TRAITÉ II
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SERMON
LETTRES

TRAITÉ II.

 

1. Notre bien-aimé s'est détourné un peu au milieu des ténèbres de la nuit; où donc le chercherons-nous ? De quelle personne s'agit-il ? De celle qui a dit : «je suis la fleur de la campagne. » (Cant. II, 1.) Si nous marchons à sa rencontre, allons dans la campagne; bien plus, pénétrons dans le jardin, car « il est descendu en son parterre pour respirer les parfums. » (Cant. VI, 1.) Quand Marie le chercha dans le jardin, elle le trouva. (Joan. XX,16.) Elle était à sa poursuite en pleurant„ nous y sommes en chantant ses louanges. Douce occupation, plus douce récompense. Quelle est cette récompense? Celle dont il est dit au Psaume : « le sacrifice de louange m'honorera; et là est la route par laquelle je lui ferai voir le salut de Dieu. » (Ps. XL, 23.) Jésus doit donc se montrer à ceux qui l'exaltent dans leurs cantiques. Cherchons-le en faisant retentir ses éloges, mais cherchons-le dans le jardin dans le jardin il fut livré, dans le jardin il souffrit, dans le jardin il fit son apparition. L'aine sainte qui l'aperçut, dit: Vous qui habitez dans les jardins, vos amis vous écoutent, faites-moi entendre votre voix. » (Cant. VIII, 13.) Les amis étaient Pierre et Jean. Les amis étaient les Disciples, qui avaient entendu ces mots : « vous êtes mes amis. » (Joan. XV, 14.) Dites-moi ce qu'il faut que je leur annonce; ils sont dans les champs et moi, dans le jardin. Eux, comme des hommes, mettent la main aux choses fortes, moi, je m'attache à celles qui sont, douces. Heureuse la femme qui mérita de vous entendre, plus heureuse celle qui vous vit : car votre voix est agréable et votre visage éclatant de beauté : très-heureuse eût-elle été si elle avait touché celui vers lequel ses mains se tendirent, si elle l'avait saisi et retenu! Maintenant on lui dit : « ne me touchez pas. » (Joan. XX, 17.) La faveur dont une seule personne ne jouit pas fut accordée à plusieurs, elle fut le partage de ces saintes femmes à qui le Sauveur dit : « je vous salue. Et elles s'approchèrent et saisirent ses pieds. »  (Matth. XXVIII, 9.) Ce que ne peut un seul individu, la communauté l'obtient, la charité le reçoit. Cherchons donc tous ensemble, et nous chercherons avec profit. Les femmes qui vinrent avec des parfums sont celles qui trouvèrent. Excellents parfums dont il est dit : voici combien il est bon et combien agréable pour des frères d'habiter ensemble! C'est comme un parfum qui est sur la tête. » (Ps. CXXXI, 1.)

2. Peut-être ne se laissa-t-il pas tant trouver, qu'il ne se présenta de lui-même. « Elles saisirent ses pieds, » dit le texte sacré, elles ne le couvrirent pourtant pas de parfums. Elles l'ont rencontré vivant, celui qu'elles avaient cherché parmi les morts. Elles venaient pour oindre Jésus-Christ et pour l'oindre une seconde fois , et c'est lui qui venait vers elles tout parfumé de l'odeur vitale des aromates immortels. Il voulut être couvert de parfums avant sa passion, et ensuite au moment d'être mis dans le sépulcre; mais ressuscité, il n'en eut plus besoin. Car dès cet instant, il était rempli non-seulement d'immortalité, mais de l'onction d'un pouvoir royal et suréminent, comme il l'atteste lui-même : « toute puissance m'a été donnée au ciel et sur la terre. » (Matth. XXVIII, 18.) Et : « Dieu lui a donné un nom qui est au-dessus de tout nom. » (Philipp. II, 9.) Voilà pourquoi il est dit : « votre nom est une huile répandue. » (Cant. I, 2.) Enfin il invite à venir jouir de ses propres parfums : « Venez dans mon jardin, ô ma soeur, mon épouse: j'ai récolté ma myrrhe avec mes aromates. » (Cant. V, 1.) Ce que j'ai semé, dit-il, de vôtre, je l'ai récolté pour moi du mien, et encore plus pour vous; pour moi en réalité, pour vous en espérance. C'est pourquoi je vous invite : « venez dans mon jardin, ô ma soeur, ô mon épouse. » Paroles agréables et pleines de douceur, et qui indiquent l'union formée par la nature, ou celle que produit la grâce. Devenu participant de la même nature, je donne la grâce en retour. Aussi je vous appelle ma soeur, mais selon la chair; mon épouse, mais selon l'Esprit : selon la chair, en laquelle j'ai pris l'humanité en toute son intégrité; selon l'Esprit, par lequel a été répandue la charité. Venez donc, ô ma soeur, ô mon épouse. Venez, assurée par un gage si grand qui vous a été donné, certaine d'obtenir la plénitude qui reste à venir. « J'ai récolté ma myrrhe avec mes aromates. » La myrrhe est pour la soeur, les aromates sont pour l'épouse; la myrrhe de l'incorruption, les aromates de la vérité. Vous connaîtrez la vérité, mais lorsque mon onction vous aura instruite. Vous venez avec des parfums, mais moi j'en ai d'autres que vous ne connaissez pas, onguents nouveaux et bien plus encore, onguents anciens; car nouveau et ancien, j'ai tout réuni pour moi. En effet, les commencements de la ré surrection, qui aura lieu à la fin du monde, se sont déjà mis à germer en moi; et la gloire, qui jaillit de la clarté ancienne et éternelle, y brille constamment éblouissante. Car le Père m'a clarifié la clarté que j'ai eue, avant que le monde fût créé.

3. Ces parfums sont vraiment exquis, ô Seigneur, et leur odeur délicieuse est déjà arrivée à votre épouse; aussi elle dit : «voici que l'odeur de mon bien-aimé est comme l'odeur d'un champ qui est plein. (Gen. XXVIII, 27.) Et là où vous la précédez, elle vous suit, car elle s'écrie : « tirez-moi après vous, nous courrons à l'odeur de vos parfums. » (Cant I, 3.)  O heureux moment, quand ces saintes âmes entendront dire d'elles : « quels sont ceux-ci qui volent comme des nuées? » (Is. LX, 8.) Maintenant, l'esprit est prompt, mais la chair est plus lente : la faiblesse des forces n'égale pas la puissance des désirs. Aussi « tirez-moi après vous, nous courrons à votre odeur. » Il est bon de courir, mais il est préférable d'atteindre. Attendez celle qui retarde, tirez celle . qui ne demande qu'à vous suivre. Je courrai avec plus de ferveur, si vous courez avec moi : courons ensemble, vous dans vos parfums, et moi, dans l'odeur suave qu'ils exhalent. Heureuse l'âme qui après le travail, se réjouit déjà dans les délices de ces parfums; en qui se répand l'onction de votre connaissance et de votre amour, ou, pour parler plus juste, que le torrent de la volupté et l'immensité de votre douceur ont saisie et absorbée en leurs joies infinies. Il est saintement caché celui qui s'y trouve perdu, il est enseveli avec le Christ, bien plus, dans le Christ; et comme il est écrit, « son sépulcre est glorieux, » (Is. XI, 12), grandement glorieux ;  sa « place a été faite dans la paix, et sa demeure en Sion. » (Ps. LXXV, 3) Ceux qui se trouvent en cette place vous contemplent à découvert. Pour nous, comment vous voyons-nous, sinon par reflet, dans le miroir des créatures et les figures des Ecritures ? Nous, dans les énigmes et les ombres : eux, dans la vérité et dans la réalité. Ils se reposent et ils voient, ils sont debout et ils écoutent, ils tressaillent de joie à cause de la voix de l'épouse et à cause de la vue de son visage. Car sa voix est suave et son visage rempli de beauté; aussi un désir continuel, une allégresse incessante, s'étendent comme un parfum sur tous ceux qui sont admis à voir et à entendre l'époux: car votre nom est une huile répandue en eux. Oui, une huile, car votre nom et votre connaissance sont une joie et une lumière : une joie versée, une joie pénétrant l'intime du coeur, non de ceux qui croient encore, mais de ceux qui contemplent déjà. Là, il n'y a pas coeur et coeur, il n'y a qu'un seul coeur. O qu'il est bon et qu'il est agréable d'habiter en l'unité et dans l'unité de ce coeur ! Là, le Seigneur commande et il répand ses émanations: il commande ouvertement, et il fait couler ses délices avec abondance : il épanche copieusement la bénédiction et la vie jusque dans les siècles.

4. Malheur à moi, parce que je n'expose point pleinement ce que je comprends d'une manière quelconque. Malheur à moi, parce que l'expression et surtout une si douce expérience me font défaut! Car les paroles ne répondent pas aux sentiments et les sentiments à la foi : la foi ne suffit pas, si elle ne refait pas entièrement l'âme. « Ils seront rassasiés, » dit l’Ecriture, « quand votre gloire apparaîtra. » (Ps. XVI, 14.) Quand donc la beauté se fera voir, la faim s'en ira, la faim qui manque, non la faim qui est satisfaite, la faim de la privation, non la faim rassasiée. Excellente réfection que celle qui chasse le dégoût et aiguise le désir : bonne avidité que produit la satiété. « Ceux qui me mangent, » dit l'Ecriture, « auront encore faim. » (Eccle. XXIV, 29.) Qu'est-ce que prendre son repos, sinon contempler? «Que les justes se nourrissent en présence de Dieu. (Ps. LXVII, 4.) C'est-à-dire, en contemplant le Seigneur. Qu'est-ce qu'avoir faim, sinon chercher toujours ? « Cherchez le Seigneur et soyez fortifiés : recherchez sa face sans relâche. (Ps. CIV, 4.) Recherchez constamment sa face, vous qui voyez à visage découvert nous qui sommes dans le corps, qu'apercevons-nous, sinon ce qui est par derrière ? « Tirez-nous après vous. » Faites-nous passer de ce qui est derrière à ce qui est en face; de la foi à la vue, de l'odeur à l'onction, car nous marchons par la foi et nous courons attirés par le parfum. heureux ceux qui ont bien couru et qui ont déjà atteint le terme, ils n'ont plus à marcher encore, ils se tiennent debout dans la vérité, ils ne vacillent pas, inondés qu'ils sont en toutes manières, des parfums de l'immortalité, et pénétrés de la myrrhe qui les met à l'abri de tout changement. Là-, ils vous louent, Seigneur, d'autant plus largement qu'ils le font avec plus de liberté. « Vous connaîtrez la vérité, » est-il dit, « et la vérité vous délivrera. » (Joan. VIII, 32.) A l'éclat de cette vérité; la vanité disparaîtra : « Car la créature est asservie malgré elle à la vanité : (Rom. VIII, 19.) et le joug pesant de sa corruption, se pourrit au contact de l'huile ( Is. X, 27), sous l'influence du parfum. Car on versera en votre sein une mesure bonne, entassée et débordante. (Luc. VI, 38.) Seigneur, c'est vous qui la donnerez, vous vous donnerez vous-même à nous : car le Seigneur est mon partage. Mais pourquoi vous donnez-vous en partage, vous qui êtes grand et immense? Est-ce que vous versez l'huile seulement selon la capacité du vase ? Pourquoi donc, dites-vous que cette mesure déborde ? Est-ce que vous répandez plus que nous ne recevons? Car, quand même nous nous distendrions de toutes nos forces pour vous recevoir, nous ne pouvons vous contenir. Dieu peut faire plus que nous ne demandons et que nous ne comprenons : combien plus ce qui le constitue et ce qui n'a pas été fait, surpasse-t-il la force de notre désir et dépasse la limite de notre intelligence ? « Voici, » dit-il, « que j'entre en eus, comme un fleuve de paix, comme un torrent de gloire qui inonde. » (Is. LXVI, 12.) Est-ce que l'homme pourra absorber ce fleuve, dont les flots réjouissent la cité de Dieu, et épuiser le Jourdain, en le faisant couler dans sa bouche ? Vraiment, Seigneur, nous ne sommes point à l'étroit en vous : car vous jetez à profusion, vous ne distribuez pas à peu de personnes, vous ne distribuez pas peu, vous répandez sans lésinerie et sans remords, prévenant les mérites et dépassant les désirs: nous ne sommes pas à l'étroit. Ayant reçu de si magnifiques promesses, ô mes amis, dilatons-nous, élargissons nos coeurs pour désirer et pour obtenir.

5. Pour vous, Seigneur, vous qui étendez le firmament comme la peau d'une tente, faites-nous sentir une communication douce et calme de votre richesse (car j'ai couru dans la voie de vos commandements (Ps. CXVIII, 32), quand vous avez dilaté mon coeur), étendez  l'enveloppe de mon coeur devenue vieille et toute contractée dans la position inactive qu'elle avait occupée : faites disparaître ses rides, enlevez ses sinuosités, aplanissez ses gonflements : afin que je vous désire sans mesure, que sans mesure je vous saisisse, et que cette sainte avidité me rende encore plus capable de vous recevoir. Et ainsi, ressentant par l'expérience un léger avant-goût, là où la foi m'invite volera mon affection : ma vive allégresse n'attendra pas l'impulsion de la raison : en sorte qu'au milieu des tentations, la constance durable de mon saint propos sera moins éprouvée, toujours soutenue qu'elle sera par l'attente d'un désir ardent et d'une pieuse espérance. Mais arrêtons-nous et respirons en donnant du relâche à notre esprit fatigué, pour que, recréé par un petit intervalle de repos, il se relève ensuite avec plus de ferveur.

 

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