|
|
LIVRE ONZIÈME.LA CRÉATION ET LE TEMPS
Il demande à Dieu lintelligence des Ecritures. Il cherche à expliquer les premières paroles de la Genèse : « Dans le principe Dieu fit le ciel et la terre. » Il répond à cette question : « Que faisait Dieu avant la création du monde? » Point de temps avant la création. Quest-ce que le temps? Quelle est la mesure du temps?
LA CONFESSION DE NOS MISÈRES DILATE NOTRE AMOUR. IL DEMANDE A DIEU LINTELLIGENCE DES ÉCRITURES. IL IMPLORE LA VÉRITÉ, QUI A PARLÉ PAR MOÏSE. LE CIEL ET LA TERRE NOUS CRIENT QUILS ONT ÉTÉ CRÉÉS. LE VERBE DIVIN, FILS DE DIEU, COÉTERNEL AU PÈRE. LE VERBE ÉTERNEL EST NOTRE UNIQUE MAÎTRE. LA VOLONTÉ DE DIEU NA PAS DE COMMENCEMENT. LE TEMPS NE SAURAIT ÊTRE LA MESURE DE LÉTERNITÉ. CE QUE DIEU FAISAIT AVANT LA CRÉATION DU MONDE. POINT DE TEMPS AVANT LA CRÉATION. QUELLE EST LA MESURE DU TEMPS? OU EST LE PASSÉ, OU EST LAVENIR? COMMENT LE PASSÉ ET LAVENIR SONT PRÉSENTS. QUEL NOM DONNER AUX DIFFÉRENCES DU TEMPS? IL DEMANDE A DIEU LA CONNAISSANCE DE CE MYSTÈRE. LE TEMPS EST-IL LA MESURE DU MOUVEMENT? ALLUMEZ MA LAMPE, SEIGNEUR, ÉCLAIREZ MES TÉNÈBRES. LE TEMPS NEST PAS LA MESURE DU TEMPS. COMMENT NOUS MESURONS LE TEMPS. LESPRIT EST LA MESURE DU TEMPS. DIEU CONNAÎT AUTREMENT QUE LES HOMMES.
CHAPITRE PREMIERLA CONFESSION DE NOS MISÈRES DILATE NOTRE AMOUR.
1. Eh quoi! ce que je vous dis, lignorez-vous donc, ô Dieu, possesseur de léternité? Lignorez-vous, ou avez-vous besoin du temps, pour voir ce qui se passe dans le temps? Pourquoi donc vous présenter le cours et la suite de tant de choses? Non pour vous les apprendre, sans doute, mais pour susciter vers vous dans mon coeur et dans les coeurs qui me liront de nouvelles flammes, afin quun seul cri sélève : « Le Seigneur est grand et infiniment digne de louanges (Ps. XCV, 4) » Je lai dit, et je le dis encore; cest lamour de votre amour qui ma suggéré cette pensée. Nous prions, et cependant la Vérité nous dit : « Votre Père sait ce quil vous faut, avant même que vous lui demandiez rien (Matth. VI, 8). » Ainsi la confession de nos misères et de vos miséricordes dilate notre amour pour vous; elle appelle sur nous cette grâce qui doit consommer notre délivrance et nous sortir de nous-mêmes, séjour de malheur, pour nous faire entrer en vous, souveraine béatitude. Car vous nous avez appelés à la pauvreté volontaire, à la douceur, à la faim et à la soif de la justice, à lamour des larmes, et de la compassion, et de la pureté intérieure, et de la paix (Matth. V, 3-9). Et je vous ai tout raconté, suivant mes forces et ma volonté, car vous avez voulu le premier que jélevasse jusquà vous, Seigneur mon Dieu, les louanges de votre bonté et de vos miséricordes éternelles (Ps. CXVII, 1).
CHAPITRE II.IL DEMANDE A DIEU LINTELLIGENCE DES ÉCRITURES.
2. Et ma plume serait-elle un organe capable de publier par quelles inspirations quelles saintes terreurs, par quelles consolations, quelles secrètes conduites vous mavez amené au ministère de votre parole et à la dispensation de vos sacrements? Et puis, eussé-je la force dêtre un narrateur fidèle, chaque goutte de temps me coûte si cher! Et depuis longtemps je brûle de méditer votre loi, et de vous confesser à cet égard mes lumières et mon ignorance; les premiers reflets de vos rayons, et la lutte des ténèbres qui règnent encore dans mon âme, jusquà ce que ma faiblesse soit absorbée par votre force. Et je ne veux pas répandre sur dautres soins les heures de loisir que me laissent les besoins de la nature, le délassement nécessaire de lesprit, et le service que nous devons aux hommes, ou que nous leur rendons sans leur devoir. 3. Seigneur mon Dieu, prêtez loreille à ma prière; que votre clémence exauce mon désir. Ce nest pas pour moi seul que ce coeur palpite; il se passionne encore pour lintérêt de ses frères. Et vous voyez dans ce coeur quil est ainsi. Oh! que je vous offre en sacrifice ce servage de pensées et de paroles dont je suis redevable; et donnez-moi de quoi vous offrir. « Je suis indigent et pauvre (Ps. LXXXV, 1), et vous êtes « riche; et vous versez vos libéralités sur tous « ceux qui vous invoquent (Rom. X, 12) » ô vous dont la Providence ne trouble pas la Sécurité. Retranchez en moi toute témérité, tout mensonge, (474) par la circoncision du coeur et des lèvres. Que vos Ecritures soient mes chastes délices. Que je ny trouve ni à mégarer, ni à égarer les autres. Voyez, Seigneur; ayez pitié, Seigneur mon Dieu, lumière des aveugles, vertu des faibles; encore leur lumière et leur vertu, quand ils ont recouvré la vue et la force; voyez mon âme, entendez ses cris du fond de labîme. Car, là même, si vous ny êtes pas aux écoutes, où adresser nos pas et nos cris? « A vous est le jour, à vous est la nuit ( Ps. LXXIII, 16) » Dun coup doeil, vous réglez le vol des moments. Faites-moi largesse de temps pour méditer les secrets de votre loi; ne la fermez pas à ceux qui frappent. Car ce nest pas en vain que vous avez dicté tant de pages mystérieuses : forêts sacrées, nont-elles pas aussi leurs cerfs qui se retirent, sabritent, courent, se reposent, paissent et ruminent sous leur ombre? Seigneur, amenez-moi à votre perfection; révélez-moi ces mystères. Oh! votre parole est ma joie; votre voix mest plus douce que le charme des voluptés. Donnez-moi ce que jaime; votre voix est mon amour, et vous mavez donné de laimer. Ne soyez pas infidèle à vos dons ; ne dédaignez pas votre pauvre plante que la soif dévore. Que je proclame à votre gloire toutes mes découvertes dans vos saints livres ! Que jécoute la voix, de vos louanges (Ps. XXV, 7)! Que je menivre de vous, en considérant les merveilles de votre loi, depuis ce jour premier-né des jours où vous avez fait le ciel et la terre, jusquà notre avènement au royaume de votre cité sainte 4. Seigneur, ayez pitié de moi, exaucez mes voeux. Rien de la terre, je crois, nest leur objet; ni lor, ni largent, ni les pierres précieuses, ni le luxe, ni les honneurs, ni la puissance, ni les plaisirs de la chair, ni les besoins qui nous suivent dans le trajet de la vie; toutes choses dailleurs données par surcroît à qui cherche votre royaume et votre justice (Matth. VI, 33). Voyez, Seigneur mon Dieu, où sélance mon désir. « Les impies mont raconté leur ivresse; mais quest-ce auprès de votre loi , Seigneur (Ps. CXVIII)? » Et voilà où mes voeux aspirent. Voyez, ô Père, regardez, voyez et agréez; que sous loeil propice de votre miséricorde, je frappe à la porte de vos paroles saintes, et que la grâce mouvre leur sanctuaire. Je vous en conjure par Notre-Seigneur Jésus-Christ, votre Fils, lhomme de votre droite, fils de lhomme, que vous vous êtes fait (Ps. LXXIX, 18) médiateur entre vous et nous, par qui vous nous avez cherchés, quand nous nétions plus en quête de vous, afin que cette sollicitude réveillât la nôtre. Je vous en conjure, au nom de votre Verbe, par qui vous avez fait toutes vos créatures, dont je suis; au nom de votre Fils unique, par qui vous avez appelé à ladoption le peuple des croyants, dont je suis encore; au nom de Celui qui est assis à votre droite et y intercède pour nous; « en qui sont cachés tous les trésors de « la sagesse et de la science (Coloss. II, 3); » cest lui que je cherche dans vos livres saints. Moïse a écrit de lui (Jean V, 46): Cest lui-même, cest la Vérité, qui la dit.
CHAPITRE III.IL IMPLORE LA VÉRITÉ, QUI A PARLÉ PAR MOÏSE.
5. Oh! que jentende, que je comprenne comment, dans le PRINCIPE, vous avez créé le ciel et la terre (Gen,. I, 1)! Moïse la écrit; il la écrit et sen est allé; il a passé outre, allant de vous à vous; et il nest plus là devant moi. Que nest-il encore ici-bas! je mattacherais à lui, et je le supplierais, et je le conjurerais en votre nom de me dévoiler ces mystères, et jouvrirais une oreille aride aux accents de ses lèvres. Sil me répondait dans la langue dHéber, ce ne serait quun vain bruit qui frapperait mon organe, sans faire impression à mon esprit; sil me parlait dans la mienne, je lentendrais; mais doù saurais-je quil me dirait la vérité? et, quand je le saurais, le saurais-je de lui? Non, ce serait au dedans de moi, dans la plus secrète résidence de ma pensée, que la vérité même, qui nest ni hébraïque, ni grecque, ni latine, ni barbare, parlant sans organe, sans voix, sans murmure de syllabes, me dirait : Il dit vrai; et aussitôt, dans une pleine certitude, je dirais à ce saint serviteur: Tu dis vrai. Mais je ne puis linterroger; cest donc vous, ô Vérité! dont il était plein; cest vous, mon Dieu, que jimplore; oubliez mes offenses, et ce que vous avez donné décrire à votre grand Prophète, oh! donnez-moi de lentendre. (475)
CHAPITRE IV.LE CIEL ET LA TERRE NOUS CRIENT QUILS ONT ÉTÉ CRÉÉS.
6. Et voilà donc le ciel et la terre! Ils sont. Ils crient quils ont été faits; car ils varient et changent. Or ce qui est, sans avoir été créé, na rien en soi qui précédemment nait point été; caractère propre du changement et de la vicissitude. Et ils ne se sont pas faits; leur voix nous crie : Cest parce que nous avons été faits que nous sommes; nous nétions donc pas, avant dêtre, pour nous faire nous-mêmes. Lévidence est leur voix. Vous les avez donc créés, Seigneur; vous êtes beau, et ils sont beaux; vous êtes bon, et ils sont bons; vous êtes, et ils sont. Mais ils nont ni la beauté, ni la bonté, ni lêtre de la même manière que vous, ô Créateur; car, auprès de vous, ils nont ni beauté, ni bonté, ni être. Nous savons cela grâce à vous; et notre science, comparée à la vôtre, nest quignorance.
CHAPITRE V.LUNIVERS CRÉÉ DE RIEN.
7. Comment donc avez-vous fait le ciel et la terre? et quelle machine avez-vous appliquée à cette construction sublime? Lartiste modèle un corps sur un autre, suivant la fantaisie de lâme qui a la puissance de réaliser lidéal que loeil intérieur lui découvre en elle. Et doù lui viendrait ce pouvoir, si elle-même nétait votre ouvrage? Lartisan façonne une matière préexistante, ayant en soi de quoi devenir ce quil la fait, comme la terre, la pierre, le bois ou lor, etc. Et doù ces objets tiennent-ils leur être, si vous nen êtes le créateur? Cest vous qui avez créé le corps de louvrier, et lesprit qui commande à ses organes; vous êtes lauteur de cette matière quil travaille, de cette intelligence qui conçoit lart, et voit en elle ce quelle veut produire au dehors; de ces sens interprètes fidèles qui font passer dans louvrage les conceptions de lâme, et rapportent à lâme ce qui sest accompli, afin quelle consulte la vérité, juge intérieur, sur la valeur de louvrage. Toutes ces créatures vous glorifient, et vous proclament le Créateur du monde. Mais vous, comment les avez-vous faites? cornaient avez-vous fait le ciel et la terre? O Dieu! Ce nest ni sur la terre, ni dans le ciel, que vous avez fait le ciel et la terre; ni dans les airs, ni dans les eaux qui en dépendent. Ce nest pas dans lunivers que vous avez créé lunivers; où pouvait-il être, pour être créé, avant dêtre créé pour être? Et vous naviez rien aux mains qui vous fût matière du ciel et de la terre. Eh! doù vous serait venue cette matière, que vous neussiez pas créée pour en former votre ouvrage? Que dire, enfin, sinon que cela est, parce que vous êtes? Et vous avez parlé, et cela fut, et votre seule parole a tout fait (Ps. XXXII, 9,6).
CHAPITRE VI.COMMENT DIEU A PARLÉ.
8. Mais quelle a été cette parole? Sest-elle formée comme cette voix descendue de la nue: « Celui-ci est mon Fils bien-aimé(Matth. III, 17 ; XVII, 5)? » Cette voix retentit et passe; elle commence et finit; ses syllabes résonnent et sévanouissent, la seconde après la première, la troisième après la seconde, ainsi de suite, jusquà la dernière, et le silence après elle. Il est donc évident et clair que cette voix fut lexpression dune créature, organe temporel de votre éternelle volonté. Et loreille extérieure transmet ces paroles, formées dans le temps, à lâme intelligente dont loreille intérieure sapproche de votre Verbe éternel. Et lâme a comparé ces accents fugitifs à léternité silencieuse de votre Verbe, et elle sest dit: « Quelle différence! les uns sont infiniment au-dessous de moi; ils ne sont même pas, car ils fuient, car ils passent; mais au-dessus de moi, le Verbe de mon Dieu demeure éternellement (I Pierre, I, 25).» Que si vous avez commandé par des paroles passagères comme leur son lexistence du ciel et de la terre; si cest ainsi que vous les avez faits, il y avait donc déjà, avant le ciel et la terre, quelque créature corporelle, dont lacte mesuré par le temps fit vibrer cette voix dans la mesure du temps. Or, nulle substance corporelle nétait avant le ciel et la terre; ou, sil en existait une, il faut reconnaître que vous aviez formé sans parole successive lêtre qui devait articuler votre commandement: Que le ciel et la terre soient. Car cet organe de vos desseins, quel quil fût, ne pouvait être, si vous ne leussiez fait. Or, pour produire le corps dont ces paroles devaient sortir, de quelle parole vous êtes-vous servi? (476)
CHAPITRE VII.
LE VERBE DIVIN, FILS DE DIEU, COÉTERNEL AU PÈRE.
9. Vous nous appelez donc plus haut; vous nous appelez à lintelligence du Verbe-Dieu, Dieu en vous, Verbe qui se prononce et prononce tout de toute éternité; parole sans fin, sans succession, sans écoulement; qui dit éternellement, et tout à la fois, toutes choses. Autrement le temps et la vicissitude seraient en vous, et, dès lors, plus de véritable éternité, plus de véritable immortalité. Cest ainsi, je le sais, mon Dieu, et grâces à vous! Je le sais, et vous bénis, Seigneur, et, avec moi, quiconque na pas un coeur ingrat au bienfait éclatant de votre lumière. Nous savons, Seigneur, nous savons que, nêtre plus ce quon était, quêtre ce quon nétait pas, cest là naître et mourir. Aussi, rien en votre Verbe ne passe, rien ne succède, parce quil est immortel, parce quil est éternel eu vérité. Et cest par ce Verbe, coéternel avec vous, que vous dites, de toute éternité, et tout à la fois, toute ce que vous dites, et quil est ainsi que vous dites. Et votre parole est votre seule action; et néanmoins ce nest ni tout à la fois, ni de toute éternité, que sest accomplie loeuvre de votre parole.
CHAPITRE VIII.LE VERBE ÉTERNEL EST NOTRE UNIQUE MAÎTRE.
10. Eh! comment cela, Seigneur mon Dieu? Jentrevois bien quelque chose, mais comment lexprimer? je lignore. Nest-ce point que tout être qui commence et finit, ne commence et ne finit dêtre quau temps où la raison, en qui rien ne finit, rien ne commence, la raison éternelle connaît quil doit commencer ou finir? Et, cette raison, cest votre Verbe, le principe de tout, la voix intérieure qui nous parle (Jean VIII, 25); comme lui-même la dit dans 1Evangile par la voix de la chair; comme il la fait entendre humainement à loreille des hommes, afin que lon crût en lui, quon le cherchât intérieurement, et quon le trouvât dans léternelle vérité, où ce bon, cet unique maître des âmes enseigne tous ses disciples. Cest là, Seigneur, que jentends votre voix me dire : Que la vraie parole est celle qui nous enseigne; et que la parole qui nenseigne pas, nest plus une parole. Or, qui nous enseigne, sinon limmuable vérité? car la créature changeante ne nous instruit quen tant quelle nous amène à cette vérité stable, notre lumière, notre appui, notre joie; la voix de lEpoux (Jean III, 29), qui nous réunit à notre principe. Et il est ce principe, et sans son immuable permanence nous ne saurions où revenir de nos égarements. Or, quand nous revenons de lerreur, cest la connaissance qui nous ramène; et il nous enseigne cette connaissance, parce quil est le principe et la voix qui nous parle.
CHAPITRE IX.
LE VERBE PARLE A NOTRE COEUR.
11. Cest dans ce Principe, ô Dieu, que vous avez fait le ciel et la terre; cest dans votre Verbe, votre Fils, votre vertu, votre sagesse, votre vérité ; par une parole, par une opération admirable. Qui pourra comprendre cette mer-veille? qui pourra la raconter? Quelle est cette lumière qui par intervalle méclaire, et frappe mon coeur sans le blesser; le glace dépouvante, et lembrase damour : épouvante, en tant que je suis si loin; amour, en tant que je suis plus près delle? Cest la sagesse, la sagesse elle-même, dont le rayon déchire par intervalle les nuages de mon âme, qui, souvent infidèle à cette lumière, retombe dans ses ténèbres, sous le fardeau de son supplice : car ma détresse a épuisé mes forces (Ps. XXX, 2); je suis incapable même de porter mon bonheur, tant que votre pitié, Seigneur, secourable à mes iniquités, naura pas «guéri toutes mes langueurs. Mais vous rachèterez ma vie de la corruption; vous me couronnerez de compassion et de miséricorde; vous rassasierez de vos biens tout mon désir; et ma jeunesse sera renouvelée comme celle de laigle (Ps. CII, 3-5); » car lespérance est notre salut; et nous attendons vos promesses en patience (Rom. VIII, 24, 25). Entende en soi qui pourra votre parole intérieure, moi je mécrie, sur la foi de votre oracle: « Que vos oeuvres sont glorieuses, Seigneur! Vous avez tout fait dans votre Sagesse (Ps. CIII, 24). »Elle est le principe; et cest dans ce principe que vous avez créé le ciel et la terre. (477)
CHAPITRE X.LA VOLONTÉ DE DIEU NA PAS DE COMMENCEMENT.
12. Ne sont-ils pas tous remplis des ruines de leur vétusté, ceux qui nous disent : Que faisait Dieu avant de créer le ciel et la terre? Sil demeurait dans linaction, pourquoi eu est-il sorti, pourquoi y est-il rentré? Sil sest accompli en Dieu un acte nouveau, une volonté nouvelle, pour donner lêtre à une créature qui nétait pas sortie du néant, est-il une éternité vraie là où naît une volonté qui nétait pas? car la volonté de Dieu nest pas la créature. Elle est antérieure à la créature. Nulle création sans préexistence de la volonté créatrice. La volonté de Dieu appartient donc à sa substance. Que sil est survenu dans la substance divine quelque chose de nouveau, on ne peut plus en vérité la dire éternelle. Et si Dieu a voulu de toute éternité lexistence de la créature, pourquoi, elle aussi, nest-elle pas éternelle?
CHAPITRE XI.LE TEMPS NE SAURAIT ÊTRE LA MESURE DE LÉTERNITÉ.
13. Ceux qui parlent ainsi ne vous comprennent pas encore , ô Sagesse de Dieu lumière des esprits; ils ne comprennent pas comment vous créez, en vous, et par vous-même, et ils aspirent à la science de votre éternité; mais leur coeur flotte sur les vagues du passé et de lavenir, à la merci de la vanité. Qui larrêtera, ce coeur, qui le fixera pour quil souvre stable un instant, à lintuition des splendeurs de limmobile éternité, quil la compare à la mobilité des temps, et trouve toute comparaison impossible; quil ne voie dans la durée quune succession de mouvements qui ne peuvent se développer à la fois; observant, au contraire, que rien de léternité ne passe, et quelle demeure toute présente, tandis quil nest point de temps qui soit tout entier présent; car lavenir suit le passé quil chasse devant lui; et tout passé, tout avenir tient son être et son cours de léternité toujours présente? Qui fixera le coeur de lhomme, afin quil demeure et considère comment ce qui demeure, comment léternité, jamais passée, jamais future, dispose et du passé et de lavenir? Est-ce ma main, est-ce ma parole, la main de mon esprit, qui aurait cette puissance?
CHAPITRE XII.CE QUE DIEU FAISAIT AVANT LA CRÉATION DU MONDE.
14. Et je réponds à cette demande : Que faisait Dieu avant de créer le ciel et la terre? Je réponds, non comme celui qui éluda, dit on, les assauts dune telle question par cette plaisanterie : Dieu préparait des supplices aux sondeurs de mystères. Rire nest pas répondre. Et je ne réponds pas ainsi. Et jaimerais mieux confesser mon ignorance, que dappeler la raillerie sur une demande profonde, et léloge sur une réponse ridicule. Mais je dis, ô mon Dieu, que vous êtes le père de toute créature, et sil faut entendre toute créature par ces noms du ciel et de la terre, je le déclare hautement: avant de créer le ciel et la terre, Dieu ne faisait rien. Car ce quil eût pu faire alors, ne saurait être que créature. Oh ! que nai-je la connaissance de tout ce quil mimporte de connaître, comme je sais que la créature nétait pas avant la création !
CHAPITRE XIII.POINT DE TEMPS AVANT LA CRÉATION.
15. Un esprit léger sélance déjà peut-être dans un passé de siècles imaginaires, et sétonne que le Tout-Puissant, créateur et conservateur du monde, larchitecte du ciel et de la terre, ait laissé couler un océan dâges infinis sans entreprendre ce grand ouvrage. Quil sorte de son sommeil, et considère linanité de son étonnement ! Car doù serait venu ce cours de siècles sans nombre dont vous neussiez pas été lauteur, vous, lauteur et le fondateur des siècles? Quel temps eût pu être, sans votre institution? Et comment se fût-il écoulé, ce temps qui neût pu être? Puisque vous êtes lartisan de tous les temps, si lon suppose quelque temps avant que vous eussiez créé le ciel et la terre, pourquoi donc prétendre que vous demeuriez dans linaction? Car ce temps même était votre ouvrage, et nul temps na pu courir avant que vous eussiez fait le temps. Que si avant le ciel et la terre il nétait point de temps, pourquoi demander ce que vous faisiez ALORS? Car, où le TEMPS nétait pas, ALORS ne pouvait être. 16. Et ce nest point par le temps que vous précédez les temps, autrement vous ne seriez (478) pas avant tous les temps. Mais vous précédez les temps passés par léminence de votre éternité toujours présente; vous dominez les temps à venir, parce quils sont à venir, et quaussitôt venus, ils seront passés. « Et vous, vous « êtes toujours le même, et vos années ne sévanouissent point ( Ps. CI, 28). » Vos années ne vont ni ne viennent, et les nôtres vont et viennent afin darriver toutes. Vos années demeurent toutes à la fois, parce quelles demeurent. Elles ne se chassent pas pour se succéder, parce quelles ne passent pas. Et les nôtres ne seront toutes, que lorsque toutes auront cessé dêtre. Vos années ne sont quun jour; et ce jour est sans semaine, il est aujourdhui; et votre aujourdhui ne cède pas au lendemain, il ne succède pas à la veille. Votre aujourdhui, cest léternité. Ainsi vous avez engendré coéternel à vous-même Celui à qui vous avez dit: « Je tai engendré aujourdhui (Ps. II,7 ; Héb. V, 7). » Vous avez fait tous les temps, et vous êtes avant tous les temps, et il ne fut pas de temps où le temps nétait pas.
CHAPITRE XIV.QUEST-CE QUE LE TEMPS?
17. Il ny a donc pas eu de temps où vous nayez rien fait, puisque vous aviez déjà fait le temps. Et nul temps ne vous est coéternel, car vous demeurez; et si le temps demeurait, il cesserait dêtre temps. Quest-ce donc que le temps? Qui pourra le dire clairement et en peu de mots? Qui pourra le saisir même par la pensée, pour traduire cette conception en paroles? Quoi de plus connu, quoi de plus familièrement présent à nos entretiens, que le temps? Et quand nous en parlons, nous concevons ce que nous disons; et nous concevons ce quon nous dit quand on nous en parle. Quest-ce donc que le temps? Si personne ne minterroge, je le sais; si je veux répondre à cette demande, je lignore. Et pourtant jaffirme hardiment, que si rien ne passait, il ny aurait point de temps passé; que si rien nadvenait, il ny aurait point de temps à venir, et que si rien nétait, il ny aurait point de temps présent. Or, ces deux temps, le passé et lavenir, comment sont-ils, puisque le passé nest plus, et que lavenir nest pas encore? Pour le présent, sil était toujours présent sans voler au passé, il ne serait plus temps; il serait léternité. Si donc le présent, pour être temps, doit sen aller en passé, comment pouvons-nous dire quune chose soit, qui ne peut être quà la condition de nêtre plus? Et peut-on dire, en vérité, que le temps soit, sinon parce quil tend à nêtre pas?
CHAPITRE XV.QUELLE EST LA MESURE DU TEMPS?
18. Et cependant nous disons quun temps est long et quun temps est court, et nous ne le disons que du passé et de lavenir; ainsi, par exemple, cent ans passés, cent ans à venir, voilà ce que nous appelons longtemps; et, peu de temps : dix jours écoulés, dix jours à attendre. Mais comment peut être long ou court ce qui nest pas? car le passé nest plus, et lavenir nest pas encore. Cessons donc de dire: Ce temps est long; disons du passé : il a été long; et: il sera long, de lavenir. Seigneur mon Dieu, ma lumière, votre vérité ne se moquera-t-elle pas de lhomme qui parle ainsi? Car ce long passé, est-ce quand il était déjà passé quil a été long, ou quand il était encore présent? En effet, il na pu être long que tant quil fut quelque chose qui pût être long. Mais, passé, il nétait déjà plus; et comment pouvait-il être long, lui qui navait plus dêtre? Ne disons plus donc : Le passé a été long: car nous ne retrouverons pas ce qui a été long, puisque du moment où il passe, il nest plus. Disons: Ce temps présenta été long, car il était long en tant que présent. Il ne sétait pas encore écoulé au non-être, il était donc quelque chose qui pouvait être long. Mais aussitôt quil a passé, aussitôt il a cessé dêtre long, en cessant dêtre. 19. Voyons donc, ô âme de lhomme, si le temps présent peut être long; car tu as reçu la faculté de concevoir et de mesurer ses pauses. Que vas-tu me répondre? Est-ce un long temps que cent années présentes? Vois dabord si cent années peuvent être présentes. Est-ce la première qui saccomplit? elle seule est présente; les quatre-vingt-dix--neuf autres sont à venir; et, partant, ne sont pas encore. Est-ce la seconde? il en est une déjà passée; une pré-sente; le reste est futur. Ainsi de toute année que nous fixerons comme présente dans la révolution dun siècle; tout ce qui la devance est passé; tout ce qui la suit est futur. Cent années ne sauraient donc être présentes. (479) Mais vois si du moins lannée actuelle est elle-même présente. Est-ce son premier mois qui court? les autres sont à venir. Est-ce le second? le premier est déjà passé; le reste nest pas encore ; ainsi lannée actuelle nest pas tout entiére présente: et, partant, ce nest pas une année présente; car lannée, cest douze mois, dont chacun à Son tour est présent; le reste, passé ou futur. Et le moie courant, même, nest pas présent, mais un seul de ses jours. Est-il le premier? le reste est dans lavenir. Est-il le dernier? le reste est dans le passé. Est-il intermédiaire? il est entre ce qui nest plus et ce qui nest pas encore. 20. Voilà donc ce temps présent que nous avons trouvé le seul quon pût appeler long; le voilà réduit à peine à lespace dun jour. Et ce jour même, encore, discutons-le; non, ce seul jour nest pas tout entier présent: car il saccomplit en vingt-quatre heures, douze de jour, douze de nuit, dont la première précède, et la dernière suit toutes les autres, lintermédiaire suit et précède. Et cette même heure se compose elle-même de parcelles fugitives. Tout ce qui sen détache, senvole dans le passé; ce qui en reste est avenir. Que si lon conçoit un point dans le temps sans division possible de moment, cest ce point-là seul quon peut nommer présent. Et ce point vole, rapide, de lavenir au passé, durée sans étendue; car sil est étendu, il se divise en passé et avenir. Ainsi, le présent est sans étendue. Où donc est le temps que nous puissions appeler long? Est-ce lavenir! Non: car il ne peut être long sans être. Nous disons donc: Il sera long. Mais quand le sera-t-il? Non sans doute tant quil sera avenir, nétant pas encore, pour être long. Que sil ne doit être long quau moment où, de futur, il commencera dêtre ce quil nest pas encore, cest-à-dire présent, ayant un être, et de quoi être long, noublions pas que le présent nous a crié à haute voix : Non, je ne saurais être long.
CHAPITRE XVI.COMMENT SE MESURE LE TEMPS?
21. Et pourtant, Seigneur, nous apercevons bien les intervalles des temps, nous les comparons entre eux, et nous disons les uns plus longs, les autres plus courts; nous mesurons encore la différence; nous constatons quelle est double, triple, etc., ou nous affirmons légalité. Mais notre aperception qui mesure les temps ne mesure que leur passage: car le passé, qui nest plus, lavenir, qui nest pas encore, peuvent-ils se mesurer, à moins que lon ne prétende que le néant soit mesurable? Ce nest donc que dans sa fuite que le temps saperçoit et se mesure. Est-il passé? il nest point mesurable, car il nest plus,
CHAPITRE XVII.OU EST LE PASSÉ, OU EST LAVENIR?
22. Je cherche, ô Père, je naffirme rien; mon Dieu, soyez larbitre et le guide de mes efforts. Qui oserait me dire quil nexiste pas trois temps, comme notre enfance la appris, comme nous lenseignons à lenfance: le passé, le présent et lavenir, mais que le présent seul existe, les deux autres nétant point? Ou bien faut-il dire quils sont; et que le temps sort dune retraite inconnue, quand, de futur, il devient présent, et quil rentre dans une autre, également inconnue, quand, de présent, il devient passé? Car si lavenir nest pas encore, où donc lont vu ceux qui lont prédit? Ce qui nest pas peut-il se voir? Et les narrateurs du passé seraient-ils vrais, si ce passé nétait -visible à leur esprit? Et pourraient-ils se voir, lun et lautre, sils nétaient que pur néant? Il faut donc que le passé et lavenir aient un être.
CHAPITRE XVIII.COMMENT LE PASSÉ ET LAVENIR SONT PRÉSENTS.
23. Permettez-moi, Seigneur, de chercher encore. O mon espérance, éloignez le trouble de mes efforts. Sil est vrai que lavenir et le passé soient, où sont-ils? Si cette connaissance est encore au-dessus de moi, je sais pourtant que, où quils soient, ils ny sont ni passé, ni futur, mais présent : le futur, comme tel, ny est pas encore; le passé, comme tel, ny est déjà plus. Où donc quils soient, quels quils soient, ils ne sont quen tant que présent. Ainsi dans un récit véritable dévénements passés, la mémoire ne reproduit pas les réalités qui ne sont plus, mais les mots nés des images quelles ont laissées en passant par nos sens, comme les tracs de leurs pas. Mon enfance évanouie est dans le passé, évanoui comme elle. Mais quand jy pense, quand jen parle, je revois son (480) image dans le temps présent, parce quelle es encore dans ma mémoire. Est-ce ainsi que se prédit lavenir? Est-ce eu présence dimages, messagères de ce qui nes pas encore? Mon Dieu, je confesse ici mou ignorance. Mais ce dont je suis certain, ces que dordinaire nous préméditons nos actes futurs; que cette préméditation est présente, tandis que lacte prémédité, en tant que futur, nest pas encore. Notre préméditation commençant à se réaliser, lacte sera, non plus à venir muais présent. 24. Quel que soit donc ce secret pressentiment de lavenir, on ne saurait voir que ce qui est. Or, ce qui est déjà, nest point à venir, mais présent. Ainsi voit lavenir, ce nest pas voir ces réalités futures qui ne sont pas encore, mais peut-être les causes et les symptômes qui existent déjà; prémices de lavenir déjà présentes aux regards de la pensée qui, le conçoit; et cette conception est déjà dans lesprit, et elle est présente à la vision prophétique. Une preuve éloquente entre tant de témoignages. Je vois laurore et je prédis le lever du soleil. Ce que je vois est présent, ce que je prédis est futur; non pas le soleil qui est déjà, mais son lever qui nest pas encore : et si mon esprit ne se limaginait, comme au moment où jen parle, cette prédiction serait impossible. Or, cette aurore, que je vois dans le ciel, nest pas le lever du soleil, quoiquelle le devance, non plus que cette image que je vois dans mon esprit, mais leur présence coïncidente me fait augurer le phénomène futur. Ainsi, lavenir nest pas encore; donc il nest pas, donc il ne peut se voir; mais il se peut prédire daprès des circonstances déjà présentes et visibles.
CHAPITRE XIX.DE LA PRESCIENCE DE LAVENIR.
25. Mais dites, Monarque souverain de votre création, comment enseignez-vous aux âmes les événements futurs? Ne les avez-vous pas révélés à vos prophètes? Dites, comment enseignez-vous lavenir, vous pour qui rien nest avenir; ou plutôt comment enseignez-vous ce qui de lavenir est déjà présent? Car le néant pourrait. il senseigner? Cest un secret, je le sens, supérieur à mon intelligence; faible par elle-même , ma vue ny saurait atteindre (Ps. CXXVIII, 6); mais vous serez sa force, si vous voulez, ô douce lumière des yeux de mon âme!
CHAPITRE XX.QUEL NOM DONNER AUX DIFFÉRENCES DU TEMPS?
26. Or, ce qui devient évident et clair, cest que le futur et le passé ne sont point; et, rigoureusement, on ne saurait admettre ces trois temps: passé, présent et futur; mais peut-être dira-t-on avec vérité : Il y a trois temps, le présent du passé, le présent du présent et le présent de lavenir. Car ce triple mode de présence existe dans lesprit; je ne le vois pas ailleurs. Le présent du passé, cest la mémoire; le présent du présent, cest lattention actuelle; le présent de lavenir, cest son attente. Si lon maccorde de lentendre ainsi, je vois et je confesse trois temps; et que lon dise encore, par un abus de lusage : Il y a trois temps, le passé, le présent et lavenir; quon le dise, peu mimporte; je ne my oppose pas : jy consens, pourvu quon entende ce quon dit, et que lon ne pense point que lavenir soit déjà, que le passé soit encore. Nous avons bien peu de locutions justes, beaucoup dinexactes; mais on ne laisse pas den comprendre lintention.
CHAPITRE XXI.COMMENT MESURER LE TEMPS?
27. Nous mesurons le temps à son passage, ai-je dit plus haut; en sorte que nous pouvons affirmer quun temps est double dun autre, ou égal à un autre, ou tel autre rapport que cette mesure exprime. Ainsi donc cest à son passage que nous mesurons le temps. Doù le sais-tu? dira-t-on peut-être. Je sais, répondrai-je, que nous le mesurons; que nous ne saurions mesurer ce qui nest pas, et que le passé ou lavenir nest quun néant. Or, comment mesurons-nous le temps présent, puisquil est sans étendue? Il ne se mesure quà son passage; passé, il ne se mesure plus; car il nest plus rien de mesurable. Mais doù vient, par où passe, où va le temps, quand on le mesure? Doù, sinon de lavenir? Par où, sinon par le présent? Où, sinon dans le passé? Sorti de ce qui nest pas encore, il passe par linétendue pour arriver à ce qui nest plus. Comment donc mesurer le temps, si ce nest pas certains espaces? Ces distinctions des temps simples, doubles, triples ou égaux, (481) quest-ce autre chose que des espaces de temps Quel espace est donc pour nous la mesure du temps qui passe ? Est-ce lavenir doù il vient Mais mesure-t-on ce qui nest pas encore ? Est-ce le présent par où il passe? Mais linétendu se mesure-t-il ? Est-ce le passé où il entre ? Mais comment mesurer ce qui nest plus?
CHAPITRE XXIIIL DEMANDE A DIEU LA CONNAISSANCE DE CE MYSTÈRE.
28. Mon esprit brûle de connaître cette énigme profonde. Je vous en conjure, Seigneur mon Dieu, mon bon père., je vous en conjure au nom du Christ, ne fermez pas à mon désir laccès dune question si ordinaire et si mystérieuse. Laissez-moi pénétrer dans ses replis; que la lumière de votre miséricorde les éclaire, Seigneur! A qui madresser? à quel autre confesser plus utilement mon ignorance quà vous, ô Dieu, qui ne désapprouvez pas le zèle ardent où memporte létude de vos Ecritures? Donnez- moi ce que jaime. Car jaime, et vous mavez donné daimer. Donnez-moi mon amour, ô Père qui savez ne donner que de vrais biens à vos fils ( Matth. VII, 2) Donnez-moi de connaître cette, vérité que je poursuis. Cest une porte fermée à tous mes labeurs, si vous ne louvrez vous-même. Par le Christ, au nom du Saint des saints, je vous en conjure, que nul ne me trouble ici. Je crois, « et ma foi inspire ma parole (Ps. CXV, 1). » Jespère et je ne vis quà lespérance de contempler les délices du Seigneur. Et vous avez fait mes jours périssables, et ils passent (Ps. XXXVIII,6). Et comment? je lignore. Et nous avons sans cesse à la bouche ces mots: époque et temps. Combien de temps a-t-il mis à ce discours, à cette oeuvre? Quil y a longtemps que je nai vu cela! Et, cette syllabe longue est le double de temps de cette brève. Nous parlons et on nous parle tous les jours ainsi; nous comprenons et sommes compris. Rien de plus clair et de plus usité; rien en même temps de plus caché; rien, jusquici, de plus impénétrable.
CHAPITRE XXIII.NATURE DU TEMPS.
29. Jai entendu dire à un savant que le temps, cest le mouvement du soleil, de la lune et des astres; je ne suis pas de cet avis; car, pourquoi le mouvement de tout autre corps ne serait-il pas le temps? Quoi! le cours des astres demeurant suspendu, si la roue dun potier continuait à tourner, ny aurait-il plus de temps pour mesurer ses tours? Ne nous serait-il plus possible dexprimer légalité de leurs intervalles ou la différence de leurs mouvements, si les vitesses sont différentes? Et en énonçant ces rapports, ne serait-ce pas dans le temps que nous parlerions? Ny aurait-il dans nos paroles ni longues, ni brèves? Et comment les reconnaître, sinon à linégale durée de leur son? O Dieu! accordez à lhomme de trouver en un point la lumière- qui lui découvre toute grandeur et toute petitesse! Il est, je le sais, des astres et dès flambeaux célestes qui mesurent les saisons, les temps, les années et les jours (Gen. I, 14). Cest une vérité, et je ne prétendrais jamais que le mouvement de cette roue du potier fût notre jour, sans lui refuser toutefois dêtre un temps, nen déplaise à ce philosophe. 30. Ce que je veux savoir, moi, cest la puissance et la nature du temps, qui nous sert de mesure aux mouvements des corps, et nous permet de dire, par exemple: Tel mouvement dure une fois plus que tel autre; car enfin le jour nest pas seulement la présence rapide du soleil sur lhorizon, mais encore le cercle quil décrit de lorient à lorient, et qui règle le nombre des jours écoulés, les nuits mêmes comprises, dont le compte nest jamais séparé. Ainsi le jour nétant accompli que par le mouvement du soleil et sa révolution dorient en orient, est-ce le mouvement, est-ce la durée du mouvement, est-ce lun et lautre ensemble qui forment le jour? Est-ce le mouvement? Alors, une heure serait le jour, si cet espace de temps suffisait au soleil pour achever sa carrière: Est-ce le jour entier? Alors il ny aurait point de jour si, dun lever à lautre, il ne sécoulait pas plus dune heure, et sil fallait vingt-quatre révolutions solaires pour former le jour. Est-ce à la fois le mouvement et le temps? Alors le soleil accomplirait son tour en une heure, et, supposé quil sarrêtât, le même intervalle que sa course mesure dun matin à lautre se serait écoulé, quil ny aurait pas eu de véritable jour. Ainsi, je ne me demande plus, quest-ce quon nomme le jour, mais quest-ce que le temps? ce temps, mesure du mouvement solaire, que nous dirions moindre de moitié, si (482) douze heures avaient suffi au parcours de lespace accoutumé. En comparant cette différence de temps, ne dirions-nous pas que lun est double de lautre, tors même que la course du soleil dorient en orient serait tantôt plus longue, tantôt plus courte de moitié ? Quon ne vienne donc plus me dire: Le temps, cest le mouvement des corps célestes. Quand le soleil sarrêta à la prière dun homme (Josué, X, 13), pour lui laisser le loisir dachever sa victoire, le temps sarrêta-t-il avec le soleil? Et nest-ce point dans lespace de temps nécessaire que le combat se continua et finit? Je vois donc enfin que le temps est une sorte détendue. Mais nest-ce pas une illusion? suis-je bien certain de. le voir? Q vérité, ô lumière! éclairez-moi.
CHAPITRE XXIV.LE TEMPS EST-IL LA MESURE DU MOUVEMENT?
31. Si lon me dit: Le temps, cest le mouvement des corps, mordonnez-vous de le croire? Non, vous ne lordonnez pas. Nul corps ne saurait se mouvoir que dans le temps. Vous le dites, et je lentends; mais que ce mouvement soit le temps, cest ce que je nentends pas; ce nest pas vous qui le dites. Lorsquen effet un corps se meut, cest par le temps que je mesure la durée de ce mouvement, depuis son origine jusquà sa fin. Si je ne lai pas vu commencer, et si sa durée ne me permet pas de le voir finir, il nest point en ma puissance de le mesurer, si ce nest peut-être du moment où jai commencé à celui où jai cessé de le voir. Si je lai vu longtemps, jaffirme la longueur du temps sans la déterminer ; car cette détermination suppose un rapport de différence ou dégalité. Si, supposé un mouvement circulaire, nous pouvions remarquer le point de lespace où prend sa course et où la termine le corps mobile, ou lune de ses parties, nous pourrions dire en combien de temps sest accompli de tel point à tel autre, le mouvement de ce corps ou de lune de ses parties. Ainsi le mouvement dun corps étant distinct de la mesure de sa durée, peut-on chercher encore à qui appartient le nom de temps? Souvent ce corps se meut dun mouvement inégal, souvent il demeure en repos, et le temps nest pas moins la mesure de son repos que de son mouvement. Et nous disons: Son immobilité a duré autant, deux ou trois fois plus, deux ou trois fois moins que son mouvement; et, nous le disons, daprès une mesure exacte ou approximative. Donc le mouvement des corps nest pas le temps.
CHAPITRE XXV.ALLUMEZ MA LAMPE, SEIGNEUR, ÉCLAIREZ MES TÉNÈBRES.
32. Et je vous le confesse, Seigneur, jignore encore ce que cest que le temps; et pourtant, Seigneur, je vous le confesse aussi, je nignore point que cest dans le temps que je parle, et quil y a déjà longtemps que je parle du temps, et que ce longtemps est une certaine teneur de durée. Eh! comment donc puis-je le savoir, ignorant ce que cest que le temps? Ne serait-ce point que je ne sais peut-être comment exprimer ce que je sais ? Malheureux que je suis, jignore même ce que jignore! Mais vous êtes témoin, Seigneur, que le mensonge est loin de moi. Mon coeur est comme ma parole. « Allumez ma lampe, Seigneur mon Dieu, éclairez mes ténèbres ( Ps. XVII, 25). »
CHAPITRE XXVI.LE TEMPS NEST PAS LA MESURE DU TEMPS.
33. Mon âme ne vous fait-elle pas un aveu sincère quand elle déclare en votre présence quelle mesure le temps? Est-il donc vrai, mon Dieu, que je le mesure, sans connaître ce que je mesure? Je mesure le mouvement des corps par le temps, et le temps lui-même, ne saurais-je le mesurer? Et me serait-i! possible de mesurer la durée et létendue dun mouvement, sans mesurer le temps où il saccomplit? Mais sur quelle mesure puis-je apprécier le temps même? Un temps plus long est-il la mesure dun plus court, comme la coudée est la mesure dune solive? comme une syllabe longue nous paraît être la mesure dune brève, quand nous disons que lune est double de lautre; comme la longueur dun poème sévalue sur la longueur des vers, la longueur des vers sur celle des pieds, la longueur des pieds sur celle des syllabes, et les syllabes longues sur les brèves: évaluation qui ne repose pas sur létendue des pages, car elle serait alors mesure despace; et non plus mesure de temps. Mais lorsque les paroles passent, en les prononçant, nous disons: Ce poème est long, il se (483) compose de tant de vers; ces vers sont longs, ils se tiennent sur tant de pieds; ces pieds sont longs, ils renferment tant de syllabes; cette syllabe est longue, car elle est double dune brève. Toutefois, ce nest pas encore là une mesure certaine du temps; car un vers plus court prononcé lentement peut avoir plus de durée quun long débité plus vite; ainsi dun poème, dun pied, dune syllabe. Doù jinfère que le temps nest quune étendue. Mais quelle est la substance de cette étendue? Je lignore. Et ne serait-ce pas mon esprit même? Car, ô mon Dieu! quest-ce que je mesure, quand je dis indéfiniment: tel temps est plus long que tel autre; ou définiment ce temps est double de celui-là? Cest bien le temps que je mesure, jen suis certain; mais ce nest point lavenir, qui nest pas encore; ce nest point le présent, qui est inétendu; ce nest point le passé, qui nest plus. Quest-ce donc que je mesure? Je lai dit; ce nest point le temps passé, cest le passage du temps.
CHAPITRE XXVII.COMMENT NOUS MESURONS LE TEMPS.
34. Courage, mon esprit; redouble dattention et defforts! Dieu est notre aide: « nous sommes son ouvrage et non pas le nôtre1(Ps. XCIX, 3) » attention où laube de la vérité commence à poindre. Une voix corporelle se fait entendre; le son continue; et puis il cesse. Et voilà le silence; et la voix est passée; et il ny a plus rien: avant le son elle était à venir, et ne pouvait se mesurer, nétant pas encore; elle ne le peut plus, nétant plus. Elle le pouvait donc, quand elle vibrait, puisquelle était; sans stabilité, toutefois; car elle venait et passait. Et nest-ce. point cette instabilité même qui la rendait mesurable? Son passage ne lui donnait-il pas une étendue dans certain espace de temps, qui formait sa mesure, le présent étant sans espace? Sil en est ainsi, écoute; voici une nouvelle voix : elle commence, se soutient et continue sans interruption: mesurons-la, pendant quelle se fait entendre; le son expiré, elle sera passée, elle ne sera plus. Mesurons-la donc; évaluons son étendue. Mais elle dure encore; et sa mesure ne peut se prendre que de son commencement à sa fin : car cest lintervalle même de ces deux termes, quels quils soient, que nous mesurons. Ainsi, la voix qui dure encore nest pas mesurable. Peut-on apprécier son étendue? sa différence ou son égalité avec une autre? Et, quand elle aura cessé de vibrer, elle aura cessé dêtre. Comment donc la mesurer? Toutefois le temps se mesure; mais ce nest ni celui qui doit être, ni celui qui nest déjà plus, ni celui qui est sans étendue, ni celui qui est sans limites; ce nest donc ni le temps à venir, ni le passé, ni le temps présent, ni celui qui passe que nous mesurons; et toutefois nous mesurons le temps.
35. Ce vers: « DEUS CREATOR OMNIUM » est de huit syllabes, alternativement brèves et longues; quatre brèves, la première, la troisième, la cinquième et la septième, simples par rapport aux seconde, quatrième, sixième et huitième, qui durent le double de temps. Je le sens bien en les prononçant: et il en est ainsi, au rapport de lévidence sensible. Autant que jen puis croire ce témoignage, je mesure une longue par une brève, et je la sens double de celle-ci. Mais elles ne résonnent que lune après lautre, et si la brève précède la longue, comment retenir la brève pour lappliquer comme mesure à la longue, puisque la longue ne commence que lorsque la brève a fini? Et cette longue même, je ne la mesure pas tant quelle est présente; puisque je ne saurais la mesurer avant sa fin : cette fin, cest sa fuite. Quest-ce donc que je mesure? où est la brève, qui mesure? où est la longue, à mesurer? Leur son rendu, envolées, passées toutes deux, et elles ne sont plus! et pourtant je les mesure, et je réponds hardiment, sur la foi de mes sens, que lune est simple, lautre double en durée; ce que j e ne puis assurer, quelles ne soient passées et finies. Ce nest donc pas elles que je mesure, puisquelles ne sont plus, mais quelque chose qui demeure dans ma mémoire, profondément imprimé. 36. Cest en toi, mon esprit, que je mesure le temps. Ne laisse pas bourdonner à ton oreille : Comment? comment? et ne laisse pas bourdonner autour de toi lessaim de tes impressions; oui, cest en toi que je mesure limpression quy laissent les réalités qui passent; impression survivante à leur passage. Elle seule demeure présente; je la mesure, et non les objets qui lont fait naître par leur passage. Cest elle que je mesure quand je mesure le temps : donc, le temps nest autre chose que cette impression, ou il échappe à ma mesure. (484) Mais quoi! ne mesurons-nous pas le silence? Ne disons-nous pas : Ce silence a autant de durée que cette parole? Et notre pensée ne se représente-t-elle pas alors la durée du son, comme sil régnait encore; et cet espace ne lui sert-il pas de mesure pour calculer létendue silencieuse? Ainsi, la voix et les lèvres muettes, nous récitons intérieurement des poèmes, des vers, des discours, quels quen soient le mouvement et les proportions; et nous apprécions la durée, le rapport successif des mots, des syllabes, comme si notre bouche en articulait le son. Je veux soutenir le ton de ma voix, la durée préméditée de mes paroles est un espace, déjà franchi en silence, et confié à la garde de ma mémoire. Je commence, ma voix résonne jusquà ce quelle arrive au but déterminé. Que dis-je? elle a résonné, et résonnera. Ce qui sest écoulé delle, son évanoui; le reste, son futur. Et la durée saccomplit par laction présente de lesprit, poussant lavenir au passé, qui grossit du déchet de lavenir, jusquau moment où, lavenir étant épuisé, tout nest plus que passé.
CHAPITRE XXVIII.LESPRIT EST LA MESURE DU TEMPS.
37. Mais quest-ce donc que la diminution ou lépuisement de lavenir qui nest pas encore? Quest-ce que laccroissement du passé qui nest plus, si ce nest que dans lesprit, où cet effet sopère, il se rencontre trois termes lattente, lattention et le souvenir? Lobjet de lattente passe par lattention, pour tourner en souvenir. Lavenir nest pas encore; qui le nie? et pourtant son attente est déjà dans notre esprit. Le passé nest plus, qui en doute? et pourtant son souvenir est encore dans notre esprit. Le présent est sans étendue, il nest quun point fugitif; qui lignore? et pourtant lattention est durable; elle par qui doit passer ce qui court à labsence : ainsi, ce nest pas le temps à venir, le temps absent; ce nest pas le temps passé, le temps évanoui qui est long un long avenir, cest une longue attente de lavenir; un long passé, cest un long souvenir du passé. 38. Je veux réciter un cantique; je lai retenu. Avant de commencer, cest une attente intérieure qui sétend à lensemble. Ai-je commencé? tout ce qui accroît successivement au pécule du passé entre au domaine de ma mémoire : alors, toute la vie de ma pensée nest que mémoire : par rapport à ce que jai dit; quattente, par rapport à ce qui me reste à dire. Et pourtant mon attention reste présente, elle qui précipite ce qui nest pas encore à nêtre déjà plus. Et, à mesure que je continue ce récit, lattente sabrége, le souvenir sétend jusquau moment où lattente étant toute consommée, mon attention sera tout entière passée dans ma mémoire. Et il en est ainsi, non-seulement du cantique lui-même, mais de chacune de ses parties, de chacune de ses syllabes : ainsi dune hymne plus longue, dont ce cantique nest peut-être quun verset; ainsi de la vie entière de lhomme, dont les actions de lhomme sont autant de parties; ainsi de cette mer des générations humaines, dont chaque vie est un flot.
CHAPITRE XXIX.DE LUNION AVEC DIEU.
39. Mais « votre miséricorde vaut mieux que toutes les vies ( Ps. LXII, 4); » et toute ma vie à moi nest quune dissipation; et votre main ma rassemblé en mon Seigneur, fils de lhomme, médiateur en votre unité et nous, multitude, multiplicité et division, « afin quen lui jappréhende celui qui ma appréhendé par lui; »et que ralliant mon être dissipé au caprice de mes anciens jours, je demeure à la suite de votre unité, sans souvenance de ce qui nest plus, sans aspiration inquiète vers ce qui doit venir et passer, mais recueilli « dans limmutabilité toujours présente, » et ravi par un attrait sans distraction à la poursuite de cette « palme que votre voix me promet dans la « gloire (Philip. III, 12, 13, 14) » où jentendrai lhymne de vos louanges, où je contemplerai votre joie sans avenir et sans passé. Maintenant « mes années sécoulent dans les « gémissements (Ps. XXX, II), » et vous, ô ma consolation, ô Seigneur, ô mon Père! vous êtes éternel. Et moi je suis devenu la proie des temps, dont lordre mest inconnu; et ils mont partagé; et les tourmentes de la vicissitude déchirent mes pensées, ces entrailles de mon âme, tant que le jour nest pas venu où, purifié de mes souillures et fondu au feu de votre amour, je mécoulerai tout en vous.
CHAPITRE XXX.POINT DE TEMPS SANS OEUVRE.
40. Et alors en vous, dans votre vérité, type de mon être, je serai ferme et stable; et je naurai plus à essuyer les questions des hommes, frappés, par la déchéance, de cette hydropisie de curiosité qui demande : Que faisait Dieu avant de créer le ciel et la terre? ou Comment, lui est venu la pensée de faire quelque chose, puisquil navait jamais rien fait jusque-là ? Inspirez-leur, ô mon Dieu, des pensera meilleurs que leurs paroles! Quils reconnaissent que JAMAIS ne saurait être où le TEMPS nest pas ! Ainsi dire quon na jamais rien fait, nest- ce pas dire que rien ne se fait que dans le temps? Hommes, concevez donc quil ne peut y avoir de temps sans oeuvre, et voyez linanité de votre langage! Quils fixent leur attention, Seigneur, « sur ce qui demeure présent devant eux (Phlip. III, 13) ; » quils comprennent que vous êtes avant tous les temps, Créateur éternel de tous les temps; que vous nadmettez au partage de votre éternité aucun temps, aucune créature, en fût-il une qui eût devancé les temps!
CHAPITRE XXXI.DIEU CONNAÎT AUTREMENT QUE LES HOMMES.
41. O Seigneur, ô mon. Dieu, combien est profond labîme de votre secret! Combien les tristes suites de mon iniquité men ont jeté loin! Guérissez mes yeux; quils souvrent à ta joie de votre lumière. Certes, sil était un esprit assez grand, assez étendu en science et en prescience, pour avoir du passé et de lavenir une connaissance aussi présente que lest à ma pensée celle de ce cantique, notre admiration pour lui ne tiendrait-elle pas de lépouvante? Rien, en effet, rien qui lui fût inconnu dans la vicissitude des siècles, passés ou à venir tous seraient sous son regard, comme ce cantique, que je chante, est tout entier devant moi; car je sais ce quil sen est écoulé de versets depuis le commencement, et ce quil en reste à courir jusquà la fin. Mais loin de moi la pensée dassimiler une telle connaissance à la vôtre, ô Créateur du monde, Créateur des âmes et des corps ! Loin de moi cette pensée! Votre science du passé et de lavenir est bien autrement admirable et cachée. Le cantique que je chante ou, que jentends chanter maffecte de sentiments divers; ma pensée se partage en attente des paroles futures, en souvenir des paroles expirées; mais rien de tel ne survient dans votre immuable éternité; cest que vous êtes vraiment éternel, ô Créateur des esprits! Vous avez connu dès le principe le ciel et la -terre, sans succession de connaissance, et vous avez créé dès le principe le ciel et la terre sans division daction. Que lesprit ouvert, que lesprit fermé à lintelligence de ces pensées confessent votre nom! Oh! que vous êtes grand! et. les humbles sont votre famille. Vous les relevez de la poussière (Ps. CXLV, 8); et ils nont plus de chute à craindre, car vous êtes leur élévation. (486) |