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SERMON CLXXX. DU SERMENT (1).

 

ANALYSE. — Deux questions sur ce grave sujet que le saint Docteur n'a pas osé traiter encore. I. Pourquoi le serment est-il interdit par saint Jacques et par Notre-Seigneur? Premièrement c'est que le serment expose l'homme au parjure; secondement c'est que le parjure est un crime énorme qui donne la mort à l'âme. Aussi , II. Que faut-il faire pour se corriger de l'habitude de jurer? Premièrement il faut s'y appliquer de toutes ses forces, par-dessus tout, dit saint Jacques, et on peut réussir, saint Augustin en est une preuve. On doit secondement s'abstenir de demander le serment, à moins, bien entendu, d'une nécessité spéciale et extraordinaire. Il faut troisièmement ne jurer pas même par les faux dieux, ce qui serait un scandale. Quatrièmement enfin, il suffit pour se délivrer de cette coutume funeste, d'y résister sérieusement pendant trois jours.

 

1. La première leçon de l'apôtre saint Jacques qui nous a été lue aujourd'hui, demande à être examinée; c'est pour ainsi dire une obligation qui nous est imposée. Ce qui principalement vous y a frappés, c'est qu'avant tout vous ne devez pas jurer; mais c'est une question difficile à traiter. S'il est réellement défendu de jurer, qui n'est coupable? Que le parjure soit un péché et un péché énorme, nul n'en doute. Mais dans le passage que nous étudions l'Apôtre ne dit pas: « Avant tout », mes frères, gardez-vous de vous parjurer, mais « gardez-vous de jurer ». Déjà Notre-Seigneur Jésus-Christ lui-même avait fait dans l'Evangile une recommandation semblable. « Vous savez, y dit-il, qu'il a été dit aux anciens: Tu ne te parjureras pas; pour moi je vous le dis : Ne jurez ni par le ciel, car il est le trône de Dieu; ni par la terre, car elle est l'escabeau de ses pieds; tu ne jureras pas non plus par ta tête, parce que tu ne peux rendre un seul de tes cheveux blanc ou noir. Que votre langage soit: Oui, oui; non, non; car ce qui est de plus vient du mal (2) ». Le texte précité de l'Apôtre est si conforme à cet avertissement du Seigneur, que c'est évidemment le même ordre donné par Dieu. Aussi l'auteur

 

1. Jacq. V,12. — 2. Matt. V, 33-37.

 

de la recommandation évangélique n'est-il pas différent de celui qui a dit par l'organe de l'Apôtre: « Avant tout, mes frères, ne jurez ni par le ciel ni par la terre, et ne faites aucun autre serment que ce soit. Que votre langage soit: Oui, oui; non, non ». Il n’y a ici de différence que ces mots: « Avant tout », ajoutés par l'Apôtre. C'est ce qui vous a si vivement frappés, c'est aussi ce qui accroît la difficulté de la question.

2. Il est sûr en effet que les saints ont juré et que Dieu même, en qui ne se trouve absolument aucun péché, a juré le premier: « Le Seigneur l'a juré et il ne s'en repentira point, vous êtes prêtre pour l'éternité selon l'ordre de Melchisédech (1) ». Ainsi a-t-il promis avec serment, à son Fils, l'éternité du sacerdoce, Nous lisons encore : « Je jure par moi-même, dit le Seigneur (2)» ; et cet autre serment: « Je vis, dit le Seigneur (3) ». De même donc que l'homme jure par Dieu, ainsi Dieu jure par lui-même. Ne s'ensuit-il pas qu'il n'y a point de péché à jurer ? Comment soutenir que c'est un péché, puisque Dieu a juré? Ne serait-ce.pas un affreux blasphème ?Dieu est sans péché, et il jure ; il n'y a donc pas de crime à jurer, mais plutôt à se parjurer?

 

1. Ps. CIX, 4. — 2. Gen. XXII, 16. — 3. Nomb. XIV, 28.

 

133

 

Peut-être pourrait-on répondre qu'en fait de serment il ne faut pas prendre modèle sur le Seigneur notre Dieu ; car dès qu'il est Dieu ne saurait se parjurer, et à lui seul par conséquent il est permis de jurer. Quand les hommes font-ils de faux serments ? Quand ils se trompent ou sont trompés. En effet, ou on croit vrai ce qui est faux, et on jure témérairement ; ou bien on voit, on soupçonne au moins la fausseté d'une chose et on l'affirme avec serment comme étant vraie ; le serment est alors un crime. Entre ces deux faux serments il y a donc une différence. Voyons d'abord l'homme qui croit vrai ce qu'il affirme; il le croit vrai, mais la chose est fausse. Cet homme ne fait pas un parjure volontaire ; il est trompé en prenant pour vrai ce qui est faux, il ne fait pas volontairement un serment faux. Voyons ensuite celui qui connaît la fausseté et qui la soutient comme une vérité; oui, il affirme avec serment ce qu'il sait être faux. N'est-ce pas un monstre exécrable qu'il faut bannir de la société humaine ? Qui aime une telle conduite ? Qui ne l'abhorre ? On peut faire une troisième supposition. Un homme croit une chose fausse et il l'affirme comme vraie, mais il se trouve que réellement elle est vraie. Ainsi, par exemple et pour plus de clarté, tu lui demandes : A-t-il plu en cet endroit ? Il croit qu'il n'y a pas plu , mais il a intérêt à dire qu'il y a plu ; et quoiqu'il pense le contraire, quand on lui demande

Y a-t-il plu réellement ? Oui, répond-il, et il jure. Il est vrai qu'il y a plu, mais il l'ignore, il croit même le contraire; il est donc parjure; tant l'intention influe sur le caractère de la parole ! La langue n'est pas coupable si l'âme ne l’est d'abord.

Quel est, hélas ! celui qui ne se trompe, tout en cherchant à ne tromper pas ? Quel est l'homme inaccessible toujours à l'erreur ? Et pourtant on ne cesse de jurer, les serments se multiplient,ils sont souvent en plus grand nombre que les simples paroles. Ah ! si on examinait combien de fois on jure dans un jour, combien de fois on se blesse, combien de fois on se frappe et on se perce du dard de sa langue, quelle partie de soi-même trouverait-on exempte de meurtrissures? Ainsi donc, parce que le parjure est un crime énorme, l'Ecriture t'a indiqué le plus court chemin pour y échapper ; c'est de ne jurer pas.

3. Que te dirai-je encore, mon ami ? De jurer selon la vérité ? Sans doute, sans doute, en jurant selon la vérité, tu ne pèches pas, non. Mais tu es homme, tu vis au milieu des tentations, enveloppé dans la chair; tu es poussière foulant la poussière, pendant que ce corps qui se corrompt appesantit l'âme, pendant que cette maison de boue abat l'esprit rempli de tant de soucis (1). Or, au milieu de tant de pensées incertaines et frivoles, de vaines conjectures et d'humaines perfidies, comment n'être pas séduit par ce qui est faux dans la région même de la fausseté ? Veux-tu donc t'éloigner du parjure ? Garde-toi de jurer. On peut en jurant jurer quelquefois selon la vérité ; mais il est impossible en ne jurant pas d'affirmer le mensonge avec serment. C'est à Dieu de jurer; car il jure sans danger, car rien ne le trompe et il n'ignore rien, et étant incapable d'être trompé, il ne sait non plus tromper personne. Quand il jure, c'est lui-même qu'il prend pour témoin. De même qu'en jurant tu invoques son témoignage, ainsi quand il jure, lui-même en appelle à lui-même. Mais toi, en le prenant à témoin, pour attester peut-être un mensonge, tu fais intervenir en vain le nom du Seigneur ton Dieu (2). Afin donc de ne te point parjurer, ne jure pas. Le parjure est un précipice dont le jurement est comme le bord ; d'où il suit qu'en jurant on en approche et qu'on s'en éloigne en ne jurant pas. On pèche et on pèche gravement en jurant faux ;on ne pèche pas en jurant vrai, mais on ne pèche pas non plus en ne jurant pas du tout. Toutefois en ne péchant pas pour ne pas jurer, on reste éloigné du péché ; tandis qu'on s'en approche en ne péchant pas pour jurer vrai. Suppose que tu marches en un endroit où tu as, à droite, une plaine immense et sans écueil, et à gauche un abîme. De quel côté préfères-tu te porter ? Est-ce sur le bord ou loin de l'abîme ? Tu t'en éloigneras sans doute. C'est ainsi qu'en jurant on marche sur le bord du précipice, et l'on est d'autant plus exposé à y tomber qu'étant homme on n'a pas le pied ferme. Heurte-toi ou viens à glisser, tu tombes dans cet abîme. Et pour y rencontrer quoi ? Le châtiment dû aux parjures. Tu voulais ne jurer que selon la vérité, écoute plutôt le conseil de Dieu, et ne jure pas.

4. Pourtant, si le serment était un péché,

 

1. Sag. IX, 15. — 2. Exod. XX, 7.

 

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l'ancienne loi même ne dirait point: « Tu ne te parjureras point, mais tu accompliras le serment fait par toi au Seigneur (1) ». Nous y serait-il commandé d'accomplir un péché ? — Il est vrai, Dieu te dit: Si tu jures, c'est-à-dire, si tu jures vrai, je ne te condamnerai point. Mais te condamnerai-je si tu ne jures pas? Il est, poursuit-il, deux choses que je ne condamnerai jamais : jurer vrai et ne jurer pas, tandis que je réprouve le faux serment. Le faux serment est désastreux, le serment vrai est dangereux ; on ne court aucun péril en ne jurant pas.

Je savais que cette question est difficile, et j'en fais l'aveu devant votre charité , toujours j'ai évité de la traiter. Mais puisque aujourd'hui Dimanche, on a lu comme sujet du discours que je vous dois adresser, le passage où il en est fait mention, j'ai cru que le ciel même m'inspirait de vous en entretenir. Si donc Dieu veut que je vous en parle, il veut aussi que vous m'écoutiez sur ce point. Je vous en conjure, ne dédaignez pas ce sujet, comprimez la mobilité de vos pensées, retenez l'activité de vos langues. Non, non, ce n'est pas sans raison qu'après avoir cherché toujours à échapper à cette question, je me sens aujourd'hui contraint de l'aborder et d'en occuper votre charité.

5. Ce qui doit vous convaincre encore que le serment conforme à la vérité n'est pas un péché, c'est que l'apôtre Paul sûrement a juré. « Chaque jour, mes frères, je meurs, par la gloire que je reçois de vous en Jésus-Christ Notre-Seigneur (2) ». Ces mots par la gloire, sont une formule de serment. « Je meurs; par la gloire que je reçois de vous », ne signifie donc,pas que cette gloire me fait mourir. On dit bien: Un tel est mort par le poison, il est mort par l'épée, il est mort par une bête, il a été tué par son ennemi, c'est-à-dire sous les coups de son ennemi, parle moyen de l'épée, du poison ou par tout autre moyen. Ce n'est pas dans ce sens que l'Apôtre s'écrie : « Je meurs, par la gloire que je reçois de vous». Le texte grec ne permet aucune équivoque. Il suffit de le lire pour y découvrir une formule authentique de serment. En umeteran laukheste, y est-il dit. En ton Teon est un serment pour le grec; vous qui chaque jour entendez des Grecs et qui savez le grec, vous en êtes convaincus, et

 

1. Lévit. XIX, 12. — 2. I Cor. XV, 3.

 

 

ces expressions signifient: Par Dieu. Aussi personne ne doute que l'Apôtre n'ait juré en prononçant ces mots. « Par la gloire que je reçois de vous » ; mais ce n'est pas une gloire humaine. Aussi ajoute-t-il: « En Jésus-Christ Notre-Seigneur ». Il fait ailleurs encore un serment aussi certain que formel: « Je prends Dieu à témoin sur mon âme, dit-il; je prends Dieu à témoin sur mon âme, que c'est pour vous épargner que je ne suis pas encore venu à Corinthe (1) ». Ailleurs encore, écrivant au Galates : « En vous écrivant ceci, dit-il, voici, devant Dieu, que je ne mens pas (2) ».

6. Appliquez-vous, je vous en prie, et suivez avec attention. Si mes paroles ne vous frappent pas assez vivement, attribuez-le aux difficultés du sujet; vous en profiterez toutefois si vous savez vous en pénétrer. L'Apôtre donc a juré. Ah ! ne vous laissez pas égarer par ces esprits qui pour distinguer ou plutôt pour ne comprendre pas les formules de serment, répètent que ce n'en est pas de dire: Dieu sait, Dieu est témoin, j'en appelle à Dieu par mon âme que je dis la vérité. Il a invoqué Dieu, objectent-ils, il l'a cité comme témoin: était-ce jurer? Ce langage prouve qu'eux-mêmes, en en appelant au témoignage de Dieu, n'ont en vue que de mentir. Mais quoi donc, ô coeur pervers et dépravé, c'est jurer que de dire; Par Dieu ; et ce n'est pas jurer de prononcer ces mots : Dieu m'est témoin ? Eh ! Par Dieu ne signifie-t-il pas. Dieu m'est témoin? Dieu m'est témoin exprime-t-il autre chose que; Par Dieu ?

7. Que veut dire jurer, jurare, sinon rendre ce qui est dû, jus, à Dieu, quand on jure par Dieu ; à son salut, quand on jure par son salut ; et à ses enfants, quand on jure par eux? Maintenant, que devons-nous à notre salut, à nos enfants, à notre Dieu, sinon vérité, charité et non pas mensonge ? Il y a surtout serment véritable, lorsqu'on en appelle à Dieu; de plus, lorsqu'on dit : Par mon salut, on le remet entre les mains de Dieu, comme en jurant par ses enfants on les dévoue à Dieu afin qu'il fasse, retomber sur leur tête ce que fon dit, la vérité, si c'est la vérité, et la fausseté, si c'est elle. Or, si en jurant par ses enfants, par sa tête ou par son salut, on engage à Dieu tout cela ; ne le fait-on pas beaucoup plus lorsqu'on ose dans un parjure faire intervenir

 

1. II Cor, I, 23. — 2. Gal. I, 20.

 

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Dieu lui-même? On craindrait de se parjurer au nom d'un fils, et on ose se parjurer au nom de son Dieu ? Dirait-on intérieurement Je crains que mon fils ne meure, si par lui je fais un faux serment ; mais Dieu ne meurt pas; que craindre donc pour lui en jurant faux par lui ? Sans doute, Dieu ne perd rien, si tu jures faux par lui ; c'est toi qui perds beaucoup en prenant Dieu à témoin pour tromper ton frère. Supposition : Tu fais quelque chose en présence de ton fils, puis tu dis à un ami, à un parent ou à tout autre: Je ne l'ai pas fait; tu vas même jusqu'à mettre la main sur la tête de ce fils que tu as eu pour témoin et jusqu'à dire: Par son salut, je ne l'ai pas fait. Tout tremblant sous la main de son père sans la craindre néanmoins, mais redoutant la main divine, ce fils ne s'écrierait-il point : Non, non, mon père, ne fais pas si peu de cas de mon salut ; tu as invoqué sur moi le témoignage de Dieu, je t'ai vu, tu as fait ce que tu nies, abstiens-toi du parjure ; il est vrai, tu es mon père, mais je crains davantage mon Créateur et le tien ?

8. Toutefois, quand tu en appelles au témoignage de Dieu, Dieu ne te dit pas : Je t'ai vu, ne jure pas, tu l'as fait; et pourtant tu redoutes qu'il ne te donne la mort. Mais c'est toi qui te la donnes auparavant. De ce qu'il ne dit pas : Je t'ai vu, conclurais tu que tu t'es dérobé à ses regards? Eh! n'est-ce pas lui qui s'écrie : « Je me suis tu, je me suis tu ; me tairai-je toujours (1) ? » D'ailleurs ne dit-il pas souvent Je t'ai vu? ne le dit-il pas en punissant le parjure? Il est vrai, il ne frappe pas tous les parjures, et c'est pourquoi ce crime se propage.

J'en suis sûr, dit-on, un tel m'a fait un faux serment, et il vit. — Il t'a fait un faux serment, et il vit? — Oui, il a fait un faux serment, et il vit; assurément il a juré faux. — Tu te trompes. Ah ! si tu avais des yeux pour constater comme il est mort ; si tu comprenais ce que c'est qu'être mort et ce que c'est que ne l’être pas, tu saurais qu'il l'est réellement. Rappelle-toi seulement l'Ecriture, et tu seras convaincu que loin d'être vivant comme tu te l'imagines, ce parjure est mort. Parce que ses pieds marchent, parce que ses mains touchent, que ses yeux voient, que ses oreilles entendent et que ses autres organes remplissent suffisamment

 

1 Isaïe, XLII, 14.

 

leurs fonctions, tu crois cet homme vivant. C'est son corps qui est vivant; quant à son âme, quant à cette portion meilleure de lui-même, elle est morte. La maison est vivante, celui qui l'occupe est mort. — Comment, répliqueras-tu, l'âme est-elle morte, quoique le corps soit vivant? Le corps aurait-il la vie si l'âme ne la lui communiquait ? Comment peut être morte cette âme qui fait vivre le corps ? — Ecoute, voici la doctrine.

Le corps de l'homme est l'oeuvre de Dieu, et l'âme également son oeuvre. C'est par l'âme que Dieu fait vivre le corps, et l'âme il la fait vivre, non par elle, mais par lui. Il s'ensuit que l'âme est la vie du corps, et Dieu la vie de l'âme. Le corps meurt quand l'âme le quitte; l'âme meurt à son tour, lorsque Dieu s'en sépare. L'âme quitte le corps si ce dernier reçoit un coup d'épée; et Dieu ne quitterait point l'âme quand elle est blessée par le parjure? Veux-tu constater que le coupable dont tu parles est vraiment mort? Lis ce passage de l'Ecriture : « La bouche qui ment donne la mort à l'âme (1) ». Tu croirais que Dieu voit et punit le parjure, si celui qui vient de te tromper par un faux serment expirait tout à coup. S'il expirait sous tes yeux, c'est son corps qui expirerait. Qu'est-ce à dire ? C'est son corps qui rejetterait le souffle qui l'anime. Expirer, en effet, c'est rejeter le souffle qui fait vivre le corps. Mais en se parjurant, il a repoussé le souffle ou l'esprit qui faisait la vie de son âme. Il est donc mort, mais à ton insu; il este mort, mais tu ne le vois pas. Tu vois bien un cadavre étendu sans son âme ; tu ne saurais voir une âme infortunée privée de son Dieu. Crois-le donc, appelles-en au regard de la foi. Non, aucun parjure ne reste impuni, aucun; il porte son châtiment avec lui. Il serait puni sans doute, si dans sa propre demeure un bourreau lui torturait le corps; le bourreau de sa conscience est au fond de son coeur et on dira encore que son crime est impuni?

Que dis-tu, néanmoins? — Cet homme m'a fait un faux serment, et pourtant il vit, il est dans la joie, dans les plaisirs; pourquoi me parler de ce qui est invisible? — Parce que Dieu, invoqué par lui, est invisible lui-même. Il a juré par l'Etre invisible, il est frappé d'une invisible peine. — Mais, il vit, reprends-tu encore, il est même tout frémissant et tout

 

1. Sag. I, 11.

 

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bouillant au milieu des plaisirs. — Si tu dis vrai, ces mouvements qui l'agitent et qui l'échauffent, sont comme les vers qui rongent son âme morte. Aussi tout homme prudent, dont le flair intérieur est resté pur, se détourne de ces parjures qui vivent dans les délices ; il ne veut ni les voir ni les entendre. Pourquoi cette aversion, sinon parce que l'âme morte exhale une odeur infecte?

9. Maintenant, mes frères, voici en peu de mots la conclusion de ce discours; puissé-je vous mettre au coeur une salutaire sollicitude ! « Avant tout gardez-vous de jurer ». Pourquoi « avant tout? » C'est un crime énorme de se parjurer, mais il n'y a point de faute à jurer vrai; pourquoi donc dire : «Avant tout, gardez-vous de jurer ? » L'Apôtre devait dire: Avant tout, gardez-vous d'être parjures; mais non: «Avant tout, gardez-vous de jurer », dit-il. Est-ce plus de mal de jurer que de dérober? de jurer que d'être adultère? Je ne parle pas de jurer faux, mais simplement de jurer; or, est-ce plus de mal de jurer que de tuer un homme? Lourde nous cette idée. Il y a péché à tuer, à commettre l'adultère, à dérober; ce n'est pas un péché de jurer, mais c'en est un de jurer faux. Pourquoi donc « Avant tout ? » C'est pour nous tenir en garde contre notre langue. « Avant tout » signifie Soyez singulièrement attentifs, veillez avec soin pour ne contracter pas l'habitude de jurer. Tu dois être en quelque sorte en sentinelle contre toi-même : « Avant tout », te voilà, pour t'observer, élevé au-dessus de tout. C'est que l'Apôtre sait combien tu jures. Par Dieu, par le Christ, je le tue; combien de fois parles-tu ainsi dans un jour, dans une heure ? Tu n'ouvres guère la bouche que pour ces sortes de serments. Et tu ne voudrais pas que l'on dît: « Avant tout », afin de te rendre tout à fait attentif sur cette habitude funeste; afin de te porter à examiner tout ce qui te concerne, de te mettre sérieusement en garde contre tous les mouvements de ta langue, de te tenir en éveil et de te faire réprimer cette habitude détestable? Prête donc l'oreille à ces mots: « Avant tout ». Tu étais endormi ; je te frappe en disant: « Avant tout », je te frappé avec des épines. A quoi donc t'invite « Avant tout? » A veiller avant tout, à être avant tout attentif.

10. Nous aussi nous avons, Hélas ! juré souvent; nous avons eu cette hideuse et meurtrière habitude. Mais je le déclare devant votre charité, depuis que nous nous sommes mis au service de Dieu, et que nous avons compris l'énormité du parjure , nous nous sommes senti saisi de crainte, et cette crainte profonde nous a aidé à réprimer cette fatale habitude. Une fois réprimée, elle perd de sa force, tombe en langueur, puis elle expire pour être remplacée par une bonne.

Toutefois nous ne voulons point dire que nous ne jurons jamais; ce serait mentir. Pour mon propre compte, je jure; mais seulement, je le crois, lorsque j'y suis contraint par une nécessité sérieuse. Ainsi je remarque qu'on ne me croit pas si je ne fais serment, et qu'on perd beaucoup à ne pas me croire : c'est une raison que je pèse, une circonstance que j'examine avec soin ; puis, pénétré d'une crainte profonde, je dis : Devant Dieu, ou bien : Dieu m'est témoin ; ou encore : Le Christ sait que je parle sincèrement. Je comprends que c'est plus .que de dire : « Oui, oui, non, non » ; et que « ce plus vient du mal » ; mais ce n'est pas du mal de celui qui jure, c'est du mal de celui qui ne croit pas. Aussi le Seigneur ne dit-il pas que celui qui fait plus est coupable; il ne dit pas : Que votre langage soit : oui, oui, non, non; dire plus, c'est être mauvais; il dit : « Que votre langage soit : oui, oui, non, non; ce qui est de plus vient du mal (1) ». A toi de chercher du mal de qui ?

Ce n'est pas, hélas ! ce que présentent les moeurs détestables des hommes. On te croit, et tu jures ; on n'exige pas ton serment, et lu le fais ; tu le fais devant ceux mêmes qui en ont horreur; tu ne cesses de jurer, n'es-tu pas coupable de quelque parjure ? Vous imagineriez-vous donc, mes Frères, que si l'apôtre Paul avait su que les Galates eussent ajouté foi à ses paroles, il leur aurait dit avec serment: « Quant à ce que je vous écris, voici, devant Dieu, que je ne ments pas (2)? » Mais s'il en voyait parmi eux qui croyaient, il en voyait d'autres qui ne croyaient pas. Toi donc aussi ne refuse pas le serment lorsqu'il est nécessaire. Il vient du mal sans doute, mais du mal de celui qui l'exige; car il est pour toi un moyen indispensable, soit de te justifier, soit d'accomplir un autre devoir pressant. N'oublie pas d'ailleurs qu'il est bien différent de se voir imposer le serment ou de l'offrir soi-

 

1. Matt. V, 37. — 2. Gal. I, 20.

 

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même, et quand on l'offre, de l'offrir à qui ne te croit pas et de l'offrir légèrement à qui te croit.

11. Réprime donc de toutes tes forces et ta langue et cette habitude funeste. N'imite pas ces hommes qui répondent, quand on leur parle : Tu dis vrai ? je n'en crois rien ; tu n'as pas fait cela? je ne le crois pas; que Dieu soit juge, prête-moi serment. De plus, quand on exige ainsi le serment , il y a encore une énorme différence entre savoir ou ne savoir pas que celui qui le prête fera un serment faux. Si on l'ignore et que pour croire cet homme on lui dise : Jure; je n'ose affirmer qu'il n'y a pas péché, mais c'est sûrement une occasion de péché. Si au contraire on est sûr que quelqu'un a fait ce qu'il nie, si on l'a vu le faire et qu'on le contraigne à jurer, on est homicide. Le parjure se donne lui-même la mort; mais celui qui le contraint de jurer lui saisit la main et la pousse contre lui. Arrive-t-il qu'un larron consommé est invité par un homme qui ignore s'il est coupable, de jurer qu'il n'a pas dérobé, qu'il n'a pas fait le crime dont il s'agit? Un chrétien ne peut jurer, répond-il; il ne lui est pas permis de prêter serment quand on le lui demande; or, je suis chrétien, je ne puis donc jurer. Use alors d'adresse avec lui, change de propos, cesse de parler de l'affaire sur laquelle tu le questionnais; parle-lui de différentes bagatelles, et tu le surprendras jurant des milliers de fois, lui qui fa refusé de jurer une seule fois. Ah ! mes frères, cette coutume affreuse de jurer sans motif, sans que personne l'exige, sans que nul ne révoque en doute tes paroles, de jurer chaque jour et si souvent chaque jour, extirpez-la du milieu de vous, qu'elle ne se retrouve plus jamais ni sur vos langues ni sur vos lèvres.

12. Mais c'est une habitude, dit-on; c'est une habitude qu'on suivra, lors même que je m'y soustrairais. N'est-ce pas pour cela que l'Apôtre disait : « Avant tout? — Avant tout », qu'est-ce à dire ? Prends ici tes précautions par-dessus toutes choses ; applique-toi à ce devoir plus qu'aux autres. Une habitude invétérée demande plus d'efforts qu'une habitude légère. S'il s'agissait d'ouvrages manuels, il serait bien facile de commander à ta main de n'agir pas; s'il fallait marcher, tu pourrais aisément, malgré les réclamations de la paresse, te déterminer à te lever et à te mettre en route. Mais la langue a le mouvement si facile ! dans un endroit toujours humecté, elle y glisse si aisément ! Aussi plus ses mouvements sont aisés et rapides, plus tu dois te montrer ferme. Pour la dompter, il te faut -veiller; pour veiller, il te faut craindre; et pour craindre, songer que tu es chrétien. Le parjure est un si grand mal, que ceux mêmes qui adorent les pierres redoutent de prêter devant elles un faux serment. Et toi, tu ne crains pas ce Dieu qui partout est présent, ce Dieu vivant qui sait tout, qui subsiste éternellement et qui se venge de ses contempteurs? L'idolâtre en fermant son temple y laisse la pierre qu'il adore et rentre chez lui; il a donc enfermé son Dieu , et néanmoins quand on lui dit : Jure par Jupiter, il redoute son regard comme s'il était là.

13. Mais, je le déclare devant votre charité, en appeler à une pierre même pour un faux serment, c'est être parjure. Pourquoi cette observation? Parce que beaucoup sont ici dans l'illusion en croyant que jurer par ce qui n'est rien, c'est n'être pas coupable de parjure. N'es-tu point parjure en jurant faux par ce que tu crois saint? — Oui, mais je ne crois pas à la sainteté de cette pierre. — Et celui à qui tu jures y croit. Or, quand tu jures, ce n'est ni pour toi, ni pour la pierre, mais pour ton prochain. C'est donc à un homme que tu fais serment devant cette pierre; mais Dieu n'est-il pas là? Si la pierre ne t'entend pas parler, Dieu te punit pour chercher à tromper.

14. Avant tout donc, mes frères, je vous conjure de faire en sorte que ce ne soit pas inutilement que Dieu m'a pressé de vous entretenir de ce sujet. Je vous l'avoue de nouveau devant lui : j'ai souvent évité d'aborder cette question; je craignais de rendre plus coupables ceux qui ne se rendraient ni à mes avertissements ni aux ordres de Dieu; j'ai craint davantage aujourd'hui de résister à l'obligation de parler. Serais-je d'ailleurs trop peu récompensé de mes sueurs présentes, si tous ceux qui m'ont applaudi criaient en même temps contre eux-mêmes et s'engageaient à ne plus. se nuire en jurant faux; si tant d'hommes qui m'ont prêté l'attention la plus parfaite, se montraient désormais attentifs contre eux-mêmes; s'ils se prêchaient, une fois rentrés dans leurs foyers et lorsque par mégarde ils se seront laissés aller à une de ces paroles qui leur sont trop ordinaires; si l'on se répétait (138) l'un à l'autre : Voilà ce qu'on nous a dit aujourd'hui, voilà le devoir qui nous oblige. Qu'on ne retombe pas aujourd'hui, surtout pendant le temps qui suivra immédiatement ce discours, qu'on ne retombe pas aujourd'hui, je parle par expérience, et demain on retombera moins facilement. Que si l'on ne retombe pas demain, on aura moins de peine à se surveiller, attendu qu'on sera aidé par l'effort de la veille. Trois jours suffisent pour guérir de cette maladie funeste. Oh ! comme nous serons heureux de ce résultat dont vous jouirez, car vous vous préparerez un bien immense en vous délivrant d'un aussi grand mal.

Tournons-nous avec un coeur pur, etc.

 

 

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