HOMÉLIE XVI
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HOMÉLIE XVI.

OR, VOICI LE TÉMOIGNAGE QUE RENDIT JEAN, LORSQUE LES JUIFS ENVOYÉRENT DE JÉRUSALEM DES PRÊTRES ET DES LÉVITES POUR LUI DEMANDER : QUI ÊTES-VOUS ? (CHAP. I, VERS. 19, JUSQU'AU VERS. 28.)

 

ANALYSE.

 

1. Comment la malignité des Juifs se déclare dans les questions qu'ils adressent à saint Jean-Baptiste.

2. Comment ce fidèle précurseur renvoie à Jésus-Christ la gloire que ces mêmes juifs veulent lui attribuer à lui-même -Grande opinion qu'avaient les Juifs de saint Jean-Baptiste. — Leur incrédulité à l'égard de Jésus-Christ est sans excuse et indigne de pardon. — Humilité de saint Jean-Baptiste. — Contre les Anoméens. — L'orgueil renverse toute la vertu de l'âme, et corrompt toutes les bonnes oeuvres : il est le père du diable, le principe, la source et la cause de tous les péchés. — De l'aumône. — Les pauvres transportent dans le ciel les biens de ce monde, et les riches qui les leur confient.

 

1. L'envie, mes chers frères, est une chose terrible et funeste ; oui, mais aux envieux et non à ceux à qui on porte envie. Elle nuit aux premiers, elle les infecte, insinuant en quelque sorte un poison mortel dans leur âme; que si elle fait du tort à ceux qu'elle attaque, ce tort est léger et nullement considérable , et le profit qui en revient surpasse le dommage. Et non-seulement il en est ainsi de l'envie, mais encore de tous les autres vices; et le dommage qu'ils causent retombe , non sur celui qui souffre, mais sur celui qui fait le mal. S'il n'en était pas ainsi, saint Paul n'aurait pas. ordonné à ses disciples de plutôt souffrir [173] l'injure que de la faire; il ne leur eût pas dit «Pourquoi ne souffrez-vous pas plutôt les « injustices ? Pourquoi ne souffrez-vous pas « plutôt, qu'on vous trompe?» (I Cor. VI, 7.) En quoi le saint apôtre fait bien voir qu'il savait parfaitement que le mal retombe sur celui qui le fait et non pas sur celui qui le reçoit.

C'est la jalousie des Juifs, mes frères, qui m'a inspiré cette digression. Ceux qui, sortant des- villes, accouraient à Jean, confessaient leurs péchés, étaient baptisés par lui, sont les mêmes qui, par une espèce de repentir de ce qu'ils venaient de faire, envoyent lui demander : « Qui êtes-vous ? » Vraie race de vipères, vrais serpents et quelque chose de pire, s'il est possible; race méchante, adultère, pervertie; quoi 1 après avoir reçu le baptême, tu t'inquiètes de savoir qui t'a baptisée? Est-il une plus grande folie que la tienne? Comment es-tu venue à lui? Comment as-tu confessé tes péchés? Comment es-tu accourue à celui qui baptise? Comment lui as-tu demandé ce que tu devais faire ? Alors, tu n'as pa su ce que tu faisais, tu as agi inconsidérément, sans t'enquérir de la première chose qu'il t'importait de savoir. Mais saint Jean ne leur en a pas dit un seul mot, ni fait le moindre reproche ; au contraire, il leur a répondu avec la plus grande douceur.

Mais pourquoi? Cherchons maintenant à le découvrir; il faut en pénétrer la raison. La méchanceté des Juifs en éclatera davantage aux yeux de tout le monde. Souvent saint Jean-Baptiste leur a rendu témoignage de Jésus-Christ; souvent il leur en parlait en les baptisant, et leur disait : « Pour moi, je vous baptise dans l'eau, mais celui qui doit venir après moi est plus puissant que moi. C'est lui qui vous baptisera dans le Saint-Esprit et dans le feu ». (Matth. III, 11.) Ils ont donc été dupes, en ce qui concerne Jean, d'une illusion toute humaine. Ayant en vue la gloire du monde, et ne s'attachant qu'à ce qui se présentait à leurs yeux, ils croyaient qu'il était indigne de lui d'être inférieur à Jésus-Christ. En effet , plusieurs choses relevaient saint Jean : premièrement, son illustre naissance : il était fils d'un prince des prêtres ; en second lieu, sa vie dure et austère, son mépris pour toutes les choses de ce monde ; par exemple, son vêtement, sa table, sa maison, le peu de soin qu'il avait de sa nourriture , le désert qu'il habitait auparavant. Jésus-Christ , au contraire, était de basse naissance, ce que souvent ils lui reprochaient en ces termes « N'est-ce pas le fils de ce charpentier? Sa mère ne s'appelle-t-elle pas Marie, et ses frères Jacques et Joseph? » (Matth. XIII, 55.) Et encore : la ville, qu'on regardait comme sa patrie, était dans un si grand mépris, que Nathanaël même disait : « Peut-il venir quelque chose de bon de Nazareth? » (Jean, I, 46.)

Ajoutons qu'il vivait comme tout -le monde et que ses vêtements n'avaient rien de particulier. Il ne portait pas une ceinture de cuir autour des reins, son vêtement n'était pas de poils de chameau, il ne se nourrissait pas de sauterelles et de miel sauvage. Son genre de vie ne le distinguait en rien des autres hommes; il s'asseyait quelquefois à la table d'hommes pervers, de publicains, afin de les gagner. Mais les Juifs ne pénétrant point la sagesse de cette conduite, la lui reprochaient, comme il le dit lui-même : « Le Fils de l'homme est venu mangeant et buvant, et ils disent : voilà un homme qui aime à faire bonne chère et à boire du vin, il est ami des publicains et des gens de mauvaise vie ». (Matth. IX, 19.)

Or, comme Jean-Baptiste ne cessait de renvoyer les Juifs à Jésus-Christ, qui leur paraissait inférieur à lui, quoiqu'ils en eussent de la honte et du chagrin , aimant mieux l'avoir lui-même pour docteur , ils n'osèrent pas néanmoins le déclarer ouvertement; mais ils députèrent des gens vers lui dans l'espérance de l'engager par cette flatterie à confesser qu'il était le Christ ; et ils ne lui envoyèrent pas des hommes de basse condition, comme à Jésus-Christ, lorsque, voulant le surprendre dans ses paroles, ils dépêchèrent auprès de lui des serviteurs , des hérodiens (Matth. XXII , 15, 16) et d'autres hommes de cette espèce; mais des prêtres et des lévites; et encore, non toute sorte de prêtres, mais des prêtres de Jérusalem, c'est-à-dire les plus considérables et les plus honorables; car ce n'est pas sans raison que l'évangéliste l'a remarqué. Ils les envoient donc pour lui demander : « Qui êtes « vous?» En effet, la naissance de Jean-Baptiste était si illustre et si célèbre que tous disaient: « Quel pensez-vous que sera un jour « cet enfant ? » (Luc, I, 66.) Et que « le bruit de ces merveilles se répandit dans tout le pays des montagnes de Judée ». (Luc, I, 65.) Et encore, lorsqu'il vint au Jourdain, toutes les villes accoururent en foule, et de Jérusalem et de toute la Judée on venait à lui pour être baptisé. Les prêtres et les lévites interrogent donc Jean; ce n'est pas qu'ils ne sachent qui il est, (il était trop bien connu) ; mais c'était pour le porter à se dire le Christ, comme je l'ai dit ci-dessus.

2. Ecoutez donc, mes frères,.comment ce saint homme répond à la pensée de ceux qui l'interrogent et non à la demande qu'ils lui font. Lorsqu'ils lui disent : « Qui êtes vous? » il ne répond pas d'abord ce qu'il semblait naturel de répondre : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert » ; mais il impose silence à leurs conjectures. Car sur la de mande : « Qui êtes-vous? » l'Ecriture dit: « Il confessa, et il ne le nia point; il confessa qu'il n'était point le Christ (20) ». Faites ici attention à la sagesse de l'évangéliste :. il répète trois fois cette réponse, pour faire connaître la vertu de Jean-Baptiste et la méchanceté et la folie de ces ambassadeurs. Et saint Luc dit que le peuple, que tous pensant en eux-mêmes qu'il était le Christ (Luc, III, 15), il avait lui-même éloigné et étouffé cette pensée. C'est le devoir d'un bon et fidèle serviteur, non-seulement de ne point s'arroger la gloire qui n'est due qu'à son maître, mais encore de rejeter celle que la multitude veut ôter à celui-ci pour la lui donner à lui-même.

Le peuple à la vérité avait conçu ce sentiment par simplicité et par ignorance ; mais les prêtres et les lévites, comme j'ai dit, faisaient cette question dans une intention maligne; ils espéraient par leur adulation obtenir ce qu'ils désiraient; s'ils ne sen fussent pas flattés, ils n'auraient pas aussitôt passé à une autre demande, mais ils se seraient plaints de ce que Jean-Baptiste n'avait pas répondu à leur question, et ils auraient dit : Est-ce que nous avons eu cette pensée? Est-ce là ce que nous sommes venus te demander? Etant donc comme pris et découverts, ils passent vite à une autre question , et ils lui demandent : « Quoi donc? Etes-vous Elie? Et il leur répondit : Je ne le suis point (21) ». En effet, ils attendaient Elie, comme Jésus-Christ le dit. Car « ses disciples l'ayant interrogé, et lui ayant dit : Pourquoi donc les scribes disent-ils qu'il faut qu'Elie vienne auparavant? Il leur répondit : Il est vrai qu'Elie doit venir et qu'il rétablira toutes choses ». Ils poursuivent ensuite , et ils lui demandent « Etes-vous LE prophète (1) ? Et il leur répondit «Non ». (Matth. XVII, 10, 11.) Et cependant il était prophète; pourquoi donc répond-il négativement ? C'est qu'il répond encore à l'esprit et à la pensée de ceux qui l'interrogent : ils attendaient un grand prophète , parce que Moïse avait dit : « Le Seigneur votre Dieu vous suscitera un prophète comme moi d'entre vos frères; écoutez-le ». (Deut. XVIII, 15.) Et Jésus-Christ était ce prophète. Voilà pourquoi ils ne disent pas : Etes-vous prophète, du nombre des prophètes? mais ils disent avec l'article : Etes-vous LE prophète qui a été prédit par Moïse? C'est pour cela qu'il a nié, non qu'il était prophète, mais ce prophète. « Ils lui dirent donc: »  mais « qui êtes-vous, afin que, nous rendions réponse à ceux qui nous ont envoyés ? Que dites-vous de vous-même? (22) » Ne voyez-vous pas qu'ils pressent, qu'ils poursuivent leurs interrogations, qu'ils ne cessent point de le questionner, et que lui, au contraire, ayant auparavant repoussé avec douceur leur fausse opinion, établit le vrai sentiment qu'ils doivent avoir de lui; car il leur dit : « Je suis la voix de celui qui crie dans le désert : Rendez droite la voie du Seigneur, comme a dit le prophète Isaïe (23) ». Comme Jean-Baptiste avait parlé de Jésus-Christ d'une manière grande et sublime; eu égard à l'opinion qu'ils en avaient, il a promptement recours au prophète, et il s'appuie de son témoignage pour gagner la confiance de ses auditeurs.

« Or, ceux qu'on lui avait envoyés », dit l'évangéliste, « étaient des pharisiens (24); ils « lui firent » encore « une nouvelle » demande, « et lui dirent :Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n'êtes ni le Christ, ni Elie, ni prophète ? (25) » Ceci vous fait voir, mes frères, que je n'ai pas témérairement dit qu'ils avaient voulu l'amener là, « ou l'engager à se déclarer le Christ ». Et certes, au commencement ils ne s'expliquaient pas si nettement, de crainte que tout le monde ne découvrît

 

1. « Le Prophète ». J'exprime avec les plus savants commentateurs grecs « l'article » qui est dans le grec, qui marque un prophète particulier que les Juifs attendaient , comme le prophète prédit par Moïse, ainsi que l'observe le saint Docteur. Cet article est même si absolument nécessaire en cet endroit, que sans lui l'explication et la réflexion de saint Chrysostome n'ont point de sens, et ne peuvent être entendues. Ainsi, demander à Jean-Baptiste : « Etes-vous le prophète? » c'était dire : Etes-vous celui que nous attendons, ce grand prophète; ce prophète par excellence, promis par Moise. Voilà pour quoi il répond : « Je ne le suis pas, c'est-à-dire , je ne suis pas le Messie ».

 

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leur intention. Ensuite, après qu'il a dit: « Je ne suis point le Christ », voulant cacher ce qu'ils machinaient dans leur coeur, ils reviennent encore à Elie et à la qualité de prophète. Mais dès qu'il leur a répondu qu'il n'est ni l'un ni l'autre, ils sont déconcertés, forcés de quitter leur masque, et de montrer à nu leur artificieux projet, en disant : « Pourquoi donc baptisez-vous, si vous n'êtes point le Christ? » Puis revenant à leur hypocrite dessein, ils prononcent ces nouveaux noms, celui d'Elie, celui du prophète. Comme ils n'avaient pu le surprendre par leur flatterie, ils espéraient, mais à tort, le forcer par leur accusation à dire ce qui n'était point. O folie ! ô arrogance ! ô malséante curiosité ! Vous avez été envoyés, pour apprendre de Jean-Baptiste qui il est et d'où il est; n'allez-vous pas maintenant lui faire la loi? Car vous agissez encore en personnes qui veulent le contraindre de se déclarer le Christ. Cependant il ne se fâche point même alois; il ne leur dit rien de ce qu'on aurait attendu : Prétendez-vous me commander et me faire la loi? Mais il montre encore une grande modestie en ce qu'il dit : « Pour moi, je baptise dans l'eau, mais il y en a un au milieu de vous que vous ne connaissez pas; c'est lui qui va venir après moi (1), qui est au-dessus de moi, et je ne suis pas digne de délier la courroie de ses souliers (26, 27) ».

3. Que peuvent opposer les Juifs à ce que nous venons de dire? les voilà confondus; ils ne peuvent éviter leur jugement, ni attendre aucun pardon : ils ont eux-mêmes prononcé leur arrêt. Comment? de quelle façon? Ils croyaient Jean-Baptiste un homme digne de foi, et si véridique, qu'ils le croyaient non-seulement quand il rendait témoignage aux autres, mais encore quand il parlait de lui-même. Et en effet, s'ils n'eussent pas été dans ces dispositions, ils n'auraient pas envoyé lui demander à lui-même qui il était. Vous le savez, nous ne croyons à ceux qui rendent témoignage d'eux-mêmes , qu'autant que nous les regardons comme les plus véridiques de tous les hommes. Et ce n'est point là seulement ce qui leur ferme la bouche; mais c'est aussi l'intention dans laquelle ils étaient venus l'interroger. D'abord ils sont vifs et pressants, ensuite ils changent et se modèrent. Jésus-Christ le

 

1. « Qui va venir après moi », c'est-à-dire,  « Qui va prêcher après moi selon saint Chrysostome.

 

montre par ces paroles : « Jean était une lampe ardente, et vous avez voulu vous réjouir pour un peu de temps à la lueur de sa « lumière ». (Jean, V, 35.) Mais d'ailleurs sa réponse le rendait plus croyable. Car « celui « qui ne cherche pas sa propre gloire », dit encore Jésus-Christ, « est véritable, et il n'y a « point en lui d'injustice ». (Jean, VII, 18.) Or, Jean-Baptiste ne l'a point cherchée, mais il les a envoyés à un autre. Et, de plus, ceux qui avaient été envoyés étaient les plus dignes de foi d'entr'eux, des premiers et des plus considérables ; d'où il s'ensuit qu'il ne leur reste point d'excuse pour n'avoir pas cru en Jésus-Christ.

Car, je vous le demande, ô Juifs, pourquoi ne vous êtes-vous pas rendus à ce que Jean vous disait de Jésus-Christ ? Vous avez envoyé les premiers et les plus considérables d'entre vous, par leur bouche vous l'avez interrogé; vous avez ouï ce qu'il a répondu. Vos envoyés ont employé tout leur zèle, tous leurs soins et toute leur adresse; ils se sont informés de tout, ils ont tout examiné et nommé tous ceux sur qui vous aviez jeté vos soupçons: et toutefois il a confessé avec une grande liberté qu'il n'était ni le Christ, ni Elie, ni le prophète attendu. Non content de cela, il vous a appris qui il était, et vous a entretenu de la nature de son baptême; il vous a déclaré que c'était peu de chose , qu'il n'avait rien de grand, rien de plus que de l'eau, vous montrant en même temps la supériorité et l'excellence du baptême conféré par Jésus-Christ. Il vous a aussi cité le prophète Isaïe, qui, longtemps auparavant, avait témoigné que Jésus-Christ était le maître et le Seigneur, et Jean-Baptiste le ministre et le serviteur. Enfin que restait-il? y avait-il autre chose qu'à croire à celui de qui on rendait témoignage, qu'à l'adorer et le confesser Dieu? mais que ce témoignage fut, un témoignage non de complaisance, mais de vérité : les moeurs et la sagesse de celui qui le rendait, le faisaient bien voir. Et en voici une preuve évidente : personne ne préfère son prochain à soi, ni ne cède à un autre l'honneur qu'il peut s'attirer à lui-même , surtout quand cet honneur est si grand. C'est pourquoi si Jésus-Christ n'eût pas été Dieu, jamais Jean-Baptiste ne lui aurait rendu ce témoignage. Et, puisqu'il a éloigné de soi cet honneur, comme étant infiniment au-dessus de sa nature et de sa condition, il [176] est certain qu'il ne l'a point attribué à une autre personne inférieure.

« Mais il y en a un au milieu de vous que « vous ne connaissez pas (26) ». L'évangéliste a dit cela, parce que Jésus-Christ, ainsi qu'il était naturel, se mêlait et se confondait au milieu de la foule du peuple, comme s'il eût été lui-même un homme du commun, voulant en tout nous montrer le mépris que nous devons faire de la pompe et du faste. Mais par le mot de « connaissance », il entend la parfaite connaissance, c'est-à-dire qui il était et d'où il était venu. Souvent il a répété ces paroles : « Il doit venir après moi », et c'est comme s'il disait : Ne pensez pas que tout s'accomplisse dans mon baptême: si mon baptême était parfait, un autre ne viendrait pas après moi volts apporter un autre baptême : le mien n'est qu'une certaine préparation à celui-ci : ce que nous faisons n'est qu'une ombre et une figure; il faut qu'il en vienne un autre, pour vous apporter la vérité. C'est pourquoi ce mot: « Celui qui va venir après moi », marque principalement sa dignité. Car si le premier baptême était parfait, il ne serait nullement nécessaire de recourir à un autre. « Il est avant moi », c'est-à-dire il est plus honorable et plus illustre que moi. Après quoi, de peur qu'ils ne crussent que c'était par comparaison à lui, que Jésus-Christ était plus grand et plus excellent; pour faire voir qu'il n'y a nulle comparaison à faire, il ajoute : « Je ne suis pas digne de dénouer les cordons de ses souliers (27) », c'est-à-dire : Non-seulement il est avant moi, mais il est tel que je ne mérite pas d'avoir même une place parmi ses derniers serviteurs; car déchausser, c'est le ministère le plus bas. Que si Jean-Baptiste n'est pas digne de dénouer les cordons. de ses souliers, ce. Jean-Baptiste, dont il est dit, qu' « entre tous ceux qui sont nés des femmes, il n'en est point né de plus grand que lui » (Luc, VII, 18), en quel rang nous-mêmes nous mettrons-nous, si celui qui était égal à tout le monde, ou plutôt qui était plus grand et au-dessus, qui était du nombre de ceux dont saint Paul dit que « le monde n'en était pas digne » (Héb. VI, 38), se dit indigne d'être compté parmi les derniers serviteurs, que dirons-nous, nous qui sommes autant au-dessous de la vertu de Jean-Baptiste que la terre est éloignée du ciel?

4. Jean-Baptiste se dit donc indigne de dénouer les cordons des souliers, mais les ennemis de la vérité tombent dans un si grand excès de folie, qu'ils osent se prétendre dignes de connaître Dieu , comme il se connaît lui-même : peut-on voir rien de pire qu'une telle démence ? rien de plus insensé qu'une telle présomption? Un sage l'a fort bien dit : « Le commencement de l'orgueil est de ne point connaître Dieu (1) ». (Eccli. X, 14.) Celui qui devint le diable ne le serait point devenu, n'aurait pas été chassé du paradis, s'il n'eût été possédé de cette maladie: C'est là ce qui a causé sa disgrâce, c'est là ce qui l'a précipité dans l'enfer, ce qui. a été la source de tous ses maux. En effet, ce vice suffit pour gâter tout ce qu'il y a de bon dans une âme : aumône, oraison,. jeûne, que sais-je encore? « Ce qui est grand aux yeux des hommes est impur devant Dieu ». (Luc, XVI, 16.) Ce n'est donc pas seulement la fornication, ni l'adultère qui souille l'homme, c'est encore et surtout l'orgueil. Pourquoi? parce qu'à l'égard de la fornication, quoiqu'elle soit indigne de pardon, l'homme néanmoins peut s'excuser sur sa concupiscence : mais l'orgueil n'a ni cause, ni excuse à prétexter, qui puisse lui fournir une ombre de justification : il n'est autre chose qu'un renversement d'esprit, une très-grande et très-cruelle maladie qui vient uniquement de la démence : car il n'est rien de plus insensé que l'homme. orgueilleux, fût-il très-riche, eût-il toute la sagesse du monde, fût-il très-puissant, possédât-il, en un mot, tout ce que les hommes, regardent comme digne d'envie.

Si celui que les vrais biens enorgueillissent est malheureux et misérable; s'il perd toute la récompense qu'il en pouvait espérer : celui qui s'élève pour des choses qui n'ont rien de réel, qui enfle son tueur pour une ombre, pour la fleur de l'herbe , car la gloire mondaine n'est pas autre chose (4), n'est-il pas le plus ridicule de tous les hommes? Pareil à un pauvre

 

1. Ou bien comme on lit dans, les Septante : « Le commencement de l'orgueil de l'homme est de se révolter contre Dieu, et d'éloigner son coeur de celui qui nous a faits ». Ou encore comme notre Vulgate : « Le commencement de l'orgueil de l'homme est de commettre une apostasie à l'égard de Dieu ». Ce qui peut fort bien s'appliquer et à la chute de Lucifer; et à la chute d'Adam. On peut encore l'entendre du mépris de Dieu, qui accompagne tontes sortes de péchés. L'orgueil, le mépris de Dieu, source de tous péchés. Nullum peccatum fieri potest, potuit, aut poterit sine superbia : siquidem nihil aliud est omne peccatum , nisi contemptus Dei. S. Prosp. de vita contemplat. lib. III, chap. 3 et 4.

2. Saint Chrysostome dit : aXatarton,  impurum, le texte grec du N. Test. lit. bdelutma , abominatio. La différence des mois ne change point le sens : ce qui est impur devant Dieu, est en abomination devant lui.

3. Toute la gloire de l'homme, dit saint Pierre, est comme la fleur de l'herbe. (I Pierre, I, 24.)

 

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qui, mendiant son pain, souffrant la faim continuellement, se glorifierait d'avoir eu une fois pendant la nuit un songe agréable. Malheureux et misérable que vous êtes, quoi ! votre âme est infectée d'une très-dangereuse maladie, vous êtes dans la plus extrême pauvreté, et vous Nous enorgueillissez de posséder tant et tant de talents d'or, d'avoir une foule de serviteurs à vos ordres? Mais ces choses ne sont point à vous; si vous ne m'en croyez pas, consultez l'expérience de ceux qui ont été riches avant vous. Mais si vous êtes si ivre, que l'exemple d'autrui né soit pas capable de vous instruire, attendez un peu, et votre propre expérience vous apprendra que vous ne retirerez de ces prétendus biens aucun avantage, lorsqu'au lit de mort, ne disposant plus d'une heure ni d'un seul moment, vous serez obligé de les laisser malgré vous à ceux qui seront là, et souvent à des personnes à qui vous ne voudriez pas les donner. Plusieurs, en effet, n'ont pas eu le pouvoir d'en disposer à leur gré; ils sont morts subitement, et lorsqu'ils désiraient le plus d'en jouir, ils ne l'ont pu : enlevés, arrachés de force, ils ont été contraints de les laisser à d'autres, à qui certainement ils n'auraient pas voulu les donner.

De peur donc qu'un pareil malheur ne vous arrive, dès maintenant, dès aujourd'hui que

nous sommes en santé, envoyons ces biens en notre patrie ; c'est seulement de cette manière que nous pourrons en jouir. Par là, nous les mettrons en dépôt dans un asile sûr et inviolable. Là haut, en effet, on ne trouve aucune des choses qui peuvent y porter atteinte; là (1), ni mort, ni testaments, ni héritiers, ni calomnies, ni piéges : mais celui qui sort de ce monde, chargé de bien:, en jouira toujours. Quel est l'homme si misérable qui ne veuille pas vivre éternellement dans les délices avec ses richesses? Transportons-les donc, nos richesses, déposons-les dans le ciel. Il ne nous faut pour ce transport ni ânes, ni chameaux, ni chariots, ni navires. Dieu nous a délivrés de toute difficulté, de tout embarras; nous n'avons besoin que des pauvres, des boiteux, des aveugles, des malades. C'est à ceux-là que revient la charge d'opérer ce transport ; ce sont eux qui font passer nos richesses dans le ciel; ce sont eux qui ouvrent l'héritage des biens éternels aux possesseurs de pareilles richesses. Fasse le ciel que nous en jouissions tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, par qui et avec qui la gloire soit au Père et au Saint-Esprit, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles. Ainsi sait-il.

 

1. Voyez saint Matthieu, chap. VI, 19 et 20.

 

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