VI D. PENTECOTE I
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PREMIER SERMON POUR LE SIXIÈME DIMANCHE APRÈS LA PENTECOTE. Sur le passage de l'Évangile où il est rapporté que le Seigneur avec sept pains a nourri une roule d'hommes qui le suivaient depuis trois jours.

 

1. « J'ai compassion de cette foule, car il y a déjà trois jours qu'ils sont avec moi, et ils n'ont rien à manger (Marc. VIII, 2). » Mes frères, l'Évangile a été mis par écrit pour être lu, et il n'est lu que pour que nous prenions occasion de ce que nous entendons, ou de nous consoler, ou de nous désoler. Les gens du monde trouvent une vaine consolation dans l'abondance des choses de la terre, et une désolation non moins vaine dans la privation de ces biens. Quant à l'Évangile, c'est un miroir de vérité qui ne flatte personne, et ne trompe personne. On se voit dans ce miroir-là tel qu'on est, et on n'y puise aucun motif de crainte, s'il n'y a pas de crainte à avoir, ni aucun sujet de se réjouir, si on a mal fait. Mais que dit l'Écriture : « Celui qui écoute la parole de Dieu sans la pratiquer est semblable à un homme qui, jetant les yeux sur un miroir, y voit son image naturelle et qui à peine l'y a vue, s'il s'en va, oublie aussitôt quel il s'est vu (Jac. I, 23 et 24).» O mes frères, je vous en conjure, qu'il n'en soit pas ainsi de nous, non, qu'il n'en soit pas ainsi; mais considérons-nous attentivement dans le passage de l'Évangile qui nous a été lu, et profitons-en pour nous corriger, si nous trouvons quelque chose qui doive l'être en nous. Voilà pourquoi le Prophète demande que ses voies soient réglées de telle sorte qu'il garde les justices du Seigneur (Psal. CXVIII, 5); « car, dit-il, je ne serai point confondu, si j'ai vos préceptes, Seigneur, constamment sous les yeux (Ibidem. 6). » Et moi, mes frères, bien loin d'être confondu, je me sens tout glorieux, parce que, vous aussi, vous avez suivi le Seigneur au désert, et vous êtes sortis, pleins de sécurité, hors du camp pour aller au devant de lui (Hebr. XIII, 13). Mais j'ai peur qu'il n'y en ait parmi vous quelques-uns dont la sécurité soit ébranlée après ces trois jours d'attente, et ne prennent le parti de retourner, de. coeur au moins, et peut-être même de corps, dans l'Égypte de ce siècle pervers. Aussi est-ce avec raison que la divine Écriture nous dit et nous crie : «Attendez le Seigneur, conduisez-vous en homme de coeur, que votre coeur prenne une nouvelle force et soit ferme dans l'attente du Seigneur (Psal. XXVI, 20). » Mais combien de temps encore me faudra-t-il attendre? Évidemment jusqu'à ce qu'il ait pitié devons, mon frère. Vous me demandez quand cela sera? Il vous répond lui-même : «Il y a déjà trois jours que ces hommes sont avec moi, et j'ai pitié d'eux. »

2. Il faut donc que vous marchiez trois jours entiers dans le désert, si vous voulez offrir un sacrifice agréable à votre Dieu; et il faut que vous suiviez Jésus, le Sauveur, aussi pendant trois jours, si vous voulez vous rassasier avec les pains du miracle. Le premier jour est un jour de crainte, un jour qui porte la lumière dans vos ténèbres et les dissipe, je veux parler des ténèbres de l'âme, un jour, dis-je, qui fasse luire à vos yeux les horribles supplices de,la géhenne, où règnent les ténèbres extérieures. D'ailleurs, vous le savez, c'est ordinairement par ces sortes de pensées que commence notre conversion. Le second jour est celui de la piété, par ce que nous respirons à la lumière des miséricordes de Dieu. Le troisième jour est le jour de la raison, le jour où la vérité se montre à nous, de telle sorte que la créature se soumet à son créateur, le serviteur à son rédempteur, sans difficulté aucune, et comme pour acquitter une dette. Quand nous en sommes arrivés là, on nous ordonne de nous asseoir pour régler la charité dans nos âmes; après cela, le Seigneur ouvre sa main libérale et remplit tous les êtres vivants des effets de sa bonté (Psal. CXLIV, 16). Mais comme c'est aux apôtres qu'il est dit : « Faites-les asseoir, » aux apôtres, dis-je, dont malgré notre indignité, nous sommes les humbles vicaires, nous vous disons aussi de vous asseoir, mes bien-aimés frères, afin de manger le pain de la bénédiction pour ne point tomber en défaillance le long de la route, et n'être point contraints, par une malheureuse nécessité., à redescendre aussi en Égypte, où vous attendent les risées de ceux qui ne vous ont pas accompagnés dans le désert à la suite du Sauveur. Ce n'est pas qu'ils ne soient eux-mêmes bien malheureux de n'être pas sortis en même temps que vous; mais les plus à plaindre de tous les hommes, ce sont certainement ceux qui sont partis au désert avec les autres, mais n'y ont pas pris part à la réfection des autres.

3. Or si, pendant que le reste de la troupe était assis, il s'en trouva de cachés derrière les buissons ou dans quelque recoin, il est certain qu'ils sont demeures le ventre vide et affamé. Ainsi, en est-il de ceux qui, poussés par un esprit de légèreté et de curiosité, errent de côté et d'autre, sans s'asseoir nulle part un instant, ou, s'ils s'assoient, ne se placent ni au rang ni dans le nombre des autres. J'engage donc votre charité et je la presse avec toute la sollicitude d'un pasteur de vos âmes, à ne point aimer les angles, à ne point rechercher les ténèbres, à ne point affectionner les recoins ; car « il n'y a que celui qui fait le mal qui hait la lumière et fuit, de peur d'être convaincu du mal qu'il fait. (Joan, III, 20). » Qu'il ne s'en trouve pas non plus parmi vous qui se laissent emporter à tout veut de doctrine, de ces esprits inconstants et inquiets, sans solidité, sans gravité, et semblables à la poussière du chemin que le vent emporte. Que dirai-je de ceux dont la main est levée contre tout le monde, et contre qui, par conséquent, tout le monde lève aussi la main ? Ce sont des hommes qui se mettent eux-mêmes en dehors des autres hommes, des hommes charnels, non point spirituels; car il n'est personne qui parle sous l'inspiration de Dieu et qui dise anathème à Jésus (I Cor. XII, 3). Ces gens-là sont la peste la plus cruelle des pestes, car, par leur obstination, bien qu'ils soient seuls, ils jettent le trouble partout, ils sont à eux seuls un véritable foyer de désordres, une source de scandales. D'ailleurs, entendez le Prophète vous dire, en parlant de la vigne du Seigneur : « Le cruel solitaire l'a ravagée (Psal. LXXIX, 14). » C'est pour ces gens-là que je vous prie et vous supplie, mes frères, de mettre de côté toute espèce de dissimulation, voilà les recoins de la volonté que je vous engage à fuir. Gardez-vous bien de cet esprit d'inquiétude et de légèreté,à moins, ce qu'à Dieu ne plaise, que vous ne vouliez priver vos âmes de se nourrir du pain de la bénédiction..

4. Mais je ne veux pas vous faire attendre d'avantage, et je vais vous dire quels sont les sept pains qui doivent vous donner des forces. Le premier, c'est le pain de la parole de Dieu qui est la vie de l'homme, ainsi qu'il l'atteste lui-même (Luc. IV, 4). Le second est celui de l'obéissance, c'est encore Jésus qui nous l'assure en disant : « Ma nourriture est de faire la volonté de celui qui m'a envoyé (Joan. IV, 34). » Le troisième pain, est la sainte méditation, car c'est d'elle qu'il est écrit : «La sainte méditation te conservera; » et qu'il semble qu'on doit entendre ce que l'auteur sacré appelle un pain de vie et d'intelligence (Eccle. XV, 3). Le quatrième pain, c'est le don des larmes unies à la piété. Le cinquième, c'est le travail de la pénitence. Il ne faut pas vous étonner si je donne ce nom de pain au travail et aux larmes, car vous n'avez point oublié, je pense, que le Prophète a dit : « Seigneur, vous nous nourrissez d'un pain de larmes (Psal. LXXIX, 6) : » et ailleurs : « Vous mangerez les travaux de vos mains, car alors vous serez heureux, et tout vous réussira (Psal. CXXVII, 2). » Le sixième pain est la douce union qui fait de nous un seul corps; c'est, en effet, un pain fait de grains nombreux, et dont la grâce de Dieu a été le levain. Quant au septième pain, c'est le pain Eucharistique, car le Seigneur a dit: « Le pain que je vous donnerai, c'est ma propre chair que je dois livrer pour la vie du monde (Joan. VI, 52). (a) »

 

a Dans plusieurs manuscrits, ce sermon est suivi du trente-sixième, trente-septième et trente-huitième des Sermons divers; mais celui de Cîteaux indique dans une remarque que ces sermons doivent être reportés aux Sermons divers. Quant aux deux sermons suivants sur les sept miséricordes, ils présentent de nombreuses variantes dans les plus anciens manuscrits; mais ces variantes ne touchent nulle part au sens, qui demeure constamment le même.

 

 

 

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