HOMÉLIE XXXIV
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HOMÉLIE XXXIV.

CETTE FEMME CEPENDANT LAISSANT LA SA CRUCHE, S'EN RETOURNA A LA VILLE, ET COMMENÇA A DIRE: A TOUT LE MONDE : — VENEZ VOIR UN HOMME QUI M'A DIT TOUT. CE QUE J'AI JAMAIS FAIT : NE SERAIT-CE POINT LE CHRIST? (VERS. 28, 29, JUSQU'AU VERS. 39.)

 

ANALYSE.

 

1. Suite de l'histoire de la Samaritaine : humilité de cette femme.

2. Pour quelle raison Jésus-Christ, ainsi que les prophètes, exprime souvent sa pensée par des comparaisons, des métaphores, des allégories. — Les prophètes ont semé, les apôtres ont moissonné.

3. Suivre l'exemple de la samaritaine; confesser soi-même ses péchés pour en faire pénitence. — On craint les hommes, on ne craint pas Dieu : on craint d'être déshonoré devant les hommes, et on ne craint pas de l'être devant Dieu. — On cache ses péchés aux hommes, et on ne s'efforce pas de les effacer devant Dieu par la pénitence. — Vraie pénitence, en quoi elle consiste. — Retourner au péché, c'est être semblable au chien qui retourne à ce qu'il a vomi. — Excellents moyens pour se corriger de ses vices : examiner ses péchés chacun en particulier, n'en passer aucun. — Saint Chrysostome a cru que la fin du monde était proche. — Le Seigneur arrivera subitement : se tenir toujours prêt à son avènement.

 

1. Il nous faut beaucoup de ferveur, il faut qu'un grand zèle nous anime, sans quoi nous ne pourrons acquérir les biens que Jésus-Christ nous a promis. Et certes, il le déclare lui-même, tantôt en disant : « Si quelqu'un ne se charge pas de sa croix et ne me suit pas, il n'est pas digne de moi ». (Matth. X, 38.) Et tantôt : « Je suis venu pour mettre le feu sur la terre, et que désiré-je, sinon qu'il s'allume ? » (Luc, XII, 49.) Par ces paroles , Jésus-Christ nous apprend que son disciple doit être fervent, tout de feu et [260] toujours prêt à s'exposer à toutes sortes de périls. Telle était la Samaritaine : son coeur était si brûlant de la parole de Jésus-Christ qu'elle venait d'entendre, que laissant là sa cruche et l'eau pour laquelle elle est allée à ce puits, elle court à la ville inviter tout le peuple à venir voir Jésus. « Venez », dit-elle, venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai jamais fait ». Remarquez son zèle, remarquez sa prudence: elle était venue puiser de l'eau, et ayant trouvé la véritable source, elle quitte, elle méprise la fontaine terrestre, pour nous apprendre, quoique par un exemple bien humble, que si nous voulons soigneusement nous appliquer à l'étude de la céleste doctrine , nous devons mépriser toutes les choses du siècle et n'en faire aucun cas. Ce qu'ont fait les apôtres, cette femme l'a fait aussi, et même avec plus d'ardeur dans la proportion de son pouvoir. Ceux-là étant appelés, ont abandonné leurs filets, mais celle-ci, volontairement, et sans que personne le lui commande, laisse sa cruche et fait l'office d'évangéliste; sa joie lui prête des ailes, et elle n'amène pas à Jésus-Christ une ou deux personnes, comme André et Philippe, mais elle met toute la ville en mouvement et lui attire tout le peuple.

Observez avec quelle prudence elle parle. Elle n'a point dit : venez voir le Christ; mais avec ces mêmes ménagements par lesquels Jésus-Christ avait gagné son coeur, elle attire, elle engage les autres. « Venez», dit-elle, « venez voir un homme qui m'a dit tout ce que j'ai jamais fait » ; elle n'eut point de honte de dire: « Il m'a dit tout ce que j'ai jamais fait », quoiqu'elle eût pu dire : venez voir le Prophète. Mais quand une âme est embrasée du feu divin, rien de terrestre ne la touche plus, elle est insensible à la bonne et à la mauvaise réputation, elle va où l'emporte l'ardeur de sa flamme. « Ne serait-ce point le Christ? » Remarquez encore la grande sagesse de cette femme : elle n'assure rien, mais elle ne garde pas non plus le silence. Car elle ne voulait pas les attirer à son opinion par son propre témoignage, mais elle voulait qu'ils vinssent entendre Jésus-Christ, afin qu'ils partageassent tous son sentiment, jugeant bien que, par là, ce qu'elle avait dit acquerrait et plus dé force, et plus de vraisemblance. Toutefois Jésus-Christ ne lui avait pas découvert toute sa vie, mais ce qu'elle en venait d'entendre lui fit juger qu'il avait aussi la connaissance de tout le reste. Elle n'a point dit: venez, croyez; mais, « venez, voyez » ; ce qui, certainement, était moins fort et plus propre à les attirer. L'avez-vous bien remarquée, la sagesse de cette femme? Elle savait, oui, elle savait à n'en point douter, qu'aussitôt qu'ils auraient goûté de cette eau, il leur arriverait ce qui lui était arrivé à elle-même. Au reste, une personne d'un esprit plus grossier aurait parlé du reproche qu'on lui avait fait dans des termes plus enveloppés; mais cette femme déclare ouvertement sa vie, et en fait une confession publique pour attirer et gagner tout le monde à Jésus-Christ.

« Cependant ses disciples le priaient de prendre quelque chose, en lui disant: Maître, mangez (31) ». Ces mots: « ils le priaient», signifient dans leur langage : « Ils l'exhortaient ». Voyant qu'il était accablé de chaud et de lassitude, ils l'exhortaient : ce n'était point une liberté trop familière qui les portait à le presser de prendre quelque chose, mais l'amour qu'ils avaient pour leur. Maître. Que leur répondit donc Jésus-Christ? « J'ai une viande à manger que vous ne connaissez pas (32). Ils se disaient donc l'un à l'autre : « Quelqu'un lui aurait-il apporté à manger? (33) » Pourquoi donc vous étonnez. vous qu'une femme, entendant nommer l'eau, ait cru qu'il s'agissait d'eau naturelle, lorsque les disciples eux-mêmes n'ont pas d'autres sentiments et ne s'élèvent à rien de spirituel; ils doutent, tout en montrant, selon leur coutume, la vénération,et le profond respect qu'ils ont pour leur Maître, et discourent ensemble sans oser l'interroger. Ils font de même dans une autre occasion, où, souhaitant de lui demander la raison d'une chose, ils s'en abstiennent pourtant. Que dit encore Jésus-Christ? « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé, et d'accomplir son oeuvre, (34) ». Ici Jésus-Christ appelle sa nourriture le salut des hommes, en quoi il nous montre le soin extrême qu'il a de nous, et la grandeur de sa divine Providence. Car cet ardent désir que nous avons des, choses nécessaires à la vie, Dieu l'éprouve à l'égard de notre salut.

Mais faites attention à ceci : d'abord, Jésus-Christ ne découvre pas tout, mais premièrement il met l'auditeur en suspens, il le jette dans le doute, afin qu'après avoir commencé [261] à chercher le sens de ce qu'il a entendu, tourmenté par l'incertitude, il reçoive ensuite avec plus d'empressement et de joie l'explication qu'il cherchait, et redouble d'empressement à écouter. Pourquoi donc le Sauveur n'a-t-il pas d'abord dit : Ma nourriture est de faire la volonté de mon Père? quoique cela ne fût pas tout à fait clair, ce l'était pourtant plus que ce qu'il avait déjà dit; mais que dit-il ? « J'ai une viande à manger que vous ne connaissez pas ». Premièrement donc, comme j'ai dit, par le doute même où il les met, il les rend plus attentifs, et il les accoutume à comprendre ce qu'il dit énigmatiquement et par figures. Au resté, Jésus-Christ déclare dans la suite quelle est la volonté de son Père.

2. « Ne dites-vous pas vous-mêmes que dans «quatre mors la moisson viendra? mais moi je vous dis: Levez vos yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches et prêtes à moissonner (35) ». Voilà encore que Jésus-Christ, par des paroles simples, par une comparaison familière, élève l'esprit de ses disciples à la contemplation des choses les plus grandes et les plus sublimes : sous le nom de viande, il n'a voulu leur faire connaître autre chose, sinon que le salut futur et prochain des hommes ! Par ceux de champ et de moisson il exprime encore la même chose, c'est-à-dire cette multitude d'âmes qui était prête à recevoir la prédication. Par les yeux, il entend ici et ceux de l'âme et ceux du corps. Ils voyaient effectivement alors les Samaritains accourir en foule vers lui; leur volonté ainsi disposée et soumise, c'est ce qu'il appelle les campagnes blanches. Comme les épis, lorsqu'ils sont blancs, sont tout prêts à moissonner, ainsi ceux-ci sont tout préparés et disposés pour le salut. Mais pourquoi Jésus-Christ n'a-t-il pas dit clairement : Les Samaritains viennent pour croire en moi; déjà instruits par les prophètes, ils sont disposés et tout prêts à recevoir la parole et à porter du fruit? et pourquoi les a-t-il désignés sous les noms de campagne et de moisson? ces figures, que signifient-elles? En effet, ce n'est pas ici seulement, mais c'est encore dans tout l'Evangile qu'il en use de la sorte : les prophètes font de même, et prédisent bien des choses sous l'enveloppe des métaphores et des figures. Quelle en est donc la raison? l'Esprit-Saint n'a pas vainement établi cette coutume. Mais enfin pourquoi? Pour deux raisons : la première,

pour donner au discours plus de force et d'énergie, pour l'animer et le rendre plus sensible, car l'objet que représente une image naturelle excite et réveille davantage, et l'esprit qui le voit comme peint sur un tableau en est plus vivement frappé : voilà la première raison. La seconde, afin que la narration soit plus agréable et que le souvenir s'en conserve plus longtemps. En effet, rien ne se fait mieux écouter de la plupart des auditeurs, rien aussi ne les persuade davantage, qu'un discours qui nous présente les choses mêmes dont nous avons l'expérience. Cette parabole en fournit un exemple admirable.

« Et celui qui moissonne reçoit la récompense, et amasse les fruits pour la vie éternelle (36) ». Les fruits qu'on recueille de la moisson des biens de la terre ne servent point pour la vie éternelle, mais pour cette vie présente et passagère ; au contraire, ceux qui proviennent de la moisson spirituelle, sont réservés pour la vie immortelle. Voyez-vous comment, si la lettre est grossière, le sens est spirituel, et comment les paroles elles-mêmes distinguent et séparent les choses terrestres des choses du ciel? Comme, à l'égard de l'eau, Jésus-Christ en a marqué la qualité propre par ces paroles : « Celui qui boira de cette eau n'aura jamais soif »; de même ici, à l'égard de la moisson, il déclare que le moissonneur récolte pour la vie éternelle : « Afin que celui qui sème et celui qui moissonne se réjouissent ensemble ».

Qui est-ce qui sème?qui est-ce qui moissonne? les prophètes ont semé, mais ce sont les apôtres qui ont moissonné (Jean, IV, 28). Ceux-là néanmoins n'ont pas été privés de la joie, ni de la récompense de leurs travaux, et quoiqu'ils ne moissonnent pas avec nous, ils partagent notre allégresse : car le travail de la moisson n'est pas le même que celui des semailles : là donc où il y a moins de travail, il y a aussi plus de joie : je vous ai réservés pour moissonner et non pour semer, en quoi il y a beaucoup à travailler. En effet, dans la moisson le profit est considérable et le travail n'est pas si grand, il est au contraire aisé et facile'. Au reste, par ces paroles, Jésus-Christ veut dire : la volonté des prophètes mêmes est que tous les hommes viennent à moi, la loi a proposé la voie; ils ont semé pour produire ce fruit : le Sauveur montre aussi que c'est lui qui les a

 

1. En effet, il est toujours plus doux de recueillir que de semer.

 

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envoyés, et qu'il y a beaucoup d'affinité entre l'ancienne et la nouvelle loi; et tout cela il le fait par cette parabole. Il cite encore ce proverbe qui était dans la bouche de tout le monde : « Car », dit-il, « ce que l'on dit d'ordinaire est vrai en cette rencontre : que l'un sème et l'autre moissonne (37) ». En effet, plusieurs disaient : Quoi ! les uns ont eu toute la peine, et les autres ont recueilli tout le fruit? Et Jésus-Christ dit que cette parole trouve ici sa juste application : les prophètes ont travaillé, et vous, vous recueillez le fruit de leurs travaux. Il n'a point dit la récompense, car ils n'ont pas accompli gratuitement un si grand travail; il dit seulement: le fruit.

Daniel s'est vu dans le même cas; il cite ce proverbe : « C'est aux méchants à faire le mal (1). David aussi, en répandant des larmes, rappelle le même proverbe (2). (I Rois, XXIV, 14.) Jésus-Christ avait déjà dit auparavant: « Ainsi que celui qui sème soit dans la joie, aussi bien que celui qui moissonne ». Comme il devait dire que l'un sèmerait et l'autre moissonnerait, afin qu'on ne crût pas, comme j'ai dit, que les prophètes seraient privés de leur récompense, il ajoute quelque thèse de tout nouveau et à quoi on ne pouvait pas s'attendre, quelque chose qui n'arrive point dans les choses sensibles, irais qui distingue les choses spirituelles. Car s'il arrive dans les choses sensibles que l'un sème et que l'autre moissonne, le semeur et le moissonneur ne sont pas ensemble dans la joie; mais l'un est dans la tristesse d'avoir travaillé pour l'autre, et celui-ci est seul dans la joie. Or, ici il n'en est pas de même: ceux qui ne moissonnent pas ce qu'ils ont semé sont dans la joie comme ceux qui moissonnent; d'où il est visible qu'ils participent tous à la récompense. « Je vous ai envoyé moissonner ce qui n'est pas venu par votre travail : d'autres ont .travaillé, et vous êtes entrés dans leurs travaux (38) ». Par ces paroles Jésus-Christ les excite et les encourage davantage. S'il paraissait dur et pénible de parcourir toute la terre et de prêcher, il fait voir au contraire que cela leur serait facile. En effet, ce qui était laborieux et causait de grandes sueurs , c'était d'ensemencer et d'amener à la connaissance de Dieu une âme qui n'en avait nulle idée.

 

1. Ou : « Le mal est venu des méchants ».

2. En disant: « Les impies agiront avec impiété ». Dan. XII, 10.

 

Mais à quelle fin Jésus-Christ dit-il ceci? Afin que, quand il les enverrait prêcher, ils ne se troublassent et ne se décourageassent point, comme s'ils étaient envoyés à une oeuvre laborieuse et bien difficile. La fonction des prophètes était effectivement pénible, leur dit-il; et les faits confirment ce que je dis, que votre tâche, à vous, est facile. Ainsi que dans la moisson il est facile d'amasser des fruits, et qu'en peu de temps on remplit l'aire de gerbes, sans attendre la saison, ni l'hiver, ni le printemps, ni les pluies; c'est la même chose ici: les faits l'attestent assez haut. Pendant que Jésus-Christ discourait ainsi avec ses disciples, les Samaritains sortirent de leur ville et arrivèrent; et le fruit fut amassé sur-le-champ, Voilà pourquoi il disait: « Levez vos yeux et considérez les campagnes qui sont déjà blanches ». Le Sauveur dit ces choses, et l'effet suit aussitôt, la parole. « Il y eut beaucoup de Samaritains de cette ville-là qui crurent en lui sur le rapport de cette femme, qui les  assurait qu'il lui avait dit tout ce qu'elle avait jamais fait (39) ». Car ils voyaient bien que ce n'était ni par faveur, ni par complaisance, qu'elle avait loué Jésus, puisqu'il l'avait reprise de ses péchés et qu'elle n'aurait pas découvert ainsi à tout le monde la honte de sa vie pour faire plaisir à quelqu'un.

3. Suivons donc l'exemple de la Samaritaine, et que la crainte des hommes ne nous empêche pas de confesser publiquement nos péchés; mais craignons Dieu comme il est juste de le craindre : Dieu qui à présent voit nos oeuvres, Dieu qui punira un jour ceux qui maintenant ne font pas pénitence. Mais, hélas ! nous faisons tout le contraire: nous ne craignons pas celui qui nous doit juger ; et ceux dont nous n'avons rien à craindre, qui ne nous peuvent faire, aucun mal, nous les redoutons, nous ne craignons rien tant que d'être flétris par eux. Voilà pourquoi nous serons punis en cela même en quoi nous craignons de l'être (1) : car celui qui ne prend garde qu'à n'être point déshonora devant les hommes, et qui ne rougit point de commettre le mal devant Dieu, s'il ne fait pénitence, sera diffamé au jour du jugement, non devant une ou deux personnes, mais aux yeux de tout le monde entier. En effet, que là il se doive trouver une grande assemblée, pour voir

 

1. Je rirai à mon tour à votre mort, dit le Seigneur, et je me raillerai lorsque ce que vous craignez sera arrivé, lorsque le malheur un. prévu tombera sur vous, etc. Prov. I, 16.

 

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vos bonnes et vos mauvaises oeuvres, c'est ce que vous apprend la parabole des brebis et des boucs. (Matth. XXV, 34.) Saint Paul vous en avertit aussi : « Car nous devons tous », dit-il, « comparaître devant le tribunal de Jésus-Christ; afin que chacun reçoive ce qui est dû aux bonnes ou aux mauvaises actions qu'il aura faites pendant qu'il était revêtu de son corps ». (II Cor. V, 40.) Et encore : « Il découvrira les plus secrètes pensées du « cœur ». (I Cor. IV, 5.)

Vous avez commis un péché, ou vous avez eu la pensée de le commettre, cela, à l'insu des hommes? mais ce ne sera point à l'insu de Dieu : et cependant vous n'en êtes nullement en peine, et vous ne craignez que les yeux des hommes. Pensez donc que, dans ce jour, il ne vous sera pas possible de vous cacher aux hommes, et qu'alors tout sera exposé à nos yeux comme dans un tableau, afin que chacun prononce la sentence contre soi-même. C'est là de quoi. l'exemple du riche ne nous permet pas de douter. Il vit debout devant ses yeux le pauvre qu'il avait méprisé, je veux dire Lazare, et celui qu'il avait rejeté avec horreur: maintenant il le prie de soulager sa soif d'une goutte d'eau sur le bout de son doigt. (Luc, XVI, 49.) Je vous en conjure donc, mes frères, encore que personne ne voie ce que nous faisons, que chacun de vous entre dans sa conscience, qu'il prenne la raison pour juge, et qu'à ce tribunal il fasse comparaître ses péchés. Et s'il ne veut pas qu'ils soient divulgués au jour terrible du jugement, qu'il y applique les remèdes de la pénitence et qu'il guérisse ses plaies. Car chacun peut, quoique chargé de mille plaies, chacun peut s'en aller guéri. « Si vous pardonnez », dit Jésus-Christ, « vos fautes vous seront pardonnées; mais si vous ne pardonnez point, elles ne vous seront point pardonnées ». (Matth. VI, 14, 15.) En effet, comme les péchés noyés dans le baptême ne reparaissent plus, ainsi les autres seront effacés, si nous faisons pénitence.

Or, la pénitence consiste à ne plus commettre les mêmes péchés. « Car celui qui y retourne est semblable à un chien qui retourne à ce qu'il avait vomi » (II Pierre, 11, 21, 22), et à celui aussi qui, comme dit le proverbe, bat le feu (1), et qui tire de l'eau dans un

 

1. Qui bat le feu a. Ou qui remué, qui agite, qui souffle le leu celui qui retombe dans les mêmes péchés, lui est semblable.; parce qu'au lieu d'éteindre sa passion et sa concupiscence, il l'allume, de même que celui qui bat, ou souffle le feu, le ranime et l'enflamme davantage, bien loin de l'éteindre. Vid. Adag. Erasm.

 

 

vase percé (1). Il faut donc s'abstenir du vice, et de fait et de coeur, et appliquer à chaque péché le remède qui lui est contraire. Par exemple : avez-vous ravi le bien d'autrui ? avez-vous été avare? abstenez-vous de voler, et appliquez à votre plaie le remède de l'aumône. Vous avez commis le péché de fornication? cessez de le commettre et appliquez à cette plaie la chasteté. Vous avez terni la réputation de votre frère par votre langue ? cessez de médire et appliquez le remède de la charité. Faisons ainsi la revue de chacun de nos péchés en particulier, et n'en passons aucun; car le temps de rendre compte est proche, certainement il est proche : c'est pourquoi saint Paul disait. « Le Seigneur est proche: Ne vous inquiétez de rien ». (Phil. IV, 5, 6.) Mais à nous, au contraire, peut-être faut-il nous dire : le Seigneur est proche, soyez dans l'inquiétude. Ces fidèles avaient de la joie d'entendre ces paroles: « Ne vous inquiétez de rien », eux qui passaient leur vie dans les calamités, dans les travaux, dans les combats. Mais à ceux qui, vivant dans les rapines et dans les voluptés, ont un terrible compte à rendre, ce n'est point cela qu'il leur faut dire, mais: le Seigneur est proche, inquiétez-vous!

Et certes la consommation du siècle n'est point éloignée, déjà le monde se hâte vers sa fin. Les guerres, la misère, les tremblements de terre, le refroidissement de la charité, la prédisent et l'annoncent. Comme le corps qui expire et qui est près de mourir est accablé de mille douleurs; comme aussi d'une maison qui va s'écrouler se détachent du toit et des murailles bien des morceaux qui tombent à terre, de même la fin du monde est proche, et voilà pourquoi toutes sortes de maux l'attaquent de toutes parts. Si alors le Seigneur était proche, il l'est bien plus à présent; si plus de quatre cents ans se sont écoutés depuis que saint Paul à dit : le Seigneur est proche ; s'il appelait son époque l'accomplissement des temps, à plus forte raison, du temps présent, doit-on dire qu'il est la fin du monde. Mais peut-être c'est pour cela que quelques-uns ne le croient pas. Eh ! n'est-ce pas, au contraire, une nouvelle raison de le croire? D'où le savez

 

1. On sait que tirer de l'eau dans un vaisseau percé, ou dans un crible, c'est perdre son temps et sa peine ; c'est ne rien faire. Il en est de menue de celui qui retombe toujours dans les mêmes péchés qu'il a pleurés, et dont il a fait pénitence, etc.

 

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vous, ô homme, que la fin n'est pas proche, que cette prédiction de saint Paul est encore loin de son accomplissement? Comme ce n'est pas le dernier jour que nous disons être la fin de l'année, mais aussi le dernier mois, quoiqu'il soit de trente jours; de même, quand il s'agit d'un si grand nombre d'années , un espace de quatre cents années peut être appelé la fin. Quoi qu'il en soit, dès lors l'apôtre a prédit la fin du monde.

Modérons-nous donc , changeons de vie , complaisons-nous dans la crainte de Dieu. Car dans le temps même où nous aurons le plus de confiance, lorsque nous y penserons le moins et que nous ne nous y attendrons pas, c'est alors que tout à coup le Seigneur arrivera. Voilà de quoi Jésus-Christ nous avertit, en disant : « Il arrivera , à la consommation de ce siècle, ce qui arriva au temps de Noé et au temps de Loth ». (Matth. XXIV, 37.) Saint Paul nous le prédit de même: « Lorsqu'ils diront » : Nous voici en « paix » et en « sûreté, ils se trouveront surpris tout d'un coup d'une ruine imprévue , comme l'est une femme grosse des douleurs de l'enfantement ». (I Thess. V, 3.) Qu'est-ce que cela veut dire, des douleurs d'une femme grosse? Souvent les femmes grosses, au moment où elles jouent, dînent, sont au bain, se promènent sur la place publique, né pensent à rien moins qu'à ce qui va leur arriver, se trouvent subitement attaquées des douleurs de l'enfantement : puis donc que nous sommes également menacés d'être surpris, tenons-nous toujours prêts. On ne nous dira pas toujours ces choses, nous n'aurons pas toujours la même faculté, «Qui est celui », dit l'Ecriture, « qui vous louera dans l'enfer? » (Ps. VI, 5.) Faisons donc pénitence en ce monde, afin que Dieu ait, pitié de nous au jour futur, et que nous obtenions le pardon entier de nos péchés. Je le demande pour nous tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui soit la gloire et l'empire, dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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