HOMÉLIE V
Précédente Accueil Remonter Suivante

 

AVERTISSEMENT
HOMÉLIE I.
HOMÉLIE II
HOMÉLIE III
HOMÉLIE IV
HOMÉLIE V
HOMÉLIE VI
HOMÉLIE VII
HOMELIE VIII
HOMÉLIE IX
HOMÉLIE X
HOMÉLIE XI
HOMÉLIE XII
HOMÉLIE XIII
HOMÉLIE XIV
HOMÉLIE XV
HOMÉLIE XVI
HOMÉLIE XVII
HOMÉLIE XVIII
HOMÉLIE XIX
HOMÉLIE XX
HOMÉLIE XXI
HOMÉLIE XXII
HOMÉLIE XXIII
HOMÉLIE XXIV
HOMÉLIE XXV
HOMÉLIE XXVI
HOMÉLIE XXVII
HOMÉLIE XXVIII
HOMÉLIE XXIX
HOMÉLIE XXX
HOMÉLIE XXXI
HOMELIE XXXII
HOMÉLIE XXXIII
HOMÉLIE XXXIV
HOMÉLIE XXXV
HOMÉLIE XXXVI
HOMÉLIE XXXVII
HOMÉLIE XXXVIII
HOMÉLIE XXXIX
HOMÉLIE XL
HOMÉLIE XLI
HOMÉLIE XLII
HOMÉLIE XLIII
HOMÉLIE XLIV
HOMÉLIE XLV
HOMÉLIE XLVI
HOMÉLIE XLVII
HOMÉLIE XLVIII
HOMÉLIE XLIX
HOMÉLIE L
HOMÉLIE LI
HOMÉLIE LII
HOMÉLIE LIII
HOMÉLIE LIV
HOMÉLIE LV
HOMÉLIE LVI
HOMÉLIE LVII
HOMÉLIE LVIII
HOMÉLIE LIX
HOMÉLIE LX
HOMÉLIE LXI
HOMÉLIE LXII
HOMÉLIE LXIII
HOMÉLIE LXIV
HOMÉLIE LXV
HOMÉLIE LXVI
HOMÉLIE LXVII
HOMÉLIE LXVIII
HOMÉLIE LXIX
HOMÉLIE LXX
HOMÉLIE LXXI
HOMÉLIE LXXII
HOMÉLIE LXXIII
HOMÉLIE LXXIV
HOMÉLIE LXXV
HOMÉLIE LXXVI
HOMÉLIE LXXVII
HOMÉLIE LXXVIII
HOMÉLIE LXXIX
HOMÉLIE LXXX
HOMÉLIE LXXXI
HOMÉLIE LXXXII
HOMÉLIE LXXXIII
HOMÉLIE LXXXIV
HOMÉLIE LXXXV
HOMÉLIE LXXXVI
HOMÉLIE LXXXVII
HOMÉLIE LXXXVIII

127

 

HOMÉLIE V.

TOUTES CHOSES ONT ÉTÉ FAITES PAR LUI, ET SANS LUI RIEN N’A ÉTÉ FAIT DE CE QUI A ÉTÉ FAIT. (VERSET 3, JUSQU'AU VERSET 6.)

 

ANALYSE.

 

1. Comment certains hérétiques altéraient le sens du 3e verset du 1er chapitre de l'Évangile selon saint Jean, par un changement de ponctuation.

2. Conséquences absurdes auxquelles conduit le sens admis par les hérétiques.— Que le Saint-Esprit n'a pas été fait.

3. Le Fils de Dieu est égal à son Père.— Fécondité inépuisable du Créateur.— Dieu n'est pas un être composé.

4. Que les pécheurs ne diffèrent point des gens ivres et furieux.—  Il faudrait mieux aller et se montrer nu dans les rues, que couvert et chargé de péchés.

 

1. Moïse commence l'histoire de l'Ancien Testament par ce qui est sensible à nos yeux, et en fait une description fort étendue. Il dit: « Au commencement Dieu a fait le ciel et la terre» (Gen. I,1); il ajoute :Il a fait la lumière, le firmament, les étoiles, et des animaux de toutes sortes d'espèces: car il serait trop long de nommer tout en particulier.

Mais notre évangéliste renferme tout en un seul mot: et ces choses, et toutes celles qui sont au-dessus d'elles. Et certes, c'est avec justice et avec raison : Premièrement, toutes ces choses sont connues des auditeurs; et en second lieu , il se hâte d'entrer dans un sujet plus grand et plus élevé. Ainsi il commence sa narration, non par les ouvrages , ou par les créatures, mais par leur auteur et leur Créateur. C'est pourquoi Moïse , n'ayant entrepris de traiter que la moindre partie de la création, puisqu'il n'a point parlé des puissances invisibles, s'arrête uniquement à ce point : mais Jean, qui tout à coup veut s'élever jusqu'au Créateur, passe légèrement et en courant sur toutes ces choses, et renferme tout ce qu'a dit Moïse et ce qu'il a omis, dans ce peu de paroles: « Tout a été fait par lui ». Et de peur que vous ne croyiez qu'il n'a en vue que ce dont le législateur a déjà fait mention, il ajoute : « Rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui » , c'est-à-dire, rien de ce qui peut tomber sous les sens, ou de ce qui est invisible et purement intellectuel, n'a été fait que par la vertu, et par la puissance du Fils.

Nous ne mettrons pas un point après ces mots : « Rien n'a été fait », comme font les hérétiques, qui, voulant que le Saint-Esprit ait été créé, lisent ainsi : « Ce qui a été fait était vie dans lui ». C'est rendre ces paroles inintelligibles. Car premièrement, il n'était pas à propos de parler du Saint-Esprit en cet endroit; et en second lieu, si l'évangéliste avait voulu l'indiquer, pourquoi se serait-il expliqué si obscurément? Où est la preuve que ce soit du Saint-Esprit qu'il ait dit ces paroles ? mais encore, selon leur manière même de ponctuer, nous trouverons que ce n'est pas le Saint-Esprit qui a été fait, mais que c'est le Fils qui s'est fait lui-même.

Soyez donc attentifs, afin de bien retenir le texte, et nous, lisons cependant le passage selon leur manière de le ponctuer; l'absurdité qui en résulte sera plus visible et plus manifeste: « Ce qui a été fait était vie dans lui ». Sur quoi ils disent que le mot: « Vie » signifie le Saint-Esprit. Mais il se rencontre ici, que la vie est aussi appelée lumière : car l'évangéliste ajoute: « Et la vie était la lumière des hommes». Donc, selon eux, saint Jean dit ici que le Saint-Esprit est la lumière des hommes: mais que diront-ils sur ce qui suit? Saint Jean [127] ajoute encore: « Un homme a été envoyé de Dieu, pour rendre témoignage à la lumière ». Il faut bien qu'ils répondent que cela est dit aussi du Saint-Esprit; car celui-là même qu'il a nommé « Verbe » ci-dessus, il le qualifie « Dieu, vie et lumière» dans les paroles suivantes : « Ce Verbe, » dit-il, « était la vie », et cette même vie « était la lumière ». Si donc le Verbe était la vie, et si le Verbe qui est la vie, s'est fait chair, la vie s'est fait chair, c'est-à-dire le Verbe: « Et nous avons vu sa gloire ,  comme du Fils unique du Père ».

Si ces hérétiques soutiennent donc qu'en cet endroit le Saint-Esprit est appelé la vie, voyez combien il s'ensuit d'absurdités : il résulte delà que c'est le Saint-Esprit qui s'est incarné, et non pas le Fils; que le Saint-Esprit est le Fils unique. Et si cela n'est point ainsi, ou s'ils veulent éviter ces conséquences, ils tomberont dans de plus grandes extravagances, en lisant comme ils font. S'ils avouent que c'est du Fils qu'il est parlé en ce lieu et s'ils ne ponctuent pas et ne lisent pas comme nous, il faut nécessairement qu'ils disent que le Fils a été fait par lui-même. En effet, si le Verbe était la vie, si ce qui a été fait, était vie en lui : de cette façon de lire il s'ensuit que le Verbe a été fait en lui-même, et par lui-même. L'Evangile ajoute ensuite quelques lignes après: « Et nous avons vu sa gloire, sa gloire, » dis-je « comme du Fils unique du Père (14) ». Voilà comment de leur façon de lire, et de leur manière de s'expliquer, il résulte que le Saint-Esprit est le Fils unique ; car «selon eux », c'est de l'Esprit-Saint qu'il est uniquement parlé, c'est à lui seul que se rapporte tout ce discours.

Ici, mes frères, ne voyez-vous pas dans quels précipices, et dans quelles absurdités on tombe, lorsqu'une fois on s'égare et l'on s'écarte de la vérité? Quoi donc? L'Esprit-Saint, direz-vous, n'est-il pas la lumière? Oui, il est sûr qu'il est la lumière; mais il n'est point fait mention de lui en cet endroit. Quoique Dieu soit Esprit, c'est-à-dire incorporel, il ne s'ensuit pourtant pas de là que toutes les fois qu'on dit esprit, ce soit de Dieu qu'on parle. Et pourquoi vous étonneriez-vous, si nous le disions du Père? Du Paraclet, du Consolateur même, nous ne dirons pas que partout où l'on trouve le nom d'esprit, ce soit de l'Esprit Consolateur qu'on parle : quoique ce nom lui soit propre, et celui qui lui convient le plus, toute

fois partout où on lit le nom d'esprit, il ne faut pas toujours l'entendre du Paraclet; car Jésus-Christ aussi est appelé la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu. Mais partout où. on nomme la vertu de Dieu, la sagesse de Dieu, ce n'est pas toujours dé lui qu'on parle. Il en est de même en ce' lieu: quoique le Saint-Esprit illumine, ce n'est pas néanmoins de lui que parle maintenant l'évangéliste. Mais nous avons beau faire justice de ces absurdités : eux, dans leur extrême obstination à combattre la vérité, ne cessent point de dire : « Ce qui a été fait, était vie en lui », c'est-à-dire, ce qui a été fait était vie.

Quoi donc ? le châtiment des Sodomites, le déluge, les tourments, et mille autres choses semblables , tout cela était vie? Mais, disent-ils, nous parlons de la création. Certes, ces choses appartiennent à la création. Mais pour combattre plus fortement encore leurs sentiments, interroge»ns-les : dites-nous donc, le bois est-il vie? Lés pierres, ces êtres inanimés et sans mouvement, sont-ils vie? l'homme lui-même, est-il absolument vie? Qui pourrait le prétendre? L'homme n'est point la vie, mais capable de vie.

2. Considérez encore ici leurs absurdités, car nous les suivrons pas à pas, pour mettre leur folie dans un plus grand jour; tant nous sommes sûrs qu'ils n'allèguent rien qui puisse convenir au Saint-Esprit ! En effet, forcés dans leurs retranchements, et contraints d'abandonner leurs premières opinions, ils appliquent aux hommes ce qu'ils croyaient auparavant pouvoir dignement attribuer à l'Esprit-Saint; mais examinons maintenant leur leçon dans ce nouveau sens.

La créature est à présent appelée vie, elle est donc aussi la lumière: et Jean est venu pour lui rendre témoignage. Pourquoi donc n'est-il pas lui-même la lumière? L'Ecriture dit : « Il n'était pas la lumière » ; cependant il était du nombre des créatures: comment n'est-il donc pas la lumière? Et comment expliquer : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui ?» La créature était dans la créature, et la créature a été faite par la créature : comment le monde ne l'a-t-il point connu ? Est-ce que la créature n'a point connu la créature? « Mais il a donné à tous ceux qui l'ont reçu le pouvoir d'être faits enfants de Dieu ». Mais en voilà assez pour faire rire tout le monde de leurs impertinences; ce sera maintenant à vous [129] à combattre leurs monstrueuses opinions. Je vous les abandonne, de peur qu'il ne semble que nous n'avons rien dit jusqu'à présent que pour rire et nous moquer d'eux, et que nous perdons le temps.

En effet, si ces paroles ne sont point dites du Saint-Esprit, comme nous l'avons déjà démontré, ni de la créature, et si néanmoins ils soutiennent et défendent leur même leçon, il s'ensuivra, comme nous l'avons fait voir, la plus grande de toutes les absurdités, savoir que le Fils a été fait par lui-même. Car si le Fils est la vraie lumière, et si cette lumière était la vie, et si la vie a été faite en lui, il s'ensuit nécessairement de leur leçon, que le Fils a été fait par lui-même; c'est pourquoi laissons leur manière de ponctuer, rejetons-la, et venons à celle qui est juste, et à la bonne interprétation. Quelle est-elle? elle consiste à terminer le sens de ces paroles : « Ce qui a été a fait ». Et de commencer ensuite par celles-ci : « Dans lui était la vie», par où l'évangéliste veut nous faire entendre que « rien de ce qui a été fait, n'a été fait sans lui ». Si quelque chose a été faite, dit-il, elle n'a point été faite sans lui.

Ne voyez-vous pas, mes frères, qu'au moyen de cette courte addition, saint Jean a dissipé tous les doutes et toutes les absurdités qui pouvaient naître? Car par ces mots : «Rien n'a été fait sans lui », et par cette courte addition : « De ce qui a été fait », il comprend et renferme ensemble tous les êtres intellectuels, et met. à part le Saint-Esprit. Comme il avait dit : « Toutes choses ont été faites par lui, et rien n'a été fait sans lui » ; cette addition était nécessaire, de peur que quelqu'un n'alléguât: mais si toutes choses ont été faites par lui, le Saint-Esprit a donc été fait par lui. C'est des choses qui ont été faites, dit-il, que je dis qu'elles ont été faites par lui: ces choses fussent elles invisibles , incorporelles , célestes. Voilà :pourquoi je n'ai pas dit simplement toutes choses; mais j'ai dit : si quelque chose

a été faite, c'est-à-dire, ce qui a été fait. Or  l’Eprit n'a pas été fait.

Vous voyez combien cette doctrine est exacte. L’Évangéliste a rappelé la création des choses sensibles, dont Moïse nous avait auparavant instruits; ensuite nous voyant suffisamment éclairés là-dessus, il a élevé nos esprits à des choses plus sublimes, c'est-à-dire, à ce qui est incorporel et invisible, et il a séparé le [129] Saint-Esprit de toutes les créatures ; c'est ainsi, c'est en ce sens que saint Paul, inspiré de la même grâce, disait : « Car tout a été créé par lui ». (Col. 1,16.) Je vous prie d'observer ici la même exactitude; car le même esprit mouvait aussi cette âme. De crainte que quelqu'un ne retranchât de la création aucune des choses qui ont été faites, à cause qu'elles étaient invisibles, ou qu'il n'y joignît le Paraclet, le saint apôtre passe sur les choses sensibles, qui étaient connues de tout le monde, et fait la description des choses célestes en ces termes : « Soit les Trônes, soit les Dominations, soit les Principautés, soit les Puissances ». (Col. I, 16.) Par ce mot . « soit » chaque fois répété, il ne nous fait entendre que ceci : « Tout ce qui a été fait par lui, et rien de ce qui a été fait, n'a été  fait sans lui ».

Que si, vous croyez que ce mot : « Par », marque quelque chose de moins, « comme un simple ministère », écoutez ce que dit le Prophète : « Vous avez, Seigneur, dès le commencement fondé la terre, et les cieux sont les ouvrages de vos mains ». (Ps. CI, 26.) Ce qui est dit du Père, comme Créateur, l'évangéliste le dit ici du Fils: il ne l'aurait point dit s'il ne le regardait pas comme Créateur , mais bien comme. simple ministre. Que s'il est dit : « Par lui » , ce n'est qu'afin qu'on ne croie pas que le Fils n'est point engendré. Mais pour avoir un, témoignage bien sûr que, quant à la dignité de créateur le Fils n'a rien de moins que le Père, écoutez en quels termes il parle de lui-même : « Comme le Père » , dit-il , « ressuscite les morts et leur rend la vie, ainsi le Fils donne la vie à qui il lui plaît ». (Jean, V, 21.) Si c'est du Fils qu'il est dit dans l'Ancien Testament : « Vous avez, Seigneur, dès le commencement fondé la  terre » , sa dignité de Créateur est visible et manifeste ; mais si vous dites que le prophète a parlé du Père en cet endroit, et que saint Paul a attribué au Fils ce qui était dit du Père, il s'ensuit pourtant toujours la même chose. L'apôtre ne se serait pas porté à attribuer aussi la création au Fils, s'il n'avait été tout à fait certain que le Fils est égal au Père en dignité et en puissance. II y aurait eu en effet une extrême témérité d'attribuer à celui qui est moindre et inférieur, un pouvoir propre à l'incomparable nature du Tout-Puissant.

3. Mais le Fils n'est ni moindre (lue le Père, ni ,inférieur à lui cil essence, en [130] substance; c'est pourquoi saint Paul n'a pas seulement osé lui attribuer cette dignité, mais encore d'autres semblables. Car ce mot :. « Duquel », que vous n'attribuez qu'à la dignité du Père seul, il l'applique également au Fils dans ces paroles : « Duquel », dit-il, « tout le corps » de l'Eglise « recevant l'influence par les vaisseaux qui en joignent et lient toutes les parties, s'entretient et s'augmente par l'accroissement que Dieu lui donne ». (Col. II, 19.) Ce n'est pas tout, il vous ferme encore mieux la bouche d'une autre façon, en disant du Père : « Par qui», expression qui, selon vous, implique infériorité : « Car », dit-il, « Dieu par qui vous avez été appelés à la société de son Fils Jésus-Christ Notre-Seigneur, est fidèle et véritable ». (I Cor. 1, 9.) Et encore « Par sa volonté »; et ailleurs : « Tout est de lui, « tout est par lui, et tout est en lui ». (Rom. XI, 36.)

Enfin ce terme : « Duquel » est attribué non-seulement au Fils, mais aussi au Saint-Esprit, puisque l'ange disait à Joseph: « Ne craignez point de prendre avec vous Marie votre à femme; car ce qui est né dans elle, est du Saint-Esprit ». (Matth. I, 20.) Et de même ce mot : « En qui », qui est propre au Saint-Esprit, le prophète ne fait point de difficulté de l'attribuer à Dieu « le Père », lorqu'il dit . « En Dieu (1) nous ferons des actions de vertu ». Et saint Paul dit : « Dans ses prières, si EN LA VOLONTÉ DE DIEU (2), je dois trouver enfin une voie favorable pour aller vers vous » (Rom. I, 10) ; il le dit aussi de Jésus-Christ : « En Jésus-Christ ». Et certes, ces paroles et ces expressions: « En qui, duquel, par qui », etc., se trouvent souvent dans l'Ecriture indifféremment appliquées et attribuées aux trois personnes de la sainte Trinité; ce qui ne serait point, et n'arriverait pas, si leur substance n'était la même et égale en tout.

Mais de peur que vous ne croyiez que ces paroles: « Tout a été fait par lui » , doivent à présent s'entendre des prodiges et des,miracles (car les autres évangélistes en ont fait mention), saint Jean ajoute ensuite : « Il était dans le monde, et le monde a été fait par lui » , mais non le Saint-Esprit, qui n'est pas au

 

1. « En Dieu » : Il serait mieux de dire : « Avec Dieu » ; mais l'application qu'en fait le saint Docteur demande que je traduise comme je fais.

2. « Si en la volonté de Dieu » : je suis forcé de traduire de même pour me conformer au sens; on dira mieux : « je demande continuellement à Dieu dans mes prières, que si c'est sa volonté, il m'ouvre enfin quelque voie favorable pour aller vers vous ».

 

nombre des créatures, et qui est au contraire au-dessus de toutes les choses créées.

Passons à l'explication du reste du chapitre. Saint Jean , après avoir dit, parlant de la création : « Toutes choses ont été faites par lui, et à rien de ce qui a été fait n'a été fait sans lui », fait aussi mention de la Providence par ces paroles. « Dans lui était la vie ». Car, de peur que quelque incrédule ne doutât que tant et de si grandes choses eussent été faites par lui, il a ajouté: «Dans lui était la vie». Or, de même qu'on ne peut diminuer une source qui jette des abîmes d'eaux et les répand par torrents, quelque quantité qu'on en puise; ainsi faut-il penser du Fils unique: la puissance qu'il a de créer est inépuisable : quelques productions que vous puissiez lui attribuer, elle n'est en rien diminuée.

Mais plutôt servons-nous d'un exemple plus propre et plus convenable, comme de celui de la lumière, dont le saint évangéliste parle ensuite en disant: « Et la vie était la lumière ». Comme donc la lumière, quelques milliers d'hommes qu'elle éclaire, ne perd rien de sa splendeur: ainsi et de même, Dieu, et avant et après avoir créé ses ouvrages, et les avoir produits au dehors, demeure également entier, et ne souffre ni diminution, ni altération, quel que soit le nombre de ses oeuvres. Fallût-il même créer encore mille mondes semblables à celui-ci : en fallût-il produire un nombre infini, il suffirait à toutes ces choses, et non-seulement pour les créer, mais aussi pour les faire subsister après les avoir créées. Car ici le nom de vie ne marque pas seulement la puissance qu'il a de créer, mais encore cette providence par laquelle il conserve les choses qu'il a créées. Bien plus, par ce nom saint Jean jette dans nous les fondements de la doctrine de la résurrection, et le principe de cette révélation ineffable. Car la vie venant à nous, l'empire de la mort est détruit; la lumière nous illuminant, les ténèbres sont dissipées; la vie demeure pour toujours dans nous , et la mort ne peut avoir de domination sur elle.

Ainsi tout ce qui est dit d u Père serait également bien dit du Fils: «C'est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l'être ». (Act. XVII, 28.) Saint Paul le déclare aussi par ces paroles: « Tout a été créé par lui, et toutes choses subsistent en lui ». (Col. I, 16, 17.) Voilà pourquoi il est appelé et la racine et le fondement. Donc quand vous. entendez dire du Fils: [131] « Dans lui était la vie » , ne pensez pas qu'il soit un être composé. Car le Fils dit ensuite du Père : « Comme le Père a la vie en lui-même, il a aussi donné au Fils d'avoir la vie en lui même » (Jean, V, 10); et comme vous ne direz pas pour cela que le Père soit un être composé, ne le dites pas non plus du Fils, puisque l'Ecriture dit aussi ailleurs: « Dieu est la lumière même » (1 Jean, I , 5); et encore « Dieu habite une lumière      inaccessible ». (I Tim. VI, 16.) Elle ne s'énonce point en ces termes pour nous faire penser qu'il y ait en Dieu de la composition, mais afin que nous nous élevions peu à peu au comble de la doctrine.

Comme effectivement le petit peuple et les faibles auraient peine à comprendre de quelle manière la vie subsiste en lui, c'est aussi pour cette raison qu'elle dit premièrement ce qu'il y a de plus simple et de plus bas , et, de ce premier degré d'instruction, nous élève ensuite à ce qu'il y a de plus sublime. Car Celui qui a dit : « Il a donné au Fils d'avoir la vie », est le même que Celui qui dit: « Je suis la vie » , et encore: «Je suis la lumière ». Mais quelle est,

je vous prie , cette lumière ? Elle n'est point sensible , mais elle est spirituelle , et c'est elle qui illumine l'âme. Jésus-Christ devait dire : « Personne ne peut venir à moi si mon Père ne l'attire ». (Jean, VI, 44.) Voilà pourquoi l'évangéliste nous prévient, et dit: « C'est lui qui illumine » ; il le dit aussi afin que si vous entendez dire quelque chose de semblable du Père, vous sachiez et vous confessiez que cela n'est pas uniquement propre au Père, mais encore au Fils, car Jésus-Christ dit: « Tout ce qui est à mon Père est à moi ». (Jean, XVI, 15.)

L'évangéliste nous a donc premièrement enseigné que toutes choses ont été créées: il nous a fait connaître ensuite par un seul mot les biens spirituels que nous a apportés le Fils lorsqu'il est venu au monde, en disant : « Et la vie était la lumière des hommes ». Il n'a point dit . Il était la lumière des Juifs, mais de tous les hommes. Car ce ne sont pas seulement les Juifs, mais encore les gentils, qui sont parvenus à la connaissance de cette lumière: cette lumière était commune à tous, exposée aux yeux de tous les hommes.

Mais pourquoi n'a-t-il pas ajouté les anges, et n'a-t-il nommé que les hommes ? C'est parce qu'il parle maintenant de la nature humaine, et que c'est aux hommes qu'il s'apprête à annoncer la bonne nouvelle.

« Et la lumière luit dans les ténèbres (5) ». Saint Jean appelle « ténèbres », la mort et l'erreur. Car la lumière sensible (1) ne luit pas dans les ténèbres, mais à l'écart et à part des ténèbres : au contraire, la lumière de la prédication a brillé au milieu même de l'erreur qui régnait sur le monde, et l'a dissipée : et Jésus-Christ, attaquant lui-même la mort par sa mort, l'a si bien vaincue, qu'il a tiré et délivré de son empire ceux qu'elle retenait déjà dans ses liens (2) : comme donc ni la mort, ni,l'erreur, n'ont pu surmonter, ni vaincre cette lumière, et qu'au contraire elle illumine tout, et brille par sa propre vertu ; voilà pourquoi l'évangéliste dit : « Et les ténèbres ne l'ont point comprise ». Car cette lumière est invincible, et elle n'habite pas volontiers dans les âmes qui ne veulent point être illuminées.

4. Né vous étonnez donc pas, mes frères, si cette lumière n'illumine pas tous les hommes: Dieu ne nous attire point à lui par force ou par violence, mais librement et selon la disposition de notre volonté. Ne fermez point la porte à cette lumière, et vous jouirez de toutes sortes de félicités. La foi l'attire à nous, cette lumière, et quand elle est venue, elle illumine infiniment celui qui la reçoit : si votre vie est pure et sainte, elle demeurera toujours en vous. Car Jésus-Christ dit : « Si quelqu'un m'aime, « il gardera mes commandements, et nous  viendrons à lui mon Père et moi, et nous ferons en lui notre demeure ». (Jean, IV, 23.) Comme on ne peut pas bien jouir de la lumière du soleil, si l'on n'ouvre les yeux, de même, on ne participe pas pleinement à cette resplendissante lumière, si l'on n'ouvre les yeux de l'âme, et si on ne les met en état de la recevoir de toutes parts : mais comment le peut-on ? c'est en se purifiant de tous ses vices.

Le péché n'est que ténèbres , il est couvert de nuages épais, et cela parait visiblement, puisque c'est inconsidérément et sans témoins qu'on le commet: car, « quiconque fait le mal hait la lumière , et ne s'approche pas de la lumière ». (Jean , III , 20.) Et: « La pudeur

 

1. La lumière sensible, c'est-à-dire le soleil.

2. Le saint Docteur ne ferait-il pas ici allusion à ces paroles de saint Pierre : « Jésus-Christ étant mort en sa chair, mais étant ressuscité par l'Esprit, par lequel aussi il alla prêcher sur esprits qui étaient retenus en prison ? » ( I Pierre, III, 28, 29.)

 

132

 

ne permet pas seulement de dire ce que ces personnes font en secret ». (Ephés. V, 32.) De même que dans les ténèbres nous ne connaissons ni l'ami ni l'ennemi, et ne discernons pas les objets, ainsi dans le péché nous ne voyons rien: l'avare ne distingue pas l'ami de l'ennemi; l'envieux voit d'un oeil d'inimitié l'homme qui lui est le plus dévoué; celui qui tend des piéges déclare la guerre à tout le monde. En un mot, quiconque est asservi au péché ne diffère point des gens, ivres et furieux et cesse de discerner les choses. Comme. dans la nuit, faute de lumière pour distinguer les objets: le bois, le plomb, le fer, l'argent, l'or, les pierres précieuses, tout paraît semblable à nos yeux; de même celui qui vit dans l'impureté ne connaît point l'excellence de la sagesse ni la beauté de la philosophie. En effet, dans les ténèbres, comme je l'ai déjà dit, les pierres précieuses ne montrent pas leur propre beauté ; et cela ne provient point de leur nature, mais de l'ignorance de ceux qui les regardent.

Mais ce n'est point là le seul malheur qui accable celui qui vit dans le péché: il est dans une crainte perpétuelle, et de même que ceux qui se trouvent en chemin dans une nuit obscure, où la lune ne brille point, tremblent toujours, quoiqu'il n'y ait là personne pour causer leurs alarmes; ainsi les pécheurs sont dans une méfiance continuelle, quand bien même personne ne leur ferait de reproches. Mais les remords de leur conscience font que tout les effraie, tout leur est suspect, que tout est plein pour eux de crainte et de terreur, et qu'ils ne voient rien qui ne les inquiète.

Fuyons donc une vie si tourmentée, car après ces inquiétudes la mort viendra, et une mort éternelle, où les supplices n'auront point de fin. Mais en ce monde même, ces pécheurs, qui s'imaginent des choses sans réalité, ne diffèrent point des fous; ils se croient riches, et ils ne le sont pas; il leur semble qu'ils vivent dans les plaisirs et dans les délices, et ils n'ont ni délices ni plaisirs, et ils ne reconnaissent et ne sentent comme il faut combien leurs idées sont fausses et trompeuses qu'après s'être guéris de leur démence, avoir secoué leur léthargie. Voilà pourquoi saint Paul veut que nous soyions tous sobres et vigilants, et Jésus-Christ nous le commande aussi. Celui qui est sobre et qui veille, si le péché le surprend, aussitôt il le chasse; mais l'insensé ou celui qui dort ne sait pas comment le péché s'empare de lui. Ne nous endormons donc point, car la nuit est passée, nous sommes dans le jour. « Marchons donc avec bienséance et avec honnêteté, comme « marchant durant le jour », (Rom. XIII, 13.)

En effet, rien n'est plus laid, rien n'est plus honteux que le péché. Ce serait un moindre mal, , à le prendre du côté de la. honte et de la laideur, d'aller nu dans les rues, que couvert et chargé de péchés et de crimes. D'aller nu, ce ne serait pas un si grand crime, puisque souvent l'indigence en est la cause; mais il n'est rien de si infâme ni de si méprisable que le pécheur.

Représentons-nous ces voleurs qu'on traîne devant les juges pour leurs rapines et leurs spoliations : voyons combien leurs insolences, leurs friponneries et leurs violences les rendent hideux, ridicules et méprisables. Oh que nous sommes misérables et malheureux ! Nous qui ne voulons pas souffrir sur nous un manteau mal arrangé ou à l'envers, et qui , si nous le voyons ainsi sur un autre, y portons aussitôt la main pour l'ajuster: si notre prochain et nous, nous marchons de travers dans la voie des commandements de Dieu, nous ne nous en apercevons point du tout. Qu'est-il, je vous prie , de plus vilain et de plus infâme qu'un homme qui entre chez une prostituée? Qu'y a-t-il de plus ridicule et de plus risible qu'un homme violent, qu'un médisant, qu'un envieux? Comment peut-il se faire qu'on ne regarde pas ces choses comme aussi honteuses que d'aller nu dans les rues? C'est seulement parce qu'on s'est accoutumé à ces Sortes de vices; car on n'a jamais vu personne marcher nu dans les rues -volontairement: mais la coutume fait que l'on pèche hardiment.

Certes, si quelqu'un entrait dans la société des anges, où il ne s'est jamais rien passé de semblable, il connaîtrait bientôt combien ces sortes d'actions sont honteuses et ridicules. Mais pourquoi nommé je la société des anges? Aujourd'hui même, et parmi nous, si quelqu'un .ose introduire une femme de mauvaise vie dans le palais de l'empereur, ou s'y enivrer, ou y commettre quelqu'autre action honteuse, il en est puni du dernier supplice. Que s'il n'est pas permis de rien faire de semblable dans le palais du prince, à plus forte raison, commettre de pareilles actions quelque part que ce soit, quand le Roi de l'univers est [133] présent partout et voit tout, c'est encourir les derniers supplices.

C'est pourquoi, je vous en conjure, mes chers frères, vivons en ce monde dans une grande paix, et travaillons à nous rendre purs et irréprochables : nous avons un Roi qui a continuellement les veux attentifs sur tout ce que nous faisons. Afin donc que cette lumière

nous illumine toujours, attirons ses rayons sur nous. De cette sorte nous jouirons et des biens présents et des biens futurs, par la grâce et par la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui gloire soit au Père et au Saint-Esprit , dans tous les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

 

Haut du document