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DIX-NEUVIÈME ENTRETIENSUR LE SUJET DES SACREMENTS
Avant que 1 savoir comment il nous faut préparer pour recevoir les Sacrements et quel fruit nous en devons tirer, il est nécessaire de savoir que cest que Sacrements et leurs effets. Les Sacrements sont des canaux par lesquels, par manière de dire, Dieu descend en nous, comme par loraison nous nous jetons en Dieu, puisque loraison nest autre chose quune élévation de notre esprit en Dieu. Les effets des Sacrements sont divers, quoiquils naient tous quune même fin et prétention 2, qui est de nous unir à Dieu. Par le Sacrement de Baptême, nous nous unissons à Dieu comme le fils avec le père; par celui de la Confirmation, nous nous unissons comme le soldat avec son capitaine, prenant force pour combattre et vaincre nos ennemis en toutes les tentations; par le Sacrement de Pénitence, nous sommes unis à Dieu comme les amis réconciliés; par celui de lEucharistie, comme la viande avec lestomac; par celui de lExtrême-Onction, nous nous unissons comme lenfant qui vient dun lointain pays, mettant déjà lun des pieds en la maison de son père pour se réunir avec lui, avec sa mère et toute la famille. Voilà des effets divers, mais pourtant qui demandent tous lunion de notre âme avec son Dieu.
1. de 2. but
Nous ne parlerons que de ces deux: celui de Pénitence et celui de lEucharistie. Il est nécessaire que nous sachions pourquoi cest 3 que recevant si souvent ces deux Sacrements, nous ne recevons pas les grâces quils ont accoutumé 4 de porter aux âmes qui sont bien préparées, puisque ces grâces sont jointes aux Sacrements. Il est vrai quelles y sont jointes, et pourvu que nous recevions les Sacrements en état de grâce (cela sentend en celui de la Confession que nous ne réservions aucune affection à aucun péché mortel), nous recevons toujours la grâce dépendante du Sacrement, qui est la haine du péché et le soin de nen pas tant faire. Mais nous ne recevons pas les grâces appartenantes à 5 la préparation, qui sont la force pour entreprendre la correction de nos mauvaises inclinations, le courage pour embrasser la pratique des vertus, et enfin la perfection. Il nous faut donc savoir comme il nous faut être bien préparés pour recevoir ces deux Sacrements et tous les autres aussi. La première préparation, cest la pureté de lintention; la seconde, cest lattention; et la troisième, cest lhumilité. Quant à la pureté dintention, cest une chose totalement nécessaire, non seulement à la réception des Sacrements, mais en tout ce que nous désirons ou que nous faisons. Or, lintention est pure lorsque nous recevons les Sacrements ou faisons quelque autre chose, quelle quelle soit, pour nous unir à Dieu et pour lui être plus
3. est-ce 4. ont coutume 5. qui appartiennent à, qui dépendent de
agréable, sans aucun mélange de propre intérêt. Vous connaîtrez cela si quand vous désirez de communier lon ne vous le permet pas ; ou bien si après la sainte Communion vous navez point de consolation, et nonobstant tout cela, vous demeurez en paix, sans consentir à nulle sorte dinquiétude. Je dis sans consentir, parce quil se pourrait bien faire quil vous en viendrait. Mais si, au contraire, vous consentez à linquiétude de quoi vous avez été refusée par votre Supérieure 6 de communier, ou de quoi vous navez pas eu la consolation, qui ne voit que votre intention était impure et que vous ne cherchiez pas de vous unir à Dieu, ains aux consolations, puisque notre union avec Dieu se fait sur la sainte vertu dobéissance. Et tout de même, si vous désirez la perfection dun désir plein dinquiétude, qui ne voit que cest lamour-propre qui ne voudrait pas que lon vît de limperfection en nous ? Sil était possible que nous pûssions être autant agréables et unis à Dieu étant imparfaits, nous devrions désirer dêtre sans perfection. La seconde préparation, cest lattention. O Dieu! que nous devrions aller aux Sacrements avec beaucoup dattention, tant sur la grandeur de loeuvre, comme sur ce quun chacun demande de nous! Par exemple, allant à la Confession, nous y devons porter un coeur amoureusement douloureux, et à la sainte Communion, il y faut porter un coeur ardemment amoureux. Je ne dis pas, par cette grande attention, quil ne faille point avoir de distractions, car il nest pas en notre
6. votre Supérieure vous a refusé
pouvoir; mais jentends de dire quil faut avoir un soin tout particulier à ne sy point arrêter volontairement. La troisième condition de la préparation, cest lhumilité, et cest une vertu fort nécessaire pour recevoir abondamment les grâces qui découlent par les canaux des Sacrements; parce que les eaux ont bien accoutumé de couler plus vitement 7 et plus fortement quand les canaux sont posés en des lieux bas et penchants. Mais, outre ces trois préparations, je vous veux dire quen un mot la principale est labandonnement 8 total de nous-mêmes à la merci de la volonté de Dieu, soumettant sans réserve quelconque notre volonté et toutes nos affections à sa domination. Je dis sans réserve, dautant que notre misère est si grande que nous nous réservons toujours quelque chose. Les personnes les plus spirituelles, pour lordinaire, se réservent la volonté davoir des vertus; et quand elles vont à la Communion : O Seigneur, disent-elles, je mabandonne tout à vous, mais plaise-vous 9 me donner de la prudence pour savoir vivre honorablement; mais de simplicité ils nen demandent point. Je suis absolument soumise à votre divine volonté, mais donnez-moi un grand courage pour faire des oeuvres excellentes pour votre service ; mais de douceur pour vivre paisiblement avec le prochain il ne sen parle point. Donnez-moi, dira un autre, cette humilité qui est si propre pour donner bon exemple; mais lhumilité de coeur qui nous fait aimer notre propre abjection, ils nen ont
7. vite 8. abandon 9. quil vous plaise
point besoin, ce semble. O mon Dieu, puisque je suis toute vôtre, faites que jaie toujours des consolations en loraison. Voire, cest bien ce quil nous faut pour être unis à Dieu, qui est la prétention que nous avons; et jamais ils ne demandent des tribulations ou mortifications. Ce nest pas le moyen de faire cette union que de se réserver toutes ses volontés, pour bonne apparence quelles aient; car Notre-Seigneur se voulant donner tout à nous, veut que réciproquement nous nous donnions entièrement à lui, afin que lunion de notre âme avec sa divine Majesté soit plus parfaite et que nous puissions dire véritablement, après ce grand parfait entre les chrétiens : Je ne vis plus moi, ains cest Jésus-Christ qui vit en moi a.
La seconde partie de cette préparation consiste à vider notre coeur de toutes choses, afin que Notre-Seigneur le remplisse de lui-même. Certes, lu cause pourquoi 10 nous ne recevons pas la grâce de la sanctification (puisque une seule Communion bien faite est capable et suffisante pour nous rendre saints et parfaits) ne provient sinon de ce que nous ne laissons pas régner Notre-Seigneur en nous-mêmes comme sa Bonté le désire. Il vient en nous, ce sacré Bien-Aimé de nos âmes, et il trouve nos coeurs tout pleins de désirs, daffections, de petites volontés ; il veut être le Maître et le Gouverneur de notre coeur, et pour montrer combien il le désire, il dit à son amante sacrée quelle le mette comme un cachet sur son coeur b,
a. Galat., n, 20. b. Cant., VIII, 6. 10. pour laquelle
afin que rien ny puisse entrer que par sa permission et selon son bon plaisir. Or, je sais bien que le milieu de nos coeurs est vide, car autrement ce serait une trop grande infidélité: je veux dire que nous avons non seulement rejeté et détesté le péché mortel, ains aussi toutes sortes daffections mauvaises ; mais hélas ! tous les coins et recoins de nos coeurs sont pleins de mille choses indignes de paraître en la présence de ce Roi souverain, qui, ce semble, lui lient les mains afin de lempêcher de nous départir les biens et les grâces que sa Bonté avait désiré de nous faire sil nous eût trouvés préparés. Faisons donc de notre côté ce qui est en notre pouvoir pour nous bien préparer à recevoir ce Pain supersubstanliel c 11, nous abandonnant totalement à la divine Providence, non seulement pour ce qui regarde les biens temporels, mais principalement les spirituels, répandant en la présence de la divine volonté toutes nos affections, désirs et inclinations pour lui être entièrement soumis; et nous assurons 12 que Notre-Seigneur accomplira de son côté la promesse quil nous a faite de nous transformer en lui, élevant notre bassesse jusques à être unie avec sa grandeur. Lon peut bien communier pour diverses fins: comme pour demander à Dieu dêtre délivrés de quelque tentation ou affliction, soit pour nous ou pour notre prochain ; ou pour demander quelque vertu, pourvu que ce soit sous cette condition que nous soyons plus unis à Dieu, ce qui
c. Matt., VI, 11. 11. au-dessus du substantiel 12. soyons sûrs
narrive pourtant pas bien souvent, car au temps de laffliction je serai peut-être plus uni à Dieu, parce que je me ressouviendrai plus souvent de lui. Et pour ce qui est des vertus, il est plus à propos et meilleur pour moi aucune fois de ne les pas avoir que si je les avais. A quel propos demanderai-je à Dieu des vertus desquelles je ne puis pas avoir la pratique, puisque la répugnance que je sentirai à pratiquer cette vertu, si jen avais la commodité 13 me sert pour mhumilier? Lhumilité vaut toujours mieux que tout cela. Enfin, il faut quen toutes les demandes et prières que vous ferez à Dieu, vous ne les fassiez pas seulement pour vous, ains que vous observiez de dire toujours nous, comme Notre-Seigneur nous la enseigné en lOraison dominicale, où il ny a ni mon, ni moi. Cela sentend que vous ayez lintention de supplier Dieu quil donne la vertu ou la grâce que vous lui demandez pour vous, à tous ceux qui en ont la même nécessité, et que ce soit toujours pour nous unir davantage avec lui; car autrement nous ne devons ni demander ni désirer aucune chose, ni pour nous ni pour le prochain, puisque cest la fin pour laquelle les Sacrements sont institués ; il faut que nous correspondions, les recevant pour la même fin. Et ne faut pas que nous pensions que, communiant ou priant pour les autres nous y perdions quelque chose, sinon que nous offrissions à Dieu cette Communion ou prière pour la satisfaction de leurs péchés, car alors nous ne satisferions pas pour les nôtres; mais pourtant le mérite de la
13. loccasion
Communion ou de la prière nous demeurerait. Nous ne saurions mériter la grâce les uns pour les autres, il ny a que Notre-Seigneur qui lait pu faire; nous pouvons bien leur impétrer 14 des grâces, mais leur donner du mérite nous ne le pouvons pas. La charité que nous avons faite de prier pour eux augmente notre mérite, tant pour la récompense de la grâce en cette vie que de la gloire en lautre. Et si une personne ne faisait pas attention de faire rien pour la satisfaction de ses péchés, la seule attention quelle aurait de faire tout ce quelle fait pour le pur amour de Dieu suffirait pour y satisfaire, puisque cest une chose assurée que qui pourrait faire un acte excellent de charité, ou un acte dune parfaite contrition, satisferait pleinement pour tous ses péchés. Vous voudrez peut-être savoir comment vous connaîtrez si vous profitez par le moyen de la réception des Sacrements. Vous le connaîtrez si vous vous avancez aux vertus qui leur sont propres : comme si vous tirez de la Confession lamour de votre abjection et lhumilité, car ce sont les vertus qui lui sont propres ; et cest toujours par la mesure de lhumilité que lon reconnaît notre avancement. Ne voyez-vous pas quil est dit que quiconque shumiliera sera exalté d ? être exalté, cest être avancé. Si vous devenez par le moyen de la très sainte Communion, fort douce (puisque cest la vertu qui est propre à ce Sacrement, qui est tout doux, tout miel et tout suave),
d. Matt., XXIII, 12 ; Lue., XIV, 11, XVIII, 14. 14. attirer
vous tirerez 15le fruit qui lui est propre, et ainsi vous vous avancerez. Mais si, au contraire, vous ne devenez point plus humble ni plus douce, vous méritez que lon vous lève 16 le pain, puisque vous ne voulez pas travailler c . Je voudrais que lon allât simplement, quand il nous viendrait envie de communier, le demandant aux Supérieurs avec résignation daccepter le refus avec humilité, et si on nous loctroie, aller à la Communion avec amour. Et bien quil y ait de la mortification à le demander, il ne faut pas laisser pour cela 17 car les filles qui entrent en la Congrégation ny entrent aussi que pour se mortifier, et les croix quelles portent les en doivent faire ressouvenir. Si linspiration venait à quelquune de ne pas communier si souvent que les autres, à cause de la connaissance quelle a de son indignité, elle le peut demander à la Supérieure, attendant le jugement quelle en fera, avec une grande douceur et humilité. Je voudrais que lon ne sinquiétât point quand lon entend parler de quelque défaut que nous avons, ou de quelque vertu que nous navons pas; mais que nous bénissions Dieu de quoi il nous a découvert le moyen dacquérir la vertu et de nous corriger de limperfection, et puis prendre courage de nous servir de ces moyens. Il faut avoir des esprits généreux qui ne sattachent quà Dieu seul, sans sarrêter aucunement à ce que notre partie inférieure veut, faisant régner la partie supérieure de notre âme, puisquil est
e. II Thess., III, 10.
15. retirerez 16. ôte 17. de le faire
entièrement à notre pouvoir de ne jamais consentir volontairement à linférieure. Les consolations et tendretés ne doivent pas être désirées, puisque cela ne nous est pas nécessaire pour aimer davantage Notre-Seigneur. Il ne faut donc point sarrêter à considérer si lon a de bons sentiments, mais il faut faire ce quils nous feraient faire si nous les avions. Il ne faut pas être aussi si tendres à se vouloir confesser de tout ce que lon a fait, car il nest pas nécessaire de se confesser des péchés véniels, si lon ne veut; et quand on sen veut confesser, il faut avoir la volonté résolue de 18 sen amender, autrement ce serait un abus de sen confesser. Il ne faut donc pas se tourmenter quand lon ne se souvient pas de ses fautes pour sen accuser; car il nest pas croyable quune âme qui fait souvent son examen, ne remarque bien, pour sen ressouvenir, les fautes qui sont dimportance. Pour tant de petites choses, vous en pouvez parler avec Notre-Seigneur à quelque heure que vous vous en ressouveniez. Pour ce que vous dites, comment vous pourrez faire votre acte de contrition en peu de temps, je vous dis quil ne faut presque point de temps pour le bien faire, puisquil ne faut autre chose que se prosterner devant Dieu en esprit dhumilité et de repentance 19 de lavoir offensé. Vous désirez que je vous parle de lOffice. Il faut se préparer pour le dire, dès linstant que lon entend la cloche qui nous appelle, et il faut, à limitation de saint Bernard, demander à notre
18. déterminée à 19. repentir
coeur que cest quil va faire. Et non seulement en cette occasion, mais aussi entrant en tous nos exercices, afin que nous apportions en chacun diceux lesprit qui lui est propre ; car il ne serait pas à propos daller à lOffice comme à la récréation : il faut donc porter à la récréation un esprit joyeux, et à lOffice un esprit sérieusement amoureux. Quand on dit: Deus in adjutorium meum intende, il faut penser que Notre-Seigneur réciproquement nous dit: Soyez attentifs à mon amour. Le long de lOffice, pour nous tenir attentifs, il faut considérer que nous faisons le même office que les Anges, quoiquen divers langages, et que nous sommes en présence du même Dieu devant lequel les Anges tremblent. Tout ainsi quun homme qui parlerait à un roi se rendrait fort attentif, craignant de faire quelque faute, et sil arrivait que néanmoins, avec 20 tout son soin, il lui advint 21 den faire quelquune, il rougirait incontinent; tout de même en devons-nous faire à lOffice, car la principale attention que nous devons avoir, cest de bien prononcer, et de nous tenir dessus nos gardes crainte de faillir. Sil nous arrive de faire quelque faute, il faut sen humilier sans sétonner, puisquil ne doit pas être étrange que nous fassions quelque défaut 22 là, puisque nous en faisons tant ailleurs. Mais sil nous arrive den faire plusieurs et que cela continue, il y a de lapparence que nous navons pas conçu un grand déplaisir 23 de notre première faute, lesquelles fautes devraient nous apporter
20. malgré 21. arrivât 22. faute 23. regret
beaucoup de confusion, non pas à cause de la présence de la Supérieure, mais à cause de Dieu qui nous est présent et de ses Anges. Cest presque une règle générale que, quand nous faisons si souvent une même faute, cest signe 24 que lon manque daffection pour sen amender; et si cest une chose de laquelle on nous a souventes fois averties, il y a de lapparence que lon méprise lavertissement. Il ne faut pas avoir du scrupule de laisser en tout un Office deux ou trois versets par mégarde; non, pourvu que lon ne le fît pas à dessein. Si vous dormez le long dune bonne partie de lOffice, encore que vous disiez les versets de votre choeur, vous êtes obligée de le redire; mais quand lon fait choses qui sont nécessaires dêtre faites à lOffice, comme de tousser ou cracher, ou que la maîtresse des cérémonies parle pour ce qui est de lOffice, alors elle nest point obligée de le redire, ni la Sacristaine faisant ce qui est de sa charge, pourvu quelle ne sorte pas du choeur. Quand on entre au choeur lOffice étant commencé, il se faut mettre en son rang avec les autres, suivant lOffice avec elles; et après quil est dit, reprendre ce que lon avait déjà dit devant 26 que vous y fussiez, finissant où vous avez pris. Il ne faut pas redire son Office pour ce que lon a été distrait en le disant, pourvu que ce ne soit pas volontairement; et encore que vous vous trouvassiez à la fin de quelque Psaume sans être bien assurée 26 si vous lavez dit, parce que vous avez été distraite sans y penser, ne
24. preuve 25. avant 26. sûre
laissez pas de passer outre, vous humiliant devant Dieu. Il ne faut pas toujours penser que lon n eu de la négligence quand la distraction a été longue, car il se pourra faire quelle nous poursuivra aucune fois tout au long dun Office sans quil y ait de notre faute; et pour mauvaise quelle fût, il ne sen faudrait pas inquiéter, ains en faire de simples rejets de temps en temps devant Dieu. Je voudrais que jamais lon ne se troublât pour les mauvais sentiments que lon a, mais que lon semployât courageusement et fidèlement à ny point consentir, puisquil y a bien de la différence entre sentir et consentir.
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