HOMÉLIE XXIV
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HOMÉLIE XXIV.

PENDANT QU'IL ÉTAIT DANS JÉRUSALEM A LA FETE DE PAQUES, PLUSIEURS CRURENT EN SON NOM. (VERSET 23, JUSQU'AU VERSET 14 DU CHAPITRE III.)

 

ANALYSE.

 

1. Tous ceux que la doctrine a attachés à Jésus-Christ ont été plus fermes et plus constants que ceux que les prodiges avaient attirés. — Pourquoi il ne se fait plus de miracles.

2. Nicodème, faiblesse et imperfection, de sa foi ; condescendance de Jésus-Christ.

3. Ne chercher pas à  approfondir avec trop de curiosité les saints mystères. — La curiosité égare de la foi. — Lorsqu'on ne soumet pas sa raison à la foi, on tombe dans mille absurdités. — La raison humaine qui n'est. pas éclairée d'en-haut ne produit que des ténèbres. — Les richesses sont des épines qui nous déchirent.

 

1. Entre ces hommes « qui voyaient alors les « miracles » de Jésus-Christ, les uns demeuraient dans leurs erreurs, les autres embrassaient la vérité; mais plusieurs d'entre eux ne l'ont gardée que peu de temps, et sont retombés ensuite. Jésus-Christ nous les a fait connaître dans la comparaison qu'il en a faite avec les semences qui ne jettent pas de profondes racines et qui , tombant sur une terre sans profondeur, sèchent aussitôt (Matth. XIII, 3, etc.) C'est d'eux aussi que parle en cet endroit l'évangéliste , quand il dit : « Pendant qu'il était dans Jérusalem à la fête de Pâques, plusieurs crurent en son nom, voyant les miracles qu'il faisait, mais Jésus ne se fiait point à eux (24) ». Les disciples, qui, touchés non-seulement de ses miracles, mais encore de sa doctrine, étaient venus à lui, et l'avaient suivi, furent plus fermes; car les prodiges attiraient les plus grossiers, mais les prophéties et la doctrine engageaient ceux qui avaient de la raison et du jugement. Tous ceux donc que la doctrine lui a attachés ont été plus fermes et plus constants que ceux que les prodiges avaient attirés, et ce sont ceux-là que Jésus-Christ a déclarés bienheureux par ces paroles : « Heureux ceux qui, sans avoir vu,  ont cru ». (Jean, XX, 29.) Mais que les autres n'étaient pas de vrais disciples, ce qui suit le prouve : « Jésus ne se fiait point à eux ». Pourquoi? Parce qu'il connaissait tout. « Et  qu'il n'avait pas besoin que personne lui rendît témoignage d'aucun homme; car il connaissait par lui-même ce qu'il y avait dans l'homme (25) », c'est-à-dire, pénétrant au fond de leurs coeurs et dans leurs pensées , il n'écoutait pas leurs paroles, et sachant que leur ferveur n'était que pour un temps, il ne se fiait point à eux, comme à de parfaits disciples : il ne leur confiait pas toute sa doctrine comme à des personnes qui auraient fermement embrassé sa foi.

Or, de connaître le cœur des hommes, cela n'appartient qu'à Celui « qui a formé le cœur de chacun d'eux » (Ps. XXXII , 15) , savoir, de Dieu seul; car « vous seul », dit l'Ecriture, « vous connaissez les murs ». (Act. I, 24.) Il n'avait pas besoin de témoins pour connaître les pensées et les mouvements de cœur qu'il avait formés: c'est pourquoi il ne se fiait pas aux premières marques de foi qu'ils donnaient. Souvent les hommes, qui ne connaissent ni le présent, ni l'avenir, disent sans crainte et confient tout à des fourbes, qui viennent [212] malignement les écouter, pour se retirer et les quitter peu après : Jésus-Christ ne fait pas de même, connaissant parfaitement tout ce que ces hommes avaient de plus secret et de plus caché dans leurs coeurs. Tels sont aujourd'hui plusieurs, qui véritablement ont le nom de fidèles, mais qui sont inconstants et volages. Voilà pourquoi Jésus-Christ ne se fie point à eux, mais leur cache beaucoup de choses. Comme en effet nous ne nous fions pas à toute sorte d'amis, mais seulement aux vrais; de même Dieu ne se fie pas indifféremment à tous. Ecoutez plutôt ce que Jésus-Christ dit à ses disciples : « Je ne vous appelle plus serviteurs, car vous êtes mes amis ». Comment? pourquoi? «Parce que je vous ai fait savoir. « tout ce que j'ai appris de mon Père ». (Jean, XV, 15.) C'est pour cette raison qu'il refusait aux Juifs les miracles qu'ils demandaient

il savait qu'ils ne les demandaient que pour le tenter.

Est-ce maintenant, comme autrefois, tenter Dieu, que de lui demander des miracles? Car il y a aujourd'hui des gens qui font la question suivante : Pourquoi maintenant encore Dieu ne fait-il pas des miracles? Si vous êtes fidèles, comme vous devez l'être; si vous aimez Jésus-Christ, comme il est juste de l'aimer, vous n'avez pas besoin de miracles les miracles sont pour les infidèles. Pourquoi donc, direz-vous , n'en a-t-on pas donné aux Juifs? Sûrement on leur en a donné ! mais, quelquefois ils ont été repoussés, lorsqu'ils en demandaient, parce qu'ils ne lés demandaient pas pour se guérir de leur aveuglement et de leur incrédulité, mais pour s'y fortifier davantage et devenir plus méchants.

« Or, il y avait un homme d'entre les pharisiens , nommé Nicodème , sénateur des Juifs (2), qui vint la nuit trouver. Jésus ». Cet homme semble défendre Jésus-Christ au milieu de la prédication de l'Evangile, car il dit: « Notre loi ne condamne personne sans l'avoir ouï auparavant ». (Jean, VII, 51.) Les Juifs se fâchent contre lui et lui répondent avec indignation : « Lisez avec soin les Ecritures, et apprenez qu'il ne sort point de prophète de Galilée ». (Ibid. 52.) De même , après que Jésus-Christ eut été crucifié, il eut un grand soin de la sépulture du corps de Notre-Seigneur. « Nicodème », dit l'évangéliste, ce qui était venu trouver Jésus, durant la « nuit, y vint aussi avec environ cent livres d'une composition de myrrhe et d'aloès ». (Jean, XIX, 39.) Dès lors cet homme était bien affectionné pour Jésus-christ : mais néanmoins, non pas autant qu'il était juste, ni avec l'esprit qu'il fallait ; une certaine faiblesse juive le dominait encore. C'est pourquoi il vint de nuit; car il n'aurait pas osé venir de jour. Mais Dieu, plein de bonté et de miséricorde, ne le rejeta point, ne lui fit aucun reproche et ne le priva pas de sa doctrine. Il lui parla au contraire avec beaucoup de douceur, il lui découvrit sa. sublime doctrine, à la vérité d'une manière enveloppée, mais toutefois il la lui découvrit : car il était beaucoup plus excusable que ceux qui faisaient la même chose avec une maligne disposition. En effet, ceux-ci sont tout à fait indignes d'excuse ; celui-là était à la vérité blâmable, mais point tant que les autres. Pourquoi donc l'évangéliste ne l'a-t-il pas marqué? D'abord il a dit ailleurs que plusieurs des sénateurs mêmes avaient cru en Jésus-Christ; mais qu'à cause des Juifs ils n'osaient le reconnaître publiquement , de crainte d'être chassés de la synagogue. Mais ici il a tout dit, tout fait connaître par ces mots : il est venu durant la nuit. Que dit donc Nicodème? « Maître, nous savons que vous êtes, venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur; car personne ne saurait faire les miracles que vous faites, si Dieu, n'est avec lui (3) ».

2. Nicodème rampe encore à terre, il a encore de Jésus-Christ des sentiments tout humains, il parle de lui comme d'un prophète, les miracles qu'il a vus n'ont point élevé son esprit et ne lui ont rien inspiré de grand. « Nous savons », dit-il, « que vous êtes un docteur envoyé de Dieu .» Pourquoi donc venez-vous de nuit secrètement trouver celui qui dit des choses divines et qui est envoyé de Dieu? Pourquoi ne l'abordez-vous pas avec confiance? «Mais Jésus-Christ ne lui dit pas même cela,, il ne lui fait aucune réprimande: « Car il ne brisera point le roseau cassé », dit l'Ecriture, « et il n'éteindra point la mèche qui. fume encore : il ne disputera point, il ne criera point ». (Isaïe, XLII, 3; Matth. XII, 19, 20.) Et-en un autre endroit : « Je ne suis a pas venu pour juger le monde, mais pour sauver le monde ». (Jean, XII, 47.)

Personne ne saurait faire les miracles que « vous faites, si Dieu n'est avec lui ». Cet homme parle encore selon, l'opinion des [213] hérétiques: il dit que Jésus-Christ est mû par un autre, et qu'il a besoin du secours d'autrui pour faire ce qu'il fait. Que répond donc Jésus-Christ? Voyez sa grande douceur. Il n'a point dit : Je n'ai besoin du secours de personne, et je fuis tout par ma puissance et avec autorité : car je suis le vrai Fils de Dieu et j'ai le même pouvoir que mon Père. Il ne s'est pas expliqué alors sur ce point par condescendance pour la faiblesse de son auditeur : ce que je dis souvent, je vous le répéterai ici : pendant longtemps, Jésus-Christ s'est moins attaché à révéler sa dignité qu'à persuader qu'il ne faisait rien contre la volonté de son Père. Voilà pourquoi souvent dans ses discours il se rabaisse : mais il n'en est pas de même quand il agit. Ainsi, opère-t-il des miracles, il parle avec autorité, disant: « Je le veux, soyez guéri (Marc, I, 41) : Ma fille, levez-vous, je vous le commande (Ibid. v , 41) : Etendez a votre main (Ibid. III, 5) : Vos péchés vous sont remis (Matth. IX, 5) : Tais-toi; calme-toi (Marc, IV, 39) : Emportez votre lit, et vous en allez en votre maison (Luc, V, 24) : « Esprit impur, sors de cet homme (Marc, V, 8) : Qu'il vous soit fait selon que vous demandez (Matth. VIII , 13) : Si quelqu'un vous dit quelque chose, dites-lui que le Seigneur en a besoin (Ibid. XXI, 3) : Vous serez aujourd'hui avec moi dans le paradis (Luc, XXIII, 43) : Vous avez appris qu'il a été dit aux anciens : vous ne tuerez point; mais moi je vous dis que quiconque se mettra en colère sans raison contre son frère, méritera d'être condamné par le jugement (Match. V, 21, 22) : Suivez-moi, et je vous ferai devenir pêcheurs d'hommes ». (Ibid. IV, 19.) Et partout nous voyons sa grande autorité. Car personne ne pouvait trouver à redire à ses oeuvres : et en quoi l'aurait-on pu ? Encore si l'effet n'avait pas suivi sa parole, quelqu'un aurait pu dire que ces ordres étaient vains et présomptueux; mais comme ils avaient leur prompt accomplissement, là vérité du miracle forçait les Juifs malgré eux-mêmes à garder le silence. Mais en ce qui regarde les paroles, leur impudence aurait pu les porter à les accuser de hauteur et de vanité.

Maintenant donc Jésus-Christ parlant à Nicodème, ne lui dit ouvertement rien de grand, rien de sublime ; mais par des paraboles et des figures il le ramène et le tire des bas sentiments qu'il avait conçus de lui, lui faisant connaître qu'il se suffisait à lui-même pour opérer des miracles ; car son Père l'a engendré parfait, se suffisant à soi-même et n'ayant aucune imperfection. Mais de quelle manière Jésus-Christ établit-il cette vérité ? Nicodème a dit : « Maître, nous savons que vous êtes venu de la part de Dieu pour nous instruire comme un docteur, et que personne ne saurait faire les miracles que vous faites si Dieu n'était avec lui ». En quoi il crut avoir dit de Jésus-Christ quelque chose de grand. Que fit donc Jésus-Christ? Il lui fit voir qu'il était encore bien éloigné de la vérité, qu'il n'en avait pas la moindre idée, et que lui et tout autre qui parlait de la sorte, et qui avait une pareille opinion du Fils unique, errait hors du royaume de Dieu et n'approchait pas encore de la véritable connaissance. Que dit-il ? « En vérité, en vérité, je vous dis que personne ne peut voir le royaume de Dieu s'il ne renaît de nouveau » ; c'est-à-dire, si vous ne renaissez d'en haut et si vous ne recevez pas la véritable connaissance des mystères, vous errez au dehors et vous êtes éloigné du royaume de Dieu. Mais il ne le dit pas clairement, et afin que ce qu'il disait lui cause moins de peine et d'inquiétude , il lui parle d'une manière enveloppée; il dit en général . « si on ne renaît », comme s'il disait : Si vous, ou quelqu'autre que ce soit, vous avez de moi de tels sentiments, vous êtes tous hors du royaume. Si ce n'était pas dans cet esprit que Jésus-Christ a dit ces choses, sa réponse ne conviendrait point au sujet. Au reste, si les Juifs l'avaient ouïe, ils se seraient retirés et en auraient ri. Mais Nicodème, même en cela, montre un sincère désir de s'instruire: Souvent Jésus-Christ parle d'une manière couverte, et c'est pour rendre ses auditeurs plus prompts à l'interroger et plus attentifs. En effet, ce qui est clair et d'une facile intelligence n'attire pas l'attention de l'auditeur et se, perd aisément de la mémoire; mais l'attention et la curiosité se réveillent quand on dit quelque chose d'obscur, et aussi on le retient mieux et plus longtemps.

Voici ce que signifient ces paroles de Jésus-Christ: Si vous ne renaissez d'en-haut, si vous ne recevez le Saint-Esprit par le baptême de la régénération, vous ne pouvez véritablement me connaître: l'opinion que vous avez de moi n'est point spirituelle, elle est charnelle. Jésus-Christ ne s'est pas servi de ces termes, de peur [214] d'intimider Nicodème, qui avait parlé selon son esprit et sa capacité; mais, après avoir gagné sa confiance, il l'élève à une plus grande connaissance, en disant: « Si on ne renaît d'en-haut » : ce mot, « d'en-haut », les uns l'entendent du ciel; d'autres disent qu'il signifie « de nouveau » : Celui, dit-il , qui ne renaît pas de cette manière , ne peut point voir le royaume de Dieu, c'est-à-dire, Jésus-Christ lui-même; par là il faisait connaître qu'il n'était pas seulement ce que l'on voyait au dehors, mais que, pour le voir , il fallait avoir d'autres yeux.

Nicodème ayant ouï cela, dit: « Comment peut naître un homme qui est déjà vieux? (4) » Quoi ! vous l'appelez maître, vous dites qu'il est venu de la part de Dieu ; et à celui que vous reconnaissez pour votre maître , vous faites une réponse qui peut l'embarrasser et le jeter dans un grand trouble ! En effet, cette parole : « Comment », exprime le doute d'une âme peu croyante et encore attachée à la terre. Sara rit en disant: « Comment » , et ce rire marquait son doute et sa défiance, et plusieurs autres, pour avoir fait une pareille demande, se sont égarés de la foi.

3. C'est ainsi que les hérétiques, faisant de semblables demandes , s'obstinent dans leurs hérésies. Les uns disent: COMMENT s'est-il incarné? d'autres: COMMENT est-il né? Par où ils soumettent l'immense substance à leurs faibles lumières. Nous donc, fuyons une curiosité si mal placée. Ceux qui agitent ces sortes de questions ne sauront jamais comment ces choses se sont faites et perdront la vraie foi. Voilà pourquoi Nicodème, dans son doute, cherche et demandé : COMMENT. Il a compris que ce que disait Jésus-Christ le regarde; il en est tout troublé; couvert de ténèbres, il s'arrête et ne sait où aller. Il a cru venir trouver un homme, et il entend une doctrine trop grande et trop élevée pour qu'elle puisse venir d'un homme, une doctrine que jamais personne n'a entendue: véritablement Jésus-Christ élève son esprit aux sublimes paroles qu'il lui a fait entendre, mais Nicodème retombe dans les ténèbres et ne peut en sortir : il ne peut se fixer, il est emporté de toutes parts, souvent il s'écarte de la foi. C'est pourquoi il persiste à tenter l'impossible, afin d'engager Jésus-Christ à lui enseigner plus clairement sa doctrine. « Un homme » , dit-il, « peut-il entrer une seconde fois dans le sein de sa mère pour naître encore ? »

Considérez, mes frères; quels propos ridicules on profère, quand, dans les choses spirituelles, on se livre à ses propres pensées; et comment on semble débiter des rêveries dignes d'une personne ivre, lorsque, contre la volonté de Dieu, on veut trop curieusement sonder sa parole, et ne pas soumettre sa raison à la foi. Nicodème entend parler de naissance, et il ne comprend pas que c'est d'une naissance spirituelle qu'on parle ; mais il tourne sa pensée sur la méprisable génération de la chair, et veut rattacher un mystère si grand et si sublime à l’ordre de la nature. Delà ces doutes, ces questions ridicules ; c'est ce qui fait dire à saint Paul : « L'homme animal n'est point capable dès choses qui sont de l'Esprit de Dieu ». (I Cor. II, 14.) Mais toutefois Nicodème garde le respect qu'il doit à Jésus-Christ: il ne rit pas de ce qu'il a entendu : il le regarde comme impossible, il se tait. Deux choses pouvaient paraître douteuses: cette nouvelle naissance et le royaume. Car ces noms de royaume et de renaissance étaient encore inconnus parmi les Juifs; mais il s'arrête principalement à la première de ces choses: voilà ce qui agite son esprit et le tourmente le plus.

Instruits de ces vérités, mes chers frères, ne raisonnons pas sur les choses divines, ne lés comparons pas aux productions de la nature, et ne les soumettons pas à des lois nécessaires; mais, confiants aux paroles de l’Ecriture, croyons pieusement à tout ce qu'elle nous enseigne. Celui qui sonde avec trop de curiosité ne gagne rien, et outre qu'il ne trouvera point ce qu'il cherche, il sera de plus très-rigoureusement puni. Vous dit-on que le Père a engendré ? Croyez ce qu'on vous dit; ne cherchez point à connaître COMMENT : vous ne le savez pas ; que ce ne soit point une raison pour vous de refuser de croire à cette génération; c'est en quoi il y aurait une extrême méchanceté. Si Nicodème, ayant ouï parler de génération, non de l'ineffable génération, mais de la renaissance qu'opère la grâce ; si, dis-je, Nicodème , pour n'avoir pas élevé son esprit, n'avoir rien pensé de grand, n'avoir conçu que des idées basses, humaines et toutes terrestres, s'est précipité dans le doute et dans les ténèbres , ceux qui sondent et examinent curieusement cette redoutable et si respectable génération, qui surpasse notre raison et toutes nos pensées, quel supplice ne mériteront-ils pas ? Rien ne produit de plus épaisses ténèbres [215] que la raison humaine, qui ne s'entretient que de choses terrestres et n'est point éclairée d'en-haut. Car elle est toute offusquée par la fange terrestre de ses pensées. C'est pourquoi nous avons besoin de ces sources d'eau qui tombent du ciel, afin qu'après avoir lavé la boue dont notre âme est souillée, ce qui y restera de pur s'élève en haut et aille se mêler avec la divine doctrine. Or, cela arrive. lorsque nous avons soin d'embellir notre âme et de vivre dans la pureté et dans la sainteté. Car notre âme peut se couvrir de ténèbres; oui, elle le peut, non-seulement par une curiosité mal placée, mais encore par la mauvaise vie. Voilà pourquoi saint Paul disait aux Corinthiens : « Je ne vous ai nourris que de lait et non de viandes solides, parce que vous n'en étiez pas capables ; et à présent même vous ne l'êtes pas encore, parce que vous êtes « encore charnels , puisqu'il y a parmi vous des jalousies et des disputes ». (l Cor. 111, 2.) Le saint apôtre dit encore, dans l'épître aux Hébreux, et souvent ailleurs, que c'est là la source et la cause des mauvaises doctrines qui s'élèvent et se répandent dans l'Église. L'âme qui s'est adonnée à ses passions ne peut rien voir de grand, rien penser de noble et d'élevé; étant offusquée par une espèce de chassie, elle demeure ensevelie dans de profondes ténèbres.

Purifions donc notre âme, éclairons-la de la lumière que répand la connaissance de Dieu , de peur que la semence ne tombe parmi les épines. Vous savez quelle est l'abondance de ces épines, quoique nous n'en parlions point. Vous avez souvent entendu Jésus-Christ appeler du nom d'épines (Matth. XIII, 22), les inquiétudes de ce siècle et l'illusion des richesses. Et certes, c'est avec raison : comme les épines sont stériles, les richesses le sont aussi; comme celles-là déchirent ceux qui en approchent, de même celles-ci déchirent l'âme, et comme le feu les consume facilement, et que les vignerons ne peuvent les souffrir, le feu de même consumera les biens de ce monde, de même le vigneron les rejettera ; et encore, comme les bêtes dangereuses, telles que les vipères et les scorpions, se cachent dans les épines, elles se cachent aussi dans les trompeuses richesses. C'est pourquoi mettons le feu du Saint-Esprit dans ces épines, et préparons notre champ, arrachons-en toutes les mauvaises plantes, afin qu'il soit net à l'arrivée du vigneron ; arrosons-le ensuite des eaux spirituelles. Plantons-y le fertile olivier, cet arbre si beau, si agréable, qui est vert en tout temps, qui éclaire, qui nourrit, qui est bon à la santé. L'aumône renferme en soi toutes ces qualités , elle est comme un sceau qui garantit la possession de nos biens. La mort même ne sèche point cet arbre, mais il demeure ferme, et ne meurt jamais; toujours éclairant l'âme, entretenant ses forces., les conservant dans toute leur vigueur », il la rend plus robuste. Si nous le possédons toujours, cet arbre, nous pourrons avec confiance nous présenter à l'époux, et entrer dans la chambre nuptiale; fasse le ciel que nous y entrions tous, par la grâce et la miséricorde de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui, avec le Père et le Saint-Esprit, soit la gloire, maintenant et toujours, et dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

 

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