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SERMON CLXXI. SE RÉJOUIR DANS LE SEIGNEUR (1) .ANALYSE. Trois motifs principaux doivent nous porter à mettre notre joie dans le Seigneur, au lieu de la mettre dans le monde. I. Si nous vivons au milieu du monde, nous vivons mieux encore au sein de Dieu. Il. Si le monde est notre prochain, Jésus se l'est fait davantage en se chargeant de nos maux pour nous communiquer ses biens. III. Rien n'est plus dangereux que les caresses du monde ; au lieu qu'en Dieu tout nous est salutaire, spécialement les châtiments qu'il nous inflige.
1. L'Apôtre nous commande de nous réjouir, mais de nous réjouir dans le Seigneur et non pas dans le siècle. « En voulant être l'ami de ce siècle; est-il dit dans l'Ecriture, on sera considéré comme ennemi de Dieu (2) ». Et de même qu'on ne saurait servir deux maîtres (3), ainsi ne peut-on mettre sa joie dans le siècle et dans le Seigneur en même temps. Ces deux
1. Philip. IV, 4-6. 2. Jacq. IV, 4. 3. Matt. VI, 24.
joies sont trop différentes, elles sont même absolument contraires ; et quand on met sa joie dans le siècle, on ne la met pas dans le Seigneur, comme on ne la met pas dans le siècle, quand on la place en Dieu. Que la joie sainte triomphe donc de la joie profane jusqu'à l'anéantir ; que la première croisse toujours, et que toujours décroisse la seconde jusqu'à extermination totale. Ce n'est pas que nous devions ne goûter (100) aucune joie tant que nous sommes dans ce monde; c'est que nous devons, dès maintenant, nous réjouir dans le Seigneur. Mais je suis dans le siècle, me dira-t-on ; si donc je me réjouis, ne dois-je pas me réjouir où je suis ? Eh quoi ! s'ensuit-il que tu n'es pas dans le Seigneur? Ecoute l'Apôtre s'adressant aux Athéniens, lis dans les Actes de qu'il dit de Dieu, Notre Seigneur et Créateur : « Nous avons en lui la vie, le mouvement et l'existence (1) ». Où n'est-il pas en effet, puisqu'il est partout ? N'est-ce donc pas à la joie que nous invitent ces paroles : « Le Seigneur est proche, ne vous inquiétez de rien ? » C'est une chose admirable, sans doute, qu'élevé au-dessus de tous les cieux, il soit si proche de nous qui vivons sur la terre. Comment est-il d'ailleurs si loin et si proche de nous? N'est-ce point parce que sa miséricorde l'en a rapproché ? 2. Il faut voir en effet le genre humain tout entier dans cet homme que les brigands laissèrent étendu et à demi-mort sur le chemin, près duquel passèrent, sans s'arrêter, le prêtre et le lévite, et dont le samaritain s'approcha pour lui donner ses soins et du secours. Comment le Sauveur fut-il amené à faire ce récit ? Quelqu'un lui ayant demandé quels étaient les premiers et les plus importants préceptes de la loi, il répondit qu'il y en avait deux : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton coeur et de toute ton âme, « et de tout ton esprit : Tu aimeras aussi ton prochain comme toi-même ». « Qui est mon prochain ? » reprit l'interlocuteur. Le Seigneur rapporta alors qu'un homme descendait de Jérusalem à Jéricho. C'était donc un Israélite. Il tomba au milieu des brigands, et ceux-ci l'ayant dépouillé et blessé grièvement, le laissèrent à demi-mort sur la route. Arriva un prêtre, un homme lié par le sang; il passa et le laissa. Un lévite, un homme également uni par les liens du sang vint à passer aussi; il le laissa encore sans s'occuper de lui. Arriva enfin un samaritain, un homme que rapprochait de lui, non pas le sang, mais la compassion; il fit ce que vous savez (2). Le Seigneur voulait se désigner dans la personne de ce samaritain. Samaritain en effet signifie gardien; et si Jésus-Christ ressuscité d'entre les morts ne meurt plus, si la mort ne doit
1. Act. XVII, 28. 2. Luc, X, 25-37.
plus avoir d'empire sur lui (1) » ; n'est-il pas écrit aussi que « le gardien d'Israël ne sommeille ni ne s'endort (2)? » Que répondit-il enfin lui-même quand en le chargeant d'outrages et d'affreux blasphèmes, les Juifs lui dirent : « N'avons-nous pas raison de soutenir que tu es un samaritain et que tu es possédé du démon ? » il y avait dans ces mots deux injures. « N'avons-nous pas raison de soutenir que tu es un samaritain, et que tu es possédé du démon ? » Il aurait pu répondre : Je ne suis ni samaritain, ni. possédé du démon. Il se contenta de dire : « Je ne suis pas possédé du démon (3) ». Ce qu'il dit était une réfutation ; ce qu'il tut, un assentiment. Il nia qu'il fût possédé du démon, car il savait comment il les chassait; mais il ne nia pas qu'il fût le gardien de notre faiblesse. Ainsi « le Seigneur est proche », pour s'être rapproché de nous. 3. Qu'y a-t-il néanmoins, qu'y a-t-il de si distant, de si éloigné, que Dieu l'est des hommes; l'Immortel, des mortels; le Juste, des pécheurs ? Ce n'est pas l'espace, c'est la différence qui fait cet éloignement. Ne disons-nous pas chaque jour, en parlant de deux hommes dont les moeurs sont différentes Il y a loin de l'un à l'autre? Fussent-ils rapprochés l'un de l'autre , leurs demeures fussent-elles voisines, fussent-ils attachés à la même chaîne, nous répétons qu'il y a loin du pieux à l'impie, de l'innocent au coupable, du juste à l'injuste. Or, si on parle ainsi quand il n'est question que des hommes, que dire quand il s'agit des hommes et de Dieu ? Si loin donc que fût l'Immortel, des mortels; le Juste, des pécheurs, il est descendu parmi nous, afin d'en être aussi proche qu'il en était éloigné. Qu'a-t-il fait ensuite ? Il avait en lui-même deux biens immenses, et nous deux maux : lui, la justice et l'immortalité; nous, l'injustice et la mortalité. S'il s'était chargé de nos deux maux, il serait devenu pareil à nous, et comme à nous il lui aurait fallu un Libérateur. Qu'a-t-il donc fait pour se rapprocher de nous, pour s'en rapprocher et non pour devenir tout ce que nous sommes? Considère bien : il est juste et immortel; et toi, coupable et châtié, tu es injuste et mortel. Afin donc de se rapprocher de toi, il s'est chargé de ta condamnation, et non de tes crimes;
1. Rom. VI, 9. 2. Ps. CXX, 4. 3. Jean, VIII, 4, 8, 49.
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ou bien, s'il s'en est chargé, c'est pour les anéantir et non pour s'y livrer. Juste et immortel, il est bien loin des hommes injustes et mortels; comme pécheur et mortel, tu étais pour ta part à une grande distance de ce juste immortel. Comme toi il ne s'est donc pas fait pécheur; mais il s'est fait mortel comme toi. Tout en restant juste il est devenu mortel. En se chargeant du châtiment sans se charger de la faute, il a anéanti la faute et le châtiment. C'est ainsi que le Seigneur est proche ; ne «vous inquiétez de rien ». Son corps est élevé par-dessus tous les cieux, mais sa majesté ne nous a point quittés. Auteur de tout, il est présent partout. 4. « Réjouissez-vous toujours dans le Seigneur ». D'où vient la joie du siècle? Elle vient de l'iniquité, de la honte, du déshonneur, de l'infamie : voilà ce qui fait la joie du siècle. Tout cela est le produit de la volonté humaine. Mais outre ce qu'ils font volontairement, les hommes ont à souffrir, même malgré eux. Qu'est-ce donc que ce siècle, et quelle est sa joie? En deux mots, mes frères, autant que je le conçois et que Dieu m'en fait la grâce; en deux mots donc et à la hâte, le voici :. La joie du siècle consiste dans l'impunité du crime. Qu'on se livre à la débauche, à la fornication et aux vains spectacles; qu'on se plonge dans l'ivresse, qu'on se souille d'infamies et qu'on n'ait rien à souffrir ; voilà le siècle dans la joie. Qu'il ne vienne, pour châtier tous ces désordres, ni famine, ni bruit de guerre, ni terreur, ni maladie, ni adversité quelconque; que tout nage dans l'abondance, qu'on goûte la paix des sens et la tranquillité factice d'une conscience en désordre; voilà encore la joie du siècle. Combien peu toutefois les pensées de Dieu ressemblent aux pensées des hommes ! Combien ses desseins diffèrent de nos desseins ! Sa grande miséricorde est de ne laisser pas le crime impuni; et pour n'être pas forcé de condamner plus tard à l'enfer, c'est par bonté que maintenant il châtie à coup de fouets. 5. Veux-tu savoir quel terrible châtiment, d'être sans châtiment? Je parle ici du pécheur que les peines temporelles doivent préserver des peines éternelles. Veux-tu, dis-je, savoir quel terrible châtiment, d'être sans châtiment? Interroge ce psaume : « Le pécheur a irrité le Seigneur », y est-il dit. C'est un cri d'indignation qui s'échappe ; le Prophète a considéré, il a examiné et il s'écrie : « Le pécheur a irrité le Seigneur ». Mais qu'as-tu vu, je t'en prie? Il a vu le pécheur se livrer impunément à la débauche, faire le mal et regorger de biens; c'est alors qu'il s'est écrié : « Le pécheur a irrité le Seigneur ». Pourquoi ce langage? Qui te l'inspire? «C'est que dans la grandeur de sa colère, le Seigneur ne s'en occupe pas (1) ». Comprenez, mes très-chers frères, en quoi consiste la miséricorde de Dieu. Quand Dieu châtie le monde, il ne veut pas le perdre. Si « dans la violence de sa colère il ne s'occupe pas » de ses crimes; c'est que réellement son indignation est au comble. Sa sévérité consiste à épargner, et sa sévérité est juste. Sévérité d'ailleurs vient de. vérité (2). Or, si la sévérité de Dieu consiste à épargner, n'est-il pas désirable qu'il soit pour nous miséricordieux en nous châtiant ? Et pourtant que souffrons-nous, comparativement à ce que nous faisons ? Ah ! Dieu ne nous a point traités comme le méritaient nos offenses (3). C'est que nous sommes ses enfants. La preuve ? C'est que, pour ne rester pas seul, le Fils unique est. mort pour nous. Seul il est mort pour ne pas demeurer seul. Aussi le Fils unique de Dieu a-t-il engendré beaucoup d'enfants à Dieu. Car il a voulu verser son sang pour s'acquérir des frères, être repoussé pour les faire accueillir, être vendu pour les racheter, couvert d'injures pour les combler d'honneurs, souffrir la mort, pour leur donner la vie. Et quand il n'a point dédaigné de se charger de tes maux, tu doutes qu'il te fasse part de ses biens? Oui donc, mes frères, « réjouissez-vous dans le Seigneur » et non dans le siècle, dans la vérité et non dans l'iniquité, dans l'espérance de l'éternité et non dans les fleurs de la frivolité. Réjouissez-vous de cette manière; puis en quelque lieu et en quelque temps que vous soyez, souvenez-vous que « le Seigneur est proche, et ne vous inquiétez de rien ».
1. Ps. IX, 4. 2. Severitas, quasi saeva veritas. 3. Ps. CII, 10.
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