HOMÉLIE LXXI
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HOMÉLIE LXXI.

ET JÉSUS REPRIT SES VÊTEMENTS : ET S'ÉTANT REMIS A TABLE, IL LEUR DIT : SAVEZ-VOUS CE QUE JE VIENS DE VOUS TAIRE? (VERS. 12, JUSQU'AU VERSET 19.)

 

ANALYSE.

 

1. Endurcissement de Judas. — La conduite de Jésus-Christ à l'égard de ses disciples doit faire réfléchir les maîtres qui sont durs envers leurs serviteurs.

2. L'Orateur insiste sur la leçon d'humilité donnée au monde par le Maître du monde.

3. Ce n'est pas celui qui reçoit l'injure qui est malheureux et à plaindre, mais celui qui la fait. — Récompenses qu'auront et celai qui ne s'est point vengé , le pouvant, et celui qui ne le pouvant pas, a retenu sa colère et sa langue. — Celui qui ne se venge point devient semblable à Dieu. — Plus les exemples sont anciens, plus ils sont propres à persuader.: pourquoi. — Noé parfait en son temps. — Joseph, Mule , modèles de douceur et de patience. — Histoire de Joseph. — Pardonner, afin, que Dieu nous pardonne.

 

1. Tomber dans l'abîme des péchés, c'est, mes très-chers frères, c'est sûrement un terrible malheur (1). Il est bien difficile alors que le coeur change et se convertisse. Voilà pourquoi il faut, dès le commencement, faire tous ses efforts pour ne pas se laisser tomber dans les piéges du péché (2). Il est plus aisé de n'y pas tomber que d'en sortir , lorsqu'une fois on S est tombé. Voyez Judas : une fois qu'il fut jeté, tous les secours que lui a offerts son Maître sont devenus inutiles et il ne s'est point relevé. Jésus a dit devant lui : « Un de vous autres est un démon » (Jean, VI, 71) ; il a dit : « Je ne dis pas ceci de vous tous » (Id . XIII,18) ; il a dit : « Je connais ceux que «j'ai choisis ». (Ibid.) Et Judas n'y a point fait attention.

Après donc qu'il leur eût lavé les pieds, il

 

1. Lorsque le méchant est parvenu au plus profond des péchés, dit la sage, il méprise tout . mais l'ignominie et l'opprobre le suivent. (Prov. XVIII.)

2. Car celui qui néglige les petites choses, tombe peu à peu. (Eccli. XIX, 1) Une âme attachée à Jésus-Christ, dit saint Jérôme, est attentive et aux plus grandes et aux plus petites choses, sachant qu’il lui faudra rendre compte même d'une parole oiseuse. Ad Heliodor.

 

reprit ses vêtements, et s'étant remis à table, il leur dit : « Savez-vous ce que je viens de faire?» Le Sauveur ne parle plus à Pierre seul, mais à tous. « Vous m'appelez votre Maître et votre Seigneur, et vous avez rai« son, car je le suis (13). Vous m'appelez ». Jésus-Christ approuve le sentiment qu'ils ont de lui. Ensuite, de peur qu'ils ne croient que c'est par complaisance pour eux qu'il l'approuve, il ajoute : « Car je le suis ». En citant ainsi leurs paroles, il ôte à l'affirmation ce qu'elle pouvait avoir de choquant, car leur emprunter leurs expressions et se borner à les confirmer, cette conduite n'était pas propre à inspirer de mauvaises pensées; « car je le suis », dit-il. Ne voyez-vous pas, mes frères, que Jésus-Christ parle plus ouvertement de soi, lorsqu'il s'entretient seul avec ses disciples? Comme donc il dit : « N'appelez personne sur la terre votre maître, parce que [454] vous n'avez qu'un seul Maître » (Matth. XXII, 8); il dit de même: « N'appelez aussi personne sur la terre votre père ». Au reste, cette parole : un seul maître et un seul père, n'est pas seulement dite du Père, mais encore du Fils; si Jésus-Christ ne parlait pas de soi, comment aurait-il dit : « Afin que vous soyez enfants de la lumière ? » (Jean, XII, 36.) Et encore, s'il appelait Maître le Père seul, comment parlerait-il en ces termes : « Car je le suis? » Comment dirait-il : « Le Christ (1) est votre seul docteur, votre seul Maître? »

« Si donc, » dit-il, « je vous ai lavé les pieds, moi qui suis votre Seigneur et votre Maître, vous devez aussi vous laver les pieds les uns aux autres. Je vous ai donné l'exemple, afin que, pensant à ce que je vous ai fait, vous fassiez aussi de même (14) ». Mais ce n'est point là une même chose, il est le Maître et le Seigneur, et vous, vous êtes tous des serviteurs les uns des autres. Que veut donc dire ce mot : « De même? » Avec le même soin et la même affection. Voilà pourquoi le Sauveur nous donne de grands exemples, afin que nous fassions du moins les petites choses. Les exemples que donnent les maîtres aux enfants qu'ils instruisent sont de même écrits dans les plus beaux caractères, afin qu'ils tâchent de les imiter, quoiqu'imparfaitement.

Où sont-ils maintenant ceux qui ne font aucun cas de leurs frères en servitude? Où sont-ils ceux qui veulent être honorés? Jésus-Christ a lavé les pieds d'un traître, d'un sacrilège et d'un larron, lors même qu'il allait le trahir; il le fait asseoir et manger à sa table, lorsqu'il n'y avait nulle espérance d'amendement et de repentir, et vous, vous avez de hauts sentiments de vous-mêmes et vous vous enflez d'orgueil? Lavons-nous les pieds les uns aux autres,dit le Sauveur, lavons même ceux de nos serviteurs. Et qu'y a-t-il de si grand à laver même les pieds de nos serviteurs? Parmi nous toute la différence entre le libre et l'esclave n'est que de nom, mais à l'égard de Jésus-Christ, elle est réelle et véritable. Il est le Seigneur par nature, et nous, par nature, nous sommes des serviteurs et des esclaves, et cependant celui qui est le vrai Seigneur n'a pas dédaigné de faire une action si basse et si humiliante. Mais aujourd'hui il faut se tenir pour content si nous traitons des hommes libres comme des serviteurs et des esclaves achetés au marché.

Que répondrons-nous un jour, nous qui, ayant devant les yeux de si grands exemples de modération et de patience, ne les imitons pas, nous qui en sommes totalement éloignés, nous qui sommes si hauts et si enflés d'orgueil, qui ne rendons pas aux autres ce que nous leur devons ? Dieu nous a faits débiteurs les uns des autres, il a commencé par payer le premier nos grandes dettes, et il ne nous a laissé que la charge d'acquitter les plus petites. En effet, quand il nous a lavé les pieds, il était notre Seigneur; mais nous, si nous faisons de même, c'est à nos compagnons que nous le faisons. Jésus-Christ nous le fait clairement entendre en disant : « Si donc je vous ai lavé les pieds ; moi qui suis votre Seigneur et votre Maître ». Et encore : « Vous fassiez aussi de même ». On devait s'attendre à ce que le Seigneur dît : A combien plus forte raison devez-vous en faire de même, vous qui n'êtes que des serviteurs; mais il laisse le soin de tirer la conclusion à la conscience de ceux qui l'écoutent. Mais pourquoi le Sauveur lava-t. il alors les pieds de ses disciples? Parce qu'ils devaient recevoir des honneurs, les uns plus grands, les autres moins considérables.

2. Afin donc que les disciples ne s'élèvent pas au-dessus des autres, et qu'ils ne disent pas comme auparavant : « Qui est le plus grand? » (Matth. XVIII, 1), et aussi qu'ils ne conçoivent pas d'indignation les uns contre les autres (Matth. XX, 24), Jésus-Christ réprime toutes ces pensées d'orgueil, en disant: Quelque grand que vous soyez, vous ne devez pas vous élever au-dessus de votre frère. Le Sauveur n'a point dit, ce qui était et plus grand et plus fort : Si j'ai lavé les pieds d'un traître, est-ce quelque chose de si admirable que vous laviez les pieds de vos compagnons? Mais, comme il venait de laver réellement les pieds d'un traître, il laisse cela au jugement de ceux qui en avaient été les témoins. C'est aussi pour cette raison qu'il a dit : « Celui qui fera et enseignera, sera grand dans le royaume des cieux ». (Matth. V, 19.) Car c'est véritablement enseigner, que d'enseigner par les oeuvres. En effet, quel faste, ce que venait de faire le Seigneur, n'aurait-il pas abattu, quelle ostentation cet acte n'aurait-il pas étouffée?

Celui qui est assis sur les chérubins lave les pieds d'un traître; et vous, d homme, vous

 

1. Le Christ : on lit ce mot dans le Nouveau Testament grec, dans mon Auteur et dans quelques manuscrits.

 

 

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qui n'êtes que cendre, que terre, que poussière, vous vous élevez d'orgueil, et vous avez une haute opinion de vous-même? Que si vous voulez vous élever, venez, je vous montrerai le chemin; car vous ne le connaissez pas. S'attacher aux choses présentes comme à de grandes choses, c'est avoir l'esprit petit et l'âme basse Comme les petits enfants n'ont de désirs et d'ardeur que pour des bagatelles, pour des boules,: des toupies, des osselets, et qu'ils ne sont même pas capables de penser à rien de sérieux; à rien de grand; de même celui qui s'adonne à la vraie, philosophie ne fera nul cas des choses présentes. Il ne désirera donc pas de les acquérir, ou que d'autres les lui donnent. Mais l'homme qui ne s'applique pas à cette étude, s'attachera d'affection et de coeur à des toiles d'araignées, à des ombres, à des songes, et aux choses les plus viles et les plus abjectes.

«En vérité, en vérité, je vous le dis : Le serviteur n'est pas plus grand que le maître et l'envoyé n'est pas plus grand que celui a qui l'a envoyé (16). Si vous savez ces choses, q vous serez heureux, pourvu que vous les pratiquiez (17). Je  ne dis pas ceci de vous tous : mais il faut que, cette parole de l'Ecriture soit accomplie : Celui qui mange, du pain avec moi; lèvera le pied contre moi (18)». Jésus-Christ répète encore ici ce qu'il a dit auparavant : Si le serviteur, dit-il, n'est pas plus grand que son maître, si l'envoyé n'est pas plus grand que. celui qui l'a envoyé, et si j'ai fait cette action, si j'ai lavé vos pieds, à plus forte raison il faut que vous fassiez de même. Ensuite, de peur que quelqu'un ne repartît : Pourquoi parlez-vous de la sorte maintenant, nous n'en voyons pas la raison? il a ajouté : Je ne vous dis pas ceci, comme si vous ne le saviez pas; mais c'est afin que vous montriez par vos oeuvres que vous le savez. Véritablement tous savent, mais tous ne font pas. Voilà pourquoi le Sauveur dit : « Vous serez heureux, pourvu que vous pratiquiez ces choses ». Encore que vous les sachiez, je vous les répète très-souvent, pour vous porter à les mettre . en pratique. Les Juifs les savent aussi, mais ils ne sont pas heureux, parce que ce qu'ils savent, ils ne le font pas.

« Je ne dis pas ceci, de vous tous ». Ah ! quelle patience ! Le Sauveur ne fait point encore des reproches à ce traître, mais il couvre son crime, pour lui donner le temps de faire pénitence ! Et il le reprend, sans néanmoins paraître le reprendre, en disant : « Celui qui mange du pain avec moi, lèvera le pied contre moi ». Il me semble que Jésus-Christ a dit : « Le serviteur n'est pas plus grand que son maître », afin que si un serviteur, ou quelque autre, vile personne, outrage et offense quelqu'un, celui-ci ne se trouble point, considérant ce qu'a fait Judas : Judas, qui, ayant reçu de si grands biens de son Maître, le paie de tant d'ingratitude ! Voilà pourquoi Jésus-Christ a ajouté : « Celui qui mange du pain avec moi ». Et passant sur tous les autres bienfaits, il ne lui reproche que ce qui pouvait l'arrêter et le couvrir de confusion. Celui que je nourrissais, celui qui mangeait à ma table, dit-il, c'est celui-là même qui me trahit. En un mot, le Sauveur disait ces choses afin d'apprendre à ses disciples à faire du bien à ceux qui leur feraient du mal, ceux-ci demeurassent-ils incorrigibles.

Au reste, après avoir dit : « Je ne dis pas ceci de vous tous » ; pour ne les pas jeter tous dans la crainte et dans l'effroi, Jésus-Christ sépare enfin Judas des autres, et le désigne par ces paroles : « Celui qui mange du pain avec moi ». Car ces mots : « Je ne dis pas ceci de vous tous », ne désignaient absolument personne en particulier; c'est pourquoi il a ajouté : « Celui qui mange du pain avec moi », déclarant à ce malheureux que sa trahison lui était parfaitement connue : et rien n'était plus capable de le détourner de son dessein. Le divin Sauveur n'a point dit Judas me trahit, mais : « Il a levé le pied contre moi », pour faire connaître sa fourberie et les piéges qu'il lui tendait secrètement.

3. Enfin, mes frères, ces choses sont écrites pour notre instruction, afin que nous ne nous mettions point en colère contre ceux qui nous font une injure, et que nous nous bornions à les reprendre et à les plaindre. Car ce ne sont pas ceux qui sont offensés, mais ceux qui offensent, qui sont dignes de larmes. Un ravisseur du bien d'autrui, un calomniateur, et tous ceux qui font du mal, se font un très-grand tort à eux-mêmes. Mais à nous, ils nous procurent de très-grands biens, si nous ne nous vengeons point. Par exemple, un voleur vous a ravi votre bien, vous en avez rendu grâces à Dieu, et vous lui avez rapporté toute la gloire de votre patience : par cette action [456] de grâces, vous avez mérité une infinité de récompenses, de même que ce malheureux s'est préparé un feu immense et éternel.

Mais si quelqu'un dit : Où est mon mérite? Je n'ai pu me venger par faiblesse et par impuissance, je lui répondrai : Vous auriez pu vous fâcher, vous mettre en colère : il est en notre pouvoir de maudire celui qui nous a offensé, celui qui nous a fait du mal; il est en notre pouvoir de lancer mille imprécations contre lui, d'en parler mal, et de le perdre de réputation. Vous n'en avez rien fait, vous avez su vous posséder, vous aurez la récompense que mérite celui qui ne s'est point vengé : car il est constant que, eussiez-vous pu le faire, vous ne l'auriez point fait. Un homme qui se sent offensé, se fait des armes de tout ce qui se présente; s'il ne souffre pas patiemment l'injure qu'on lui a faite, il s'en venge par des malédictions, par des paroles injurieuses et outrageantes, par des embûches. Si donc vous ne vous abstenez pas seulement de toutes ces choses, mais encore si vous priez Dieu pour celui qui vous a offensé, par cette conduite vous devenez semblable à Dieu, qui vous dit : « Priez pour ceux qui vous persécutent, afin que vous soyez semblables à votre Père qui est dans les cieux ». (Matth. V, 44, 45.)

Ne voyez-vous pas, mes frères, quel gain, quel profit nous retirons des injures? Rien ne plaît tant à Dieu que de ne point rendre le niai pour le mal, que dis-je, le mal pour le mal (1)? Il nous est ordonné de faire tout le contraire, d'obliger ceux qui nous offensent, de prier pour eux. Voilà pourquoi Jésus-Christ comblait de bienfaits celui qui le devait trahir, il lui lavait les pieds, il lui faisait des reproches en secret, il le réprimandait avec modération et avec douceur, il l'honorait de ses services, de sa table, de son baiser. Et néanmoins Judas n'en est pas devenu meilleur; Jésus-Christ n'a pourtant pas cessé de faire ce qui était en lui.

Mais, je le vois, mes frères : vous présenter l'exemple du Maître, c'est vous proposer un trop grand modèle: passons à l'exemple des serviteurs, tirons-en notre instruction ; et ce qui aura plus de force, servons-nous ici de l'Ancien Testament, de telle sorte que vous voyiez bien que la rancune est un crime sans excuse. Voulez-vous que je vous propose Moïse pour

 

1. Ne vous laissez point vaincre par le mal, dit l'Apôtre, mais travailla à vaincre le mal par le bien. (Rom. XLI, 21.)

 

modèle, ou que je remonte encore plus haut? Plus les exemples sont anciens, et plus ils nous accablent. Pourquoi? Parce qu'alors il était plus difficile de pratiquer la vertu. Les hommes alors n'avaient point de lois écrites, ils n'avaient pas les exemples des anciens, mais la nature humaine, nue et sans armes, combattait par elle-même, par ses propres forces; elle était obligée de naviguer sans lest sur la vaste mer de ce monde. Voilà pourquoi l'Ecriture, faisant l'éloge de Noé, ne dit pas simple. ment qu'il était parfait, mais elle ajoute : «Au a milieu des hommes qui vivaient alors ». (Gen. VI, 9.) Par là, elle fait voir que c'était dans un temps où il y avait bien des obstacles à surmonter; d'autres, dans la suite, se sont signalés; Noé pourtant sera honoré à l'égal des plus grands, vu le temps où il était parfait.

Qui donc avant Moïse a été doux et patient? Le bienheureux Joseph, ce brave et généreux athlète, qui ayant brillé par sa chasteté, ne se signala pas moins par sa patience. Joseph fut vendu par ses frères, à qui il n'avait fait aucun mal; ou plutôt il avait été pour eux le serviteur le plus empressé, et ils l'outragèrent par un blâme injurieux; mais Joseph ne se vengea point, quoiqu'il eût toute l'affection de son père : et il fut leur porter du pain dans le désert; ne les trouvant pas, il ne s'impatienta point, il ne s'en retourna pas. S'il eût voulu se venger, l'occasion était belle : mais au con. traire, il eut toujours un coeur de frère pour ces bêtes féroces, pour ces âmes barbares et inhumaines. Puis, jeté dans une prison, lorsqu'on lui en demanda le sujet, il ne dit aucun mal de ses frères, mais seulement : je n'ai rien fait; et « j'ai été enlevé par fraude de la terre des Hébreux » . (Gen. XL,15.) Et dans la suite, aussitôt qu'il fut. élevé en dignité et en puissance, il leur donna du pain, les tira de leur misère, les arracha à une infinité de maux: car si nous veillons, si nous sommes attentifs sur nous-mêmes, la méchanceté du prochain n'est point capable de nous détourner de la vertu. Mais ses frères en avaient usé à son égard d'une manière bien différente : ils l'avaient dépouillé de sa robe, ils avaient voulu le faire mourir, et ils lui avaient reproché le songe qu'il leur avait raconté; et encore qu'il leur eût apporté de quoi manger, ils cherchaient à lui ôter la vie ou la liberté. (Gen. XXXVII.) Ils mangeaient et laissaient mourir de faim leur frère, qu'ils avaient dépouillé et jeté dans une [457] citerne: est-il rien de plus barbare et de plus inhumain? N'étaient-ils pas plus cruels que des assassins? Ils le tirèrent ensuite de la citerne, mais ce fut pour l'exposer à mille morts, en le vendant à des hommes barbares et féroces, qui devaient l'emmener chez un peuple barbare.

Elevé sur le trône, Joseph, non-seulement ne se vengea point de ses frères, mais encore il excusa leur crime, autant qu'il le pouvait, attribuant tout ce qu'ils avaient fait, non à leur méchanceté, mais à un ordre particulier de la divine Providence. Et s'il fit quelque chose contre eux, ce ne fut point par un dessein de vengeance, mais par feinte, pour les sonder et découvrir leurs sentiments pour son frère Benjamin. Et dès qu'il a reconnu qu'ils le défendent et le protégent, son coeur ne pouvant plus se déguiser, les larmes lui coulent aussitôt des yeux, il embrasse ses frères, comme s'il en eût reçu de grands bienfaits, lui à qui ils avaient voulu jadis ôter la vie : et il les fait tous venir dans l'Egypte, où il les comble de toutes sortes de biens.

Quelle excuse aurons-nous donc un jour, nous qui, vivant après la loi, après la grâce, après de si grandes et si nouvelles leçons de vertu, n'aurons pas même imité celui qui a vécu avant la loi et avant la grâce ? Qui nous délivrera du supplice? Car rien n'est pire ni plus dangereux que le souvenir des injures. Celui qui devait dix mille talents en est une preuve manifeste : on lui avait d'abord remis sa dette; mais après, on le força de la payer. (Matth. XVIII, 24.) Dieu lui avait remis sa dette par compassion et par miséricorde; mais sa propre méchanceté, mais sa dureté envers son compagnon, furent cause que le Seigneur lui fit tout payer. Considérons ces choses, mes frères, et pardonnons à notre prochain ses fautes et ses offenses, ou plutôt répondons à ces offenses par des bienfaits, afin que nous puissions obtenir la miséricorde de Dieu, par la grâce et la bonté de Notre-Seigneur Jésus-Christ, à qui la gloire et l'empire appartiennent dans tous les siècles des siècles ! Ainsi soit-il.

 

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