HOMÉLIE LV
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HOMÉLIE LV.

LES JUIFS LUI RÉPONDIRENT DONC : N'AVONS-NOUS PAS RAISON DE DIRE QUE VOUS ÉTES UN SAMARITAIN ET QUE VOUS ÊTES POSSÉDÉ DU DÉMON? — JÉSUS LEUR REPARTIT : JE NE SUIS POINT POSSÉDÉ DU DÉMON : MAIS J'HONORE MON PÈRE. (VERS. 48, 49, JUSQU'A LA FIN DU CHAP. VIII.)

 

ANALYSE.

 

1. Venger avec force ce qu'on dit contre Dieu, souffrir patiemment ce qu'on dit contre nous.

2. Réfutation des Anoméens et des Avens. — Cette parole : Je suis, marque en Jésus-Christ son éternité.

3. Profiter du temps, ne point différer sa conversion. — L’âme, qui est devenue insensible, est semblable au pilote qui a abandonné son vaisseau au gré des vents. — Quels efforts doit faire la vertu pour l'emporter sur la violence des passions. — L'envieux, en voulant perdre quelqu'un, se perd lui-même. — Portrait de l'envieux et de l'envie.

 

1. C'est une chose impudente et insolente que le vice: lorsqu'il devrait rougir de honte, c'est alors qu'il s'emporte et fait plus fortement éclater sa colère; c'est ce qui arriva pour [367] les Juifs. Lorsque leur coeur aurait dû être touché de componction de ce qu'ils venaient d'entendre; lorsqu'ils devaient admirer la force et la justesse des raisonnements du divin Sauveur, ils le chargent d'injures, ils l'appellent samaritain, démoniaque, et répondent : « N'avons-nous pas eu raison de dire que vous êtes un samaritain, et que vous êtes possédé du démon ? » Jésus-Christ disait-il quelque chose de grand et d'élevé, c'était folie aux yeux de ces hommes sans raison. Il est vrai que l'évangéliste n'a point encore dit qu'ils l'aient appelé samaritain, mais toutefois ces paroles donnent bien lieu de croire qu'ils l'avaient souvent apostrophé de ce nom. Vous êtes possédé du démon, dites-vous à Jésus; mais chez qui vraiment habite le démon ? chez celui qui honore Dieu; ou chez celui qui outrage l'homme qui honore Dieu? Quelle est la réponse du Seigneur? c'est la douceur, c'est la modestie même. « Je ne suis point possédé du démon, mais j’honore mon Père, qui m'a envoyé  (49) ». Lorsqu'il fallait les instruire, abattre leur orgueil et leur vanité, et les empêcher de se prévaloir du nom d'Abraham, alors Jésus-Christ parlait avec force et avec vigueur; mais quand il avait à souffrir leurs injures, il répondait avec beaucoup de douceur: Quand ils disaient : Nous avons Dieu pour Père et Abraham aussi, il les réprimandait fortement; mais lorsqu'ils l'appellent démoniaque, il leur répond avec douceur, pour nous apprendre à venger la gloire de Dieu et à souffrir avec patience ce qu'on dit contre nous.

« Pour moi, je ne cherche point ma gloire (50) ». J'ai dit ces choses pour vous montrer qu'il ne vous appartient pas, à vous, qui êtes des homicides, d'appeler Dieu votre Père; ce que j'ai dit, c'est donc pour sa gloire que je l'ai dit, et, pour avoir soutenu sa gloire, je vous entends m'injurier; c'est pour lui que je suis en butte à vos outrages. Mais je n'écoute point vos injures, je ne m'en venge point. Celui pour l'amour de qui je les souffre maintenant, vous en fera rendre compte et vous en punira. « Pour moi, je ne cherche point ma gloire ». C'est pourquoi, au lieu de me venger, je vous invite et vous exhorte à faire ce qui non-seulement vous délivrera du supplice, mais aussi vous procurera la vie éternelle.

«En vérité, en vérité, je vous le dis : Si quelqu'un garde ma parole, il ne mourra jamais (51) ». Jésus-Christ ne parle pas seulement ici de la foi, mais encore de la pureté de la vie. Et plus haut il a dit : «Il aura la vie éternelle » ; il dit ici : Il ne mourra point, et en même temps il insinue que ses ennemis ne peuvent rien contre lui. Car si celui qui aura gardé sa parole ne doit pas mourir, à plus forte raison lui-même ne mourra-t-il point. Les Juifs l'ayant compris, lui dirent : « Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon: Abraham est mort et les prophètes aussi (52) », c'est-à-dire ceux qui ont ouï la parole de Dieu sont morts, et ceux qui auront ouï la vôtre ne mourraient point? « Etes-vous plus grand que notre père Abraham (53) ? » O vanité ! de nouveau ils se flattent d'être les enfants d'Abraham. Il eût été plus à propos de répondre : Etes-vous plus grand que Dieu, ou ceux qui vous écoutent sont-ils plus grands qu'Abraham ? mais ils ne le disent point, parce qu'ils croyaient Jésus moins grand qu'Abraham lui-même. Premièrement donc Jésus leur montre qu'ils sont des homicides, et par cette raison il leur prouve qu'ils sont déchus de leur prétendue filiation; et comme ils s'opiniâtraient à la soutenir, il la combat par une autre voie, leur faisant voir qu'ils font d'inutiles efforts pour s'y maintenir.

Au reste, le Sauveur ne découvre et n'explique pas de quelle mort il veut parler présentement; il leur fait entendre qu'il est plus grand qu'Abraham, afin de les confondre encore par ce moyen. Certes, dit-il, quand même je serais un homme ordinaire, vous ne devriez pas me faire mourir injustement; mais puisque je dis la vérité, puisque je n'ai commis aucun péché, puisque je suis envoyé de Dieu et plus grand qu'Abraham, n'est-ce pas follement et vainement que vous cherchez tous les moyens de me faire mourir? Que répondent-ils donc? « Nous connaissons bien maintenant que vous êtes possédé du démon? » La Samaritaine n'avait point parlé de la sorte; elle n'avait point dit à Jésus : Vous êtes possédé du démon, mais seulement : « Etes-vous plus grand que notre père Jacob? » (Jean, IV, 12.) En effet, les Juifs étaient des insolents et des scélérats , tandis que cette femme ne songeait qu'à s'instruire. Voilà pourquoi elle propose ses. doutes, fait une respectueuse réponse, comme elle le devait, et appelle Jésus Seigneur. Car celui qui faisait de si grandes promesses, et qui, d'autre part, méritait d'être cru sur sa parole, ne devait point recevoir des [368] injures et des outrages, mais il devait plutôt être admiré et comblé de louanges; et cependant les Juifs l'appellent démoniaque. Les paroles de la Samaritaine marquaient seulement qu'elle était dans le doute, qu'elle n'avait pas encore une foi solide; mais les paroles des Juifs montraient visiblement leur incrédulité et leur méchanceté : « Etes-vous plus grand que notre père Abraham ? » Etre donc envoyé de Dieu, voilà déjà ce qui le rend plus grand qu'Abraham. Mais lorsque vous le verrez élevé en haut, c'est alors que vous le reconnaîtrez pour tel. Voilà pourquoi le Sauveur disait : « Lorsque vous m'aurez élevé en haut, alors vous connaîtrez qui je suis ». (Jean, VIII, 28.)

Et vous, mon cher auditeur, remarquez la sagesse de Jésus. Après avoir prouvé aux Juifs qu'ils sont déchus de leur prétendue filiation, il leur fait voir qu'il est plus grand qu'Abraham , afin qu'ils sachent qu'il est bien au-dessus des prophètes. Et il leur disait : « Ma « parole ne trouve point d'entrée en vous » (Jean, VIII, 37), parce que, continuellement, ils l'appelaient prophète. Enfin il disait tantôt: qu'il ressuscitait les morts, tantôt que celui.. qui le trairait ne mourrait point, ce qui est encore bien plus grand que de n'être point laissé dans les liens de la mort. Voilà pourquoi les Juifs s'irritaient davantage. Que répondent-ils donc? « Qui prétendez-vous être? » et c'est d'un ton de mépris. Vous vous vantez, disent-ils; à quoi Jésus-Christ réplique : « Si je me glorifie moi-même, ma gloire n'est rien (54). »

2. Sur cette réponse du Seigneur, que disent les hérétiques? Ecoutez-les un peu. Les, Juifs ont fait à Jésus-Christ cette question : « Etes-vous plus grand que notre père, Abraham?» et il n'a osé affirmativement répondre : Oui, je le suis; mais il se répand en paroles obscures et enveloppées. Quoi donc? Sa gloire n'est-elle rien? selon eux, elle n'est rien. Mais sachez, ô hérétiques, que comme, lorsque Jésus-Christ dit : « Mon témoignage n'est point véritable», il parle selon l'opinion des Juifs; il parle encore de même, quand il dit : « Il y en a un qui me glorifie ». (Jean, V, 32.) Et pourquoi n'a-t-il pas dit, comme plus haut : c'est mon Père qui m'a envoyé ? c'est parce qu'il voulait montrer aux Juifs, que non-seulement ils ne connaissaient pas le Père, mais pas même Dieu. « Mais pour moi je le connais ». C'est pourquoi, quand il dit : Je le connais, ce n'est point une vanterie : s'il disait qu'il ne le connaît pas, ce serait un mensonge. Pour vous autres, lorsque vous dites que vous le connaissez, vous êtes des menteurs; et comme vous dites faussement que vous le connaissez, moi, de même, je dirais faussement que je ne le connais pas.

« Si je me glorifie moi-même ». Les Juifs disent : « Qui prétendez-vous être? » Jésus leur répond : si je me vante moi-même, si ce que je vous dis, je le dis de moi-même, ma gloire n'est rien. Comme donc je connais parfaitement le Père, vous ne le connaissez point du tout. Ainsi, comme lorsqu'il agitait cette question, savoir : s'ils étaient les enfants d'Abraham, il ne leur a pas tout ôté, mais il a dit : Je sais que vous êtes de la race d'Abraham, pour prendre de  là occasion de leur faire un plus grand reproche; de même en cet endroit il ne leur ôte pas tout, mais il leur dit: « Vous dites qu'il est votre Père; » leur laissant cette gloire, il montre qu'ils n'en sont que plus coupables et dignes d'une plus grande condamnation. Au. reste, comment peut-on dire que vous ne connaissez point Dieu? Parce que vous chargea d'injures celui qui fait et dit tout pour. sa gloire, celui même que Dieu a envoyé: ceci est dit sans preuves, mais ce qui suit servira à le prouver.

«Et je garde sa parole (55). ». Si les Juifs avaient eu quelque chose à dire contre Jésus-Christ, ils le pouvaient, ils le devaient; car c'était 1à un puissant témoignage pour prouver qu'il était envoyé de Dieu. « Abraham votre père a désiré avec ardeur de voir mon jour; il l'a vu, et il en a été rempli de joie (56)». Jésus-Christ prouve encore que les Juifs ne sont point les enfants d'Abraham, puisqu'ils s'affligent de ce dont il se réjouissait. Et je pense que par ces paroles il désigne le jour du,sacrifice de la croix, qu'Abraham avait marqué d'avance par celui du bélier et d'Isaac, (Gen. XXII.), Que dirent-ils donc? «Nous n'avez « pas encore quarante ans, et vous avez vu « Abraham (57)?» Jésus-Christ avait donc alors environ quarante ans. Jésus leur répondit: « Je suis avant qu'Abraham fût au monde (58). « Là-dessus ils prirent des pierres pour les lui, jeter (59) ». N'avez-vous pas fait attention à la manière dont il prouve qu'il est plus grand qu'Abraham? Celui qui s'est réjoui devoir ce jour, qui a cru que, c'était là une chose désirable, a sans doute regardé comme un bonheur [369] et une grâce de voir ce jour, parce que Jésus est plus grand que lui. Ainsi comme les Juifs voyaient en lui rien de plus que le fils d'un charpentier, il les élève insensiblement à une plus haute connaissance. Mais il est surprenant qu'ayant entendu dire à Jésus-Christ qu’ils ne connaissaient point Dieu, ils ne se eut point fâchés contre lui; et que, lorsqu'il dit : je suis avant qu'Abraham fût au monde, comme si cela les eût dégradés de leur noblesse, ils s'emportent et jettent des pierres.

Abraham a vu mon jour, et « il en a été rempli de joie ». Jésus fait voir, par ces paroles, qu'il n'est point allé à la croix et à la mort involontairement et malgré lui, puisqu'il loue celui qui se réjouit de la croix, qui était le salut du monde. Et néanmoins les Juifs le lapidaient : tant ils avaient de penchant pour le sang et le carnage ! Et ils s'y portaient ainsi d'eux-mêmes sans autre attention, sans rien examiner. Mais pourquoi Jésus n'a-t-il pas dit : j'étais avant qu'Abraham fût au monde, mais : « Je suis ? » Comme son Père, pour se faire connaître, s'est servi de cette parole : « Je suis » , Jésus-Christ en use de même. Cette parole marque qu'il est éternel, en tant qu'elle ne fixe aucun temps particulier. Voilà pourquoi les Juifs regardaient cette parole comme un blasphème. S'ils ne pouvaient donc pas souffrir cette comparaison qu'il faisait de lui avec Abraham, quoiqu'elle ne fût pas si grande; ni si avantageuse, n'est-il pas visible que s'il s'était souvent fait égal à son Père, ils n'auraient pas cessé un moment de le persécuter et de le poursuivre ? Ensuite il se retira encore à la manière des hommes, et se cacha, après les avoir assez instruits, et avoir accompli son oeuvre et sa mission. Il sortit du temple, et fut opérer la guérison d'un aveugle, prouvant par ses oeuvres qu'il est avant Abraham.

Mais peut-être quelqu'un dira : pourquoi ne s réduisit-il pas à l'impuissance? De cette lanière peut-être auraient-ils cru en lui. Il a  guéri le paralytique, et ils n'ont point cru en lui. II a fait une infinité de miracles jusque dans sa passion, il les renversa par terre, il les rendit aveugles, et ils ne crurent point. Comment donc auraient-ils cru, s'il les avait réduits à l'impuissance? Rien n'est pire qu'un homme dans le désespoir. Qu'il voie des miracles, qu'il voie des prodiges, ces prodiges et ces miracles ne sont nullement capables de triompher de son obstination. Pharaon en est. un exemple : il reçut mille plaies; mais le châtiment seul pouvait le faire rentrer en lui-même : et il persévéra dans son endurcissement jusqu'à son dernier jour, où il poursuivait encore ceux qu'il avait renvoyés. Voilà pourquoi saint Paul dit souvent : « Que personne ne s'endurcisse par l'illusion du péché ». (Héb. II, 18.) Car de même que les forces s'épuisent à la fin, et que le corps perd tout sentiment, ainsi l'âme, qu'une foule de passions accable, devient comme morte pour la vertu : présentez-lui tout ce qu'il vous plaira, elle ne sent rien : menacez-la du supplice ou de toute autre chose, elle demeure insensible.

3. C'est pourquoi, je vous en conjure, mes frères, pendant que nous avons une espérance de salut, pendant que nous pouvons nous convertir, ne négligeons point cette affaire travaillons-y de toutes nos forces. Comme les pilotes qui n'ont plus d'espérance abandonnent leur vaisseau au gré des vents et demeurent les bras croisés , les hommes découragés renoncent de même à tout effort. L'envieux n'a en vue que d'assouvir sa cupidité; qu'on le menace du supplice, de la mort, il cherche uniquement à contenter sa passion tels sont aussi et l'impudique et l'avare. Si donc les passions exercent sur l'âme un si puissant empire, la vertu doit déployer bien plus de force; encore. Puisque , pour satisfaire nos passions, nous méprisons la mort, nous devons bien davantage la mépriser pour la vertu. Si ceux qui sont possédés de quelque passion méprisent la vie, à plus forte raison devons-nous la mépriser pour le salut. Autrement, quelle excuse aurions-nous? Ceux qui périssent se donnent mille peines afin de périr, et nous ne prenons pas même une peine égale pour nous sauver, mais nous séchons toujours d'envie.

Rien n'est pire, en effet, que l'envie : en voulant perdre autrui, l'envieux se perd lui-même. L'oeil de l'envieux sèche de dépit, sa vie n'est qu'une mort continuelle : il regarde tous les hommes comme ses ennemis, et ceux même qui ne lui ont fait aucun mal. Il s'attriste que Dieu soit honoré ; ce dont le démon se réjouit, il s'en réjouit aussi. Cet homme est honoré des hommes, mais ce n'est point là un honneur, ne lui portez point envie. Il est honoré de Dieu; imitez-le, mais c'est là ce  [370] que vous ne voulez point faire. Pourquoi donc vous perdez-vous vous-même? pourquoi jetez-vous ce que vous avez entre les mains? vous ne pouvez l'égaler ni faire quelque profit? pourquoi, de plus, vous faire du mal? Il faudrait vous réjouir avec lui, afin que si vous ne pouvez pas participer à ses travaux, vous en tiriez du moins quelque profit par votre congratulation : souvent la bonne volonté suffit pour nous faire un grand bien. Ezéchiel dit que les Moabites ont été punis pour avoir insulté les Israélites et s'être réjouis de leurs calamités, et que ceux qui gémissent sur les maux d'autrui, obtiennent le salut. Que si ceux qui pleurent sur les maux de leurs frères y gagnent des consolations, à plus forte raison en recevront-ils ceux qui se réjouissent des honneurs qu'on leur fait : le prophète reprochait aux Moabites de s'être réjouis des maux qui étaient arrivés aux Israélites : et cependant c'était Dieu même qui châtiait ces derniers. Mais Dieu ne veut pas même que nous ayons de la joie des châtiments qu'il inflige, et lui-même ne prend point plaisir à se venger. Que s’il faut s'affliger avec ceux qui souffrent, à plus forte raison ne faut-il pas porter envie à ceux qui sont honorés. C'est ainsi qu'ont péri et Coré et Dathan (Nomb. XVI) qui, d'une part, ont attiré sur eux-mêmes la vengeance divine, et de l'autre, ont rendu par là plus illustres ceux à qui ils portaient envie. Car l'envie est une bête venimeuse, un animal impur, une malice volontaire, qui ne mérite point de pardon, une méchanceté qu'on ne peut excuser, la racine et la mère de tous les maux. Arrachons-le donc de nos âmes, afin que nous soyons délivrés des maux présents, et que nous acquérions les biens à venir, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par lequel et avec lequel gloire soit au Père, et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles. Ainsi soit-il.

 

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