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DEUXIÈME SERMON POUR LE JOUR DE LA PENTECOTE. Des opérations de la Trinité en nous et de trois sortes de grâces du Saint-Esprit.
1. C'est. aujourd'hui, mes frères bien-aimés, que les cieux se sont fondus en eau à la face du Dieu d'Israël, et qu'une pluie volontaire est tombée sur l'héritage du Christ (Psal. LXVII, 10) ; car c'est aujourd'hui que l'Esprit-Saint qui procède du Père, est descendu sur les apôtres dans la plénitude de sa majesté, et leur a fait part des dons de sa grâce. Après les magnificences de la résurrection, après les splendeurs de l'ascension, après la gloire décernée à Jésus dans le séjour des cieux, il ne nous restait plus qu'à voir enfin la joie des justes, depuis si longtemps attendue, et les hommes du ciel remplis des dons des cieux. N'est-ce pas ce qu'avait prédit Isaïe longtemps d'avance, en termes d'un grand poids, et dans un ordre parfait, lorsqu'il disait : « Un jour viendra où le germe du Seigneur sera dans la magnificence et dans la gloire; où les fruits de la terre seront abondants, et ceux qui auront été sauvés en Israël seront dans la joie (Isa. IV, 2) ? » Ce germe du Seigneur n'est autre que Jésus-Christ, qui seul a été conçu tout à fait sans péché, car s'il est venu dans une chair semblable à celle du péché, cependant elle n'était point une chair de péché, et pour avoir été fils d'Adam selon la chair, il ne fut point son fils selon les privations; il ne fut pas un enfant de colère par la nature comme le reste des hommes qui sont tous conçus dans l'iniquité. Or, ce germe de la tige de Jessé qui se développe dans le sein fécond d'une vierge, fut dans toute sa magnificence le jour où il ressuscita d'entre les morts; car, c'est alors, Seigneur mon Dieu, que vous avez fait paraître votre grandeur d'une manière éclatante, que vous vous êtes environné de gloire et de majesté, et revêtu de lumière et d'éclat comme d'un manteau (Psal. CIII, 1 et 2). Mais ensuite, quelle ne fut point la gloire de votre ascension, lorsque vous retournâtes à votre Père, au milieu du cortège des anges et des âmes saintes, ce jour où, la palme du triomphe à la main, vous êtes entré dans les cieux, et où vous avez enfermé l'humanité que vous avez prise, dans l'identité même de la divinité ? Quel homme pourrait, je ne dis point expliquer par des paroles, mais seulement concevoir dans sa pensée, l'élévation de ce fruit mûri sur la terre, quand il alla se placer à la droite du Père, sur ce trône où il éblouit les yeux des natures célestes, lui que les anges n'osent contempler , et qu'ils craignent de toucher même du regard? O Seigneur Jésus, que ceux qui ont été sauvés en Israël, que vos apôtres dont vous avez fait choix avant la création du monde, soient inondés d'allégresse. Que votre esprit qui est bon, qui lave nos souillures et sème les vertus, vienne enfin dans un esprit de jugement et de ferveur. 2. Allons, mes frères, repassons dans notre esprit les opérations de la Trinité en nous et sur nous, depuis le commencement jusqu'à la fin du monde, et voyons avec quelle sollicitude, cette majesté divine, sur qui repose l'administration et le gouvernement des siècles, a pris soin de ne point nous perdre pour l'éternité. Elle avait tout créé dans la puissance, elle gouvernait tout dans la sagesse, et multipliait les preuves de l'une et de l'autre, c'est-à-dire de la puissance et de la sagesse, dans la création et dans la conservation de la machine ronde; quant à la bonté, cette bonté excessive qui était aussi en Dieu, elle y demeurait cachée dans le coeur du Père, mais elle devait, un jour, se répandre comme un trésor depuis longtemps grossi, sur la race des enfants d'Adam. Mais en attendant le jour propice pour cela, le Seigneur disait : « Je nourris des pensées de paix (Isa. XXIX, 11), » et songeait à nous envoyer celui qui est notre paix, celui qui a réuni en un, ce qui était divisé en deux, il méditait, dis-je, de donner enfin la paix par dessus la paix, la paix à ceux qui étaient loin de lui, et la paix à ceux qui en étaient proches. Le Verbe de Dieu était établi au plus haut des cieux, mais sa propre bonté l'engagea à descendre vers nous, sa miséricorde l'arracha de son trône, la vérité, comme il avait promis de venir, le contraignit à le faire, la pureté d'un sein virginal, le reçut sans détriment pour la virginité de sa mère, et sa puissance l'en fit sortir de même; l'obéissance fut son guide en toute occasion, et la patience, son armure ; sa charité le fit reconnaître à son langage et à ses miracles. 3. A présent, je trouve dans la pensée de mes maux et dans le souvenir des larmes de mon Dieu, une ample matière à réflexion sur les voies que je suis, et un motif de tourner mes pas vers ses commandements. En effet, ces liens sont ineffables, parce que, pour tout dire en un mot, le Dieu sage n'a rien trouvé de meilleur pour nous racheter dans toute sa sagesse. Mais nous étions environnés de maux sans nombre; car, comme dit le Juste : « Mes péchés ont dépassé le nombre des grains de sable de la mer, et vous, Seigneur, vous me pardonnerez ces péchés pour la gloire de votre nom, parce qu'ils sont nombreux (Psal. XXIV, 12). » Si le diable envoya un serpent, aux replis tortueux, verser, par le conduit de l'oreille, dans l'âme de la femme, un venin qui devait se répandre ensuite dans toute sa race, Dieu, de son côté, envoya aussi un ange, Gabriel, pour faire entrer également par le conduit de l'oreille, dans le sein d'une vierge, le Verbe du Père, et faire pénétrer l'antidote par la même voie que le poison avait suivie. Ah! nous avons vu sa gloire, et c'était bien la gloire qui convenait au Fils unique du Père, et ce que le Christ nous a apporté du cur de son Père n'avait rien que de paternel; en sorte que le genre humain pouvait, dans sa crainte, soupçonner dans le Fils de Dieu rien qui ne fût doux et digne du coeur d'un Père. Nous n'étions qu'une plaie depuis la plante des pieds jusqu'au sommet de la tète, nous étions hors de la bonne voie dès le ventre de nos mères, nous étions damnés dam leur sein avant même d'y être nés, car nous sommes conçus du péché et conçus dans le péché. 4. Jésus-Christ est donc venu apporter un premier remède là même où nous sommes atteints par la première blessure; il descend substantiellement dans le sein d'une Vierge, et y est conçu par l'opération du Saint-Esprit, pour purifier ainsi notre propre conception, que l'esprit du mal avait infestée sinon faite; ne voulant pas que sa vie terrestre fût stérile, il purifie, pendant les neuf mois passés dans le sein de sa mère, notre antique blessure, en scrutant à fond, comme on dit, ce pays de purulence, afin d'y faire revenir une santé perpétuelle. Voilà comment il apparaît alors notre salut au milieu de la terre, c'est-à-dire dans le sein même de la Vierge Marie, qui est appelée le milieu de la ferre avec une admirable propriété de termes. En effet, Marie est comme le juste milieu, comme l'arche de Dieu, comme la cause de toutes choses, et l'affaire de tous les siècles, où se fixent les regards de ceux qui habitent dans le ciel, et de ceux qui sont dans les enfers, de ceux qui nous ont précédés, de nous qui venons après eux, et de ceux qui viendront après nous, des enfants de nos enfants, et des enfants qui descendront de nos petits-enfants. Ceux qui sont dans le ciel la contemplent pour être réparés, et ceux qui habitent dans les enfers fixent les yeux sur elle pour en être tirés ; ceux qui font précédée la considèrent pour être trouvés des prophètes fidèles; et ceux qui la suivent, pour être glorifiés. Voilà pourquoi toutes les nations vous proclament bienheureuse, ô Mère de Dieu, Maîtresse du inonde, Reine du ciel (Luc. I, 48); oui, dis-je, toutes les nations, car il y a des générations dans le ciel comme il en est sur la terre, selon ces paroles de l'Apôtre : a Le père des esprits, de qui découle touffe paternité dans le ciel et sur la terre (Eph. III, 15). » Ainsi désormais toutes les générations, ô Vierge, vous proclameront bienheureuse, parce que vous avez enfanté pour elles toutes, la vie et la gloire. N'est-ce point en vous que les anges trouvent à jamais la joie, les justes, la grâce, et les pécheurs, le pardon? C'est donc avec raison que toute créature a les yeux fixés sur vous, puisque ce n'est que par vous, en vous et, de vous que la main du Tout-Puissant a récréé ce qu'il avait créé une première fois. 5. Mais vous, Seigneur Jésus, me ferez-vous la grâce de me donner votre vie de même que vous m'avez donné votre conception? Car ce n'est pas assez que ma conception soit impulse, ma mort est perverse et ma vie pleine de péril; mais ma mort est suivie, d'une seconde mort plus grave que la première. Je te donnerai, me répond-il, non-seulement ma conception, mais ma vie aussi; et cela à tous les degrés des âges que tu pourras parcourir; je te donnerai donc, ô homme, mon bas-âge, mon enfance, mon adolescence, ma jeunesse, je te donnerai tout, je te donnerai même ma mort, ma résurrection, et mon ascension, je t'enverrai ensuite le Saint-Esprit, et cela je le feras afin due ma conception purifie la tienne, que ma, vie façonne ta vie, ove ma mort détruise ta mort, que ma résurrection prélude à la tienne, que mon ascension prépare ton ascension et que ton esprit vienne en aide à ta faiblesse. Ainsi, tu verras sans obscurité la voie où tu dois ,marcher, tu sauras avec quelle prudence on doit y marches, et' tu verras le séjour où tu dois tendre. Dans nia vie tu connaîtras ta voie, et, en me voyant frayer les sentiers de la pauvreté, et de l'obéissance, de l'humilité et de la patience, de la charité et de la miséricorde, sans jamais m'en écarter, tu pourras marcher sur mes pas, sans técarter ni à droite ni à gauche. Mais dans ma mort te donnerai ma justice, je briserai le joug de ta captivité, je débusquerai les ennemis qui assiègent tes voies et les occupent et les empêcherai de te nuire. Après cela je retournerai dans le séjour d'où je suis parti, et je rendrai la vue de ma personne à ces brebis qui étaient restées sur les montagnes et que j'avais quittées, non pas pour te ramener, toi, mais pour te rapporter sur mes épaules. 6. Mais, ô homme, pour que tu ne te plaignes point de mon absence et que ton coeur n'en soit point attristé, je t'enverrai l'Esprit paraclet, qui te donnera un gage de salut, la force de la vie, 1a lumière de la science: le gage du salut, c'est le témoignage que cet Esprit saint rendra à ton esprit que tu es fils de Dieu : ce sont les signes bien certains (a) de prédestination qu'il imprimera et montrera dans ton coeur.
a Saint Bernard appelle ces signes , « des signes bien certains, » dans le même sens qu'il disait dans son second sermon pour l'octave de Pâques, n. 3. « Si toute certitude sur ce point nous est absolument refusée. u on peut se reporter encore su premier sermon, pour la septuagésime, n. 1, où Saint Bernard sexprime ainsi : « Il est certain que nous ne sommes point assurés de notre salut; mais l'espérance qui s'appuie sur la foi nous console et empêche une nous ne soyons torturés par l'inquiétude et le doute à ce sujet. Aussi nous a-t-il donné des signes si manifestes de salut, qu'il n'est pas permis de douter que ceux en qui ils se rencontrent ne soient du nombre des élus. Il a voulu, s'il leur refusait la certitude du salut, afin de les maintenir dans une sorte de sollicitude à ce sujet, leur donner au moins dans l'espérance, la grâce de la consolation. On peut consulter encore là-dessus, si on veut, les notes de Horstius.
Il répandra la joie dans ton coeur et il arrosera, sinon constamment, du moins bien souvent, ton âme de la féconde rosée du Ciel. Il te donnera aussi la force de la vie en sorte que ce qui est impossible à la nature, par sa grâce, non-seulement te deviendra possible, mais même te sera facile, et te fera marcher avec bonheur comme au sein de la richesse et de l'abondance, au milieu des travaux et des veilles, dans la faim et la soif et dans toutes les observances religieuses, qui sembleraient un plat de mort si elles n'étaient édulcorées par cette douce farine. Il te donnera enfin la lumière de la science qui te fera dire, quand tu auras tout fait comme il faut que ce soit fait, que tu es un serviteur inutile : cette lumière de science qui t'empêchera de t'attribuer le bien que tu pourras trouver en toi, attendu que tout bien vient de lui, de lui, dis-je, sans qui non seulement, ô homme, tu es incapable de commencer le moindre bien, mais de commencer quelque bien que ce soit, bien loin de pouvoir le mener à bonne fin, Voilà donc, comment cet esprit t'instruira en ces trois choses, de toutes choses ; oui, de tout ce qui a rapport à ton salut, car c'est en ces trois choses que se trouve la perfection pleine et entière. 7. C'est précisément ce qui faisait dire à un prophète, sous l'inspiration du même esprit: « semez pour vous dans la justice, » voilà pour le gage du salut : « moissonnez l'espérance de la vie, » ces mots rappellent la force de la vie; et «Allumez-vous la lumière de la science » paroles qui n'ont besoin d'aucun commentaire; et si ce même esprit a apparu sur les apôtres en langue de feu, c'est pour rappeler qu'il éclaire en même temps qu'il échauffe; aussi ceux qu'il remplit de sa présence les remplit-il en même temps de ferveur, et leur fait-il connaître en vérité qu'il n'y a que la miséricorde toute seule qui les a prévenus et qui les conduit. Le serviteur de Dieu qui disait « la miséricorde de mon Dieu me préviendra (Psal. LVIII, 11), » ou bien, « votre miséricorde, Seigneur, est devant mes yeux (Psal. XXV, 3), » ou bien encore, « votre miséricorde me suivra tous les jours de ma vie (Psal. XXII, 6), » et ailleurs, « le Seigneur m'environne de la miséricorde (Psal. CII, 4), » et enfin, « mon Dieu et ma miséricorde (Psal. LVIII, 11), » était bien rempli des preuves de cette miséricorde. Avec quelle douceur, Seigneur Jésus, n'avez-vous point vécu parmi les hommes! avec quelle abondance et quelle largesse ne leur avez-vous point fait du bien! quelle force n'avez-vous point montrée au milieu des traitements indignes et cruels que vous avez essuyés pour les hommes! On peut bien dire qu'il eût été plus facile d'aspirer le miel de la pierre et l'huile des rochers les plus durs, tant vous fûtes vous-mêmes dur et insensible aux paroles, plus dur encore aux coups, extrêmement dur enfin au supplice de la croix, car, au milieu de toutes ces épreuves on vous vit muet comme l'agneau qui se tait, et n'ouvre même point la bouche entre les mains de celui qui lui ravit sa toison. Vous voyez avec quelle vérité s'exprimait celui qui disait : « le Seigneur prend soin de moi (Psal. XXXIX, 23). » Dieu le Père pour racheter un esclave n'épargne pas même son Fils, et le Fils va de lui-même au devant des épreuves; le Père et ce Fils envoient ensuite le Saint-Esprit, et le Saint-Esprit enfin prie pour nous avec des gémissements inénarrables. 8. O enfants d'Adam, ô hommes de pierre et de bronze, que tant de bonté, une telle flamme, un amour si brûlant, un coeur si ardent qui a échangé de si riches vêtements contre des hardes si viles, ne peuvent attendrir! cet amant de nos âmes ne nous a point rachetés au prix de choses corruptibles, à prix d'or ou d'argent, mais au prix de son précieux sang dont il a versé la dernière goutte pour nous, car Veau et le sang ont coulé à flots des cinq plaies du corps de Jésus. Qu'aurait-il dû faire de plus qu'il n'ait pas fait? il a rendu la vue aux aveugles, il a ramené dans la droite voie ceux qui s'étaient égarés; il a réconcilié les pécheurs avec Dieu, il a justifié les impies, il a passé trente-trois ans sur la terre, il vécut au milieu des hommes et mourut pour les hommes, lui qui n'eut qu'un mot à dire, et toutes les vertus angéliques, les séraphins et les chérubins, ont été créés, lui enfin qui peut tout ce qu'il veut. Que te demande donc, ô homme, celui qui t'a recherché avec une pareille sollicitude? rien autre chose que de te voir pressé du désir de monter avec ton Dieu. Or ce désir, il n'y a que le Saint-Esprit qui le fasse naître, lui qui scrute le fond de nos coeurs, qui discerne les parties de notre âme et les intentions de notre esprit, lui qui ne souffre point la présence du plus petit brin de paille dans la demeure de notre coeur, lorsqu'il s'y est établi, sans le consumer aussitôt aux ardeurs de son seul regard, cet esprit, dis-je, plein de douceur et de suavité, qui plie notre volonté, ou plutôt la redresse et la conforme à la sienne, afin que nous puissions comprendre exactement quelle elle est, l'aimer avec ferveur, et l'accomplir avec efficacité.
NOTES DE HORSTIUS ET DE MABILLON SUR LE DEUXIÈME SERMON POUR LA PENTECÔTE, n.6.275. « Ce sont des signés bien certains de prédestination. Ces paroles ont quelque rapport avec les dogmes condamnés des sectaires de ce siècle (le siècle de Horstius), qui enseignent que chacun doit tenir pour certain qu'il est prédestiné, et du nombre de ceux qui seront sauvés, et le croire de cette certitude qu'on ne peut se tromper; mais gardez-vous bien de penser qu'elles favorisent ce sens impie. En effet, ce que saint Bernard appelle des signes bien certains de prédestination, ne sont pas à ses yeux des signes qui ne peuvent jamais être faux, mais qui, dans l'ordre des conjectures et des probabilités, approchent le plus de la certitude. Ils sont d'autant plus surs et certains qu'on fait plus de progrès dans la vie chrétienne. (Note de Horstius.)
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