VI D. PENTECOTE III
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TROISIÈME SERMON POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE. Sur les fragments des sept miséricordes.

 

l. Savez-vous ce que j'ai fait en vous parlant aujourd'hui sur les sept miséricordes du Seigneur? Eh bien! je vous ai servi les sept pains de l'Évangile; car si mes larmes peuvent être ma nourriture le jour et 1a nuit, à combien plus forte raison en est-il ainsi des miséricordes de Dieu? Elles sont bien plus douces, elles réconfortent le coeur bien davantage, et elles le fortifient bien plus. Or, si je ne me trompe, il nous est échappé des mains aujourd'hui bien des morceaux de ces sept pains, car, en les rompant, je m'apercevais moi-même qu'il en tombait des miettes, et que dans mon empressement à les distribuer il en glissait quelques morceaux entre mes doigts. Les avez-vous recueillis? C'est ce que je vous demande. Quant à moi, si vous n'en êtes pas encore rassasiés, je vous ferai part, sans aucun sentiment d'envie, de ceux que j'ai ramassés et que j'ai entre les mains, car je ne voudrais pas m'attirer les malédictions qui attendent ceux qui accaparent le blé (Prov. XI, 26). Or, le premier pain, si j'ai bonne mémoire, est celui de la conservation de la grâce qui m'a préservé de bien des fautes lorsque j'étais aussi dans le monde. Or, j'ai trois morceaux de ce pain, d'un goût délicieux, un vrai pain de vie. En effet, je me rappelle que j'ai été préservé du péché de trois manières différentes, par l'éloignement des occasions, par la force de résister à la tentation, et par la guérison des affections de mon coeur. Il est sûr que je serais tombé dans biens des péchés, si j'en avais eu l'occasion. Mais, par un effet de la grâce de Dieu, je ne me suis jamais trouvé dans le cas de tomber. En bien des circonstances, je n'en serais pas moins tombé bien des fois sous les coups violents de la tentation, si le Seigneur Dieu des vertus ne m'eût donné la force de résister, de triompher de mes penchants, et de me roidir contre les attraits de la concupiscence que je ressentais en moi. Mais il y a des fautes dont la miséricorde de Dieu m'a tellement éloigné que je n'eusse que de l'horreur pour elles, et que je ne me sentisse même jamais tenté de les mettre.

2. Le second pain de la miséricorde divine, est cette attente qui fait que Dieu a retardé de me punir de mes fautes, parce qu'il était porté à l'indulgence. Or, ce pain a été rompu aussi en trois morceaux qui vous représentent la longanimité dont Dieu a fait preuve à notre égard, l'élection de ses prédestinés qu'il a voulu voir s'accomplir, et la charité excessive dont il nous a aimés. Voilà pourquoi le Seigneur m'a attendu et puis a attendu encore, voilà pourquoi, au lieu de fixer ses yeux offensés sur moi, il les a même détournés de la vue de mes péchés, comme pour ne pas être contraint de remarquer combien je l'offensais. Oui, voilà pourquoi il faisait semblant de ne pas s'en apercevoir, il voulait me montrer sa patience, accomplir son élection et consommer sa charité à mon égard.

3. Pour ce qui est du troisième pain, le pain de la miséricorde qui nous porte au repentir, je ne vous en servirai pas trois morceaux, mais trois bouchées seulement. En effet, si j'ai bonne mémoire, Dieu m'a donné de ce pain le jour où il remua mon coeur et le força à jeter les yeux sur les blessures que ses péchés lui avaient faites, et à en sentir de la douleur; et le jour où il le remplit de terreur, en le conduisant aux portes de l'enfer, pour lui montrer les supplices préparés aux pécheurs, le jour enfin où, voulant détruire jusqu'au souvenir de mes affections coupables, il me fit sentir de plus douces consolations en me donnant l'espérance du pardon. Voilà les trois étapes de ma conversion, et je pense que ce fuient aussi celles par lesquelles vous avez- passé vous-mêmes.

4. Arrivé au quatrième pain, le pain de l'indulgence, je vous prie instamment de n'en pas laisser perdre un seul morceau; ils sont tous très-salutaires, et plus doux que le miel en ses rayons. En effet, il nous a si bien pardonné tous nos péchés, et nous a si libéralement remis notre dette, que maintenant, s'il nous en punit, ce n'est point pour nous condamner, s'il nous la rappelle ce n'est pas pour nous confondre, et s'il nous l'impute, il ne nous en aime pas moins. Il y en a qui pardonnent aux autres leurs torts, de telle sorte que s'ils ne s'en vengent pas, du moins ils ne cessent de les leur reprocher; il y en a aussi qui n'en reparlent jamais, il est vrai, mais qui en conservent le souvenir profondément enfoncé dans leur âme, et qui en nourrissent du ressentiment dans leur coeur ; il est évident que, ni dans l'un ni dans l'autre cas, il n'y a pas eu de vrai pardon d'accordé. Dieu dans sa bonté est bien loin de ressembler à ces gens-là. Il agit avec générosité, et pardonne sans réserve, si bien que par la confiance des pécheurs, mais des pécheurs pénitents, sa grâce surabonde ordinairement là où le péché avait abondé. En preuve, Saint-Paul, l'apôtre des nations, qui, avec la grâce de Dieu, a plus travaillé que tous les autres apôtres ensemble témoin aussi saint Mathieu, qui, de receveur des deniers publics, fut appelé à l'apostolat et devint même le premier des écrivains du Nouveau Testament : témoin encore saint Pierre, qui n'en fut pas moins chargé de la conduite de l'Église entière, malgré son triple renoncement; témoin enfin, cette pécheresse si connue, qui reçut, dès le premier instant dé sa conversion, une si grande preuve d'amour, et fut ensuite l'objet d'une si grande amitié. Qui est-ce qui a accusé Marie et la contraignit à se défendre? Si le pharisien murmure, si Marthe se plaint, si les apôtres se scandalisent, Marie garde le silence; c'est le Christ qui prend sa défense, bien plus il fait son éloge, pendant qu'elle garde le silence. Enfin, quelle préférence, quelle insigne faveur d'avoir eu lia première a la grâce de voir Jésus ressuscité d'entre les morts et de le toucher de ses mains?

5. Mais passons outre. Sans doute, il est bon pour nous de rester là où l'espérance est donnée aux pécheurs, mais il nous fait aussi parler du reste. Eh bien, dans le cinquième pain, qui est le pain de la continence, je trouve encore trois morceaux, aussi ne puis-je m'empêcher de m'écrier : « Le Tout-Puissant a fait de grandes choses en moi (Luc. I, 49). » Peut-être n'estimez-vous pas beaucoup votre continence; mais il n'en est pas de même de moi; car je sais quels adversaires elle a, et quelle force il lui faut pour pouvoir résister aux amants qu'ils lui livrent. Or, le premier ennemi de notre continence c'est notre chair elle-même, qui a des désirs contraires à ceux de l'esprit (Gal. V, 17). Quel ennemi domestique c'est-là, quelle lutte périlleuse, quelle guerre intestine! Or, nous ne saurions fuir ce cruel ennemi, ô mon âme, et nous ne pouvons pas non plus le mettre lui-même en fuite; il faut le porter partout avec nous, car nous sommes

 

a Saint Bernard confond ici Marie Madeleine avec Marie, soeur de Lazare, et avec la pécheresse, comme il le fait encore dans son deuxième sermon, pour le jour de l'Assomption ; mais il doute si elles sont une seule et même Marie, dans son douzième sermon, sur le Cantique des cantiques.

 

rivés à la même chaîne; bien plus, et c'est-là le comble du danger et du malheur pour nous, nous sommes obligés de le nourrir, il nous est interdit de le tuer. Tu vois, ô mon âme, avec quelle vigilance tu dois et tenir en garde contre cet ennemi qui dort dans ton propre sein. Mais ce n'est pas le seul ennemi que j'aie, il en est encore un autre qui m'entoure et m'assiège de tous côtés, et, si vous ne le connaissez pas, je vous dirai gîte cet ennemi c'est ce monde pervers. Il assiège toutes les issues de mon âme, il me perce de ses flèches par chacune de ses cinq ouvertures, je veux dire par chacun des cinq organes de nos sens, la mort entre chez moi par les fenêtres. A eux seuls, ces deux ennemis pouvaient plus que suffire; mais, hélas! je vois souffler, de l'Aquilon, un vent impétueux, qui porte partout le mal. Aussi, que nous reste-t-il à faire autre chose que de nous écrier: « Seigneur, sauvez-nous, nous périssons. » En effet, voici venir le fléau de la terre entière, le serpent, qui est le plus rusé de tous les animaux; voici venir un ennemi que je ne saurais voir de mes yeux, comment donc pourrais-je me garantit contre ses coups? Ceux qui ont résolu de vivre dans la continence, et de s'abstenir non seulement de tout péché de luxure, mais encore de toute espèce de vices et de péchés, comme cela est nécessaire, n'ont pas à lutter uniquement contre la chair et le sang, mais aussi contre les principautés et les puissances, contre les princes de ce monde, c'est-à-dire de ce siècle de ténèbres, et contre les esprits malins répandus dans l'air (Ephes. VI, 12). Or, qui est-ce qui pourra éteindre leurs traits embrasés? Car ils ont préparé leurs flèches dans leur carquois, afin de pouvoir en décocher quelques-unes dans l'obscurité, contre ceux qui ont le coeur droit (Psal. X, 3), et ils se sont consultés ensemble sur les moyens de cacher leurs piéges, et ils se sont dit qui pourra les apercevoir (Psal LXIII, 6) ? Aussi nous attaquent-ils et nous persécutent-ils, tantôt ouvertement et par la force, tantôt en secret et par la ruse, mais toujours avec malice et cruauté. Or, qui est-ce qui est en état;je ne dis pas de les vaincre, mais seulement de soutenir la lutte contre eux ? Il me semble que vous comprenez un peu maintenant la difficulté de la continence, et que, selon le mot de l'Apôtre, vous reconnaissez que c'est là un don de la grâce ( I Cor. II, 12). C'est, en effet, en Dieu seul que nous trouvons la force de lutter, et il n'y a que lui aussi qui réduit nos ennemis à néant. Oui, c'est lui qui met sous nos pieds non-seulement notre chair avec ses concupiscences, mais encore ce siècle mauvais avec ses curiosités, et ses vanités, et Satan lui-même avec toutes ses tentations. Eh bien, n'avais-je pas raison de vous dire que dans la continence nous trouverons un motif de nous écrier : « Le Tout-Puissant a fait de grandes choses en moi? »

6. Je dois maintenant vous donner les morceaux du deuxième pain; or, ce pain n'est autre chose que la grâce des mérites, celle qui nous fait mériter les biens de la vie éternelle. Or, je pense qu'elle consiste aussi en trois choses principales : dans la haine des maux passés, dans le mépris des biens présents, et dans le désir des biens futurs. Enfin, le septième pain est l'espérance, qui se partage aussi en trois morceaux, et dont le goût est exquis à notre palais. Il y a donc trois choses qui fortifient et affermissent tellement mon coeur qu'il n'est pénurie de mérites, ni considérations de notre propre néant, ni estime du bonheur du ciel qui puisse abattre l'espérance chrétienne, tant elle pousse en lui de profondes racines. Désirez-vous avoir ces trois choses, ou bien voulez-vous les conserver à cause de celui qui a dit : « Avez-vous trouvé du miel? Mangez-en jusqu'à vous en rassasier (Prov. XXV, 16.) » Voilà., à ce que je crois, comment s'accomplit tous les jours, ce que la Sagesse a 'prédit, en parlant d'elle-même quand elle, a dit par la bouche du Sage : « Ceux qui me mangent auront encore faim (Eccl. XXIV, 29).» Mais, je ne veux pas vous conduire plus loin, ni faire attendre plus longtemps votre faim ; car je vois qu'elle vous tourmente autant que si vous n'aviez encore rien pris. Or, il y a trois choses sur quoi repose toute mon espérance, c'est la charité de l'adoption, la vérité des promesses, et le pouvoir de les acquitter. Que ma raison insensée murmure tant qu'il lui plaira et me dise : Qui es-tu? quelle n'est pas la grandeur de cette gloire, et sur quels mérites te fondes-tu pour espérer l'obtenir? Car je lui répondrai avec une entière confiance : je sais bien en qui j'ai mis mon espérance, et je sais, de science certaine, qu'il m'a adopté dans sa bonté excessive, qu'il est vrai dans ses promesses, et qu'il est assez puissant pour pouvoir les accomplir; car il peut tout ce qu'il veut. Voilà un triple lien qui ne se rompt pas facilement; il descend de la patrie jusqu'à nous dans notre cachot, saisissons-le avec force, mes frères, je vous en prie, pour nous soulever, nous tirer et nous traîner en la glorieuse présence de notre grand Dieu qui est béni dans les siècles des siècles. Ainsi soit-il.

 

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