XXIème ENTRETIEN
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VINGT-ET-UNIÈME ENTRETIEN

SUR LE SUJET DE LA PRÉTENTION (1) QUE NOUS DEVONS AVOIR POUR ENTRER EN LA RELIGION (2)

 

La question que notre Mère fait de vous déclarer, mes chères Filles, la prétention que vous devez avoir en entrant en Religion, est bien la plus importante, la plus nécessaire et la plus utile qui se puisse faire.

Plusieurs entrent en Religion, mes chères Filles, qui ne savent pas pourquoi. Elles viendront à une grille ou à un parloir, et elles y verront des Religieuses avec un voile sur la tête, un visage si serein, tenant bonne mine, bien modestes, fort contentes à leur avis, et soudain elles penseront en elles-mêmes : Mon Dieu, qu’il fait bon là, allons-y; aussi bien le monde nous fait mauvaise mine ; nous n’y rencontrons point nos prétentions 3. — Une autre dira : Mon Dieu, que l’on chante bien là-dedans ! cela est si beau de bien chanter! — Elles ont raison d’y venir afin que l’on écoute leur belle voix, car peut-être que si elles étaient chez elles, elles chanteraient en une salle où personne ne les écouterait, et ne prendrait-on point garde si elles chanteraient bien ou non; mais dans un choeur, chacun les entend et les

 

1.but

2. Cet entretien fut fait à Paris, en 1619, comme on peut le voir plus loin, p. 453.

3. ce que nous prétendons

 

remarque, ce leur semble. — Les autres viennent en Religion pour y rencontrer et y trouver une grande paix, des consolations et toutes sortes de contentement et douceurs intérieures, disant en elles-mêmes : Mon Dieu, que les Religieuses sont heureuses ! elles sont hors du bruit de père et de mère qui ne font autre chose que de crier; on ne saurait rien faire qui les contente, c’est toujours à recommencer avec eux. Notre-Seigneur promet à ceux qui quittent le monde pour son service beaucoup de consolations; allons donc en Religion.

Voilà, mes très chères Filles, trois sortes de prétentions qui ne valent rien pour entrer en la Religion qui est la maison de Dieu. Il faut nécessairement que ce soit Dieu qui bâtisse la ville ou cité a, ou autrement, bien qu’elle fut bâtie, il la faudrait ruiner. Je veux croire, mes chères Filles, que vos prétentions sont tout autres, et partant que vous avez toutes bon coeur, et Dieu vous bénira.

Il me vient en l’esprit deux similitudes pour vous donner à entendre sur quoi et comment votre prétention doit être fondée pour être solide, mais je me contenterai de vous en expliquer une qui me suffira. Posez le cas qu’un architecte veuille bâtir une maison ; il fait deux choses:

premièrement, il considère si son bâtiment doit servir pour quelque particulier, ou bien pour un prince ou un roi, à cause qu’il faut qu’il y procède de différente manière ; puis il calcule à loisir si ses moyens sont bâtants 4 pour cela, car s’il se

 

a. Ps. CXXVI, 1.

4. suffisants

 

voulait mêler de bâtir une haute tour et qu’il n’eût pas de quoi fournir à la dépense, on se moquerait de lui d’avoir commencé une chose de laquelle il ne pourrait pas sortir à son honneur b; puis il faut qu’il se résolve de faire ruiner le vieil 5 bâtiment qui est en la place de celui qu’il veut édifier de nouveau.

Nous voulons faire un grand bâtiment, mes chères Filles, qui est d’édifier et loger Dieu chez nous et nous rendre son temple vivant, et partant, considérons bien mûrement si nous avons suffisamment du courage et de la résolution pour nous ruiner nous-mêmes et nous crucifier, où plutôt, pour permettre à Dieu même de nous ruiner et crucifier, afin qu’il nous réédifie pour être le temple vivant de sa divine Majesté c . Je dis donc, mes chères Filles, que notre unique prétention doit être de nous unir à Dieu comme Jésus-Christ Notre-Seigneur s’est uni à Dieu son Père, qui a été en mourant sur la croix; car je n’entends pas vous parler de cette union générale qui se fait par le Baptême, où les chrétiens s’unissent à Dieu en prenant ce divin caractère du christianisme, qui les oblige à garder les Commandements de Dieu et de l’Eglise, à s’exercer aux bonnes oeuvres, pratiquer les vertus de foi, espérance et charité qui rendent leur union valable, et peuvent prétendre justement au Paradis, où ils s’uniront à la souveraine Bonté comme à leur Dieu par les moyens susdits. Ils ne sont pas obligés à davantage 6, d’autant qu’ils ont atteint leur but, qui

 

b. Luc., XIV, 28-30,— c. I Cor., 111,16,17; Ephes., II, 21,22.

5. vieux — 6. faire davantage

 

est de s’unir avec Dieu par la voie générale et spacieuse des Commandements de Dieu bien observés.

Mais quant à vous, mes chères Filles, il n’en va pas ainsi; car outre cette commune obligation que nous avons en tant que chrétiens, Dieu vous ayant choisies pour être ses épouses, il faut savoir comment, les conditions nécessaires pour être Religieuse et que c’est qu’être Religieuse. C’est être reliée à Dieu par la continuelle mortification de nous-mêmes, et ne vivre que pour Dieu : notre propre coeur servant toujours à sa Majesté, nos yeux, notre langue, nos mains et tout le reste, continuellement, sans aucune réserve. La Religion nous fournit des moyens tous propres à cet effet, qui sont l’oraison, les lectures, silence, retraite intérieure, par des élévations continuelles à Notre-Seigneur; et parce que nous ne saurions arriver à cela que par une continuelle pratique de mortification de toutes nos passions, inclinations, humeurs et aversions, nous sommes obligés de veiller continuellement sur nous-mêmes afin de faire mourir tout cela. Sachez, mes Filles, que si le grain de froment tombant en terre ne meurt, il demeurera tout seul ; mais s’il pourrit, il rapportera au centuple d; la très sainte parole de Notre-Seigneur y est toute claire, l’ayant prononcée de sa propre bouche. Par conséquent, vous qui prétendez à l’habit, et vous autres qui êtes déjà coiffées, mes chères Filles, qui prétendez à la sainte Profession, regardez bien plus d’une fois si vous avez assez de résolution pour mourir

 

d. Joan,, XII, 24, 25.

 

à vous-mêmes. Pesez bien le tout; le temps est encore assez long pour y penser avant que vos voiles soient teints en noir; car je- vous déclare que qui veut vivre selon la nature (je ne vous veux point flatter) il faut qu’il demeure au monde, et ceux qui sont déterminés de vivre selon la grâce, qu’ils viennent demeurer en la Religion, laquelle n’est autre chose qu’une école de la mortification et de l’abnégation de soi-même. C’est pour cela qu’elle vous fournit de plusieurs outils de mortification, tant intérieurs qu’extérieurs.

Mais, mon Dieu ! ce me direz-vous, ce n’est pas cela que je cherche ; je pensais qu’il suffisait pour être bonne Religieuse d’avoir désir de bien faire l’oraison, avoir des visions et révélations, voir des Anges en forme humaine, être ravie en extase, aimer bien la lecture des bons livres. Quoi ? j’étais si vertueuse, si mortifiée au monde, et si humble que chacun m’admirait. N’était-ce pas être bien humble et vertueuse que de parler si doucement à ses compagnes des choses de dévotion, raconter les sermons, et étant chez soi, traiter doucement avec ceux du logis, surtout quand ils ne nous contredisaient point ? — Certes, mes Filles, cela était bon pour le monde, mais la Religion veut que l’on fasse des oeuvres dignes de sa vocation e. c’est-à-dire, mourir à soi-même en toutes choses, tant à ce qui est bon à notre avis, qu’aux choses mauvaises et inutiles. Pensez-vous que ces bons Religieux du désert, qui sont parvenus à une si grande union avec Dieu, y soient

 

e. Ephes., IV, 1.

7. dans le — 8. fournit

 

arrivés en suivant leurs inclinations ? Certes, nenni; ils se sont mortifiés aux choses les plus saintes, et bien qu’ils eussent grand goût à chanter les divins cantiques, ils ne le faisaient pas pour se contenter eux-mêmes. Nullement; au contraire, ils se privaient volontairement de ces plaisirs, quoique bons et licites, pour s’adonner à des oeuvres de travail et de peine.

Oh! non, ma chère fille, quand votre Règle dit que l’on demandera les livres à l’heure assignée, elle n’entend pas que l’on demande ceux qui nous contentent le plus pour cela; nullement, ce n’est point son intention, ni moins des autres exercices. Une Soeur se sentira, ce lui semble, fort attirée à faire l’oraison, à dire l’Office, à être en retraite, et on lui dit: Ma Soeur, allez à la cuisine, ou bien à faire telle ou telle chose. Ne vous semble-t-il pas que ce soit une mauvaise nouvelle pour une fille bien dévote?

Je reviens toujours, mes chères Filles, à ce que nous avons déjà souventes fois dit: il faut mourir afin que Dieu vive en vous  f car il est impossible d’acquérir l’union de notre âme avec Dieu par aucun autre moyen que par la mortification. Ces paroles sont dures : Il faut mourir, mais elles sont suivies d’une grande douceur: c’est afin d’être unies à Dieu par cette mort. Vous devez savoir que nulle personne sage ne met point le vin nouveau dans un vaisseau vieil g ; la liqueur du divin amour ne peut entrer où le vieil Adam règne, il faut de nécessité le détruire. — Mais comment me détruire? — Comment, ma chère fille? par

 

f. Galat., II, 20. — g. Matt., IX, 17.

 

l’observance ponctuelle de vos Constitutions. Je vous puis assurer de la part de Dieu que si vous êtes fidèles à faire ce qu’elles vous enseignent, vous parviendrez sans doute au but que vous devez prétendre, qui est de vous unir à Dieu. Remarquez que je dis qu’il faut faire, car on n’acquiert pas la perfection en croisant les bras; il faut travailler à bon escient à se dompter soi-même et à vivre selon la raison, la Règle et l’obéissance, et non pas selon les inclinations que nous avons apportées du monde. La Religion tolère bien que vous apportiez vos mauvaises habitudes, passions et inclinations, mais non pas que vous viviez selon icelles. Elle vous donne des Règles pour servir à vos coeurs de pressoirs, pour en faire sortir tout ce qui est contraire à Dieu : vivez donc courageusement selon icelles et vous serez bienheureuses.

Mais, me dira quelqu’une, mon Dieu! comment ferai-je ? car je n’ai point l’esprit de la Règle. — Certes, ma chère fille, facilement je vous crois, d’autant que c’est chose qui ne s’apporte point du monde à la Religion. Et je vous dirai bien plus: étant dans 9 Paris où toutes choses se trouvent plus qu’en nulle ville du monde, et principalement étant au Palais, j’ai pris garde que l’on y vendait des gants lavés 10, des panaches, des étuis et autres gentillesses ; mais je n’ai point vu vendre d’esprit de la Règle, tant de celle d’ici que des autres Religions. C’est pour vous dire, mes chères Filles, que l’esprit de la Règle ne s’acquiert qu’en pratiquant fidèlement la Règle. Je vous en dis de

 

9. à — 10. gants musqués

 

même de la sainte humilité et douceur, qui sont les fondements de cette Congrégation : Dieu nous les donnera infailliblement, pourvu que nous ayons bon coeœur 11 et fassions notre possible pour les acquérir. Bienheureuses serions-nous, si un quart d’heure avant que de 12 mourir nous nous trouvions revêtues de cette robe composée de ces deux vertus! Toute notre vie sera bien employée si nous l’occupons à y coudre tantôt une pièce et tantôt une autre; car ce saint habit ne se fait pas avec une pièce seule, il est requis qu’il y en ait plusieurs, c’est-à-dire, plusieurs actes de ces vertus réitérés.

Vous me dites, ma Mère, que nos Soeurs ont bonne volonté, mais que la force leur manque pour faire ce qu’elles voudraient, et qu’elles ressentent à 13 leurs passions si fortes qu’elles craignent bien de commencer à marcher. — Oh! courage, mes chères Filles ! Je vous ai dit plusieurs fois que la Religion est une école où l’on apprend sa leçon : le maître ne requiert pas toujours que l’écolier sache sa leçon sans faillir, il suffit qu’il ait attention de faire son possible pour l’apprendre. Faisons ainsi ce que nous pourrons, Dieu se contentera et nos Supérieurs aussi. N’avez-vous point vu ceux qui apprennent à tirer des armes ? ils tombent souvent, et de même en font ceux qui apprennent à monter à cheval : mais ils ne se tiennent pas pourtant pour vaincus, car autre chose est d’être quelquefois abattus, et autre chose d’être vaincus, Vos passions quelquefois vous font tête, et pour cela vous direz: Je ne suis

 

11. courage — 12. avant de — 13. sentent

 

pas propre 14 pour la Religion parce que j’ai des passions. — Non, mes chères Filles, il n’en va pas ainsi. La Religion ne fait pas grand triomphe de façonner un esprit doux et une âme tranquille en soi-même, mais elle estime grandement de réduire à la vertu les âmes fortes en leurs inclinations ; car ces âmes-là, si elles sont fidèles, elles passeront les autres, acquérant par la pointe de l’épée ce que les autres ont sans peine.

On ne requiert pas de vous que vous n’ayez point de passions; il n’est pas en votre pouvoir, et Dieu veut que vous les sentiez jusques à la mort pour votre plus grand mérite; ni même il ne veut pas qu’elles soient peu fortes, car ce serait dire qu’une âme mal habituée 15 ne peut être propre pour le service de Dieu. Le monde se trompe en cette pensée, car Dieu ne rejette rien où la malice ne se rencontre point; car, dites-moi je vous prie, que peut mais une âme de ce qu’elle est de telle ou de telle température 16, ou sujette à telle ou telle passion ? Le tout gît donc aux actes que nous faisons par ce mouvement, lequel dépend de notre volonté, le péché étant si volontaire que sans notre consentement il n’y a point de péché. Posez le cas que la colère me surprenne. Je lui dirai : Tourne, retourne, crève si tu veux; si ne ferai-je rien en ta faveur, non pas seulement prononcer une parole selon ton mouvement. Dieu nous a laissé ce pouvoir ; autrement, en nous demandant la perfection, ce serait nous obliger à chose impossible, et partant

 

14. apte, faite — 15. qui a de mauvaises habitudes — 16. tempérament

 

 

injustice, laquelle ne se peut rencontrer en Dieu. A ce propos il me vient en pensée de vous

raconter une petite histoire qui vous est propre 17. Lorsque Moïse descendit de la montagne en laquelle il venait de parler à Dieu, il vit le peuple qui adorait un veau d’or qu’ils avaient fait durant son absence. Epris 18 d’une juste colère et du zèle de la gloire de Dieu, il dit à son frère Aaron en se tournant du côté des Lévites: S’il y a quelqu’un qui tienne le parti de Dieu, qu’il prenne l’épée en main pour tuer tout ce qui se présentera à lui, sans épargner ni père, ni mère, ni frères, ni soeurs; qu’il mette tout à mort. Les Lévites donc prirent l’épée en main et le plus brave était celui qui en tua le plus h. De même, mes chères Filles, prenez l’épée de la mortification en main pour tuer et anéantir vos passions, et celle qui en aura le plus à tuer sera la plus vaillante, pourvu qu’elle veuille coopérer à la grâce. Ces deux jeunes âmes que voici devant moi, dont l’une n’a que quinze ans et l’autre seize, elles ont peu à tuer; aussi leurs esprits ne sont pas quasi nés; mais ces grandes âmes qui ont expérimenté plusieurs choses et ont goûté des douceurs du Paradis, c’est à elles à qui appartient de bien tuer et vaincre leurs passions.

Pour celles que vous dites, ma Mère, qui ont de si grands désirs de leur perfection qu’elles veulent passer 19 toutes les autres en vertu, elles font bien de consoler, par ces véhéments désirs, un peu leur amour-propre, mais elles feront

 

h. Exod., XXXII, 26-28.

17. vous convient — 18. saisi — 19. outrepasser

 

prou de suivre la Communauté en bien gardant les Règles, car c’est la droite voie pour arriver à Dieu. Vous êtes bien heureuses, mes chères Filles, plus que nous autres qui  sommes au monde; lorsque nous demandons le chemin, l’un nous dit: C’est à droite, et l’autre: C’est à gauche, et enfin, le plus souvent on nous trompe; mais vous autres, vous n’avez à faire qu’à vous laisser porter. Vous ressemblez à ceux qui navigent 20 sur mer: la barque les porte, et ils demeurent là-dedans sans soin 21 en se reposant ils marchent, et n’ont que faire de s’enquérir s’ils sont bien en leur chemin. Cela est du devoir des nautonniers qui, voyant toujours la belle étoile, savent qu’ils sont en bonne voie et disent aux autres qui sont en la barque: Courage, vous êtes en bon chemin.

Suivez sans crainte cette belle étoile et boussole divine, mes chères Filles, car c’est Notre-Seigneur la barque, ce sont vos Règles; ceux qui la conduisent et qui en sont les nautonniers sont les Supérieurs, qui pour l’ordinaire et assez souvent disent: Marchez, mes chères Soeurs, par l’observance ponctuelle de vos Règles et Constitutions, et vous arriverez heureusement à Dieu ; elles vous conduiront sûrement. Mais remarquez que je vous dis: Marchez par l’observance ponctuelle et fidèle, car qui négligera sa voie sera tué, dit Salomon i.

Si vous faites ce qui vous est enseigné, mes chères Filles, vous serez très heureuses, vous vivrez contentes, et expérimenterez dès ce monde

 

i. Prov., XIX, 16.

20. naviguent — 21. souci

 

les faveurs du Paradis, au moins par-petits échantillons. Mais prenez garde que s’il vous vient 22 quelque goût intérieur et caresse de Notre-Seigneur de ne vous y pas attacher; c’est comme un peu d’anis confit que l’apothicaire 23 céleste met sur la portion amère de la mortification qu’il faut que vous avaliez pour votre santé; et bien que le malade prenne de la main de l’apothicaire ces grains sucrés, il faut par nécessité qu’il ressente par après les amertumes de la purgation.

Vous voyez donc bien clairement quelle est la prétention que vous devez avoir pour être dignes épouses de Notre-Seigneur, et pour vous rendre capables de l’épouser sur le mont de Calvaire. Vivez donc toute votre vie et formez toutes vos actions selon icelles, et Dieu vous bénira. Tout notre bonheur consiste en la persévérance, c’est pourquoi je vous y exhorte, mes très chères Filles, de tout mon coeur, et prie la divine Bonté qu’il vous comble de ses grâces et de son divin amour en ce monde, et nous fasse assurer 24 de sa gloire en l’autre. Amen.

 

Ma Mère, j’ai déjà répondu ailleurs à votre demande; à savoir mon 25, si l’on doit demander congé de communier ou faire des mortifications plus que la Communauté. Si j’étais Religieuse, je pense que je ne demanderais point du tout de singularités : ni à communier, ni à porter la haire, le cilice, la ceinture et faire des jeûnes extraordinaires, la discipline ni aucune autre

 

22. arrive — 23. pharmacien — 24. nous donne l’assurance — 25. à savoir

 

chose, me contentant en tout de suivre la Communauté. Si j’étais robuste, je ne mangerais pas quatre fois le jour; mais si l’on me le faisait faire, je le ferais et je ne dirais rien. Si au contraire j’étais débile et que l’on ne me fît manger qu’une fois le jour, je ne mangerais qu’une fois le jour, sans m’amuser à penser si je serais débile ou fort. Je veux peu de chose; ce que je veux, je le veux pour Dieu ; je n’ai presque point de désirs, mais si j’étais à renaître je n’en aurais ou n’en voudrais point avoir du tout. Si Dieu venait à moi pour me favoriser du sentiment de sa présence, j’irais aussi à lui pour l’accepter et correspondre à sa grâce ; mais s’il ne voulait pas venir à moi, je me tiendrais là et n’irais pas à lui : je veux dire, je ne rechercherais pas d’avoir ce sentiment de sa présence, ains me contenterais de la simple appréhension 26 de la foi.

 

DIEU SOIT BÉNI! 27

 

 

26. action de saisir par l’esprit

27. Le « vingt-uniesme Entretien, Sur le document de ne rien demander, ne rien refuser », est un texte composé de fragments du dernier Entretien fait à Lyon en 1622, et de deux Sermons. Nous le supprimons donc ici, et nous  donnons ci-après, p. 463, le texte authentique de l’Entretien.

 

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