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LETTRE CII (4). (Au commencement de l'année 409).

 

Dans l'histoire des premiers âges du christianisme, il n'est rien de plus curieux que les objections sur lesquelles les païens fondaient leur résistance à notre religion ; les difficultés qui les arrêtaient ressemblent aux difficultés dont beaucoup de gens ont coutume de s'armer dans nos âges nouveaux : les hommes du IVe et du Ve siècles qui n'étaient pas encore chrétiens et ceux de notre temps qui ne le sont plus se rapprochent en bien des points. La plupart des objections et même les plaisanteries du dix-huitième siècle contre la foi chrétienne, sont renouvelées des païens. Il est donc intéressant de savoir comment saint

 

4. Voyez rétract. liv. 11, chap. XXXI, tom. I, pag. 351.

 

Augustin y répondait. L'évêque d'Hippone avait en vue un de ses amis de Carthage dont il désirait éclairer l'esprit et vaincre les hésitations ; sa réponse aux six questions posées ne fut pas inutile aux païens de son temps et ne saurait l'être aux chrétiens du nôtre.

 

AUGUSTIN A DEOGRATIAS, SON CHER FRÈRE ET COLLÈGUE DANS LE SACERDOCE, SALUT DANS LE SEIGNEUR.

 

1. Vous avez mieux aimé me renvoyer les questions qui vous ont été adressées ; ce n'est point, je pense, paresse de votre part, mais comme vous m'aimez extrêmement, vous préférerez m'entendre dire ce que vous savez vous-même. J'aurais voulu pourtant que vous les eussiez traitées , parce que l'ami qui les a posées n'ayant pas répondu à des lettres que je lui ai écrites, comme s'il ne lui convenait pas de me suivre, il aura eu ses raisons; je soupçonne, et ce n'est ni par désobligeance ni sans aucun motif, car vous savez combien je l'aime et combien je m'afflige qu'il ne soit pas encore chrétien ; je soupçonne, dis-je, et je crois avec quelque vraisemblance, assurément, que celui qui refuse de me répondre ne veut pas que je lui écrive. C'est pourquoi , de même que je vous ai obéi, et que, malgré le poids de mes occupations, j'ai satisfait à votre demande pour ne pas résister à votre sainte et chère volonté, je vous supplie d'écouter une, prière répondez brièvement vous-même à toutes les questions de notre ami, ainsi qu'il vous l'a demandé, et comme vous pouviez le faire avant ma réponse. Car, lorsque vous lirez ceci, vous reconnaîtrez qu'il ne s'y trouve presque rien que vous ne sachiez ou que vous n'eussiez pu trouver lors même que je n'aurais rien dit. Mais, je vous en prie, réservez mon travail seulement pour ceux à qui vous penserez qu'il puisse être utile; donnez le vôtre à celui à qui il conviendra bien mieux, et à d'autres encore qui aiment beaucoup votre manière de traiter les questions, et je suis de ce nombre. Vivez toujours dans le Christ en vous souvenant de nous.

 

PREMIÈRE QUESTION. Sur la Résurrection.

 

2. Quelques-uns s'émeuvent et se préoccupent de savoir quelle est celle des deux résurrections qui nous est promise : celle du Christ ou celle de Lazare. « Si c'est celle du Christ, disent-ils, comment la résurrection de celui qui n'est pas né de l'homme peut-elle ressembler à la résurrection des créatures nées selon la loi ordinaire? Si c'est celle de Lazare, elle ne nous convient pas davantage, car c'est son propre corps non tombé en poussière, mais conservé, que Lazare a repris; et nous, quand nous ressusciterons, notre corps sera, après bien des siècles, tiré du mélange universel. Ensuite si l'état qui suit la résurrection est un état heureux, où l'on ne puisse connaître ni les souffrances du corps ni les besoins de la faim, pourquoi le Christ ressuscité a-t-il pris de la nourriture et montré ses plaies? S'il l'a fait pour convaincre l'incrédule, ce n'a été qu'un semblant : s'il a montré quelque chose de réel, on portera donc après la résurrection les plaies reçues pendant la  vie? »

3. On répond à ceci que ce n'est pas la résurrection de Lazare, mais celle du Christ qui représente la résurrection promise, parce que Lazare est ressuscité pour mourir une seconde fois; « mais le Christ, selon ce qui est écrit, se levant du milieu des morts, ne meurt plus, et la mort n'aura plus d'empire sur lui (1). » C'est la promesse faite à ceux qui ressusciteront à la fin des temps, et qui régneront éternellement avec lui. La différence entre la naissance du Christ et la nôtre n'établit aucune différence pour sa résurrection, comme elle n'en a établi aucune pour sa mort. Pour être né autrement que les hommes, sa mort n'en a pas été moins véritable; de même la création du premier homme, formé de la terre et n'ayant pas eu de parents comme nous, ne l'a pas fait mourir autrement que nous-mêmes. Or la différence de naissance n'en est pas une pour la résurrection, pas plus que pour la mort.

4. Mais si des hommes non encore chrétiens étaient tentés de ne pas croire ce qu'on rapporte du premier homme, qu'ils tâchent de faire attention et de prendre garde à cette foule d'animaux formés de la terre sans parents; toutefois leur union produit des animaux semblables à eux, et la différence de naissance ne change en rien leur nature; formés de la terre ou formés selon la loi ordinaire, ils sont pareils : ils vivent et meurent de la même manière. Il n'est donc pas absurde de supposer que des corps, n'ayant pas la même origine, aient la même résurrection. Mais les hommes auxquels nous

 

1. Rom. VI, 9.

 

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répondons ici sont incapables de voir ce qui fait la différence et où la différence doit s'arrêter; ils veulent conclure de la diversité des origines à toutes sortes de diversités, et croiraient sans doute que l'huile de suif ne doit pas nager sur l'eau comme l'huile d'olive, à cause de la différence de l'origine, la première provenant des animaux, la seconde d'un fruit.

5. En ce qui touche cette autre différence entre le corps du Christ, ressuscité le troisième jour sans corruption ni pourriture, et nos corps qui seront tirés, après un long espace de temps, du mélange universel, ces deux sortes de résurrection demeurent également au-dessus de la puissance humaine, mais sont également très-faciles à la puissance divine. De même que le rayon de notre oeil arrive aussi promptement à ce qui est proche qu'à ce qui est éloigné et atteint les diverses distances avec la même vitesse ; ainsi lorsque dans un clin d'oeil, selon la parole de l'Apôtre (1), aura lieu la résurrection des morts, il sera aussi aisé à la toute-puissance de Dieu et à sa volonté ineffable, de ressusciter des corps intacts que des corps détruits par le temps. Ces choses paraissent incroyables à certaines gens parce que rien de pareil ne s'est vu; l'univers est si rempli de miracles qu'ils ne nous étonnent point, non pas par la facilité de s'en rendre compte, mais par l'habitude de les voir; et à cause de cela ils ne nous paraissent dignes ni d'attention ni d'étude. Quant à moi, et avec moi quiconque s'efforce de comprendre les invisibles merveilles de Dieu par les merveilles visibles (2), nous admirons autant, peut-être plus, le petit grain de semence où est caché tout ce qu'il y a de beau dans un arbre entier, que le vaste sein de ce monde qui doit restituer intégralement à la résurrection future tout ce qu'il prend des corps humains dans leur dissolution.

6. Quelle contradiction peut-il y avoir entre la nourriture que prit le Christ après sa résurrection et la promesse de notre résurrection dans un état où nous n'aurons plus besoin de nourrir nos corps? Ne voyons-nous pas dans les livres saints les anges manger de la même manière, non sous une vaine et trompeuse apparence, mais en toute réalité? Ce n'était point par nécessité, mais par puissance. La terre, dans sa soif, boit autrement que le rayon du soleil, dans son ardeur; pour la terre c'est

 

1. II Cor. VI, 52. — 2, Rom. I, 20.

 

un besoin, pour le soleil une force. Le corps ressuscité sera donc imparfaitement heureux s'il ne peut pas prendre de la nourriture; et quelque chose manquera aussi à sa félicité s'il en a besoin. Je pourrais examiner longuement ici ce qu'il y a de changeant dans les qualités des corps et le prédominant des corps supérieurs sur les inférieurs; mais on m'a demandé de répondre brièvement, et j'écris ceci pour des esprits pénétrants qu'il suffit d'avertir.

7. Que celui de qui partent ces questions sache bien que le Christ, après sa résurrection, a montré des cicatrices et non pas des blessures; il les a montrées à des disciples qui doutaient, et c'est pour eux aussi qu'il a voulu manger et boire, non pas une fois, mais souvent, de peur qu'ils ne crussent pas que son corps était quelque chose de spirituel et son apparition une pure image. Ces cicatrices eussent été fausses si des blessures ne les eussent précédées, et cependant elles-mêmes ne seraient pas restées si le Christ ne l'avait pas voulu. Sa grâce providentielle eut pour but de prouver à ceux qu'il édifiait dans une foi réelle que ce corps ressuscité était bien le même qu'ils avaient vu crucifié. Pourquoi dire alors : « S'il l'a fait à cause d'un incrédule, il a donc fait semblant? » Mais si un valeureux combattant avait reçu de nombreuses blessures au service de sa patrie et qu'il priât un habile médecin, capable d'en effacer jusqu'aux derniers vestiges, de s'arranger plutôt pour laisser subsister des cicatrices comme autant de titres de gloire, dirait-on que le médecin aurait fait à l'héroïque blessé de fausses cicatrices, parce que, pouvant empêcher par son art qu'il ne restât des traces de plaies, il se serait au contraire appliqué à les maintenir à dessein? Ainsi que je l'ai fait observer plus haut, les cicatrices ne peuvent être fausses que s'il n'y a pas eu de blessures.

 

 

SECONDE QUESTION. De l'époque de l'avènement du christianisme.

 

8. Nos contradicteurs ont proposé d'autres difficultés, qu'ils prétendent tirées de Porphyre et. qu'ils jugent plus fortes contre les chrétiens: « Si le Christ s'est dit la voie du salut, la grâce et la vérifié, s'il a déclaré qu il ne pouvait y avoir de retour à la vérité que par la fui en lui (1) , qu’ont fait les hommes de tant de

 

1. Jean, XIV, 6.

 

 

siècles avant le Christ? Je laisse les temps qui ont précédé le royaume du Latium, et je

prends le Latium même pour le commencement de la société humaine. On adora les dieux dans le Latium avant la fondation d'Albe; il y eut à Albe des religions et des cérémonies dans les temples. Rome est restée de longs siècles sans connaître la loi chrétienne. Que sont devenues tant d'âmes innombrables, qui n'ont aucun tort, puisque Celui à qui on aurait pu croire ne s'était pas encore montré aux hommes ? L'univers s'enflamma pour le culte des dieux comme Rome elle-même. Pourquoi celui qui a été appelé le a Sauveur s'est-il dérobé à tant de siècles? Dira-t-on que le genre humain a eu l'ancienne loi des Juifs pour se conduire? Mais ce n'est qu'après un long espace de temps que la loi juive a paru et a été en vigueur dans un coin de la Syrie, d'où elle est venue ensuite en et Italie; et ce fut après César Caïus, ou tout au plus sous cet empereur. Que sont donc devenues les âmes des Romains et des Latins qui, jusqu'au temps des Césars, ont été privées de la grâce du Christ non encore venu sur la terre? »

9. En répondant à cette question, nous demanderons d'abord à nos contradicteurs si le culte de leurs dieux, dont nous connaissons les dates certaines, a été profitable aux hommes. S'ils disent que ce culte a été inutile au salut des âmes, ils le détruisent avec nous et en reconnaissent la 'vanité; il est vrai, nous montrons que ce culte a été pernicieux, mais c'est déjà quelque chose que les païens avouent qu'il ne sert à rien. Si au contraire ils défendent le polythéisme et en proclament la sagesse et l'utilité, je demande ce que sont devenus ceux qui sont morts avant les institutions païennes, car ils ont été privés de cet important moyen de salut; mais s'ils ont pu se purifier d'une autre manière, pourquoi leur postérité n'aurait-elle pas fait comme eux? Quel besoin y avait-il d'instituer de nouvelles consécrations, inconnues aux anciens?

10. Sion nous dit que les dieux ont toujours été, qu'ils ont eu toujours et partout la puissance de délivrer leurs adorateurs, mais que, sachant ce qui convenait aux temps et aux lieux à cause de la diversité des âges et des choses humaines, ils n'ont pas voulu être servis de la même façon en tous pays et à toutes les époques, pourquoi appliquent-ils à la religion chrétienne une difficulté à laquelle ils ne peuvent répondre pour leurs dieux sans répondre aussi pour nous-mêmes : que la différence des cérémonies selon les temps et les lieux importe peu, si ce qu'on adore est saint; de même que peu importe la diversité des sons au milieu de gens de diverses langues si ce qu'on dit est vrai ? Ils doivent néanmoins reconnaître ici une différence, c'est que les hommes peuvent, par un certain accord de société, former des mots pour se communiquer leurs sentiments (1), et que les sages, en matière de religion, se sont toujours conformés à la volonté de Dieu. Cette divine volonté n'a jamais manqué à la justice et à la piété des mortels pour leur salut, et si chez divers peuples il y a diversité de culte dans une même religion, il faut voir jusqu'où vont ces différences et concilier ce qui est dû à la faiblesse de l'homme et ce qui est dû à l'autorité de Dieu.

11. Nous disons que le Christ est la parole de Dieu par laquelle tout a été fait; il est le Fils de Dieu parce qu'il est sa parole, non pas une parole qui se dit et qui passe , mais immuable et permanente en Dieu qui ne passe pas, une parole gouvernant toute créature spirituelle et corporelle selon les temps et les lieux, étant elle-même la sagesse et la science pour régir chaque chose dans les conditions qui lui sont propres : le Christ est toujours le Fils de Dieu, coéternel au Père, immuable sagesse par laquelle toute chose a été créée et qui est le principe de bonheur de toute âme raisonnable; il est toujours le même, soit avant qu'il multiplie la nation des Hébreux dont la loi a été la figure prophétique de son avènement, soit pendant la durée du royaume d'Israël, soit lorsque, prenant un corps dans le sein d'une Vierge, il se montre comme un mortel au milieu des hommes; il demeure le même depuis ces époques lointaines et diverses jusqu'à présent où il accomplit toutes les prophéties, et jusqu'à la fin des temps où il séparera les saints des impies et rendra à chacun selon ses oeuvres.

12. C'est pourquoi, depuis le commencement du genre humain, tous ceux qui ont cru

 

1. On se tromperait si on voulait s'armer de ce passage de saint Augustin pour prouver que le langage est d'invention humaine. Le texte porte : lingua sonos, quibus inter se sua sensa communicent etiam homines, pacto guodam societatis sibi instituere possunt. Jamais ces mots linquae sonos instituere ne voudront dire : inventer une langue. La formation des mots ou des langues ne saurait être ni la création de la langue primitive ni l'invention du langage. La première langue est celle du premier homme parce que Dieu lui a parlé, et, quant à la parole, elle est éternelle.

 

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en lui, qui l'ont connu, n’importe comment, et ont vécu selon ses préceptes avec piété et justice, ont été, sans aucun doute, sauvés par lui, à quelque époque et en quelque région qu'ils se soient trouvés. De même que nous croyons en lui, que nous croyons qu'il demeure dans le Père et qu'il est venu revêtu de chair ; ainsi les anciens croyaient en lui , croyaient qu'il demeure dans le Père et qu'il viendrait avec un corps semblable au nôtre. Maintenant, à cause de la diversité des temps, on annonce l'accomplissement de ce qu'on annonçait alors comme une chose future,mais la foi et le salut n'ont pas changé. La différence des formes religieuses sous lesquelles une chose est annoncée ou prophétisée ne fait pas une différence dans la chose même ni une différence de salut; et quelle que soit l'époque où se produit ce qui doit servir à la délivrance des fidèles et des saints, c'est à Dieu de la marquer dans ses desseins, et c'est à nous d'obéir. Ainsi la vraie religion s'est montrée et a été pratiquée jadis sous des noms, et, des signes qui ne sont pas les mêmes que ceux d'à présent ; elle était alors plus cachée, elle est maintenant plus manifestée; autrefois connue à peine d'un petit nombre, elle 1'a été beaucoup plus dans la suite, mais elle n'a jamais fait qu'une seule et même religion.

13. Nous n'objectons pas que Numa Pompilius apprit aux Romains à honorer des dieux autrement qu'eux mêmes et les Italiens les honoraient auparavant; noves ne rappelons pas qu'au temps de Pythagore, on vanta une philosophie auparavant inconnue, ou connue seulement d'un petit nombre de gens ne vivant pas dans les mêmes coutumes : ce qui nous occupe, c'est la question de savoir si es dieux sont de vrais dieux, dignes d'adoration, et si cette philosophie peut servir en quelque chose au salut des âmes; voilà ce que nous débattons avec nos contradicteurs et ce que nous réfutons. Qu'ils cessent donc de nous objecter ce qu'on peut objecter contre toute secte et tout ce qui porte le nom de religion. Puisqu'ils avouent que ce n'est pas le hasard, mais la Providence divine qui préside à la marche des temps, il faut qu'ils reconnaissent que ce qui est propre et favorable à chaque époque surpasse les pensées humaines et vient de cette même Providence qui gouverne toute chose.

14. Car s'ils disent que la doctrine de Pythagore n'a pas été toujours ni partout parce que Pythagore n’était qu’un homme, et qu’il n’a pu avoir cette puissance, diront-ils aussi qu'au temps où il vécut et dans les lieux où sa doctrine fut enseignée, tous ceux qui ont pu l'entendre, ont voulu croire en lui et le suivre? C’est pourquoi,  si ce philosophe avait eu la puissance de prêcher ses dogmes où et quand il aurait voulu, et,qu'il eût eu en même temps une prescience générale des choses, il ne se serait certainement, montré que dans les temps et dans les lieux où il aurait su d'avance que des hommes croiraient en lui. On n'objecte point contre le Christ que sa doctrine ne soit pas suivie de tout le monde; on sent bien que la même objection pourrait s'adresser aux philosophes et aux dieux; mais que répondront nos païens si, sans préjudice des raisons cachées peut-être dans les profondeurs de la sagesse et de la science divine, et d'autres causes que les sages peuvent rechercher, nous disons, pour abréger cette discussion, que le Christ a voulu se montrer au milieu ; des hommes et leur prêcher sa doctrine dans le temps et dans les lieux où il savait que devaient être ceux qui croiraient en lui (1)? Car il prévoyait que dans les temps et les lieux où son Evangile n'a pas été prêché, les hommes auraient reçu cette prédication comme l'ont fait beaucoup de ceux qui, l'ayant vu lui-même pendant qu'il était sur la terre, n'ont pas voulu croire en sa mission, même après des morts :ressuscités par lui comme Je fout aussi .de notre temps beaucoup d'hommes qui., malgré l'évident accomplissement des prophéties, persistent dans leur incrédulité , et aiment mieux résister par des finesses humaines que de céder à l'autorité divine après des témoignages si clairs, si manifestes,si sublimes. Tant que l'esprit de l'homme est petit et faible, il doit s'incliner devant la divine vérité. Si donc le Christ n'a vu qu'une grande infidélité dans les premiers temps de l’univers, quoi d'étonnant,qu'il n'ait voulu ni se montrer ni parler à des :hommes qu'il savait devoir ne croire ni à ses discours ni à ses miracles? Il est permis de penser qu'à ces premières époques tous les hommes eussent été tels., à en juger par le nombre étonnant d'incrédules

 

1. Dans les lignes qu'on vient de lire, saint Augustin ne parle de la prescience de Jésus-Christ qu'en passant et tout juste pour répondre à une objection des païens; il laisse, évidemment subsister en son entier la question de la grâce. Les semi-pélagiens n'étaient donc pas fondés à s’autoriser de ce passage. L'évêque d'Hippone s'est expliqué sur ce, point dans le chapitre IX du livre de la Prédestination des saints. Saint Hilaire avait averti saint Augustin de cette prétention des demi-pélagiens, comme on le verra dans la lettre CCXXVI.

 

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crédules que la vérité a rencontrés depuis l'avènement du Christ jusqu'à nos jours.

15. Cependant, depuis le commencement du genre humain, il n'a jamais manqué d'être annoncé par les prophètes, avec plus ou moins de lumière selon les temps, et avant son incarnation il ya toujours eu des hommes qui ont cru en lui, depuis Adam jusqu'à Moïse, non-seulement parmi le peuple d'Israël qui, par un mystère particulier, a été une nation prophétique, mais encore parmi les autres nations. En effet, dans les saints livres des Hébreux, on en cite quelques-uns à qui Dieu fit part de ce mystère; ce fut dès le temps d'Abraham, et ces privilégiés n'appartenaient ni à sa race, ni au peuple d'Israël, et ne tenaient en rien au peuple élu pourquoi donc ne croirions-nous pas qu'il y eut d'autres privilégiés chez d'autres peuples et en d'autres pays, quoique l'autorité de ces livres ne nous en ait pas transmis le souvenir? C'est pourquoi le salut de cette religion, seule véritable et seule capable de promettre le vrai salut, n'a jamais manqué à quiconque en a été digne et n'a manqué qu'à celui qui ne le méritait pas (1) ; et depuis le commencement de la race humaine jusqu'à la fin des temps, elle a été et sera prêchée aux uns pour leur récompense, aux autres pour leur condamnation. Il en est à qui Dieu n'en a rien révélé, mais il prévoyait que ceux-là ne croiraient pas, et ceux à qui la religion a été annoncée quoiqu'ils ne dussent pas croire, ont servi d'exemple aux autres : mais quant aux hommes à qui elle est annoncée et qui doivent croire, leur place est marquée dans le royaume des cieux et dans la société des saints anges.

 

TROISIÈME QUESTION. Sur la différence des sacrifices.

 

Voyons maintenant la question suivante :

            16. « Les chrétiens, dit notre païen, condamnent les cérémonies des sacrifices, les victimes, l'encens et tout ce qui se pratique dans les temples; tandis que le même culte a commencé, dès les temps anciens, par eux ou par le Dieu qu'ils adorent, et que ce Dieu a eu besoin des prémices de la terre. »

17. Voici notre réponse :

 

1. Nous trouvons une explication de ce passage dans le livre de la prédestination, chapitre X : «  Si en demande, dit saint Augustin, comment on peut se rendre digne, il ne manque pas de gens qui répondent que c'est par la volonté humaine; nous disons, nous, que c'est par la grâce ou la prédestination divine. »

 

Ce qui a donné lieu à cette question, c'est le passage de nos Ecritures où il est dit que Caïn offrit à Dieu des fruits de la terre et Abel les prémices de son troupeau (1) ; ce qu'il faut comprendre ici, c'est la haute antiquité du sacrifice qui, d'après les saintes et infaillibles Ecritures, ne doit être offert qu'au seul Dieu véritable; non pas que Dieu en ait besoin, car il est écrit très-clairement dans les mêmes livres : « J'ai dit au Seigneur : Vous êtes mon Dieu, parce que vous n'avez aucun besoin de mes biens; » mais quand il les accepte, les rejette ou les tolère, il n'a en vue que l'intérêt des hommes. Car c'est à nous, et non à Dieu que profite le culte que nous lui .rendons. Ainsi lorsqu'il nous inspire et qu'il nous apprend à l'adorer, il ne le fait pas parce qu'il a besoin de nos hommages, il le fait pour notre plus grand bien. Or, tous ces sacrifices sont figuratifs et ils doivent nous inviter à rechercher, à connaître ou à nous rappeler les choses dont ils retracent les images. Il nous faut être court, et l'espace .nous manquerait ici pour traiter ce sujet avec une convenable étendue ; mais nous avons beaucoup parlé sur ce point dans d'autres ouvrages (2), et ceux qui nous ont précédé dans l'interprétation des saintes Ecritures ont abondamment parlé des sacrifices de l'Ancien Testament comme étant les ombres et les figures de l'avenir.

18. Ici néanmoins, quelque intention que nous ayons d'être court, nous devons faire remarquer que jamais les faux dieux, c'est-à-dire les démons ou les anges prévaricateurs, n'auraient demandé des temples, des prêtres, des sacrifices et ce qui s'y rapporte, s'ils n'avaient su que ces choses appartiennent au seul Dieu véritable. Quand ce culte est rendu à Dieu selon ses inspirations et sa doctrine, c'est la vraie religion; quand il est rendu aux démons qui l'exigent dans leur orgueil impie., c'est une coupable superstition. C'est pourquoi ceux qui connaissent les livres chrétiens de l'Ancien et du Nouveau Testament ne reprochent aux païens ni la construction des temples, ni l'institution du sacerdoce, ni la célébration des sacrifices; mais ils leur reprochent de consacrer tout cela aux idoles et aux démons. Et qui doute que tout sentiment manque aux idoles? Cependant, lorsque ces idoles occupent les

 

1. Gen. IV, 3, 4. — 2. Ps. XV, 1.

2. Au livre 22 contre Fauste, et dans la Cité de Dieu, chapitres XIX et XX.

 

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places d'honneur qui leur sont réservées et qu'elles sont là debout devant ceux qui les prient ou qui leur offrent des sacrifices, elles ont comme l'aspect et l'animation de personnes vivantes et font illusion aux esprits faibles qui les contemplent; ce qui contribue surtout à cette illusion, c’est la piété de la foule empressée autour des autels.

19. La divine Ecriture veut remédier à ces impressions malsaines et pernicieuses, quand, pour mieux graver dans la pensée quelque chose de connu, elle dit, en parlant de ces idoles : « Elles ont des yeux et ne voient point, elles ont des oreilles et n'entendent point (1), » et le reste. Plus ces paroles sont claires et d'une vérité que chacun peut comprendre, plus elles inspirent une honte salutaire à ceux qui rendent en tremblant un culte divin à de telles images, qui les regardent comme vivantes, leur adressent des prières comme s'ils en étaient compris, leur immolent des victimes, s'acquittent des veaux et sont touchés de telle sorte qu'ils n'osent pas les croire inanimées. Pour que les païens ne prétendent pas que nos saints livres condamnent seulement cette impression faite sur le coeur humain par les idoles, il y est clairement écrit que « tous les dieux des nations sont des démons (2). » Aussi l'enseignement apostolique ne se borne pas à ces paroles de saint Jean : « Frères, gardez-vous des idoles (3), » mais nous lisons dans saint Paul : « Quoi donc? est-ce que je dis que quelque chose d'immolé aux idoles soit quelque chose, ou que l'idole soit quelque chose? Mais les gentils qui immolent, immolent aux démons et non pas à Dieu : or, je ne veux pas que vous entriez en société avec les démons (4). » D'où l'on peut suffisamment comprendre que, dans les superstitions des gentils, ce n'est pas l'immolation en elle-même qui est blâmée par la vraie religion (car les anciens saints ont immolé au vrai Dieu), mais l'immolation faite aux faux dieux et aux démons. De même que la vérité excite les hommes à devenir les compagnons des saints anges, ainsi l'impiété les pousse à la société des démons, pour lesquels est préparé le feu éternel comme l'éternel royaume est préparé pour les saints.

20. Les païens semblent vouloir se faire pardonner leurs sacrilèges par la beauté de leurs interprétations. Mais ces interprétations ne les excusent point, car elles ne se

 

1. Ps. CXIII, 5. — 2. Ps. XCV, 5. — 3. I Jean, V, 21. — 4. I Cor. X, 19, 20.

 

rapportent qu'à la créature et non pas au Créateur, à qui seul est dû le culte que les Grecs désignent sous le nom de latrie. Nous ne disons pas que la terre, les mers, le ciel, le soleil, la lune, les étoiles et certaines puissances célestes non placées à notre portée soient des démons: mais comme toute créature est partie corporelle, en partie incorporelle, ou, comme nous l'appelons encore, spirituelle, il est clair que ce que nous faisons avec piété et religion part de la volonté de l'âme, qui est une créature spirituelle, préférable à tout ce qui est corporel; d'où il résulte qu'on ne doit pas sacrifier à la créature corporelle. Reste la spirituelle, qui est pieuse ou impie : pieuse dans les hommes et les anges fidèles, servant Dieu comme il faut le servir; impie dans les hommes injustes et les mauvais anges que nous appelons aussi démons; c'est à cause de cela qu'on ne doit pas sacrifier non plus à une créature spirituelle, quoiqu'elle soit juste. Car plus elle est pieuse et soumise à Dieu, plus elle repousse un tel honneur qu'elle sait n'être dû qu'à Dieu; combien donc il est plus détestable encore de sacrifier aux démons, c'est-à-dire à une créature spirituelle tombée dans l'iniquité, reléguée dans cette basse et ténébreuse région du ciel comme dans une prison aérienne, et prédestinée à un supplice éternel ! Aussi lorsque les païens nous disent qu'ils sacrifient à des puissances supérieures qui ne sont pas des démons, qu'il n'y a entre l'objet de leur culte et le nôtre qu'une différence de noms, et que nous appelons des anges ce qu'ils appellent des dieux, ils sont à leur insu le jouet des ruses si variées des démons qui jouissent et se repaissent en quelque sorte des erreurs humaines; les saints anges n'approuvent d'autre sacrifice que celui que la vraie doctrine et la vraie religion apprennent à offrir à ce Dieu unique qu'ils servent saintement. Et de même que l'orgueil impie soit des hommes, soit des démons, exige ou souhaite les honneurs divins, ainsi la pieuse humilité, soit des hommes, soit des anges, a toujours rejeté de tels hommages et montré à qui ils étaient dus. On en voit d'éclatants exemples dans nos saintes Ecritures.

21. Mais il y a eu diversité de sacrifices. selon les temps; les uns ont été pratiqués avant la manifestation du Nouveau Testament, lequel est consacré par la vraie victime d'un prêtre unique, c'est-à-dire par l'effusion du sang du (181) Christ; et maintenant il est un autre sacrifice conforme à cette manifestation, qui est offert par nous tous, qui portons le nom de chrétien, et marqué non-seulement dans l'Evangile , mais encore dans les livres des prophètes. Car ce changement qui ne regarde ni Dieu ni la religion elle-même, mais qui ne porte que sur les sacrifices et les cérémonies, semblerait aujourd'hui bien hardi à prêcher, s'il n'avait été annoncé à l'avance. De même en effet qu'un homme qui le matin offrirait à Dieu tel sacrifice et en offrirait tel autre le soir, selon la convenance du moment, ne changerait ni de Dieu ni de religion, pas plus qu'un homme qui le matin saluerait d'une manière et d'une autre le soir; ainsi dans le cours universel des siècles, quoique les saints d'autrefois aient offert un sacrifice différent des sacrifices d'à présent, non point par une pensée humaine, mais par l'autorité divine, j'y vois des mystères célébrés selon la convenance des temps, et non un changement de Dieu ni de religion.

 

QUATRIÈME QUESTION. Sur cette parole de l'Ecriture : « Vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré (1). »

 

22. Il nous faut examiner ensuite la question posée sur la proportion du péché et du supplice, lorsque, calomniant l'Evangile, notre païen s'exprime ainsi : « Le Christ menace de supplices éternels ceux qui ne croiront pas en lui (2); » et d'ailleurs il dit : « Vous serez mesurés à la même mesure, dont vous aurez mesuré. Il y a ici, poursuit le païen, ridicule et contradiction; car si la peine à infliger doit avoir une mesure, toute mesure étant bornée à un espace de temps, que signifient les menaces d'un supplice sans fin? »

23. Il est difficile de croire qu'un philosophe, quel qu'il soit, ait pu faire cette objection; on dit ici que toute mesure est bornée à un espace de temps, comme s'il ne pouvait être question que d'heures, de jours et d'années, ou comme s'il s'agissait de syllabes longues ou brèves. Car je crois que les muids et les boisseaux, les urnes et les amphores ne sont pas des mesures de temps. Comment donc toute mesure sera-t-elle bornée à un espace de temps? Ces païens ne disent-ils pas que le soleil est éternel? Ils

 

1. Matth. VII, 2. — 2. Jacq. II,13.

 

osent pourtant mesurer sa grandeur par les règles de la géométrie et la comparer à la grandeur de la terre. Qu'ils puissent ou ne puissent pas la connaître, il est certain que le globe du soleil a sa propre mesure; s'ils comprennent combien il est étendu, ils comprennent sa mesure; sinon, ils ne la comprennent pas. Mais elle n'en existe pas moins si les hommes ne peuvent parvenir à la connaître. Quelque chose peut donc être éternel et avoir une mesure certaine de son propre mode. J'ai parlé, selon leur opinion, de l'éternité du soleil, pour les convaincre avec leur propre sentiment, et afin qu'ils m'accordent que quelque chose peut être éternel et avoir cependant une mesure. Et dès lors ils ne doivent plus refuser de croire au supplice éternel dont le Christ menace le péché, en s'autorisant de ce que le même Christ a dit : Vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré.

24. Si le Christ avait dit : Ce que vous avez mesuré, on vous le mesurera, il ne serait pas nécessaire d'entendre cette parole d'une chose qui fût la même sous tout rapport. Nous pouvons bien dire: Vous recueillerez ce que vous aurez planté, quoique personne ne plante le fruit, mais l'arbre, et que l'on cueille le fruit, et non pas le bois : mais nous disons cela pour désigner l'espèce d'arbre, et pour faire entendre qu'après avoir planté un figuier ce ne sont pas des noix qu'on recueille. C'est ainsi qu'on pourrait dire : Vous souffrirez ce que vous aurez fait souffrir; cela ne signifie pas que celui qui a déshonoré doit être déshonoré à son tour; mais ce qu'il a fait contre la loi par ce péché, la loi doit le lui rendre; le coupable a rejeté de sa vie la loi qui défend de tels crimes que la loi à son tour le rejette de cette vie humaine qu'elle est destinée à régir. Si donc le Christ avait dit : On vous mesurera autant que vous aurez mesuré, il n'en résulterait pas que les peines dussent être de tout point égales aux péchés. Ainsi, par exemple, le froment et l'orge ne sont pas des choses égales, et on pourrait dire : On vous mesurera autant que vous aurez mesuré, c'est-à-dire autant de froment que d'orge. S'il s'agissait de douleurs, et si on disait : On vous en rendra autant que vous en avez fait souffrir, il pourrait se faire que la douleur infligée fût pareille, quoiqu'elle se prolongeât plus longtemps : elle serait plus grande pour la durée, mais égale par la violence. Si nous disons de deux lampes : celle-ci (182) était aussi ardente que l'autre, nous dirons vrai, quoique l'une de ces lampes se soit éteinte avant l'autre. Si donc quelque chose offre une grandeur égale d'une certaine manière, ce côté d'égalité n'en subsiste pas moins en toute vérité, quoiqu'il y ait des différences sur d'autres points.

25. Mais comme le Christ a dit: « Vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré, » et qu'évidemment autre chose est la mesure, autre chose est ce qui est mesuré, il pourrait se faire qu'on donnât mille boisseaux de froment à qui n'en aurait donné qu'un seul, de façon que la différence ne serait pas dans la mesure, mais dans la quantité. Je ne dirai rien de la différence des choses mêmes,car non-seulement il est possible qu'on mesure du froment là où un autre aura mesuré de l'orge, mais encore qu'on mesure de l'or là où un autre aurait mesuré du froment; et il est même possible qu'il y ait un seul boisseau de froment et plusieurs boisseaux d'or. Quoique, sans comparer les choses elles mêmes, l'espèce et la quantité diffèrent entre elles, on peut dire avec vérité : on a mesuré pour lui à la même mesure dont il a mesuré.

Or, le sens des paroles du Christ éclate suffisamment par ce qui précède : « Ne jugez point pour que vous ne soyez point jugés : car vous serez jugés comme vous aurez jugé les autres. » Faut-il conclure de là que s'ils jugent iniquement, ils seront iniquement jugés? Point du tout. Il n'y a en Dieu aucune injustice. Mais c'est comme s'il était dit : la volonté qui vous aura servi à faire le bien servira à votre délivrance; la volonté qui vous aura servi à faire le mal servira à votre châtiment. Si quelqu'un, par exemple, était condamné à perdre les yeux qui auraient été l'instrument de mauvais désirs, c'est en toute justice qu'il s'entendrait dire : soyez puni dans ces yeux par où vous avez péché. Car chacun se sert de son propre jugement, bon ou mauvais, pour le bien ou pour le péché. Il est donc juste qu'il soit jugé dans ce qui juge en lui, afin qu'il porte là peine dans son propre jugement, en souffrant les maux qui accompagnent le dérèglement de l'esprit.

26. Car s'il est des supplices visibles qui sont pour l'avenir réservés au mal et mérités également par la volonté mauvaise; au fond de l'âme elle-même, là où le mouvement de la volonté règle toutes les actions humaines la punition suit promptement la faute; et cette punition s'accroît souvent par l'excès même de l'aveuglement et de l'insensibilité. C'est pourquoi le Christ, après avoir dit : « Vous serez jugés comme vous aurez jugé, » ajoute « Et vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré. » C'est dans sa propre volonté que l'homme de bien trouve là mesure du bien qu'il fait, et il y trouve aussi la mesure de sa félicité; il en est de même du méchant : il porte dans sa volonté la mesure de ses oeuvres mauvaises et de la misère qui les suit. C'est la volonté, cette mesure de toutes les actions et de tous les mérites, qui fait les bons et les méchants; c'est par elle qu'on est heureux ou malheureux. Les genres de volontés, et non pas les espaces de temps, produisent les oeuvres bonnes ou mauvaises. Autrement on tiendrait pour un plus grand péché d'abattre un arbre que de tuer un homme; car il faut du temps et des coups répétés pour abattre un arbre, et d'un seul coup où en un moment on tue un homme. Et si, à cause d'un aussi grand crime commis en aussi peu de temps, on punissait un homme de l'exil à perpétuité, la peine serait trouvée trop, douce;. quoique la longue durée de l'exil ne pût se comparer à la promptitude du crime. En quoi donc répugnerait-il qu'il y eût des supplices également longs ou même également éternels, mais inégalement rigoureux; que dans la même durée il n'y eût pas même douleur, comme la mesure des péchés n'est pas non plus dans la durée du temps, mais dans la volonté qui les a commis?

27. Car c'est la volonté et›-même qui est punie, soit par le supplice de l'âme, soit par le supplice du corps; elle se délecte dans les péchés, il faut qu'elle souffre dans les peines; et que celui qui juge sans miséricorde soit jugé sans miséricorde (1). La signification de cette même mesure, c'est qu'il ne sera pas fait pour l'homme ce qu'il n'aura pas fait pour les autres. Le jugement de Dieu sur l’homme sera éternel, quoique le jugement exercé par l'homme pécheur n'ait pu être que passager. La mesure demeure la même, quoiqu'il y ait des supplices sans fin pour des crimes qui n'ont pas été éternels : l'homme pécheur aurait voulu jouir éternellement de son péché, il trouvera dans la peine une sévérité, éternelle.

 

1. Jacq. V, 13.

 

183

 

La brièveté imposée à mes réponses ne me permet pas de ramasser tout ce qu'il y a, ou au moins beaucoup des choses qui sont dans les saintes Ecritures sur les péchés et les peines, ni d'établir avec certitude mon sentiment à cet égard; et toutefois, si j'en avais le loisir, peut

être mes forces n'y suffiraient pas. Mais je crois en avoir assez dit pour montrer qu'il n'y a rien de contraire à l'éternité des peines dans la doctrine annonçant aux hommes qu'ils seront mesurés à la mesure de leurs péchés.

 

CINQUIÈME QUESTION. Du fils de Dieu selon Salomon.

 

28. Après ces questions tirées de Porphyre, notre païen a ajouté ceci : « Daignez aussi  m'apprendre s'il est vrai que Salomon ait dit que Dieu n'a point de Fils. »

29. La réponse ne se fera pas attendre. Non-seulement Salomon n'a pas dit cela, mais au contraire il a dit que Dieu a un Fils. Car la Sagesse, parlant dans un de ses livres, a dit : « Il m'a engendré avant toutes le collines (1). » Et qu'est-ce que le Christ, sinon la Sagesse de Dieu.? Dans un autre endroit des Proverbes « C'est Dieu, dit Salomon, qui m'a enseigné la sagesse, et j'ai connu la science des saints. Quel est Celui qui est monté au ciel et qui en est descendu? Qui a ramassé le vent dans son sein ? Qui a lié les eaux comme dans un vêtement? Qui a rempli la terre? Quel est son nom et quel est le nom de son Fils, si vous le savez (2)? » Une de ces dernières paroles se rapporte au. Père : « Quel est son nom, » le nom de Celui  « qui m'a enseigné la sagesse, » comme il vient de le dire. L'autre parole désigne évidemment le Fils : « Quel est le nom de son Fils, » du Fils de qui principalement s'entend ce qui suit : « Qui est Celui qui est monté au ciel et qui en est descendu ? » Saint Paul dit à ce sujet : « Celui  qui est descendu c'est le même qui est monté au-dessus de tous les cieux (3). » — « Qui a ramassé les vents dans son sein? » c'est-à-dire les esprits de ceux qui croient dans le secret et le silence. A ceux-là il est dit: « Vous êtes morts, et votre vie est cachée en Dieu avec le Christ (4). » — « Qui a lié, les eaux comme dans

 

1. Prov. VIII, 25. — 2. Prov. XXX, 4. Bossuet est admirable dans son commentaire de ces paroles de Salomon. Elévation sur les mystères : 1re élévation de la deuxième semaine. Voir nos Lettres sur Bossuet, lettre VI. — 3. Ephés. IV, 10. — 4. Coloss. III. 3.

 

un vêtement? » Pour qu'on pût dire : «Vous tous qui- avez été baptisés dans le Christ, vous avez été revêtus du Christ (1). » — « Qui a rempli la terre? » C'est Celui-là même qui a dit à ses disciples : « Vous me rendrez témoignage à Jérusalem, dans toute la Judée,  dans la Samarie, et jusqu'aux extrémités de la terre (2). »

 

SIXIÈME QUESTION. Sur le prophète Jonas.

 

30. La dernière question- concerne Jouas; elle n'est pas tirée de Porphyre, mais des plaisanteries accoutumées des païens. On nous dit « Que devons-nous penser à Jonas qu'on prétend  avoir passé trois jours dans le ventre d'une baleine? Il est extraordinaire (3) et incroyable qu’un homme soit resté englouti avec ses vêtements dans le corps d’un poisson. Si c'est là une figure, vous daignerez nous l’expliquer. Ensuite, qu'est-ce que c'est que cette citrouille qui poussa , au-dessus de Jonas après que la baleine l’eut vomi (4) ? Quelle raison y a-t-il eu pour la faire naître? » Je me suis aperçu que ce genre de questions amuse beaucoup les païens.

31. On répond à ceci qu’il ne fait croire aucun des miracles de Dieu, ou bien qu’il n'y a aucune raison pour ne pas croire celui-ci ! Nous ne croirions pas que le Christ lui-même est ressuscité le troisième jour, si la foi des chrétiens redoutait les railleries des païens. Notre ami ne nous a pas demandé si on devait croire à la résurrection de Lazare le quatrième jour, ou à celle dû Christ le troisième ; je m'étonne donc qu'il ait choisi l'histoire de Jonas comme quelque chose d'incroyable : pense-t-il par hasard qu'il soit plais aisé de ressusciter un mort que de conserver dans l’énorme ventre d'une baleine un homme vivant? Je passe sous silence ce que rapportent de la grandeur de ces monstres marins ceux qui en ont vu ; mais en voyant les côtes de baleine exposées à la curiosité publique à Carthage, qui ne juge combien d'hommes auraient pu tenir dans le ventre de ce monstre, et quelle devait être la large ouverture de la gueule, qui était comme la porte de cette caverne ? Notre païen croit

 

1. Gal. III, 27. — 2. Actes des Apôtres, I, 8.

3.  Apithanon

4. Jo. II, I ; IV, 6.

 

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que les vêtements de Jonas l'ont empêché d'être englouti sans meurtrissure, comme si le prophète s'était fait petit pour franchir un passage étroit; au lieu que, précipité du haut d'un navire., il a été reçu par la baleine de façon à pénétrer dans le ventre du monstre avant de pouvoir être déchiré par ses dents. L'Ecriture ne dit pas, d'ailleurs, s'il était nu ou habillé quand il fut jeté dans cette caverne, afin qu'on pût admettre qu'il était nu, s'il fallait qu'on lui ôtât ses vêtements, comme à un neuf sa coque, pour qu'il devînt plus aisé à engloutir. On se préoccupe des vêtements de Jonas comme si les livres saints eussent dit qu'il avait passé par une petite fenêtre ou qu'il était entré dans un bain : et encore pourrait-on entrer dans un bain tout habillé; ce ne serait pas commode, mais il n'y aurait là rien de merveilleux.

32. Mais ils ont une raison pour ne pas croire à ce miracle de Dieu, c'est la vapeur du ventre par laquelle s'humecte la nourriture, et qui aurait dû se tempérer pour conserver la vie d'un homme, combien n'est-il pas plus incroyable que les trois hommes jetés dans une fournaise par un roi impie se soient promenés sains et saufs au milieu du feu ! Du reste, si ceux à qui nous répondons se refusent à croire à tout miracle, c'est par d'autres raisonnements que nous aurions à les réfuter? Car ils ne doivent pas objecter comme incroyable un fait particulier ni le révoquer en doute, mais tous les faits qui sont tels et même plus étonnants. Toutefois, si ce qui est écrit sur Jonas l'était sur Apulée de Madaure ou sur Apollonius de Tyane, dont on nous raconte tant de prodiges sans témoignage d'aucun auteur sérieux , quoique les démons fassent aussi des choses comme en font les saints anges, non en réalité, mais en apparence, non avec sagesse, mais par le mensonge; si, dis-je, on nous rapportait quelque chose d'aussi surprenant de ceux que les païens honorent sous les noms de mages ou de philosophes, les bouches de nos adversaires ne retentiraient pas d'éclats de rire, mais de paroles triomphantes. Qu'ils se moquent de nos Ecritures ; qu'ils s'en moquent à leur gré, pourvu que les rieurs deviennent de jour en jour plus rares, soit parce qu'ils meurent, soit parce qu'ils croient, et tandis que s'accomplit tout ce qu'ont prédit les prophètes, ces prophètes qui se sont ri, si longtemps avant eux, de leurs inutiles combats contre la vérité, de leurs vains aboiements, de leurs défections successives, et qui non-seulement nous ont laissé à lire, à nous qui sommes leur postérité, ce qu'ils ont écrit sur eux, mais nous ont promis que nous en verrions l'accomplissement.

33. On peut raisonnablement et avec profit demander ce que signifie le miracle de Jonas, afin de ne pas se borner à croire qu'il s'est accompli, mais de comprendre qu'il a été écrit parce qu'il renferme quelque signification mystérieuse. Il faut donc commencer par reconnaître que le prophète Jonas a passé trois jours dans le vaste sein d'un monstre marin, quand on veut rechercher pourquoi cela s'est fait; car ce n'a pas été en vain et c'est cependant certain. Si de simples paroles figurées et sans actes nous excitent à la foi, combien notre foi doit s'exciter plus encore non-seulement par ce qui a été dit, mais même par ce qui a été fait en figure? Les hommes ont coutume de s'exprimer par des paroles, mais c'est aussi par des faits que parle la puissance de Dieu. Et de même que des mots nouveaux ou peu usités, quand ils sont. choisis avec goût et sobriété, ajoutent à l'éclat des discours humains; ainsi les faits merveilleux et figuratifs ajoutent en quelque façon à la splendeur de l'éloquence divine.

34. D'ailleurs, pourquoi nous demander la signification de l'histoire de Jonas, puisque le Christ lui-même l'a donnée? « Cette génération mauvaise et adultère, dit-il, demande un prodige, et on ne lui en donnera point d'autre que celui du prophète Jonas. De même que Jonas fut trois jours et trois nuits dans le ventre de la baleine, ainsi le Fils de Dieu sera trois jours et trois nuits dans le cœur de la terre (1). » Quant à rendre raison des trois jours depuis la mort de Notre-Seigneur jusqu'à sa résurrection, en entendant, pour le premier et le dernier jour, le tout par la partie,de façon à compter dans cet espace trois jours avec leurs nuits, ce serait l'objet d'un long discours, et cette matière a été souvent traitée ailleurs. Donc, comme Jonas a été précipité du haut d'un navire dans le ventre de la baleine, ainsi le Christ a été précipité du haut de la croix dans le sépulcre,ou dans la profondeur de la mort, le prophète fut précipité pour le salut de ceux que menaçait la tempête, le Christ pour le salut de ceux qui flottent sur la mer de ce monde; et comme Jonas avait reçu l'ordre de prêcher aux Ninivites, mais ne parut au milieu

 

1. Matth. XII, 39 et 40.

 

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d'eux qu'après que la baleine l'eût vomi, ainsi la divine parole adressée aux nations ne leur

est parvenue qu'après la résurrection du Christ.

35. Le prophète se dressa une tente et s'assit en face de Ninive en attendant les desseins de Dieu sur la ville: par là il figurait autre chose, le peuple charnel d'Israël. Ce peuple, en effet, s'attristait aussi sur le salut des Ninivites, c'est-à-dire sur la rédemption et la délivrance des nations, du milieu desquelles le Christ est venu appeler non les justes, mais les pécheurs à la pénitence (1). L'ombrage de la citrouille sur la tête de Jonas représentait les promesses on même les bienfaits de l'Ancien Testament, qui étaient, comme dit l'Apôtre, une ombre des choses futures (2), et servaient de défense, dans la terre de promission, contre les ardeurs des maux du temps. Ce ver du matin qui rongea et fit sécher la citrouille, c'est encore le Christ lui-même dont la bouche, ayant répandu au loin l'Evangile, a fait sécher et disparaître toutes ces figures et ces ombres du peuple d'Israël. Maintenant ce peuple, après avoir perdu son royaume de Jérusalem, son sacerdoce, son sacrifice, toutes ces ombres de l'avenir, est dispersé à travers la terre et se consume dans le feu de la tribulation, comme Jonas sous les feux du soleil (3), et sa douleur est grande : et cependant Dieu s'occupe plus du salut des nations et de ceux qui font pénitence que de la douleur du prophète et de l'ombre qu'il aimait.

36. Que les païens rient encore, et, en voyant le Christ figuré par un ver, que leur superbe faconde tourne en dérision cette interprétation d'un mystère prophétique, pourvu toutefois que ce ver mystérieux les consume insensiblement pour en faire des hommes nouveaux. Car c'est d'eux qu'Isaïe a prophétisé, lorsque le Seigneur a dit par sa bouche : Ecoutez-moi, a mon peuple, vous qui connaissez la justice, « et qui portez ma loi dans vos coeurs : ne craignez pas les reproches des hommes, ne vous laissez pas abattre par leurs calomnies, et ne tenez pas grand compte de leurs mépris. Ils seront consumés par le temps comme un vêtement, et seront mangés par la teigne comme la laine; mais ma justice demeure  éternellement (4). » Quant à nous, reconnaissons le Christ dans le ver du matin, parce que dans le psaume intitulé : Pour le secours du matin  (5), il a daigné lui-même s'appeler de ce

 

1. Luc, V, 32. — 2. Col. II, 17. — 3.  Jon. IV, 8. — 4. Isaïe LI, 7, 8. — 5. Ps. XXI.

 

nom : « Je suis un ver, dit-il, et non pas un homme ; je suis l'opprobre des hommes et le mépris du peuple. » Cet opprobre est de ceux qu'Isaïe nous recommande de ne pas craindre

« Ne craignez pas les opprobres des hommes. » Ils sont mangés par ce ver comme par la teigne, ceux qui sous sa dent évangélique s'étonnent que leur nombre diminue de jour en jour. Reconnaissons ce ver, et, pour le salut que Dieu nous a promis, supportons les opprobres de ce monde. Le Christ est un ver par son abaissement sous un vêtement de chair; peut-être aussi parce qu'il est né d'une vierge; car le ver, quoiqu'il soit le produit de la chair ou de n'importe quelle chose terrestre, ne doit sa naissance à aucune sorte d'union. Le Christ est le ver du matin parce qu'il est ressuscité au point du jour. Cette citrouille dont l'ombre couvrit le front du prophète pouvait sécher sans qu'aucun ver la touchât. Et si Dieu avait besoin d'un ver pour cela, pourquoi dire un ver du matin, si ce n'est pour faire reconnaître sous cette figure celui qui chante Pour le secours du matin : « Mais moi je suis un ver et non pas un homme ? »

37. Quoi de plus clair et de plus accompli que cette prophétie ? Si l'on s'est moqué de ce ver pendant qu'il était pendu à une croix, comme il est écrit dans le même psaume : « Ils m'ont outragé dans leurs paroles, et ils ont hoché la tête. Il a espéré en Dieu, qu'il le délivre; que Dieu le sauve s'il veut de lui; » si on s'en est moqué pendant que s'accomplissaient ces paroles du même psaume : « Ils ont percé mes mains et mes pieds, ils ont compté tous mes os. Ils m'ont regardé et considéré; ils se sont partagé mes vêtements et ont jeté ma robe au sort; » et ici la prédiction de l'Ancien Testament est aussi claire que le récit même de l'Evangile; si, dis-je, on a raillé ce ver en cet état d'humiliation, le raillera-t-on encore quand nous assistons à l'accomplissement de la suite de ce même psaume : « Tous les pays de la terre se souviendront du Seigneur et se convertiront à lui; et toutes les nations l'adoreront; parce que la souveraineté est au Seigneur et qu'il dominera sur tous les peuples (1). » C'est ainsi que les Ninivites se souvinrent du Seigneur et se convertirent à lui. Israël s'affligeait de ce salut des nations par la pénitence, représenté dans Jonas, comme maintenant il s'afflige privé

 

1. Ci-dessus, lett. XC et XCI, pag.

 

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d'ombre et dévoré par l'a chaleur. Le resté de cette histoire mystérieuse de Jonas peut recevoir l'explication que l'on voudra, pourvu qu'on l'expose selon la règle de la foi. Mais pour ce qui est des trois jours passés dans le ventre de la baleine, il n'est. pas permis de l'entendre autrement que nous l'a révélé le Maître céleste lui-même dans l'Evangile.

38. Nous avons répondu aux questions comme nous rayons pu; mais que celui qui les a posées se fasse chrétien, de peur qu'en voulant auparavant finir les questions sur tes livres. saints, il ne finisse sa vie avant de passer de la mort à la vie. On comprend qu'avant de recevoir les sacrements chrétiens il ait voulu s'instruire sur la résurrection des morts; on peut lui concéder aussi d'avoir cherché à s'expliquer là tardive apparition du Christ sur la terre et à résoudre le petit nombre des autres grandes questions auxquelles le reste se rapporte. Mais se poser des questions comme celle-ci : «Vous serez mesurés à la même mesure dont vous aurez mesuré, » ou comme celle sur Jonas ou tout autre de ce genre, avant de se décider à se faire. chrétien, c'est penser peu à la condition humaine et ne pas penser à l'âge. Car il y a d'innombrables questions qu’il ne faut pas finir avant de croire; de peur que la vie ne finisse sans la foi; mais, quand on est chrétien, on s'applique studieusement à ces difficultés pour le plaisir pieux des âmes fidèles, et on communique sans orgueilleuse confiance ce qu'on a appris; et quant. à ce qui reste inconnu, on s'y résigne sans dommage pour le salut.

 

 

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