SERMON CLIII
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SERMON CLIII. CONTRE LES MANICHÉENS ET LES PÉLAGIENS (1).

 

ANALYSE. — Dans leur opposition violente à l'ancienne loi, les Manichéens prétendaient s'appuyer sur l'autorité de saint Paul même. Saint Augustin les réfute en montrant premièrement que s'ils lisaient tout le passage de saint Paul ils y trouveraient la défense formelle et, la justification de la loi qu'ils condamnent. Secondement, s'ils remarquaient dans le même texte de saint Paul, que la loi condamne la concupiscence, accuseraient-ils cette loi?  mauvaise pour condamner le vice? Elle le condamne si ostensiblement, que l'Apôtre même, avant de l'avoir étudiée, ignorait que la concupiscence fût un vice. Troisièmement, si saint Paul reconnaît que cette connaissance du vice, donnée par la loi, fut pour lui une occasion de péché, c'est qu'il présumait de ses propres forces, lui-même l'indique et nous fait connaître ainsi le besoin que nous avons de la grâce, de cet attrait divin, si doux pour les coeurs purs. Le précepte est bien une arme pour nous défendre, mais la présomption tourne cette arme contre nous. Ayons donc pleine confiance dans la grâce de Dieu. Elle combat en nous l'inclination originelle au mal et elle est due à Jésus-Christ Notre-Seigneur.

 

1. Nous avons entendu chanter ; et nos coeurs en unisson aussi, bien que nos voix, nous avons chanté nous-mêmes devant notre Dieu : « Heureux l'homme que vous enseignez, Seigneur, et que vous instruisez de votre loi (2) ».

Faites silence, et vous m'entendrez; la sagesse ne saurait pénétrer là où fait défaut la

 

1. Rom. VII, 5-13. — 2. Ps. XCIII, 12.

 

patience. — C'est nous qui parlons, mais c'est Dieu qui enseigne ; c'est nous qui parlons, mais c'est Dieu qui instruit. A qui est donné le titre d'heureux? Ce n'est pas à celui que l'homme enseigne; mais à celui que vous instruisez, Seigneur ». Nous pouvons bien planter et arroser; mais c'est à Dieu de donner l'accroissement (1). Planter et arroser, c'est

 

1. I Cor. III, 7.

 

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travailler à l'extérieur; donner l'accroissement, c'est agir à l'intérieur.

Le passage de l'épître du saint Apôtre, dont on vient de nous demander l'explication, est fort difficile, fort obscur, dangereux même si on ne le comprend pas ou si on le comprend mal : c'est ce que vous avez remarqué, mes frères, je n'en doute pas, j'en suis certain, lorsqu'on nous en faisait lecture. Aussi j'ai vu inquiets ceux d'entre vous qui ont remarqué simplement ces difficultés; quant à ceux, s'il en est, qui ont compris toute la pensée de l'Apôtre, ils voient sûrement combien il est malaisé de la saisir. C'est pourtant ce passage, avec toutes ses obscurités et tous ses embarras, que nous entreprenons de discuter, avec l'aide de la miséricorde divine, parce qu'il renferme un sens qu'il est fort salutaire de pénétrer. Nous avons, je le sais, des dettes envers votre charité, et je sens que vous voulez être payés. Eh bien ! puisque nous demandons pour vous la grâce de bien comprendre, implorez pour nous celle de bien expliquer; car si nos vœux s'unissent, Dieu vous accordera d'entendre comme il convient; et à nous d'expliquer comme nous le devons.

2. « Lorsque nous étions dans la chair, dit donc l'Apôtre, les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire produire des fruits pour la mort ». N'est-ce pas blâmer et accuser la loi de Dieu ? et si l'on ne saisit pas la pensée de l'Apôtre, ce sens qui se présente d'abord n'est-il pas un danger formidable? — Quel chrétien, dira-t-on, aurait jamais cette idée ? Ne faudrait-il pas plus que de la folie pour concevoir sur l'Apôtre un pareil soupçon ? — Et pourtant, mes frères, ces paroles mal comprises ont servi à exercer le délire et la folie des Manichéens. Car les Manichéens soutiennent que la loi mosaïque ne vient pas de Dieu, et ils prétendent qu'elle est contraire à l'Evangile. Se met-on à discuter avec eux? Ils s'emparent, sans les comprendre, de ces paroles de l'Apôtre saint Paul, et cherchent à gagner par là des catholiques, plus négligents peut-être encore qu'inintelligents. Est-il donc bien difficile, quand on a entendu les accusations de ces hérétiques, de lire au moins le contexte dans l'épître même ? Il ne faudrait qu'un peu de zèle et bientôt on serait en mesure d'arrêter le babil de ces adversaires, d'abattre ces ennemis qui s'insurgent contre la loi. Eût-on de la peine à pénétrer la pensée de l'Apôtre; on verrait sûrement en lui l'éloge formel de la loi divine.

3. Commencez par le reconnaître vous-mêmes. « Lorsque nous étions dans la chair, dit-il, les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres ». Ici déjà se dresse le manichéen, il lève fièrement la tête et s'élance impétueusement contre toi : Voilà, dit-il, « les passions du péché qui sont occasionnées par la loi ». Comment peut être bonne cette loi qui occasionne en nous les passions du péché, ces passions qui agissent dans nos membres afin de porter des fruits pour la mort ? Lis donc, lis un peu plus loin, lis le passage entier, sinon avec intelligence du moins avec patience. Tu aurais peine sans doute à comprendre ces mots : « Les passions du péché, qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres» ; mais commence parfaire avec moi l'éloge de la loi, tu mériteras ainsi de comprendre. Quoi ! tu tiens ton coeur fermé et tu t'en prends à ta clef ? Eh bien ! mettons de côté, pour le moment, ce que nous ne saisissons pas, et lisons premièrement l'éloge formel de la loi.

«Les passions des péchés qui sont occasionnées parla loi, dit l'Apôtre, agissaient dans nos membres afin de leur faire porter des fruits pour la mort. Mais maintenant nous sommes affranchis de la loi de mort où nous étions retenus, pour servir dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vétusté de la lettre ». Ici encore l'Apôtre semble blâmer, accuser, condamner, repousser la loi, même avec horreur ; mais c'est qu'on ne le comprend pas. Oui, ces paroles : «Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché qui sont occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire porter des fruits pour la mort; mais nous sommes affranchis de la loi de mort où nous étions retenus, pour servir, dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vétusté de la lettre », paraissent une accusation et une condamnation de la loi. L'Apôtre s'en est aperçu lui-même, il a senti qu'il n'était pas compris et que l'obscurité de son langage jetait la confusion dans l'esprit du lecteur et l'éloignait de sa pensée ; il a vu ce que tu pourrais répliquer, ce que tu pourrais objecter, et pour t'empêcher de le dire, il l'a dit d'abord.

 

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4. « Que dirons-nous donc ? » s'écrie-t-il immédiatement après les paroles précédentes; « Que dirons-nous donc? la loi  péché? loin de là ». Ce seul mot suffit pour absoudre la loi et pour condamner celui qui l'accuse. Tu t'appuyais contre moi, ô Manichéen, sur l'autorité de l'Apôtre, et pour dénigrer la loi tu me disais : Ecoute, lis l'Apôtre : « Les passions du péché, occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres de manière à leur faire porter des fruits pour la mort; mais aujourd'hui nous sommes affranchis de la loi de mort qui pesait sur nous pour obéir dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vétusté de la lettre ». Ainsi te vantais-tu; tu criais, tu disais: Ecoute, lis, vois, et tournant promptement le dos, tu cherchais à t'échapper. Attends : je t'ai écouté, écoute-moi; ou plutôt ne nous écoutons ni l'un ni l'autre, mais tous deux écoutons l'Apôtre : vois comme en- se justifiant il te condamne.

« Que dirons-nous donc ? » demande-t-il : « La loi  péché ? » C'est ce que tu prétendais ; tu disais réellement que la loi est péché ». Oui, voilà ce que tu soutenais, voici maintenant ce qu'il te faut soutenir. Tu, accusais donc de péché la loi de Dieu, quand tu la censurais en aveugle et en téméraire. Tu t'égarais; Paul s'en est aperçu, et il a pris ton langage. « Que dirons-nous donc ? La loi est-elle péché? » Disons-nous comme toi que la loi est péché ? loin de là ». — Si donc tu t'attachais à l'autorité de l'Apôtre, pèse ces mots et avise ensuite. Ecoute : « La loi  péché ?loin de là ». Ecoute ce « loin de là». Oui, si tu es disciple de cet Apôtre, si tu as une haute idée de son autorité, écoute ce loin de là», et éloigne toi-même ton sentiment. « Que dirons-nous donc ? » Que conclurons-nous ? Si j'ai dit : « Les passions du péché, occasionnées par la loi, agissaient dans nos membres, afin de leur faire porter des fruits pour la mort » ; si j'ai dit : « Nous sommes affranchis de la loi de mort qui pesait sur nous » ; si j'ai dit: « Obéissons dans la nouveauté de l'esprit et non dans la vétusté de la lettre », s'ensuit-il que « la loi est péché ? loin de là ». Pourquoi donc, ô Apôtre, avoir dit tout ce que vous venez de dire ?

5. Non, la loi n'est pas péché. « Toutefois je n'ai connu le péché que par la loi; car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ». A

mon tour maintenant de t'interroger, Manichéen; je t'interroge, réponds-moi. Comment appeler mauvaise une loi qui dit : « Tu ne convoiteras point ? » Un débauché même, l'homme le plus dégradé ne l'affirmera jamais. Les libertins en effet ne rougissent-ils pas quand on les reprend, et ne craignent-ils pas de s'abandonner à leurs infamies au sein d'une compagnie honnête ? Ah ! si tu condamnes cette loi qui crie : « Tu ne convoiteras point », c'est que tu voudrais convoiter impunément; tu ne l'accuses que parce qu'elle réprime tes passions. Mes frères, quand nous n'entendrions pas ces mots de l'Apôtre : « La loi  péché ? loin de là » ; mais seulement cette citation de la loi : « Tu ne convoiteras pas »; oui, quand même il ne ferait pas l'éloge de la loi, nous devrions le faire; nous devrions la louer et nous condamner. N'est-ce pas cette loi, n'est-ce pas cette autorité divine qui crie aux oreilles de l'homme : « Tu ne convoiteras point ? » — « Tu ne convoiteras pas » ; blâme cela, si tu le peux, et si tu ne le peux, mets-le en pratique. « Tu ne convoiteras point » ; tu n'oses condamner cette défense. Elle est donc bonne, et la concupiscence est mauvaise. Ainsi la loi interdit le mal, la loi te défend ce qui ferait ton mal. Oui la loi défend la convoitise comme un mal et comme ton mai. Fais ce qu'elle ordonne, évite ce qu'elle défend, garde-toi de la concupiscence.

6. Que dit pourtant encore l'Apôtre ? Je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ». J'allais à la remorque de ma convoitise, je courais où elle m'entraînait, et je regardais comme un grand bonheur de jouir de ses séductions et de ses embrassements charnels. La loi même ne dit-elle pas : « On glorifie le pécheur des désirs de son âme, et on bénit l'artisan d'iniquités (1)? » — Voici un homme qui se livre en esclave et tout entier aux passions charnelles; partout il guette le plaisir, la fornication et l'ivresse : je n'en dis pas davantage, j'énumère simplement la fornication et l'ivresse, ce qu'interdit la loi de Dieu et ce que n'interdisent pas les lois humaines. Qui jamais, en effet, fut traduit devant un juge pour avoir pénétré dans la demeure d'une prostituée ? Qui jamais a été accusé devant les

 

1. Ps. IX, 3.

 

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tribunaux de s'être livré à la débauche et à l'impureté avec ses actrices ? Quel mari a été dénoncé pour avoir violé sa servante ? Je parle de la terre et non du ciel, des lois du monde et non des lois du Créateur du monde. On va même jusqu'à proclamer heureux ces voluptueux, ces débauchés et ces infâmes, à cause des plaisirs qu'ils se procurent en abondance, et des délices dont ils jouissent. Que dis-je ? S'ils se gorgent de vin, si sans mesure ils boivent des mesures, on ne se contente pas de ne les pas accuser, on vante leur courage; hommes, hélas ! d'autant plus abjects qu'ils tremblent moins sous le poids de la boisson.

Or, pendant qu'on les loue de tels actes, pendant qu'on vante leur félicité, leur grandeur, leur bien-être; pendant que loin de regarder tout cela comme coupable, on ose le considérer soit comme une faveur du ciel, soit au moins comme un bien agréable, délicieux et innocent, apparaît tout à coup la loi de Dieu qui s'écrie : « Tu ne convoiteras point ». Cet homme donc qui considérait comme un grand bien, comme une grande félicité de ne refuser à la concupiscence rien de ce qu'il pouvait lui accorder et de suivre tous ses attraits, entend alors cette défense : « Tu ne convoiteras pas », et il apprend que la convoitise est un péché. Dieu a parlé, l'homme a entendu, il a cru, il connaît le péché, il considère comme mal,ce qui était bien à ses yeux; il veut réprimer la convoitise, n'en être plus l'esclave; il se retient, il fait effort, mais le voilà vaincu. Hélas ! il ne connaissait pas son mal, et il ne l'a appris que pour être plus honteusement vaincu, car il est non-seulement pécheur, mais encore prévaricateur. Sans doute il péchait auparavant; mais il ne se croyait pas pécheur avant d'entendre la loi. La loi lui a parlé, il connaît le péché; en vain il travaille à vaincre, il est battu, il est renversé, et de pécheur qu'il était à son insu, le voilà prévaricateur de la loi. C'est la doctrine contenue dans ces mots de l'Apôtre : « La loi  péché ? loin de là. Cependant je n'ai connu le péché que par la loi; car je ne connaîtrais pas la concupiscente, si la loi ne disait : Tu ne convoiteras point ».

7. « Or, prenant occasion du commandement, le péché a opéré en moi toute concupiscence ». La concupiscence était moindre quand, avant la loi, tu péchais sans inquiétude; maintenant que la loi dresse devant toi ses digues, ce fleuve de convoitise semble contenu tant soit peu ; hélas ! il n'est point à sec, et les vagues qui t'entraînaient avant qu'il y eût des digues, grossissant de plus en plus, rompent les digues et t'engloutissent. Oui la concupiscence était moindre en toi quand elle ne faisait que te porter au plaisir; n'est-elle pas à son comble, maintenant qu'elle foule aux pieds la loi même ? Veux-tu avoir une idée de sa violence ? Vois comme elle se joue de cette défense : « Tu ne convoiteras point ! » Cette défense toutefois ne vient pas d'un homme, d'un être quelconque; elle vient de Dieu même, du Créateur, du juge éternel. Respecte-la donc. Tu n'en fais rien. Remarque que le législateur est aussi ton juge. Mais que feras-tu devant lui, malheureux ? Si tu n'as pas vaincu, c'est que tu t'es confié en toi.

8. Aussi bien remarque les paroles qui précèdent et qui te semblaient obscures : « Lorsque nous étions dans la chair ». Oui remarquez bien ces paroles, les premières de ce passage qui nous paraissait obscur : «Lorsque nous étions dans la chair, les passions du péché, occasionnées par la loi ». Comment étaient-elles occasionnées par la loi ? Parce que nous étions dans la chair. Qu'est-ce à dire, « nous étions dans la chair ? » Nous présumions de la chair. En effet, lorsque l'Apôtre tenait ce langage, avait-il déjà quitté cette chair ou s'adressait-il à des hommes que la mort en eût fait sortir? Non sans doute, mais lui et eux étaient dans cette chair comme on y est durant cette vie. Que signifie alors : « Lorsque nous étions dans cette chair », sinon lorsque nous présumions de la chair, autrement, de nous-mêmes ? N'est-ce pas à des hommes, à tous les hommes que s'adressaient ces mots : « Toute chair verra le Sauveur envoyé par Dieu (1) ? » Or que veut dire : « Toute chair », sinon tout homme? Que veut dire également : « Le Verbe s'est fait chair (2)», sinon: Le Verbe s'es, fait homme? Le Verbe en effet n'a pas pris une chair sans âme; la chair désigne l'homme datas cette phrase : « Le Verbe s'est fait chair ». Ainsi donc, « lorsque nous étions dans la chair», en d'autres termes, lorsque nous nous livrions aux convoitises de la chair et

 

1. Isaïe, XL, 5 ; Luc, III, 6. — 2. Jean, 1, 14.

 

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que nous placions tout notre espoir dans la chair ou dans nous, « les passions du péché, occasionnées par la loi », durent à la loi même un nouvel accroissement. La défense de la loi n'a servi qu'à rendre prévaricateur, et on est devenu prévaricateur pour ne s'être pas appuyé sur Dieu. « Elles agissaient donc dans nos membres, afin de leur faire porter du fruit , pour qui ? pour la mort ». Mais si le pécheur devait être condamné, que peut-il espérer, une fois devenu prévaricateur ?

9. Si donc, ô mortel, tu es vaincu par la concupiscence, si tu es vaincu par elle, c'est que tu occupais un terrain désavantageux; tu étais dans ta chair, voilà pourquoi tu as été battu. Quitte ce poste funeste. Que crains-tu ? Je ne te dis pas : Meurs. Ne crains pas, si je t'ai dit: Quitte la chair. Je ne te dis pas de mourir, et pourtant je t'invite à mourir. Si vous êtes morts avec le Christ, cherchez ce qui est en haut. Tout en vivant dans la chair, ne reste pas dans la chair. « Toute chair n'est que de l'herbe, tandis que le Verbe de Dieu

subsiste éternellement (1) ». Réfugie-toi dans le sein du Seigneur. La concupiscence s'élève, elle te presse, elle acquiert de nouvelles forces, la défense même de la loi redouble sa vigueur, tu as affaire à un ennemi terrible : ah ! réfugie-toi dans le sein du Seigneur, qu'il soit pour toi, en face de l'ennemi, une forte tourde défense (2). Ne reste donc pas dans ta chair, mais vis dans l'Esprit. Qu'est-ce à dire? Place en Dieu ta confiance. Eh ! si tu la plaçais en ton esprit d'homme, cet esprit retomberait bientôt dans la chair pour n'avoir pas été confié par toi à celui qui peut le soutenir; car il rie peut se soutenir si on ne le soutient. Ne reste pas en toi, monte au-dessus de toi et te place dans celui qui t'a fait. Avec la confiance en toi-même, tu deviendras prévaricateur de la loi qui te sera donnée. L'ennemi effectivement te trouve sans asile et il se jette sur toi; prends garde qu'il ne t'enlève comme un lion dévorant, sans que personne t'arrache à lui (3) ; sois attentif à ces paroles où, tout en louant la loi, l'Apôtre s'accuse, se reconnaît coupable sous l'autorité de la loi, et te représente peut-être dans sa personne : « Je n'ai connu, te dit-il, le péché que par la loi; car je ne connaîtrais pas la concupiscence, si la loi ne disait :

 

1. Isaïe, XL, 6. — 2. Ps. LX, 4. — 3. Ps. XLIX, 22.

 

« Tu ne convoiteras point. Or, prenant occasion du commandement, le péché a excité en moi toute concupiscence; car, sans la loi, le péché était mort». Que signifie cette mort? Que le péché est inconnu, qu'on n'en voit point, qu'on n'y pense pas plus qu'à un cadavre enseveli. « Mais quand est venu le commandement, le péché a revécu ». Qu'est-ce à dire encore ? Que le péché a commencé à se montrer, à se faire sentir, à s'insurger contre moi.

10. « Et moi je suis mort». Qu'est-ce à dire? Je suis devenu prévaricateur. « Et il s'est trouvé que ce commandement qui devait me donner la vie ». Remarquez cet éloge de la loi: « le commandement qui devait me donner la vie ». Quelle vie, d'être sans convoitise ! Oh ! quelle douce vie ! Il y a du plaisir dans la convoitise, c'est vrai, et les hommes ne s'y abandonneraient pas s'ils n'y en trouvaient. Le théâtre, les spectacles, les amours lascifs,.les chants efféminés plaisent à la convoitise; la convoitise y trouve des jouissances, des agréments, des délices; mais les impies m'ont parlé de leurs plaisirs, et ils ne sont pas comme votre loi, Seigneur (1) ». Heureuse l'âme qui goûte ces délices de la loi divine, où rien de honteux ne souille, où le pur éclat de la vérité sanctifie.

Celui toutefois qui aime ainsi la loi de Dieu et qui l'aime au point de dédaigner tous les plaisirs charnels, ne doit pas s'attribuer les délices de cet amour : « C'est le Seigneur qui répandra la suavité (2) ». Laquelle demanderai-je , Seigneur ? Dirai-je indistinctement l'une ou « l'autre ? Vous êtes doux, Seigneur, et dans votre suavité enseignez-moi vos justices (3) ». Enseignez-moi dans votre suavité; car vous m'enseignez alors, et lorsque vous m'enseignez ainsi dans votre suavité, j'apprends véritablement à pratiquer. Il est vrai, quand l'iniquité a pour l'âme encore des attraits et des charmes, la vérité semble amère. Oh ! « enseignez-moi avec votre suavité » ; et pour me faire aimer la vérité, que votre onction si douce me remplissez de mépris pour l’iniquité. Il y a dans la vérité infiniment plus -de valeur et plus de charmes; mais pour goûter ce pain délicieux, il faut jouir de la santé. Est-il rien de meilleur et de plus précieux que le pain céleste? Il faut néanmoins que l'iniquité n'ait point agacé les

 

1. Ps. CXVIII, 85. — 2, Ps. LXXXIV, 13. — 3. Ps. CXVIII, 68.

 

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dents. « Comme le raisin vert est aux dents et la fumée aux yeux, dit l'Ecriture, ainsi le péché à ceux qui s'y abandonnent (1) ». Que vous sert donc de louer le pain du ciel, si vous vivez mal; puisqu'en le louant vous n'en mangez pas? Il est bien d'écouter la parole sainte, d'écouter et de louer la parole de justice et de vérité : il est mieux encore de la pratiquer. Pratique-la, puisque tu en fais l'éloge. Diras-tu : Je le voudrais, mais je ne le puis? Pourquoi ne le peux-tu ? C'est que tu n'as as la santé. Mais comment l'as-tu perdue, sinon en offensant le Créateur par tes crimes? Afin donc de pouvoir manger avec plaisir et conséquemment en pleine santé ce pain divin que tu vantes, écrie-toi: « J'ai dit : Seigneur, ayez pitié de moi; guérissez mon âme, car j'ai péché contre vous (2) ».

Voilà dans quel sens « il s'est trouvé que le commandement qui devait me donner la vie, m'a causé la mort ». Le pécheur, avant le commandement, ne se connaissait pas; depuis, il est devenu ostensiblement prévaricateur. Ainsi a-t-il rencontré la mort dans ce qui devait lui communiquer la vie.

11. « Ainsi le péché, prenant occasion du commandement, m'a séduit, et par lui m'a tué». C'est ce qui est arrivé d'abord dans le paradis. « Le péché m'a séduit en prenant occasion du commandement ». Remarque le langage insinuant du serpent à la femme. Il lui demande ce que Dieu leur a prescrit. « Dieu nous a dit, répond-elle : Vous mangerez de tous les arbres qui sont dans le paradis, mais vous ne toucherez pas à l'arbre de la science du bien et du mal; autrement, vous mourrez de mort ». Tel est le précepte divin. Le serpent, au contraire : « Non, » dit-il, « vous ne mourrez pas de mort. Car Dieu savait que le jour où vous mangerez du fruit de cet arbre, vos yeux s'ouvriront et vous serez comme des dieux (3) ». — Ainsi, « prenant occasion du commandement, le péché m'a trompé, et par lui m'a tué ». Ton ennemi t'a mis à mort avec l'épée que tu portais; avec tes propres armes il t'a vaincu, avec elles il t'a égorgé. Reprends en main ce commandement, et sache que c'est une arme pour ôter la vie à ton ennemi et non pour être abattu par lui. Mais garde-toi de présumer de tes forces. Vois le petit David en face de

 

1. Prov. X, 26. — 2. Ps. XL, 5. — 3. Gen. III, 2-5.

 

Goliath, l'enfant en face du géant. Cet enfant se confie au nom du Seigneur. « Tu viens à moi, dit-il, avec le bouclier et la lance; pour moi je t'aborde au nom du Seigneur tout-puissant (1) ». Voilà, voilà par quel moyen il renverse ce colosse, il n'en triomphe pas autrement, et cet homme qui s'appuie sur sa force tombe avant même de combattre.

12. Remarquez cependant, mes bien-aimés, remarquez de plus en plus que l'apôtre Paul, pour condamner l'aveuglement des Manichéens, fait l'éloge le plus manifeste de la loi divine. Il ajoute en effet : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ». Que se peut-il ajouter à cet éloge? Par ce mot : « Loin de là», saint Paul avait précédemment repoussé une accusation, mais sans louer la loi; autre chose effectivement est de réfuter un reproche et autre chose de décerner des louanges méritées. Voici le reproche : « Que dirons-nous donc? La loi  péché? » En voici la réfutation : « Loin de là ». Ce seul mot suffit pour soutenir la vérité, attendu la grande autorité du défenseur. Pourquoi en dirait-il davantage? C'est assez de prononcer : « Loin de là ! » — « Voulez-vous, dit-il ailleurs, faire l'expérience de Celui qui parle en moi, du Christ (2) ? » Il fait maintenant davantage : « Ainsi la loi est sainte, et le commandement saint, juste et bon ».

13. « Ce qui est bon est donc devenu pour moi la mort? Loin de là » ; car ce qui est bon n'est pas la même chose que la mort. « Mais le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, opéré pour moi la mort». Ce n'est pas la loi, c'est le péché qui est la mort. Il avait dit précédemment : « Sans la loi le péché est mort » ; et je vous faisais observer que le péché mort signifiait ici le péché caché, le péché inconnu. Avec quelle exactitude dit-il maintenant, au contraire : « Le péché, pour se montrer péché ! » Comment, « pour se montrer péché?» C'est que j'ignorerais la concupiscence, si la loi ne disait : « Tu ne convoiteras point ». Nous ne lisons pas . Je ne ressentirais point la concupiscence, mais : « J'ignorerais la concupiscence ». Ici également nous ne lisons pas : Le péché pour exister, mais : « Le péché, pour se montrer péché, a, par ce qui est bon, opéré pour moi la mort ». Quelle mort? De sorte que c'est

 

1. I Rois, XVII, 45. — 2. II Cor. XIII, 3.

 

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pécher au-delà de toute mesure, puisque c'est pécher par le commandement même». Remarquez : « C'est pécher au-delà de toute mesure ». Pourquoi « au-delà de toute mesure ? » Parce que c'est ajouter la prévarication au péché, « la prévarication n'existant pas, quand il n'y a point de loi (1) ».

14. Aussi considérez, mes frères, considérez que le genre humain prend sa source dans cette première mort du premier homme, car c'est par le premier homme que « le péché est entré dans ce monde, et par le péché la mort qui a passé à tous les hommes (2) ». Remarquez bien cette expression : « qui a passé »; examinez-en le sens avec attention. « La mort a passé à tous les hommes » ; voilà ce qui rend coupable le petit enfant : il n'a point commis, mais il a contracté le péché. Le premier péché, effectivement, ne s'est pas arrêté à sa source, « il a passé », non pas à celui-ci ou à celui-là, mais « à tous les hommes ». Le premier pécheur, le premier prévaricateur a engendré des pécheurs condamnés à mort. Le Sauveur pour les guérir est né d'une Vierge. Il n'est donc pas venu à toi par le chemin que tu as suivi, puisqu'il n'est pas né de l'union

 

1. Rom. IV, 15. — 2. Ib. V, 12.

 

des sexes, de l'esclavage de la concupiscence. « L'Esprit-Saint surviendra en toi », fut-il dit à la Vierge. Il lui fut dit avec toute la chaleur de la foi et non avec les ardeurs de la convoitise charnelle : « L'Esprit-Saint surviendra en toi, et la vertu du Très-Haut te couvrira de son ombre (1) ». Comment, sous un tel ombrage , brûler des flammes de la passion? Eh bien ! c'est précisément parce qu'il n'est pas venu dans ce monde par la même route que toi, que le Sauveur te peut délivrer. En quel état t'a-t-il trouvé? Tu étais vendu comme esclave au péché, frappé de la même mort que le premier homme, enveloppé dans son péché et coupable avant d'avoir ton libre arbitre. Voilà en quelle situation ton Rédempteur t'a trouvé quand tu étais tout petit encore. Mais aujourd'hui tu n'es plus enfant; tu as grandi, tu as ajouté de nombreux péchés au premier péché ; la loi t'a été donnée et tu es devenu prévaricateur.

Prends garde pourtant au découragement Où le péché a abondé, a surabondé la grâce (2) ».

Tournons-nous vers le Seigneur, etc. (Voir tom. VI, serm. I.)

 

1. Luc, I, 35. — 2. Rom. V, 20.

 

 

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