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HOMÉLIE XXXVIII.DEPUIS, JÉSUS TROUVA CET HOMME DANS LE TEMPLE, ET IL LUI DIT : VOUS VOYEZ QUE VOUS AVEZ ÉT1 GUÉRI, NE PÉCHEZ PLUS A L'AVENIR, DE PEUR QU'IL NE VOUS ARRIVE QUELQUE CHOSE DE PIRE. (VERS. 14, JUSQU'AU VERS. 21.)
ANALYSE.
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1. Dieu châtie le corps pour les péchés de l'âme. La plupart des maladies viennent du péché. 2 et 3. Reconnaissance du paralytique. Jésus se compare à Dieu son Père, et se déclare son égal. 4. Cette parole : Le Fils ne peut rien faire de lui-même , marque la parfaite égalité et la parfaite union du Père et du Fils. Contre lambition et la passion de s'élever sur les autres. Fuir la vaine gloire, maux qu'elle produit : chercher la gloire qui vient de Dieu. Gloire qui vient des hommes, gloire qui vient de Dieu ; leur différence.
1. Le péché est un grand mal, oui, un grand mal, et la perte de l'âme; mais, de plus, il peut arriver que ce mal déborde jusque sur le corps. Comme, pour l'ordinaire, quand l'âme est malade, nous ne sentons aucune douleur, et, au contraire, si le corps est un peu incommodé, nous apportons tous nos soins pour le délivrer de son incommodité, Dieu pour cela même châtie le corps à cause des péchés de Pâme, afin de rendre la santé à la plus noble portion de l'homme par le châtiment de la moins noble. C'est ainsi que saint Paul corrigea l'incestueux de Corinthe (I Cor. V), il mortifia sa chair pour guérir son âme; l'incision qu'il fit à son corps le guérit de son vice. En quoi il imita l'habite médecin qui, voyant que l'hydropisie ou le mal de rate ne cède point aux remèdes intérieurs, applique au dehors et le fer et le feu. C'est ainsi qu'en usa Jésus-Christ à l'égard du paralytique, il le déclare lui-même, écoutez ce qu'il dit: « Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l'avenir, de peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire. Que nous apprend-il donc par là ? Premièrement, que c'est du péché qu'était venue sa maladie; secondement, qu'il faut véritablement croire qu'il y a un enfer; troisièmement, que le supplice de l'enfer est éternel. Qu'ils paraissent donc ici ceux qui disent Dans l'espace d'une heure j'ai tué, en un instant j'ai commis un adultère. Quoi ! pour un péché si court, je souffrirai une éternité de peines? Mais voilà un homme dont le péché n'a pas duré aussi longtemps que la punition et qui a passé presque tout le cours d'une vie humaine dans la peine de son péché. En effet, les péchés ne sont pas mesurés au temps, mais à la nature même des crimes. De plus, vous avez à remarquer que, quoique nous soyions sévèrement punis des premiers péchés, nous le serons encore avec beaucoup plus de rigueur dans la suite, si nous retombons à l'avenir dans les mêmes fautes, et cela est très-juste. Car celui que le châtiment ne corrige pas sera désormais plus rigoureusement puni, comme titi homme incorrigible et endurci. Car le premier châtiment aurait dû suffire pour le rendre meilleur et l'empêcher de retomber. Si cette première punition ne le rend ni plus modéré, ni plus sage, et qu'il ne craigne pas de commettre les mêmes fautes, il mérite le supplice, il se l'est lui-même attiré. Or si, même ici-bas, les péchés de rechutes sont plus sévèrement punis que les autres, quand ici nous n'en recevons aucun châtiment, n'avons-nous pas extrêmement à craindre et à trembler qu'en l'autre monde nous n'ayions à souffrir des tourments insupportables? Et pourquoi, direz-vous, tous ne sont-ils pas punis de même? Nous voyons beaucoup de scélérats dont l'embonpoint annonce la bonne [278] santé, et qui jouissent d'une heureuse fortune. Je le crois, mais ne nous y fions pas, et plaignons-les comme étant les plus à plaindre de tous les hommes. S'ils ne souffrent rien ici, c'est pour eux un gage et des arrhes d'un plus rigoureux supplice qui leur est réservé. Saint Paul l'a déclaré par ces paroles : « Mais maintenant lorsque nous sommes jugés de la sorte, c'est le Seigneur qui nous châtie, afin que nous ne soyons pas condamnés avec ce monde. » (I Cor. XI, 32.) Ici, c'est le lieu de l'avertissement, là du supplice. Quoi donc ! direz-vous, est-ce que toutes les maladies viennent des péchés? Non toutes, mais plusieurs. Il y en a qui tirent leur origine de la paresse ; l'intempérance , l'ivrognerie, l'oisiveté, engendrent des maladies corporelles. Au reste, dans tout ce qui nous arrive, nous avons une chose à observer, c'est de souffrir toutes sortes de plaies et d'afflictions avec actions de grâces. Le Seigneur nous envoie aussi des maladies pour nous punir de nos péchés. Nous lisons dans les livres des Rois qu'un homme fut attaqué de la goutte en punition de ses fautes (1). Il nous en envoie encore pour nous éprouver et nous rendre plus illustres; c'est pourquoi Dieu dit à Job : «Ne croyez pas que je vous aie traité de cette manière à autre intention que de faire connaître et de publier votre justice? » (Job, XI, 3, LXX.) Mais pourquoi, quand il s'agit de la guérison de ces paralytiques, Jésus-Christ publie-t-il leurs péchés ? Car à celui dont parle saint Matthieu, il dit : « Mon fils, ayez confiance, vos péchés vous sont remis »; et à celui-ci: «Voyez, vous avez été guéri, ne péchez plus à l'avenir ». (Matth. IX, 2.) Je sais que quelques-uns accusent ce paralytique d'avoir mal parlé de Jésus-Christ, et qu'ils disent que c'est pour cela que le Sauveur lui dit : « Ne péchez plus ». Mais que répondrons-nous sur l'autre dont saint Matthieu fait mention ? Jésus; Christ lui a dit aussi : « Vos péchés vous sont remis ». D'où l'on voit clairement que ce n'est point là la raison pour laquelle il lui a fait cette remontrance. Et ce qui suit le fait même plus clairement connaître. « Depuis », dit l'évangéliste, « Jésus trouve cet homme dans le temple » ; c'était là sûrement une marque de piété; il n'allait pas à la place publique, ni aux lieux de promenade, il ne se livrait pas aux plaisirs de la table, ni à la paresse, mais il se tenait au temple : encore qu'il dût prévoir que tout le monde l'en chasserait, rien pourtant ne fut capable de l'en faire sortir. Jésus-Christ l'ayant donc rencontré après s'être entretenu avec les Juifs, ne fit pourtant aucune allusion de ce genre; or, s'il eût voulu lui faire des reproches à ce sujet, il lui aurait dit : Quoi, vous persistez encore dans les mêmes fautes, et après avoir recouvré la santé, vous n'avez point changé de conduite, vous n'êtes pas devenu meilleur? Mais il ne lui dit rien de semblable, seulement il le confirme pour l'avenir. 2. Mais pourquoi, quand il guérit les boiteux et les estropiés, ne leur dit-il rien de la rémission des péchés ? Pour moi, il me semble que chez ceux-là la maladie était la peine du péché, et chez ceux-ci une simple infirmité corporelle. Si cela n'était pas, Jésus-Christ leur aurait fait une pareille remontrance. Et de plus, de toutes les maladies, la paralysie étant la plus grande et la plus fâcheuse, en y apportant le remède, il l'applique également aux moindres. De même qu'en guérissant un autre lé. preux, il lui ordonna d'aller rendre gloire à Dieu (Matth. VIII, 4), et ne donna pas cet avertissement à lui seul, mais par lui à tous ceux qui seraient guéris de leurs infirmités; ainsi par ceux-là il exhorte tous les autres, et il donne à chacun ces salutaires avis. A quoi il faut ajouter encore que Jésus-Christ avait vu sa grande persévérance; c'est pourquoi il l'avertit d'observer ce qu'il lui prescrit comme le pouvant, bien, et tant par le bienfait de sa guérison que par la crainte des maux à venir, il le retient et l'engage à être sage. Remarquez , mes frères, combien Jésus-Christ est éloigné de toute vanité. Il n'a point dit : Vous voyez que je vous ai guéri, mais: « Vous voyez que vous êtes guéri, ne péchez plus a l'avenir ». Il n'a pas dit non plus : De peur que je ne vous punisse, mais : « De peur qu'il ne vous arrive quelque chose de pire », Nulle part il ne fait mention de sa personne; il lui montre aussi que s'il a recouvré la santé
1. L'exemple que rapporte le saint Docteur ne se trouve point dans la sainte Ecriture, où il nest nulle part fait mention de goutte, mais la vérité qu'il avance n'en est pas moins constante : Dieu a quelquefois visiblement frappé de maladie le pécheur en punition de son péché. Entre une infinité d'autres exemples qu'on pourrait facilement tirer des Livres saints, celui d'Ozias est bien mémorable Ce prince a la témérité de mettre la main à l'encensoir, et, sur-le-champ, il est frappé de lèpre. (II Paral. XXVI.) L'avarice et le mensonge de Giezi sont punis de la même maladie. (IV Rois, V, 26, 27, etc.)
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c'est plutôt une grâce que l'effet de son mérite. Car il n'a pas dit qu'il a été délivré de ses peines pour son mérite, mais qu'il a été sauvé et guéri par la miséricorde de Dieu. Si cela n'était pas ainsi, il aurait dit : Vous voyez que vous avez été puni de vos péchés comme vous le deviez, prenez garde à vous à l'avenir. Or il ne lui parle point de la sorte, mais comment : « Vous voyez que vous avez été guéri, ne péchez plus à l'avenir ». Disons-le-nous souvent, mes frères, et quoique châtiés, quoique dans l'affliction, que chacun de nous se dise à soi-même : « Vous voyez que vous avez été e guéri, désormais ne péchez plus ». Que si, persévérant dans les mêmes fautes, nous n'en sommes point châtiés, répétons-nous ces paroles de l'apôtre : « La bonté de Dieu vous a invite à la pénitence. Et cependant, par notre «dureté et par l'impénitence de notre coeur, a nous nous amassons un trésor de colère ». (Rom. II, 4, 5.) Et non-seulement en rétablissant son corps, mais encore autrement, Jésus-Christ donna au paralytique un grand témoignage de sa divinité. Car, en lui disant : « Ne péchez plus à l'avenir »; il lui fit voir qu'il connaissait tous les péchés qu'il avait commis auparavant, et par conséquent qu'il devait désormais le juger digne de foi et croire en lui. « Cet homme s'en alla donc trouver les Juifs et leur dit que c'était Jésus qui l'avait guéri (15) ». Observez cette nouvelle marque de la reconnaissance de ce paralytique. Car il n'a point dit : C'est Jésus qui m'a dit : « Emportez votre lit ». En effet, comme les Juifs lui objectaient continuellement ce qui paraissait blâmable, lui, toujours il leur répond ce qui relevait la gloire de son médecin, et devait les gagner et les attirer. Il n'était ni assez stupide, ni assez ingrat pour trahir son bienfaiteur et parler malignement contre lui, après en avoir reçu une si grande grâce, et une grâce jointe à un avis si salutaire. Eût-il été barbare et inhumain comme une bête féroce, eût-il eu un coeur de pierre, le bienfait et la crainte auraient retenu sa langue. La menace que lui avait faite Jésus-Christ lui aurait encore fait craindre qu'il ne lui arrivât quelque chose de pire, ayant surtout éprouvé par lui-même jusqu'où pouvait aller le pouvoir d'un si grand médecin. D'ailleurs , s'il eût voulu le charger, le rendre blâmable, il aurait tu et caché sa guérison et il n'aurait parlé que de la violation du sabbat; mais, au contraire, avec beaucoup de fermeté et d'assurance, avec un coeur reconnaissant, il célèbre la gloire de son bienfaiteur, en quoi il ne diffère point de l'aveugle qui disait: « Il a fait de la boue avec sa salive et il en a oint mes yeux » (Jean, IX, 6) ; celui-ci dit tout de même : « C'est Jésus qui m'a guéri ». « Et c'est pour cela que les Juifs persécutaient Jésus et. voulaient le faire mourir, parce qu'il faisait ces choses le jour du sabbat (16) ». Que répondit donc Jésus-Christ? Mon Père ne cesse point d'agir jusqu'à présent, et j'agis aussi incessamment». (Jean, V, 17.) Quand il s'agissait de défendre ses disciples, Jésus produisait aux Juifs le témoignage de David, leur compagnon : « N'avez-vous point lu », leur disait-il, « ce que fit David, se voyant pressé de la faim?» (Matth. XII, 3.) Mais quand il parle pour lui-même, il cite l'exemple de son Père, montrant par l'un et par l'autre qu'il est égal à son Père, et lorsqu'il le nomme son propre Père, et lorsqu'il fait voir qu'il opère les mêmes oeuvres que lui. Et pourquoi Jésus ne rapporte-t-il pas les miracles qu'il a faits auprès de Jéricho ? (Matth. XII, 29.) Il les voulait tirer de leurs idées charnelles et grossières, et faire qu'ils ne le regardassent plus comme « purement » homme, mais qu'ils vinssent et recourussent à lui comme à Dieu et à leur Législateur. Car s'il n'était pas Fils de Dieu et de la même substance, la défense qu'il, produisait était pire que l'accusation.. En effet, si un magistrat, accusé d'avoir transgressé la loi de son roi, s'excusait sur ce que le roi l'aurait lui-même transgressée, il ne serait pas pour cela absous de son crime, mais au contraire il serait regardé comme plus coupable et plus digne de châtiment ; mais ici, où la dignité est égale, la défense est tout à fait juste et légitime : pour la même raison que vous justifiez Dieu, justifiez-moi. Voilà pourquoi, avant toutes choses, le Sauveur dit: « Mon Père, » afin de les forcer malgré eux de reconnaître en lui une même autorité et une même puissance, en l'honorant comme vrai Fils de Dieu. Que si quelqu'un dit : Et où est-ce que le Père agit, lui qui s'est reposé le septième jour (Gen. II, 2) après ses ouvrages? Qu'il apprenne de quelle manière Dieu agit. Comment donc agit-il? Il gouverne et conserve ses ouvrages par sa providence. Lors donc que vous voyez le lever du soleil, le cours de la lune, les [280] étangs, les fontaines, les fleuves, les pluies et le mouvement de la nature, soit dans les semences, soit dans nos corps, soit dans ceux ,des bêtes, et de toutes les autres choses qui composent ce monde, reconnaissez-y laction continuelle du Père, « qui fait lever son soleil », dit l'Écriture, « sur les bonnes sur les « méchants ». (Matth. V, 45.) Et encore : « Si donc Dieu a soin de vêtir de cette sorte une herbe des champs, qui est aujourd'hui et qui sera demain jetée au feu ». (Matth. VI, 30.) Et derechef, sur les oiseaux : « Votre Père céleste les nourrit ». (Matth. VI, 29.) 3. Ainsi, tout ce qu'a fait Jésus-Christ le jour du sabbat, il l'a fait par sa parole, sans rien de plus. Quant au crime dont on l'accusait, il s'en est justifié par ce qui se faisait dans le temple (Matth. XII, 5), et par l'exemple même de ses accusateurs; mais quand il commande de travailler, comme d'emporter le lit (ce qui, sûrement, n'est pas un travail bien considérable, mais tel néanmoins qu'il marque clairement l'inobservance du sabbat), alors il parle plus haut, il leur apporte des preuves plus relevées, pour les confondue et leur imposer silence par la dignité de son Père, et les élever à de plus grands sentiments. C'est pourquoi, lorsqu'il s'agit du sabbat, il ne se justifie pas comme homme seulement, ni comme Dieu seulement, mais tantôt d'une façon, tantôt de l'autre. Car il voulait qu'on crût à la fois, et à l'abaissement de son incarnation, et à la dignité, à la majesté de sa divinité. Voilà pourquoi maintenant il se justifie comme Dieu. En effet, s'il leur eût toujours parié humainement, toujours ils auraient eu de lui des sentiments bas et grossiers ; c'est donc pour les tirer dé leur opinion et les éclairer, qu'il nomme sou Père. Au reste, les créatures elles-mêmes agissent au jour du sabbat : le soleil poursuit son cours, les fleuves roulent leurs eaux, les fontaines coulent, les femmes accouchent; mais afin que vous sachiez que le Fils de Dieu n'est pas du nombre des créatures; il n'a point dit J'agis aussi, car les créatures agissent, mais quoi ? J'agis aussi, car mon Père agit : « Mais les Juifs cherchaient encore avec plus d'ardeur à le Maire mourir, parce que non-seulement il ne gardait pas le sabbat, mais qu'il « disait même que Dieu était son Père, se faisant ainsi égal à Dieu (18) ». Et il ne le démontra pas seulement par ses paroles, mais encore plus par ses oeuvres. Pourquoi par ses oeuvres? Parce que, de ses paroles, ils pouvaient prendre texte pour lui faire des reproches, pour l'accuser d'orgueil et de vanité; mais en voyant la vérité et la réalité des choses et des oeuvres, qui manifestaient et publiaient sa puissance, alors ils ne pouvaient même pas ouvrir la bouche contre lui. Ceux qui ne veulent pas croire pieusement ces vérités, disent :Jésus-Christ ne s'est pas fait égal à Dieu, mais seulement les Juifs l'en soupçonnaient : c'est pourquoi, revenons sur ce qui a été dit plus haut. Dites-moi : les Juifs persécutaient-ils Jésus-Christ; ou ne le persécutaient-ils pas? Certainement ils le persécutaient; personne ne l'ignore. Le persécutaient-ils pour cette raison qu'il se faisait égal à Dieu, ou pour une autre? c'était sûrement pour cette raison, comme tous le reconnaissent. Gardait-il le sabbat, ou non? il ne le gardait pas, nul n'osera le nier. Disait-il que Dieu était son Père, ou ne le disait-il pas? certes, il le disait. Donc tout le reste s'ensuit de même : comme les faits d'appeler Dieu son Père, de ne pas garder le sabbat, d'être persécuté des Juifs pour la première de ces raisons; et encore plus pour l'autre., sont des vérités parfaitement établies; quand il s'égalait à Dieu, il ne faisait que parler encore dans le même esprit : et ceci est encore plus évident par ce qui est rapporté ci-dessus; car dire ces paroles. « Mon Père agit, et j'agis aussi », c'était la même chose que de se faire égal à Dieu. Jésus-Christ ne montre aucune différence entre ces paroles. Il n'a point dit : Il agit, et moi je le sers, je l'aide; mais : comme il agit, j'agis aussi moi-même; et il fait voir une grande égalité. Que si, cette égalité, Jésus-Christ n'avait pas voulu la montrer, et si les Juifs l'en avaient vainement soupçonné, il n'aurait pas permis qu'ils gardassent cette fausse opinion de lui, mais il l'aurait corrigée. Et l'évangéliste ne l'aurait point passée sous silence, mais il aurait publiquement déclaré que les Juifs avaient eu ce soupçon, mais que Jésus-Christ ne s'était pas fait égal à Dieu; c'est ainsi qu'il en use ailleurs, lorsqu'il voit que ce qui a été dit dans un sens, on le prend dans un autre; par exemple, à propos de cette phrase : « Détruisez ce temple, et je le rétablirai en trois jours » (Jean, II, 19), qui concernait sa chair. Mais les Juifs, ne comprenant pas ce qu'avait dit [281] Jésus-Christ, et croyant qu'il parlait de leur temple, disaient: « Ce temple a été quarante-six ans à bâtir, et vous le rétablirez en trois jours? » (Jean, II, 20.) Comme donc Jésus-Christ avait dit une chose, et que les Juifs en avaient pensé une autre, que ce qu'il avait dit de sa chair, ils l'avaient entendu de leur temple, l'évangéliste, pour le taire remarquer, ou plutôt pour corriger cette fausse opinion, a ajouté : « Mais il entendait parler du temple de son corps». (Jean, II, 21.) De même, si en cet endroit Jésus-Christ ne s'était pas fait égal à son Père, sûrement l'évangéliste aurait redressé la pensée des Juifs qui le croyaient, et il aurait dit : Les Juifs croyaient que Jésus-Christ se faisait égal à Dieu, mais il ne parlait pas de cette égalité. Et non-seulement notre évangéliste en use ainsi dans l'endroit que nous avons cité, mais un autre aussi fait de même ailleurs. Jésus-Christ ayant dit à ses disciples : « Ayez soin de vous garder du levain des Pharisiens et des Saducéens »,. et les disciples ayant pensé et dit entre eux : « Nous n'avons point pris de pain » (Matth. XVI, 6); comme le Sauveur voulait dire une chose, appelant levain leur doctrine, et les disciples en entendaient une autre, pensant que c'était du pain que Jésus parlait, il rectifie cette pensée : et même ici ce n'est pas l'évangéliste, c'est Jésus-Christ lui-même qui la corrige, en disant : « Comment ne comprenez-vous point que ce n'est pas du pain que je vous ai parlé? » (Matth. XVI, 11.) Mais dans le passage sur lequel roule la dispute, on ne voit nulle correction. Mais, dira quelqu'un, Jésus-Christ ruine cette interprétation, en ajoutant : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même ». Que dites-vous? c'est tout le contraire : loin de nier l'égalité par ces mêmes paroles que vous alléguez, il l'établit et la confirme. Renouvelez votre attention, mes frères, la question est très-considérable et très-importante. Cette expression : « De lui-même », se rencontre souvent dans l'Écriture, où elle s'applique, et à Jésus-Christ, et au Saint-Esprit; il en faut donc connaître la valeur et la force, pour ne pas tomber dans de très-grandes et de très-grossières erreurs. En effet, si vous la prenez dans le premier sens qu'elle présente, quelles absurdités ne s'en suivra-t-il pas? Faites-y attention. L'Écriture n'a point dit que Jésus-Christ pouvait faire certaines choses de lui-même, et qu'il n'en pouvait pas faire d'autres; mais elle dit en général : « Le Fils ne peut rien faire de lui-même (19) ». 4. Nous ferons donc cette demande à notre contradicteur : Jésus-Christ, selon vous, ne peut donc rien faire de lui-même? S'il répond Non, nous repartirons : Mais il a fait le plus grand de tous les biens par lui-même; saint Paul le crie et le publie hautement : « Qui étant l'image de Dieu », c'est de Jésus-Christ qu'il parle, « n'a point cru que ce fût pour lui une usurpation d'être égal à Dieu : mais il s'est anéanti lui-même , en prenant la « forme de serviteur ». (Phil. II, 6, 7.) Et encore : Jésus-Christ lui-même dit ailleurs : « J'ai le pouvoir de quitter la vie, et j'ai le pouvoir de la reprendre, et personne ne me la ravit : c'est de moi-même que je la quitte », (Jean, X, 18.) Ne voyez-vous pas que celui qui s'est anéanti lui-même, en prenant de lui-même notre chair, a en son pouvoir et la mort et la vie? Et que dis-je de Jésus-Christ? Nous qui sommes ce qu'il .y a de plus vil et de plus abject, nous faisons toutefois bien des choses de nous-mêmes; de nous-mêmes nous choisissons le vice, de nous-mêmes nous pratiquons la vertu. Que si nous ne faisons pas ce choix de nous-mêmes, et si nous n'en avons pas le pouvoir, le péché ne saurait nous précipiter dans l'enfer; ni les bonnes oeuvres nous ouvrir le royaume des cieux. Donc, cette parole : « Jésus-Christ ne peut rien faire de lui-même », ne signifie autre chose, sillon qu'il ne peut rien faire de contraire à son Père, rien d'opposé , rien d'étranger: ce qui marque justement l'égalité et une parfaite union. Et pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas dit le Fils ne fait rien de contraire, mais: il ne peut pas faire? c'est encore pour montrer par là une parfaite égalité. Car par cette expression l'Écriture ne désigne pas une faiblesse, mais elle fait voir sa grande puissance. En effet, saint Paul aussi parle ailleurs du Père en ces mêmes termes : « Afin qu'étant appuyés sur ces deux choses inébranlables, par lesquelles il est impossible que Dieu nous trompe ». (Héb. VI, 18.) Et derechef : « Si nous le renonçons (1), il demeure fidèle; car il ne peut pas se
1. « Si nous le renonçons ». Mon texte le porte de même. Saint Chrysostome le prend du verset précédent. Ainsi que nous lisons dans les textes grec et latin du Nouveau Testament , il faudrait dire : Si nous sommes infidèles. Mais la pensée est toujours le même.
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contredire lui-même». (II Tim. II, 13.) Ce mot : « Il est impossible », ne marque nullement une faiblesse, mais un pouvoir et une puissance ineffable. Et voici ce que cela signifie. Cette substance n'admet et ne souffre aucune de ces sortes de choses, aucune de ces imperfections. Comme lorsque nous disons : Il est impossible que Dieu pèche, nous ne lui attribuons pas un défaut, ou une faiblesse, mais nous témoignons, au contraire, de sa puissance ineffable; de même aussi, lorsque Jésus-Christ dit : « Je ne puis rien faire de moi-même », cela signifie : il est absolument impossible que je fasse rien de contraire à mon Père. Mais, afin que vous puissiez vous convaincre que c'est ainsi qu'il faut entendre ce, passage, examinons ce qui suit et voyons de quel côté est Jésus-Christ, ou du vôtre, ou du nôtre. Vous dites que ces paroles marquent un défaut de pouvoir, une limitation d'autorité et de puissance : et moi je soutiens, au contraire, qu'elles montrent évidemment une égalité entière et parfaite, et que tout se fait comme par une même volonté et une même puissance. Interrogeons Jésus-Christ lui-même, et par ses réponses nous jugerons si. les paroles sur lesquelles nous disputons, il les explique selon votre opinion ou selon la nôtre. Que dit-il donc? « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui». Ne voyez-vous pas qu'il renverse et détruit absolument votre opinion , au lieu qu'il établit et confirme la nôtre? En effet, si le Fils ne fait rien de lui-même, le Père aussi ne fera rien de lui-même, puisque tout ce que fait le Père, le Fils le fait également. Et s'il n'en était pas ainsi, il s'ensuivrait une autre absurdité. Car Jésus-Christ n'a point dit : Le Fils fait ce qu'il a vu faire au Père, mais : il ne fait rien, s'il ne le voit faire au Père; comprenant ainsi tous les temps dans son affirmation : or, selon vous, il apprendra toujours à, faire les mêmes choses. Sentez-vous combien est élevée et sublime cette pensée qui, quoiqu'enveloppée d'expressions basses et grossières, force pourtant, malgré eux, les hommes les plus impudents et les plus téméraires , d'éloigner de leur esprit toutes basses idées, tous sentiments indignes d'une si grande majesté? Et qui serait assez misérable et assez malheureux pour dire que le Fils apprend chaque jour ce qu'il doit faire? Alors, comment serait vrai ce que dit le prophète-roi : « Mais pour vous, vous êtes toujours le même, et vos années ne passeront point?» (Ps. CI, 28.) Et comment ceci le sera-t-il? «Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui » (Jean, I, 3), si ce que fait le Père, le Fils l'imite en le voyant? Ne remarquez-vous pas comme son autorité et sa puissance se découvrent et se manifestent, et par ce qu'on a dit ci-dessus, et par ce qu'on va dire encore ? Que si Jésus-Christ emploie quelquefois des expressions tout humaines, ne vous en étonnez pas. Comme les Juifs, pour l'avoir entendu parler en des termes plus élevés, le persécutaient et le prenaient pour un, ennemi de Dieu, il commence par s'exprimer d'une manière un peu basse et grossière, seulement quant aux expressions; puis il s'élève, il parle d'une manière plus sublime, ensuite il redescend, baisse le ton; variant. ainsi son discours et ses instructions, afin que les plus endurcis puissent aisément croire en lui. Voyez; après avoir dit : « Mon Père agit, et j'agis aussi », et s'être montré égal à Dieu, il dit encore: « Le Fils ne peut rien faire de lui-même, il ne fait que ce qu'il voit faire au Père ».Ensuite, il s'énonce en des termes plus élevés, et il dit : « Tout ce que le Père fait, le Fils aussi le fait comme lui ». Après quoi, il s'abaisse de nouveau : « Le Père aime le Fils et lui montre tout ce qu'il fait; et il lui montrera des oeuvres encore plus grandes que celles-là (20) ». Peut-on voir un plus grand abaissement? Non, certes, car ce que j'ai dit, et ce que je ne cesserai point de dire, je vais le répéter maintenant. Lorsque Jésus-Christ veut dire quelque chose d'une manière basse et humble, il ne craint point l'excès, de telle sorte que la grossièreté des paroles persuade même les plus méchants de recevoir avec piété ce qu'ils entendent. En effet, si ce n'était point là l'intention du divin Sauveur, considérez combien seraient absurdes ses paroles; pour s'en convaincre, il suffit de les examiner. Quand il dit : « Il lui montrera des oeuvres encore plus grandes que celles-ci », il paraît n'avoir pas encore appris beaucoup de choses, ce qu'on ne peut pas même dire. des apôtres ; car dès que les apôtres eurent reçu la grâce du Saint-Esprit, ils reçurent aussitôt toutes les connaissances et tous les pouvoirs qui leur étaient nécessaires; mais, de cette manière, il se trouverait que le Fils n'avait pas encore appris bien des choses qu'il [283] lui était nécessaire de savoir. Que pourrait-on imaginer de plus absurde qu'une pareille idée? Que veulent donc. dire ces paroles? Le voici : Comme, après avoir guéri le paralytique d'une manière si éclatante, il devait ressusciter un mort, il use de ces expressions comme pour dire : Vous êtes remplis d'admiration :de m'avoir vu guérir sur-le-champ un paralytique, vous verrez des uvres encore plus grandes que celles-ci. Néanmoins, il n'a pas si clairement expliqué sa pensée , mais il l'a enveloppée d'expressions plus simples et plus grossières, pour apaiser la fureur des Juifs. Mais, pour connaître que ce mot : « Il lui montrera », ne doit pas se prendre à la lettre, voyez ce qui suit : « Car, comme le Père ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il veut ». Or ces paroles : « il ne peut rien faire de lui-même », sont contraires à celles-ci : « A qui il veut ». Car, s'il donne la vie à qui il veut, il peut faire quelque chose de lui-même. En effet, le vouloir suppose le pouvoir. Et s'il né peut rien faire de lui-même, il ne donne donc pas la vie à qui il lui plaît; ce mot : « Comme le Père ressuscite », prouve une égale vertu; et celui-ci : « A qui il veut », montre un pouvoir égal. Par où vous voyez que ces paroles : « Il ne peut rien faire de lui-même », loin de rien ôter à son pouvoir, marquent, au contraire, une puissance égale et une même volonté. Ce mot : « Il lui montrera », entendez-le de même. Car le Fils dit ailleurs : « Je le ressusciterai au dernier jour. » (Jean, VI, 40.) Et encore, pour montrer que cette vertu, que ce pouvoir d'agir, il ne l'a pas reçu , il dit: « Je suis la résurrection et la vie ». (Jean, XI, 25.) Ensuite, afin que vous ne disiez pas qu'il ressuscite les morts et qu'il donne la vie à qui il lui plaît, mais que les autres choses, il ne les fait pas de même, il prévient l'objection et la résout par ces paroles: «Tout ce que le Père fait, le Fils le fait aussi comme lui », déclarant que tout ce que le Père fait, il le fait aussi comme lui, savoir, qu'il ressuscite les morts, qu'il forme les corps, leur rend la vie, qu'il remet les péchés, et qu'il fait toutes les autres choses de même que le Père les fait. 5. Mais ceux qui négligent leur salut ne font nulle attention à ces choses, tant est grand le marque produit l'amour de la domination. C'est lui qui a enfanté les hérésies; c'est lui qui a établi l'idolâtrie des gentils. Dieu voulait que ses perfections invisibles devinssent visibles par la création du monde (Rom. I, 20); mais les gentils ont fermé les yeux à la lumière, ils ont rejeté cette doctrine et se sont eux-mêmes frayé un autre chemin ; voilà pourquoi ils se sont égarés de la droite voie. Les Juifs n'ont point cru, parce qu'ils ont, aspiré à la gloire qui dent des hommes, et qu'ils n'ont point recherché celle qui vient de Dieu. (Jean, V, 44.) Mais nous, mes très-chers frères, fuyons cette passion avec un très-grand soin, et de toutes nos forces. Eussions-nous fait une infinité de belles actions et de bonnes oeuvres, le venin de la vaine gloire les gâtera toutes. Si nous avons donc en vue les louanges, recherchons celles qui viennent de Dieu. La louange des hommes, de quelque nature qu'elle soit, s'évanouit aussitôt. qu'elle paraît; et quand même elle ne s'évanouirait pas, sûrement elle ne nous procurerait aucun avantage; d'ailleurs, souvent elle vient d'un jugement corrompu. Qu'a-t-elle de si admirable, la gloire humaine, cette gloire dont jouissent de jeunes danseurs, des femmes impudiques, des avares, des voleurs? Mais celui que Dieu loue est admiré, non avec ces sortes de gens, mais avec les saints ; savoir avec les prophètes et les apôtres, avec les hommes qui ont mené une vie angélique. Que si nous aimons à amasser la. foule autour de nous et à nous faire regarder, examinons bien ce que c'est que cela, et nous trouverons que rien n'est plus vil ni plus méprisable. En un mot, si vous,aimez la foule, attirez à vous une grande troupe d'anges, rendez-vous redoutables aux démons; par là , vous ne ferez nul cas des hommes; par là, vous foulerez même aux pieds, comme de la fange et de la boue, tout ce qui paraît briller, et vous connaîtrez clairement alors que rien n'avilit tant l'âme que l'amour de la gloire. Non, certes, non, il ne se peut pas -que l'amateur de la vaine gloire ne traîne une vie pleine d'amertumes, de même qu'il est impossible que celui qui la méprise, ne foule aux pieds une infinité de vices. Celui qui est victorieux de la vaine gloire, vaincra aussi l'envie, l'amour des richesses et les autres maladies les plus cruelles. Et comment, direz-vous, la vaincrons-nous? Nous en triompherons si , dans tout ce que nous faisons, nous avons l'autre gloire en vue , je veux dire la gloire céleste , dont celle-ci s'efforce de nous chasser. C'est [284] elle qui, dans cette vie, nous rend illustres, et qui nous suit dans l'autre; c'est elle qui nous délivre de toute servitude charnelle. Attachés à la terre et aux choses terrestres, maintenant nous sommes misérablement esclaves de la chair. Soit que vous alliez vous promener sur la place publique, soit que vous entriez dans votre maison, soit que vous alliez dans les rues, dans les lieux d'assemblées, dans les hôtelleries; si vous montez sur un vaisseau pour naviguer, si vous allez dans une île, ou dans les palais des rois, si vous suivez le barreau, ou si vous allez au sénat, partout vous trouverez les sollicitudes de ce siècle , et vous verrez s'occuper, avec mille fatigues, des choses de ce monde, les voyageurs, les citoyens, les navigateurs , les laboureurs, ceux qui demeurent à la campagne , ceux qui habitent la ville; en un mot, tous les hommes. Quelle espérance pouvons-nous avoir de notre salut, nous qui, habitant la terre de Dieu, ne songeons nullement aux choses de Dieu? La Loi nous commande de vivre ici en étrangers, et nous sommes étrangers à l'égard du ciel, et habitants du monde. N'est-ce pas là une stupidité monstrueuse ? Tous les jours on nous parle du jugement et du royaume des cieux, et nous ne craignons pas d'imiter ceux qui vivaient au temps de Noé, et les habitants de Sodome (Matth. XXIV, 37; Gen. XIIII, 13, et XVIII, 19) ; nous attendons l'expérience pour nous instruire. Mais si toutes ces choses sont écrites, c'est afin que celui qui ne croit pas ce qui doit arriver apprenne du passé à lire dans l'avenir. Méditons donc ces vérités, mes frères, tant celles qui ont eu leur accomplissement, que celles qui s'accompliront infailliblement un jour, et secouons un peu le joug rigoureux de, notre servitude : ayons quelque soin de notre âme, afin que nous acquérions les biens présents et les biens futurs, par la grâce et la bonté. de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui appartiennent la gloire et l'empire, dans tous les siècles. Ainsi soit-il.
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