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TRAITÉS ASCÉTIQUES ET QUELQUES LETTRES DU MÊME ABBÉ GILLEBERT.

 

TRAITÉ I. A UN CERTAIN R***, RELIGIEUX. Ecrit à un ami sur la contemplation des choses célestes.

*Le frère Roger auquel il adresse son traité VI

 

1. Pensez-vous que je vous ai écrit une dissertation assez étendue, et que j'ai suffisamment détaillé en celle-ci, ce que j'avais abrégé dans les autres? J'ai été peut-être trop long en ce travail, et ma prolixité vous a sans doute été à charge, vous qui auparavant étiez mécontent de ma brièveté. Vous vous êtes plaint, mon cher R..., que je ne vous adressais pas de courtes lettres, mais des billets, brusquement interrompus, dès qu'ils commençaient d'être gravés sur le papier : ajoutant qu'il vous serait très-agréable qu'un écrit plus développé, vins compenser la rareté de nos conversations amicales. Quand je prétextais vos occupations, quand je disais qu'il fallait vous éviter l'ennui d'une lecture prolongée, vous me disiez de ne m'inquiéter nullement de tout le reste. Pour moi, je vous l'avoue, rien ne m'est plus agréable que ces relations que j'entretiens avec vous; rien ne m'est plus doux pourvu que nous ayons pour sujet de nos discours, celui que nous avons pour principe de notre amour. Si c'est lui qui retentit dans notre bouche, qu'il répande le calme dans notre coeur : qu'il produise au-dedans ce qu'il exprimera au-dehors. Vous lisez dans l'Ecriture : « Si quelqu'un parle, que ce soit comme les paroles de Dieu. » (I. Petr, IV, 11.) Paroles fournies par lui et rapportés à lui. Car c'est de lui qu'en vient la grâce, en lui qu'en est le sujet, en lui, la matière infiniment abondante. Qui l'expliquera? Qui, sans parler de son essence, dira ses bienfaits et ses jugements? Aucun. discours ici n'est trop long, nul n'est suffisamment étendu. «Exaltez le Seigneur, » s'écrie l'Ecriture, « autant que vous le pouvez : il est toujours au-dessus. » (Eccl. XLIII, 33.) Riche matière, chère occupation. Quoi de plus agréable, que de traiter un sujet qui seul présente sur la terre, l'image des réalités qui font jouir les anges et qui seront l'objet de nos conversations dans la vie future. « Il est bon, » dit le Psalmiste, « de chanter le Seigneur et de glorifier votre nom, d Très-Haut. Parce que vous m'avez réjoui dans le travail que vos mains ont produit, et je tressaillerai à la vue de vos oeuvres. » (Ps. XCI, 1.) Si votre magnificence cause de tels sentiments de joie et procure de si grandes jouissances, votre essence, quelles émotions fera-t-elle goûter? Si vous vous plaisez tant dans vos couvres, en vous-même, que serez vous pour nous?

2. Heureux ceux qui peuvent le goûter, avoir le loisir et sentir combien le Seigneur est doux! Malheureux que je suis, de voir le temps s'écouler, sans m'apporter la liberté de me consacrer à cette douce étude de m'approcher d'une si douce contemplation, l'esprit distrait par des soucis qui le rongent et le partagent : de ce qu'il ne m'est pas permis de me glorifier, avec le Prophète, de la continuité d'une si grande jouissance « pendant tout le long du jour je me tiens sur la montagne du Seigneur, et toutes les nuits je suis sur mes gardes. » (Is. XXI, 8.) Le temps ne coulait pas en vain pour ce saint personnage; et lui-même ne volait pas et ne s'écoulait point avec les heures, lui qui consacrait ses jours à veiller sur son âme, ou qui les dépensait à contempler la gloire du Seigneur. La première de ces occupations est salutaire, la seconde est plus douce. Remarquez aussi que l'une est comparée à la nuit, et l'autre au jour. Que dit en effet l'Apôtre? « Pour nous, à visage découvert, contemplant la gloire du Seigneur, transformés en la même image, nous allons de clartés en clartés. » (II. Cor. III, 18,) C'est chose tout-à-fait excellente, de se conserver pur des atteintes de ce siècle, et de ne pas se conformer à ses usages : mais il est bien plus excellent encore d'être renouvelé par la vertu du siècle futur, et d'y être transformé, marchant de clartés en clartés. Se tenir sur ce sommet élevé, c'est se placer sur la montagne du Seigneur et s'y tenir durant le jour. « M'y tenant debout, » dit le Prophète, « tout le long du jour. » Quoi donc ? ô Prophète béni, vos jambes n'ont-elles pas fléchi dans une position si prolongée? n'ont-elles pas été affaiblies par le jeûne? De telles contemplations ne sont pas le jeûne, bien plutôt, elles sont un repas délicieux. Qui habite les hauteurs, on lui fournit du pain et ses eaux sont fidèles, ne tarissant jamais.

3. Qui me donnera des ailes comme celles de la colombe, afin que je puisse m'envoler vers un lieu si fécond et si assuré, où se trouve le rassasiement et le repos? Il m'est rarement donné d'y pénétrer, si même ce bonheur ne m'est pas entièrement refusé. J'y entre rarement, et à peine y suis-je, qu'il faut en sortir, et cette vision s'en va comme une ombre qui décline, jusqu'à ce que, comme la sauterelle, je sois de nouveau provoqué à y bondir. C'est un bond excellent que celui dont vous lisez dans le Psaume : «Seigneur, faites-moi connaître ma fin et le nombre de mes jours. » (Ps. XXXVIII, 5.) Ce Psaume porte le titre : pour Idithun, c'est-à-dire, pour « celui qui franchit. » Il s'était avancé par delà toutes les choses qui passent, émigrant en esprit, vers celles qui sont réelles et durables. Là est le nombre sans nombre, la fin sans terme : la fin qui achève le temps de la misère, et qui ne termine pas la félicité. « Car le Christ est la fin de la loi, pour procurer la justice à quiconque croira.» (Rom. X, 4.) Il est aussi la fin de la foi, pour procurer la joie à quiconque le verra. C'est lui en effet qui est «la sagesse atteignant d'une extrémité à l'autre fortement et disposant toutes choses avec suavité. » (Sap. VIII, 1.) D'une extrémité à l'autre; atteignant de la foi à l'espérance comme voie : disposant tout vers ce terme, comme vie. Car, dit-il, « je suis la voie, la vérité, et la vie. » (Joan. xuv, 6.) Le chemin qui conduit, la vérité qui instruit, la vie qui adoucit. « Voilà » en effet «la vie éternelle, c'est de vous connaître, vous qui êtes le vrai Dieu. » (Joan. XVII, 3.) Cette connaissance est pleine de suavité. Vous me remplirez de joie en me montrant votre visage, les jouissances abondent dans votre droite jusqu'à la fin. » (Ps. XV, 11.) Nous serons disposés avec suavité vers cette fin, quand Jésus sera tout dans tous, quand les derniers vestiges du vieil homme étant effacés, la mortalité sera absorbée par la vie, l'infirmité par la force, les ténèbres par la vérité et la concupiscence charnelle, par l'abondance de la vigueur de l'esprit.

4. Ces deux principes se combattent dans la vie présente; il faut lutter avec vaillance pour nous reposer heureusement, pour que le combat se change en paix, comme il est écrit, « dans la paix, en le même bien, je dormirai et me reposerai. » (Ps. IV, 9.) 0 paix vraie et complète, d'autant plus véritable qu'elle est moins variable : d'autant plus pleine qu'elle est plus durable! En le même bien, ce mot exclut la diversité, la paix chasse pareillement l'adversité. Ils ne travailleront pas en vain, ils n'engendreront pas dans le trouble. (Is. LXV, 23.) Comme si le Prophète disait : Ils ne travailleront pas sans fruit; ils ne travailleront point pour le fruit. Il n'est pas ici-bas de fruit sans travail; souvent il y a du travail sans fruit. « Quand vous aurez labouré la terre, elle ne donnera pas ses produits.» (Gen. IV, 12.) En ce moment, nous gémissons et nous souffrons comme les douleurs de l'enfantement; en ce temps, nous nous réjouirons du fruit que vous aurez porté. « La femme, quand elle a mis au monde son enfant, ne se souvient pas des souffrances qu'elle a éprouvées. » (Joan. XVI, 21) Car elle a donné le jour à liai enfant mâle, en qui se trouve la gloire et l'image de Dieu. Mais quand cela aura-t-il lieu, quand s'accomplira ce qui est écrit: Nous savons que lorsqu'il apparaîtra, nous lui serons semblables, parce que nous le verrons tel qu'il est. (I Joan. III, 2.) C'est en attendant cette vision que toute créature gémit, soupire et souffre comme les douleurs de l'enfantement. C'est en elle que consiste vraiment la sagesse, qui nous façonne doucement, de manière à nous faire ressembler à Dieu. Tourmentés maintenant par beaucoup d'épreuves, alors nous trouverons des jouissances dans tout ce que nous verrons. (Sap. III, 5.) A présent nous sommes dans les successions des temps et non dans les degrés de la perfection : nous n'allons pas de vertu en vertu, ni de clarté en clarté mais alors, en une fois et en même temps, nous nous trouverons dans toute vertu et dans toute vérité. N'est-ce pas ce que dit Isaïe : Avant qu'elle souffrit, elle « a enfanté; avant de souffrir, elle a mis au monde un enfant mâle. (Is. LXVI, 7.) Quelle est cette femme qui a enfanté avec tant de précipitation et sans ressentir aucune souffrance? Assurément, c'est cette sagesse dont nous parlons, qui prononce ces paroles : « je suis la mère de la belle dilection, et de la connaissance.» (Eccli. XXIV. 24.) Elle nous enfantera pleinement de cette manière, quand, sans obstacle, nous contemplerons la vérité dans l'éternité et nous serons unis par la charité. « Mes petits-enfants que j'enfante de nouveau, jusqu'à ce que Jésus-Christ soit formé en vous, » s'écrie saint Paul. L'apôtre enfante donc à présent, alors ce sera le Seigneur qui enfantera. « Moi qui fais enfanter les autres, je n'enfanterai pas? Et moi, qui donne aux autres la puissance d'engendrer, je serai stérile? » dit le Seigneur. (Is. LXI, 9.) Bien plus, nous serons instruits par le Seigneur, lui devenant semblables.

5. Enfin, par cette conformité née de la vision de Dieu, nous sommes renouvelés dans le sexe viril, car l'homme est l'image et la gloire de Dieu. (I. Cor. XI, 3.) Aussi l’homme ne doit pas voiler son visage, montrant par là dans son corps ce qui plus tard se réalisera dans son âme : quand notre esprit à découvert contemplant la gloire du Seigneur, nous serons transformés dans la même image, sans moyen d'avancer, sans crainte de reculer. C'est là ce qui est écrit avec un si grand sentiment d'étonnement : « qui a jamais entendu parler d'une chose pareille? Qui a vu prodige pareil? Si une nation est née d'un coup, et si la terre a enfanté un jour : parce que Sion a mis au mande des fils. » (Is. LXVI, 9.) Celle qui est vraiment Sion, celle qui est appelée « contemplation,» enfante en un jour, et en ce seul jour, qui, brillant dans les parvis de la maison du Seigneur, est meilleur que mille passés ailleurs. C'est de ce jour que le Prophète parle ailleurs : « et il y aura un jour qui est à nous, dans le Seigneur ; ce n'est pas le jour et la nuit. Au temps du soir, la lumière se montrera. Parce que votre soleil ne déclinera plus, la lune ne diminuera pas, mais le Seigneur sera pour vous la lumière éternelle. (Is. LX, 19.) C'est là le jour qui est connu du Seigneur, car ce jour, c'est le Seigneur. Personne n'a connu le Père que le Fils, et celui à qui le Fils a Moulu le faire connaître. (Matth. XI. 2.) Sa manifestation fera de nous des jours nous lui serons semblables quand il se montrera. « Les jours seront formés, » dit le Psalmiste (Ps. CXXXVIIL 16,) « et personne ne sera dans eux, de ceux dont il est dit : Vous êtes la lumière du monde. (Matth. V. 14.) » Vous avez en ce moment la parole des prophètes : vous faites bien d'y prêter attention comme à une lumière brillante jusqu'à ce que le jour éclatant se lève. (II. Petr. I. 19.) On cache la lampe lorsque l'astre du matin se montre. La parole des Prophètes disparaîtra, la parole des Apôtres disparaîtra aussi. » Car, » dit saint Paul, « nous connaissons en partie, quand ce qui est parfait se montrera, ce qui n'est qu'en partie, sera remplacé. (I Cor. XIII, 10.) Aussi saint Philippe disait : « Montrez-nous votre Père et il nous suffit. Vous, dit-il, et le Père. Pas un autre que vous; pas d'autre réalité que lui, « et c'est là tout ce que nous voulons. »

6. Car les biens invisibles « qui sont u en vous, « comprises par le reflet des créatures nous sont connus, avec votre vertu et votre divinité éternelle.» (Rom. I. 20,) Mais autre chose est de vous voir, sans aucun milieu : autre chose de devoir cette vision à un autre principe bienfaisant. Pourquoi m'allumez-vous un flambeau? Est-ce pour que je voie le soleil? La lampe est utile, mais pour l’œi1 qui est faible les mamelles sont bonnes, mais pour ceux qui sont petits enfants dans le Christ : le miroir est bon, meilleur est le baiser. Aussi, embrassez-moi, vous, d'un baiser de votre bouche : de votre bouche, et non de vos œuvres. La bouche est dedans, les œuvres sont dehors : « Qui me donnera, vous mon frère, suçant mes mamelles, que je vous trouve dehors et que je vous embrasse? (Cant. VIII, 1.) A propos de celui qu'elle désire baiser, après l'avoir trouvé dehors, l'épouse dit qu'il suce les mamelles, faisant ainsi quelque allusion à l'anéantissement opéré dans le mystère de l'Incarnation. La sagesse, cette ouvrière souveraine, se montre d'une autre manière, au-dehors sans doute, dans l'union de la personnelle, mais encore aussi par l'éclat de ses oeuvres : elle réjouit au-dehors, avec suavité, mais non point à un degré suffisant. Donnez-nous ce qui suffit, montrez-vous vous-même : je vous cherche à l'extérieur avec soin, je vous trouve bien tard, je vous retiens avec difficulté, et quand je,vous baise au gré de mes désirs, vous disparaissez et vous fuyez. Ce sont des baisers délicieux, mais ils sont rapides comme une ombre légère, comme une figure qui passe : ils sont fort doux, ils refont pour un temps, mais ils ne suffisent pas : donnez-nous ce qui suffit. Embrassez-moi, vous, d'un baiser de votre bouche, d'un baiser du Verbe et non de la chair : de la vérité et non de l'image; d'un baiser volontairement donné et non arraché par violence; du baiser de votre manifestation et de ma ressemblance avec vous, qui m'unisse, m'unisse à vous dans un seul et même esprit : « car qui s'attache au Seigneur devient un seul et même esprit avec lui. (I. Cor. VI 17.) Cet embrassement invincible , formé d'amour et d'union , porte avec raison le nom de « baiser. » Aussi, je vous laisse le soin de me donner ce baiser, je vous en donne l'autorisation, là tout vient de vous, rien de mon travail; de votre indulgence, rien de ma diligence; de votre manifestation, et rien de mon investigation.

7. Voilà pourquoi je dis, montrez-vous à moi, par vous-même, tel que vous êtes, et cela me suffit. « Je serai rassasié quand votre gloire m'aura apparu. » (Ps. XVI, 14.) Quand vous m'aurez fait boire à satiété ce vin nouveau que vous buvez et que vous faites boire dans votre royaume. Je le veux pur, non mêlé; pur et sans lait, parce que le lait est pour les petits enfants. Ce qui est de l'enfance sera banni de cet heureux séjour. Les mamelles sont préférables au vin, mais non point à celui-ci qui est délicieux par-dessus toutes les mamelles. Les mamelles n'enivrent pas; mais lui, il produit l'ivresse et change l'état de l'esprit, en lui faisant éprouver des sentiments nouveaux et inusités. La bouche qui suce les mamelles, les tarit : ce vin qui enivre, coule sans relâche. Je ne veux pas que la fraîcheur du lait vienne tempérer sa chaleur : je le veux pur; je le veux coulant toujours. C'est ce que nous lisons dans l'Ecriture : ils seront enivrés de la richesse de votre mai son, parce qu'en vous est la fontaine de la vie, et en votre lumière nous verrons la lumière. (Ps. XXXV. 9.) Voilà une ivresse bien extraordinaire, qui ne vient d'aucune liqueur, mais que cause la lumière; qu'occasionne la vérité sincère et non la boisson fermentée. Aussi faites jaillir votre lumière et votre vérité; donnez la plénitude et non le gage qui retarde votre présence, qui tempère la grâce et qui voile la vérité que ce qui nous est promis dans les ombres nous soit accordé dans le grand éclat du jour. Les biens dont parle le Prophète, sont dans l'ombre : « l'œil n'a pas vu, Seigneur, sans vous, ce que vous préparez à ceux qui vous attendent. » (Is. LXIV. 4.) Et au livre des « Nombres » les personnes qui ne possèdent pas d'héritage, mais qui attendent celui de leur père, sont appelées filles de Salphaad, (Numer. XXVII. 6.) c'est-à-dire « ombres : » Salphaad ne pouvait en effet, une « ombre » n'était pas capable d'engendrer des hommes en qui se voie l'image et la gloire du Seigneur. Cette transformation n'aura pas lieu tant que nous servirons Dieu dans la foi : mais quand nous le verrons, alors nous lui serons semblables. C'est pourquoi, nous qui, dans le corps, voyageons loin du Seigneur, nous demandons avec les filles de Salphaad (et même nous ne savons demander comme il faut), nous réclamons l'héritage paternel : « c'est le Seigneur qui est la portion de mon héritage. Avec l'Apôtre, nous adressons cette supplique : Montrez-nous votre Père et il nous suffit. Je ne sollicite rien au-delà de ces biens; tant que je ne les ai pas, je ne puis subsister; en eux je place la limite de mes désirs, et le terme de mes voeux. Quelle est cette fin? Celle dont parle l'Apôtre : « la fin, c'est la vie éternelle. » (Rom. VI. 22.) Quelle est cette vie éternelle? Celle dont le Christ dit . « c'est la vie éternelle, » de vous connaître, vous, le vrai Dieu et celui que vous avez envoyé, Jésus-Christ. (Joan. XVII. 3.)

8. Il s'était déjà transporté en esprit, àla conclusion de toutes choses, ce personnage qui s'écrie dans le Psaume : « Seigneur, faites moi connaître ma fin. (Ps. XXXVIII. 5.) La fin du bien et la fin du mal : du mal parce qu'il est consumé, du bien parce qu'il est consommé. Aussi c'est là la vraie fin, la fin pure, pleine et perpétuelle : pure du mal, pleine de bien, subsistant toujours avec ce double caractère : elle cause de pures émotions, elle suffit pleinement, et produit sans relâche ce double et heureux effet. Car c'est là la pensée qu'ajoute le Psalmiste

« et le   nombre de mes jours, quel il est. (Ib.) Les jours en effet luisent véritablement pour lui, et ne se succèdent pas : leur nombre n'est ni diminué ni changé. Aussi est-il dit : « quel il est. » Comment le jour qui m'éclaire défaillerait-il, si mon soleil ne se couchait pas? « Votre soleil, » dit le Prophète, « ne disparaîtra jamais, et votre lune ne subira point de diminution. » (Is. LX, 20.) C'est moi qui suis la lune, il est le soleil : et cette lune ne s'affaiblira jamais, parce qu'elle n'est pas mise en mouvement par le soleil éternel luisant en tous lieux. Par une raison nouvelle, ces jours n'auront pas de terme, mais il y en aura plusieurs : une éternité continuelle et inaltérable se lèvera sur nos têtes, mais il n'y aura pas pour nous de simplicité absolue, semblable à l'unie qui est dans la nature divine. Les autres biens, quoiqu'ils soient tous éternels, ne sont pas néanmoins simples, pour eux, être ceci ou cela, n'est pas être purement; ni être ceci ou cela, quoique ce soit qu'ils sont. Car, dans la création spirituelle, ces biens qui sont infinis en eux-mêmes, le sont par rapport à leur durée qui ne finira pas, mais ils sont déterminés d'une certaine manière les uns par rapport aux autres et se trouvent circonscrits à cause d'une certaine différence qui sépare les natures et leurs affections. Aussi, le Seigneur dit : « dans la maison de mon Père, il est plusieurs demeures. » (Joan. XIV, 2.) Demeures de lumière, parce que Dieu habite une lumière inaccessible. (II. Tim. VI. 16.) Donc ce « nombre de jours » dont il était question plus haut, signifie la même chose qu'ici « la multitude des demeures, » non que chacun ait la sienne, mais parce que le même peut en avoir plusieurs, en vertu de cette parole : « et toi, reçois pouvoir sur dix villes. (Luc. XIX, 17.) « Car l'étoile diffère en clarté de l'étoile. » (I Cor. XV, 41.) Et selon le nombre des vertus qui aura été envoyé d'avance au ciel, le nombre des clartés se multipliera, comme le porte la promesse du Prophète : «Le Seigneur remplira votre âme de splendeurs. (Is. LVIII. 11.) Grandement heureuse l'âme qui sera remplie, non d'une seule mais de plusieurs splendeurs, de ces saints éclats dont il est écrit: « le principe est avec vous au jour de votre puissance dans les splendeurs des saints. (Ps. CIX, 3.)  O que brillants sont ces jours et les rayons de cette clarté.

9. Qui me donnera, que mon esprit soit illuminé du triple rayon de cette splendeur, que ce nombre très-heureux achève, remplisse et contienne les jours de ma vie? Qui me donnera, dis-je, que mes jours atteignent à cette ligne de l'éternité, qu'ils brillent dans la splendeur de la vérité et qu'ils soient enflammés de l'esprit de charité? Et aussi ces retours successifs du soir et du matin ne produiront pas, comme au jour de la création, plusieurs jours, mais ils feront un jour continu, qui sera un midi incessant et parfait. Dans les jours primitifs pour parler de la sorte, entre le matin et le soir, fut chassée la nuit malheureuse; en celui-ci le midi occupera les extrémités qui seront invariables, comme il est écrit: « au temps du soir brillera la lumière : » parce qu'il n'y aura pas de changements de temps ou d'ombre de vicissitude. Mais quand cela aura-t-il lieu? Quand, ô bon Jésus, vous manifesterez-vous à nous comme vous êtes? En vous, nous verrons le Père, et ce sera tout pour nous. O temps lents à venir, et coeurs trop lourds pour jouir! lents à voir, bien que prompts à croire.

10. Approchez-vous de nous, Seigneur, afin que nous puissions dire Le voici sautant sur les crêtes des montagnes, franchissant les collines. (Cant. II, 8.) Approchez, prévenez notre lenteur. Approchez-vous, comme vous vous joignîtes, ainsi qu'il vient d'être lu, aux deux disciples qui; allaient à Emmaüs : leur reprochant leur lenteur à croire, expliquant les écritures qui parlaient de vous; ouvrant au-dedans et apparaissant au-dehors, mais disparaissant trop vite, peut-être, parce que vous ne vous montrâtes pas en plein midi, mais vers le soir et au déclin du jour. (Luc. XXIV, 25.) De toutes les apparitions qui se firent après la bienheureuse résurrection, d'aucune, si j'ai bon souvenir, je ne l'ai lu qu'elle ait eu lieu à l'heure de midi : elles se faisaient ou avant le commencement du jour, ou vers son déclin; pour vous faire comprendre qu'ici bas toute lumière de la vérité est obscurcie par quelque ombre d'ignorance. En même temps, il y a une remarque à faire, c'est que le Seigneur se fit voir en plein jour, aux saintes femmes qui le cherchaient avec soin; et le soir du premier jour qui suit le sabbat, aux disciples renfermés dans la maison. Oh! Seigneur, daignez nous apparaître ou à ce point du jour ou à ce crépuscule, l'un ou l'autre sera pour nous un midi parfait. Mais c'est dans la patrie que nous nous reposerons à cette heure. En attendant ce bonheur, tant que nous sommes en chemin, nous vous prions, Seigneur, de nous ranimer, en faisant tomber sur nous un reflet de cette lumière du soir. Pour nous, nous terminerons ce discours avec le jour, sans vous mettre dehors : bien loin de là; achevant par vous, commençant par vous, dès le matin nous vous rendrons grâces, faisant éclater nos sentiments, en redisant ces paroles du cantique : «Je me suis assis à l'ombre de celui que j'avais désiré. (Cant. II, 3.)

 

 

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