l'oeil de son maître et qu'il n'y a plus aucun témoin qui puisse le convaincre, il fait le mal. Pourquoi le fait-il? C'est qu'il redoutait le châtiment, saris aimer la justice. Quant à l'homme de bien, juste et libre, car il n'y a pour être libre que l'homme juste, tout pécheur étant esclave du péché (3), c'est la justice qu'il aime. Pût-il donc pécher sans témoin, il redoute le regard de Dieu; et si Dieu même venait à lui dire : Je te vois quand tu pèches, je ne te condamnerai pas, mais tu me déplais; c'en serait assez. Il ne veut pas déplaire aux yeux de son Père, qui pourtant n'est pas un juge terrible ; il craint, non pas d'être condamné, puni, torturé, mais de blesser le coeur paternel, de déplaire à Celui qui l'honore de son amour. Et comment, s'il aime réellement et se sent aimé par son Seigneur, pourrait-il faire ce qui l'offense?

10. Considérez même les amours dangereux , et déshonnêtes. Supposez un misérable, un débauché qui s'habille ou qui se pare autrement qu'il ne plait à la femme qui cause sa perte. Que celle-ci lui dise: Je ne t'aime pas avec ce béret, il le jette ; qu'elle lui dise même en plein hiver: Je te préfère en habits légers, il aimé mieux trembler de froid que de lui déplaire. Cette femme pourtant doit-elle le condamner, l'envoyer en prison, le mettre aux mains des bourreaux? Il n'a d'elle à craindre que ce mot: Je ne te verrai plus ; il ne redoute que cette parole : Tu ne me verras plus en face. Quoi ! ce seul mot dans la bouche d'une impudique fait trembler, et dans la

 

1. Jean, IV, 18. — 2. Ps. XVIII, 10. — 3. Jean, VIII, 34.

 

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bouche de Dieu il ne fait pas trembler? Ah ! il doit nous faire trembler davantage, mais à la condition que nous aimerons; point de terreur, si nous n'aimons. Nous tremblons pourtant, mais comme des esclaves, dans la crainte du feu de l'enfer, des épouvantables menaces du tartare, des anges pervers et effrayants qui sont aux ordres du diable, et de ses affreux supplices. Eh bien ! craignons au moins cela. Si nous aimons peu le bien, redoutons au moins ces atroces malheurs.

11. Loin donc de tous les fornications. « Vous êtes le temple de Dieu, et l'Esprit de Dieu habite en vous. Si quelqu'un profane le temple de Dieu, Dieu le perdra (1) ». Le mariage est permis ; ne cherchez pas au delà. Ce fardeau n'est pas trop lourd.

Par un amour plus grand les vierges ont pris un plus lourd fardeau. Pour plaire davantage au coeur à qui elles se sont vouées, elles ont renoncé à ce qui leur était permis, ambitionnant ainsi pour leur âme une beauté plus grande. Il semble qu'elles aient dit au Seigneur: Que commandez-vous ? Vous commandez que nous ne soyons pas adultères? Eh bien !  pour l'amour de vous, nous faisons davantage. « Quant à la virginité, dit l'Apôtre, je n'ai pas reçu d'ordre du Seigneur». Pourquoi donc l'embrasser? Mais je donne un conseil (2)». Ainsi ces âmes aimantes, qui dédaignent les noces d'ici-bas, et qui ne veulent point de terrestres embrassements, prennent pour elles, non-seulement le précepte, mais encore le conseil : c'est que pour se rendre plus agréables elles veulent s'embellir davantage. En effet, plus on recherche les ornements du corps, ou de l'homme extérieur, plus l'âme perd de sa grâce; et la beauté des moeurs l'orne d'autant plus, qu'elle convoite moins les embellissements extérieurs. Aussi saint Pierre dit-il lui-même: « Qu'elles se parent, non pas d'une chevelure artistement arrangée ». A ces premiers mots : « Qu'elles se parent », les âmes sensuelles ne s'imaginaient-elles point qu'il était question d'ornements visibles ? Mais

 

1. I Cor. III, 16, 17. — 2. I Cor. VII, 25.

 

cette pensée suggérée par la vanité doit bientôt disparaître. « Qu'elles se parent, non pas avec des cheveux artistement arrangés, ni de l'or, ni des pierreries, ni des habits somptueux; mais qu'elles ornent l'homme intérieur et caché, lequel est de si haut prix devant Dieu (1) ». Dieu effectivement n'aurait pas préparé des ornements pour l'homme extérieur et laissé l'homme intérieur dans le dénûment ; aussi à l'âme invisible a-t-il donné des trésors et des ornements invisibles.

12. Avides de se procurer ces saintes parures, les vierges chrétiennes n'ont point désiré ce qui leur était permis, elles n'y ont même pas consenti quand on les contraignait. Dans combien d'entre elles le feu de l'amour divin a-t-il triomphé des violences de leurs parents ! Le père s'irritait, la mère était en larmes ; mais l'enfant s'élevait au-dessus de tout, parce qu'elle avait sous ses yeux « le plus beau des enfants des hommes (2) ». Pour lui donc elle voulait se parer, afin de ne plus s'occuper que de lui. Car si « la femme mariée pense aux choses du monde, comment elle plaira à son mari ; celle qui ne l'est pas songe aux choses de Dieu, comment elle peut plaire à Dieu (3) ». Voilà ce que c'est qu'aimer. L'Apôtre ne dit pas: Elle pense comment elle échappera à être condamnée par Dieu. Ce serait encore la crainte servile. Crainte préservative, elle éloignerait ces âmes du mal, pour les rendre dignes de recevoir l'esprit de charité. Ces âmes toutefois ne cherchent pas comment elles éviteront les châtiments divins, mais comment elles plairont à Dieu, comment elles lui plairont par les charmes intérieurs, par les grâces secrètes, par la beauté du coeur, découvert à ses yeux. C'est là seulement et non dans le corps, qu'elles sont à découvert, toujours pures d'ailleurs, et dans le corps et dans l'âme.

Que l'exemple de ces vierges apprenne au moins aux époux et aux épouses à éviter l'adultère. Si les premières font plus qu'il n'est commandé, que les autres du moins fassent ce qui l'est.

 

1. I Pierre, III, 3, 4 ; I Tim. II, 9, 10. — 2. Ps. XLIV, 3. — 3. I Cor. VII, 34.

 

 

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