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LIVRE DEUXIÈMEAUGUSTIN A SEIZE ANS
Désordres de sa première jeunesse. Ses débauches à lâge de seize ans. Larcin dont il saccuse sévèrement.
ON NE FAIT POINT LE MAL SANS INTÉRÊT. IL SE TROUVE DANS LES PÉCHÉS UNE IMITATION FAUSSE DES PERFECTIONS DIVINES. CE QUIL AVAIT AIMÉ DANS CE LARCIN.
CHAPITRE PREMIER.DÉSORDRES DE SA JEUNESSE.
1. Je veux rappeler mes impuretés passées, et les charnelles corruptions de mon âme, non que je les aime, mais afin de vous aimer, mon Dieu. Cest par amour de votre amour que je reviens sur mes voies infâmes dans lamertume de mon souvenir, pour savourer votre douceur, ô Délices véritables, Béatitude et Sécurité de délices, qui recueillez en vous toutes les puissances de mon être dispersées en mille vanités loin de vous, mon centre unique Car je brûlais, dès mon adolescence, de me rassasier de basses voluptés; et je neus pas honte de prodiguer la sève de ma vie à dinnombrables et ténébreuses amours, et ma beauté sest flétrie, et je nétais plus que pourriture à vos yeux, alors que je me plaisais à moi-même et désirais plaire aux yeux des hommes.
CHAPITRE II.SES DÉBAUCHES A SEIZE ANS.
92. Ma plus vive jouissance nétait-elle pas daimer et dêtre aimé? Mais je ne men tenais pas à ces liens dâme à âme, sur la chaste lisière de lamitié spirituelle. Dimpures vapeurs sexhalaient des fangeuses convoitises de ma chair, de leffervescence de la puberté; elles couvraient et offusquaient mon coeur: la sérénité de lamour était confondue avec les nuages de la débauche. Lune et lautre fermentaient ensemble, et mon imbécile jeunesse était entraînée dans les précipices des passions et plongeait dans le gouffre du libertinage. Votre colère sétait amassée contre moi, et je lignorais. Au bruit des chaînes de ma mortalité, jétais devenu sourd, jexpiais la superbe de mon âme. Et je méloignais de vous, et vous me laissiez; et je mélançais, et je débordais, et je me répandais, et je me fondais en adultères, et vous vous taisiez! O ma tardive joie, vous vous taisiez alors, et, toujours plus loin de vous, je mavançais dans les aridités fécondes en douleurs, avili dans lorgueil, agité dans la fatigue! 3. Qui eût alors modéré ma peine? Qui meût borné à lusage légitime de la fugitive beauté des créatures éphémères et de leurs délices, pour que les flots de ma jeunesse ne débordassent pas du moins la plage conjugale, sils ne pouvaient sapaiser dans le but de la procréation des enfants, selon la prescription de votre loi, Seigneur, qui réglez la génération de notre mortalité, et pouvez étendre une main adoucie pour émousser des épines inconnues au paradis? car votre toute-puissance est tout près de nous, lors même que nous sommes loin de vous. Que nai-je du moins écouté plus attentivement la voix de vos nuées: « Ils souffriront des tribulations dans leur chair. Et moi je vous les épargne. Il est bon à lhomme de ne point toucher de femme. Celui qui est sans femme pense aux choses de Dieu, à plaire à Dieu. Celui qui est lié par le mariage pense aux choses du monde, à plaire à sa femme (I Cor. VII, 28, I, 32,33,34). » Que nai-je ouvert loreille à cette voix! eunuque de volonté en vue du royaume des cieux (Matth. XIX, 12), dans lattente plus heureuse de vos embrassements? 4. Mais je brûlais, malheureux, et livré au torrent qui mentraînait loin de vous, je maffranchis de tous vos commandements, sans échapper à votre verge. Qui le pourrait? Vous (373) étiez toujours présent dans la miséricorde de vos rigueurs, abreuvant des plus amers dégoûts toutes mes joies illégitimes, pour mentraîner à chercher les joies exemptes de dégoûts. Et où les eussé-je trouvées hors de vous, « qui faites entrer la douleur dans le précepte ( Ps. XCIII, 20); qui frappez pour guérir; qui tuez pour nous empêcher de mourir à vous (Deut. XXXII, 39)? » Où étais-je, et dans quel lointain exil des délices de votre maison, à cette seizième année de lâge de ma chair, qui prit alors le sceptre sur moi; esclave volontaire, livré sans réserve à la frénésie de cette passion, que notre dégradation affranchit de tout frein, mais que votre loi condamne? On ne se mit point en peine doffrir le mariage au-devant de ma chute; on navait à coeur que de me faire apprendre à bien dire, à persuader par ma parole.
CHAPITRE III.VICES DE SON ÉDUCATION.
5. Et, cette même année, ramené de Madaure, ville voisine de notre séjour et mon premier pèlerinage littéraire et oratoire, javais interrompu mes études. On préparait la dépense dun plus lointain exil à Carthage, mon père, humble citoyen du municipe de Thagaste, consultant moins sa fortune que son ambition. Eh! pour qui ce récit? Pas pour vous, mon Dieu; mais en madressant à vous, je parle à tous les hommes mes frères, si peu quils soient ceux à qui ces pages tomberont entre les mains. Et pourquoi ? Pour que tout lecteur considère avec moi de quel profond abîme il nous faut crier vers vous. Et néanmoins se confesser de coeur, vivre de foi, quoi de plus près de votre oreille? Quelles louanges alors ne prodiguait-on pas à mon père pour fournir, au delà de ses ressources, au studieux et lointain voyage de son fils? Combien de citoyens beaucoup plus opulents que lui étaient loin davoir tel souci de leurs enfants? Et ce même père ne sinquiétait pas si je croissais pour vous, si jétais chaste, pourvu que je fusse disert, ou plutôt désert sans votre culture, ô Dieu, bon, vrai, seul maître du champ de mon coeur ? 6. Or, à cet âge de seize ans, des affaires domestiques ayant mis entre mes études un intervalle de vacances oisives, je vécus chez mes pare et mère, et cest alors que les ronces des désirs impurs sélevèrent au-dessus de ma tête, et nulle main nétait là pour les arracher. Loin de là; mon père saperçoit un jour, au bain, de ma pubescence qui, déjà, me couvrait dun manteau de frémissantes inquiétudes, et, tressaillant comme à laspect de ses petits-fils, dans sa- joie, il en fait part à ma mère. Joie de livresse où ce monde vous oublie, vous, son Créateur, pour aimer vos créatures au lieu de vous, enivré quil est du vin invisible dune volonté pervertie et livrée aux vils penchants. Mais déjà dans le coeur de ma mère vous aviez commencé votre temple et jeté les assises de votre sainte habitation. Mon père nétait encore, lui, que simple catéchumène, et tout récemment. Elle frémit donc de pieuse épouvante, et trembla; quoique je ne fusse pas encore fidèle, elle craignit pour moi ces voies tortueuses où sengagent ceux qui vous présentent le dos et non la face. 7. Hélas! osé-je encore dire que vous gardiez le silence, ô mon Dieu, quand je méloignais de vous? Etait-ce ainsi que vous vous taisiez pour moi? Et de qui étaient donc ces suaves paroles, que, par la bouche de ma mère, votre servante fidèle, vous me disiez à loreille? Et rien nen descendait dans mon coeur pour lincliner à lobéissance. Elle me recommandait instamment, et mavertit un jour en secret, avec quelle sollicitude! je men souviens, de me dérober à tout amour impudique et surtout adultère. Je prenais cela pour des avis de femme, que jeusse rougi découter. Et cétaient les vôtres, et je lignorais; et je pensais que vous vous taisiez, et que seule elle parlait, elle par qui vous me parliez; et cest vous que je méprisais en elle, moi son fils, fils de votre servante, et votre serviteur. Mais je ne savais pas, et je me précipitais avec tant daveuglement, quentre ceux de mon âge jétais honteux de mon infériorité de honte; car je les entendais se vanter de leurs excès, et se glorifier dautant plus quils étaient plus infâmes ; et javais à coeur de pécher; soif de plaisir et soif de gloire. Quy a-t-il de blâmable que le vice? Moi, crainte du blâme, je devenais plus vicieux. Et à défaut de crime réel pour mégaler aux plus corrompus, je feignais ce que je navais point fait; javais peur de paraître dautant plus méprisable que jétais plus innocent, dautant plus vil que jétais plus chaste. 8. Voilà avec quels compagnons je courais les places de Babylone, et me roulais dans sa fange (374) comme dans des eaux de senteur et de parfums de cinnamome. Et pour mattacher plus victorieusement au principe du péché, lennemi invisible me foulait aux pieds, et me séduisait, si facile que jétais à séduire! Sortie du coeur de la cité abominable, mais culminant, lente encore, dans les voies du retour, la mère de ma chair mavertit bien de garder la pudeur, et pourtant cette confidence de son mari néveilla pas en elle la pensée de resserrer dans les limites de lamour conjugal, sinon de couper au vif ces instincts passionnés dont les germes, déjà si funestes, offraient à ses alarmes le présage des plus grands dangers. Elle négligea le remède, dans la crainte que toute mon espérance ne fût entravée par la chaîne du mariage; non pas cette espérance de la vie future quelle plaçait en vous, ma pieuse mère, mais lespérance dun avenir littéraire dont ils étaient lun et lautre trop jaloux pour moi; lui, parce quil ne songeait guère à vous, et rêvait des vanités pour moi; elle, parce que loin de croire que ces études me fussent nuisibles, elle les regardait comme des échelons qui devaient mélever jusquà votre possession. Telles sont les conjectures que hasardent mes souvenirs sur les dispositions de mes parents. Et puis au lieu duser dune sage sévérité, on lâchait la bride en mes divertissements à la multitude de mes passions déréglées, et un épais brouillard interceptait sans cesse à ma vue, ô mon Dieu, la lumière de votre vérité ! « Et mon iniquité naissait comme de mon embonpoint (Ps. LXXII, 7). »
CHAPITRE IV.LARCIN.
9. Le larcin est condamné par votre loi divine, Seigneur, et par cette loi écrite au coeur des hommes, que leur iniquité même nefface pas. Quel voleur souffre volontiers dêtre volé? Quel riche pardonne à lindigent poussé par la détresse? Eh bien! moi, jai voulu voler, et jai volé sans nécessité, sans besoin, par dégoût de la justice, par plénitude diniquité; car jai dérobé ce que javais meilleur, et en abondance. Et ce nest pas de lobjet convoité par mon larcin, mais du larcin même et du péché que je voulais jouir. Dans le voisinage de nos vignes était un poirier chargé de fruits qui navaient aucun attrait de saveur ou de beauté. Nous allâmes, une troupe de jeunes vauriens, secouer et dépouiller cet arbre, vers le milieu de la nuit, ayant prolongé nos jeux jusquà cette heure, selon notre détestable habitude, et nous en rapportâmes de grandes charges, non pour en faire régal, si toutefois nous y goûtâmes, mais ne fût-ce que pour les jeter aux pourceaux : simple plaisir de faire ce qui était défendu. Voici ce coeur, ô Dieu! ce coeur que vous avez vu en pitié au fond de labîme. Le voici, ce coeur; quil vous dise ce quil allait chercher là, pour être gratuitement mauvais, sans autre sujet de malice que la malice même. Hideuse quelle était, je lai aimée ; jai aimé à périr; jai aimé ma difformité; non lobjet qui me rendait difforme , mais ma difformité même, je lai aimée ! Âme souillée, détachée de votre appui pour sa ruine, nayant dans la honte dautre appétit que la honte!
CHAPITRE V.ON NE FAIT POINT LE MAL SANS INTÉRÊT.
10. La beauté des corps, tels que lor, largent..., a son attrait. Lattouchement est flatté par une convenance de rapport, et à chaque sens correspond une certaine modification des objets. Lhonneur temporel, la puissance de commander et de vaincre ont leur beauté, doù naît aussi la soif de la vengeance. Et, pour atteindre à ces jouissances, nous ne devons pas sortir de vous, Seigneur, ni dévier de votre loi. Cette vie même que nous vivons ici-bas a pour nous charmer sa mesure de beauté et sa juste proportion avec toutes les beautés inférieures. Le noeud si cher de lamitié humaine trouve sa douceur dans lunité de plusieurs âmes. Cause de péché que tout cela, quand le déréglement de nos affections abandonne, pour ces biens infimes, les plus excellents, les plus sublimes, vous, Seigneur notre Dieu, et votre vérité et votre loi. Ces biens dici-bas ont leur charme, mais quest-il auprès de mon Dieu, créateur de lunivers, unique joie du juste, délices des coeurs droits? 1l. Recherche-t-on la cause dun crime, on ny croit dordinaire, que sil apparaît un désir dobtenir, une crainte de perdre quelquun de ces biens infimes dont nous parlons, car ils ont leur grâce et leur beauté ; mais quils sont bas et rampants, si lon songe aux trésors de la gloire et de la béatitude! Il a été (375) homicide. Pourquoi? Il convoitait la femme ou lhéritage de son frère, il a voulu le voler pour vivre, ou se mettre en garde contre ses larcins; il brûlait de venger une offense. Aurait-il tué pour le plaisir même du meurtre? Est-ce croyable? Car sil est dit de cet homme, monstre de démence et de cruauté, quil était gratuitement méchant et cruel, nous savons néanmoins pourquoi. « Il craignait, dit lhistorien, que le repos nénervât sa main ou son cur (Sallust. Guerr. De Cat., C. IX). » Mais ici encore, pourquoi? Il voulait que cette pratique du crime le rendît maître de Rome, fît tomber dans ses mains honneurs, richesses, autorité; laffranchît de la crainte des lois, et de cette détresse où le réduisaient la perte de sa fortune et la conscience de ses crimes. Ce Catilina naimait donc pas ses forfaits mêmes, mais la fin qui le portait à les commettre.
CHAPITRE VI.IL SE TROUVE DANS LES PÉCHÉS UNE IMITATION FAUSSE DES PERFECTIONS DIVINES.
12. Quai-je donc aimé en toi, malheureux larcin, crime nocturne de mes seize ans? Tu nétais pas beau, étant un larcin; es-tu même quelque chose, pour que je parle à toi? Ces fruits volés par nous étaient beaux, parce quils étaient votre oeuvre , beauté infinie, créateur de toutes choses, Dieu bon, Dieu souverain bien et mon bien véritable. Ces fruits étaient beaux; mais ce nétait pas eux que convoitait mon âme misérable; jen avais de meilleurs en abondance; je ne les ai donc cueillis que pour voler. Car aussitôt je les jetai, ne savourant que liniquité , ma seule jouissance, ma seule joie. Si jen approchai quelquun de ma bouche, je ny goûtai que la saveur de mon crime. Et maintenant, Seigneur mon Dieu, je cherche ce qui ma plu dans ce larcin, et je ny vois aucune ombre de beauté. Je ne parle point de cette beauté qui réside dans léquité, dans la prudence; ou bien, dans lesprit de lhomme, sa mémoire, ses sens, sa vie végétative; ni de la splendide harmonie des corps célestes, et de la terre et de la mer se peu. plant de créatures par une continuelle succession de naissances et de morts; ni même de cette beauté menteuse, voile des vices décevants. 13. Car lorgueil contrefait lélévation; et vomis seul, ô mon Dieu, êtes élevé au-dessus de tous les êtres. Lambition, que cherche-t-elle, sinon les honneurs et la gloire? Et vous seul devez être honoré, seul glorifié dans tous les. siècles. La tyrannie veut se faire craindre; et qui est à craindre que vous seul, ô Dieu? Votre pouvoir se laisse-t-il jamais rien ravir, rien soustraire? Quand, où, par qui se pourrait-il? Et les profanes caresses veulent surprendre lamour; mais quoi de plus caressant que votre amour? Quoi de plus heureusement aimable que la beauté resplendissante et souveraine de votre vérité? La curiosité se donne pour la passion de la science; et vous seul possédez la science universelle et suprême. Lignorance même et la stupidité ne se couvrent-elles pas du nom de simplicité et dinnocence, parce que rien ne saurait être plus simple que vous? Rien de plus innocent que vous, car cest dans leurs oeuvres que les méchants trouvent leur ennemi. La paresse prétend nêtre que lappétence du repos; et quel repos assuré que dans le Seigneur? Le luxe se dit magnificence; mais vous êtes la source vive et inépuisable des incorruptibles délices. La profusion se farde des traits de la libéralité ; - mais vous êtes lopulent dispensateur de toutes largesses. Lavarice veut beaucoup posséder, et vous possédez tout. Lenvie dispute la prééminence; quoi de plus éminent que vous? La colère cherche la vengeance; qui se venge plus justement que vous? La crainte frémit des soudaines rencontres, menaçantes pour ce quelle aime; elle veille à sa sécurité : mais pour vous est-il rien détrange, rien de soudain? Qui vous sépare de ce que vous aimez? Hors de vous, où est la constante sécurité? La tristesse se consume dans la perte des jouissances passionnées, parce quelle voudrait quil lui fût aussi impossible quà vous de rien perdre. 14. Ainsi lâme devient adultère, lorsque, détournée de vous, elle cherche hors de vous ce quelle ne trouve, pur et sans mélange, quen revenant à vous. Ceux-là vous imitent avec perversité, qui séloignent de vous, qui sélèvent contre vous. Et toutefois, en vous imitant ainsi, ils montrent que vous êtes le créateur de lunivers, et que vous ne laissez aucune place où lon puisse se retirer entièrement de vous. Et moi, quai-je donc aimé dans ce larcin? En quoi ai-je imité mon Dieu? faux et criminel imitateur ! Ai-je pris plaisir à (376) enfreindre la loi par la ruse, au défaut de la puissance; et, sous les liens de la servitude, affectant une liberté boiteuse, ai-je trouvé dans la faculté de violer impunément la justice une ténébreuse image de la Toute-Puissance ? Cest lesclave qui fuit son maître et natteint quune ombre! O corruption! ô monstre de vie ! ô abîme de mort! Ce qui était illicite a-t-il pu me plaire, et par cela seul quil était illicite?
CHAPITRE VII.ACTIONS DE GRACES.
15. Que rendrai-je au Seigneur qui délivre mon âme du trouble de ces souvenirs? Que je vous aime, Seigneur, que je vous rende grâces et confesse votre nom, ô vous qui mavez remis tant de criminelles et abominables oeuvres! A votre grâce, à votre miséricorde je rapporte davoir fondu la glace de mes péchés. A votre grâce je rapporte tout ce que je nai pas fait de mal. Eh! de quoi nétais-je point capable ayant aimé le crime sans intérêt? Et je confesse que tout mest pardonné, et le mal que jai fait de gré, et celui que ma épargné votre miséricorde. Quel mortel, méditant sur son infirmité, oserait attribuer à ses propres forces sa chasteté et son innocence, et se croirait en droit de vous moins aimer, comme sil eût eu moins besoin de ce miséricordieux pardon que vous accordez au repentir des pécheurs? Que lhomme qui, docile à lappel de votre voix, a évité tous ces désordres dont je publie le souvenir et laveu, se garde de rire sil me voit guéri par le même médecin à qui il doit de navoir pas été, ou plutôt davoir été moins malade; quil vous en aime autant, quil vous en aime davantage, reconnaissant que celui qui me délivre est le même qui la préservé des mortelles défaillances du péché.
CHAPITRE VIII.CE QUIL AVAIT AIMÉ DANS CE LARCIN.
16. Malheureux! quel avantage trouvais-je donc alors dans ces actions, dont aujourdhui la pensée me fait rougir (Rom. VI, 21), et surtout dans ce vol où je naimai que lui; rien que lui, rien sans doute, car lui-même nétait rien pour moi cependant un surcroît de misère! et pourtant seul je ne leusse pas fait. Ma mémoire me représente bien mon âme alors; non, seul, je ne leusse pas fait. Cest donc, en outre, la société de mes complices que jai aimée. Jai donc aimé autre chose que le vol ? Mais quoi? rien; car cela même encore nest rien. Quy a-t-il donc là en réalité? Qui me lenseignera, que Celui qui éclaire mon coeur et en dissipe les ténèbres? Quelle est enfin la cause de cet acte coupable? Mon esprit la recherche; il la poursuit; il veut la pénétrer. Si jaimai ces fruits, si je les désirai, que ne les volai-je seul? Ne suffisait-il pas à ma convoitise de commettre liniquité sans envenimer par le frottement de la complicité les démangeaisons de mon désir? Mais ce plaisir que ces fruits ne me donnaient pas, je ne le trouvais dans le péché que par cette association de pécheurs.
CHAPITRE IX.LIAISONS FUNESTES.
17. Quel était donc cet instinct de mon âme? Vil et honteux instinct! Ame misérable, tu tes livrée à lui! Quel était enfin cet instinct maudit? « Oh ! qui peut sonder labîme des péchés (Ps. XVIII, 13)? » Cétait un rire malin qui nous chatouillait le coeur à lidée de tromper un homme et de lirriter. Pourquoi donc avais-je du plaisir à nêtre pas seul? Seul, est-il plus difficile de rire? Il est vrai; et cependant un homme est seul, et le rire sempare de lui, si un objet trop ridicule frappe ses sens ou son esprit. Mais moi, je neusse rien fait seul; non, seul, je neusse rien fait. Oui, mon Dieu, voici devant vous la vivante souvenance de mon âme! Seul, je neusse pas commis ce larcin, nen aimant pas lobjet, naimant que lui-même. Seul, je neusse trouvé aucun plaisir à le faire , je ne leusse point fait. O amitié ennemie, subtile séduction de lesprit, ardeur de nuire et de dérober, inspirée par lentrain et le jeu, sans cupidité, sans passion vindicative, sur un seul mot Allons, dérobons! et lon rougit de rougir encore! ( 377)
CHAPITRE X.ÉLAN VERS DIEU.
18. Qui démêlera ces tortueux replis, ce noeud inextricable? Il recèle la honte; je ny veux plus penser; je ne le veux plus voir. Cest vous que je veux, ô justice, ô innocence, si belle aux chastes regards, dont la jouissance nous laisse insatiables! En vous est la paix profonde et la vie inaltérable. Celui qui entre en vous, « entre dans la joie de son Seigneur (Matth. XXV, 21). » Libre de toute crainte, il demeure souverainement bien dans le Bien souverain. Jai dérivé loin de vous, et je me suis égaré, mon Dieu; mon adolescence sest écoulée hors de votre stabilité, et je suis devenu à moi-même une contrée dindigence. (378)
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