IV D. PENTECOTE
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SERMON POUR LE QUATRIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE (a). David et Goliath: les cinq pierres de David.

 

1. Nous avons entendu, mes frères, dans le récit du livre des Rois, comment Goliath, un homme d'une haute stature, à qui sa force extraordinaire et sa taille gigantesque inspiraient des sentiments de présomption, élevait la voix contre les phalanges d'Israël et en provoquait

 

a. Ce sermon, dans plusieurs manuscrits, se trouve placé après les dix-neuf sermons de Nicolas de Clairvaux, dédiés à Henri comte de Tropes. Mais il est attribué à saint Bernard dans un bon nombre d'autres manuscrits d'une certaine valeur, de même que daos les Fleurs, de Guillaume, moine de Tournai, recueillies dans les œuvres de Saint Bernard, il y a déjà plus de quatre siècles (c'est Mabillon qui parle), comme nous avons eu déjà l'occasion de le dire dans la préface de ce tome troisième.

 

 

Les guerriers à un combat singulier: Nous avons entendu aussi comment un jeune homme, suscité de Dieu, répondit; avec l'indignation dans le coeur, aux sarcasmes dont cet infidèle, cet incirconcis accablait le camp d'Israël, les troupes du Dieu, suprême, puis nous l’avons vu s'avancer, malgré sots extrême jeunesse, armé seulement de sa fronde et d'une pierre, contre un ennemi d'une taille monstrueuse, qui se présentait couvert d'une cuirasse, le casque en tête, l'épée à la main et muni de toutes ses armes de guerre. Si nos entrailles sont susceptibles de quelque émotion, noms n'avons pu le voir engager le combat sans trembler, ni revenir vainqueur sans tressaillir de bonheur. Nous avons applaudi à la magnanimité de ce tout jeune homme, en voyant le zèle de la maison de Dieu, qui dévorait son âme, et comment il ne séparait point sa cause de celle de Dieu, dans les injures que les ennemis de son nom lui adressaient; on aurait dit que c'était pour lui une injure personnelle, et qu'il assistait, la douleur dans l'âme, à la ruine de Joseph. Tant de confiance dans un adolescent nous a surpris, quand Israël tout entier était loin d'en montrer une pareille. Mais la vue de la victoire que le ciel lui accorda, car il ne la dut manifestement qu'à la puissance de Dieu, nous a remplis d'autant de joie que nous voyions avec inquiétude cet enfant s'avancer avec les seules armes de la foi, contre un géant plein de confiance dans ses propres forces.

2. Mais si nous n'avons pas oublié que, au dire de l'Apôtre (Rom. VII, 14), la loi est spirituelle et n'a pas été écrite seulement pour nous charmer par le récit des choses extérieures, mais aussi pour captiver notre âme par le goût des sens cachés dans l'Écriture et la nourrir comme de moëlle du plus pur froment, nous devons rechercher ce que représente ce Goliath qui ose seul, dans un esprit de vanité et d'orgueil charnel, s'élever contre le peuple de Dieu, déjà en possession de la terre promise et vainqueur de tant d'autres ennemis. le cirais qu'on peut voir dans cet homme orgueilleux le type même de l'orgueil; car l'orgueil est le plus grand péché qui s'attaque au peuple de Dieu, le seul qui s'élève en particulier contre ceux qui semblent avoir triomphé de tous les autres péchés. Aussi, voyez-le les provoquer seulement à un combat singulier, attendu que tous les autres sont terrassés ;de même; le reste des Philistins appréhendaient d'en venir aux mains contre Israël, et ne le faisaient que parce qu'ils avaient mis toute leur confiance dans l'un des leurs, dans Goliath, à cause de sa taille gigantesque. Pourquoi, en effet, l'orgueil irait-il s'attaquer à des âmes déjà subjuguées ou par l’envie, ou par la tiédeur qui n'est propre qu'à porter Dieu à les rejeter avec dégoût, ou par la paresse enfin qui mérite d'être lapidée avec de la fiente de boeuf (Eccl. XXII, 4)? Oui, je vous le demande, qu'est-ce que l'orgueil, qu'est-ce que l'arrogance du regard viendrait faire dans un homme tellement dominé par les antres vices qu'il pût penser que tout le monde sent combien il a de choses à se reprocher au fond de la conscience? Enfin, je vous le demande encore, en est-il un autre que celui quia déjà mis, d'une main, tous les autres ennemis sous le joug, qui puisse se présenter pour combattre avec feu et courage l'orgueil, le plus redoutable des vites? Oui, il n'y a, dans ce cas, qu'un David à la main puissante qui puisse se présenter pour engager une lutte vigoureuse contre un tel ennemi et le terrasser; il n'y a, dis-je, que celui qui a vaincu les ours et les lions qui puisse s'avancer contre un Goliath.

3. Je veux bien qu'il essaie de se servir des armes de Saül, qu'il voie si la sagesse du monde, si les traditions de la philosophie, si même le sens apparent des Saintes Lettres, ce sens dont l'Apôtre a dit : la lettre tue (II Cor. III, 6), peuvent , lui servir; oui, j'y           consens, qu'il voie si, avec ces armes, il peut saisir l'humilité ; il sentira bientôt que tout ce bagage l'accable encore plus qu il ne lui sert, il rejettera bien loin de lui des armes qui l'embarrassent, et ne mettra toute sa confiance qu'eu Dieu; désespérant de sortir vainqueur de la lutte par ses propres ressources, il ne prendra que sa foi pour arme, et, sans tenir compte de la taille énorme de Goliath, sans craindre d'être écrasé de son poids, il se dira dans son coeur, il chantera même au fond de son âme : « Le Seigneur est le protecteur de ma vie, qui pourrait me faire trembler (Psal. XXVI, 1)?» Voyez, en effet, saint Pierre tandis que, sans se préoccuper de la violence des vents, de la profondeur de la mer et du poids de son corps, il s'élance sur les flots à la parole du Seigneur, il n'a rien à craindre, il ne peut périr; mais à peine à la vue de la violence du vent, se met-il à craindre que, sous l'empire même de cette crainte, il commence à s'enfoncer. Saül essaie, en ce moment, de suggérer une pareille pensée de crainte à notre jeune athlète : « Tu ne saurais, lui dit-il, résister à ce Philistin, ni combattre contre lui, tu es trop jeune encore pour cela, et lui ne connaît que le métier des armes depuis sa jeunesse (I Reg. XVII, 33). » Mais David n'entre point dans ces pensées, plein de confiance en celui qui lui a fait remporter l'avantage dans ses autres luttes, il s'avance plein d'intrépidité. Ayant donc mis de côté les armes de Saül, il ramasse dans le ruisseau cinq pierres seulement, que l'eau, qui entraîne dans son cours toute sorte d'objets légers, a bien pu polir, mais n'a pu entraîner avec elle. Or l'eau du torrent que notre âme doit traverser, ce n'est autre chose que le siècle présent, s'il faut nous en tenir aux paroles de la Sainte-Écriture qui nous dit: « Une génération passe et une autre lui succède (Eccl. I, 4), » absolument comme le flot qui se gonfle succède au flot. Mais comme « toute chair n'est que de l'herbe, et que sa gloire est comme la fleur des champs (Isa. XL, 6), l'eau du torrent l'emporte facilement avec elle en passant : quant à la parole du Seigneur, il n'est pas de flot qui l'emporte, elle demeure éternellement.

4. Il me semble donc qu'on peut très-bien voir dans les cinq pierres de David comme une quintuple parole de Dieu, une parole de menace et une de promesse, une parole d'amour, une d'imitation et une d'oraison. On retrouve en foule ces paroles dans le recueil de la Sainte Écriture; peut-être même est-ce de ces cinq paroles que Paul veut parler quand il aime mieux dire cinq mots avec la pensée que dix mille du; bout des lèvres seulement; « car la figure de ce monde passe, dit-il (I Cor. VII, 31), » et, dit un autre écrivain sacré : « Le monde passe, et la concupiscence passe avec lui (I Joan. II, 18). » Au contraire, pour ce qui est des paroles de Dieu, non-seulement elles demeurent lors même que le monde passe, mais on pourrait même dire qu'elles sont plutôt polies qu'entraînées, puisqu'elles sont la science même de la foule de générations qui se succèdent. Quant aux pierres que David ramasse pour les lancer dans la lutte contre l'esprit d'orgueil, il faut qu'il les dépose dans sa mémoire comme dans une sacoche, en se remettant devant les yeux les menaces de Dieu, ses promesses, la charité qu'il nous témoigne, les nombreux exemples de sainteté qu'il place sous nos yeux et les recommandations qu'en toutes circonstances il nous fait de recourir à la prière. Oui, voilà les pierres que doit prendre quiconque a hâte d'aller combattre le vice de l'orgueil, afin que, s'il vient à lever sa tète venimeuse, saisissant la première de ces pierres qui tombera sous sa main, il la lance au front de Goliath et l'étende par terre couvert de confusion. Mais dans ce genre de combat, il faut encore avoir une fronde, c'est-à-dire, la longanimité, arme absolument nécessaire et indispensable contre cet ennemi surtout.

5. Toutes les fois donc qu'une pensée de vanité frappe à la porte de votre esprit, pour peu que vous commenciez à redouter du fond de votre âme les menaces de Dieu, ou à désirer l'effet de ses promesses, Goliath ne résistera point au coup de l'une ou de l'autre de ces deux pierres, et toute son enflure sera sur-le-champ comprimée. Et si vous vous rappelez cet amour ineffable que le Seigneur de majesté vous a témoigné, pourrez-vous ne point vous sentir à l'instant brûlant vous-même de charité et tout prêt à témoigner toute votre horreur pour la vanité et à la repousser loin de vous ? De même si vous vous remettez attentivement sous les yeux les exemples des saints, nulle vue ne sera plus efficace, soyez en sûr, pour réprimer tout sentiment d'orgueil. Mais enfin s'il arrive qu'aux premiers mouvements de l'orgueil, vous ne puissiez mettre la main sur aucune des pierres dont je viens de parler, il ne vous reste qu'une chose à faire, c'est: de tourner votre âme avec toute la ferveur possible vers la prière, et aussitôt l'impie, qui vous avait semblé élevé et aussi haut que les cèdres du Liban, sera renversé, il n'en restera même plus vestige.

6. Mais peut-être vous demandez-vous comment faire pour couper la tête à Goliath avec sa propre épée; car il ne se peut rien voir qui soit en même temps plus agréable pour vous et plus pénible pour votre ennemi. Je vais vous le dire en peu de mots, car je m'adresse à des hommes qui savent par expérience ce que c'est, et qui ne peuvent manquer d'apercevoir et de saisir à l'instant ce qu'ils sentent se passer tous les jours au dedans d'eux-mêmes. Toutes les fois que, dans une tentation d'orgueil, au seul souvenir des menaces de Dieu, de ses promesses et des autres pensées dont je vous parlais tout à l'heure, vous commencez à vous confondre et à rougir , vous pouvez dire que Goliath est terrassé, mais il vit encore. Courez donc à lui , et pour l'empêcher de se relever, tenez-le sous vos genoux et coupez-lui la. tête avec sa propre épée, c'est-à-dire tuez la vanité par la vanité même qui vous assaille. Or vous pourrez dire que vous avez tué Goliath avec l'épée de Goliath, si aux premières atteintes de l'orgueil vous prenez occasion de ses coups pour vous humilier et pour concevoir de vous-même, comme d'un homme consumé d'orgueil, des sentiments d'autant plus humbles et plus abjects.

 

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