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LIVRE TREIZIÈME.SENS MYSTIQUE DE LA CRÉATION.
Toute créature tient lêtre de la pure bonté de Dieu. Il découvre dans les premières paroles de la Genèse et la Trinité de Dieu et la propriété de la personne du Saint-Esprit. Image de la Trinité dans lHomme. Dieu procède dans linstitution de lEglise comme dans la création du monde. Sens mystique de la création.
INVOCATION. GRATUITE MUNIFICENCE DE DIEU. TOUTE CRÉATURE TIENT LÊTRE DE LA PURE BONTÉ DE DIEU. TOUT PROCÈDE DE LA GRÂCE DE DIEU. DIEU NAVAIT PAS BESOIN DES CRÉATURES. COMMENT LESPRIT DE DIEU ÉTAIT PORTÉ AU-DESSUS DES EAUX. LUNION AVEC DIEU, UNIQUE FÉLICITÉ DES ÊTRES INTELLIGENTS. POURQUOI IL EST DIT, SEULEMENT DU SAINT-ESPRIT, QUIL ÉTAIT PORTÉ SUR LES EAUX. BONHEUR DES PURES INTELLIGENCES. IMAGE DE LA TRINITÉ DANS LHOMME. DIEU PROCÈDE EN LINSTITUTION DE LÉGLISE COMME DANS LA CRÉATION DU MONDE. NOTRE RENOUVELLEMENT NEST JAMAIS PARFAIT EN CETTE VIE. LÂME EST SOUTENUE PAR LA FOI ET LESPÉRANCE. LÉCRITURE SAINTE COMPARÉE AU FIRMAMENT ET LES ANGES AUX EAUX SUPÉRIEURES (Gen. I, 6). NUL NE CONNAÎT DIEU, COMME DIEU SE CONNAÎT, LUI-MÊME. COMMENT ON PEUT ENTENDRE LA CRÉATION DE LA MER ET DE LA TERRE (Gen. I, 9, 11). LES JUSTES PEUVENT ÊTRE COMPARÉS AUX ASTRES ( Gen. I, 14). VOIE DE LA PERFECTION ( Gen. I, 14). INTERPRÉTATION MYSTIQUE DES ANIMAUX TERRESTRES ( Gen. I, 24). VIE DE LÂME RENOUVELÉE ( Gen. I, 26). DE QUI LHOMME SPIRITUEL PEUT JUGER (Gen. I, 26) POURQUOI DIEU A BÉNI LHOMME, LES POISSONS ET LES OISEAUX? LES FRUITS DE LA TERRE FIGURENT LES UVRES DE PIÉTÉ ( Gen. I, 29). LE FRUIT DES OEUVRES DE MISÉRICORDE EST DANS LA BONNE VOLONTÉ. SIGNIFICATION DES POISSONS ET DES BALEINES. POURQUOI DIEU DIT QUE SES UVRES ÉTAIENT TRÈS BONNES ( Gen. I, 31). COMMENT DIEU A VU HUIT FOIS QUE SES UVRES ÉTAIENT BONNES. LE FIDÈLE VOIT PAR LESPRIT DE DIEU, ET DIEU VOIT EN LUI QUE SES OEUVRES SONT BONNES. DIEU A CRÉÉ LE MONDE DUNE MATIÈRE CRÉÉE PAR LUI AU MÊME TEMPS. « SEIGNEUR, DONNEZ-NOUS VOTRE PAIX! » COMMENT DIEU SE REPOSE EN NOUS. DIFFÉRENCE ENTRE LA CONNAISSANCE DE DIEUET CELLE DES HOMMES.
CHAPITRE PREMIER.INVOCATION. GRATUITE MUNIFICENCE DE DIEU.
1. Je vous invoque, ô mon Créateur, mon Dieu et ma miséricorde, qui avez gardé mon souvenir quand javais perdu le vôtre. Je vous appelle dans mon âme, et vous la préparez à vous recevoir en lui inspirant ce vif désir de votre possession. Oh! répondez aujourdhui à cet appel que vous avez devancé, quand vos cris réitérés, venant de si loin à mon oreille, me pressaient de me retourner et dappeler à moi Celui qui mappelait à lui. Seigneur, vous avez effacé tous mes péchés, afin de navoir point à solder les oeuvres de mon infidélité, et vous avez prévenu mes oeuvres méritantes, afin de me rendre selon le bien opéré en moi par vos mains, dont je suis louvrage. Car vous étiez avant que je fusse, et je nétais rien à qui vous pussiez donner dêtre. Et me voilà toutefois, je suis par votre bonté qui a devancé tout ce que vous mavez donné dêtre, tout ce dont vous mavez fait. Vous naviez pas besoin de moi, et je ne suis pas tel que ce peu de bien que je suis vous seconde, mon Seigneur et mon Dieu; que mes services vous soulagent, comme si vous vous lassiez en agissant; que votre puissance souffrit de labsence de mon hommage; que vous réclamiez mon culte, comme la terre réclame ma culture, sous peine de stérilité; mais vous voulez mes soins, vous voulez mon culte, afin que je trouve en vous le bien de mon être; car vous mavez donné lêtre qui me rend capable de ce bien.
CHAPITRE II.TOUTE CRÉATURE TIENT LÊTRE DE LA PURE BONTÉ DE DIEU.
2. Cest de la plénitude de votre bonté que vos créatures ont reçu lêtre; vous avez voulu quun bien fût qui ne pût procéder que de vous, inutile, inégal à vous-même. Etiez-vous donc redevable au ciel, à la terre, que vous avez créés dans le principe? Je le demande à ces créatures spirituelles et corporelles que vous avez formées dans votre sagesse, leur étiez-vous redevable de cet être, même imparfait, même informe, dans lordre spirituel ou corporel, être tendant au désordre et à léloignement de votre ressemblance? Lêtre spirituel, fût-il informe, est supérieur au corps formé; et cet être corporel, fût-il informe, est supérieur au néant; et tous deux demeureraient comme une esquisse informe de votre Verbe, si ce même Verbe ne les eût rappelés à votre unité, en leur donnant la forme, et cette excellence quils tiennent de votre souveraine bonté. Leur étiez-vous redevable de cette informité même, où ils ne pouvaient être que par vous? 3. Etiez-vous redevable à la matière corporelle de lêtre, même invisible et sans ordre? car elle neût pas même été cela, si vous ne leussiez faite; et nétant pas, comment pouvait-elle mériter de vous son être? Et cette ébauche de créature spirituelle, lui étiez-vous redevable de cet être même ténébreux et flottant, semblable à labîme, dissemblable à vous, où elle serait encore, si votre Verbe ne leût ramenée à son principe, et, en lilluminant, ne leût faite lumière, non pas égale, mais conforme à votre égalité formelle? Pour un (501) corps, être et être beau, nest pas tout un; autrement tous seraient beaux : ainsi, pour lesprit créé, ce nest pas tout un que de vivre, et de vivre sage; autrement il serait immuable dans sa sagesse. Mais il lui est bon de sattacher toujours à vous, de peur quabandonné de la lumière dont il se retire, il ne retombe dans cette vie de ténèbres, semblable à labîme. Et nous aussi, créatures spirituelles par notre âme, autrefois loin de vous, notre lumière, « navons-nous pas été ténèbres en cette « vie (Ephés. V, 8) » et ne luttons-nous pas encore contre les dernières obscurités de cette nuit jusquau jour où nous serons justice dans votre Fils, élevés à la hauteur des montagnes saintes, après avoir été une profondeur dabîme sondée par vos jugements (Ps. XXXV, 7)?
CHAPITRE III.TOUT PROCÈDE DE LA GRÂCE DE DIEU.
4. Quant à ces paroles que vous dites au début de la création : « Que la lumière soit, et la lumière fut (Gen. I, 3), » je les applique sans inconvénient à la créature spirituelle, parce quelle était déjà vie quelconque, pour recevoir votre lumière. Mais si elle navait pas mérité de vous. cette vie capable de votre lumière, avait-elle mérité davantage le don que vous lui en avez fait? Car son informité neût pu vous plaire, si elle ne fût devenue lumière, non par nature, mais par lintuition de votre 1umière illuminante, par son union avec elle, afin que ces préludes de vie et cette béatitude de vie, elle ne les dût quà votre grâce, qui la tourne, par un heureux changement, vers ce qui est également incapable de pis et de mieux, vers vous, seul être simple, pour qui vivre cest vivre heureux, parce que vous êtes à vous-même votre béatitude.
CHAPITRE IV.DIEU NAVAIT PAS BESOIN DES CRÉATURES.
5. Que manquerait-il donc à votre félicité, félicité qui est vous-même, quand toutes ces créatures demeureraient encore dans le néant ou linformité? Aviez-vous besoin delles? et nest-ce point par la plénitude de votre bonté que vous les avez faites? Et votre joie était-elle intéressée au complément de leur être? Loin que vous soyez imparfait, pour attendre votre perfection de la leur , parfait comme vous lêtes, leur imperfection vous déplaît, et vous les perfectionnez pour quelles vous plaisent. Car votre Esprit-Saint était porté au-dessus des eaux ( Gen. 1, 2), et non par les eaux, comme sil se fût reposé sur elles, lui qui fait reposer en soi ceux en qui lon dit « quil repose (Is. XI, 2) » Mais cest votre volonté incorruptible, immuable, se suffisant à elle-même, qui était portée au-dessus de cette vie, votre création, en qui la vie et la béatitude ne sont pas même chose, puisquelle ne laisse pas de vivre dans la fluctuation de ses ténèbres, et quil lui faut se tourner vers son auteur, puiser de plus en plus la vie à la source de la vie, voir la lumière dans sa lumière (Ps. XXXV, 10), et en recevoir perfection, gloire, béatitude.
CHAPITRE V.DE LA TRINITÉ.
6. Et maintenant mapparaît comme en énigme votre Trinité, mon Dieu. Cest dans le Principe de votre sagesse, qui est notre sagesse, ô Père! née de vous, égale et coéternelle à vous, cest dans votre Fils que vous avez fait le ciel et la terre. Et que nai-je pas dit sur le ciel du ciel, sur la terre invisible et sans forme, sur cet abîme de ténèbres, qui serait livré à toutes les tourmentes de linformité spirituelle, sil ne se fût fixé devant Celui par qui il était vie quelconque, et dont la lumière allait répandre sur cette vie la forme et la beauté, pour quelle devînt ce ciel du ciel, créé depuis, et résidant entre les eaux? Et déjà, par ce nom de Dieu, jatteignais le Père, qui a tout fait, par celui de Principe, le Fils en qui il a tout fait; et, dans ma ferme croyance que mon Dieu est une Trinité, je consultais les paroles saintes, qui me répondent : « Et lEsprit était porté au-dessus des eaux. » Et voilà mon Dieu-Trinité, Père, Fils et Saint-Esprit, seul Dieu, Créateur de toutes les créatures.
CHAPITRE VI.COMMENT LESPRIT DE DIEU ÉTAIT PORTÉ AU-DESSUS DES EAUX.
7. Mais, ô lumière de vérité, je place près de vous ce coeur qui ne menseignerait que vanités; dissipez ses ténèbres, et dites-moi, je vous en conjure par votre charité, notre mère, (502) dites-moi, je vous en supplie, pourquoi nest-ce quaprès avoir nommé le ciel et la terre, invisible et saris forme, et les ténèbres répandues sur labîme, que votre Ecriture nomme lEsprit-Saint? Etait-il donc nécessaire, pour nous en suggérer la connaissance, de le représenter comme « porté au-dessus, » en désignant dabord au-dessus de quoi? Ce nétait ni au-dessus du Père, ni au-dessus du Fils, ni sans doute au-dessus de rien. Il fallait donc indiquer dabord au-dessus de quoi il était porté, lui dont il était impossible de parler, sans le dire « porté. » Mais pourquoi?
CHAPITRE VII.EFFETS DU SAINT-ESPRIT.
8. Et maintenant suive qui pourra de lesprit le vol de lApôtre dans cette parole sublime : « La charité se répand dans nos coeurs « par le Saint-Esprit qui nous est donné ((Rom. V, 5); »soit quil nous enseigne les voies spirituelles et les voies suréminentes de lamour, soit quil fléchisse le genou devant vous, pour nous obtenir la grâce dêtre initiés « à la science suréminente de la charité du Christ ( Ephés. III, 14-19). » Et voilà pourquoi, suréminent dès le principe, il paraissait au-dessus des eaux. Mais à qui parler? mais comment parler de ce poids de concupiscence qui gravite vers labîme, et de lattraction sublime de la. charité par la vertu de votre Esprit, qui « planait sur « les eaux? » Quel sera mon auditeur? quelle sera ma parole? On plonge, on surnage; et il ny a là ni fond, ni rive. Quelle similitude plus dissemblable? Ce sont nos affections, ce sont nos amours, cest limpureté de notre esprit que précipite lamour des soins de la terre; et cest la sainteté de votre Esprit qui nous soulève vers le ciel, par lamour de la paix éternelle, afin que nos coeurs sélèvent en haut jusquà vous, où votre Esprit plane sur les eaux, et que notre âme, après la traversée de ces eaux mobiles de la vie (Ps. CXXIII, 5), aborde à la suréminence du repos.
CHAPITRE VIII.LUNION AVEC DIEU, UNIQUE FÉLICITÉ DES ÊTRES INTELLIGENTS.
9. Lesprit de lange, lâme de lhomme se sont dissipés dans leur chute comme leau qui sécoule, et ils ont signalé labîme ténébreux où serait ensevelie toute créature spirituelle, si vous neussiez dit au comencement: « Que la lumière soit! » ralliant à vous lobéissance des esprits habitants de la cité céleste, pour assurer leur paix au sein de votre Esprit qui demeure immuable au-dessus de tout ce qui change. Autrement ce ciel du ciel ne serait par lui-même quabîme et ténèbres; « et maintenant il est lumière dans le Seigneur ( Ephés. V, 8). » Et, en vérité, cette inquiétude malheureuse des intelligences déchues de votre lumière, leur splendide vêtement, et réduites aux haillons de leurs ténèbres, parle assez haut; témoin éloquent de lexcellence où. vous avez élevé cette créature raisonnable, qui ne saurait se suffire : car il ne lui faut rien moins que vous-même pour quelle ait sa béatitude et son repos. « Vous «êtes, ô mon Dieu, la lumière de nos ténèbres (Ps. XVII, 29), » notre robe de gloire; « et notre nuit rayonne comme le jour à son midi (Ps. CXXXVIII, 12). » Oh! donnez-vous à moi, mon Dieu! rendez-vous à moi! Je vous aime; et si mon amour est encore trop faible, rendez-le plus fort. Je ne saurais mesurer ce quil manque à mon amour; et combien il est au-dessous du degré quil doit atteindre, pour que ma vie se précipite dans vos embrassements, et ne sen détache point quelle nait disparu tout entière dans les plus secrètes clartés de votre visage (Ps. XXX, 21). Tout ce que je sais, cest que partout ailleurs quen vous, hors de moi, comme en moi, je ne trouve que malaise, et toute richesse qui nest pas mon Dieu, nest pour moi quindigence.
CHAPITRE IX.POURQUOI IL EST DIT, SEULEMENT DU SAINT-ESPRIT, QUIL ÉTAIT PORTÉ SUR LES EAUX.
10. Mais le Père, mais le Fils, nétaient-ils pas portés au-dessus des eaux? Si lon se fait une idée de corps et despace, ces paroles ne conviennent plus même au Saint-Esprit. Si lon y voit limmuable suréminence de la divinité qui demeure au-dessus de tout ce qui change, le (503) Père, et le Fils; et le Saint-Esprit étaient ensemble portés sur les eaux. Pourquoi donc lEcriture ne parle-t-elle que de votre Esprit? pourquoi parle-t-elle de lui seul, comme sil y avait lieu là où le lieu nest pas, en celui de qui seul il a été dit quil est votre don? Le don où nous jouissons du repos, où nous jouissons de vous-même; repos des âmes, lieu des esprits! Cest là où nous élève lamour; et votre divin Esprit retire notre humilité des portes de la mort ( Ps. IX, 5); et « notre paix est dans notre bonne volonté (Luc, II, 14) ». Le corps tend à son lieu par son poids; et ce poids ne tend pas seulement en bas, mais au lieu qui lui est propre. La pierre tombe; le feu sélance; lun et lautre gravite suivant son poids et suivant son centre. Lhuile versée dans leau monte au-dessus de leau; leau versée dans lhuile descend au-dessous de lhuile; lun et lautre suit son poids et cherche son centre. Hors de lordre, trouble; dans lordre, repos. Mon poids, cest. mon amour; où que je tende, cest lui qui memporte. Cest votre don, cest votre Esprit qui allume, qui volatilise notre coeur. Il nous embrase et nous enlève. Nous montons à léchelle de lâme (Ps. LXXXIII, 6), en chantant le cantique des degrés. Cest le feu de lamour, cest votre feu divin qui nous consume et nous ravit au centre de la paix, au sein de Jérusalem; et « je trouve ma joie dans cette heureuse promesse : Nous irons à la maison du Seigneur (Ps. CXXXI, 1). » Et cest la bonne volonté qui nous y fait une place; et nous navons plus rien à vouloir, que cette demeure éternelle.
CHAPITRE X.BONHEUR DES PURES INTELLIGENCES.
11. O béatitude de la créature qui na jamais connu dautre état que cette félicité, où elle ne se fût jamais élevée delle-même, si, à linstant immédiat de sa création, votre Don, porté sur toutes choses muables, ne leût exaltée à lappel de votre voix. « Que la lumière soit, et la « lumière fut ( Gen. I, 3). » En nous, il y a distinction de temps : temps où nous sommes ténèbres; temps où nous devenons lumière (Ephés. V, 8). Mais, en parlant de ces pures intelligences, lEcriture ne fait quindiquer ce quelles eussent été sans lillumination divine; et elle les suppose à létat de fluctuation ténébreuse, pour nous signaler la cause de leur gloire surnaturelle : cest-à-dire leur union lumineuse avec la lumière sans ombre et sans défaillance. Entende qui peut; qui ne peut, vous invoque ! Car, enfin, que me veut-on? Suis-je la lumière qui éclaire tout homme venant au monde ( Jean 1,9)?
CHAPITRE XI.IMAGE DE LA TRINITÉ DANS LHOMME.
12. Où est lhomme qui comprend la toute-puissante Trinité? où est lhomme qui nen parle? et peut-on dire quil en parle? Bien rare est lintelligence qui en parle avec la science de sa parole. Et lon conteste, et lon dispute; et cest un mystère qui demeure voilé aux âmes où la paix nest pas. Je voudrais que les hommes observassent en eux-mêmes un triple phénomène; simplitude infiniment différente de la Trinité sainte, mais que joffre à leur méditation, pour leur faire sentir et reconnaître linfini de la distance. Ce triple phénomène, le voici : être, connaître, vouloir : car je suis, je connais, je veux : je suis celui qui connaît et qui veut. Je connaît que je suis et que je veux, et je veux être et connaître. Comprenne qui pourra combien notre âme est inséparable de ces trois phénomènes, qui tous trois ne font quune même vie, quune même raison, quune même essence, inséparablement distinctes. Homme, te voilà en présence de toi-même; regarde en toi; vois, et réponds. moi! Et si tu trouves quelque lueur dans ces mystères de ton être, ne crois pas en avoir pénétré plus avant dans les mystères de lEtre immuable au-dessus de tout, immuable dans son être, immuable dans sa connaissance, immuable dans sa volonté: car, est-ce à cause de cette triplicité, que Dieu est Trinité; ou cette triplicité réside-t-elle en chaque personne divine, chacune étant unité-trinaire; ou bien, dans le cercle incompréhensible, infini, dune simplicité multiple, est-il unité féconde, principe, connaissance et fin de soi-même, qui se suffit immuablement? Quel esprit aurait la force de dégager cette terrible inconnue? Quelle parole, quel sentiment seraient exempts de témérité? (504)
CHAPITRE XII.DIEU PROCÈDE EN LINSTITUTION DE LÉGLISE COMME DANS LA CRÉATION DU MONDE.
13. Poursuis ta confession, ô ma foi; dis au Seigneur, ton Dieu: Saint, saint, saint! ô mon Seigneur! ô mon Dieu! Cest en votre nom que nous sommes baptisés, Père, Fils et Saint-Esprit! cest en votre nom que nous baptisons, Père, Fils et Saint-Esprit! Car Dieu a fait en nous, par son Christ, un nouveau ciel, une nouvelle terre: cest-à-dire les membres spirituels et les membres charnels de son Eglise; et notre terre, avant que la doctrine sainte ne leût douée de sa forme, était invisible aussi; elle était informe et couverte des ténèbres de lignorance, «parce que vous avez châtié liniquité de lhomme ( Ps. XXXVIII, 12), dans le profond abîme de vos « jugements ( Ps. XXXV, 7) ». Mais votre Esprit-Saint est porté sur les eaux, et votre miséricorde nabandonne pas notre misère; et vous dites: « Que la lumière soit! Faites pénitence; le royaume des cieux est proche (Matth. III, 12)! Faites pénitence; que la lumière soit! » Et, dans le trouble de notre âme, « nous nous sommes souvenus de vous, Seigneur, aux bords du Jourdain, » auprès de la montagne élevée à votre hauteur, et qui sest abaissée pour nous (Ps. XLI, 7). Et nos ténèbres nous ont fait horreur; et nous nous sommes tournés vers vous; et la lumière a été faite. « Et nous voilà, ténèbres autrefois, maintenant lumière dans le Seigneur ((Ephés. 5,8). »
CHAPITRE XIII.NOTRE RENOUVELLEMENT NEST JAMAIS PARFAIT EN CETTE VIE.
14. Et nous ne sommes encore lumière que par la foi, et non par la claire vue ( II Cor. V, 7). « Car notre salut est en espérance; or, lespérance qui se voit nest plus espérance (Rom. VIII, 24).» Cest encore « un abîme qui appelle un abîme, » mais par la voix de vos cataractes (Ps. XLI, 8). Il est encore abîme, celui qui dit: « Je nai pu vous parler comme «à des êtres spirituels, mais comme à des êtres charnels (I Cor. III, 1).» Et lui-même reconnaît quil na pas encore touché le but, et oubliant tout ce qui est derrière, il tend à ce qui est devant lui (Philip. III, 13); il gémit sous le fardeau de malheur, et son âme est altérée du Dieu vivant, comme le cerf soupire après leau des fontaines; et il sécrie: «Oh! quand arriverai-je (Ps. XLI, 2,3)!» Et il aspire à être revêtu de sa céleste demeure (Ps. XXXV, 7), et il appelle les ténèbres de labîme inférieur et leur dit: « Ne vous conformez pas au siècle, mais réformez-vous dans le renouvellement de lesprit (Rom. XII, 20). Ne soyez pas comme les enfants « sans intelligence; mais, comme les plus petits dentre eux, soyez sans malice, pour arriver à la perfection de lesprit ( I Cor. XIV, 20). » « O Galates insensés! sécrie-t-il, qui vous a donc fascinés (Gal. III, 1)? » Mais ce nest plus sa voix, cest la vôtre qui retentit; la vôtre, ô Dieu, qui du haut des cieux avez fait descendre votre Esprit (Act. II, 2) par Celui qui monté dans les cieux a ouvert les cataractes de ses grâces, afin quun fleuve de joie inondât votre cité sainte (Ps XLV, 5). Cest après elle que soupire ce fidèle ami de lépoux, qui possède déjà les prémices de lesprit; mais il gémit encore dans lattente de ladoption céleste, qui doit affranchir son corps ( Rom. VIII, 23); il soupire après la patrie. Il est membre de lépouse du Christ, il est jaloux pour elle: il est lami de lépoux, et il est jaloux, non pour soi, mais pour lui (( Jean III, 19); et ce nest point par sa voix, mais par celle de vos torrents, quil appelle à lui cet autre abîme (Ps. XLI,8) objet de sa sainte jalousie. Il craint que le serpent, dont la ruse séduisit Eve, ne nous détourne de cette chasteté spirituelle que nous devons à notre époux, votre Fils unique (II Cor. II, 3). Oh! quelle sera la splendeur de sa lumière, lorsque nous le verrons tel quil est (I Jean, III, 2); et quelles seront taries toutes ces larmes, qui sont le pain de mes jours et de mes nuits; car on ne cesse de me dire: Où est ton Dieu (Ps. XLI, 4) ?
CHAPITRE XIV.LÂME EST SOUTENUE PAR LA FOI ET LESPÉRANCE.
15. Et moi-même je mécrie souvent: Où êtes-vous, mon Dieu, où êtes-vous? Et je respire quelques instants en vous, quand mon âme répand hors delle-même leffusion de son allégresse et de vos louanges (Ps. XLI, 5). Mais elle demeure triste, parce quelle retombe et devient abîme, ou plutôt elle sent quelle est abîme encore. Et, ce flambeau dont vous éclairez mes pas dans la nuit, la foi me dit: « Pourquoi es-tu triste, ô mon âme, et pourquoi me (505) troubles-tu? Espère dans le Seigneur (Ps. XLII, 5, 6).» Son Verbe est la lampe qui luit sur ton chemin (Ps. CXVIII, 105). Espère et persévère, jusquà ce que la nuit, mère des impies, soit passée, et avec elle la colère du Seigneur; colère dont nous fûmes enfants nous-mêmes, alors que nous étions ténèbres. Et nous traînons la fin de notre nuit en ce corps que le péché a fait mourir ( Rom. VIII, 10), dans lattente de laube qui dissipera toutes les ombres (Cant. II, 17). Espère dans le Seigneur. Au lever de ce jour, je serai debout pour le contempler, et jen publierai à jamais la splendeur. Au matin de léternité je serai debout, et je verrai le Dieu de mon salut ( Ps. V, 5 ; XLII, 5); celui qui vivifiera nos corps mortels par lEsprit, cet hôte intérieur ( Rom. VIII, 11), porté dans sa miséricorde sur le flot de nos ténèbres; celui de qui nous avons reçu dans lexil de cette vie le gage dêtre à lavenir lumière; qui nous sauve dès ici-bas par lespérance, et de ténèbres que nous étions, nous transforme en fils de jour et de lumière ( II Cor. I, 22 ; Ephés. V, 8 ; Rom. VIII, 24 ; I Thess. V, 5). Seul en ce sombre crépuscule de la connaissance humaine, vous pouvez distinguer les coeurs et les éprouver, pour appeler la lumière jour, et les ténèbres nuit ( Gen. I, 5). Eh! quel autre que vous peut faire ce discernement des âmes? Quavons-nous, que nous nayons reçu de vous ( I. Cor. IV, 7)? Ne sommes-nous pas une même argile dont vous formez ici des vases dhonneur, là des vases dignominie ( Rom. IX, 21)?
CHAPITRE XV.LÉCRITURE SAINTE COMPARÉE AU FIRMAMENT ET LES ANGES AUX EAUX SUPÉRIEURES (Gen. I, 6).
16. Mais quel autre que vous, Seigneur, a étendu au-dessus de nous ce firmament divin de vos Ecritures? « Le ciel sera roulé comme « un livre (Is. XXIV, 4), et il est maintenant étendu comme une peau ( Ps. CIII, 2) » Seigneur, lautorité de votre divine Ecriture nen est que plus sublime, quand les mortels, par qui vous lavez publiée, ont passé par la mort. Et vous savez, Seigneur, que vous avez revêtu de peaux les premiers hommes, devenus mortels par le péché ( Gen. III, 21). Et vous avez étendu comme une peau le firmament de vos saints livres, ces paroles dune concordance admirable, que vous avez posées au-dessus de nous par le ministère dhommes mortels. Et leur mort même a étendu avec plus de force le firmament dautorité de vos paroles quils ont annoncées: il est étendu sur ce monde inférieur, plus fort et plus haut que pendant leur vie. Car vous naviez pas encore étendu ce ciel comme une peau; vous naviez pas encore rempli la terre du bruit de leur mort. 17. Oh! faites-nous voir, Seigneur, ces cieux, ouvrage de vos mains. Dissipez ce nuage dont vous les voilez à nos yeux. Là résident ces oracles qui inspirent la sagesse aux petits enfants (Ps. XVIII, 8). Exaltez votre gloire, mon Dieu, par la bouche de ces enfants à la mamelle, qui bégaient à peine. Non, je ne sache pas dautres livres plus puissants pour anéantir lorgueil, pour détruire lennemi ( Ps. VIII, 4, 3) qui se retranche contre votre miséricorde dans la justification de ses crimes. Non, Seigneur, je ne connais point de paroles plus chastes, plus persuasives dhumilité, plus capables de mapprivoiser à votre joug, et dengager mon coeur à un service damour. Père infiniment bon, initiez-moi à leur intelligence; accordez cette grâce à ma soumission, puisque vous ne les avez si solidement affermies quen faveur des âmes soumises. 18. Il est dautres eaux au-dessus de ce firmament; eaux immortelles, je crois, et pures de la corruption de la terre. Que ces eaux louent votre nom! que, par delà les cieux vos louanges sélèvent de ces choeurs angéliques, qui nont pas besoin de considérer et de lire notre Firmament pour connaître votre Verbe! Car ils voient votre face ( Matth. XVIII, 10), et lisent sans succession de syllabes les décrets de votre éternelle volonté. Cest à la fois lecture, élection et dilection: ils lisent toujours, et ce quils lisent ne passe point; ils lisent par élection et par dilection limmuable stabilité de votre conseil: livre toujours ouvert, et qui ne sera jamais roulé, parce que vous êtes vous-même ce livre, et que vous lêtes éternellement; parce que vous avez créé vos anges supérieurs à ce firmament, que vous avez affermi au-dessus de linfirmité des peuples de la terre, afin que cette infirmité, levant ses regards jusquà lui, y lise la miséricorde, qui daigne annoncer dans le temps le Créateur des temps : car « votre miséricorde, Seigneur, est dans le ciel, et votre vérité sélève jusquaux nues (Ps. XXXV, 6).» Les nues passent, mais le ciel demeure; les (506) prédicateurs de votre parole passent de cette vie dans une autre, mais votre Ecriture sétend sur tous les peuples jusquà la fin des siècles. « Le ciel même et la terre passeront, mais vos paroles ne passeront pont ( Matth. XXIV, 35). » Cette peau sera pliée, et lherbe quelle couvrait se flétrira dans sa beauté, mais votre Verbe demeure éternellement (Is. XL, 6). Nous ne le voyons maintenant que dans lénigme des nues et le miroir du ciel ( I Cor. XIII, 12); il ne nous apparaît pas tel quil est; car nous-mêmes, malgré lamour de votre Fils pour nous, « nous ne voyons pas encore ce que nous serons après cette vie. » Il nous a regardés à travers le voile de sa chair; il nous a comblés de ses caresses, et embrasés de son amour; et nous courons après lodeur de ses parfums. Mais, au jour de son apparition, nous serons semblables à lui, parce que nous le verrons tel quil est. (I Jean III, 2)» Tel quil est, Seigneur : ainsi nous le verrons, mais ainsi nous ne le voyons pas encore.
CHAPITRE XVINUL NE CONNAÎT DIEU, COMME DIEU SE CONNAÎT, LUI-MÊME.
19. Vous seul savez ce que vous êtes absolument, parce que seul vous êtes lEtre immuable, limmuable connaissance et la volonté immuable; votre volonté est, et connaît immuablement; votre connaissance est, et veut immuablement. Et vous ne trouvez pas juste que la lumière immuable soit connue, comme elle se connaît elle-même, de la lumière illuminée et muable. Aussi, u mon âme est-elle « en votre présence comme une terre sans « eau (Ps. CXIII, 6). » car elle ne peut pas plus faire jaillir delle-même la source qui la désaltère que la lumière qui lillumine. Comme nous ne verrons la lumière que dans votre lumière, cest en vous seul que nous pouvons puiser la vie (Ps. XXXV, 10).
CHAPITRE XVII.COMMENT ON PEUT ENTENDRE LA CRÉATION DE LA MER ET DE LA TERRE (Gen. I, 9, 11).
20. Quelle main a rassemblé en un même corps ces eaux damertume? Elles tendent toutes et toujours à une même fin : le bonheur du temps et de la terre, malgré la diversité et lagitation de leurs courants. Quel autre que vous, Seigneur, a dit aux eaux de se réunir en un même lieu? Quel autre que vous a fait surgir la terre aride et altérée de votre grâce? Seigneur, « cette mer est à vous; elle est votre ouvrage; et cette terre aride a été formée par vos mains (Ps. XCIV, 5). » Ce nest point lamertume des volontés, mais la réunion des eaux, qui a reçu le nom de mer. Car vous réprimez aussi les mauvaises passions des âmes; vous fixez les limites quil leur est défendu de franchir; enceinte puissante où leurs flots se brisent sur eux-mêmes (Job XXXVIII, 10, 11); et vous formez ainsi la mer du monde, et vous la gouvernez selon lordre de votre empire absolu sur toutes choses. 21. Mais ces âmes altérées de vous, présentes à vos regards, et séparées, pour une autre fin, de lorageuse société de la mer, elles sont la Terre, que vous arrosez dune eau mystérieuse et douce, pour quelle porte son fruit. Et cette terre fructifie, et docile au commandement du Seigneur, son Dieu, notre âme germe des oeuvres de miséricorde, « selon son espèce, » lamour et le soulagement du prochain dans les nécessités temporelles ; et ces fruits conservent la semence qui doit reproduire leur principe: car cest du sentiment de notre misère que procède notre compassion pour lindigence, et nous porte à la soulager comme nous voudrions lêtre nous-mêmes dans une semblable détresse. Et il ne sagit. pas seulement dune germination légère, dune assistance facile, mais de cette végétation forte, de ce patronage héroïque de la charité, qui étend ses rameaux fructueux pour soustraire au bras du fort la faible victime, en labritant sous lombrage vigoureux de la justice. CHAPITRE XVIII.LES JUSTES PEUVENT ÊTRE COMPARÉS AUX ASTRES ( Gen. I, 14).
22. Oui, Seigneur, oui, je vous en supplie, vous dont linfluence répand dans les âmes une sève de joie et de force, Seigneur, que la vérité sorte de la terre, que la justice abaisse ses regards du haut du ciel (Ps. LXXXIV, 12); et « que des astres « nouveaux étincellent dans le firmament! » Partageons notre pain avec celui qui a faim; recevons sous notre toit le pauvre qui na point de gîte; couvrons celui qui est nu; et ne méprisons pas les concitoyens de notre boue. Dès que notre terre aura produit ces fruits, (507) voyez, dites : « Cela est bon; » et que notre lumière « jette son éclat en son temps ( Is. LVIII, 7, 8); » que cette première végétation de bonnes oeuvres nous élève aux contemplations délicieuses du Verbe de vie, et que nous apparaissions alors dans le monde comme des constellations attachées au firmament de votre Ecriture. Cest là que, conversant avec nous, vous nous enseignez le discernement des choses de lesprit et des choses des sens; comme celui du jour et de la nuit, ou des âmes spirituelles et des âmes asservies aux sens, afin que vous ne soyez plus seul à faire, dans le secret de votre connaissance, comme avant la création du firmament, la division de la lumière et des ténèbres; mais que les enfants de votre esprit, placés à leur firmament, dans un ordre qui révèle linfusion présente de votre grâce, brillent au-dessus de la terre, signalent la division du jour et de la nuit, et annoncent la révolution des temps: car « lantique institution est passée, et la nouvelle se lève ( I Cor. V, 17), et notre salut est plus près de nous que lorsque nous avons commencé de croire; la nuit a précédé, et le jour arrive ( Rom. XIII, 11); et vous couronnerez lannée de votre bénédiction ( LXIV, 2), quand vous enverrez des ouvriers dans votre moisson ( Matth. IX, 38) ensemencée par dautres mains ( Jean IV, 38); » quand vous enverrez de nouveaux ouvriers à de nouvelles semailles, dont la moisson ne se fera quà la fin ( Matth. XIII, 39). Ainsi, vous accomplissez les voeux du juste, et vous bénissez ses années; mais vous, vous êtes toujours le même, et vous recueillez, au grenier de vos années sans fin ( Ps. CI, 28), nos années passagères; car votre conseil éternel verse sur la terre, aux saisons marquées, les biens célestes. 23. Lun reçoit, par lEsprit, la parole de sagesse, astre de lumière, qui plaît aux amis de la vérité, comme laurore du jour; à lautre, vous donnez, par le même Esprit, la parole de science, astre inférieur; à celui-ci, la foi; à celui-là, la puissance de guérir; à lun, le don des miracles; à lautre, le discernement des esprits; à lautre, le don des langues. Et toutes ces grâces sont comme autant de constellations, ouvrage dun seul et même Esprit, qui distribue ses dons à chacun comme il lui plaît, et fait répandre à ces étoiles des irradiations salutaires ( I Cor. XII, 7, 11). La parole de science renferme les mystères sacrés, signes célestes, qui, selon les temps, ont eu leurs phases, commue la lune; mais cette parole, et les autres dons spirituels, que jassimile aux étoiles, ne sont, en comparaison des splendeurs de cette sagesse, que les premières heures de la nuit. Toutefois ils sont nécessaires à ceux en qui la chair nest pas encore absorbée par lesprit ( I Cor. III, 1), et que votre grand serviteur ne peut entretenir dans la langue de sagesse quil parlait avec les parfaits ( Ibid. II, 6). Mais que lenfant, dans le Christ, cet enfant que nourrit la mamelle, en attendant quil soit capable dun aliment plus solide, et que ses yeux puissent soutenir le rayon du soleil, que lhomme animal ne se croie pas abandonné dans une nuit ténébreuse, mais quil se contente de la clarté de la lune et des étoiles. Cest ainsi, ô sagesse infinie ! que vous conversez avec nous dans le firmament de vos Ecritures, pour nous élever à la contemplation admirable qui sait distinguer toutes choses, quoique nous soyons encore enfermés dans le cercle des augures, des temps, des années et des jours.
CHAPITRE XIX.VOIE DE LA PERFECTION ( Gen. I, 14).
24. Mais dabord « lavez-vous, purifiez-vous; faites disparaître toute souillure et de vos âmes et de mes regards, » afin que la terre intérieure sélève. Apprenez à faire le bien; « rendez justice à lorphelin, et maintenez le droit de la veuve ( Is. I, 16, 17), » afin que cette terre se couvre de fertiles pâturages et darbres chargés de fruits. Venez, je veux vous instruire; attachés au firmament du ciel, vous serez les flambeaux du monde. Le riche demande au bon Maître ce quil doit faire pour obtenir la vie éternelle. Ecoute ce bon Maître que tu crois un homme et rien de plus, mais qui est bon, parce quil est Dieu; il te dit: « Si tu veux arriver à la vie, observe les commandements; » sépare du sol de ton coeur les eaux amères de la malice et de la corruption; garde-toi du meurtre, de ladultère, du vol; ne porte point faux témoignage, afin que la terre paraisse et germe le respect des père et mère, et lamour du prochain. Jai fait tout cela, répond le riche. Doù viennent donc tant dépines, si la terre est fertile? Va, déracine ces sauvages buisson (508) de lavarice; vends ce que tu as, donne-le aux pauvres, et ton aumône te couvrira de fruits; et tu auras un trésor dans le ciel; et puis, suis le Seigneur, si tu veux être parfait et devenir le compagnon de ceux à qui il parle le langage de la sagesse, lui qui sait et te fera savoir ce que cest que le jour, ce que cest que la nuit, afin que les astres brillent aussi pour toi au firmament de son ciel; chose impossible, si ton coeur ny est déjà; et là ne sera jamais ton coeur, si là nest point ton trésor, comme te la dit le bon Maître ( Matth. VI, 21). Mais la tristesse se répandit sur la terre stérile, et les épines étouffèrent la parole ( Ibid. XIX, 16, 22). 25. Pour vous, race délection, faibles du monde, qui avez tout quitté poûr suivre le Seigneur, allez et confondez les puissances du siècle. Que vos pieds radieux marchent sur sa trace! Etincelez au firmament ( I Pierre, II, 19), afin que les cieux racontent sa gloire, en discernant la lumière des parfaits qui sont encore loin des anges, et les ténèbres des petits déjà sauvés de vos mépris! Brillez sur toute la terre! Que ce jour, éblouissant des clartés de ce soleil, annonce au jour le Verbe de sagesse, et que cette nuit soit le clair de lune qui annonce à la nuit le Verbe de science ( Ps. XVIII, 2). La lune et les étoiles luisent sur la nuit, sans être obscurcies par ses ténèbres; elles lui donnent toute la lumière quelle peut recevoir. Et, comme si Dieu eût dit: Que les astres soient dans le firmament du ciel : voici soudain un grand bruit venu den-haut, comme un tourbillon violent, et des langues de feu rayonnent et se divisent en sarrêtant sur la tête de chacun deux ( Actes, II, 2, 3): et il se fit comme un firmament dastres possesseurs du Verbe de vie. Courez partout, flammes de sainteté, feux admirables! Car vous êtes la lumière du monde, et le boisseau ne vous couvre pas. Celui à qui vous vous êtes attachés a été exalté dans la gloire, et il vous a exaltés. Courez donc, et révélez-vous à toutes les nations.
CHAPITRE XX.SENS MYSTIQUE DE CES PAROLES : « QUE LES EAUX PRODUISENT LES REPTILES ET LES OISEAUX ( Gen. I, 20). »
26. Que la mer conçoive aussi, quelle enfante vos oeuvres, et que les eaux produisent les reptiles des âmes vivantes! Car en séparant le pur de limpur, vous êtes devenus la bouche de Dieu ( Jérém. XV, 19), et cest par vous quil dit : « Produisent les eaux, » non pas des âmes vivantes, productions de la terre; « mais des reptiles dâmes vivantes, et les oiseaux qui volent au-dessus de la terre ! » Ces reptiles, mon Dieu, sont vos sacrements qui, par les oeuvres des saints, se sont glissés à travers les flots des tentations du siècle, pour régénérer les peuples dans le baptême en votre nom. Et ainsi se sont produites de grandes merveilles, « semblables aux baleines monstrueuses, » et les voix de vos messagers ont plané sur la terre et sous le ciel de votre Ecriture, autorité protectrice, qui sétend partout où leur vol se dirige. «Et ce ne sont pas de sourds et vains accents que leurs paroles; toute la terre en a été lécho; elles ont atteint les extrémités du monde ( Ps. XVIII, 4, 5) » car votre bénédiction, Seigneur, les a multipliées. 27. Mais nest-ce pas erreur? et ne confondrais-je pas les connaissances claires qui résident au firmament, et les oeuvres corporelles qui sopèrent sous ce firmament au sein orageux de la mer? Non; car ces mêmes connaissances, qui demeurent dans la fixité de leur certitude, et sans saccroître par génération, comme les lumières de la sagesse et de la science, exercent cependant dans lordre réel une action différente et multiple, dont votre bénédiction féconde encore et multiplie les effets. O Dieu, vous nous consolez de linfirmité de nos sens mortels, en permettant quune vérité, notion simple dans lesprit, emprunte aux signes corporels, plus dune figure, plus dune expression. Voilà les productions des eaux, mais grâce à votre parole; productions nées de la misère des peuples devenus étrangers à votre vérité éternelle; productions que les eaux ont fait jaillir de leur sein, comme un remède dont votre Verbe adoucissait leur languissante amertume. 28. Et toutes vos oeuvres sont belles, car elles sortent de votre main; mais que vous êtes incomparablement plus beau, divin auteur, du monde! Oh! si Adam ne se fût point détaché de vous, ses flancs neussent pas été la source de cet océan amer, de ce genre humain, curiosité sans fond, éternel orage de superbe, flot de mobilité! Et alors les dispensateurs de votre vérité nauraient pas eu besoin demployer au sein des ondes tant de signes sensibles et (509) corporels, tant de paroles symboliques, tant dopérations mystérieuses. Ce sont là, suivant moi, ces reptiles, ces oiseaux qui sinsinuent parmi les hommes pour les initier et les soumettre aux symboles sacramentels. Mais ils ne pourraient aller au delà, si votre Esprit nélevait la voix de leur âme à un degré supérieur, et si leur coeur, après les paroles du premier échelon, naspirait au faîte de léchelle sainte.
CHAPITRE XXI.INTERPRÉTATION MYSTIQUE DES ANIMAUX TERRESTRES ( Gen. I, 24).
29. Et ce nest plus une mer profonde, cest une terre séparée par votre Verbe des ondes damertume, qui produit, non pas des oiseaux et des reptiles dâmes vivantes, mais lâme vive; car elle na plus besoin, comme au temps où elle était cachée sous les eaux, du baptême nécessaire aux païens, cette voie qui seule donne entrée au royaume des cieux, depuis que vous avez interdit tout autre en louvrant. Et cette âme ne demande plus des merveilles extraordinaires pour faire naître sa foi. Elle na plus besoin, pour croire, de signes et de miracles visibles ( Jean, IV, 48): terre de foi, et déjà séparée des flots amers de linfidélité, que lui importe « le don des langues, témoignage pour les infidèles et non pour les fidèles ( I Cor. XIV, 22)? » Et ces oiseaux, que votre parole a tirés des eaux, sont désormais inutiles à cette terre que vous avez affermie au-dessus des eaux. Faites descendre en elle ce Verbe par vos envoyés. Car nous ne pouvons que raconter leurs uvres, mais cest vous qui opérez en eux loeuvre quils produisent: lâme vivante. Et la terre produit aussi; cette terre mystique, cause de lopération de vos serviteurs sur elle; comme la mer était la cause de lopération de ces reptiles dâmes vivantes et de ces oiseaux dont le vol rase le firmament du ciel. Oiseaux, reptiles, dont cette terre na plus besoin, quoiquau festin dressé par vous à vos fidèles Ps. XXII, 5), elle mange le poisson mystérieux (Lux, XXIV, 43), tiré des profondeurs de labîme pour nourrir la terre. Et les oiseaux, ces enfants de la mer, ne laissent pas de multiplier sur la terre. Car, si linfidélité des hommes a été la cause des premières prédications de la bonne nouvelle, les missionnaires de la parole nen conti. nuent pas moins dexhorter les fidèles et de multiplier sur eux chaque jour leurs bénédictions. Mais cest du fond de la terre purifiée que sort lâme vive : car il nest profitable quaux seuls fidèles de renoncer à lamour du siècle, pour faire revivre en vous leur âme morte dans la vie de ces délices ( Tim. V, 6), délices mortelles, ô Dieu, vivifiantes délices dun coeur pur! 30. Que vos ministres travaillent donc sur cette terre, non plus, comme sur les eaux infidèles, par des symboles, des miracles, des paroles mystérieuses, afin dentretenir la crainte de linconnu dans le sein de lignorance, mère de létonnement; crainte salutaire, seule entrée qui conduise à la foi les enfants dAdam, oublieux du Seigneur, et se cachant de sa face (Gen. III,8) pour devenir un abîme! Non, plus ainsi! Mais quils travaillent comme sur une terre nouvelle, séparée des gouffres de labîme, quils forment les fidèles sur le modèle de leur vie, quils les invitent à limitation de leurs exemples. Et les fidèles nentendent plus seulement pour entendre, mais pour pratiquer. «Cherchez le Seigneur, et votre âme vivra (Ps. LXVIII, 33); votre terre produira une âme vivante. Ne vous conformez pas au siècle Rom. XII, 2, » tenez-vous-en éloignés; et votre âme vivra par la fuite des objets dont le désir la fait mourir. Réprimez en vous la violence sauvage de lorgueil, les molles indolences de la volupté, et les insinuations dune science menteuse, et voilà les animaux féroces apprivoisés, les chevaux domptés, les serpents sans venin : vivante allégorie des divers mouvements de lâme. Le faste de la vanité, les séductions de la chair, le venin de la curiosité sont, en effet, les mouvements dune âme morte, mais dont la mort nest pas assez complète pour que tout mouvement en elle soit anéanti : elle meurt, il est vrai, en séloignant de la source de vie, mais elle a pris la forme du siècle, dont le torrent lemporte. 31. Votre parole, ô Dieu, source de la vie éternelle, demeure et ne sécoule point. Aussi, nous défend-elle, elle-même, de nous éloigner delle, en nous disant : « Ne vous conformez « pas au siècle, » afin que votre terre, abreuvée à la source de vie, produise une âme vivante, secondée par le Verbe que vos évangélistes ont publié, une âme pure, imitatrice des imitateurs (510) du Christ. Et tel est le sens de ces mots : « Selon son espèce : » car lhomme ne se plaît à imiter que ceux quil aime. « Soyez comme moi, dit lApôtre, car je suis comme vous.» Ainsi, cette âme vive nest peuplée que danimaux apprivoisés, dont les actions témoignent la douceur. Cest le précepte que vous avez donné : « Agissez en vos oeuvres avec « douceur, et vous serez aimé de tous les hommes (Ecclési. III,19). » Et ces troupeaux inférieurs ne se trouveront pas mieux pour être dans labondance; ni plus mal pour être dans la disette; et ces serpents innocents seront sans venin pour nuire, mais pleins de prudence pour éviter les morsures; et ils ne donneront à la contemplation de la nature temporelle quautant quil est nécessaire pour sélever de la vue de lordre temporel à la vue intelligente de lordre éternel ( Rom. I, 20) Ces animaux deviennent les serviteurs de la raison, quand ils ont reçu le frein qui les préserve de la mort; et ils vivent alors, et leur être est bon.
CHAPITRE XXII.VIE DE LÂME RENOUVELÉE ( Gen. I, 26).
32. Oui, Seigneur, mon Dieu et mon Créateur, quand nos affections seront dégagées de lamour du siècle, et de cette vie de péché, qui nous faisait mourir; quand notre âme commencera de vivre de la vraie vie, docile à la parole que vous avez fait entendre par la bouche de lApôtre : « Ne vous conformez pas au siècle; » alors doit saccomplir le précepte qui suit aussitôt : « Mais réformez:vous en renouvellement de lesprit ( Rom. XII, 2). » Et il ne sagit plus de se produire « suivant son espèce, » dimiter ses prédécesseurs, et de régler sa vie sur lautorité dun homme plus parfait. Non: car vous navez pas dit : Que lhomme soit fait selon son espèce, mais : « Faisons lhomme à notre image et ressemblance ( Gen. I, 26), » afin que nous aussi nous ayons la faculté de reconnaître quelle est votre volonté. Cest pourquoi le grand dispensateur de vos mystères, père de tant de fils, selon lEvangile ( I Cor. IV, 15) ne voulant pas toujours avoir des enfants à la mamelle, nourrissons à porter dans ses bras ( I Thess. II, 7), sécrie: «Réformez-vous en renouvellement desprit, pour reconnaître la volonté de Dieu, pour savoir ce qui est bon, ce qui lui plaît, ce qui est parfait ( Rom. XII, 2) ». Aussi, ne dites-vous pas : Que lhomme soit fait, mais: « Faisons lhomme; » et non : selon son espèce, mais : « à notre image et ressemblance.» Renouvelé spirituellement, et voyant votre vérité des yeux de lintelligence, il na plus besoin dun maître, dun modèle de son espèce. Cest de vous, et cest en vous quil connaît votre volonté; ce qui est bon, ce qui vous plaît. Et vous lui donnez la puissance de contempler la Trinité de votre Unité, et lUnité de votre Trinité. Aussi, vous dites dabord au pluriel : « Faisons lhomme; » puis vous ajoutez: « Et Dieu fit lhomme. »Vous dites: « A notre image; » et vous ajoutez : « A limage de Dieu. » Ainsi, lhomme est renouvelé dans la connaissance de Dieu, « selon limage de Celui qui la créé ( Gen. I, 27 ; Coloss. III, 10), » « et transformé en esprit, il juge de tout ce quil doit juger, et nest jugé de personne. »
CHAPITRE XXIII.DE QUI LHOMME SPIRITUEL PEUT JUGER (Gen. I, 26)
33. Or, « lhomme spirituel juge de tout, » et cest ce que lEcriture appelle avoir puissance sur les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les animaux domestiques et sauvages, sur toute la terre, sur tout ce qui rampe à sa surface. Et, cette puissance, il lexerce par cette intelligence qui le rend capable de pénétrer « ce qui est de lEsprit de Dieu ( I Cor. II, 14). » « Déchu de la gloire, par défaut dintelligence, nest-il pas descendu au rang des brutes, ne leur est-il pas devenu semblable ( Ps. XLVIII, 13) ? » Et nous, mon Dieu, nous, enfants de la grâce dans votre Eglise, « nous, votre ouvrage, créés dans les bonnes uvres ( Ephés. II, 10), » nous sommes juges spirituels, soit que nous ayons lautorité selon lesprit, soit que nous obéissions spirituellement. « Vous avez fait lhomme mâle et femelle; » et il en est ainsi dans la création de votre grâce, où cependant il ny a plus ni mâle ni femelle, suivant le sexe corporel; ni Juif ni Grec, ni libre ni esclave(Galat. III, 28). Et ces hommes de lesprit, soit quils commandent, soit quils obéissent, sont juges spirituels I Cor. II, 15). Mais leur jugement ne sexerce pas sur les pensées spirituelles qui brillent au firmament. Il ne leur appartient pas de prononcer sur une autorité si sublime; de sélever en juges de votre livre saint, lors même que des ombres y voilent la lumière. Car nous lui devons la soumission de notre intelligence, et une ferme assurance dans la rectitude et la vérité de toute lettre close à nos yeux. Lhomme, « même spirituel, et renouvelé dans la connaissance de Dieu, selon limage du Créateur (Coloss. III, 10), » doit être lobservateur et non pas le juge de la loi ( Jacq. IV, 11). Son jugement ne va pas non plus à discerner les hommes de lesprit des hommes de la chair, sil ne les connaît par leurs oeuvres, comme « larbre se connaît par son fruit ( Math. VII, 20). » Votre regard seul les voit, mon Dieu; vous les connaissez déjà, Seigneur, et vous les aviez déjà distingués; vous les aviez appelés dans le secret de votre conseil, avant même de créer le firmament. Quoique spirituel, il ne juge pas non plus des générations turbulentes du siècle. « Pourquoi jugerait-il ceux de dehors ( I Cor. V, 12), » puisquil ignore quels sont dans ce nombre les élus appelés à goûter un jour la douceur de votre grâce, et les âmes qui doivent demeurer éternellement dans lamertume de limpiété ? 34. Ainsi donc, en formant lhomme à votre image, vous ne lui avez donné puissance ni sur les astres du ciel, ni sur le ciel secret, ni sur ce jour, ni sur cette nuit, que vous avez nommés avant la création, ni sur cette réunion des eaux qui sappelle la mer; il na reçu puissance que sur les poissons de la mer, sur les oiseaux du ciel, sur tous les animaux, sur toute la terre, sur tout ce qui rampe à sa surface. Il juge, il approuve ou condamne ce quil trouve bien ou mal, et dans la solennité du sacrement initiateur qui consacre à votre service ceux que votre miséricorde a pêchés au fond des eaux; et dans ce banquet sacré où le mystique poisson, tiré du fond de labîme, est servi pour- nourrir la terre ; et dans les discours, dans les paroles, oiseaux fidèles, qui volent sous le firmament de lautorité des saintes Ecritures ; interprétations, expositions, discussions, controverses, bénédictions, prières, que les lèvres prononcent en formules sonores, afin que le peuple puisse répondre ainsi soit-il! Labîme du siècle, et la cécité de cette chair qui na pas dyeux pour voir les pensées, telle est la cause de lemploi des sons et du bruit dont on frappe les oreilles. Et voilà comment ces oiseaux qui se multiplient sur la terre sont néanmoins originaires des eaux. Lhomme spirituel juge encore, approuve ou condamne ce quil trouve bien ou mal, dans les oeuvres, dans les moeurs des fidèles; il juge des aumônes comme des fruits de la terre; il juge de lâme vivante qui sait, par la charité, les jeûnes, et les pieuses pensées apprivoiser ses passions; il juge de tout ce qui se produit par des effets sensibles ; il est juge enfin, là où il a le pouvoir de corriger et de reprendre.
CHAPITRE XXIV.POURQUOI DIEU A BÉNI LHOMME, LES POISSONS ET LES OISEAUX?
35. Quai-je lu? Quel est ce mystère? Voilà, Seigneur, que vous bénissez les hommes, afin quils croissent, quils multiplient, quils remplissent la terre ( Gen. I, 27). Ny a-t-il point là un secret dont vous voulez nous insinuer quelque connaissance? Pourquoi navez-vous pas également béni la lumière que vous avez nommée jour, et le firmament du ciel, et les flambeaux célestes, et les étoiles, et la terre et la mer? Je dirais, ô Dieu! qui avez créé lhomme à votre image, je dirais que vous avez voulu accorder à lhomme la faveur singulière de votre bénédiction, si vous neussiez béni de même les poissons pour quils croissent, multiplient et peuplent les eaux de la mer; si vous neussiez béni les oiseaux pour quils multiplient sur la terre ( Gen I, 22). Je dirais encore que votre bénédiction repose sur tous les êtres qui perpétuent leur espèce par la génération, si je voyais que votre divine main se fût étendue sur les plantes, les arbres et les animaux de la terre. Mais il na été dit ni aux végétaux, ni aux bêtes, ni aux serpents: Croissez et multipliez, quoiquils saccroissent par génération et se conservent dans leur espèce, comme les poissons, les oiseaux et les hommes. 36. Dirai-je donc, ô vérité! ma lumière, quil ny a là que vaines paroles tombées sans dessein? Non, non, loin de moi, ô Père de toute piété! loin de lesclave de votre Verbe une semblable pensée! Et si je ne puis pénétrer le sens de votre parole, quil lentende mieux que moi, quil y puise selon la (512) contenance intellectuelle quil a reçue de vous, celui de mes frères qui est meilleur, qui est plus intelligent que moi. Mais agréez, Seigneur, cet humble aveu, quil monte en votre présence. Oui, je crois que ce nest pas en vain que vous avez parlé, et je ne tairai pas les pensées que votre parole me suggère. Je les sens vraies, et je ne vois rien qui mempêche dinterpréter ainsi les expressions figurées de vos livres saints; car, multiplicité de signes, simplicité de sens: multiplicité de sens, simplicité de signes; lamour de Dieu et du prochain nest-il pas une notion simple? Quelle multiplicité de formules mystiques, de langues et de locutions sans nombre pour le traduire par une expression sensible? Et cest ainsi que les vivantes productions des eaux croissent et multiplient. Attention, lecteur; qui que tu sois! lEcriture nénonce quun mot, elle ne fait entendre quune parole: « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre (Gen I, 1). » Eh bien! quest-ce qui en multiplie linterprétation? Est-ce lerreur? non, mais la variété des espèces intellectuelles. Et cest ainsi que la postérité humaine croît et multiplie. 37. Car, à considérer la nature même des choses dans le sens propre et non dans le sens allégorique, cette parole, « croissez et multipliez, » convient à tout ce qui se reproduit par semence. Si nous nous attachons au sens figuré, interprétation conforme, suivant moi, à lesprit de lEcriture, qui certes nattribue pas en vain cette bénédiction aux seules générations des hommes, aux seules productions des eaux, nous voyons bien, il est vrai, multitude dans le ciel et la terre, ou le monde des esprits et le monde des corps; dans la lumière et les ténèbres, ou les âmes des justes et des impies; dans le firmament étendu entre les eaux, ou les saints dispensateurs de la loi divine; dans la mer, ou locéan damertume des sociétés humaines; dans la terre séparée des ondes, ou les âmes purifiées au feu de lamour; dans les plantes séminales et les arbres fruitiers, ou les oeuvres de miséricorde pratiquées en cette vie; dans les flambeaux suspendus à la voûte céleste, ou les dons spirituels qui brillent pour édifier; dans lâme vivante, ou les affections soumises à la règle: dans cet ensemble de la création, nous découvrons multitude, fécondité, accroissement. Mais quant à ce mode de multiplication et de développement, qui fait quune seule vérité sexprime par plusieurs énonciations, et quune seule énonciation sentend en plusieurs sens vrais, cest ce que nous ne trouvons que dans les signes sensibles de la pensée, et les conceptions de lintelligence. Les signes sensibles, ce sont les générations de la mer, multipliées dans labîme de notre indigence; les conceptions de lintelligence, ce sont les générations humaines, cest la fécondité de notre raison. Et voilà pourquoi, Seigneur, je crois que vous navez dit quaux seules généra-fions des hommes et des eaux: « Croissez et « multipliez. » Et je crois que par cette bénédiction vous nous avez conféré la puissance de donner plusieurs expressions à une conception simple, et la faculté dattacher plusieurs sens à une énonciation simple, mais obscure. Ainsi se remplissent les eaux de la mer, dont les différents souffles de lesprit remuent les courants; ainsi la postérité humaine peuple la terre, séparée des eaux par lamour de la vérité, et soumise à lempire de la raison.
CHAPITRE XXV.LES FRUITS DE LA TERRE FIGURENT LES UVRES DE PIÉTÉ ( Gen. I, 29).
38. Seigneur mon Dieu, je veux encore dire les pensées que la suite de vos paroles minspire, et je les dirai sans crainte. Je dirai la vérité; cest au souffle de votre volonté que je parle. Et je ne puis croire que jamais la vérité sorte de mes lèvres que par votre inspiration, car vous êtes la vérité même ( Jean XIV, 6); tout homme est menteur ( Ps. CXV, 11) et celui dont la parole est mensonge parle de son propre fonds ( Jean VIII, 44). Moi, je veux dire la vérité, je ne parlerai donc que par vous. Vous nous avez donné « pour nourriture toutes les plantes séminales répandues sur la terre, et tous les fruits qui recèlent en eux-mêmes leur semence reproductive;» et ce nest pas à nous seuls que vous les avez donnés, mais encore aux oiseaux du ciel, aux animaux terrestres et aux serpents. Ils nont point été donnés aux poissons et aux géants de labîme. Je disais donc que ces fruits de la terre sont la figure allégorique des oeuvres de miséricorde qui sortent du sol fertile de lâme pour (513) soulager les misères de la vie. Le pieux Onésiphore était une de ces charitables terres, et vous fîtes miséricorde à toute sa maison, parce quil assista souvent votre serviteur Paul, et ne rougit jamais de ses chaînes (II Tim. I, 16). Tels étaient les frères qui se couvrirent des mêmes fruits, en lui apportant de Macédoine de quoi fournir à sa détresse ( II Cor. XI, 9). Et avec quelle douleur il déplore la stérilité des arbres qui ne lui donnèrent point le fruit quils lui devaient! « Au temps de ma première défense, personne ne me vint en aide, mais tous mabandonnèrent. Dieu leur pardonne II Tim. IV, 16) !» Des secours ne sont-ils pas bien dus aux maîtres spirituels qui initient notre raison à lintelligence des saints mystères? Ces secours sont les fruits que la terre doit à lhomme; ils leur sont dus comme âme vivante qui anime la sève reproductive de leurs vertus; ils leur sont dus comme oiseaux célestes, dont la voix sest répandue aux extrémités de la terre ( Ps. XVIII, 5) pour lensemencer de bénédictions.
CHAPITRE XXVI.LE FRUIT DES OEUVRES DE MISÉRICORDE EST DANS LA BONNE VOLONTÉ.
39. Or, ces fruits ne sont un aliment que pour ceux qui y trouvent une joie sainte, et cette joie nest pas aux esclaves « asservis au culte de leur ventre ( Philip. III, 19) » Et même en ceux qui donnent, ce nest pas laumône qui est le fruit, cest lintention de laumône. Aussi je comprends la joie de ce grand apôtre, qui vivait pour son Dieu et non pour sou ventre, je la. comprends bien ; mon. âme sympathise à cette joie. Il venait de recevoir par Epaphrodite les dons des Philippiens: mais est-ce de ces dons quil se réjouit? Non, je vois la cause de sa joie, et cette cause est le fruit quil savoure. Car il dit en vérité: « Jai ressent une joie ineffable dans le Seigneur, de ce que votre amour pour moi a commencé de refleurir; non que cet amour se fût flétri en vous, mais il était voilé par la tristesse (Philip. IV, 10)» Une longue tristesse les avait donc desséchés; et comme de stériles rameaux, ils ne portaient plus de fruits charitables; et il se réjouit de les voir refleurir; il se réjouit non pour lui-même des secours dont ils ont assisté son indigence; car il ajoute: « Ce nest pas quil me manque rien; dès longtemps jai appris à me contenter de létat où je me trouve; je sais vivre pauvrement, je sais vivre dans labondance. Je suis fait à tout; je suis à lépreuve de tout: de la faim et des aliments, de lopulence et de la disette. Je peux tout en Celui qui me fortifie ( Philip. IV, 11, 13).» 40. Quelle est donc la cause de ta joie, ô grand Paul? Dis, quelle est cette joie? Quel est ce fruit dont tu goûtes la saveur, « homme renouvelé par la connaissance de Dieu, à limage de ton Créateur? » Ame vivante, peuplée de vertus! Langue aux ailes de feu qui proclame dans le monde les divins mystères! Cest bien aux âmes comme la tienne que lon doit cette nourriture damour. Dis, de quel fruit te nourris-tu? de joie? Ecoutons-le: « Oui, dit-il, oui, vous avez bien fait dentrer en communion avec mes souffrances. » Voilà sa joie, voilà sa nourriture. Ils ont bien fait, non parce quil a eu quelque relâche à ses angoisses, lui qui vous disait : « Dans la tribulation vous avez dilaté mon cur ( Ps. IV, 2), » lui qui sait souffrir labondance et la disette, en vous son unique force. « Vous savez, ajoute-t-il, vous savez, Philippiens, que depuis mon départ de Macédoine pour les premières prédications de 1Evangile, nulle autre Eglise na eu communication avec moi en ce qui est de donner et de recevoir; je nai rien reçu que de vous seuls, qui mavez envoyé par deux fois à Thessalonique de quoi subvenir à mes besoins (Philip. IV, 14-16). » Et maintenant il se réjouit de leur retour aux bonnes oeuvres; il se réjouit des nouveaux fruits et de la nouvelle fertilité du champ spirituel. 41. Serait-ce donc dans son intérêt? car il dit : « Vous avez envoyé à ma détresse? » La source de sa joie serait-elle là? Non, non! Et comment le savons-nous? Lui-même nous lapprend : « Ce nest pas le don, cest le fruit que je cherche ( Ibid. 17). » Jai appris de vous, mon Dieu, à distinguer entre le don et le fruit. Le don, cest lobjet que donne celui qui assiste une indigence : cest largent, la nourriture, le breuvage, le vêtement, labri, tout secours enfin : le fruit, cest la volonté droite et sincère de celui qui donne. Car le divin Maître ne se borne pas à dire: « Celui qui reçoit un prophète; » il ajoute : « en qualité de prophète; » « celui qui reçoit un juste, » mais « en qualité de juste, recevront la récompense, (514) lun du prophète, lautre du juste. » Il ne dit pas seulement: « Celui qui donnera un verre deau au dernier des miens; » il ajoute «en qualité de mon disciple; en vérité je vous le dis, celui-là ne perdra point sa récompense ( Matth. X, 41, 42).» Recueillir un prophète, recueillir un juste, donner au disciple un verre deau, voilà le don: agir ainsi en vue de leur qualité de prophète, de juste et de disciple, voilà le fruit. Cest le fruit que la veuve offrait à Elie quelle savait lhomme de Dieu, et quelle nourrissait à ce titre. Et ce nest que le don quil recevait du corbeau dans le désert ( III Rois, XVII, 6, 16). Ce don nétait pas la nourriture de lhomme intérieur, mais de lhomme extérieur, qui, seul en Elie, pouvait défaillir faute de cet aliment.
CHAPITRE XXVII.SIGNIFICATION DES POISSONS ET DES BALEINES.
42. Je veux dire toute la vérité en votre présence, Seigneur. Quand des hommes dignorance et dinfidélité, qui ne peuvent être gagnés à votre service que par linitiation des sacrements et la grandeur des miracles , ces poissons, ces géants de labîme, accueillent vos serviteurs, pour nourrir leur faim, pour les soulager dans les besoins de la vie présente, sans connaître quels doivent être la raison et le but suprêmes de laumône et de lhospitalité; ces infidèles ne donnent et vos enfants ne reçoivent aucune nourriture; car les uns nagissent pas dans une volonté droite et sainte, et les autres ne voyant quun don et point de fruit, ne ressentent aucune joie. Or, lâme ne se nourrit que des objets de sa joie. Et voilà pourquoi ces poissons et ces baleines ne sauraient vivre des productions qui ne naissent que dune terre séparée des eaux de labîme et purifiée de leur amertume.
CHAPITRE XXVIII.POURQUOI DIEU DIT QUE SES UVRES ÉTAIENT TRÈS BONNES ( Gen. I, 31).
43. Et à la vue de toutes vos oeuvres, ô Dieu, vous les avez dites très-bonnes. Nous les voyons aussi et nous les trouvons très-bonnes. A chacun de vos ouvrages, en particulier, aussitôt que vous eûtes dit : Quil soit! et aussitôt il fut, vous lavez vu, et vous lavez trouvé bon. Jai compté sept fois écrit que vous aviez trouvé bonne loeuvre qui sortait de vos mains; et, la huitième fois, à laspect de tous vos ouvrages, vous les avez trouvés, non-seulement bons, mais très-bons dans leur ensemble. Chaque partie, prise isolément, nest que bonne; mais lensemble est très-bon. Et la beauté de tout objet sensible rend témoignage à votre parole. Un corps, dans lharmonieuse beauté de tous ses membres, est beaucoup plus beau que chacun de ces membres, dont la beauté particulière concourt à la beauté de lensemble.
CHAPITRE XXIX.COMMENT DIEU A VU HUIT FOIS QUE SES UVRES ÉTAIENT BONNES.
44. Et jai recherché avec attention sil est vrai que vous eussiez vu sept ou huit fois que vos oeuvres étaient bonnes (car elles vous plaisaient); et je nai pu découvrir dans votre vue divine aucun temps qui me fît comprendre comment vous avez vu vos oeuvres à tant de reprises. Et je me suis écrié : Seigneur, votre Ecriture nest-elle pas véritable, dictée par vous qui lêtes, qui êtes la vérité même? Pourquoi donc me dites-vous que le temps nest pas dans votre vue? Et voilà votre Ecriture qui me raconte lapprobation que vous avez donnée jour par jour à loeuvre de vos mains. Et jai compté combien de fois, et jen ai trouvé le nombre. Et comme vous êtes mon Dieu, vous me répondez dune voix forte, dune voix qui brise ma surdité intérieure, vous me criez : « O homme, mon Ecriture est ma parole. Mais elle parle dans le temps; et le temps natteint pas jusquà mon Verbe, qui demeure avec moi dans mon éternité. Ce que tu vois par mon Esprit, cest moi qui le vois; et ce que tu dis par mon Esprit, cest moi qui le dis: mais tu vois dans le temps, et ce nest pas dans le temps que je vois; tu parles dans le temps, et ce nest pas dans le temps que je parle. » (515)
CHAPITRE XXX.RÊVERIES MANICHÉENNES.
45. Jentends, mon Dieu ; votre vérité a laissé tomber sur mon âme une goutte de douceur infinie; et jai compris quil est des hommes à qui vos oeuvres déplaisent. Ils disent que la nécessité en a tiré plusieurs de vos mains, comme la mécanique des cieux et la disposition des astres, dont lêtre émane, non de votre puissance créatrice, mais dune matière préexistante, procédant dailleurs, et que vous avez rassemblée, resserrée, reliée, pour en bâtir ces remparts du monde, trophée de votre victoire sur vos ennemis, forteresse élevée contre toute révolte à venir. Ils prétendent encore quil en est dautres qui ne vous doivent ni leur être, ni leur composition, comme les corps de chair, les insectes, et tout ce qui tient à la terre par racines: ils y voient louvrage dune puissance ennemie, esprit que vous navez point créé, nature malfaisante en lutte contre vous, qui produit et qui forme tous ces êtres dans les plus passes régions de ce monde. Insensés! ils ne parlent ainsi que faute de voir vos oeuvres par votre Esprit, et de vous reconnaître dans vos oeuvres. CHAPITRE XXXI.LE FIDÈLE VOIT PAR LESPRIT DE DIEU, ET DIEU VOIT EN LUI QUE SES OEUVRES SONT BONNES.
46. Mais nous, qui les voyons par votre Esprit, les voyons-nous? et nest-ce pas plutôt vous-même qui les voyez en nous? Si donc nous les voyons bonnes, cest vous qui les voyez bonnes. Dans tout ce qui nous plaît à cause de vous, cest vous qui nous plaisez; et tout ce qui nous plaît par votre Esprit, vous plaît en nous. « Quel homme, en effet, connaît ce qui est de lhomme, sinon lesprit de lhomme qui est en lui? Et lEsprit de Dieu connaît seul ce qui est de Dieu. Aussi, dit lApôtre, nous navons pas reçu lesprit, du monde, mais lEsprit qui vient de Dieu, afin de connaître les dons de Dieu ( I Cor. II, 11, 12).» Et cette parole mautorise, et je dis : Non, personne ne sait ce qui est de Dieu, que lEsprit de Dieu. Comment savons-nous donc nous-mêmes ce que Dieu nous a donné? Mais jentends la réponse: si nous ne le savons que par son Esprit, qui le sait, sinon le seul Esprit de Dieu? Il est dit en vérité à ceux qui parlent par lEsprit de Dieu: « Ce nest pas vous qui parlez ( Matth. X, 20); » et lon peut dire en vérité à ceux qui connaissent par lEsprit de Dieu: Ce nest pas vous qui connaissez; et lon peut encore dire en vérité à ceux qui voient par lEsprit de Dieu: « Ce nest pas vous qui voyez. » Ainsi, quand nous voyons par lEsprit de Dieu quune chose est bonne, ce nest pas nous, cest Dieu qui la voit bonne. Et lun tient pour mauvais ce qui est bon, suivant la doctrine de ces insensés; et lautre en reconnaît la bonté, mais il est de ceux qui ne savent point vous aimer dans vos créatures, dont ils préfèrent la jouissance à la vôtre. Celui-ci juge bonne loeuvre bonne; et est Dieu même qui voit en lui; et il aime Dieu dans son oeuvre, amour qui ne saurait naître sans le don de lEsprit: « car lamour se répand. Dans nos coeurs par lEsprit saint qui nous est donné ( Rom. V, 5): » Esprit par qui nous voyons que tout être, quel quil soit, est bon, parce quil procède de Celui qui nest pas seulement un être, mais lEtre lui-même.
CHAPITRE XXXII.VUE DE LA CRÉATION.
47. Seigneur, grâces vous soient rendues! nous voyons le ciel et la terre, cest-à-dire les régions supérieures et inférieures du monde; ou le monde des esprits et celui des corps; et, pour lembellissement des parties qui forment lensemble ou de lunivers visible, ou de luniversalité des êtres, nous voyons la lumière créée et séparée des ténèbres. Nous voyons le firmament du ciel, soit ce premier corps du monde, élevé entre la sublimité des eaux spirituelles et linfériorité des eaux corporelles ( Voy. Rétr. Liv. II, Chap. VI, n°2), soit ces espaces de lair, ce ciel où les oiseaux volent entre les eaux que les vapeurs condensent au-dessus deux-mêmes et qui retombent en rosées sereines, et les eaux plus lourdes, qui coulent sur la terre. Nous voyons, par les plaines de la mer, la beauté de ces masses deaux attroupées; et nous voyous la terre, dabord dans sa nudité, puis, recevant avec la forme, lordre, la beauté et la force végétative. Nous voyons les astres (516) briller sur nos têtes; le soleil suffire seul au jour; la lune et les étoiles consoler la nuit; notes radieuses de lharmonie des temps. Nous voyons ces humides immensités se peupler de poissons, de monstres énormes, doiseaux divers: car lévaporation de leau donne au corps de lair cette consistance qui soutient leur vol. Nous voyons la face de la terre ornée de ces races variées danimaux, et lhomme, créé à votre image, investi dautorité sur eux par cette divine ressemblance, par le privilége de lintelligence et de la raison. Et comme il est, dans son âme, un conseil dominant et une obéissance soumise, ainsi, dans notre nature corporelle, la femme est créée pour lhomme, quoique également admise au don de la raison, et son sexe lassujettit à lhomme, comme la puissance active et passionnée, soumise à lesprit, conçoit de lesprit le règlement de ses actions: voilà ce que nous voyons; chacune de ces oeuvres est bonne; et leur ensemble est très-bon.
CHAPITRE XXXIII.DIEU A CRÉÉ LE MONDE DUNE MATIÈRE CRÉÉE PAR LUI AU MÊME TEMPS.
48. Que vos oeuvres vous louent, afin que nous vous aimions; et que nous vous aimions, afin que vos oeuvres vous louent, ces oeuvres qui ont, dans le temps, leur commencement et leur fin, leur lever et leur coucher, leur progrès et leur déclin, leur beauté et leur défaillance! Elles ont donc leur régulière vicissitude de matin et de soir, dans une évidence plus ou moins manifeste. Car elles sont toutes votre création, tirées du néant, et non pas de Vous-même; non pas dune autre substance, étrangère, antérieure à vous, mais dune manière créée par vous, dans le même temps, et que vous avez fait passer, sans succession, de linformité à la forme. Ainsi, quelle que soit la différence entre la matière du ciel et de la terre, entre la beauté du ciel et de la terre, cest du néant que vous avez créé la matière, cest de cette matière informe que vous avez formé la beauté du monde, et néanmoins la création de la forme a suivi celle de la matière immédiatement et sans intervalle.
CHAPITRE XXXIV.SENS MYSTIQUE DE LA CREATION.
49. Et jai médité sur le sens que vous avez voulu figurer par lordre de vos oeuvres, et par lordre du récit inspiré de leur création ; et jai vu quelles sont bonnes en particulier, très bonnes ,dans leur ensemble; et dans votre Verbe, votre Fils unique, je vois le ciel et la terre, le chef et le corps de lEglise, prédestinés avant le temps, avant la naissance du matin et du soir. Et, dès que vous avez commencé dexécuter dans les temps les conceptions de votre éternité, afin de dévoiler vos secrets, de rendre lordre au chaos diniquités qui pesait sur nous et nous entraînait loin de vous dans labîme des ténèbres, où votre Esprit saint planait, pour nous secourir au temps marqué; vous avez justifié les impies, vous les avez séparés des pécheurs; vous avez établi lautorité de votre Ecriture, comme un firmament entre lautorité où vous élevez les eaux supérieures, et la soumission à cette autorité que vous imposez aux inférieures; et vous avez réuni comme un troupeau la coupable unanimité des volontés infidèles, pour faire briller les saintes affections des fidèles qui devaient produire en votre nom des fruits de miséricorde, distribuant aux pauvres les biens de la terre pour gagner le ciel. Et vous avez allumé dans ce firmament des astres intelligents, dépositaire du Verbe de la vie éternelle, vos saints serviteurs, comblés des dons spirituels, investis dune autorité sublime; et puis, ces sacrements, ces miracles visibles, ces paroles consacrées, signes célestes du firmament de votre Ecriture, qui appellent vos bénédictions sur les fidèles eux-mêmes; toutes ces oeuvres, instruments de la conversion des races infidèles, cest à laide de la matière que vous les avez opérées; et vous avez formé lâme vivante de vos fidèles, par la vertu de ces facultés aimantes, soumises au sévère règlement de la continence. Et cette âme raisonnable, désormais soumise à vous seul, assez libre pour se passer du secours et de lautorité de tout exemple humain, vous lavez renouvelée à votre image et ressemblance; et vous avez soumis la femme à lhomme, lactivité raisonnable à cette puissante raison de lesprit, et comme vos ministres sont toujours nécessaires aux fidèles en cette vie pour les amener à la perfection, vous ( 517) avez voulu que les fidèles leur payassent, dans le temps, un tribut charitable, dont léternité soldera lintérêt. Et nous voyons toutes ces oeuvres, et nous les voyons très-bonnes, ou plutôt, vous les voyez en nous; puisque votre grâce a répandu sur nous lEsprit qui nous donne la force de les voir et de vous aimer en elles.
CHAPITRE XXXV.« SEIGNEUR, DONNEZ-NOUS VOTRE PAIX! »
50. Source de tous nos biens, Seigneur mon Dieu, donnez-nous votre paix! la paix de votre repos, la paix de votre sabbat! la paix sans déclin! Car cet ordre admirable, et cette belle harmonie de tant de créatures excellentes, passeront, le jour où leur destination sera remplie. Ils auront leur soir, comme ils ont eu leur matin.
CHAPITRE XXXVI.
LE SEPTIÈME JOUR NA PAS EU DE SOIR.
51. Or, le septième jour est sans soir et sans coucher, parce que vous lavez sanctifié, pour quil demeure éternellement. Et le repos que vous prenez après loeuvre admirable de votre repos, nous fait entendre, par loracle de votre sainte Ecriture, que nous aussi, après laccomplissement de notre oeuvre, dont votre grâce fait la bonté, nous devons nous reposer dans le sabbat de la vie éternelle!
CHAPITRE XXXVII.COMMENT DIEU SE REPOSE EN NOUS.
52. Alors votre repos en nous sera, comme aujourdhui votre opération en nous. Et notre repos sera le vôtre, comme aujourdhui nos oeuvres sont les vôtres; car vous, Seigneur, vous êtes à la fois le mouvement et le repos éternel. Votre vue, votre action, votre repos ne connaissent pas le temps; et cependant vous faites notre vue dans le temps, vous faites le temps, et le repos qui nous sort du temps.
CHAPITRE XXXVIII.DIFFÉRENCE ENTRE LA CONNAISSANCE DE DIEU ET CELLE DES HOMMES.
53. Nous voyons donc toutes vos créatures, parce quelles sont ; et, au rebours, elles sont, parce que vous les voyez. Et nous voyons, au dehors, quelles sont; intérieurement, quelles sont bonnes. Mais vous, vous les voyez faites, là où vous les avez vues à faire. Aujourdhui, nous sommes portés à faire le bien que notre coeur a conçu par votre Esprit. Hier, loin de vous, le mal nous entraînait. Mais vous, ô Dieu, lunique et souveraine bonté, jamais vous navez cessé de faire le bien. Il est quelques bonnes oeuvres que nous faisons, grâce à vous, mais elles ne sont pas éternelles. Cest après ces uvres que nous espérons léternel repos dans la gloire de votre sanctification. Mais vous, le seul bien qui na besoin de nul autre, vous ne sortez jamais de votre repos; votre repos, cest vous-même. Et lhomme peut-il donner à lhomme lintelligence de ces mystères de gloire ? Lange à lange, ou lange à lhomme? Non; cest à vous quil faut demander, cest en vous quil faut chercher, cest à vous-même quil faut frapper; ainsi lon reçoit, ainsi lon trouve, ainsi lon entre ( Matth. VII, 8). Ainsi soit-il.
Cette traduction des Confessions est luvre de M. Moreau.
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