HOMÉLIE IV
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HOMÉLIE IV.

AU COMMENCEMENT ÉTAIT LE VERBE, ET LE VERBE ÉTAIT DIEU. (VERSET 1.)

 

ANALYSE.

 

1. Pourquoi, lorsque les antres évangélistes ont commencé l'histoire du Fils de Dieu par son incarnation, saint Jean se contente-t-il d'un mot sur ce sujet ? — Paul de Samosate, petit esprit qui rampe à terre.

2. Le Verbe, ce qu'il est.

3. Le saint Docteur réfute cette objection des hérétiques que le Fils est,appelé Theos, Dieu,sans article..

4 et 5. Jésus-Christ a souffert et est mort pour nous délivrer de l’idolâtrie. — Rendre à la créature le culte qui n'est dû qu'au Créateur, extrême injustice.— La foi et la doctrine inutile!: au salut, si la vie et les moeurs sont corrompues.— Eteindre promptement la colère. — Les hommes louent ou blâment, selon qu'ils aiment ou qu'ils haïssent : belle peinture d'un homme en colère.— Contre ceux qui observent scrupuleusement les heures et les temps.

 

1. Les maîtres ne chargent pas tout d'abord d'une infinité de connaissances les enfants qu'on leur donne à élever; ce n'est pas tout à la fois qu'ils leur donnent leurs instructions, mais peu à peu : ils leur répètent souvent les mêmes choses pour les inculquer plus facilement dans leur mémoire. ils se gardent bien de les effrayer au commencement par de trop longues leçons, qu'ils ne pourraient point retenir : ils craindraient qu'ils ne vinssent à se décourager et à s'endormir en présence du nombre et de la difficulté des matières qu'ils devraient s'assimiler. Je suivrai cet exemple et cette méthode, j'adoucirai votre travail, mes frères , je rendrai votre peine légère : peu à peu, et par petites portions, je vous distribuerai ce qu'on nous sert sur cette sainte table, et de cette manière je le ferai entrer dans votre esprit et dans votre coeur.

Voilà pourquoi je vais reprendre encore les paroles de mon texte ,non pour vous redire

les mêmes choses, mais pour suppléer à ce que j'ai omis. Commençons donc, rappelons les paroles que j'ai dites au commencement de mes discours : « Au commencement était

le Verbe, et le Verbe était avec Dieu ». Pourquoi les autres évangélistes, ayant commencé leur Evangile par l'Incarnation de Jésus-Christ (car saint Matthieu commence ainsi : « Le Livre de la génération de Jésus-Christ, Fils de David » ; saint Luc entre en matière par l'histoire de « Marie », et saint Marc rapporte presque les mêmes choses, commençant par l'histoire de Jean-Baptiste) ; pourquoi, dis-je, saint Jean se contente-t-il d'un mot sur ce sujet : « Et le Verbe s'est fait chair », et passant sous silence tout le reste, sa conception, son enfantement, sa croissance, son éducation, arrive-t-il aussitôt à sa génération éternelle? Vous m'en demandez la raison ? Je vais vous l'expliquer sur-le-champ.

Comme les autres évangélistes s'étaient [121] beaucoup étendus sur l'Incarnation. du Verbe, il. était à craindre que certains petits esprits, que ces âmes qui rampent à terre, ne s'arrêtassent à ces seuls dogmes, comme Paul de Samosate. Justement préoccupé d'arracher à ces basses pensées ceux qui seraient tentés d'y tomber, et voulant élever leurs regards vers le ciel, saint Jean a soin de commencer sa narration. par l'existence céleste et éternelle du Verbe. Saint Matthieu avait commencé son histoire parle roi Hérode ; saint Luc par Tibère-César; saint Marc par Jean-Baptiste ; saint Jean laisse là toutes ces choses, s'élève incontinent et au-dessus du temps, et au-dessus de tous les siècles, y fixe en quelque sorte l'esprit de ses auditeurs, et dit : « Au commencement il était » : il ne marque point de lieu où, l'on puisse s'arrêter et ne fixe point d'époque , comme font les autres évangélistes, qui nomment Hérode, Tibère et Jean-Baptiste. De plus, ce qui est infiniment admirable, après s'être élevé à la plus haute sublimité , il ne néglige pas de parler de l'Incarnation : et de même les évangélistes, qui en ont fait le récit, ne se sont point tus sur l'existence antérieure aux siècles, ce qui était juste, et ne pouvait être autrement, puisque c'est un seul et même Esprit qui les inspirait et les faisait parler : voilà pourquoi on voit tant d'accord, et une si belle harmonie dans ce qu'ils ont écrit.

Pour vous, mes chers frères, lorsque vous entendez nommer le « Verbe » , ne souffrez pas ceux qui le disent une créature, ni ceux qui s'imaginent qu'il est simplement la parole

car il y a plusieurs paroles, plusieurs ordres de Dieu, à quoi les anges mêmes obéissent, mais aucune de ces paroles n'est Dieu, elles sont toutes des prophéties et des commandements, et c'est ainsi que 1'Ecriture a coutume d'appeler les lois, les préceptes et les ordonnances que Dieu fait. Voilà pourquoi elle dit dés anges : « Vous êtes puissants et remplis de force, vous faites ce qu'il vous dit » (Ps. CII, 20) mais ce Verbe est une substance dans une hypostase, « ou une personne », qui émane du Père impassiblement. Voilà, je l'ai déjà dit; ce que saint Jean veut désigner par le nom de VERBE.

Comme donc ce mot : « Au commencement était le Verbe », montre l'éternité, de même celui-ci : « Le Verbe était au commencement avec Dieu », marque la coéternité. De peur qu'en entendant ces paroles : « Au commencement était le Verbe », tout en comprenant que le Fils est éternel, vous n'alliez vous imaginer que le Père soit plus vieux que lui, qu'il le précède de quelque intervalle, et que, par suite, vous n'attribuiez un commencement au Fils unique, l'évangéliste ajoute : « Il était au commencement avec Dieu » : ainsi le Fils est éternel comme le Père, car le Père n'a jamais été sans son Verbe, mais le Verbe a toujours été Dieu avec lui, dans sa propre hypostase.

Comment donc, direz-vous, s'il était avec Dieu, Jean a-t-il ajouté : « Il était dans le monde ?» (I, 10.) C'est parce qu'étant Dieu, il était avec Dieu, et dans le monde : soit le Père, soit le Fils, ni l'un ni l'autre n'est renfermé dans des bornes. En effet, « si sa grandeur n'a point de bornes » (Ps. CXLIV, 3) , et, « si sa sagesse n'en a point non plus » (Ps. CXLVI, 5), il est visible que sa substance n'a point un commencement temporel. Avez-vous entendu ces paroles : « Au commencent Dieu a fait le ciel et la terre? » Que concluez-vous de ce commencement? Certainement que l'un et l'autre ont été faits avant toutes les choses visibles :de même, lorsque vous entendez dire du Fils unique : « Au commencement il était », il faut que vous entendiez qu'il est avant tous les êtres intelligibles, et avant les siècles.

Que si quelqu'un dit: Et comment peut-il se faire qu'étant le Fils, il ne soit pas plus jeune que son Père, car celui qui est par quelqu'un est nécessairement moins ancien que celui par qui il est? nous répondrons que ce sont là des idées humaines; que celui qui peut former de pareilles questions est capable d'en faire encore de plus absurdes, et qu'on ne doit point même prêter l'oreille à de semblables discours; c'est de Dieu que nous vous parlons, et non de la nature humaine, sujette à ces nécessité, et aux conséquences de ces sortes de raisonnements ; mais toutefois, pour confirmer les faibles, nous allons vous donner une réponse.

2. Dites-nous donc : le rayon du soleil sortir de la substance du soleil, ou de quelqu'autre corps ; si nous n'avons pas perdu le sens et la raison, nous avouerons nécessairement qu'il sort de sa substance ; et cependant, quoique le rayon émane du soleil, nous ne dirons jamais qu'il est moins ancien que la substance du soleil , puisqu'on n'a jamais vu le soleil sans le rayon : que si, parmi les êtres visibles et sensibles, il s'en trouve qui, étant par un autre, [122] ne sont pas moins anciens que celui par qui ils sont, pourquoi ne le croyez-vous pas de même de la nature invisible et ineffable ? C'est la même chose ici, autant que la nature divine le comporte.

C'est aussi pour cette raison que saint Paul appelle ce même Fils d'un nom, par lequel il déclare tout à la fois, et qu'il émane du Père, et qu'il lui est coéternel. (Héb. 1, 3.) Quoi donc ! N'est-ce pas par lui que tous les siècles et le temps ont été faits? Il faut que tout homme, s'il n'est devenu fou, le confesse. Il n'y a donc point d'espace de temps entre le Fils et le Père. S'il n'y en a aucun, le Fils n'est donc pas moins ancien , il est coéternel : car « avant » et « après » sont des termes qui marquent le temps, qui le supposent. Or, Dieu est au-dessus des temps et des siècles.

Mais abrégeons : que si vous vous entêtez à soutenir que le Fils a un commencement, prenez garde que vous ne soyiez forcé, par la même raison, à donner aussi au Père un commencement : à la vérité plus ancien, mais qui pourtant sera toujours un commencement. En effet, répondez-moi : prescrire ainsi un terme et un commencement au Fils, et avancer, pousser au delà de ce commencement, n'est-ce pas dire que le Père existait auparavant? Certes, cela est visible. Dites-moi donc: de quel espace de temps le Père a-t-il la préexistence sur le Fils? Car, soit que vous le disiez court, soit que vous le disiez long, vous avez dès lors renfermé le Père sous un commencement. En effet, après avoir mesuré cet espace de temps, vous nous direz s'il est ou court ou long; mais une telle détermination serait impossible , s'il n'y avait des deux parts un commencement; il est donc vrai, qu'autant qu'il est en vous, vous avez donné un commencement au Père, et ainsi, selon vous, le Père même aura un commencement.

Par là, mes chers frères, vous pouvez parfaitement connaître la vérité de cette parole du Sauveur, et que ce qu'il dit est en tout et partout un témoignage de sa vertu et de sa sagesse : mais que dit-il? « Celui qui n'honore « pas le Fils, n'honore pas le Père (1) ». Je sais qu'il y a bien des gens qui ne comprennent pas ces choses. Voilà pourquoi nous évitons souvent d'agiter ces questions de raisonnement,

 

1. Ce passage ne se trouve point dans les Evangiles quant aux paroles, mais seulement quant au sens. Les Pères citent quelquefois de mémoire, s'attachant plus au sens qu'aux paroles.

 

 

 parce qu'elles ne sont pas à la portée du peuple, ou que, s'il y entend quelque chose, il n'y trouve rien d'assez solide ni d'assez inébranlable : car « les raisons des hommes sont sujettes à erreur, et leurs pensées sont trompeuses ». (Sag. IX, 14.)

Au reste, je voudrais bien demander à nos adversaires ce que signifient ces paroles du prophète : « Il n'y a point eu d'autre Dieu avant moi, et il n'y en aura point après moi ». (Isaïe, XLIII, 10, et XLV, 22.) Car si le Fils est moins ancien que le Père, comment le Père dit-il : « Il n'y en aura point après moi? » Nierez-vous donc la substance du Fils unique? Il faut, en effet, ou que vous en veniez jusqu'à cet excès d'impudence, ou que vous reconnaissiez et confessiez la divinité dans là propre hypostase du Père et du Fils. Mais comment ces paroles: « Tout a été fait par lui », sont-elles vraies? Si le temps est plus ancien que lui, comment ce qui est avant lui a-t-il été fait par lui? Ne voyez-vous pas maintenant, mes frères, dans quel abîme de témérité et d'impudence le raisonnement a jeté ces hérétiques pour s'être une fois écartés de la vérité?

Mais pourquoi l'Evangéliste n'à-t-il pas dit que le Fils a été fait de choses qui n'étaient point, comme saint Paul le déclare et l'assure de toutes choses, par ces paroles : « Qui a appelé ce qui n'est point comble ce qui est » (Rom. IV, 17), et pourquoi dit-il : « Au commencement était le Verbe », car ces paroles de saint Jean sont contraires à celles de saint Paul? A quoi je réponds que c'est avec justice et avec raison que l'Evangéliste s'explique ainsi, car Dieu n'est point fait, et il n'y a rien avant lui. Mais, disons-le, ces discours ne peuvent sortir que de la bouche des païens.

Répondez-moi sur ceci : Ne conviendrez-vous pas que le Créateur est incomparablement plus excellent que toutes lies créatures? Mais si ce qui est créé de rien lui  était. semblable, où se trouverait-elle alors cette excellence incomparable? Et de plus, comment expliquerez-vous ces paroles : « C'est moi qui suis le premier et le dernier » (Isaïe, XL1, 4), et : « Il n'y a point eu d'autre Dieu avant moi?» (Isaïe, XLIII,10.) Car si le Fils n'est pas consubstantiel au Père, il y a un autre Dieu :

 

1. Au lieu d'autois, que je trouve dans le texte qui est sous mes yeux , je ne puis m'empêcher de lire auto. Avec auto , le sens est clair, concordant et parfait, et le raisonnement concluant. Avec autois, il n'y a plus même de sens possible. (J.- B. J.)

 

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s'il ne lui est coéternel, il est après lui; et s'il n'est pas émané de sa substance, il est visible qu'il a été fait.

Que si les Ariens et les Anoméens nous répliquent que c'est par opposition aux idoles que le prophète a parlé de la sorte, « ou pour « distinguer d'elles le seul vrai Dieu», pourquoi n'accorderont-ils pas aussi que Dieu est dit seul vrai Dieu par opposition aux idoles? Que si, encore une fois, ces paroles ne sont là que pour marquer la différence qu'il y a entre Dieu et les idoles, comment expliqueront-ils tout le passage en entier? Car Isaïe dit : « Après moi il n'y a point d'autre Dieu». Par où il ne prétend point exclure le Fils de la Divinité, mais il veut seulement déclarer et enseigner ceci: « Il n'y a point d'idole-Dieu après moi », non que pour cela le Fils ne soit point Dieu. Soit, direz-vous. Mais quoi ! ces paroles : « Avant moi il n'y a point eu d'autre Dieu », les expliquerez-vous aussi en disant qu'à la vérité il n'y a point eu auparavant d'idole-Dieu, mais que néanmoins le Fils est antérieur ?

Et quel démon parlerait de la sorte? Non, je ne crois pas que le diable même l'osât; mais, en un mot, si le Fils n'est pas coéternel au Père, comment direz-vous que sa vie n'a point de fin? Car s'il a commencé, dût-il ne point finir, il ne sera pourtant pas immense l'immense doit être immense, et quant au commencement, et quant à la fin. Saint Paul l'a ainsi défini par ces paroles : « Il n'a ni commencement ni fin de sa vie ». (Héb. VII, 3.) En quoi l'Apôtre déclare que le Fils n'a point de commencement ni de fin. S'il est sans bornes de ce côté, il est sans bornes aussi de l'autre : il ne finira point, il n'a pas commencé.

3. Mais comment, étant la vie, y aurait-il eu un temps auquel il n'aurait point été? Il n'y a personne qui ne dise et ne confesse que la vie est toujours, qu'elle n'a ni commencement ni fin, et, par suite , le Fils qui est la vie : mais s'il a été un jour auquel il n'était point, comment celui qui un jour n'était point serait-il la vie des autres? Pourquoi donc, disent les hérétiques, Jean lui a-t-il donné un commencement, en disant: « Au commencement il était?» Quoi ! vous vous arrêtez à ce mot : « Au commencement » , et à celui-ci : « Il « était », et vous ne portez pas votre attention jusqu'à cet autre : « Le Verbe était? » Que répondrez-vous donc à ce que le prophète dit du Père: « Vous êtes (1), depuis le siècle, et jusque « dans le siècle ». (Ps. LXXXIX, 2.) Est-ce que par ces paroles il lui donne des bornes ? Point du tout, mais il déclare et il montre son éternité. Pensez de même de cet endroit de saint Jean : ce n'a point été pour le renfermer dans des bornes qu'il a usé de ces termes, car il n'a point dit : il a eu un commencement, mais : « Au commencement il était », vous portant à penser par ces paroles : « Il était», que le Fils est sans commencement.

Mais vous m'objecterez : le Père est appelé Dieu avec l'article, et le Fils sans article (2). N'est-il pas vrai que l'Apôtre, parlant du Fils de Dieu , dit : « Du grand Dieu , et notre Sauveur Jésus-Christ? » (Tit. II,13.) Il dit encore « Qui est Dieu », élevé « au-dessus de tout » (Rom. IX, 5) : je l'accorde; saint Paul, en ce dernier passage , nomme le Fils, sans ajouter l'article devant le mot Dieu; mais observez aussi qu'il fait de même à l'égard du Père, car, dans l'Epître qu'il écrit aux Philippiens, il parle également de lui sans mettre l'article « Qui ayant », dit-il, « la forme et la nature de Dieu, n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu ». (Philip. II, 6.) Et encore dans celle aux Romains : « Que Dieu notre Père, et Jésus-Christ Notre-Seigneur vous donnent la grâce et la paix ». (Rom. I, 7.) Sans compter qu'il eût été superflu de faire ici précéder l'article, lequel est répété plus haut dans plusieurs autres endroits. Quand l'Ecriture dit du Père : « Dieu est esprit» (Jean, IV, 24), quoique le mot « Esprit » ne soit pas précédé de l'article , nous ne contestons pourtant pas que Dieu soit incorporel : de même, dans l'endroit que vous alléguez, de ce qu'il n'y a point d'article avant le mot Dieu attribué au Fils, il ne s'ensuit pais que le Fils soit Dieu à un degré inférieur. Pourquoi? c'est que lorsqu'elle a dit : « Dieu », et « Dieu », elle ne nous a marqué aucune différence de Divinité, ou plutôt c'est parce qu'elle fait précisément tout le contraire. Car, ayant d'abord

 

1 « Vous êtes », sans y joindre « Dieu ». Tous nos exemplaires, les Septante le portent simplement ainsi : « Tu es », sans « Deus ». Ce qui est suivi par saint Augustin , par le Syriaque, et par les anciens psautiers latins, etc.

2. Cette objection des Ariens regarde ces premières paroles de l'Evangile de saint Jean : kai o logos en pros ton Theon, kai Theos en o logos, ton Theon avec l'article est dit du Père, kai Theos en, sans article est dit du Fils. De là les Ariens et les Anoméens concluaient et soutenaient que le Fils n'était pas Dieu comme le Père, qu'il ne lui était pas égal, et qu'il n'était pas proprement Dieu. le saint Docteur réfute cette objection par des exemples contraires, comme il est facile de le voir dans ce qui suit, etc.

 

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dit: « Et le Verbe était Dieu », de peur que quelqu'un ne pensât que la divinité du Fils n'était pas égale à celle du Père, elle produit et présente aussitôt des témoignages de sa vraie divinité, en déclarant son éternité par ces paroles: « Il était au commencement avec Dieu »; et encore : en lui attribuant la puissance de créer, et disant de lui : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui » : puissance que son Père donne partout par la bouche des prophètes pour être le plus grand et le plus visible témoignage de sa nature divine. Les prophètes reviennent souvent sur cette sorte de démonstration, et cela, non sans motif, parce qu'ils ont en vue l'abolition du culte des idoles. Car, « Périssent les dieux », dit Jérémie, « qui n'ont point fait le ciel et la terre » (Jérém. X,11) : et ailleurs : « C'est moi qui de ma main ai étendu le ciel ». (Is. XLIV, 24.) Le Père voulant donc montrer que c'est là une preuve visible et manifeste de sa divinité, la met partout, et partout il l'emploie : mais l'évangéliste, non content encore de ce qu'il a dit du Fils, l'appelle aussi « vie » et « lumière ».

Si donc le Fils a toujours été avec le Père, si tout a été fait par lui, si c'est lui qui maintient et conserve toute chose, car c'est ce que marque saint Jean, en disant qu'il est la vie; s'il illumine tout, qui sera assez fou pour dire que l'évangéliste a ainsi mis et placé ces mots (1) pour diminuer la divinité du Fils, tandis qu'il se sert au contraire de la preuve la plus forte pour établir son égalité et sa parfaite ressemblance avec le Père?

Je vous en conjure; mes chers frères, ne confondons point la créature avec le Créateur, de peur que nous n'entendions dire aussi de nous-mêmes : « Ils ont rendu à la créature l'adoration et le culte souverain, au lieu de le rendre au Créateur ». (Rom. I, 25.) En vain l'on dirait qu'il faut entendre ces paroles des cieux, elles interdisent absolument le culte de la créature, qui est proprement l'idolâtrie.

4. Ne nous exposons donc pas à une si grande malédiction. Le Fils de Dieu est venu au monde pour nous délivrer de ce culte. Il a pris la forme de serviteur pour nous délivrer de cet esclavage : c'est encore pour cela qu'il a bien voulu être déshonoré par d'infâmes crachats et de honteux soufflets, et souffrir une

 

1. Ces mots, c’est-à-dire : ton Theon , en parlant du Père, et Theon, en parlant du Fils.

 

mort très-ignominieuse. Ne nous rendons pas inutiles toutes ces grâces et ces bienfaits, je vous en conjure, mes frères, et ne retournons pas à notre ancienne impiété, ou plutôt à une impiété plus grande et plus énorme : car il est d'une injustice extrême de rendre à la créature l'adoration et le culte souverain , et d'abaisser le Créateur jusqu'à la bassesse de la créature autant qu'il est en nous : car cela ne l'empêche pas certes de subsister tel qu'il est ; « mais « pour vous», dit le Prophète, « vous êtes ton« jours le même , et vos années ne passeront « point». (Ps. CI, 28.) Glorifions-le donc comme nous l'avons appris de nos pères : glorifions-le par notre foi et par nos oeuvres. Car la foi et la doctrine sont inutiles pour le salut, si la vie est corrompue.

C'est pourquoi, réglons-la sur la volonté de Dieu : écartons, chassons loin de nous toute action déshonnête, toute injustice, toute avarice : soyons comme des étrangers hors de leur pays et de leur maison, soyons très-indifférents pour les choses présentes. Si quelqu'un a de grandes richesses et de grands biens (I Cor. VII, 30, 31), qu'il en use comme un voyageur qui doit partir dans peu , soit qu'il le veuille; ou qu'il ne le veuille pas : si quelqu'un a reçu une injure, qu'il ne garde pas éternellement sa colère, ou plutôt qu'il ne l'écoute jamais : l'apôtre ne la souffre que pour un seul jour : « Que le soleil », dit-il , « ne se couche point « sur votre colère ». (Ephés. IV, 26.) Et cela est véritablement juste : il est à craindre que la colère, quelque courte qu'elle soit, ne nous porte à de fâcheux et de funestes excès, et même il est difficile de l'empêcher; mais si la nuit nous y surprend, tout devient plus difficile et plus dangereux, parce qu'alors le souvenir de l'injure allume un grand feu dans le coeur, et qu'agités de cruelles pensées, nous sommes un long temps à en garder l'amer souvenir. Saint Paul veut donc que nous prévenions et nous éteignions le mal avant que la nuit, que le temps du repos nous surprenne, et vienne attiser l'incendie.

La colère est une violente agitation plus vive et plus furieuse que la flamme même voilà pourquoi il n'y a nul temps à perdre, et l'on ne peut user de trop de diligence pour prévenir le feu et empêcher que la flamme ne s'élève. En effet, cette passion cause une infinité de maux : elle renverse les maisons, elle rompt les anciennes amitiés; en peu de temps, [125]

et dans un moment. elle porte à des excès déplorables, et nous fait commettre les actions les plus tragiques : « Parce que », dit l'Écriture, « l'émotion de la colère qu'il a dans le coeur est sa ruine ». (Eccl.  I, 28.)

Retenons donc cette bête avec le frein : retenons-la par la crainte du jugement futur; c'est le mors le plus fort et le plus puissant de tous. Lorsqu'un ami vous aura offensé , ou qu'un des vôtres vous aura irrité, pensez à la multitude des péchés que vous avez commis contre Dieu , et considérez que si vous savez vous retenir et vous modérer, vous serez traité avec moins de rigueur au jour du jugement, car Jésus-Christ dit : « Remettez, il vous sera remis » (Luc, VI , 37), et aussitôt vous serez guéri de votre maladie.

Mais je veux encore que vous examiniez si, lorsqu'il vous est arrivé de vous mettre en colère, vous ne vous êtes pas quelquefois retenu et si quelquefois aussi vous ne vous êtes pas laissé emporter: la comparaison que vous ferez de ces deux états vous aidera beaucoup à vous corriger. Dites-moi, je vous prie, quand est-ce que vous vous êtes applaudi vous-même? Est-ce lorsque la colère vous a surmonté, ou lorsque vous l'avez surmontée ? N'est-il pas vrai que lorsque nous y avons succombé , nous nous blâmons fortement nous-mêmes, nous rougissons, quoique personne ne nous fasse aucun reproche , et par nos paroles et nos actions nous donnons de grandes marques de repentir ; et que lorsqu'au contraire nous l'avons vaincue , nous nous réjouissons , nous tressaillons d'allégresse , comme venant de remporter une victoire ? Pour un homme en colère , la victoire ne consiste pas à rendre la pareille (ce qui est au contraire la pire défaite) ; elle consiste à souffrir courageusement le mal qu'on nous a fait, ou qu'on a dit de nous. En effet, l'avantage ne reste pas à celui qui a fait le mal, mais a celui qui l'a enduré.

Lors donc que vous vous mettez en colère, ne dites point : il faut que je rende la pareille, il faut que je me venge; et à ceux qui vous exhortent à vous contenir, ne répondez pas non, je ne souffrirai point qu'après s'être moqué de moi , il demeure impuni. Sachez qu'il ne se moquera véritablement de vous, que lorsqu'il vous verra user de vengeance; mais s'il rit, s'il se moque de vous, quand vous vous tenez tranquille et en repos, il fait l'action d'un fou.

Pour vous, n'ambitionnez point pour votre victoire les éloges des insensés.; contentez-vous de ceux que les sages vous donneront : mais à quoi pensé-je de vous proposer un public infime, un public composé d'hommes ?Tournez-vous plutôt vers Dieu , c'est lui qui vous approuvera. Fort d'un tel suffrage, gardez-vous de rechercher la gloire que dispensent les hommes. Leurs éloges sont dictés souvent par la faveur ou par un esprit de rivalité, et encore leurs louanges ne sont-elles d'aucune utilité; mais le suffrage de Dieu est impartial et souverainement utile à celui qui en est honoré ; ce sont donc là les louanges et la gloire que nous devons chercher.            .

5. Voulez-vous connaître quel mal c'est que la colère? Arrêtez-vous sur la place, quand vous y verrez des gens se quereller : vous ne pourriez pas facilement découvrir sur vous-même toute la laideur de cette infirmité, votre raison étant alors ensevelie dans l'ivresse et dans les ténèbres; mais lorsque vous ne serez point ému de cette passion , et que votre jugement ne sera point prévenu, alors regardez-vous et contemplez-vous vous-même dans les autres. Voyez cette foule de peuple qui s'amasse de tous côtés, ces hommes en colère qui étalent en public leur honteuse folie; dès que la colère vient à bouillonner, à exciter le coeur, à l'exaspérer, le feu sort et des yeux et de là bouche; le visage s'enfle, les mains s'agitent de mouvements désordonnés , les pieds trépignent ridiculement, prêts à frapper ceux qui cherchent à intervenir dans ces transports insensés; l'homme en colère ressemble absolument à un fou : il ne diffère même pas de ces ânes sauvages qui ruent et qui mordent. L'homme irascible est incapable de se modérer.

Mais les acteurs de ces scènes ridicules, de retour ensuite dans leurs maisons, rentrant en eux-mêmes et réfléchissant sur ce qu'ils viennent de faire, sont tout à la fois saisis de douleur et de crainte : alors ils cherchent et repassent dans leurs esprits ceux qui ont été présents à leur querelle : et ces mêmes hommes qui, pareils à des fous , ne faisaient nulle attention à ceux qui les regardaient, se demandent ensuite, leur sang-froid une fois revenu, quels étaient les assistants. Étaient-ce des amis, des ennemis ? ils craignent également les uns et les autres : ceux-là pour leurs reproches, qui les feront rougir de honte et de [126] confusion; ceux-ci pour la joie qu'ils auront de leur déshonneur et de leur ignominie.

S'il y a eu des coups donnés, des plaies, des blessures, la crainte est alors bien plus grande : on redoute qu'il n'arrive quelque chose de pis à ceux qu'on a frappés ou blessés ; on craint que la fièvre ne leur survienne et ne leur cause la mort, ou qu'une plaie difficile à guérir ne les mette en, péril de la vie. A quoi bon, disent-ils, cette bataille, ce débat, ces injures ? Peste soit de ceci et de cela ! et ils maudissent ainsi tout ce qui a donné lieu à la querelle : il en est qui poussent la démence jusqu'à s'en prendre à la malignité des démons, à l'heure, au temps.

Maris ce n'est pas la mauvaise heure qui est cause de ce qu'ils ont fait : il n'y a point d'heure mauvaise; les malins démons non plus ne sont pas les auteurs de ce qui s'est passé; tout vient de la méchanceté de ceux qui ont cédé à la colère. Ce sont eux qui attirent les démons, et qui se font à eux-mêmes tout le mal. Mais, direz-vous, la bile s'émeut, le coeur s'enflamme, et se pique des outrages? Je le sais, je l'ai éprouvé moi-même comme vous, c'est pour cela que j'admire ceux qui répriment cette méchante bête. Car, si nous voulons, nous pouvons chasser cette maladie. En effet, pourquoi, si des grands, si des princes nous outragent, ne cherchons-nous pas à nous venger? N'est-ce pas parce que la crainte, qui n'est pas moins forte que la colère, intimide cette colère, et ne lui permet même pas d'éclater au dehors, mais qu'elle l'étouffe au dedans dès le commencement? Pourquoi enfin, nos serviteurs, quand nous les chargeons de mille injures, le souffrent-ils sans dire un seul mot? N'est-ce pas parce que cette même crainte les lie et les retient ? Mais vous, ne vous bornez point à songer à la crainte de Dieu : dites-vous que ce même Dieu qui vous prescrit le silence, est lui-même l'auteur de l'offense, et alors vous ne songerez plus à vous plaindre.

Dites à celui qui vous insulte : Que puis-je vous faire? un autre retient ma langue et ma main : et cette parole deviendra pour vous et pour l'agresseur une raison de vous modérer.

Mais nous souffrons les choses même les plus insupportables par considération, et par respect pour les hommes; nous disons souvent à ceux qui nous insultent : c'est un autre, ce n'est point vous qui m'avez fait de la peine: et nous n'aurons pas les mêmes égards, le même respect pour Dieu ? Quel pardon pouvons-nous attendre? Disons-nous à nous-mêmes : c'est Dieu qui nous frappe maintenant, c'est lui aussi qui lie nos mains, gardons-nous de regimber et de nous montrer moins obéissants à Dieu qu'aux hommes.

Vous tremblez à cette parole? Tremblez donc aussi au moment d'agir. Dieu nous a commandé, si l'on nous donne des soufflets, non-seulement de les souffrir, mais encore de nous offrir à un pire traitement. (Matth. V, 39.) Et nous, nous nous défendons avec tant de force et de vigueur, que non-seulement nous ne voulons pas supporter le moindre mal, mais que nous faisons même tous nos efforts pour nous venger, que dis-je? nous allons jusqu'à devenir nous-mêmes provocateurs, et nous nous jugeons vaincus, faute d'avoir rendu la pareille. Et ce qu'il y a de plus fâcheux et de plus funeste pour nous, c'est que nous nous imaginons avoir remporté la victoire, lorsque nous avons subi la pire défaite et que nous sommes par terre ; c'est que nous croyons avoir triomphé du diable, lorsqu'il nous a porté mille coups et couverts de blessures.

C'est pourquoi, apprenons, je vous prie, en quoi consiste ici la victoire, et tâchons de la remporter; souffrir, c'est être couronné. Si nous voulons donc que Dieu même nous proclame victorieux, gardons-nous de suivre les maximes en usage dans les luttes du monde; mais observons la loi que Dieu a prescrite pour ces combats, qui consiste à souffrir courageusement et avec patience. Ainsi puissions-nous vaincre nos ennemis, et obtenir les biens de cette vie et de l'autre , par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire, l'empire, l'honneur appartiennent au Père et au Saint-Esprit , aujourd'hui et toujours, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

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