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DIX-SEPTIÈME ENTRETIENFAIT SUR DIVERSES QUESTIONS
[DES AVERSIONS]
Je suis toujours prêt sans préparation; mais avant toute chose il faut faire le signe dé la Croix. Avant que 1 proposer les questions qui me sont faites, il me prend opinion de dire une chose, laquelle marrive assez souvent, qui est quen mes sermons je touche toujours quelque particulier en la répréhension que je fais des vices, sans pourtant que jaie nul dessein de le faire. Je préviens donc lopinion que pourraient avoir nos Soeurs, que je parle pour quelquune en particulier, touchant quelque défaut quelles auront peut-être commis; car bien que mon intention ne soit point telle, je serai pourtant bien aise de le faire : et cest ainsi que je maccuse. Les philosophes, et particulièrement le grand Epictète, mettent une grande différence entre un barbier et un chirurgien, bien que maintenant ce soit presque une même chose. Ils font cette différence touchant labord de leurs boutiques; car, disent-ils, si vous eussiez approché celle dun barbier, vous eussiez eu un plaisir grand, dautant quil y avait toujours un petit enfant qui jouait du flageolet; et outre cela, le barbier parfumait tellement sa boutique que ce nétait que parfums.
1. de
Mais au contraire, celle du chirurgien était puante, et ny voyait-on que des onguents et emplâtres; et outre cela, on entendait ordinairement des pauvres gens qui criaient: Holà, que me faites-vous? Mon Dieu, que de douleurs! dautant que lon faisait aux uns des incisions, lon raccommodait les ruptures des autres, lon appliquait le feu au troisième, enfin tout cela leur causait des grandes douleurs; car chacun sait que lon ne peut remettre les os qui sont disloqués et hors de leur place sans faire dire holà au pauvre malade. Mais le barbier ne fait point de mal quand il coupe la barbe, dautant quelle nest point sensible. Je fais quelquefois le barbier et dautres fois le chirurgien, mes Filles. Ne voyez-vous pas que quand je prêche au choeur je ne fais point de mal? car je ne touche pas ordinairement les défauts particuliers avec tant de familiarité comme je fais en nos conférences particulières, à cause des séculiers qui nous entendent. Je ne jette que des parfums, je ne parle que des vertus et de choses récréatives et propres à consoler nos âmes; je joue un peu du flageolet, parlant des louanges que nous devons rendre à Dieu. Mais en nos entretiens familiers, je viens en qualité de chirurgien, napportant que des cataplasmes et des emplâtres pour appliquer sur les plaies de mes chères Filles ; et bien quelles crient un peu holà, je ne laisse pourtant pas de presser un peu ma main sur la plaie afin de mieux faire tenir lemplâtre, et par ce moyen les guérir et rendre fort saines. Si je fais quelque incision, ce ne sera pas sans quelles en ressentent 2 de la douleur; mais je ne men mettrai pas en peine, puisque je ne suis ici que pour cela. Voilà donc, mes chères Filles, comme je dresse mes excuses envers celles que je pourrais toucher, les assurant que, sil marrive de le faire, je le ferai de tout mon coeur. Or sus, voyons voir 3 quelle est la première demande qui mest faite. Cest que nos Soeurs se confessent aucunes fois de certaines choses que les confesseurs nentendent pas, comme peut-être des aversions; et quel remède il y a à cela ? Il est vrai, il y a des confesseurs qui nentendent nullement que cest quaversion, et si on ne leur explique, ils pensent que ce soient des malveillances ; ce qui nest pourtant pas, ainsi que je dirai tantôt. Il se rencontre des hommes qui sont fort doctes et qui auront confessé trente ans les séculiers, qui nentendront pas les Filles de Sainte Marie de la Visitation en ce qui est de la confession; non plus que les personnes qui, hors de la Visitation, font profession dêtre fort spirituelles; car ce sont des choses si minces et si délicates quil ny a que les vrais spirituels qui les entendent bien. Mais que faut-il faire ? Je trouve quil est très bon que les Supérieures instruisent les confesseurs quelles douteront 4 nêtre pas capables de les bien entendre; au 5 défaut de quoi il faut que les filles, lesquelles saperçoivent que le confesseur se méprend, prenant opinion que cette aversion dont elles saccusent soit une haine ou malveillance (ce quelles peuvent facilement connaître par la répréhension quil leur
2. éprouvent 3. voyons 4. craindront 5. à
fait), quelles se fassent mieux entendre et quelles lui disent librement: Mon Père, ce nest pas cela, il me semble que vous ne mentendez pas; cest une telle chose. Et par après, elles peuvent bien dire à la Supérieure que le confesseur ne les entend pas, dautant que ce nest point laccuser daucune imperfection, non pas même dignorance; puisquil se peut bien faire que le confesseur, extrêmement docte, ne sera pas néanmoins capable de les entendre en ces choses si délicates et qui regardent plutôt limperfection que le péché. Cela marriva une fois confessant une personne : elle saccusa dune chose que je nentendais pas bien, dautant que je ne pouvais croire quen une Maison de si grande perfection il se commît un tel défaut. Je lui dis tout librement que je ne lentendais pas et que je la priais de me mieux expliquer ce dont elle saccusait; ce quelle fit, et je trouvais que ce nétait rien. Oh! certes, je désirerais que nos Soeurs eussent un grand soin de se confesser fort clairement et simplement, afin de ne point mettre les confesseurs en ces peines. La Supérieure doit, avec humilité, instruire les confesseurs de la qualité des fautes que les Soeurs commettent en ces aversions. Ce sont de certaines inclinations qui sont naturelles aucunes fois, et lesquelles font que nous avons un certain petit contre-coeur à labord 6 de ceux envers qui nous les avons; elles font que nous naimons pas leur conversation, sentend que nous ny prenons pas du plaisir comme nous ferions à celle de ceux avec lesquels nous avons une
6. à la première rencontre
inclination douce qui nous les fait aimer dun amour sensible, parce quil y a une certaine alliance et correspondance entre notre esprit et le leur. Or, pour montrer que ceci est naturel, daimer les uns par inclination et non pas les autres, les philosophes avancent cette proposition, disant que si deux hommes entrent dans un tripot où deux autres jouent à la paume, dabord ceux qui entrent auront de linclination que lun gagne plutôt que lautre. Et doù vient cela, puisquils ne les avaient jamais vus ni lun ni lautre, ni nen avaient jamais ouï parler? ils ne savent point si lun est plus vertueux que lautre; néanmoins, cela arrive ordinairement. Il faut donc confesser que cette inclination daimer les uns plus que les autres est naturelle; et lon le voit même aux bêtes, lesquelles nont point de raison: elles ont de laversion naturellement et de linclination naturellement. Faites-en lexpérience en un petit agnelet 7 qui ne vient que de naître: montrez-lui la peau dun loup; quoiquil soit mort, il se mettra à fuir et se cachera sous les flancs de sa mère, il bêlera et ny aura sorte de tintamarre quil ne fasse pour éviter la rencontre de ce loup. Mais montrez-lui un cheval, qui est une bien plus grosse bête; il ne sen épouvantera nullement, il jouera avec lui. La raison de cela nest autre que le naturel, qui lui donne de lalliance avec lun et de laversion à lautre. Devons-nous faire grand cas des aversions? Non certes, non plus que des inclinations, pourvu que nous soumettions le tout à la raison. Ai-je
7. petit agneau
de laversion à converser avec une personne, laquelle je sais bien être de grande vertu et avec laquelle je puis beaucoup profiter? faut-il que je suive mon inclination qui me fait éviter de la rencontrer? Nullement; il faut que jassujettisse mon aversion à la raison qui me doit faire rechercher sa conversation 8, ou au moins y demeurer avec un esprit de paix et de tranquillité quand je my rencontre. il y a des personnes qui ont si grand peur davoir de laversion à ceux quils aiment par inclination, quils fuient leur conversation de 9 crainte quils ont de rencontrer quelque défaut qui leur ôte la suavité de leur affection et de leur amitié. Mais ces amours-ci sont appelés amitiés de besace, qui pend toute dun côté. Jai vu un gentilhomme qui était de cette humeur. Nous étions compagnons décole, il maimait beaucoup, et dautant plus quil maimait il fuyait de me rencontrer; de quoi jétais fort étonné, car je ne lui avais jamais fait de déplaisir 10. Enfin nous nous rencontrâmes, et il me raconta librement 11 le dessein quil avait de fuir ma conversation, dautant quil craignait de ne me pouvoir pas tant aimer comme il faisait auparavant, parce, disait-il, que dès quil rencontrait quelque sorte dimperfection ou défaut en ceux quil aimait, il perdait incontinent les suavités quil avait en son amour, ne fissent-ils que de dire quelque mauvais mot en parlant, ou de commettre la moindre messéance en leur contenance.
8. compagnie 9. par ta 10. peine 11. franchement
Mais quel remède à ces aversions, puisque nul nen peut être exempt; je dis pour parfait quil soit, ou en une chose ou en une autre ? Ceux qui sont dun naturel âpre auront de laversion à celui qui sera fort doux, et estimeront cette douceur une trop grande mollesse ; bien que cette qualité de la douceur soit la plus universellement aimée; néanmoins lon voit des dames qui sont tellement dégoûtées du sucre, que si elles en voient sur quelque fruit, elles laisseront seulement pour cela den manger. Nul nest exempt des aversions tant que lon est en cette vie. Lunique remède à ce mal, comme en toute autre sorte de tentations, cest une simple diversion, je veux dire, ny point penser. Me rencontré-je à faire quelque chose avec une personne à laquelle jai de laversion ? je dois divertir mon esprit de lattention à mon aversion, sans faire semblant de rien. Mais le malheur est que nous voulons trop bien connaître si nous avons raison ou non de lui avoir de laversion. Oh! jamais il ne faut samuser à cette recherche, car notre amour-propre, qui ne meurt jamais, nous dorera si bien la pilule quil nous fera croire quelle est bonne; je veux dire quil nous fera voir quil est vrai que nous avons certaines raisons lesquelles nous sembleront bonnes ; et puis celles-là étant approuvées de notre propre jugement et ayant lapprobation de lamour-propre, il ny aura plus moyen de nous empêcher de les trouver justes et raisonnables. Oh certes, il faut bien prendre garde à ceci; je métends un peu à en parler parce quil est dimportance 12 Nous navons jamais nulle raison davoir de laversion, beaucoup moins de la vouloir nourrir. Quand ce sont des simples aversions naturelles il nen faut faire nul état, ains sen divertir sans faire semblant de rien, trompant ainsi notre esprit. Mais quand lon voit que le naturel passe plus outre et nous veut faire départir de la soumission que nous devons à la raison, alors [il nous faut recourir à celle-ci qui] ne permet de rien faire en faveur de nos aversions, non plus que de nos inclinations si elles sont mauvaises, de crainte doffenser Dieu. Or, quand nous ne faisons rien autre en faveur de nos aversions que de parler un peu moins agréablement que nous ne ferions à une personne pour laquelle nous aurions de grands sentiments daffection, ce nest pas grande chose, ains il nest presque pas en notre pouvoir de faire autrement quand nous sommes en lémotion de cette passion; lon aurait tort de requérir cela de nous. Cest bien assez pour ce point. Passons à la seconde question, qui est sil est loisible à une Soeur de se plaindre un peu quelquefois à quelque Soeur de quoi la Supérieure ou la Maîtresse des Novices, ou bien une Soeur laurait fâchée, ou ne laurait pas bien satisfaite en quelque occasion, et sil ne vaudrait pas bien mieux faire ces plaintes au confesseur ou Père spirituel, si cest la Supérieure, ou à la Supérieure, si cest la Maîtresse ou une Soeur qui nous a fâchée, que non pas de nous adresser à quelque Soeur particulière? O mon Dieu, se plaindre est chose bien
12. important
dangereuse, car, comme nous avons dit en lIntroduction, « pour lordinaire, qui se plaint pèche. » La première façon de se plaindre à une Soeur et parler de limperfection de celle qui ne nous a pas satisfaite, est tout à fait mauvaise ; la seconde, de le faire aux Supérieurs, est tolérable aux imparfaits. Mais nous autres, oh! je voudrais bien que nous ne fussions pas si tendres que de nous vouloir plaindre pour la moindre insatisfaction 13 que nous recevons du prochain, lequel na peut-être nulle intention de nous fâcher. Il ne faut pas dire grande chose sur ce sujet, car il suffit que nous sachions que, sans marchander, il sen faut amender, étant une chose dassez grande importance. La troisième demande est: Comme lon se doit comporter en la réception des livres que lon nous donne à lire ? Car la Supérieure baillera à lire un livre de lImitation de Notre-Dame à une Soeur qui naimera point à le lire, ou bien les Mortifications dArias, ou tel autre livre qui parle fort bien des vertus; et parce quelle ne laime pas, elle ne fera point de profit de sa lecture, ains elle le lira avec une négligence desprit et un ennui qui lui ôtera tout le goût et le plaisir quil y a à lire. Et la raison de ceci est quelle dit quelle sait déjà sur le bout du doigt ce qui est compris dedans ce livre, et de plus, quelle aurait plus de désir quon lui donnât à lire lAmour de Dieu, ou bien les livres qui en parlent. Je trouve quelle na pas tort daimer plus lamour de Dieu que non pas tous les livres ensemble,
13. mécontentement
car certes, lamour de Dieu doit être préféré à toute autre chose. Mais parlant selon lintention de la Soeur qui propose cette question, nous dirons que cest une imperfection que de vouloir choisir ou désirer un aube livre que celui quon nous donne; cest une marque que nous lisons plutôt pour satisfaire la curiosité de lesprit, que non pas pour profiter de notre lecture. Lesprit a une curiosité aussi bien que le corps et les yeux ; si nous lisons pour profiter et non pas pour nous contenter, nous serons également satisfaits dun livre comme dun autre; au moins accepterions-nous de bon coeur tous ceux que nos Supérieurs nous donneraient. Je dis bien plus, car je vous assure que nous prendrions plaisir à ne jamais lire quun même livre, pourvu quil fût bon et quil parlât de Dieu; quand il ny aurait que ce seul nom de Dieu, nous serions contents, puisque nous y trouverions toujours assez de besogne à faire après lavoir lu et relu plusieurs fois. De vouloir lire pour contenter notre curiosité, cest une marque que nous avons encore lesprit un peu léger, et qui ne samuse pas à faire le bien quil a appris en ces petits livres de la pratique des vertus; car ils parlent fort bien de lhumilité et de la mortification, que lon ne pratique pourtant pas lorsquon ne les accepte de bon coeur. De dire: Parce que je ne laime pas, je nen ferai point de profit, ce nest pas une bonne conséquence, non plus que de dire : Parce que je le sais tout par coeur, je ne saurais prendre plaisir à le lire, ni ne le saurais lire de bon coeur. Tout cela sont des enfances ; il faut être plus généreuses que cela. Vous donne-t-on un livre que vous savez déjà tout ou presque tout par coeur? bénissez-en Dieu, dautant que vous comprendrez plus facilement sa doctrine. Si lon vous donne un livre que vous avez déjà lu plusieurs fois, humiliez-vous, et vous assurez que cest Dieu qui le veut ainsi afin que vous vous amusiez plus à faire quà apprendre, et que sa volonté vous le donne pour la seconde et troisième fois parce que vous navez pas fait votre profit de la première lecture. Je vous ai dit dautres fois quun Religieux ayant demandé le moyen quil tiendrait pour devenir bien docte, saint Thomas dAquin lui répondit quil ne lût quun livre. Or, le mal doù procède tout ceci, est que nous cherchons toujours notre propre satisfaction et non pas notre plus grande perfection. Si de hasard 14 lon n égard à notre infirmité, et que la Supérieure nous mette au choix du livre que nous voudrions, alors nous le pouvons choisir avec simplicité selon notre désir; mais hors de là, il faut demeurer toujours humblement soumises à tout ce que nos Supérieurs nous ordonnent, soit quil soit à notre goût ou non, sans jamais témoigner les sentiments que nous pourrions avoir qui seraient contraires à cette soumission ; et alors lon ne dira plus : Je ne saurais prendre plaisir à lire tel livre que la Supérieure ma commandé de lire. Lon demande maintenant sil est loisible de nommer les Soeurs qui nous auraient rapporté quelque chose que la Supérieure ou une Soeur aurait dit à notre désavantage; car, comme on
14. par hasard
dit tout à la Supérieure, il se peut faire quelle demandera le nom de la Soeur qui nous a fait ce rapport: vous êtes en doute sil faut que vous lui disiez qui elle est. A cela je vous dis que non, et quelle ne vous le doit pas demander, parce que ce rapport est un péché lequel peut être dimportance selon le sujet, et il nous est défendu de révéler le péché secret du prochain; en ce qui nest quimperfection, on le peut, mais en cas de péché il ne le faut pas. Jexcepte néanmoins celles qui ont charge davertir et de surveiller les autres, car elles peuvent bien avertir des choses qui sont en soi péché; mais non pas celles qui nen ont pas la charge.Vous me dites que cela fait grand bien à la Supérieure, pour corriger les Soeurs plus doucement, quon lui nomme les Soeurs qui ont failli. Il vaut mieux que lon ne les nomme pas en choses où il y a du péché, et quelle fasse ses corrections générales ; car bien que toutes ne soient pas coupables, il nest pas mauvais de les avertir toutes, et celles qui seront coupables prendront leur meilleure part de la correction. Ceci est de plus grande importance que lon ne pense. Aller dire à une Soeur que la Supérieure a dit ceci ou cela delle en son absence, cest un péché qui sappelle une sussurration 15. Il faut que je vous apprenne à parler latin : sussurratio en latin veut dire un gazouillement, un petit bruit ou murmure que font ces petits ruisseaux dans lesquels il y a des pierres qui, faisant flotter et ondoyer les eaux, les empêchent de couler sans
15. léger murmure, chuchoterie
bruit, ainsi que font les grands fleuves qui coulent si doucement que lon ne voit presque pas le mouvement perpétuel de ces eaux. Les personnes du monde font du bruit non pas comme des petits ruisseaux, mais comme des torrents fort rapides et qui entraînent après eux tout ce quils rencontrent. Les mondains médisent tout librement, ils crient les péchés et les défauts de leur prochain, ils sèment des dissensions, ils ont des malveillances et des haines mortelles, ils ne prennent nulle garde aux aversions, car ce sont des haines pour eux, et ne cessent d~ contrister ou faire du mal à ceux auxquels ils en ont. Mais les personnes plus spirituelles, leurs aversions ne produisent pas des choses dimportance, elles leur sont plutôt des peines que des péchés; et partant elles méritent plus quelles noffensent. A quel propos, mes chères Filles, irez-vous contrister une pauvre Soeur par cette sussurration que vous faites en lui rapportant que la Supérieure ou une autre a dit quelque chose delle qui la pourra fâcher? Mon Dieu! nous devons avoir plus de zèle de la paix et tranquillité du coeur de nos Soeurs que cela, et plus de soin de couvrir les défauts du prochain. Vous faites deux maux; car outre celui de parler de limperfection qui a été commise, vous ôtez la tranquillité à votre Soeur et, de plus, vous parlez en particulier. Puisque, par la grâce de Dieu, nous nous abstenons bien de ces grands péchés que jai dit qui se commettent au 16 monde, il faut aussi que nous ayons un grand soin de nous abstenir de ceux-ci,
16. dans le
puisquil est à notre pouvoir de ne les pas faire. Votre Soeur fait-elle un péché qui nest pas connu ? faites ce que vous pourrez pour len faire amender, lui faisant la correction fraternelle, ainsi quil est marqué dans les Règles. Mais hors de là, ayez un grand soin de ne le point découvrir, sinon ainsi que vous trouverez dans larticle De la Correction, que vous devez faire; car autrement il y a du péché en le faisant. Nous pouvons bien dire nos péchés véniels haut et clair devant tout le monde, principalement quand cest pour nous humilier; mais nos péchés mortels nous ne le pouvons pas, parce que nous ne sommes pas maîtres de notre réputation : à plus forte raison, sommes-nous obligés de ne pas découvrir ceux du prochain, quand ils sont secrets. Une chose qui est vue par plusieurs, il ny a pas de mal de la dire aux Supérieurs. Par exemple une Soeur vous aura dit des paroles qui témoignent quelle est bien passionnée 17 et quelle a un mouvement dimpatience ; si elle fait cela devant quelque autre Soeur, ce nest pas un secret ni un péché caché, vous le pouvez bien dire à la Supérieure afin quelle essaie de len faire corriger; comme aussi de toutes les autres fautes qui ne sont pas dimportance : des légers murmures, des paroles ou mines froides que lon se fait aucune fois les unes aux autres, des manquements en lobservance des Constitutions et en semblables petites choses ; mais ès grandes, il faut faire ce qui est en larticle De la Correction. La cinquième question dit si nous nous devons
17. se sent très émue
étonner de voir des imperfections entre nous autres, ou bien nous étonner de quoi on les voit aux Supérieurs. Quant au premier point, cest sans doute que nous ne nous devons nullement étonner den voir quelques-unes céans, aussi bien quès autres Maisons religieuses, pour parfaites quelles soient car elles ne le seront jamais tant, non plus que nous autres de la Visitation, que nous nen fassions toujours quelques-unes par ci par là, plus ou moins selon que nous serons exercées. Ce nest pas grande chose que de voir une fille laquelle na rien qui la fâche ou qui lexerce, être bien douce. Quand on me dit: Voilà une telle laquelle on ne voit jamais commettre de défaut 18, je demande incontinent : A-t-elle quelque charge ? Si lon me dit non, je ne fais pas grande merveille de sa perfection ; car, mes chères Soeurs, il y a bien différence entre les vertus de celle-ci, et celles dune autre laquelle sera bien exercée soit extérieurement par les contradictions ou affaires, soit intérieurement par les tentations : car la force de la vertu ne sacquiert jamais au temps de la paix et tandis que nous ne sommes pas exercées par la tentation de son contraire. Oh ! que bien heureuse est celle qui, ayant été fort vaine étant au monde, est toujours fort travaillée de cette tentation étant en Religion ; car, au contraire que cela lui nuise, cela même 19 sera la cause quelle deviendra humble dune humilité vraie et solide. Ceux qui sont fort doux tandis quils nont point de contradictions et nont pas acquis cette vertu lépée au poing, sont voirement 20 fort exemplaires
18. faute 19. cela, loin de lui nuire 20. à la vérité
et de bonne édification ; mais si vous venez à lépreuve, vous les verrez incontinent remuer et témoigner que leur douceur nétait pas une vertu forte et solide, ains une vertu plutôt imaginaire que véritable. Il y a bien de la différence entre la cessation dun vice et avoir la vertu qui lui est contraire. Plusieurs qui semblent être fort vertueux, nont pourtant point les vertus, parce quils ne les ont pas acquises en travaillant. Bien souvent il arrive que nos passions dorment ou demeurent assoupies, et si pendant ce temps-là nous ne faisons provision de forces pour les combattre et leur résister, quand elles viendront à se réveiller nous serons vaincus au combat. Il faut toujours demeurer humbles et ne pas croire que nous ayons les vertus, encore que nous ny fassions pas (au moins que nous connaissions) des fautes qui leur sont contraires. Je voudrais bien que les Soeurs du voile blanc ne prissent point garde aux fautes des autres, mais quelles missent tant de soin à regarder celles qui sont en elles, quelles neussent pas le temps de voir celles que les professes commettent, au moins pendant le temps de leur noviciat; car après, ou sur la fin dicelui elles seront diverties 21 de voir les leurs, dautant que les corrections venant à cesser, les passions sendormiront. Et puis, elles ne feront pas de grandes fautes, et par conséquent se rendront si attentives à Dieu quelles seront moins capables de voir celles des Soeurs professes quelles jugeront être bien exercées ; par ce moyen, elles auront plus de
21. empêchées
compassion des défaillantes que non pas détonnement de les voir faillir; ains elles les estimeront grandement bonnes, voyant que nonobstant quelles-mêmes aient été si imparfaites, les professes nont pas laissé de leur désirer le bonheur de faire la sainte Profession et de vivre le reste de leurs jours en leur compagnie. Certes, il y a beaucoup de gens qui se trompent en ce quils croient que les personnes qui font profession de la perfection ne devraient jamais broncher en des imperfections, et particulièrement les Religieuses, parce quil leur semble quil ne faut quentrer en Religion pour être parfait, ce qui nest pas; car les Religions ne sont pas pour assembler 22 des personnes parfaites, mais des personnes qui aient le courage de vouloir prétendre à la perfection. La perfection nest autre chose que davoir non seulement la charité, car tous ceux qui sont en grâce lont, mais davoir la ferveur de la charité, laquelle nous fait entre~ prendre non seulement lextirpation des vices qui sont en nous, mais nous fait travailler fidèlement pour acquérir les saintes vertus qui leur sont contraires. Je vous dirai ce qui mest arrivé assez souvent. Je demandais à ces femmes séculières qui viennent céans si elles me diraient la vérité de ce que je voulais leur demander; elles mayant dit quelles le feraient, je menquérais delles ce quil leur semblait des Filles de la Visitation. Incontinent, les unés me répondaient quelles avaient trouvé plus de bien céans quelles ne pensaient pas quil y en eût; et je bénissais
22. réunit
Dieu de cela. Les autres, à qui je faisais la même demande, me répondaient quil y avait bien différence de lire la Règle et de la voir pratiquer, parce que la Règle nest que miel et sucre, cest la douceur et perfection même, mais que lon ne laissait pas de voir céans quelques imperfections qui étaient commises par les Soeurs; de quoi, certes, je me moquais tout bonnement de voir quelles pensaient que, parce que les Règles sont si parfaites, il ne se dût point commettre dimperfections. Mais que faut-il faire quand on voit de limperfection aux Supérieures aussi bien quaux autres ? ne sen faut-il pas étonner? car lon ne met pas des Supérieures imparfaites, dites-vous. Hélas! mes chères Filles, si lon ne voulait mettre des Supérieurs ou Supérieures qui ne fussent parfaits, il faudrait prier Dieu quil lui plût nous envoyer des Saints ou des Anges pour lêtre, car des hommes nous nen trouverons point. Lon cherche vraiment quils ne soient pas de mauvais exemple, mais de navoir point dimperfections lon ny prend pas garde, pourvu quils aient les conditions de lesprit qui sont nécessaires; dautant quil sen trouverait bien de plus parfaits, qui ne seraient pas tant capables dêtre Supérieurs. Dites-moi, mes chères Filles, Notre-Seigneur ne nous a-t-il pas montré lui-même quil ny fallait pas prendre garde, en lélection quil fit de saint Pierre pour le rendre Supérieur de tous les Apôtres ? car chacun sait que saint Pierre était le plus imparfait de tous les autres, et il le montra bien, voire même après quil fut mis en cette charge si remarquable. Quelle faute ne fit-il pas en la Mort et Passion de son Maître, samusant à parler avec une chambrière n, et reniant si malheureusement son cher Seigneur qui lui avait fait tant de bien; il fit le bravache, et puis enfin il prit la fuite. Mais outre cela, dès quil fut confirmé en grâce par la réception du Saint-Esprit, encore fit-il une faute de telle importance, que saint Paul, écrivant aux Galates a, leur mande quil a résisté en face à saint Pierre parce quil était répréhensible, Et puis nous autres, nous nous étonnerons que nos Supérieurs fassent des fautes, après avoir vu saint Pierre être répréhensible, voire même après avoir reçu le Saint-Esprit? Et non seulement saint Pierre, mais encore saint Paul et saint Barnabé, lesquels eurent une petite dispute ensemble, parce que saint Barnabé voulait mener avec ceux qui allaient prêcher lEvangile Jean-Marc, qui était son cousin. Saint Paul était dopinion contraire, ne voulant pas quil allât avec eux; et saint Barnabé, ne voulant pas céder à la volonté de saint Paul, ils se séparèrent et allèrent prêcher lun en une contrée et lautre avec son cousin en une autre b Notre-Seigneur tira du bien de leur dispute ; car au lieu quils neussent prêché quen un endroit de la terre, ils jetèrent la semence du saint Evangile en divers lieux. Ne pensons pas, tant que nous serons en cette vie, de pouvoir vivre sans commettre des imperfections, voire des péchés véniels, car il ne se peut,
a. Cap. II, 11. b. Act., XV, 37-41.
23. servante
soit que nous soyons supérieurs ou inférieurs, puisque nous sommes tous hommes, et par conséquent avons tous besoin de cette assurance, afin que nous ne nous étonnions pas de nous y voir sujets. Notre-Seigneur nous a ordonné de dire tous les jours ces paroles qui sont au Pater: Pardonnez-nous nos offenses c; il ny a point dexception en cette ordonnance, parce que nous avons tous besoin de le faire. Ce nest pas une bonne conséquence de dire : Un tel est Supérieur, donc il nest point colère ni na point dautres imperfections ; non plus que de dire: Un tel est Evêque, donc il ne dit pas de mensonge ni na point de vanité. Vous vous étonnez, peut-être, de quoi venant à parler à la Supérieure elle vous dit quelque parole moins douce quà lordinaire, parce quelle a peut-être la tête toute pleine de soucis et affaires; votre amour-propre sen va tout troublé, au lieu de penser que Dieu a permis cette petite sécheresse à la Supérieure pour mortifier votre amour-propre, qui recherchait que la Supérieure vous caressât un peu, recevant aimablement ce que vous lui vouliez dire. Mais enfin, il nous fâche bien de rencontrer la mortification où nous ne la cherchons pas. Hélas ! il sen faut aller, priant Dieu pour la Supérieure, ou le bénissant de cette bien aimée contradiction. Mais en un mot, mes chères Filles, ressouvenons-nous de ces paroles du grand Apôtre saint Paul: La charité ne cherche point le mal d; il ne dit pas quelle ne voit point le mal, mais quelle ne le
[ Appendice
Venant à parler à la Supérieure elle vous dit: Aïe! parce quelle a peut-être la tête toute pleine de marteaux, de pierres, de chaux, par le soin quelle prend de faire avancer les bâtiments ; mais ce mot quelle vous dit, signifie-t-il autre sinon: Que ne me laissez-vous en paix, jai assez dautres choses à penser ! Elle ne dit pas tant de choses, mais elle nen pense pas moins, ce semble à votre amour-propre, qui sen va tout troublé, faisant ce beau discours en soi-même : Mon Dieu, quelle Supérieure ! avoir si peu de vertu quelle ne puisse souffrir quon lui parle. O Dieu, au lieu de faire ce discours, vous feriez bien mieux de faire considération 2 ce que votre amour-propre recherchait, qui était que la Supérieure vous appelât ma chère fille, et quelle vous caressât un peu, recevant amiablement ce que vous lui veniez dire.
2. de penser à, de considérer ]
c. Matt., VI, 12. d. I Cor., XIII, 5.
cherche pas; cest-à-dire que, pour peu quil y ait du doute que ce quelle voit ne soit pas le mal même, elle ne pénètre point plus avant, ains croit tout simplement quil ny avait point de mal; voulant dire que dès quelle le voit, elle sen détourne, sans y penser ni samuser à le considérer. Vous me dites si la Supérieure ne doit point témoigner de répugnance que les Soeurs voient ses défauts, et que cest quelle doit dire quand une fille se vient accuser tout simplement à elle de quelque jugement ou pensée qui la marque dimperfection; comme serait si quelquune avait pensé que la Supérieure aurait fait une correction avec passion, ce quelle doit faire en cette occasion ? Cest de shumilier et de recourir à lamour de son abjection. Mais si la Soeur était un peu troublée en le disant, la Supérieure devrait ne faire semblant de rien et détourner ce propos, mais cacher néanmoins labjection dans son coeur; car il faut bien prendre garde aux détours de notre amour-propre, pour nous faire perdre loccasion de voir que nous sommes imparfaits et de nous humilier. Si bien lon retranche lacte dhumilité extérieur, crainte de fâcher la pauvre Soeur qui lest déjà assez davoir eu cette pensée, il ne faut pas laisser de le faire intérieurement. Mais si, au contraire, la Soeur nétait point troublée en saccusant, je trouverais bien bon que la Supérieure avouât librement quelle a failli, sil est vrai; car si le jugement est faux, il est bon quelle le dise avec humilité, réservant toujours néanmoins
24. aimablement
précieusement labjection qui lui en revient de quoi on la juge défaillante. Voyez-vous, cette petite vertu de lamour de notre abjection ne doit jamais séloigner de notre coeur dun pas, parce que nous en avons besoin à toute heure, pour avancés que nous soyons à la perfection, dautant, comme nous avons dit, que nos passions renaissent, voire quelquefois après avoir vécu longuement en la Religion et après avoir fait un grand progrès en la perfection; ainsi quil se vit en un Religieux de saint Pacôme, nommé Sylvain, lequel étant au monde était un bateleur et comédien de profession. Sétant converti et fait Religieux, il passa lannée de sa probation, voire plusieurs autres après, avec une mortification fort exemplaire, sans que lon le vit jamais faire aucun acte de son premier métier. Vingt ans après, il pensa quil pouvait bien faire quelques badineries sous le prétexte de récréer les Frères, cuidant 25 que ses passions fussent déjà tellement mortifiées quelles neussent pas assez de pouvoir pour le faire passer au-delà dune simple récréation. Mais le pauvre homme fut bien trompé, car la passion de la joie ressuscita tellement, quaprès les badineries il parvint aux dissolutions, de sorte que lon se résolut de le chasser du Monastère; ce quon eût fait sans un des frères Religieux, lequel se rendit pleige 26 pour Sylvain, promettant quil samenderait, ce qui arriva, et fut depuis un grand Saint. Voilà donc, mes chères Soeurs, comme il ne se faut jamais oublier 27 de ce que nous avons été, afin que nous ne devenions pires,
25. pensant, croyant 26. caution 27. perdre le souvenir
et ne pas penser que nous soyons parfaits quand nous ne commettons pas beaucoup de lourdes fautes. Il faut aussi prendre bien garde de ne nous pas étonner si nous avons des passions, car nous nen serons jamais exempts tandis que nous serons en cette vie ; ces ermites qui voulurent dire le contraire furent censurés par le sacré Concile, et leur opinion condamnée et tenue pour une erreur. Nous ferons donc toujours quelques fautes, mais il faut faire en sorte quelles soient rares et quil ne sen voie que deux en cinquante ans, ainsi quil ne sen vit que deux en autant de temps que vécurent les Apôtres après quils eurent reçu le Saint-Esprit. Encore quil sen verrait trois ou quatre, voire sept ou huit en une si grande suite dannées, il ne sen faudrait pas fâcher ni perdre courage, ains prendre haleine et se fortifier pour mieux faire. Disons encore ce mot pour la Supérieure. Comme les Soeurs ne doivent pas sétonner de quoi la Supérieure commet des imperfections, ou bien la Maîtresse des Novices (puisque saint Pierre, tout Pasteur quil était de la sainte Eglise et Supérieur universel de tous les chrétiens, tomba bien en défaut et tel quil en mérita la correction, ainsi que dit saint Paul e), de même elles ne doivent pas témoigner de létonnement que lon voie leurs défauts, et que ceux de la Directrice soient remarqués par les Novices et ceux de la Supérieure par toutes les Soeurs; mais lune et lautre doivent observer la douceur et lhumilité avec laquelle
e. Ubi supra, p. 363.
saint Pierre reçut la correction que lui fit saint Paul, nonobstant quil fût son Supérieur. Lon ne sait ce qui est plus considérable, ou la force du courage de saint Paul à le reprendre, ou bien lhumilité avec laquelle il se soumit à la correction qui lui était faite, voire pour une chose en laquelle il pensait bien faire et avait une fort bonne intention. Passons outre. Vous demandez sil arrivait quune Supérieure eût tant dinclination de complaire aux personnes séculières, sous le prétexte de leur profiter, quelle en laissât le soin particulier quelle doit avoir des filles qui sont en sa charge, ou bien quelle neût pas assez de temps pour faire ce qui est des affaires de la Maison à cause quelle demeurerait trop longuement au parloir, si elle ne serait pas obligée de retrancher cette affection quelle aurait de complaire aux séculiers, encore que son intention fût bonne ? Je vous dirai à 28 cela que les Supérieures sont de certaines personnes lesquelles sont pour le profit non seulement de ceux de dedans, mais encore de ceux de dehors; il faut quelles soient grandement affables avec les séculiers afin de leur profiter, et doivent de bon coeur leur donner une partie de leur temps. Mais quelle pensez-vous que doit être cette partie ? Ce doit être la douzième, les autres restant pour être employées dans la Maison au soin de leur famille. Les abeilles sortent bien voirement de leur ruche, mais ce nest que par nécessité ou utilité, et demeurent fort peu au dehors 29 et principalement le roi des abeilles, il ne sort que fort rarement, comme
28. sur 29. dehors
quand il se fait un essaim, quil est tout environné de son petit peuple. La Religion, cest-à-dire la Congrégation, est une ruche mystique toute pleine dabeilles célestes, lesquelles sont assemblées pour ménager le miel des saintes vertus, et pour cela, il faut que la Supérieure, qui est entre elles comme leur roi, soit soigneuse de les tenir de près pour leur apprendre la façon de les acquérir et conserver. Mais néanmoins, si ne faut-il pas quelle manque pour cela de converser avec les personnes séculières, quand la nécessité ou la charité le requiert; par exemple, avec quelque dame mondaine, laquelle désirera peut-être de se convertir, quittant la vanité pour suivre la vérité et dévotion; pour ce, elle aura beaucoup 30 besoin de lassistance de la Supérieure pour lui donner plusieurs avis et conseils qui lui sont nécessaires. Mais hors de la nécessité ou charité, il faut que la Supérieure soit courte avec les séculiers. Je dis la nécessité, dautant quil y a certaines personnes de grand respect, lesquelles il ne faudrait pas mécontenter. Mais quant à ce point que vous alléguez, que la Supérieure demeure longuement au parloir à cause du soin quelle a dacquérir des amis pour la Congrégation, oh ! certes, il nest pas tant besoin de cela comme lon penserait bien; car si elle se tient dedans pour bien faire ce qui est de sa charge, elle ne doit point douter que Notre-Seigneur ne pourvoie assez la Congrégation des amis qui lui sont nécessaires. Il lui fâche de rompre compagnie quand lon sonne les Offices
30. bien
pour y aller, de crainte quelle a de mécontenter ceux avec qui elle parle au parloir. Il ne faut pas être si tendre, car si ce nest des personnes de grand respect, ou bien qui ne viennent que fort rarement ou qui sont de loin, il ne faut pas quitter les Offices ni loraison, si la charité ne le requiert absolument. Quant aux visites ordinaires des personnes desquelles on se peut librement 31 dispenser, il faut dire que notre Mère est à loraison ou à lOffice; sil leur plaît dattendre ou de revenir. Et, si je ne me trompe, la Supérieure qui saura que si elle perd le temps de dire lOffice ou de faire loraison avec les autres, il faudra quelle reprenne le temps de dire lOffice et de faire loraison selon que sa commodité le lui pourra permettre, elle se rendra assez soigneuse de ne pas perdre le temps que la Communauté y emploie, pour des choses non nécessaires. Et ceci, il le faut observer, non seulement la Supérieure, mais toutes les Soeurs, de ne point manquer dassister aux Offices et à loraison tant quil se peut ; mais sil arrive que pour quelque grande nécessité on le fasse, que néanmoins lon reprenne du temps après pour faire loraison, tant quil se pourra bonnement; car de dire lOffice, nul ne doute que lon ny soit obligé. Or, pour le regard de 32 cette question, qui est si lon ne doit pas toujours faire quelques petites particularités à la Supérieure de plus quaux autres Soeurs, tant au vêtir quau manger, elle sera tôt résolue ; car en un mot je vous dis que non en façon quelconque, si ce nest de la
31. facilement 32. pour ce qui concerne, touchant
nécessité, comme lon fait à chacune des Soeurs. Dites-vous sil ne faut pas quelle ait une chaire 33 tout partout 34 ? Non certes, il ne le faut pas, si ce nest au choeur et au Chapitre; et en cette chaire, jamais lAssistante ne sy doit mettre, bien quen toutes choses lon lui doive du respect comme à la Supérieure (sentend en son absence). Au réfectoire même il nen faut point, ains seulement un siège comme aux autres; bien que partout on la doive regarder comme une personne particulière et à laquelle on doit porter très particulier respect, si ne faut-il pas quelle soit singulière en aucune chose que le moins quil se pourra. Lon excepte pourtant toujours la nécessité comme serait si elle était bien vieille, car alors il serait permis que lon lui donnât une chaire pour son soulagement. Il faut éviter soigneusement tout ce qui nous fait paraître quelque chose au-dessus des autres, je veux dire suréminent et remarquable. La Supérieure doit être reconnue et remarquée par ses vertus et non par ces singularités non nécessaires, spécialement entre nous autres de la Visitation qui voulons faire une profession particulière dune grande simplicité. Ces honneurs sont bons pour ces Maisons religieuses où lon appelle Madame, la Supérieure, mais pour nous autres il ne faut rien de tout cela. Quy a-t-il plus à dire ? Comment il faut faire pour bien conserver lesprit de la Visitation et empêcher quil ne se dissipe ? Lunique moyen est de le tenir fermé 35 et enclos 36 dans lobservance des Règles. Mais vous dites quil
33. chaise 34. partout 35. renfermé 36. clos
y en a qui sont tellement jalouses de cet esprit quelles ne voudraient point le communiquer hors de la Maison. Il y a de la superfluité en cette jalousie, laquelle il faut retrancher; car à quel propos, je vous prie, vouloir céler au prochain ce qui lui peut profiter? Je ne suis pas de cette opinion, car je voudrais que tout le bien qui est en la Visitation fût reconnu et su dun chacun; et pour cela, jai été toujours de cet avis quil serait bon de faire imprimer les Règles et Constitutions, afin que plusieurs, les voyant, en pussent tirer quelque utilité. Plût à Dieu, mes chères Soeurs, quil se trouvât beaucoup de gens qui les voulussent pratiquer, voire même des hommes! lon verrait bientôt un grand changement en eux, qui réussirait 37 à la gloire de Dieu et au salut de leurs âmes. Soyez grandement soigneuses de conserver lesprit de la Visitation, mais non pas en sorte que ce soin vous empêche de le communiquer charitablement et avec simplicité au prochain, à chacun selon sa capacité; et ne craignez pas quil se dissipe par cette communication, car la charité ne gâte jamais rien, ains elle perfectionne toutes choses.
37. tournerait
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