|
DERNIER ENTRETIENDE NOTRE TRÈS SAINT ET BIENHEUREUX PÈRE SUR PLUSIEURS QUESTIONS QUE NOS CHÈRES SOEURS DE LYON LUI FIRENT DEUX JOURS AVANT SA BIENHEUREUSE MORT, LE JOUR DE SAINT ETIENNE 1622
Comme il entra, il dit : « Bonsoir, mes chères Filles, je viens ici pour vous dire le dernier adieu et mentretenir un peu avec vous, parce que la Cour et le monde me dérobent le reste. Enfin, mes chères Filles, il sen faut aller ; je viens finir la consolation que jai reçue jusques à présent avec vous : quavons nous à dire? Rien plus 1, sans doute. Il est vrai que les filles ont toujours beaucoup de répliques. Il est mieux de parler à Dieu quaux hommes. » Notre Mère lui dit: « Monseigneur, nous voulons parler à vous afin dapprendre à parler à Dieu. » « Lamour-propre, » dit-il, « se sert de ce prétexte-là. Ne faisons point de préface, et vous asseyez, je vous prie, car nos Soeurs sont incommodées. » On lui demanda si ce nétait pas mieux et plus simple de regarder les vertus de Dieu que non pas celles des Supérieures et des Soeurs. Il répondit que non, que cela nétait pas contraire à la simplicité et quil était bon de le faire ; mais que, qui voudrait regarder leurs vertus pour
1. rien de plus
éplucher 2 celles qui sont plus vertueuses que les autres, ou afin de censurer et murmurer de leurs vertus pour y trouver à redire, ce serait là oit il y aurait du mal. « De les regarder afin de les imiter et en tirer de lédification, or cela est autre chose ; si vous regardez leurs vertus avec une grande charité pour les imiter, vous ferez bien. Les vertus de Dieu, en tant que 3 Dieu, sont si excellentes, que pour satisfaire à notre faiblesse il sest voulu faire homme pour nous montrer lexemple de ce que nous devons faire, afin que nous le puissions imiter. Cest une bonne chose de regarder et se représenter les exemples des Saints afin de les imiter, et surtout du Roi des Saints, Notre-Seigneur et Rédempteur. Il est écrit que saint Antoine passa toute lannée de son noviciat à considérer les vertus de ses Frères et, comme une soigneuse abeille, cueillait sur chaque fleur dicelles le miel qui lui était nécessaire. Lamour de Dieu est inséparable davec lamour du prochain, et il est toujours mieux de regarder les vertus de Notre-Seigneur. » « Monseigneur, » lui dit-on, « il y a des filles qui samusent tant à regarder les vertus des Supérieures quelles sont toujours après à les louer et applaudir. » « Quoi, » dit-il, « fait-on cela céans? » « Oui, Monseigneur, il y en a trois ou quatre qui font cela coutumièrement 4.» « Ma fille, vous ne devez pas souffrir cela. Quand les inférieures connaissent que la Supérieure est un peu vaine et quelle se plaît à être louée et aimée, elles la rouent plutôt afin que la Supérieure les
2. examiner par le menu 3. comme 4. ordinairement
aime que non pas pour autre fin; mais si elles voyaient que la Supérieure rechignât et fît mauvaise mine quand elles la louent, elles ne seraient pas si promptes à le faire. » « Que faut-il donc faire, Monseigneur, quand on nous loue ? » « Il sen faut aller à Dieu et les laisser là ; mais pour les inférieures, quand la Supérieure loue quelques bonnes actions quelles ont faites, il ne faut pas quelles sen aillent, il est quelquefois nécessaire de le faire ; mais pour les Supérieures, elles ne doivent pas permettre cela en façon quelconque. Mais il ne sen faut pas étonner, parce que là où il y a amas de filles, il y a aussi amas de louanges et flatteries. » « Vous demandez si ce nest pas une grande faiblesse de désirer les charges et de se mettre en peine quand on ne nous en donne point ? De les désirer, cela est bien mal, comme aussi de sen mettre en peine ; cest une faiblesse que damuser son esprit à cela, surtout quand elles sont honorables. Nous sommes si aises davoir quelque charge pour surexceller par dessus les 5 autres, comme dêtre Supérieure ou Assistante, afin de faire voir là son bel esprit, car ma Soeur ordonne et dispose si bien !nous sommes si aises de faire voir que nous savons fort bien ordonner. » « Mais, » dit-on, « si jétais Supérieure, je pratiquerais tant la vertu, lhumilité, la charité. » « Oui, ma Soeur, notre amour-propre aime tant que lon voie la beauté de notre esprit: Ma Soeur est si douce quand elle est élevée par dessus les 6 autres et que personne ne lui dit rien
5. exceller au-dessus des 6. au-dessus des
tout le monde remarque sa vertu. Il ny a nul doute que lon ne nourrisse bien son amour-propre là-dedans. Le désir des charges est fort commun, mais il ny a point de mal quand il est hors de notre volonté : il se faut moquer de tout cela. Ce nest pas en Religion que lon doit chercher et désirer les charges honorables ; les mondains et ceux qui sont à la Cour ne font autre chose que de courir après les dignités et prééminences, aussi la Cour nest faite que pour cela mais quand cela arrive en Religion, cest signe 7 que lon nest pas encore bien dénué ni mortifié. « Il faut bien prendre garde quil y a des âmes qui ont si grand peur que le désir des charges entre en leur esprit, quelles sont toujours en appréhension et inquiétude, et nont jamais lesprit tranquille ni reposé ; car pendant quelles samusent à lappréhension, elles tiennent leur coeur ouvert, et le diable y jette par ce moyen la tentation dedans. Elles ressemblent à ceux qui ont peur des larrons : ils sortent dehors et laissent la porte ouverte, et ce pendant 8 les larrons entrent et font ce quils veulent. Il ne se faut pas mettre en peine quand nous sentirons des désirs en nous ; tant que nous vivrons, notre nature nous les produira. Il ne faut non plus craindre quil nous en vienne, pourvu que nous tenions toujours notre volonté supérieure ferme en Dieu et au lieu de nous amuser à de vaines craintes, il nous faut tenir notre coeur en Dieu et nous unir à lui: car enfin il ne faut rien désirer ni rien refuser, mais se laisser entre les bras de la
7. preuve 8. pendant ce temps
Providence divine, sans samuser à aucun désir, sinon en ce que Dieu veut faire de nous. Saint Paul pratiqua excellemment cet abandonnement 9 au même instant de sa conversion; quand Notre-Seigneur leut aveuglé, il dit tout promptement: Seigneur, que vous plaît-il que je fasse a ? et demeura indifférent à tout ce que Dieu ordonnerait de lui. Toute notre perfection dépend de ce point. « Il ne faut donc pas désirer les charges honorables, cela empêche grandement lunion de notre âme avec Dieu qui se plaît en la bassesse et humilité. » « Monseigneur, ce nest pas seulement des charges honorables, mais de toutes autres. » « Saint Paul nous défend de désirer des charges relevées et des prééminences. De désirer les basses, cela est encore passable ; néanmoins ce désir est suspect, car saint Paul écrivant à un sien disciple lui défend entre autres choses de ne point occuper son coeur à aucun vain désir b, tant il avait de connaissance de ce défaut, et que cela retarde notre avancement. » « Vous demandez si on ne peut pas désirer des charges basses, parce quelles sont pénibles, et semble quil y ait plus à faire pour Dieu et plus de mérite que de demeurer en sa cellule. » « Oui, ma fille, car David disait c quil aimait mieux être abject en la maison du Seigneur que dêtre grand parmi les pécheurs, et disait : Il est bon, Seigneur, que vous mayez humilié, afin dapprendre vos justifications d . Or néanmoins, ce désir
a. Act., IX, 6. b. II Tim., n, 22. e. Ps. LXXXIII, 11. d. Ps. CXVIII, 71. 9. abandon
est fort suspect, comme pouvant être une cogitation 10 humaine. Que savez-vous si après avoir désiré ces charges basses et humbles vous aurez la force dagréer les abjections et humiliations qui sy rencontreront ? il vous pourrait venir beaucoup de dégoût et damertume de lhumiliation. Que si peut-être vous vous sentez la force de souffrir la mortification et humiliation, vous ne savez si vous laurez toujours. Il faut tenir le désir des charges, tant des unes que des autres, honorables et abjectes, pour tentation ; car il est toujours mieux de ne rien désirer, mais de se tenir prête pour faire lobéissance. Il vaut mieux être en sa cellule par obéissance, faisant un petit ouvrage, ou lisant, ou faisant que sais-je moi quoi ; et si on le fait avec plus damour que celle qui est à la cuisine, qui a beaucoup de peine et se brûle les yeux, si elle le fait avec moins damour, lautre a plus de mérite : car ce nest pas par la multiplicité de nos oeuvres que nous plaisons à Dieu, mais par lamour avec lequel nous les faisons. « Et ne faut point faire ces jugements, où il y a plus de mérite; pour nous autres il ny faut point regarder, et je naime point cela de vouloir toujours regarder au mérite, car les Filles de Sainte-Marie ne doivent faire leurs actions que pour la plus grande gloire de Dieu. Si nous pouvions servir Dieu sans mériter, ce qui ne se peut, nous devrions désirer de le faire. Il est à craindre quen voulant choisir où il y a plus de mérite, nous ne donnions le change à notre esprit. Cest
10. pensée
une façon de parler des chasseurs, que quand les chiens ont le sentiment diverti 11 et rempli de divers goûts, ils perdent facilement la mutte 12 » « Ce nest pas cela que je veux dire, Monseigneur, de regarder où il y a plus de mérite, mais seulement parce quaux charges pénibles il semble quil y ait plus à faire pour Dieu que dêtre en sa cellule. » « Ce nest pas par la grandeur de nos actions que nous plaisons à Dieu, comme jai déjà dit, mais par lamour avec lequel nous les faisons ; car une Soeur qui sera en sa cellule, ne faisant quun petit ouvrage, méritera plus qu?une autre qui aura bien de la peine, si elle le fait avec moins damour. Cest lamour qui donne la perfection et le prix à nos oeuvres. Je vous dis bien plus : voilà une personne qui souffre le martyre pour Dieu avec une once damour, elle mérite beaucoup, car on ne saurait donner davantage que sa vie ; mais une autre personne qui ne souffrira quune chiquenaude avec deux onces damour aura beaucoup plus de mérite, parce que cest la charité et lamour qui donne le prix à tout. Vous savez que la contemplation est meilleure que laction et vie active ; mais si en la vie active il sy trouve plus dunion, elle est meilleure. Que si une Soeur étant en la cuisine, tenant la poêle sur le feu, a plus damour et de charité que lautre, le feu matériel ne le lui ôtera point, au contraire, il lui aidera à être plus agréable à Dieu. Il arrive assez souvent quon est aussi uni à Dieu par laction que dans la solitude; mais enfin je reviens toujours: où il y a plus damour, il y a plus de perfection.
11. détourné 12. meule
« Cest le meilleur de ne rien désirer et ne rien refuser. Tous ces désirs mie proviennent que de la nature et ne servent que dinquiétude aux esprits et à contenter notre amour-propre, sous le prétexte de faire beaucoup pour Dieu. Que si vous êtes bien aise, par lâcheté de courage, de coudre en votre cellule afin de navoir pas tant de peine, ce désir na pas une bonne fin. Il ne faut pas désirer sa cellule quand on ny peut pas être, mais faire ce que lon fait pour Dieu, et retrancher de son esprit tous ces désirs. O mon Dieu, quand sera-ce que nos Soeurs nauront plus tant de désirs, et quelles -samuseront à faire et à ne rien vouloir que ce que Dieu veut, la volonté duquel nous est signifiée par nos Règles et Supérieurs! « Vous demandez si quand on ne se sent pas la force de faire une charge avec douceur desprit, parce que lon y a beaucoup de répugnance, sil faudrait le dire à la Supérieure, ou laccepter tout simplement ? Oh ! non, ma chère fille, il ne le faut pas dire, car cela serait contraire à la simplicité. Je ne dis pas quabsolument lon nen parle point, mais quil est plus parfait de nen rien dire et se mettre en lexercice. Il est dangereux que lamour-propre nous le fasse dire, de crainte que nous avons de ne la pas bien faire, pour nous excuser quand nous viendrons à y manquer, afin que lon en soit averti; cela est bien dangereux et suspect. Bien que nous le fassions sous prétexte dhumilité, il ne lest nullement ; au contraire, cela est contre lhumilité. Si lon me donnait des charges honorables ou abjectes, je les prendrais et les recevrais avec humilité sans en dire un seul mot, ni nen parlerais en façon quelconque, sinon que lon men interrogeât ; car alors je dirais simplement la vérité, comme je me sentirais, sans autre chose. « Mais vous demandez sil ne faut pas dire les mouvements de son coeur en rendant compte à la Supérieure. Or, la reddition de compte cest autre chose. Oui, il les faut dire tout simplement; mais pour toutes ces petites choses qui passent par lesprit sans sy arrêter, je trouverais meilleur que lon passât tout cela entre Dieu et soi, parce quil nest pas digne dattention. Mais si cela sarrête en lesprit et quil nous fasse faire quelque faute, cest cela quil faut dire. Si chacun voulait choisir en Religion les charges à sa fantaisie, que serait-ce sinon faire chacun sa volonté? Que nous doit-il importer davoir de la peine aux charges, puisquelles nous sont imposées par nos Supérieures qui nous représentent Dieu ? David disait e : Jai été fait comme une bête de charge pour porter les commandements du Seigneur; en quoi il nous fait bien voir la soumission que nous devons toujours avoir en tout ce qui nous est ordonné de Dieu et de nos Supérieurs. « Vous demandez si les désirs, quoique involontaires, ne nous retardent pas beaucoup en la perfection ? Oh ! non, ma chère fille, notre nature nous les produira toujours; les désirs, pensées et mouvements involontaires ne nous peuvent point nuire en la perfection. Nous le voyons bien en saint Paul, lequel étant tenté de
e. Ps. LXXII, 23.
laiguillon de la chair, ce mouvement le pressant fort, il demanda par trois fois à Dieu den être délivré; et lors il ouït Notre-Seigneur qui lui dit : « Paul, ma grâce le suffit, la vertu se perfectionne en linfirmité f ; et lors il demeura tranquille et paisible en sa peine et tentation. Que nous doit-il soucier 13 si nous sentons de la peine, pourvu que nous fassions notre devoir? Laissons aboyer ce mâtin contre la lune, il ne nous peut rien faire si nous ne voulons. Notre-Seigneur nous en a voulu donner lexemple au jardin des Olives, voulant sentir des mouvements contraires à sa partie supérieure; bien que sa volonté fût conforme à celle de son Père éternel, il ne laissait pas de ressentir 14 Mais il y a cette différence entre Notre-Seigneur et nous, que volontairement il voulait ressentir pour lamour de nous, sen pouvant exempter en tant que Dieu; mais nous ne le pouvons, encore quil soit contraire à notre volonté. « Vois demandez sil ne serait pas mieux de se divertir simplement, que de contester avec son esprit et sopiniâtrer à vouloir rejeter la tentation. Qui en doute, ma chère fille, quil ne vaille mieux parler à Notre-Seigneur en se divertissant simplement, que de disputer et sopiniâtrer avec le diable ? La simplicité est toujours préférable en tout. Par exemple : si le désir me venait dêtre Pape et que la papauté moccupât lesprit, je ne ferais que men rire et me divertirais en pensant quil fait bon en la vie éternelle, que Dieu est
f. II Cor., XII, 7-9.
13. importer 14. sentir
aimable, que ceux qui sont au Ciel sont heureux de jouir de lui ; et ainsi faisant, je me divertirais généreusement et noblement, car lorsque le diable me mettrait dans lesprit le désir de la papauté, je parlerais à Dieu de sa Bonté, et choses semblables. « Vous demandez sil ne faudrait point recevoir de scrupule quand on naurait point fait attention un jour ou deux à la rejeter, étant ainsi occupée en Dieu, sans faire attention à sen divertir ? Qui en doute, ma chère fille, quil ne soit mieux de se tenir ainsi en la présence de Dieu, plutôt que de tant fléchir et réfléchir sur ce qui se passe dedans nous et autour de nous ? Vous demandez si on se sentait un grand scrupule, ne pouvant accoiser 15 son esprit, à cause que ces désirs et -tentations ont tant duré, si on sen pourrait confesser? Vous le pouvez si vous voulez, et dire : Je maccuse davoir eu deux ou trois jours une tentation de vanité que je suis en doute de navoir pas rejetée. » « Vous dites, Monseigneur, quil ne faut rien désirer; mais ne faut-il pas désirer lamour de Dieu et lhumilité ? car Notre-Seigneur a dit : « Demandez et il vous sera donné, heurtez et il vous sera ouvert g .» « O ma fille, quand je dis quil ne faut rien désirer ni demander, jentends pour les choses de la terre, car pour ce qui est des vertus nous les pouvons demander. Quand nous demandons lamour de Dieu et la charité nous y comprenons lhumilité et toutes les vertus,
g. Matt., VII, 7 ; Luc., XI, 9.
15. tranquilliser
car elles ne sont point séparées les unes des autres. » Lon demande si une Novice, dabord quelle entre dans la Maison se jetait dans cette indifférence de ne rien désirer ni refuser, sil ny aurait point à craindre que ce fût plutôt par lâcheté et négligence desprit quautrement, et si elle ne ferait pas mieux de sadonner à lhumilité et autres vertus qui lui sont nécessaires ? « Oh ! non, ma chère fille, si elle était conduite par ce chemin il ny aurait rien à craindre, car ne désirant que lamour de Dieu elle pratiquerait toutes les vertus et tout ce qui est nécessaire pour plaire à Dieu car lamour de Dieu surpasse toutes les vertus. Plût à Dieu quil y en eût plusieurs qui fussent conduites par cette voie, car nayant rien dans lesprit que ce seul désir de plaire à Dieu, elles feraient toutes choses avec perfection, sans se mettre -en peine dé ce quon penserait delles. » Lon demande si ce nest pas une marque que nous suivons notre sentiment 16 de laisser de se mettre proche dune Soeur à la récréation, quand elle nous a avertie. « Ce serait apertement 17 nourrir son sentiment que de le faire. Pour les larmes, il y a des naturels qui ne sen peuvent pas empêcher, et nous sommes quelquefois si aises de pleurer, surtout quand on nous change de Supérieure, pour montrer que ma Soeur une telle nest pas dénaturée 18 et quelle le ressent bien. Cela fait si grand bien à lamour-propre, afin que lon connaisse que nous leur sommes bien obligées. Enfin ce ne sont que faiblesses de filles. »
16. ressentiment 17. ouvertement 18. insensible
« Vous demandez comme il faut faire pour se bien confesser. Que voulez-vous que je vous die ? Vous le savez déjà tant; mais jaime bien pourtant que lon me fasse ces demandes ici, La Confession est une chose grandement importante; trois choses y sont nécessaires. La première, dy aller purement pour sunir à Dieu par le moyen de la grâce que lon reçoit en ce Sacrement. Les Religieux ont en cela un grand avantage par dessus les mondains, étant hors des occasions de ces grandes désunions, parce quil ny a que le péché mortel qui nous désunisse de Dieu. Les péchés véniels ne nous en désunissent pas, ains ils font une petite ouverture entre Dieu et lâme ; et par la vertu de ce Sacrement, nous réunissons notre âme à Dieu et la remettons en son premier état. « La seconde et troisième condition, cest dy aller purement et charitablement; au lieu de faire cela, lon y porte bien souvent des âmes toutes embrouillées et embarrassées, qui fait quelles ne savent pas bonnement ce quelles veulent dire : ce qui est de grande importance, car elles mettent en peine les confesseurs parce quils ne les peuvent pas entendre, ni comprendre ce quelles veulent dire, et au lieu de se confesser de leurs péchés, elles pèchent pour lordinaire en se confessant. Il se commet en confession quatre grands manquements : le premier, cest dy aller pour se décharger et soulager, plutôt que pour plaire à Dieu et sunir à lui. Il nous semble que nous avons lesprit si content quand nous nous sommes bien déchargés, et pensons que cela suffit, comme si notre paix et repos dépendait de cela. En ces décharges 19 qui tirent à la longue devant le confesseur, il est dangereux que nous ne mêlions les défauts des autres avec les nôtres, ce quil ne faut point faire. Cest ici où il est dangereux de faillir et où les péchés se commettent pour lordinaire en confession. « Le deuxième manquement, cest quils vont dire de beaux discours et agencements de belles paroles, racontent de grandes histoires pour se faire estimer, faisant semblant dexagérer leurs fautes par leurs beaux discours, et dune grosse faute ou dun gros péché, ils le diront en telle sorte quil semblera bien petit ; et faisant ainsi, ils ne donnent pas connaissance au confesseur de létat de leur âme. « Le troisième manquement, cest quils y vont avec tant de finesse et de couverture 20», quau lieu de saccuser ils sexcusent par une grande recherche deux-mêmes, craignant quon ne voie leurs fautes: cela est très pernicieux 21, qui le voudrait faire volontairement. « Le quatrième manquement, cest quil y en a qui se satisfont à exagérer leurs fautes, et dune petite faute ils en font une très grande. Lun et lautre de ces manquements est très grand. Je voudrais que lon die simplement et franchement les choses comme elles sont. Il faut aller à la Confession purement pour nous unir à Dieu, avec une vraie détestation de ses péchés et une volonté ferme et entière de samender, moyennant sa grâce. »
19. action de se décharger 20. mots couverts 21. pour celui
Lon demande si les Soeurs doivent discerner les petites obéissances davec les grandes et si on doit saccuser en ces termes : Mon Père, je maccuse de quoi jai fait une désobéissance en chose dimportance, ou en chose légère, ou sil faut dire la chose tout simplement comme elle est ; et si lon doit discerner les obéissances de la Règle et des Constitutions, parce quil y en a qui nous sont conseillées seulement, et dautres qui nous sont commandées absolument. « Ma fille, votre demande est de très grande importance ; les confessions doivent être tellement nettes et entières que rien plus 22, je nai jamais approuvé quon y fût avec un esprit embrouillé ; il faut dire les choses comme elles sont. Vous mettez les confesseurs en peine, ils ne vous entendent pas, et pensent que les petites fautes soient quelques grandes choses. Si votre désobéissance est grande en elle-même, dites-la comme elle est, tout simplement. Pour ce qui regarde les petits manquements, cest autre chose, car disant au confesseur : Je maccuse de quoi jai manqué à deux obéissances légères et de peu dimportance, cela le tient en repos, sachant que ce nest pas grande chose. « Il faut bien considérer les circonstances de tant de petits manquements, car la Règle et les Constitutions nobligent nullement à péché delles-mêmes : ce nest donc pas la Règle ni les Constitutions qui font le péché, mais les circonstances et les mouvements qui, en toute autre occurrence, le causeraient. Comme par exemple : la cloche nous appelle le matin, qui est la voix de Dieu,
22. quon ne puisse exiger rien de plus
et je demeure un quart dheure après quelle aura sonné ; qui ne voit quen cela ce nest pas la Règle ni les Constitutions qui nous font faire le péché (car cest un péché véniel, cela), mais le mouvement de paresse par lequel nous désobéissons ? Et pour la Règle, ma fille, il ny a nul doute que les fautes que lon fait contre ne soient plus grandes que celles que lon fait contre les Constitutions; car les Règles sont les fondements de la Religion, et les Constitutions ne sont que des marques et des traces pour nous faire mieux observer la Règle. Et pour les choses qui nous sont conseillées ès Règles et Constitutions il nest point besoin de sen confesser, car il ny a point de péché ; mais pourtant, la circonstance pourrait être telle en chose de conseil quelle serait péché, comme le mépris et autre chose. Le mépris nous fait faire beaucoup de mal. « Dites-vous, ma fille, si à la récréation on a suivi quelque passion et fait quelque chose en suite dicelle, comme de contester en quelque chose légère et de récréation, sans sen apercevoir quaprès que cela est fait, sil y a matière de confession ? Oh! non, ma fille, il ny en a point en ce qui se fait par surprise et simple récréation mais si vous ne vous soumettez pas intérieurement, il sen faut confesser. Aux manquements qui se font contre la Règle par surprise, il ny a point de péché, non plus quen ceux qui se font par surprise de nos passions. Il ny a que la volonté déterminée qui fasse le péché. » Lon demande si, en lexamen, il ne faut pas distinguer les péchés véniels davec les imperfections. « Il ny a point de doute, ma chère fille, quil ne soit très bon de le faire pour ceux qui le savent. Mais de deux cents il ny en a pas deux qui le sachent faire, les plus saints mêmes y sont bien empêchés 23 ce qui est cause quon apporte de grands embarras et un amas dimperfections en la confession, sans distinguer nullement le péché davec limperfection ; cela met bien souvent les confesseurs en peine, car il faut quils distinguent pour voir sil y a péché, et par conséquent matière dabsolution. Je vous dirai sur ce sujet ce qui marriva un jour en confessant la bienheureuse Soeur Marie de lIncarnation étant dans le monde. Après lavoir confessée deux ou trois fois, elle saccusa à moi de plusieurs imperfections ; et ayant tout dit, je lui dis que je ne lui pouvais pas donner labsolution parce quen ce dont elle saccusait il ny avait pas matière dabsolution : ce qui létonna grandement, parce quelle navait jamais fait cette distinction du péché davec limperfection. Voyant cela, je lui fis ajouter un péché quelle avait fait autrefois, ce que vous faites vous autres. Elle me remercia de la connaissance que je lui avais donnée de ce que jusques alors elle avait ignoré. Vous voyez donc combien cela est difficile, car bien que cette âme fût fort éclairée, elle était néanmoins demeurée si longtemps en cette ignorance. Il nest pas néanmoins nécessaire de faire ce discernement quand on ne le sait pas faire, puisque cette grande servante de Dieu ne laissait pas dêtre sainte. Il est toutefois bon de le faire quand on le peut.
23. embarrassés
« Vous demandez que cest que péché véniel et imperfection. Le péché véniel dépend de notre volonté, et où il ny a point de volonté il ny a point de péché. Par exemple : si je venais céans demander la Supérieure, et que je lui dise que je la viens voir de la part de la Princesse qui la salue, et chose semblable, et que de tout cela il nen fût rien, et que seulement jeusse fait cet agencement en mon esprit, cela nest pas de grande importance; mais je laurais fait volontairement, cest cela qui fait le péché véniel. Et limperfection est quand nous faisons quelque faute par surprise, sans volonté délibérée ; comme par exemple, si je fais un conte à la récréation, et que dans mon discours 24 il sy glisse quelques paroles qui ne soient pas du tout 25 véritables, ne men apercevant point quaprès quil serait fait, cela nest point péché, mais imperfection, et nai nullement besoin de men confesser. Toutefois, nayant rien autre on le pourrait faire ; mais il faut toujours dire un péché que lon a fait au monde, parce que vous nauriez pas matière dabsolution. » Lon demande « si, sachant véritablement que lon a des péchés véniels, lon peut sapprocher de la sainte Communion sans se confesser; parce que, Monseigneur, vous avez dit quils font une petite séparation entre Dieu et lâme. » Il répond « O Jésus, oui, ma fille, sinon que par humilité vous vous en voulussiez priver. » « Ne pourrait-on pas demander de se confesser hors de la Communauté ? » « Si cest un jour que la Communauté se doive confesser, vous le pouvez
24. récit 25. tout à fait
demander; si on ne vous le permet pas, demeurez en paix, sinon que votre conscience vous remorde trop 26: alors vous vous en pouvez priver avec congé. Mais je napprouve point que lon se confesse outre les jours que 27 la Communauté le fait, parce que cela ne peut donner que des soupçons aux autres que lon n fait quelque grande chose. » Une Soeur réplique s si ayant lu quelque chose dutile pour une Soeur qui aurait fait quelque manquement de quoi notre lecture traiterait, et que lon dît sa lecture pour lamour delle, sil y aurait du mal à le faire ? » « Si vous le faisiez par un grand zèle de profiter à cette Soeur-là, il ny aurait point de mal. Nous devons aider notre prochain en tout ce qui nous est possible, et même les avertissements sont ordonnés pour cela céans. Il me souvient à ce propos dArsénius, lequel commettait cette petite immodestie que vous savez ; et de vrai 28, la douceur avec laquelle ces saints Pères le reprirent est admirable, et fait bien voir comme lon doit faire la correction doucement, particulièrement aux vieilles personnes. « Si une Soeur ne samende point de témoigner son aversion, elle perd le mérite et la suavité de la bonne conversation, et elle ne rend pas son devoir à la Communauté. « Vous demandez ce quil faut faire quand la Supérieure dit quelque chose que lon na pas fait. » « A cela je vous réponds, ma chère fille, quil faut faire deux pratiques de vertu. Quand
26. cause trop de remords 27. en dehors des fours où 28. à la vérité
la Supérieure dit: Dites-moi, ma Soeur, vous avez fait une telle chose ? Si vous ne lavez pas fait, il faut répondre simplement et humblement la vérité ; si elle vous réitère que vous lavez fait, faites deux actes, lun de soumission et lautre dabjection, parce que lon croit que vous avez manqué. » Lon demande « si lon doit sempresser de faire prendre quelque chose à la Supérieure quand on pense quelle en a besoin, ou bien si on doit se tenir en repos, pensant quelle a assez lesprit de la Règle pour demander ce quelle 29 aura besoin et nécessité. » « A cela je réponds, ma chère fille, quil y a deux sortes de Supérieures : les unes qui sont grandement rigides et austères pour elles-mêmes, et pour celles-ci il ne faut pas attendre quelles le demandent, mais les prévenir quelquefois avec discrétion. Mais je vous dirai bien que les Supérieures se sentent obligées à une sainte austérité en lobservance de la Règle ; cela les rend plus retenues. Les autres sont trop tendres et trop libres 30, et prennent fort volontiers leurs soulagements ; pour celles-ci il ne les faut point presser, il suffit bien quon leur donne ce quelles demandent. Je vous dirai quentre tous les Saints qui sont au Ciel il y en a bien peu qui aient toujours donné droit au blanc des vertus; les uns ont excédé du côté de laustérité, il y en a bien peu qui se soient tenus invariablement dans les bornes de la sainte médiocrité. Ainsi il y a bien peu de Supérieures qui se tiennent si justes dans ce milieu; les unes sont trop rigides et les autres trop flexibles.
29. ce dont elle 30. prennent trop de liberté
« Jai remarqué en toutes nos Maisons, que nos Filles ne font point de différence entre Dieu et le sentiment de Dieu, entre la foi et le sentiment de la foi; ce qui est un très grand défaut et une. ignorance. Il leur semble que quand elles ne sentent pas Dieu, elles ne sont pas en sa présence. Comme par exemple, une personne ira souffrir le martyre pour Dieu, et néanmoins elle ne pensera pas en lui pendant ce temps-là, sinon en sa peine; et quoiquelle nait point le sentiment de la foi, elle ne laisse pas de mériter en faveur de sa première résolution et fait un acte de grand amour. « Nous navons rien à désirer que lunion de notre âme avec Dieu. Vous êtes bien heureuses vous autres dêtre en Religion; vos Règles et tous vos exercices vous portent continuellement à cela, vous navez quà faire, sans vous amuser aux désirs. »
Comme il vit les flambeaux allumés pour le reconduire, il dit avec étonnement à ses gens « Hé! que voulez-vous faire, vous autres? je passerais bien ici toute la nuit sans y penser. Il sen faut donc aller; voici lobéissance qui mappelle. A Dieu, mes chères Filles; je vous emporte toutes dans mon coeur, et je vous le laisse pour gage de mon amitié. » Lors notre Mère le supplia très humblement de nous dire ce quil désirait qui nous demeurât plus avant gravé en lesprit. Il répondit: « Que voulez-vous que je vous die, ma chère fille? je vous ai tout dit en ces deux paroles : Ne désirez rien et ne refusez rien ; je ne sais que vous dire autre 31. Voyez-vous le petit Jésus dans la crèche ? il reçoit toutes les injures du temps, le froid et tout ce que son Père éternel permet lui arriver 32. Il ne refuse point les petits soulagements que sa Mère lui donne, il n'est pas écrit qu'il étendit jamais ses mains pour avoir les mamelles de sa Mère, mais laissait tout cela à son soin et pré- voyance. Ainsi, nous ne devons rien désirer ni rien refuser, souffrant tout ce que Dieu nous envoiera 33, le froid et les injures du temps. » On lui demanda s'il ne se fallait point chauffer ; il répondit: « Quand le feu est fait, l'on voit bien que c'est l'intention de l'obéissance que l'on se chauffe, pourvu que ce ne soit pas avec tant et de si grands empressements. »
31. d'autre 32 qu'il lui arrive . 33. enverra
|